Lloyd était assis au bord du lac. L’eau clapotait en léchant ses pieds nus, tiède, agréable. Le sable avait humidifié un peu son pantalon sans qu’il ne s’en souciât. La soirée s’écoulait avec douceur. Le temps de l’union, tout le monde semblait avoir abandonné les velléités et les conflits, chacun semblait être en trêve, avec soi, avec les autres.

Quant au hapien, pour une fois, il pouvait fixer Dana. La détailler d’un regard attentif, tomber sans ciller dans ses prunelles dorées lorsqu’elle les tournait vers lui, admirer ses courbes à s’en saouler… Car tout le monde était occupé à la regarder, ou bien à danser en l’écoutant. Une excuse parfaite, pour passer deux minutes entières à faire ce qu’il ne s’autorisait jamais plus de quelques secondes.
Les deux minutes furent longues et trop courtes à la fois.

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-------- Je savais pas que les Sith marquaient leur nom sur les femmes qu’ils achetaient. Enfin, pour être honnête, je savais pas qu’ils achetaient des femmes, déjà.

Une averse avait disloqué les groupes au bord de la plage, qui s’étaient réfugiés pêlemêle sous les dais, le long des tables surchargées des mets les plus fins qu’ils avaient pu déguster depuis plusieurs jours. On s’occupait à manger le temps que la pluie baissât un peu en intensité.
Lloyd regarda Kashiina en clignant des yeux quelques fois. Le mensonge de Mumkin était allé beaucoup trop loin, mais il était trop tard pour le démentir et révéler qu’ils avaient brisé le code. Il n’avait rien compris, alors il eut un sourire d’excuse. C’était le moins risqué. La jeune femme haussa les épaules.

- Projet de départ abandonné, alors ?
- On dirait que c’est tombé à l’eau. Littéralement.

Kashiina envoya une œillade vers le lac. Il comprit qu’elle faisait référence à sa petite aventure avec le caveau.

- Désolé. Mais y’aura d’autres visiteurs, d’autres occasions.

La jeune femme baissa les yeux en haussant les épaules.

- Si elle avait pas été là… Tu m’aurais prise ?

Le hapien fronça les sourcils, puis expira doucement. Il se tourna vers le lac, dont l’étendue sombre demeurait d’un calme impassible. Une lune blanche s’y reflétait. La pluie était déjà moins intense.

- Non.

Elle allait acquiescer mais il agita son verre en prenant une inspiration pour poursuivre.

- C’est pas une question de… C’est juste que les Sith ne peuvent pas offrir ce genre de vie. Ça n’a rien à avoir avec… La beauté, le désir, ou je sais pas quoi.

Elle eut un sourire amusé.

- C’est gentil de préciser. Mais si tu m’avais proposé, je pense pas que j’aurais accepté non plus. C’est pas une question de beauté ou de désir ou je sais pas quoi non plus, dit-elle, énigmatique. Le clan est juste plus important pour moi. Tu défends ton Empire, je défends mon clan. Quitte à finir seuls.

Le hapien acquiesça doucement. Ils étaient peut-être plus semblables qu’il ne l’avait cru au premier abord. Kashiina attrapa un fruit de la taille d’une phalange, et croqua dedans avec un sourire.

- Mais merci quand même. Pour la danse, les morsures. C’était très drôle.

Lloyd n’eut pas le temps de répondre, Liam venait de débouler entre eux, s’accrochant maladroitement à Kashiina. Celle-ci prit l’enfant par la main, et tous les deux s’en allèrent. Le hapien en profita pour chercher quelqu’un du regard mais à peine eut-il pivoté que Mumkin et Goshgosh surgirent.

- Ah ben t’es là !
- Ouais il est là.

Le hapien les regarda à tour de rôle.

- Ouais, effectivement, j’suis là.
- Viens, fit le pilote.
- Ouais, viens.

L’instant suivant, Lloyd fut emmené entre les roulottes. Les lumières et les sons, cris et musiques des festivités, s’éloignèrent dans leur dos, jusqu’à ce qu’ils parviennent, entre deux roulottes, à un rocher sur lequel patientait sagement une silhouette. Une chevelure rousse flamboyante, humidifiée par la pluie légère, encadré un sourire ému. Entre les bras de Mercy reposait le tout petit enfant, silencieux.

- Voilà, dit Goshgosh, c’est lui qu’il faut bénir avec la Magie des Rois.
- Oui, c’est lui, répéta Mumkin.

