Lloyd Hope
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Dana,

J’espère que tes blessures ne sont pas trop graves. Il vaudrait peut-être mieux qu’on n




- Capitaine Hope ?

Assis sur une caisse en métal devant la passerelle ouverte du Sans Visage, Lloyd sursauta. Il éteignit le datapad qu’il avait entre les mains et sur lequel il tapotait une seconde plus tôt pour se lever et faire face au jeune officier qui arrivait vers lui en courant. L’enseigne devait à peine avoir 23 ou 24 ans, et regardait Lloyd avec des yeux marqués par l’impression.

- Capitaine Hope, je vous confirme, de la part du Commandant Kesnel, que vous êtes désengagé, dit-il , raide.
- Très bien, acquiesça Lloyd d’une voix rauque.

Il avait à peine eu le temps de récupérer ses affaires dans sa cabine avant de filer au pont inférieur, les cheveux encore collés de sueur, le cœur battant à tout rompre des craintes qui s’étaient réalisées et celles qui avaient été infondées. Il avait jeté son sac et sa veste sur la passerelle et avait attendu que Mumkin revînt. Le dévaronien était parti récupérer une pièce qui leur permettrait de faire le plein de carburant pour filer loin de la bataille.
Comme l’enseigne ne repartait pas vaquer à ses occupations, le hapien le regarda avec interrogation.

- Qu’y a-t-il ?
- Capitaine, c’est que… Le commandant a un petit service à vous demander. Il dit que vous pourriez peut-être toucher un mot à l’Amiral. Ou même au Castellan Noir. Les troupes sont inquiètes.

Lloyd fronça les sourcils, passa une main sur son visage. Un bandage enserrait pauvrement sa paume, piètre soin pour une brûlure au sabre-laser, mais il n’avait pas trouvé mieux dans sa cabine et n’avait pas souhaité passer par l’infirmerie du Sanguinaire. Il soupira.

- Ce n’est qu’une escarmouche. Dites à votre commandant que la coordination et la force de frappe de la Marine n’ont rien à envier aux pauvres renégats qui se dressent contre nous. Il y aura certainement une issue politique bientôt. Mais je laisserai un message au Castellan Noir.
- Bien, merci mon Capitaine.

L’enseigne tourna les talons et Lloyd le regarda s’éloigner au pas de course, pensif. La hiérarchie s’inquiétait-elle donc déjà autant de ce petit incident ? Déjà, des nuées de chasseurs versaient sur l’espace noir des myriades de traits lumineux. Ce n’était pas une vraie, grande bataille pourtant. Une simple échauffourée pour marquer les esprits, pour déclarer des hostilités, pour stimuler des négociations. Mais il avait entendu dire que d’autres batailles de ce type s’étaient déclarées à différents endroits dans l’Empire et il n’avait pas vraiment envie de vérifier par lui-même si la situation allait dégénérer ou pas.

Le hapien récupéra ses affaires et les déposa à la hâte dans sa cabine laissée dans le désordre. Il ouvrait des tiroirs, la caisse sous sa couchette, l’un des placards, et siffla d’une mine rageuse avant de s'immobiliser, mains sur les hanches. Il n’y avait pas ce qu’il cherchait, il faudrait faire sans. Connard de Zal. Lloyd récupéra le datapad et s’assit sur la couchette. L’écran s’alluma, projetant sur une autre brûlure, sous l’œil, des reflets bleus. Les mots lumineux qu’il avait écrits un peu plus tôt se reflétèrent sur ses prunelles et il fit une moue avant d’effacer.

Il réfléchit quelques instants, serra les dents. Il pinça les lèvres avant de se remettre à tapoter doucement le datapad.


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Dana,

J’ai réfléchi à ce qui s’est passé la dernière fois et je voulais te di


- LLOYD ?!

Le hapien poussa un gros soupir et éteignit une nouvelle fois son datapad. Il quitta la cabine l’air sombre, pour retourner vers la passerelle où la tête du dévaronien avait émergé.

- Quoi ?
- C’est bon j’ai trouvé ! lança Mumkin d’une voix forte pour se faire entendre malgré le bruit des gaz rejetés par le vaisseau voisin. Mais ça rentre pas tout seul, et y’a plus de techniciens dispos, ils arment les chasseurs. Tu viens m’aider ?
- J’arrive.

Lloyd sortit et déposa le datapad sur la caisse devant la passerelle. En quelques minutes, le quai s’était empli d’autres navettes et chasseurs. Des troupes couraient dans des sens variés, dans une danse frénétique. La fébrilité gagnait les visages, les gestes. Chacun remplissait son rôle avec cet espoir fou que le travail bien fait leur permettrait d’être épargnés. A quelques pas, Mumkin s’affairait déjà à tirer un tuyau d’une grosse machine ronronnante, avec une désinvolture qui détonnait avec l’ambiance du hangar. Le hapien attrapa le chariot surmonté d’un réservoir de sa main valide pour l’aider à le tirer vers la trappe de carburant du Sans Visage. Tous les deux s’affairèrent ensuite rapidement à brancher le système, non sans jeter parfois un coup d’œil prudent vers la passerelle laissée ouverte. Mumkin se pencha par-dessus le tuyau dans lequel s’était mis à glouglouter le carburant.

- C’est moi où ça pue ? grogna le dévaronien.
- Nan, t’as raison, lui répondit à voix basse le hapien qui suivit des yeux la scène d’un technicien qui détalait après s’être fait hurler dessus à quelques mètres d’eux. C’est pas serein du tout. Y’a eu de la trahison en bas.

Lloyd désigna approximativement du menton la direction de la planète de laquelle il avait été extrait quelques heures plus tôt.

- Dans quel sens ?
- Les deux, c’est ça qui rend tout le monde fébrile. Quelqu’un a tissé sa toile sans qu’on s’en rende compte.
- Sans même que le Conseil Noir s’en rende compte ? s’exclama Mumkin avec un sifflement impressionné.

Le hapien lui jeta une œillade blasée en agitant vers lui sa main bandée.

- Commence pas à poser trop de questions toi, hein.

Le dévaronien prit un air innocent, légèrement outré.

- Je me renseigne juste pour ma sécurité et celle de mon patron, Capitaine.

Lloyd laissa échapper un grognement amusé. Il y eut un moment de silence, pendant lequel Mumkin se baissa pour vérifier une jauge avec des doigts tâchés d’huile noire.

- Leur nouveau truc, là, pour conserver le carburant plus longtemps, ça nous fait perdre un temps fou. Va m’falloir au moins vingt minutes pour que ce soit suffisamment chaud et que l’appareil soit prêt. Ça vaut vraiment le coup qu’on fasse le plein ?
- J’préfère autant qu’on soit le plus autonome possible pour les prochains jours, disons.
- On va où ?
- J’sais pas, loin, grommela Lloyd tandis qu’un appareil décollait avec précipitation à quelques mètres d’eux. Pas envie d’être dans les pattes des généraux quand ils se battent pour leur ego. Ca te dirait pas qu’on s’mette juste en orbite d’un astéroïde paumé ?
- C’t’à-dire qu’tu m’as promis.

Lloyd planta soudain ses yeux dans ceux du dévaronien, surpris. Il fallait absolument qu’il arrête de faire des promesses.

- Hein ? J’ai promis quoi ?
- Qu’on f’rait une escale sur Jabiim.

Le hapien poussa un gros soupir en levant les yeux au ciel. Mumkin en profita pour débiter ses arguments, que visiblement il avait eu le temps de préparer.

- Nan mais c’est le bon moment, y’a ma sœur qui va s’marier là, ils se sont trouvés un coin bien isolé en plus on s’ra tranquilles. On a même pas besoin de rester longtemps. Et ma famille, elle s’ra vachement contente de te rencontrer !
- J’suis ton patron j’te rappelle, pas ton fiancé, hein, grinça Lloyd.
- Et j’ai regardé, poursuivit le dévaronien en ignorant la remarque, sur Jabiim tout va bien en ce moment : pas de guerre civile, pas de bataille spatiale, pas de Grand Prêtre à sauver…
- Oui bien sûr, c’est juste à l’autre bout de l’Empire, Mum !
- Mais tu m’avais promis ! Et mon cousin Goshgosh, tu sais celui dont j’t’ai parlé, il pourra nous réachalander, il a tout c’qu’il faut !

Lloyd fit la moue.

- Bon ok, on y va. On décolle dès qu’on peut.
- OUAIS !!

Le hapien s’écarta de la machine pour retourner vers la passerelle, laissant derrière lui un Mumkin qui continuait son affaire en sifflotant joyeusement. Lloyd, quant à lui, se laissa choir à côté du datapad qu’il reprit avec un soupir. Il effaça immédiatement les mots qui s’affichèrent, pour en taper d’autres.


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Dana,

Le Sans Visage est au quai 37. On part dans une demi-heure pour se mettre à l’écart des hostilités.
Si besoin, tu grimpes.

LH
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Les doigts de Dana tremblaient alors qu’elle apportait pauvrement une cigarra entre ses lèvres fébriles. Son bras droit manquait de force et la douleur irradiait du bout de sa main au sommet de son épaule. Assisse sur le bord d’une couchette spartiate, elle fixait un point imaginaire sur le mur en face. Une lueur violacée pulsait dans la cabine, à intervalles réguliers, vestige d’un énième dysfonctionnement. Qu’est-ce qui n’allait pas chez elle ? se demanda-t-elle alors que la flamme du briquet s’ajouta à l’atmosphère morose. Chose rare, la première taffe la fit tousser. Elle était crevée. Elle avait défait ses longs cheveux de jais, plein de poussières et de sueurs. Deuxième bouffée de toxine. Il y avait définitivement quelque chose qui n’allait pas chez elle, remarqua-t-elle en silence. Elle s’était isolée, rien ne lui permettait de prétendre à autre chose qu’une solitude moribonde.

Contre la couchette, sa paume frôla les formes d’un comlink. Fréquence 122-6. La diode à l’ampoule mauve pulsa encore, éclairant, le long de sa gorge, une longue trace de sang qui s’étendait jusqu’à son décolleté. Des bruits de pas résonnaient dans la coursive adjacente. Elle n’avait même pas pris la peine de fermer la porte de la minuscule cabine. Claustrophobie obligeait. Des pas de terreur, des pas de panique, d’incertitude. Elle distinguait à peine les ombres à qui ces pas appartenaient. Des soldats impériaux qui faisaient leur devoir.

-Quelle merde…souffla-t-elle pour elle-même.