Le hapien s’approcha, embarrassé. Déjà, donner sa bénédiction lors du mariage avait été particulièrement gênant. Mais voilà qu’il fallait recommencer. Un peu plus tôt, lorsqu’il avait demandé à Mumkin ce qu’il fallait qu’il fasse, le pilote lui avait répondu évasivement « utilise la Force comme tu sais mieux le faire ». Alors il avait prélevé un tout petit peu d’énergie vitale aux époux, juste à peine pour qu’ils pussent sentir quelque chose. Mais sur un bébé, c’était hors de question ; il était foutu de le tuer sans faire exprès.

- Hum, bon. Hé bien…

Lloyd posa deux doigts sur le front du gamin hybride, sur lequel poussait deux minuscules cornes qui perçaient déjà sa peau d’un cuir plus dur que la peau humaine.

- Wonoksh Qyâsik yun, murmura-t-il, avant de retirer ses doigts.

C’étaient les rares mots qu’il connaissait en Sithese, et c’était ce qu’il avait trouvé de plus approprié pour formuler un vœu, tant pour l’enfant que pour les mariés. Il n’avait pas grand-chose d’autre en stock. Cela parut néanmoins suffire à Goshgosh et Mercy, qui se penchèrent sur le bébé d’un air ému.

- Merci, fit Goshgosh. Pour les bidons j’vous aiderai à…

Mais il y eut soudain des cris qui provenaient de la plage, puis on entendit quelques éclaboussures. Lloyd réagit un peu brusquement en sursautant, mais Mumkin et Mercy s’étaient mis à rire.

- Ah, quelqu’un a trouvé la figurine, commenta la jeune femme. Mais je ne vais pas me baigner ce soir.
- La figurine ?
- Ouais, c’est une petite sculpture que les femmes cachent dans des gâteaux. Et quand on tombe dessus, on jette à l’eau celui qui l’a trouvé et puis tous ceux qui veulent se baigner courent dans le lac.

Le hapien se détendit quelque peu. Pas d’attaque surprise, alors ? Il lui fallut quand même quelques secondes pour retrouver contenance.

- C’est le moment pour réapparaître l’air de rien, commenta Goshgosh, et les quatre silhouettes retournèrent vers la fête.

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-------Lorsqu’ils revinrent sur la plage, un grand nombre des convives s’étaient en effet jetés à l’eau. On nageait, on piaillait, on s’éclaboussait dans l’eau sombre, qui avalait les silhouettes. Les frileux étaient restés au bord de l’eau, des hommes avaient préféré se regrouper autour de Vaklu pour fumer l’herbe de jash et Mumkin et Goshgosh les rejoignaient déjà. Des femmes tenaient des enfants par la main pour qu’ils ne s’éloignent pas trop dans le lac, Mercy alla s’asseoir dans le sable avec un air de félicité sur le visage.

Lloyd, quant à lui, avait enfoncé les mains dans ses poches et se dirigea nonchalamment sur une silhouette restée debout près du visage. La robe dorée de Dana épousait ses formes, ses cheveux sauvages cascadaient en volutes et masquaient son visage. Le hapien s’arrêta près d’elle et ils restèrent un moment silencieux. Il se doutait que Mumkin devait garder un œil sur eux ; il sentait sur son dos l’attention du dévaronien à travers la fumée dans laquelle il l’imaginait baigner.
Tih soudain apparut entre les deux Sith et s’accrocha à Lloyd, tout en jetant à Dana un air impressionné.

- Moi j’ai peur d’aller dans l’eau, dit-elle. Papa il dit qu’il y a des poissons bizarres.
- Ouais, ton père a raison. Y’a des poissons qui ont une face de mynock.

Lloyd avait dit ça en fixant le lac. Un petit sourire était accroché à ses lèvres, mais il ne regarda pas Dana. Il avait peur de tomber dans ses yeux, de voir encore la marque qu’avait laissée Vetchet, d’imaginer encore celles qu’avaient tracées Raidun.

- C’est quoi un mynock ?
- Une bête toute moche.

Tih resta accrochée à lui encore un moment. Il jeta un regard circulaire. La plage s’étendait à droite vers la forêt, à gauche elle s’étirait au-delà d’une digue de rochers, et le banc de sable semblait interminable, disparaissait dans une obscurité presque totale.

- Bon, ben, moi je vais les rejoindre, dit-il subitement.

Il laissa Tih et Dana plantées là tandis qu’il retirait sa chemise. Il la laissa choir au bord de l’eau. Son dos accusait des blessures récentes et plus anciennes, mais bientôt il fut immergé, son pantalon se trempa et s’alourdit puis il disparut dans l’eau sombre.

- Il a beaucoup de cicatrices, commenta Tih, c’est pas beau.