Combien de mondes étaient perdus désormais ? Elle n’en savait fichtrement rien, si ce n’était que Ch’Hodos en faisait partie. Ce douloureux rappel lui remua les tripes d’une horrible impuissance. Elle avait l’impression d’avoir laissé faire ce désastre, d’y avoir contribué par sa seule faiblesse. Elle aurait dû être à la Forteresse de Shar Dakhan, sa pique plantée dans le corps de tous ces traîtres. Elle aurait dû…

Nouvelle toux. Son flanc blessé ne supportait plus les lourdes inspirations qui rompaient sa côte fêlée. Elle crut manquer d’air et que ses os se brisaient. Elle dut régulier sa respiration entre deux geignements contrits. Un instant, elle songea à se rendre à l’infirmerie de bord, mais elle se ravisa. Ses doigts se refermèrent autour du comlink et elle le porta à ses lèvres.

Que dirait-elle ?

Elle entrouvrit la bouche, prête à enclencher la communication avant de faire machine arrière. Les mots étaient difficiles à trouver et à former. Elle eut une brève expiration, pleine de souffrance, et s’apprêta à parler de nouveau. Encore une fois, le silence ponctua sa piètre tentative. Dana plaqua sèchement le comlink contre son front, se sommant de réfléchir à sa situation. Elle serra les dents, ferma les yeux. Elle devait trouver un moyen de regagner Ch’Hodos avant Dromund Kaas. Runà ne lui pardonnerait certainement pas ce choix, mais il le fallait. Elle serait plus utile à son monde natal. Il lui fallait absolument tirer Ch’Hodos des griffes de Ramken, ou du moins des pantins qui lui avaient prêté allégeance. Elle n’aurait pas le soutien de son Maître, elle serait seule, sans autre ressource qu’elle-même. Mais à quoi bon ?

-Dame Shar ?

Un infirmier militaire s’était présenté à l’encadrement des portes. Il était essoufflé et échevelé d’avoir parcouru le vaisseau au pas de course. La lumière violacée jetait sur ses traits humains d’un âge mur, toute l’inquiétude et la tension du contexte de guerre. Il se racla la gorge devant le manque de réaction.

-On m’a dit que vous aviez besoin de soins d’urgence. Vous deviez passer à l’infirmerie de bord, souffla-t-il dans un élan courageux.

Elle grogna une réponse incompréhensible puis se redressa, non sans sentir le sol tanguer sous ses pieds.

-Pas besoin…je vais bien.

Il arqua un sourcil dubitatif en remarquant la plaie à la gorge sur laquelle le sang coagulait depuis des heures, son flanc baigné de la même hémoglobine, et ce bras qui pendait lâchement le long de son corps. Et puis elle était pâle et groggy, pas besoin d’être médecin pour le constater.

-Ca a l’air d’être sérieux, rejoignez l’infirmerie dès que vous le pourrez, lâcha-t-il en s’apprêtant à partir.
-Attendez.

Il se ravisa, attendit la suite.

Comment va Lloyd Hope ?

Rien ne vint.

-Non…rien..

Elle s’affala de nouveau sur la couchette dans un soupir de douleur et fit signe à l’officier de disposer. Dana s’apprêtait à s’allonger sur le lit, le souffle court et raide, pour tenter de trouver un peu de repos ; pour remettre ses idées en ordre, constituer un espèce de plan de bataille à venir. Une bataille pour échapper à Runà, une bataille pour récupérer Ch’Hodos, une bataille pour revoir Lloyd. Ses paupières étaient lourdes, sa respiration aussi ténu qu’un fil précieux. Elle s’apprêtait à sombrer quand son datapad émit une lueur bleutée et vivace qui transperça la lumière mauve de la cabine attirant son œil à moitié somnolent. Elle l’extirpa de sa ceinture et porta l’écran face à son visage meurtri. La couche crasseuse qui formait une pellicule grasse sur son minois accablé se mit à luire d’un azur enchanté tandis qu’elle déchiffrait péniblement un message.





Un plan de bataille….







Elle laissa retombe mollement sa main sur la couchette et fixa le plafond. D’un geste lent, elle ramena sa cigarette entamée à ses lèvres, prit une profonde inspiration qui fracassa son flanc mais la sortit de sa léthargie. La souffrance lança un électrochoc dans son organisme, raviva l’adrénaline qui s’était éteinte.

L’instant d’après, elle courait dans la coursive, cherchant une silhouette.
-HEY ! HEY TOI !

L’infirmier se retourna vivement, surpris. Il tenta un bref garde à vous, sans succès, saisi par la stupeur.

-Tu as vingt minutes pour soigner mes blessures, lâcha-t-elle d’une voix rauque et sifflante, le front perlé d’une sueur fiévreuse.



-Plus vite ! ARGH !

Son injonction se termina par un hurlement où se mêlaient colère et douleur. On venait de lui retirer un projectile minuscule et étrange du bras droit. Elle respirait mal, malgré le droïde qui tentait de lui apporter un peu d’oxygène, malgré la transfusion de sang en cours. Le soignant tâchait de rester concentrer, malgré l’agitation de sa patiente. Il aurait dû lui administrer un calmant. L’ambiance à l’infirmerie était morne et aussi tendue que dans le reste du vaisseau. Elle se débattit à nouveau quand il fut question de soigner sa côte, avec du foutu kolto synthétique. Celui qui vous abrasait la chair et dont on sentait l’effet réparateur jusqu’au plus profond de ses os. Elle hurla de nouveau et ramena sa cigarra à ses lèvres pour inspirer la dernière bouffée, tremblante.





Mumkin sauta en bas de la passerelle. Au milieu du fracas des chasseurs qui se préparaient au pire. Lui avait l’air joyeux au milieu de toute cette folie. Il s’apprêtait à faire les dernières vérifications sur la coque externe. On n’était jamais trop prudent pour un aussi long voyage. Il donna une pichenette satisfaite sur l’acier du Sans-Visage.

-Franchement, si j’étais mon propre patron, je m’engagerai. Travail de qualité.

Il s’apprêtait à remonter sur la passerelle, quand une ombre surgit pour lui rafler la priorité. Il écarquilla les yeux, ce qui étira mochement ses traits dévaroniens. Quelqu’un venait d’embarquer sur le vaisseau, comme ça. Il maugréa, se dépêcha de poursuivre le clandestin et il se figea dès qu’il remarqua son identité; dès qu’il vit la pique-laser contre sa cuisse gainée d’un cuir audacieux et qu’il reconnut le visage – encore ravagé, de Dana Shar qui avait encore l’air d’avoir pris tarif. Il s’apprêtait à dire quelque chose puis laissa tomber. Elle avait l’air encore assez en forme pour le décapiter. Il ne put qu’actionner la fermeture de la passerelle, la mort dans l’âme et attendre que son patron se pointe.

Les néons du pont inférieur caressaient les courbes et les traits de Dana avec douceur. Sitôt la passerelle refermée, ils avaient été coupés du monde, prisonniers dans la bulle d’acier qu’était le Sans-Visage. Dès qu’elle aperçut Lloyd, elle eut un bref sursaut, l’admirant de pied en cape, s’assurant d’un seul regard qu’il allait bien. Elle avait un bandage qui enserrait son cou, son bras, son abdomen laissé nu par sa tenue abimée, mais elle vivait. Elle vivait assez pour sentir son cœur pulser et louper des battements.

-J’ai besoin de toi.
-Ben voyons, grogna Mumkin dans sa barbe en levant les yeux au ciel.

Elle ignora le dévaronien et fit un pas vers le Capitaine.

-Alors je suis grimpée, ok ?

Sa main brandit son datapad dont l’écran restait figé sur le dernier message de Lloyd. Ils formaient une bonne équipe. Et elle avait besoin d’un co-équipier pour reprendre le contrôler sur tout ce merdier. Il avait un vaisseau, elle avait une destination à atteindre.

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Lloyd s’était figé dans la coursive, tombant nez à nez avec son propre message sur le datapad de Dana. Il leva les yeux sur l’Inquisitrice. Elle était pâle. Elle aussi avait l’air d’avoir été rafistolée à la hâte, sur des blessures plus graves que les siennes. Le hapien capta dans son champ de vision, au-delà de la jeune femme, la silhouette de Mumkin qui le toisait, les bras croisés, mais il l’ignora.

- Ok, acquiesça-t-il pour tout accueil.

Mumkin émit un sifflement désapprobateur. Lloyd avait répondu comme s’il donnait une autorisation qu’elle avait demandé. Comme s’ils avaient un accord tacite au-delà de cette proposition sur le datapad, et que le message n’avait été que pure forme qui leur permettait de rester dans cette zone neutre, entre hostilité et… Et quoi ? Un soin porté à l’autre que tout bon Sith refuserait d’avoir ?

- T’as surtout l’air d’avoir besoin de te reposer. Mais tu connais le chemin.

Il s’écarta pour la laisser passer, une main indiquant les entrailles du Sans Visage, plongées dans une pénombre laissant entrevoir les embranchements latéraux. La coursive unique, qui menait aux cabines, à la coquerie et à la salle technique avala l’Inquisitrice, tandis que Lloyd faisait signe à Mumkin de rejoindre le cockpit.

- On ferme et on décolle, lui dit-il sur un ton qui n’appelait pas de réponse.

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-------

-------Le Sans Visage avait quitté la baie d’atterrissage dans les minutes qui avaient suivi la fermeture de la passerelle, réservoir plein, en naviguant près d’un groupe de chasseurs qui partaient pour la bataille. Leur vaisseau se désolidarisa bientôt de la nuée et orienta son nez dans la direction opposée, vers les étoiles, laissant derrière lui les explosions colorées de l’escarmouche. Dans le cockpit, Mumkin préparait leur saut dans l’hyperespace en activant les interrupteurs sur le tableau de bord avec des gestes beaucoup trop secs pour être neutres.

- Arrête de faire la gueule, lâcha Lloyd en contrôlant dans les radars que personne ne les suivait.
- J’fais pas la gueule.
- Si.

Silence. Mumkin ne savait pas dissimuler la moindre émotion ni tenir sa langue – qu’il avait longue par ailleurs - et le hapien savait bien qu’il allait finir par vider son sac d’un moment à l’autre. Mieux valait maintenant que devant l’Inquisitrice.

- On va sur Jabiim, on va juste s’arrêter la déposer en route, où est le problème ?
- Oui bien sûr, la déposer en route, en profiter pour faire une mission ou deux, comme ça pour la forme alors qu’elles t’auront même pas été assignées à la base, et moi j’vais rater le mariage de ma sœur.
- Mais non, tu vas pas l’rater, et non, je vais pas faire des missions pour la forme, qu’est-ce que tu m’chantes ?
- J’te chante que c’est même pas toi qui va décider, c’est Madame l’Inquisitrice, puisqu’apparemment elle peut grimper quand elle veut. Tu voudrais pas la laisser te grimper une bonne fois pour toutes, qu’on soit débarrassés ?
- Mumkin !