L’eau était fraîche, mais supportable. Elle coulait le long de ses membres, lavait les odeurs des onguents que Kashiina avait appliqué sur lui. Il ne savait pas si submerger sa tête était bon pour le cataplasme qui refermait encore sa blessure à l’arrière de son crâne, mais il s’en fichait. L’eau lui rappela la nage folle qu’il avait eue au fond de ce même lac : Dana contre lui, cette tunique qui lui collait à la peau. Mais aussi la peur qu’elle fût déjà morte, et l’horreur de se sentir happé par une créature surprenante. Heureusement, il en était loin. Il nageait le long de la rive et s’écarta tranquillement, dérivant vers les bancs de sable.

Enfin, au bout d’un long moment, osa-t-il se retourner, pour regarder en direction de la plage. Les guirlandes lumineuses et les feux jetaient des lumières dansantes sur l’eau opaque, et on devinait ici et là des silhouettes immergées. Il chercha des yeux la robe dorée, qu’il ne trouvait pas sur le rivage.

Elle n’y était pas. Mais bientôt, il sentit à travers la Force son aura se rapprocher. A quelques mètres de lui, se détachait en effet des autres silhouettes une chevelure brune à demi immergée. Elle nageait avec plus d’aisance que lui, et il s’amusa à reculer encore, à les emmener plus loin, là où personne ne pourrait les entendre.

- Tiens tiens, Madame l’Inquisitrice répond toujours au code, c’est bon à savoir, dit-il avec un sourire, qu’elle ne voyait peut-être pas dans l'obscurité.

Lloyd la laissa enfin s’approcher, et la faible lumière du ciel et du camp suffisait à lui faire deviner les deux prunelles dorées de Dana, les étincelles interrogatrices qui y crépitaient silencieusement. Il perdit un peu de son sourire, pour la regarder sérieusement.

- En fait, hum…

Il chercha le sable, là où il avait à peu près pied, afin de se stabiliser. Il semblait chercher ses mots. Pour une fois, il avait eu le temps de les préparer à l’avance. C’était pas terrible, mais mieux que rien.

- En fait, j’voulais juste te demander si tu voulais pas un peu… recommencer à être pas tendre avec l'officier impérial. Juste une minute.

Il n’attendit pas sa réponse. Il tendit une main, pour attraper Dana par le poignet, et l’eau la fit flotter jusqu’à lui. De sa main libre, il glissa ses doigts dans la nuque de Dana, et pencha son visage sur le sien. Avec lenteur, il approcha ses lèvres, posa son front contre celui de la jeune femme.

Il la laissa venir à lui.

- J’peux te dessiner sur le ventre. Et partout.

Les dernières syllabes de sa phrase furent avalées par les lèvres transies de la Sith. Il n’y avait plus que le vide autour d’eux. Le ciel nocturne éclairait de sa noirceur toute l’eau alentour. L’averse était passée, finalement et dispersées dans les cieux, trois lunes de Jabiim accusaient silencieusement leur étreinte.

Que faisait-elle des avertissements de Darth Rùna ? De son moratoire sur ce que voulaient les hommes ? Elle s’en fichait, comme la Dana Shar qu’elle était. Entêtée, insoumise, égoïste. Quel Sith digne de ce nom ignorait la passion ? La passion colérique, la passion ambitieuse, la passion charnelle. Comment avait-elle pu passer à côté de cela toutes ces années durant ? En s’offrant de nouveau à Lloyd, elle déchirait un peu plus son âme. Et ce type de cicatrice demeurait à vif toute une vie durant.

L’herbe de Jasha n’altérait pas tant les pensées, mais rendait philosophe. Et actuellement, Mumkin philosophait sur où étaient passés son foutu patron et cette fichue Inquisitrice. Il avait vaguement vu Lloyd se baigner et Dana être emportée par la petite main de Tih pour chasser des « pierres ». Puis Shar avait disparu et la petite dévaronienne était revenue vers eux les paumes débordantes de pierres qui se ressemblaient toutes. Elle avait dit qu’elle les mettrait sur la tombe de maman, qui reposait dans le cimetière près des prairies où paissaient les banthas. Vaklu remarqua bien les yeux plissés du pilote qui scrutaient l’horizon avec méfiance, comme s’il allait prédire la pluie.

-T'as quoi Mum’ ?
-J’sais pas où sont passés Lloyd et sa femme de ménage.

Et il insista bien sur le mot femme de ménage, histoire de se venger un petit peu du sale coup qu’ils lui faisaient sûrement quelque part dans l’obscurité de la nuit.

-Bah, il l’a pas achetée t’as dit ? Elle est à lui, il a le droit de s’isoler avec hein, intervint Kinuux après une longue gorgée d’alcool.
-Qui se serait pas isolé avec d’ailleurs hein ? ricana Rilc sous la moue agacée que tirait Mumkin.
-Nan mais vous pouvez pas comprendre.