Lloyd s’était tourné vers le dévaronien, qui ne croisa pas son regard.

- Ben quoi, t’as entendu c’qu’elle a dit quand elle est rentrée – il prit une petite voix aiguë - « j’ai besoin de toi » ! Nan mais vous êtes à gerber tous les deux.
- Elle a juste besoin d’un trajet, Mum ! Ça va, tu la détestes, j’ai bien compris, mais –
- C’est réciproque, j’te rassure.
- Oui ok, mais je lui en devais une, et elle a dit ça parce qu’elle avait besoin d’un voyage.
- T’es con !
- Mum.
- Nan mais tu sais pas compter ou quoi ? On l’a extraite du camp en feu, sur Kaas, elle nous l’a rendu ensuite en nous aidant à nous tirer des Renseignements ou du Clergé ou j’sais pas qui, et on était quittes ! Point. Et là, elle s’incruste comme ça sans prévenir ?
- Elle s’incruste pas, c’est moi qui lui ai proposé.
- AH ! s’exclama le dévaronien en faisant pivoter son siège de pilote, un doigt tendu vers Lloyd. Donc tu avoues qu’elle te mène par le bout du nez ! C’tait quand même moins dangereux quand tu pouvais faire monter aucune meuf à bord sans être complètement bourré !

Lloyd attrapa brusquement Mumkin par le col de sa veste et le rapprocha de lui avec violence. La dévaronien réprima un hoquet de surprise. Il oubliait parfois que son patron était un Sith. Ils se défièrent du regard.

- Tu vas fermer ta gueule parce que ce putain de vaisseau j’peux aussi le piloter tout seul si besoin, oublie pas qu’t’es pas irremplaçable.
- Personne n’est irremplaçable, grommela platement Mumkin sans oser se dégager mais il soutint le regard du hapien.
- Alors cap sur Jabiim, on la dépose j’sais pas où sur la route, tu vas à ton putain de mariage et t’évites de la ramener sur ma vie privée parce que j’connais pas beaucoup de Sith qui auraient pris le temps d’aller te récupérer au Grand Temple, ok ?

Il y eut un bref silence. On entendit un bruit à l’arrière du vaisseau, et les deux comparses tournèrent simultanément la tête vers la sortie du cockpit, mais il n’y avait personne. Le bruit venait de la coquerie. Dana devait y chercher quelque chose. Lloyd relâcha Mumkin, qui réarrangea son veston d’une main tremblante. Il s’intéressa aussitôt à ses commandes, et Lloyd quitta son fauteuil.

- Tu passes en hyperespace dès que tu peux, on corrigera la trajectoire par la suite.

-------

-------

-------Quand il parvint dans la coquerie, il trouva une Dana qui soulevait le couvercle d’une caisse de son bras valide.

- Tu fouilles déjà le vaisseau ou tu cherches à manger ? grinça-t-il en arrivant.

Il avait l’air sombre et la mâchoire serrée mais il tâchait visiblement de maîtriser sa contrariété. Mumkin avait peut-être davantage raison qu’il ne voulait l’admettre. Cette idée le dérangeait. Il croisa les bras et s’adossa au chambranle de l’écoutille qui donnait sur la coquerie, éclairée d’un néon blanc. Le vrombissement de l’appareil les secouait légèrement, mais Lloyd ne semblait pas être dérangé par les tremblements que cela imposait.

- On va sur Jabiim, lui annonça-t-il de but en blanc, un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. J’imagine qu’t’as pas vraiment le temps d’assister à un mariage, alors on va te déposer en route. Korriban, Dromund, ou même Rhen Var, comme tu veux.

Evidemment Ch’hodos n’était pas sur la route. Il soupira, se rendit compte qu’il n’était pas très juste. Il était fatigué. Après tout, se reposer sur Jabiim lui ferait peut-être du bien. Il passa une main sur son visage, arrêta dès que ses doigts rencontrèrent la brûlure sous son œil.

- Désolé pour l’accueil, en fait c’est…

En fait j’pensais qu’tu viendrais pas.

- Ils t’ont fait ça à l’arrache.

Il pointa du doigt la côte de Dana. Du kolto synthétique dépassait du bandage.

- Tu veux un pull ?

Dépose-la quelque part et vite. Vite, vite, vite.
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Elle avait l’impression d’avoir partagé un verre de vin artorien et une barquette lyophilisée trop brûlante seulement hier. La coquerie lui semblait vaguement familière, comme la cabine à l’arrière où elle s’était à peine reposée, trop nerveuse. Et le kolto synthétique faisait un mal de chien kath. Son action était bien trop lente comparée à la molécule originelle. Elle aurait dit que son flanc était en feu, là, sous le bandage. Mais la faim avait pris le dessus sur la souffrance, comme la soif. Elle s’était permise de fouiner à la recherche d’un os à se mettre sous la dent, afin de reprendre quelques forces.

L’arrivée de Lloyd ne la perturba pas, du moins pas en apparence. Elle tâcha de demeurer stoïque, d’un naturel à tout épreuve alors qu’à l’intérieur, tout se chamboulait salement. Ils étaient tous les deux tellement minables. Le couvercle retomba lourdement sur la caisse. Elle n’avait fait aucun effort pour l’accompagner, fatiguée et finit par s’asseoir dessus. Ses deux prunelles d’or fixèrent le capitaine du vaisseau.

-J’avais faim. Jabiim, un mariage. Contente que t’aies l’esprit assez tranquille pour songer à faire la fête alors que l’Empire, notre Empire, est en train de partir en morceaux. Et je vais pas sur Dromund Kaas, ni sur Korriban, ni sur Rhen Var, ok ? Ce sont pas mes destinations.

Sa destination était à l’opposé du trajet prévu par Lloyd Hope et elle s’en contraria. Elle allait devoir attendre qu’il termine sa petite affaire sur Jabiim pour qu’il la conduise sur Ch’Hodos, en plein territoire renégat. Elle plaqua une main pensive contre son flanc douloureux.

-T’en fais pas pour l’accueil. Je m’attendais pas spécialement à autre chose. Et, ils avaient vingt minutes pour rafistoler tout ça. Je leur ai pas laissé le choix, je ferai avec. Y’a plus urgent.

Plus urgent que survivre ou perdre un bras. Et Jabiim rallongerait ce foutu trajet. Un mariage, pensa-t-elle encore. Son regard se fit plus sévère tandis qu’il coulait sur Hope, tâchant au mieux d’éviter sa chevelure blonde, au pire de ne pas se laisser piéger par les émeraudes saisissantes qui lui servaient d’yeux.

-Je compte rejoindre Ch’Hodos, mais puisque c’est pas sur ta route, j’attendrai sagement que Monsieur le Capitaine ai bu et danser, ironisa-t-elle, ravie de savoir à quoi allaient ressembler ces prochains jours, esseulée sur cette boîte de conserve, sans air véritable, sans compagnie. Et peut-être qu’après tu pourras faire ton foutu devoir de Sith parce que c’est pas terminé. De toute façon, si t’avais pas envie que je grimpe, t’étais pas obligé de m’envoyer ce message, ok ?

Une grimace contrite interrompit ses reproches et le souffle coupé par une énième irradiation au niveau de sa côte lui rappela de ménager ses sentiments, dont sa colère. Elle abaissa son attention au sol, incapable de parler plusieurs secondes parce qu’il lui fallait se concentrer sur ce corps qui faillait, auquel elle devait plus de respect comme du repos, de la nourriture, de l’eau. Un précieux allié qui se refusait à se sacrifier dans une nouvelle crise de rage, ou de contrariété et qui ne semblait chercher que du réconfort.

-Je vais pas fouiller ton vaisseau. Ni emmerder ton foutu alien. J’avais juste besoin d’un transport, d’accord ? dit-elle d’une voix plus calme, moins tranchante. Mais on en reparlera après Jabiim.

Elle quitta son siège improvisé pour s’approcher d’un placard qu’elle ouvrit avec précaution, pour ne pas saisir sa plaie en cours de cicatrisation. Ses doigts tâtèrent les provisions, reconnurent les contours familiers d’une barquette. Il y eut un silence, uniquement perturbé par ses gestes à une main, visant à se préparer un repas de fortune. Un silence au parfum embarrassant, parce qu’être à proximité de Lloyd lui remémorait ce qu’elle n’arrivait pas à oublier. Elle tenait pauvrement son butin, d’un bras replié contre sa poitrine quand elle fit de nouveau face au hapien.

-Je paierai la course, le carburant, ton pilote. Ca sera juste un dépôt. J’ai compris que j’étais pas trop la bienvenue à bord, malgré l’invitation. Si t’as fait ça parce que…

Elle marqua une pause, incertaine.

-Si tu m’as envoyé ce message parce que tu te sentais obligé, c’était pas la peine. On se devait rien. Mais…merci quand même. C’est…cool que t’aies survécu. C’était pas facile comme boulot cette fois, hein ?

Dana glissa sa carcasse en convalescence sur l’une des caisses qui entourait la table magnétique. Elle n’avait même pas pris la peine de réchauffer le plat préparé. Elle déchira sèchement l’opercule et se saisit d’un couvert propre, magnétisé non loin. Ses cheveux retombaient sur sa poitrine, cachant une partie de sa gorge bandée.

-Je veux bien pour le pull, se décida-t-elle enfin à répondre après une première bouchée.

C’était à température ambiante et sans saveur, mais elle avait tellement faim qu’elle aurait mangé du sable avec enthousiasme. Et parce qu’elle le vit regarder vers son abdomen d’où surgissait du kolto synthétique, elle poursuivit :

-C’est du kolto de synthèse. Ca fait mal. A chaque fois qu’on m’en met…ca me rappelle Lorrd.

Ca me rappelle Tibalde. Ca me rappelle tout.

Et alors qu’elle parlait, ses prunelles ne quittaient pas la marque qu’il avait sous l’œil ; cette brûlure qui laissait une empreinte trop familière sur le derme. Celle d’une lame laser. Elle était terrifiée à l’idée qu’il n’aurait pas pu survivre, cette fois. Il fallait vraiment arrêter les conneries. Elle s’était moquée de cette histoire de mariage dont elle ne connaissait ni les tenants, ni les aboutissants…mais finalement elle préférait le savoir groggy par l’alcool, qu’être victime d’un coup de sabre-laser. Il en avait fait assez. Artorias, Kaas City, Piya….cette guerre civile insensée. Elle se battrait pour deux à l’avenir. Il pouvait rester sur Jabiim ou peu importait où. Il pouvait fuir, il avait cette lâche habitude, après tout. Elle, elle ne demandait que la confrontation, pouvoir se noyer dans l’inconscience d’un moment dangereux et peut-être, enfin, disparaître ou triompher.