Ils ne pouvaient pas comprendre qu’on mélangeait pas le gaz et le feu. C’était aussi dangereux que de l’alchimie Sith ces conneries. Il déposa sa pipe à herbes et se redressa, avisant encore l’horizon. Puis il héla la petite Tih, en lui faisant de grands signes pour approcher. Elle trotta vers lui, toute fière de pouvoir être utile à son oncle Mum’, celui qui travaillait avec les Siths.

-Dis p’tite, t’as pas vu Dana et Lloyd.
-Ils sont partis rejoindre les poissons !
-Hein ?
-Llo-ïd il a dit que y’avait des poissons avec des faces de ninoques dans l’lac, souffla-t-elle avec de grands yeux impressionnés.
-Il a dit des conneries putain…
-Eh Mum’, ton langage devant la gamine, intervint Lartokh.
-Ouais, ouais désolé. Bon Tih, ils sont partis par où ?

Et elle pointa vaguement du doigt une direction au-delà du banc rocheux. Mumkin prit une grande inspiration. Il serait sans doute trop tard pour les chercher et les rattraper avant qu’ils ne se mélangent. Il se rassit avec fureur, fixant le sol. Finalement, il n’était pas le plus con des deux. Ok, pensa-t-il, l’Inquisitrice était belle, si on mettait de côté son caractère de merde et le fait qu’elle foutait les jetons. Mais c’était pas une raison, bordel. Hope avait le feu aux fesses ou quoi ?

Il demanda subitement un verre d’alcool à Rilc. Il s’était engagé envers lui-même à s’arrêter au premier verre, mais c’était inutile maintenant. Et puis, maintenant, si Dana Shar se substituait au slick pour Lloyd Hope….Mumkin n’avait pas grand-chose à craindre. Mais il n’arrivait pas à chasser ce mauvais pressentiment, celui qui oppressait sa poitrine depuis qu’ils les avaient surpris dans la roulotte.

- Tu veux que j’arrête, maintenant ?

Lloyd lui offrit un regard provocateur, le coin de sa bouche s'ourla discrètement.

- Y'aurait qu'un con pour te demander un truc pareil.

Il l’attrapa par la taille pour la serrer contre lui, pour l’attirer au-dessus du sable, pour qu’elle le protégeât du reste du monde, que celui-ci disparût pour ne laisser place qu’à leur incandescence. Son corps parlerait mieux, et quand Dana le rallia, chaque partie de lui était prête à s’épancher.

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------Devant les feux de joie, quelques-uns dansaient encore. La nuit était avancée, et Liam n’avait pu résister, il s’était endormi dans les bras de son grand frère qui, assis dans le sable, regardait pensivement Kashiina sortir de l’eau. Cette dernière essora ses cheveux, lui adressa un sourire attendri, avant de le rejoindre. Ses pieds nus écrasaient le sable dans un crissement discret, et bientôt elle s’agenouilla à côté de l’humain.

- Il a l’air plus calme, depuis… Enfin, depuis l’autre nuit, commenta-t-elle à voix basse, pour ne pas réveiller l’enfant.

Svan acquiesça en silence. Il prit une inspiration, et la regarda encore.

- Tu te souviens, quand… Quand maman a disparu, dit-il. J’ai… Je croyais qu’elle nous avait condamné, Liam et moi. Mais…

Kashiina resta silencieuse. Elle ne pouvait rien dire pour l’encourager. Elle n’osait pas briser le charme qui s’était étrangement créé entre eux, depuis la veille. Et Svan ne parlait jamais calmement de la disparition de sa mère, c’était une nouveauté. Alors attendit, patiemment.

- Je me suis rendu compte que notre famille, c’était pas juste elle, papa et nous. C’est plutôt un peu… D’autres gens aussi. Un peu toi, par exemple.

Kashiina sourit.

- Je suis un peu comme une sœur, tu veux dire ?

Il y eut un silence.

- Un peu plus que ça, je dirais. Tu as fait beaucoup pour nous et… Je me rends compte qu’au fond, j’ai jamais eu l’occasion de vraiment te remercier. C’est à toi que j’aurais dû offrir ce collier. Mais tu vois, la concurrence était telle pour t'atteindre, et je pensais que Dana, personne ne lui offrirait rien. Ça avait l'air tellement… Facile. Et puis non, finalement.

Kashiina baissa les yeux, un peu embarrassée. Elle savait que probablement, des regards discrets étaient jetés vers eux. Alors elle se contenta de glisser ses doigts dans le sable, pour y rejoindre doucement ceux de Svan.