Sa fourchette plongea à nouveau dans le plat et elle porta mécaniquement cette seconde bouchée à ses lèvres. Elle se disait aussi qu’elle avait peut-être eu tort d’accepter de monter à bord. Elle se trouvait pathétique à tenter de combler le vide des souvenirs brûlants par des paroles banales alors qu’il y avait tant d’autres choses à dire. Elle relâcha son couvert et déglutit légèrement.

Lloyd Hope
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Un instant, le hapien crut que Dana allait l’invectiver, le cribler de ses insultes habituelles et il s’était préparé à encaisser les coups, mais la colère de l’Inquisitrice paraissait n’être que l’ombre d’elle-même. Comme si elle essayait réellement de lui faire des reproches, mais que finalement il n’en valait pas tant la peine que cela. A la place, il avait droit à des remarques cyniques pendant qu’elle se débrouillait comme elle pouvait avec sa barquette, avec son projet de retourner sur Ch’hodos, avec sa proposition de payer le carburant. Il se sentit minable. Il aurait préféré qu’elle l’insulte. Ça, il savait prendre. Mais non. Elle était là pour survivre. Ça n’avait rien à voir avec lui. Et elle survivait avec plus de courage qu’il n’en avait.

A quoi tu t’attendais au juste ? Elle a couché avec toi parce que c’était ça ou Kedrod, j’te rappelle. Lloyd laissa reposer sa tête en arrière, les yeux levés au plafond bas de l’appareil, l’expression vide. Mais que t’es con.

C’est cool que t’aies survécu. Triplement con.

Il ne répondit rien à toutes ces remarques successives, pas même concernant ce qu’il s’était passé sur Khar Delba. Il finit juste par s’effacer en disparaissant dans la coursive. Lorsqu’il réapparut, il tenait dans sa main un pull gris à capuche, plié, qu’il déposa à côté d’elle sur la table. L’œil vide, il attrapa la barquette qu’elle avait à peine entamée et la mit à chauffer. Pendant que grondait le petit appareil réchauffant le plat, il entreprit d’aider un peu Dana à enfiler le pull, en silence, prenant garde à ne pas toucher sa peau pendant l’opération. Il y eut un tintement et il sortit la barquette pour la lui remettre sous le nez. Elle n’aimait pas manger froid.
Le hapien prit la direction de la sortie de la coquerie mais il s’arrêta pour se retourner sur le pas de la porte.

- C’était pas par obligation. Mais c’est "cool" que t’aies survécu aussi.

Il s’éclipsa en silence.

-------

-------

-------Ce qu’il y avait de bien avec la salle des machines du Sans Visage, c’était que quiconque souhaitait y aller devait en avoir vraiment envie : il fallait descendre une petite échelle dans un conduit étroit, puis abandonner pour un moment l’idée de se tenir debout. On y circulait courbé, voire à quatre pattes, pour accéder à une myriade de fils, de boutons, de vis et de boulons, de jauges et de loupiottes tremblotantes. Ça sentait l’hydrocarbure à plein nez, et on ne pouvait rien toucher sans avoir instantanément les mains noires et poisseuses. Sans compter le ronronnement de l’hyperdrive qui, ici, était le plus fort.

Lloyd y était avachi, entre deux réserves d’oxygène. Il avait passé une bonne heure à recalibrer les circuits du système de gravitation artificielle, après quoi il avait passé un long moment allongé par terre, les yeux dans le vague, à jouer du bout des doigts avec un ressort défectueux qu’il avait extrait pendant son opération de maintenance.

- Lloyd, t’es là ?

La voix de Mumkin venait de l’entrée de la salle, et le hapien soupira doucement. Comme il tardait à répondre, il entendit les pas pesants de Mumkin sur l’échelle, qui se rapprochaient. C’était quand même un comble d’avoir pris un vaisseau pour pouvoir s’y réfugier, et au final avoir du mal à y trouver un coin de paix.
Le dévaronien apparut en face de lui, le dos courbé. Il considéra le hapien allongé par terre mais s’abstint de tout commentaire.

- Quoi ?
- Ben, tu m’as pas donné de correction de trajectoire.
- Ben nan, ça veut dire que tu vas droit sur Jabiim.
- Parce qu’on va bientôt passer par la frontière là, alors je voulais être sûr, parce qu’on va pas pouvoir sortir d’hyperespace en plein territoire républicain.

Lloyd fit sauter le ressort dans sa main, le suivit des yeux tandis qu’il retombait dans l’autre.

- Alors direct Jabiim. Pas de détour ?
- Nan.
- Mais…

Les deux comparses échangèrent un regard aussi interrogateur l’un que l’autre.

- Quoi ?
- Ben, l’Inquisitrice, on l’emmène ?
- Bah ouais. On la déposera plus tard.
- Ah.

Nouveau silence.

- Mais on va faire quoi, on la laisse dans le vaisseau ?
- Jamais d’la vie.
- Ah, ouf.

Mumkin parut soulagé.

- Ma famille est sympa, un invité de plus ou de moins, hein, elle peut v’nir avec nous.
- Ah ben, t’as vite changé d’avis dis donc.
- Nan c’est que, bon, j’lui en dois une quand même.
- Mouais.

Ils se regardèrent encore. Mumkin savait très bien que Lloyd savait très bien qu’il se sentait coupable de lui avoir dit ce qu’il lui avait dit. Et Lloyd savait très bien que Mumkin savait très bien que Lloyd savait très bien, et que c’était pour ça au fond qu’il invitait l’Inquisitrice. Leur échange silencieux fut brisé par une secousse. Le dévaronien rebroussa chemin, et le hapien le suivit du regard.

-------

-------

-------Il ne savait pas très bien combien de temps s’était écoulé quand il avait émergé de la salle des machines. Il restait encore plusieurs heures de voyage. Un coup d’œil vers la coquerie lui apprit que Dana n’était plus là. Probablement avait-elle rejoint sa cabine. Il en fit autant de son côté, et se débarrassa de la saleté qui lui maculait les mains. Il dût changer son bandage, avant de ressortir et de rejoindre le cockpit, persuadé qu’il y rejoignait Mumkin, mais il tomba sur une Dana emmitouflée dans son pull, assise dans le siège du co-pilote. Le dévaronien avait disparu. Dans sa cabine ?

Lloyd croisa le regard de Dana, s’apprêta à faire demi-tour mais finalement il s’assit dans le siège du pilote. Ils restèrent un moment silencieux, à regarder défiler les traits lumineux au-delà du transparacier. Les brumes fluorescentes étaient familières au hapien et il se concentra sur leur régularité.

- J’savais pas que t’avais fait Lorrd, fit-il au bout d’un moment à voix basse. J’y étais aussi.

Pas un bon souvenir. C’était pas comme s’il y avait des batailles joyeuses de toute façon.
Darth Hope
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Elle avait enfilé le pull et le silence de Lloyd avait glissé sur sa peau aussi froidement que résonnaient encore ses propres mots. Elle ne dit rien quand il partit, se contenta de planter sa fourchette dans le plat désormais fumant. C’était trop chaud. Elle s’empara de la barquette et quitta les lieux à son tour pour se réfugier dans sa cabine. Elle termina son repas, recroquevillée dans un coin de sa couchette, prenant garde à ne pas salir le vêtement qu’il lui avait prêté. Elle se brûla la langue par deux fois, mais grimaça à peine. Elle avait ramené ses genoux contre sa poitrine, y déposant le plat qui réchauffa sa peau à travers le cuir sombre de son pantalon. Elle mangea encore, jusqu’à ce que son couvert racle le fond en aluminium. Pendant qu’elle mangeait, elle ne pleurait pas. Alors elle mastiquait en silence, dans le vide trop petit de sa cabine impersonnelle.

Quelques minutes plus tard, les restes de son dîner trônait sur une petite table accrochée au mur. L’atmosphère de la pièce s’était chargée de vapeur alors que le fracas du jet d’eau de la douche alimentait le fond sonore. Elle avait retiré tous ses bandages, nettoyé les plaies et le kolto synthétique non sans plusieurs glapissements de souffrance. Elle s’était généreusement servie en shampoing pour laver toutes les contrariétés de Khar Delba.

Le calme était revenu. Face au miroir de la cabine, Dana admirait son corps nu. Elle accusait ses courbes féminines que les mains de Lloyd Hope avaient possédé des semaines plus tôt. Dana reprochait tant de choses à chacune de ces courbes. Elle avisa le tatouage qui ornait le galbe de son sein gauche, y glissa le bout de ses doigts, pensive et soupira un râle révolté avant de se hâter pour se rhabiller, retrouver la douceur étrange de la doublure du pull, qui caressa son derme avec un réconfort coupable.










La lueur de l’hyperespace mettait en valeur la coupure nette qui striait le côté de sa gorge, qui n’était pas passé loin de sa jugulaire. Elle avait les mains plongées dans les poches du pull, les yeux plongés dans le vide sidéral qui défilait à vitesse supraluminique. La voix basse de Hope percuta son oreille et elle détourna son attention sur lui, prise de court par la remarque. Elle vit de nouveau la marque de brûlure sous l’œil vert et son cœur eut un soubresaut.

-J’étais dans les galeries Nord de Lorrd City, déglutit-elle. J’espère que tu n’y étais pas.

Que t’as pas vu les morts se mettre à hurler.

Elle laissa planer un nouveau silence et s’agita dans le confort de son siège avant de se pencher vers lui. La pointe humide de ses cheveux sombres avait laissé des traces d’eau sur le pull, et elle libéra l’une de ses mains pour la porter sous l’œil de Lloyd. Elle aurait voulu que son geste soit assuré, mais ses doigts fébriles tremblèrent contre la peau malmenée. Et elle rompit le contact aussi vite qu’elle l’avait initié, s’intéressant soudainement à la baie du cockpit qui donnait sur du « rien » lumineux. Elle s’en grilla presque la rétine.

-On croit toujours que les victoires nous feront tout oublier. La douleur, le sang, les cris. Mais c’est pire. Ecoute Lloyd…

Sa gorge se noua. Elle était sur le point de perdre le contrôler sur la maîtrise de sa voix. Elle dut fournir un effort considérable.

-J’étais morte de trouille. Pas sur Lorrd, pas sur Gravlex Med. J’étais morte de trouille sur Khar Delba.

Quand elle avait embrassé la vocation de Lame Rouge, la peur se limitait à l’inconnu. Mais la mort, la souffrance, l’horreur ne l’avaient pas terrifiées parce qu’elle était seule. Elle cherchait à s’éteindre seule, à se détruire seule, à survivre sans trop y croire. Mais sur Khar Delba, il avait été là. Et elle avait eu peur pour lui. Sans maquillage, ses yeux dorés paraissaient plus immenses que d’habitude alors qu’ils se posaient de nouveau sur la silhouette hapienne. Sans le fard, le mascara, le rouge à lèvre, chacun de ses traits paraissait amplifié par un naturel qui saisissait.

-Je sais pas si j’aurais tenu sans le code. Je sais pas. Sans la fréquence 122-6. Y’avait ce type. Son arme traversait la Force. J’ai jamais connu ça. Sur aucun foutu champ de bataille. J’avais peur que ce soit pareil en haut.

Que ce soit pareil pour toi.

Elle remit sa main dans le pull parce qu’elle tremblait et qu’elle ne voulait pas qu’il se rende compte que ça l’atteignait autant, qu’elle avait été autant inquiète pour lui. Ca devait rester des banalités.

-Ne me dis plus jamais de me rendre, ok? Je ne serai jamais une otage. On négocie pas la vie des gens comme ça. On les laisse mourir comme des Siths. Je suis une Shar, j’ai été élevée comme ça. Pas de reddition. Jamais. Pas d’abandon. Jamais. Et je sais que tu n’as pas abandonné non plus. Je sais que t’as pas abandonné. T’es un foutu lâche, le pire…déserteur de l’Empire. Mais je sais que t’as pas abandonné. Et je sais pourquoi t’as pas abandonné. Mais ce sont pas mes affaires.

Mat’aenna. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle repense à cette photographie chinée dans les égouts ? Elle se demandait s’il avait pensé à elle dans la cellule du Temple, dans cette intimité qu’ils avaient façonnée. Cette pensée l’angoissa et ankylosa son esprit d’un poison insipide.

Le clic familier d’un briquet dont on libérait la flamme. Dana avait planté une cigarra entre ses lèvres rosées et pâles et louchait sur le feu pour embraser l’extrémité de son addiction. Elle ne pensait plus le revoir. Et elle l’avait percuté. Quel genre de karma permettait ça ? Elle ramena ses chevilles sous elle, prenant une position plus familière sur son siège. Elle s’intéressa brièvement au panel de commandes, à leurs diodes diverses qui s’agitaient avec régularité. Son bras droit semblait reprendre un peu de vigueur, mais demeurait toujours plus faible. Le briquet s’était mis à flotter dans les airs, entre eux, alors qu’elle se focalisait sur la Force pour tenter d’oublier vainement.

Mais les lueurs dans l’hyperespace lui rappelaient trop celles du champ magnétique des barreaux qui se reflétaient sur les muscles nus du corps de Lloyd. C’était obsédant et elle était irradiée de toute cette lumière, de tous ces souvenirs. Elle allait devenir folle. Le briquet tomba brusquement au sol.

-Dans combien de temps on atteint Jabiim ?

Sa voix rauque avait repris le dessus et elle vibrait de cette misérable tentative de garder le contrôle.

Lloyd Hope
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- Nan, j’y étais pas. J’interceptais l’évacuation organisée par les Jedi, à l’extérieur de la ville.

Lloyd repensa au froid mordant, similaire à celui de Khar Delba, au trandoshan contre qui il avait livré bataille, au gamin qu’il avait embarqué. Fais-en ton apprenti, lui avait dit son maître. Tu parles. Il avait appris au gosse ce qu’il savait faire de mieux : fuir. Kolin s’était fait la malle dès qu’il l’avait pu.
Lloyd repoussa ces souvenirs. Dans la grande boîte qu’était sa mémoire, ces images-là n’étaient pas difficiles à enfouir, contrairement à d’autres.

Il avait tourné vers elle son regard émeraude. Le doigt de Dana sur son visage était déjà un souvenir insaisissable. Le hapien fronça les sourcils en écoutant les confidences. Son air sérieux paraissait gravé dans ses traits meurtris. Il baissa les yeux sur le pull gris, eut le bref souvenir d’un tshirt noir sur ce corps : il se souvenait parfaitement de la promesse qu’il s’était faite en la voyant dans ses vêtements. Il ne toucherait pas ces courbes. Trop dangereux, il le savait parfaitement. Comme si vous étiez du genre à tenir vos promesses, dit la voix de Runà au creux de son oreille, et il détourna le regard.
Le hapien prit une longue inspiration, s’accrocha à quelques mots qui lui parurent réconfortants, avant de la regarder de nouveau. Il souleva les sourcils avec un air pénitent.

- Depuis Artorias, tu m’assènes un paquet de règles à respecter, dis donc. Ça commence à faire beaucoup à retenir. Tu sais que j’suis un con – le pire con - j’suis pas sûr d’arriver à tout me rappeler.

Il avait dit ça sur le ton de la banalité, mais ça sonnait comme une excuse. C’en était une en réalité : si c’était à refaire, il recommencerait. Shar ou pas, ça n’avait rien à voir. Shar ou pas, il n’avait aucune envie d’aller ramasser le cadavre de Dana.

Il aurait voulu lui dire un peu, comment c’était en haut, mais rien ne venait. C’était probablement mieux ainsi. Il baissa les yeux écoutant le cliquetis du briquet qu’on actionnait, puis le grésillement de la cigarra qui se consumait entre les lèvres de Dana. Les lèvres de Dana. Trop dangereux. Qu’il était con.

Le son du briquet sur le sol le fit sursauter. Il se pencha pour le ramasser, sans utiliser la Force, joua avec quelques instants en le faisant tourner entre ses doigts.

- Six ou sept heures.

Il avait répondu d’un air absent. Ses pensées étaient ailleurs. Il ouvrit la bouche et la referma. Il plissa les yeux comme pour mieux voir les brumes lumineuses qui défilaient au-delà du transparacier.

- C’est… Tant mieux, en fait. La peur, je veux dire, ajouta-t-il, confus. Tu fais flipper, quand t’as pas peur.

Lloyd déglutit. L’ombre d’un scrupule se peignit brièvement sur son visage et soudain il se leva comme si quelque chose l’avait piqué dans le fauteuil. Mais il s’immobilisa à un mètre de la sortie.

- Tu devrais essayer de dormir. Pour le mariage, c’est une promesse que j’ai faite à Mumkin. Ce s’ra pas long. Quoique tu aies à faire sur Ch’hodos, ce sera sûrement plus efficace si t’as eu le temps de manger et dormir, alors… Bon, peut-être que tu peux en profiter pour te relaxer aussi. Enfin, j’sais pas. Tu fais comme tu veux.

Il y eut un silence, puis le hapien sortit pour rejoindre sa propre cabine. A peine eut-il fermé son écoutille qu’il extirpa d’un tiroir plusieurs sachets de vinsha. Il les ouvrit et en avala le contenu un par un. C’allait être un peu fort. Il allait trop dormir, mais tant pis. Il ne voyait pas comment faire autrement. Le slick aurait mieux fonctionné, mais il n’y en avait plus.

-------

-------

-------BOM BOM BOM.

Lloyd s’arracha au sommeil avec difficulté. Il eut de la difficulté à se rappeler les circonstances dans lesquelles il s’était endormi. Mais il s’efforça de repousser la couverture au souvenir de Khar Delba, de Jabiim. De Dana dans son pull gris.

BOM BOM BOM.
- Lloyd ? aboya Mumkin.
- Ouais, j’arrive, grogna le hapien.
- On va atterrir là ! lui parvint encore la voix du dévaronien de l’autre côté de l’écoutille. Je m’demandais, pour le matricule, j’utilise le vrai ou l’autre ?
- Putain mais c’est pas vrai celui-là.

Le hapien se leva brusquement et alla ouvrir sa cabine sans se soucier particulièrement d’être en sous-vêtements. Il jeta un regard noir au dévaronien qui se tenait dans l’embrasure dès que l’écoutille fut ouverte.

- L’autre. Mais moins fort, tu le fais exprès ou… Qu’est-ce que c’est que ça ?

Lloyd regardait la tenue qu’arborait le dévaronien, tout à fait inhabituelle. A la place de sa combinaison de technicien pilote, Mumkin arborait une espèce une chemise blanche, déboutonnée en haut, laissant apparaître vaguement un tatouage étiré sur la peau du dévaronien. Il avait revêtu un pantalon moulant et des bottes qui brillaient.

- Ben, j’me suis mis sur mon trente-un. Tu comptais y aller comment ?
- Mais Mumkin, j’ai pas de tenue qu’il faut, tu croyais quoi ? J’mettrai mon uniforme.
- Hein ?! Nan, attends, j’peux te prêter quelque chose.
- Tu rigoles ? Je fais une tête de plus que toi, et je tiens pas du tout à…

Il s’interrompit. Pas envie de vexer Mumkin de bon matin. Enfin, sur Jabiim, on était déjà en fin de journée, mais Lloyd se comprenait.

- Nan mais un uniforme, ça va casser l’ambiance.
- Bon ben, pas d’uniforme si tu veux, je m’habille normal et voilà.
- Mouais, grommela Mumkin. J’demanderai à mon cousin de te prêter un truc. Pour Dana ça ira, si elle est en cuir, ça passe bien. Mais les bandages ça fait momie un peu. Tu crois que j’peux lui dire ?
- Nan tu dis rien du tout, et t’évites aussi de gueuler dans les couloirs sur le matric…

On venait d’entendre une écoutille se déverrouiller et Lloyd supposa que c’était la cabine de Dana. Il fit signe à Mumkin de déguerpir, et referma lui aussi sa cabine pour avoir le temps de prendre une douche avant l’atterrissage. Un mal de crâne s’était mis à battre à ses tempes. Foutue vinsha. Mais au moins, il avait dormi.

-------

-------

-------- … Et alors, c’est pour ça qu’on les appelle le Syndicat des Trois Serpents. Parce qu’originellement, y’avait un serpent qui représentait l’honneur, le rouge, et un serpent qui… Ah nan attends, le rouge c’était la vengeance, et le serpent vert…

Une fine bruine caressait les reliefs des paysages désertiques qui défilaient autour d’eux. Lloyd, Dana et Mumkin avait embarqué dans une petite navette-speeder - conduite par un gros besalisk - qui glissait au-dessus du sable avec un bruissement suffisamment fort pour que le dévaronien fût obligé de presque crier pour couvrir le bruit, afin de raconter l’histoire de sa famille et du clan auquel elle appartenait. Le hapien n’avait pas vraiment réussi à accrocher à l’histoire, alors il laissait son regard dériver sur les collines. Des tâches sombres apparaissaient parfois, indiquant des tâches de verdure dans ce territoire tropical. La chaleur était tempérée par l’allure de la navette, où une toile grossière faisait office de protection contre la pluie incessante. Ils avaient chaud, néanmoins. Cela faisait deux heures désormais qu’ils voguaient sur cette mer de sable, laissant derrière eux le Sans Visage verrouillé dans un astroport très fréquenté d’une grosse ville de Jabiim. La planète était positionnée sur un axe commercial important, ce qui ne surprenait pas le hapien, vu ce qu’il savait des activités des cousins de Mumkin. Khar Delba soudain lui semblait si loin, la guerre civile si irréaliste. Il ne fallait pas y penser. Tout cela reviendrait assez vite.