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------La pluie tombait de nouveau, doucement. Lloyd regardait les grosses gouttes qui s’écrasaient sur le front de l’Inquisitrice, sur ses joues encore un peu sombres, sur ses lèvres, sur ses paupières closes. Elle ne dormait pas. Il avait la sensation qu’elle évitait son regard. Il la tenait toujours dans ses bras, si immobile qu’on aurait pu les croire des roches parmi d’autres, se confondant au paysage dans la nuit, taillés dans un marbre particulier. Parfois, il voyait sa peau se couvrir de minuscules reliefs. Lui aussi, le froid venait doucement le prendre, mais il n’était pas encore prêt à la laisser partir.

- Sur Khar Delba, dit-il subitement, et sa voix était un peu rauque. Je regrette de pas être descendu te chercher.

Il y eut de nouveau le silence, le clapotis de l’eau, le frémissement du sable qui coulait parfois contre leur peau.

- C’est pour ça que je t’ai fait ce bracelet.

Il voulait des réponses à des questions qu’il ne savait pas formuler, que son corps ne pouvait pas poser pour lui. Alors il laissait courir le bout de ses doigts le long du corps de Dana. Son effleurement ralentit en atteignant la pointe de son sein, puis bascula le long de ses côtes et il suivait des yeux la trace invisible qu'il formait, d'une encre que seule sa mémoire pourrait voir.

- Parle-moi de qui tu es, sur Ch’hodos.

Ou de n’importe quoi. Ne m’laisse pas seul comme ça, à la merci du doute.

Dana releva son poignet devant ses yeux brillants et admira le bracelet dont il évoquait l’origine. Khar Delba. Ch’Hodos.
Où est-ce qu’elle avait perdu le contrôle ? Sur Artorias ? Elle aurait voulu lui dire qu’elle aussi regrettait de ne pas être montée. Et les doigts du Sith dessinaient encore sur ses courbes, des serpents invisibles et ardents. Un léger mouvement et ses prunelles captèrent les siennes.

-Je vais sur Ch’Hodos pour récupérer ce qui m’appartient, répondit-elle avant d’avancer timidement sa main vers lui, de lancer ses doigts quelque part contre le relief d’un muscle hapien.

-C’est-à-dire tout. Ch’Hodos…était dirigée par Papa. Et il reste que moi.

Une courte pause, le temps de capter la chaleur de Lloyd qui courait vivement sous ses doigts audacieux qui remontèrent bientôt jusqu’à la chevelure blonde. Celle dont la couleur ne la lassait jamais.

-Et j’ai tout fait foirer. Et maintenant Ramken a ma planète.

Elle aurait voulu être en colère, et la rage avait gagné ses tripes sans arriver à en sortir, parce que Hope la couvait, de ses bras, de ses caresses, de sa présence. Elle ressentait la Force, comme à chaque fois qu’ils se percutaient aussi intimement. Elle ressentait l’Obscur qui avait corrompu la moindre de leur veine. Elle ressentait tant de choses et la rage n’était qu’une goutte dans cet océan de sentiments. Un sourire franchit ses lèvres et elle les humecta, cherchant ses mots.

-C’est toujours la loi du plus fort. J’ai pas contrôlé les serpents et les loups, tu sais. Enfin si c’est le cas, je sais pas comment j’ai fait, mais j’crois pas que c’était moi. Y’a…

Il put la sentir frémir sous lui.

-Y’a un Nexu sur Ch’Hodos, il faut…

Sa main libre grimpa le long du bras de Lloyd rythmant son récit. Pourquoi lui racontait-elle ? Ce n’était pas seulement son corps qui était dénudé, mais son esprit tout entier. Elle avait l’impression qu’il pourrait percer toute la glace en elle, d’un simple battement de cils. C’était à la fois terrifiant et excitant.

-Il faut monter les marches de la Forteresse. Et rentrer dans l’ombre du palais. Et on peut voir ses grands yeux jaunes derrière des barreaux.

En décrivant le regard de la bête, elle avait passé son index contre la marque de brûlure sous l’œil du hapien, saisie un moment par ses yeux si verts et si sombres.

-Mais j’ai jamais réussi. Alors j’vois pas pourquoi j’aurais réussi avec des loups. Est-ce que…est-ce que je suis toujours ton genre ?