Au bout d’un long moment, ils parvinrent enfin devant un gros regroupement de caravanes, au milieu de nulle part. Le besalisk fit ralentir leur appareil, puis l’immobilisa à plusieurs centaines de mètres, comme s’il ne voulait pas trop s’approcher. Autour d’eux, la lisière d’une forêt jetait une ombre salvatrice sur les rives d’un grand lac, et l’écho lointain de conversations animées leur provenait malgré la pluie incessante. De grandes bâches étaient tendues entre les caravanes, donnant un tableau en forme de patchwork coloré. Lloyd tendit quelques crédits au chauffeur après être descendu.

- Vous repassez à quelle heure ?
- Vous voulez dire, satunda ? demanda le besalisk avec un accent qui faisait penser aux utilisateurs de huttese.
- Non, demain.
- Ah non, je passe que tous les trois jours. Satunda, 18 heures.
- Quoi ?!

Lloyd se tourna vers Mumkin. Celui-ci avait un air béat. Il haussa les épaules, l’air impuissant. Il avait surtout l’air d’en avoir rien à foutre, songea le hapien, mais aussitôt il aperçut des motospeeders près du lac, et se dit qu’ils trouveraient d’autres moyens de locomotion que la fichue navette du besalisk.

- Ok merci, grommela-t-il au chauffeur, et celui-ci redémarra, laissant les trois silhouettes au milieu du désert.

La pluie s’insinuait dans leurs cheveux, faisait luire les cornes de Mumkin sous un soleil timide. Le dévaronien attrapa Lloyd par le bras et le tira vers les caravanes.

- Roh la la, j’suis tellement content, glapit-il, et Lloyd évita soigneusement le regard de l’Inquisitrice.

Darth Hope
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Tu fais flipper, quand t’as pas peur.

Ses yeux fixaient le plafond familier au-dessus de sa couchette. Il était si bas qu’il paraissait l’écraser et elle manquait d’air dans cet espace réduit. Mais les mots de Lloyd avaient chassé un temps la claustrophobie. De toute manière, il n’avait jamais eu de tact ou de délicatesse quand il fallait s’adresser à elle. Si elle avait été une véritable Inquisitrice, peut-être se serait-il senti obligé de tenir sa langue. Mais non, il se permettait tant et tant de remarques.

Pas mon genre, t’es dingue.

Le sommeil la cueillit avec difficulté tant elle lutta pour demeurer réveiller, mais après s’être repu, son corps réclamait la grâce d’un repos salvateur. Elle se tourna sur le côté, comme elle l’avait fait dans la cellule d’un poste militaire quand on les avait soupçonné d’être contaminés. Ses yeux roulèrent sur le mur face à elle, d’un gris aussi morne que l’horizon de ses pensées. Elle ferma les paupières et prit une grande inspiration. Elle revint sur le dos et s’ouvrit à la Force. Elle communia avec elle dans une méditation lente et pleine d’agonie. Elle lui sacrifia sa colère, son désarroi, tout ce qu’il y avait d’inavouable. La vie n’est que souffrance. La mort n’est que souffrance aussi. Et on vit pleinement dans un entredeux. Au fil des secondes, alors que l’air ne devenait plus que la Force, son corps se souleva doucement. A un mètre au-dessus de la couchette, il flottait avec une sérénité vague, alors qu’elle était plongée entre le sommeil et l’éveil. Sa chevelure sombre dansait paresseusement, en suspension dans le vide, encadrant son visage pâle.

Un soubresaut dans son cœur.

Une secousse qui ébranlait le vaisseau.

Et le charme se rompit.

Elle retomba brusquement dans le lit en écarquillant les yeux et roula sur le flanc, le souffle saccadé. Dana détestait les entrées atmosphériques, surtout quand Mumkin les engageait avec son brio naturel pour le pilotage. Elle rampa au sol, jusqu’à la cuvette en inox des sanitaires, non loin de la douche et extirpa son datapad et son comlink de ses vêtements. Sur le premier brillait encore le message de Lloyd. Elle jeta les deux appareils dans le fond des toilettes. Il y eut le grésillement d’un court-circuit. C’était mieux que Darth Runà ne puisse la pister par ce biais. Elle avait déjà trop tardé à s’en débarrasser.

Des éclats de voix en provenance de la coursive la motiva à se diriger vers l’écoutille.









Jabiim était un territoire inconnu pour Dana Shar et donc, potentiellement hostile. Elle avait vaguement compris que la planète abritait la famille du dévaronien et que le mariage avait donc un lien avec lui. Elle n’avait eu de cesse d’interroger Lloyd Hope du regard, mais ce dernier avait botté en touche, ignorant ses gros yeux dorés dont elle le couvait avec tant de sévérité. A cela, il fallait rajouter une chaleur étouffante car humide, loin du climat aride et sec de Ch’Hodos dont sa génétique avait l’habitude. La pluie s’insinuait partout, coulait en fine pellicule tiède le long de sa nuque, de sa gorge, faisait onduler ses cheveux de jais. Les cahots réguliers de la navette-speeder ne couvraient pas la voix incessante de Mumkin qui s’était lancé dans ses explications généalogiques et familiales sans fin, confuses. Dana s’évertuait à observer le paysage défilant. Dès qu’il n’y eût plus la ville, l’étendue des déserts sauvages de Jabiim s’étaient présentés à leurs vues. L’horizon semblait ne pas avoir de fin, comme le trajet.


Dès qu’ils descendirent, elle rabattit la capuche du pull sur sa chevelure humide. Elle avait l’impression qu’ainsi emmitouflée, elle disparaîtrait, parce qu’elle n’avait aucune envie d’être ici. En face d’elle, un camp s’étendait sur plusieurs centaines de mètres carrés. Depuis le ciel, les landspeeders et leurs caravanes formaient une étoile à plusieurs embranchements. C’était une toile colorée, à la disposition motivée par les impératifs de la hiérarchie clanique. Au centre, la roulotte bariolée de ce qui semblait être le cœur décisionnel. De nombreuses voix s’élevèrent autour d’elle alors que Lloyd et Mumkin avaient pris les devants, s’engageant sous les tentures astucieusement étendues. Elles protégeaient de la pluie, mais leur matière permettait de filtrer la lumière solaire qui jeta bientôt des reflets colorés sur leurs visages. Dana sentit quelque chose tirer son pull. Les voix devinrent plus fortes, plus aigus. Elle remarqua qu’un enfant à la chevelure brune et à la figure salie par des jeux dans la terre sollicitait son attention, mu par la curiosité. Ils furent bientôt trois autour de ses jambes dont les bottines battaient sans enthousiasme la terre battue du camp. Ils portaient des vêtements aux teintes diverses, et les pièces de tissus se superposaient sans vraiment s’accorder. Certains avaient même les oreilles percées, à leur jeune âge. Elle fut complètement démunie, mais tâcha d’ignorer ces tornades de joie, d’impatience, qui s’agrippaient à son pull. Une petite fille glissa même sa main dans la sienne pour lui intimer d’aller plus vite. Et elle fut attirée vers le centre de l’étoile, sous la couleur d’une toile de tissu plus claire que les autres, qui laissait presque voir le ciel.

Lloyd et Mumkin faisaient face à une caravane plus grande que les autres, aux motifs peints avec un sens artistique tout à fait local. D’étranges grigris pendaient ci et là, à un chambrant de porte ou de fenêtre. Dana détourna son attention vers le reste de la foule qui s’était amassée depuis leur arrivée. Elle remarqua la présence de dévaroniens, mais également d’humain à une proportion presqu’égale. Elle lisait sur leurs faciès inconnus, la curiosité, le bonheur, parfois la méfiance. Elle remarqua la présence de décorations festives, sans doute liées au mariage : des fleurs, des guirlandes, des diodes cousues les unes à la suite des autres, des braseros éteints. Elle crut rêver quand une poule lui vola entre les pieds dans un caquètement paniqué. L’un des enfants quitta son entourage pour lui courir après.

Et elle chercha encore le regard de Hope, sans réussir à le dénicher.

-Liam, viens là ! s’impatienta une voix fébrile depuis le petit attroupement. Elle appartenait à une rouquine rondelette, dont la tête était cernée de fleurs blanches.

Le dénommé Liam, qui était accroché à la hanche de Dana se contenta de tirer la langue vers cet ordre inconséquent.

-Sale petit con ! répondit la rousse, outrée.

J’allais le dire, pensa Dana.

-Eh Mumkin ! lâcha un humain qui avait dépassé la quarantaine. Au moins dix ans qu’on t’a pas vu dans le coin !

Il avait les cheveux rasés très courts et des cicatrices profondes clairsemaient son crâne et sa figure taillée à la serpe. Sous ces marques indélébiles, les vestiges d’une beauté sans doute indéniable, mais qui avait défraîchi. Il portait une armure souple, mêlée à des habits d’un bleu nuit. Ses prunelles d’un bleu trop claires perçaient le trio avec attention.

-Nan, mais j’étais occupé, Kalon. Les affaires, tu connais ça…mais j’allais pas rater le mariage de ma frangine.
-Et tu sais qui elle marie au moins ? s’esclaffa un cousin dévaronien et des rires secouèrent quelques bouches.

Il s’apprêtait à rétorquer mais le silence se fit dès que la roulotte principale grinça au son de sa porte qui s’ouvrait. Un humanoïde de vieille génération descendit. Son cou d’acier supportait le poids de nombreux colliers de platine et d’argent. Il avait un bandana rouge étrangement noué autour de son crâne de métal. Il fut suivi par une silhouette féminine, à la longue robe d’un bordeaux sombre, brodées d’arabesques dorées. Une large capuche couvrait sa tête, mais on distinguait le masque argenté qu’elle portait sur la figure et qui laissait percevoir ses yeux d’un gros orageux. Dana trouva que le masque était d’un rare raffinement, sans doute couler surmesure. D’étranges symboles étaient discrètement gravés à sa surface.

-Mumkin !

La figure masquée recracha ce nom avec la verve de l’autorité. Le dévaronien se contracta, près à encaisser un reproche mais rien ne vint.

-Bienvenue chez toi.

Et la pression retomba aussi.

-Mais la moindre des choses seraient de nous dire qui tu as amené avec toi.

Le pilote se racla la gorge, conscient d’être soudainement le centre de l’attention. Mais il ne se démonta pas.

-Mamy Zora, ben j’suis content d’être revenu aussi. Alors ça c’est le Seigneur Lloyd Hope. J’dis Seigneur parce que c’t’un grand Sith, attention.