Elle avait toujours grandi à l’ombre de sa sœur aînée qui lui cachait le soleil. Damaya Shar avait toujours été le genre de tous, de toutes même. Il lui suffisait d’apparaître pour se faire aimer, pour se faire désirer. Dana n’était que la petite sœur, moins belle, moins douée, moins prestigieuse. Pas celle à être le genre de quelqu’un. Plutôt celle qui se taisait et qui bravait les interdits dans l’espoir d’attirer un regard, une parole. Mais comment aurait-elle pu exprimer tout cela à Lloyd Hope ? C’était encore plus intime que ce qu’ils avaient partagé sur ce rivage. Ses joues s’assombrirent encore, et elle avait l’impression qu’il ne verrait que ça.

Est-ce que tu sais qu’il y a ton nom gravé à jamais sur mon sein ?

-Parce que si c’est le cas, on peut…danser ?

J’ai envie de danser avant de refaire la guerre. Danser. Et faire l’amour. Encore. Avec toi. Juste une très longue minute, parce que je sais pas si la guerre…va pas durer une éternité.




Des jambes couvertes d’or avaient conquis la plage et ses festivités. La main de Dana tenait celle de Lloyd et l’entraînait vers l’un des grands feux, sous les décibels criardes des haut-parleurs. Les regards s’étaient tournés sur leur passage et on s’écartait pour leur ouvrir chemin. Dana était confiante, elle marchait sur le sable, comme elle marcherait sur Ch’Hodos, comme si le rivage entier lui appartenait. Dès que la lueur du brasier lança sur eux sa chaleur et ses reflets flamboyants, elle fit face au hapien qui avait naturellement glissé une main sur sa taille, puis un peu plus bas finalement, avant de la remonter, à la recherche d’un bout de peau nue, pour finalement l’amarrer dans l’océan frémissant qu’était le dos dénudé de Dana. Cette dernière déposa son front contre l’épaule du Sith.

Tih avait poussé les adultes pour assister au spectacle. Elle ne put s’empêcher de dire que quand elle serait plus grande, elle voudrait danser avec Llo-ïd aussi, et même se marier avec. On écouta ses prétentions avec des sourires attendris, qui avaient la couleur de l’indulgence qu’on accordait aux caprices des enfants. Mumkin aussi se démena pour arriver à se frayer une route dans la petite foule. Il joua de ses menues ses épaules sous des soupirs agacés. Et il vit l’Inquisitrice se détacher un peu de son patron alors que la musique changeait, que le son de percussions et d’instruments à cordes saturaient l’air et que tout le monde s’exclama, emportés par rythme. Un chant s’y superposa, Dana ne reconnut pas la langue, mais les tonalités avaient un goût familier. Et elle commença à balancer ses hanches, tout près de son cavalier. Et il n’y eût pas que son corps sulfureux qui dansa contre lui. Son parfum, ses cheveux, ses prunelles d’où jaillissaient des étincelles et son sourire…qu’elle lui offrait à chaque fois qu’ils se frôlaient ; car chaque effleurement, chaque mouvement, lui rappelaient une caresse, un râle, un baiser, une exaltation.







-J’sais qu’on met des pantalons par chez toi. J’ai fouillé dans les vieux pantalons de Svan, ils devraient être à ta taille. Y’a des débardeurs aussi, expliquait Ruth d’une voix enrouée.

Dana avait renfilé le pantalon de cuir avait lequel elle était arrivé et le pull gris gardait jalousement ses formes.

-Tu pars, Mercy est partie vivre chez Goshgosh, ils vont se marier l’année prochaine, déjà. Ca va faire le deuxième mariage dev-hum’ de l’histoire de cette communauté. Je soupçonne que Kashiina va pas tarder. Vous…vous me manquerez toutes. Mercy elle a donné ton nom au bébé. Ils l’ont appelé Dan. Faudra…faudra que tu reviennes l’voir.

Et les larmes affluaient aux coins des yeux habituellement si pétillants de Ruth. Elle devrait être soulagée, plus de filles « paumées » dont s’occuper, elle pourrait enfin vivre avec Kalon, profiter de sa couche toutes les nuits, mais elle n’arrivait pas à faire disparaître ce petit pincement au cœur. Dana ne sut que dire. La vérité sans doute. Lui dire que cela ne servait à rien de la regretter, parce que c’était une Sith, qu’elle avait déjà plaqué le canon d’un blaster entre les deux yeux d’un enfant et qu’elle avait appuyé sur la détente, sans plaisir, sans douleur. Juste parce que la survie de l’Empire comptait. Un Empire qui désormais se disloquait. Qu’elle n’était pas la sœur que Ruth pouvait voir quand elle la couvait de son regard maternel.

-Et s’il te frappe encore, tu peux aussi venir ici. On le laissera pas entrer.

Dana s’approcha d’elle et déposa une main ferme sur son bras.

-Il ne me frappe pas.
-T’es sûre hein ? voulut s’assurer Ruth, un peu méfiante.
-Certaine. Merci pour les habits, ahm je…il y en a beaucoup trop.
-Je vais aussi mettre des encas, pour la route. Et une bouteille de ponch. Tu nous enverras des messages ?
-Je…je tâcherai d’y penser.

Ce serait compliqué.


-Je mets aussi des onguents et des infusions réparatrices. Ne t’en fais pas, Mumkin portera tout ça.

Silence.

-Tu peux revenir quand tu veux.

Dana déglutit. Elle n’était pas sûre que Ruth conserve ce discours si elle savait vraiment qui elle était. On frappa deux coups à la roulotte et la voix de Mumkin traversa l’acier.

-Ruth ! Dana est prête, on va louper l’transport là et Lloyd a pas envie d’être bloqué encore trois jours ici !

On entendit la voix du hapien, étouffée, qui contestait mollement les dires de son employé. La porte s’ouvrit et elle descendit les marches. Ruth s’empressa de mettre le caisson plein de souvenirs dans les bras du cornu. L’Inquisitrice croisa le regard de Lloyd et fit de son mieux pour ne pas l’éviter.

La tête reposant dans le sable, le hapien respirait lentement. Le rythme de son cœur ralentissait, pour se mettre au diapason du récit de Dana. Il lui semblait que de ses lèvres s’échappaient un conte, qui le berçait et calmait les doutes, irréel. Elle aurait voulu qu’elle poursuivît son histoire mais en peu de mots, elle en avait déjà dit beaucoup. Quand elle se fut tue, il émit un sifflement impressionné.

- Alors c’est pas juste une Inquisitrice que j’ai pris dans mes filets, mais un genre de… Princesse de Ch’hodos ?

Il fut secoué d’un bref rire silencieux, mais se mordit la lèvre en se forçant à s’arrêter. Elle allait croire qu’il se moquait d’elle. Mais non, en réalité, il se moquait de lui. Une princesse. Il n’avait aucune idée de comment il avait fait ça.
Il avait cessé de la parcourir du bout des doigts. Sous ses ongles se trouvaient peut-être des résidus de cambouis, de boue ou de sang de ses missions passées ou des nuits précédentes. Ou, même si ça n’y était plus, c’était tout comme : il n’avait pas les mains sacrées des Princes qui auraient dû charmer Dana. Il se contentait de regarder la forme de sa poitrine se soulever et redescendre, au rythme du souffle de Dana. Le sourire du hapien s’effaça peu à peu, pour laisser place à une mine sérieuse, qui présageait de ce qui était inévitable : il faudrait un jour revenir à la réalité de leur univers : retourner se battre, loin des vies paisibles qui s’écoulaient ici, loin de l’insouciance et des plages sur lesquels ils venaient de s’ébattre. Le malheur et la mort, aurait dit Zoraïda. Mais il fallait être reconnaissant d’une telle éclaircie dans un quotidien si sombre, ou du moins essayait-il de s’en convaincre. Il retournerait bientôt à son vaisseau et ses missions, et Dana à… Sa planète.

Lloyd déposa silencieusement un baiser à la naissance de son cou.

- C’est beaucoup pour ces jolies épaules, ton histoire, chuchota-t-il. Princesse de Ch’hodos. Tout à fait mon genre.

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-------Ils avaient dansé. D’abord sur quelques rythmes entraînants. Les mariés aussi, quelques autres aussi. Dana avait relancé la fête, à une heure très tardive, par ses mouvements justes, par ses pieds qui froissaient le sable et sa chevelure qui volait à chaque fois qu’elle tournait sur elle-même. Il n’avait été qu’un spectateur privilégié, ou du moins c’était ce qu’il lui semblait.
Puis l’on avait lancé une dernière chanson, quelque chose de plus calme, et les convives, fatigués, en profitèrent pour se saluer, se souhaiter bonne nuit, et disparaître dans leurs roulottes. Dana et Lloyd, eux, y avaient vu une opportunité de s’étreindre une dernière fois. Il se balancèrent lentement, la pluie lavant leurs nuques, leurs vêtements encore mouillés qu’il leur paraissait saugrenu d’avoir remis.
Leurs corps rapprochés jusqu’à la dernière note.

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-------- Debout, c’est l’heure. Tu veux manquer la navette pour rester trois nuits de plus à jouer au charmeur d’Inquisitrice ou on part ?

Le hapien émergea du sommeil avec difficulté. Mumkin avait ouvert en grand les hublots de la roulotte qui laissaient entrer une lumière blafarde. Il sentit immédiatement la douleur à l’arrière de son crâne, se souvint immédiatement de ce que lui avait apporté la nuit passée et qui désormais ne ressemblait plus qu’à un songe. Mais il ne sentait pas la piqûre du slick au creux de son bras, et tout ceci n’avait donc pu être un produit délirant de son imagination.