Shar se mit à rire avant de plaquer une main contre sa bouche pour étouffer son hilarité beaucoup trop dédaigneuse. Mumkin lui jeta un petit regard noir, comme si elle ne perdait rien pour attendre et poursuivit :

-C’est lui mon patron, j’vous en ai un peu parlé. On fait des affaires dans l’Empire et tout.

Tout le monde s’échangea des regards admiratifs, un peu craintifs pour certains. Les mâles du coin avisèrent Lloyd avec un respect non-feint, malgré une légère méfiance. Quant aux regards féminins, Sith ou non, ils étaient d’ores et déjà acquis à son charisme hapien. Zora, de son véritable nom Zoraïda, qui signifiait enchanteresse dans un dialecte dévaronien, sonda le blond d’une œillade longue et perçante. Derrière ce masque, ces bijoux, ces vêtements amples, il était impossible de distinguer son âge véritable, mais le Mamy mettait la puce à l’oreille.

-Bienvenue Lloyd. Et elle, c’est qui ?
-AH ! s’exclama Mumkin en reculant pour se positionner près de Dana. Bah, c’est Dana, la femme de ménage de notre vaisseau ! Vous vous dîtes pourquoi je l’ai ramené aussi hein ?

Shar leva les yeux au ciel.

-Ben c’est aussi ma petite amie, et oui j’vous l’ai caché pour vous faire la surprise.
-NAN ! crièrent d’incrédulité certains. Attends Mum’ ! Impossible qu’une femme ai bien voulu de toi !

Le sol s’était dérobé sous les pieds de l’Inquisitrice qui ignora bientôt les ricanements dubitatifs que l’on adressait au dévaronien. Elle aurait bien voulu réagir. Mais il y avait la main de cette foutue gamine dans la sienne. La joue du dénommé Liam contre sa hanche. Elle se sentait prise au piège, engluée dans une situation qui comme d’habitude échappait totalement à son contrôle. Elle croisa enfin le regard de Lloyd. Oh et si ses yeux dorés avaient pu tuer, Hope serait mort tant de fois.

-Ca suffit, réclama Zora en levant une main parées de bracelets. Mercy !

La rouquine se dépêcha d’acourir, malgré son ventre rond et lourd qui annonçait la prochaine arrivée d’un enfant.

-Dana a l’air fatiguée.
-Ouais, le voyage a été long et..
-Mumkin, le coupa-t-elle, Elle peut parler toute seule.

Sauf que j’ai pas envie de parler, mais de foutre des gifles.

-Mercy, répéta la matriarche, tu peux l’amener à la roulotte de Ruth ? Trouve-lui des habits secs, et explique-lui les règles du clan. Tête en l’air comme il est, je suis certaine que Mumkin a dû oublier de lui en faire part.
-Bien sûr, Mamy Zora, approuva la rousse, qui à bien y regarder avait encore des traits d’adolescente. Sans doute atteignait-elle sa majorité. Puis elle se détourna vers Dana, un grand sourire aux lèvres. Dana, c’est bien ça ? Tu peux venir, tu verras, Ruth est gentille. Elle aura sûrement des robes pour toi. Et Liam (Elle s’agaça vers le gamin) lâche-la un peu !
-Nan ! répondit-il, l’air mauvais.

Et tandis que Dana était emportée par Mercy, pauvrement, sans aucune résistance, figée d’une résignation insoluble, sidérée comme l’était une proie après le premier coup de mâchoire d’un prédateur, Zoraida s’adressait à Lloyd :

-Lloyd, nous respectons tous votre rang ici, mais nous avons des règles importantes. Si vous pouviez vous y plier, le temps de votre séjour, afin de garantir l’unité de cette communauté. Kalon pourra vous les expliquer. C’est l’un de mes fils les plus fiables. Il aura sans doute de quoi vous vêtir pour la grande célébration à venir.
-Nan mais vous pouvez l’tutoyer hein. C’pas vraiment un Sith très à cheval sur le protocole tout ça, fanfaronna Mumkin comme s’il était fier de s’être entiché du seul Sith raté de la Galaxie.
-Parfait, dit-elle, Allez, tout le monde se remet au travail, on a des préparatifs à terminer ! C’est le mariage de ma petite-fille je vous rappelle ! Shak, dans la roulotte.
-Bien, Maîtresse, tonna le droïde d’une voix rouillée.





-Alors tu vois, c’est compliqué. Mamy Zora c’est une dévaronienne, comme moi. Mais Kalon c’est son fils adoptif alors il est humain, tu vois ? C’est le bordel, mais on s’y fait vite. Et t’inquiète pour Dana, Ruth c’est la femme de Kalon. Elles ont le même caractère ça devrait aller. Mais t’sais, j’ai dit ça…parce qu’une Inquisitrice ici, ça le ferait pas trop. J’pas trop envie de gâcher la fête. C’est le mariage de ma fragine et j’veux que ça se passe bien. Donc ahm….
-Eh Mumkin, dépêche-toi, déclara Kalon qui avait ouvert la marche de sa stature bien bâtie.

Lloyd Hope
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Lloyd eut du mal à masquer sa propre hilarité quand Dana fut emportée par la famille de Mumkin. La tête de Dana quand elle s’était vue rétrogradée au rang de Femme de ménage du Sans Visage avait un instant balayé la frustration du voyage. Le dévaronien, lui, ne semblait pas outre mesure perturbé par ses mensonges grossiers et un coup d’œil à Zora lui avait appris que la matriarche n’était pas dupe malgré le masque qui dissimulait ses traits. Mumkin l’accompagnait déjà à la suite de Kalon, et ils s’enfoncèrent dans le camp. Les roulottes côtoyaient des maisonnettes faites de brics et de brocs et visiblement les habitats roulants portaient sur eux les signes du statut social des différentes familles regroupées aussi : certaines roulottes paraissaient misérables tandis que d’autres affichaient des blasons aux couleurs tapageuses. Des chiens kaths, visiblement apprivoisés, s’étaient mis à accompagner le petit groupe. Dana avait disparu de son champ de vision dans les allées tortueuses formées par les rangées de roulottes. Derrière eux, un autre groupe s’était formé et fermait la marche comme s’ils voulaient être sûrs que les invités ne pouvaient s’enfuir. Ou peut-être était-ce la nervosité de Lloyd qui jouait sur son interprétation de leur accueil. Il tâcha néanmoins de contrôler sa nervosité.

Les hommes l’invitèrent à entrer dans une roulotte sombre. Elle était faite d’un métal noir qui paraissait poli, et des rideaux empêchaient de voir ce qui s’y tramait depuis l’extérieur. Kalon poussa Lloyd à grimper les trois petites marches et il se retrouva dans une pénombre enfumée : à l’intérieur, il y avait déjà trois dévaroniens, et deux autres s’entassèrent encore à la suite de Kalon et Mumkin, si bien qu’ils se retrouvèrent serrés à ne pouvoir circuler sans se frotter les coudes. On poussa des coussins pour faire asseoir Lloyd à une table. Des mains s’agitèrent et un petit verre fut posé devant lui suivi du « pop » d’une bouteille qu’on débouchait. Il y avait des conversations dans tous les sens, rapides, si bien que le hapien ne saisissait rien de ce qui se disait. D’autres verres étaient apparus et une main carmine, épaisse et velue, s’était mise à servir tous les verres non sans tâcher abondamment la table déjà collante. Quelqu’un siffla et un silence soudain se fit dans la roulotte. Les regards se tournèrent tous vers un dévaronien un peu plus âgé, la peau sèche tendue sur un corps fin et pâle, deux cornes sciées proprement à la base.

- C’est Vaklu, lui souffla Mumkin qui s’était glissé pour s’asseoir à côté de lui.
- Ah, bonjour Vaklu, dit Lloyd, incertain.

Il y eut des éclats de rire. Vaklu lui-même dévoila des dents acérées avant de prendre la parole.

- Il est bien élevé, ton Seigneur Sith, grinça-t-il. D’ailleurs, on doit t’appeler comment ? Votre Excellence ?
- Nan, Lloyd, ça ira très bien.
- Tant mieux, je comptais pas t’appeler autrement.

Nouvelle hilarité parmi le groupe serré dans la roulotte ; Lloyd se contenta d’un sourire poli.

- Tu vois chez nous, c’qui compte c’pas ton origine. C’qui compte c’est le clan.
- Ouais !
- Ouais.
- Le Syndicat, reprit Vaklu. Si t’es parmi nous, tu respectes les règles du Syndicat. C’est notre Code d’Honneur, tu vois ?
- Heu… Ouais.
- Nan, tu vois pas, parce que tu connais pas les règles du Code d’Honneur !
- Attends, vas-y pas trop vite, Vaklu, on va p’tet se présenter avant !
- Ouais !
- Ouais.
- Bon, d’accord. Alors, les trois rouges, là, c’est Kinuux, Zekh et Russoc. C’est trois frères.

Lloyd eut un bref geste d’acquiescement envers les dévaroniens à la peau carmine. Ils avaient l’air plutôt sympathiques, à l’exception de Russoc qui avait l’air particulièrement contrarié.

- Ca, c’est Lartokh – Vaklu désigna un autre dévaronien corpulent et aux cornes particulièrement saillantes. Ca c’est Rilc – un jeune dévaronien tatoué et percé, un cicatrice sous l’œil, et v’là Chaukran.

Le hapien eut le même geste poli envers le dernier dévaronien, barbu, qui devait approcher à la cinquantaine.

- On est plus nombreux, bien sûr, mais les hum’, ils sont en train de préparer le marié.

Nouveaux rires. Lloyd se retourna vers Vaklu.

- Bon alors c’est quoi, votre code d’honneur ?
- Ah. Ça t’intéresse, alors.
- Disons que j’veux pas commettre d’impair.
- T’inquiète Vak, l’honneur, ça l’connaît, glissa Mumkin sur un ton beaucoup trop sérieux qui mit Lloyd mal à l’aise. Un jour, il a tué un type à mains nues, comme ça, parce qu’un type a touché une meuf qui ressemblait à son ex.

Série de sifflements admiratifs. Lloyd fit les gros yeux à Mumkin. Le dévaronien parut surpris.

- Ah oui non pardon, c’était pas ça, pas exactement, enfin…
- T’es pas marié alors, Lloyd ?
- Ça se marie p’tet pas, les Sith…
- Nan, et heu, ben certains si, mais moi non. Bon, le code d’honneur ? s’empressa-t-il d’ajouter pour détourner la conversation.
- Le Code d’Honneur, fit Vaklu, soudain très solennel, et tout le monde se tut autour de lui. Le Code d’Honneur, c’est ce que tout homme doit respecter dans le Clan. Qui brise le Code risque sa vie. Qui respecte le Code gagne le respect de tous, tu vois ?