Il se leva tant bien que mal, et le dévaronien et lui se mirent à rassembler leurs affaires. Près de leur roulotte, deux caisses avaient été entassées et quand il sortit, Tih était en train d’y mettre des fleurs arrachées dans les champs.

- T’as perdu les autres je crois, alors je t’en ai mis d’autres. Ok ?
- Ah, merci Tih, ça va me porter chance, confirma-t-il en enfilant un tshirt.

Dans la caisse se trouvaient tout un tas d’objets insolites : des vêtements, plein de petites boîtes avec des restes de nourriture de la fête, des grigris, des cartouches de blaster, une peluche, un morceau de carburateur abimé, des petits paquets d’onguents et d’herbes médicinales, deux blocs de données, et tout un tas de gadgets dont un droïde-ventilateur dont l’hélice était un peu tordue – mais il marchait encore, avait assuré Mumkin, et ce serait pratique d’avoir ça pour travailler dans les machines, il faisait si chaud dans la salle technique.

- On va les rentrer où, nos bidons, là ? grogna Lloyd au dévaronien qui arrivait derrière.
- Goshgosh nous suivra un peu plus tard, il va les apporter lui-même en motospeeder.

Le hapien jeta un regard prudent autour de lui. Les vieilles habitudes revenaient au galop.

- Si on te demande, c’est un produit pour le vaisseau, ok ?
- Ben voyons, fit Mumkin entre ses dents. Et je lui dis quoi, si je dois la sortir pendant le voyage ? Que t’aimes bien te lustrer avec de l’huile de coude à tes heures perdues ?

Lloyd soupira.

- Très drôle. On va surtout éviter d’en arriver là.
- Ah bah ça, ça tient qu’à toi.
- Mumkin, tu me tapes sur le système. Quand on retourne au vaisseau, tu voudras bien te souvenir un peu de la hiérarchie.
- Seulement si tu te rappelles qu’on transporte une bombe qu’il vaudrait mieux éviter de manipuler dans tous les sens.

Ça, il risquait pas d’oublier. Mais il ne rétorqua rien, Mumkin ne goûterait pas son humour. Le dévaronien s’en allait déjà, pour réclamer à Ruth de laisser sortir Dana. Lorsque celle-ci apparut, portant un pull qu’il connaissait bien, Lloyd soutint son regard quelques instants.
Puis il fallut s’activer, et la vie sembla reprendre au camp comme si rien ne s’était passé depuis trois jours, comme si les trois lunes ne s’étaient jamais montrées au-delà des nuages qui couvraient le ciel au-dessus du nid de serpents.

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-------Ils étaient quelques-uns à avoir émergé à l’extérieur des roulottes, malgré les trois jours épuisants qui venaient de s’écouler, pour se masser à l’entrée de celui-ci. Parmi eux, Ruth et Kalon bien sûr, mais aussi Lartohk, Zoraïda, Mercy, Kinuux, et quelques autres. Etrangement, Svan et Kashiina ne s’étaient pas montrés, mais Liam tenait Tih par la main pendant que Mamy Zora annonçait quelque chose dans une langue que ni Dana, ni Lloyd n’étaient en mesure de comprendre : une bénédiction pour le voyage à venir, une prière pour un retour prochain, plein d’honneur et de fortune, les vengeances accomplies. Quelque chose comme ça, avait éludé Mumkin.

- Bon, vous êtes prêts ? J’peux pas prendre de retard sur ma tournée, moi, avait croassé le besalisk dans la navette.

Son appareil faisait peine à voir : avec les deux grosses caisses qu’ils avaient chargé à l’arrière de l’appareil, plus une supplémentaire sur le toit, non seulement il n’y aurait plus de place à bord pour personne d’autre qu’eux trois, mais en plus l’arrière du speeder touchait le sol.

On salua une dernière fois les deux Sith, le dévaronien. Puis Mumkin grimpa à la suite de Dana et Lloyd, dont l’épaule se touchait dans le petit compartiment, et la navette démarra en cahotant.
Le pare-choc arrière crissait sur le sable et faisait grommeler le besalisk à propos d’un supplément pour les dommages causés.








Et la navette s’éloigna, traçant un sillon dans le paysage.














- C’était la plus belle femme de ménage, dit Tih. Dommage qu’elle savait pas repasser.

Liam haussa les épaules.

- C’est pas grave ça. Ils repasseront.

Le gamin rigola. Tih n’avait pas compris la blague mais elle aimait bien quand il rigolait.

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