Lloyd acquiesça. Il ne voyait pas très bien, en réalité, mais il s’imaginait qu’il allait comprendre bientôt.

- Voilà, tu as l’air d’un garçon intelligent : toute société a ses règles, on a les nôtres, et Vaklu mit son poing devant Lloyd pour égrener les règles à l’aide de ses doigts. Un : On touche pas, on ne regarde pas les gonzesses des autres membres du Clan. Deux : On respecte la parole des anciens. Trois : Les conflits se règlent au jeu ou avec les poings : on ne fait jamais appel aux autorités. Quatre : On refuse jamais un premier verre. Cinq : T’as le droit de mentir à une gonzesse, on ment jamais à un frère du Clan. Six : Si ton honneur ou celle de ta famille est atteinte, tu dois la défendre et chercher à venger les affronts qui te sont faits. Et si qui que ce soit à l’extérieur du Clan menace l’honneur de l’un des membres du camp, on le saigne. Tous. S’en prendre à un membre du Syndicat des Trois Serpents, c’est s’en prendre à nous tous. C’est ça qui nous a permis de survivre, tu vois ? Ah oui, et sept : tous les moyens sont bons pour prospérer, sauf la prostitution ou l’enlèvement d’enfant. Ça, c’est tabou. C’est la mort. Voilà. Sept règles, trois serpents : l’honneur, la vengeance et la fortune. Tu respectes ça, tu réussis ta vie. Tu respectes pas, on te saigne. Ok ?

Il y eut un silence, les dévaroniens attendant visiblement de voir ce qu’un Sith pouvait penser de leur Code d’Honneur. Le hapien jeta un coup d’œil vers Mumkin et se dit que son pilote était quand même très loin de respecter ces règles. Mais il ne pouvait pas accuser Mumkin d’être un mauvais membre du Clan : lui-même était un mauvais Sith.

- C’est… des règles… intelligentes, finit-il par réussir à dire. Je les respecterai, pas de problème.
- Ouais attends.
- Attends, attends !
- Nous on croit personne sur parole. Il faut que tu jures sur ton sang.
- Sur mon… Sang ? Et je fais ça comment ?

Une main carmine apparut, Zekh lui tendait un couteau à la lame effilée. Lloyd la prit et Mumkin lui mima le geste qu’il devait faire pour jurer sur son sang. Alors Lloyd empoigna le manche du couteau, et referma sa main non brûlée sur la lame. D’un geste sec, il s’entailla la paume et des gouttes de sang se mélangèrent à l’alcool dans son verre et sur la table. Après quoi tous les dévaroniens s’emparèrent de leur verre et trinquèrent avec lui. Ils burent cul sec et quand le hapien eut lui aussi avalé la dernière goutte de son verre en grimaçant – c’était une gnôle infâme – tous les dévaroniens le félicitèrent bruyamment, à coups de bousculades bourrues et de cris de joie.

--------

--------

--------Lorsqu’il ressortit de la roulotte, la nuit était tombée et Lloyd dut attendre un instant que ses yeux s’habituent. Autour de lui, les dévaroniens discutaient avec animation. On lui avait servi plusieurs verres et il avait été tellement lessivé de questions, face auxquelles il avait été le plus vague possible, qu’il ne savait déjà plus très bien quelle version de sa vie il avait servi au Clan. Est-ce qu’il gagnait beaucoup d’argent dans la Marine, est-ce que Mumkin se comportait bien, c’était vrai vrai que la femme de ménage était sa petite amie ? Et la femme de ménage il la baisait lui ou pas ? Sinon Mumkin aurait dû le tuer. Il l’avait chopé comment cette brûlure sous l’œil ? C’était vrai que les Sith mangeaient des enfants ? Il devait avoir beaucoup d’hommes sous sa responsabilité ? Il avait pas du travail pour Gazig, le jeunot, par hasard ? Beaucoup, beaucoup trop de questions.

Il n’était donc pas mécontent de s’être enfin extirpé du guêpier de l’accueil par le Clan. Il espérait que la soirée s’écoulerait vite, et qu’on lui prêterait une motospeeder pour rentrer au Sans Visage avant la fin de la nuit. On l’emmena sans ménagement au travers du camp, et tout le groupe aboutit sur la plage, où des feux de camps jetaient sur l’eau clapotante des reflets lumineux. Des guirlandes bariolées illuminaient des tables couvertes de nourriture et plusieurs femmes s’affairaient à remplir encore des récipients de toutes sortes de mets odorants. Vaklu et les trois frères à la peau carmine emmenèrent Mumkin pour lui parler et en privé et Kalon et Rilc s’éclipsèrent. Lloyd se retrouva donc seul planté là, et jeter des coups d’œil embarrassé.

Embarrassé pas seulement parce que l’alcool qu’on lui avait fait avaler l’empêchait de penser clairement. Embarrassé pas seulement parce que la chemise blanche qu’on lui avait foutu sur le dos ne comportait pas tous les boutons qu’elle aurait dû avoir et laissait entrevoir son torse comme s’il travaillait comme serveur au Lagon Noir. Embarrassé parce que Mamy Zora le toisait avec son masque à quelques pas de là et il devinait son air sévère. Elle s’avança vers lui, baissant les yeux sur ses mains. Elles étaient désormais toutes les deux bandées.

- Je vois que vous avez juré. C’est bien, dit-elle en arrivant à sa hauteur.

Lloyd émit un grognement en signe d’assentiment. Zora se rapprocha encore de lui et il fut forcé de baisser le menton pour la garder dans son champ de vision : la femme était âgée et légèrement courbée, mais son attitude à demi-menaçante le força à faire un pas en arrière. Mais elle s’approcha encore, pour lui parler de plus près.

- Détendez-vous, je viens juste vous dire que je pense avoir ce qu’il vous faut pour vous remercier.
- Hein ? Pour ? Me remercier de quoi ?
- D’avoir gardé Mumkin dans le droit chemin.
- Oh, ça.

Si la pauvre savait, comment il l’avait gardé dans le droit chemin, elle ne chercherait sûrement pas à le remercier. Mais il ne savait pas quelle sottise Mumkin avait raconté à Mamy, alors il préféra ne pas la contrarier.

- Ce n’est rien.
- Si si, j’ai ma petite idée. Gardez l’œil ouvert, ce soir… On reparlera demain de celles qui vous plaisent le mieux.

Zora fit volte-face pour aller alimenter le feu, le laissant là avec ces paroles énigmatiques. Lloyd avisa un siège et décida de s’y réfugier. Bientôt, d’autres membres du clan, certains qu’il avait déjà vu, d’autres non, peuplèrent les lieux en discutant joyeusement. Et enfin, quelqu’un cria qu’il fallait commencer à s’amuser car les filles arrivaient et une musique s’échappa soudain de gros haut-parleurs grésillants sous une toile tendue. La pluie bruissait toujours, s’écrasant sur les toiles colorées, battant doucement le sable à quelques pas de là, sur la plage non abritée.

> Musique ! <

Lloyd s’occupait les mains avec un verre qu’on lui avait servi – encore un autre – quand des applaudissements lui firent comprendre qu’il se passait quelque chose : une série de jeunes filles arrivaient en courant, légèrement vêtues. Certaines d’entre elles dansaient sur la musique enlevée, d’autres plus timides avaient l’air de vouloir se cacher malgré leurs tenues aguicheuses. On fit des compliments au fil de leurs arrivées et Rilc, qui était réapparu pour s’asseoir près de Lloyd, se pencha vers le hapien avec un œil plein de concupiscence.

- C’est toutes celles à prendre, désigna-t-il du menton.
- Ah.

Lloyd supposa qu’il voulait dire : les femmes non mariées. Il jeta vers elles un regard, plus par politesse pour Rilc que par réel intérêt.

Et soudain, il s’étouffa avec sa boisson.

Il y avait Dana parmi la procession. A elle aussi, on lui avait trouvé une tenue pour l’occasion.
Darth Hope
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Dana était épuisée, par ses blessures en convalescence, par son manque de repos concret, par les souvenirs de Khar Delba. Elle n’avait ni la force physique, ni l’énergie mentale de résister à l’engouement de Mercy, ni à la curiosité des enfants du camp qui avaient formé une traîne de rires à sa suite. Ses yeux s’étaient à peine attardés sur le décor, car la tête lui avait vite tourné. Par moment, les couleurs qui bariolaient les structures et les vêtements lui remémorèrent Ch’Hodos.
Ch’Hodos.

Qu’elle était en train d’abandonner à son sort.

-Liam il va falloir lâcher là, t’es lourd !
-Nan, c’est Maman qui est revenue !
-Hein ?

Elle eut soudainement envie que le môme la relâche et fissa. La rouquine poussa un soupir tout droit sorti des profondeurs de ses poumons. Les hormones n’aidant pas, elle se mit brusquement en colère.

-T’as neuf ans Liam, t’es plus un foutu bébé ! Je vais le dire à Svan que tu t’comportes comme un gamin. Et à Kalon aussi, tout le camp va se moquer de toi.
-Je m’en fiche, fit-il d’un ton bravache, le ton mauvais. Ses mèches trop longues retombaient sur son regard noisette comme un rideau sombre. Il avait de légère tâche de rousseur qui parsemaient son minois renfrogné. Et il enfonçait ses doigts contre le flanc blessé de la Sith, ce qui devenait franchement incommodant.

-LIAM ! De toute façon t’as pas le droit de monter dans la roulotte de Ruth, alors dégage, OUSTE !

Le garçon leva son visage plein de défi vers Dana, et elle crut lire une promesse dans son regard baigné de détermination. Elle en fut un court moment perturbée et il prit la fuite en courant, suivi par ses autres copains, dont des dévaroniens d’un très jeune âge. Mercy se calma, elle avait les joues empourprées par la colère. En haut des trois marches qui menait à la caravane rutilante de nouveauté et dont l’extérieur était décoré avec goût, une porte frémit et Ruth apparut.

-Mercy, tu t’énerves encore sur Liam ? On t’a déjà dit de te ménager, c’est pas bon pour ton gamin.
-Ouais, ouais, mais il est invivable.
-Ben, c’est qui elle ?

Dana s’immobilisa de surprise. De toute sa vie, elle avait rarement vu une humaine à la beauté si prononcée. Malgré sa quarantaine entamée, Ruth semblait intemporelle et ses prunelles vertes détaillaient l’Inquisitrice avec autant de stupeur.

-Dana, la ptite amie de Mumkin.
-Quoi ? Mumkin est revenu ? Sacré cas, celui-là.
-Attendez, je ne suis pas sa petite amie ! On est juste ahm…des collègues, ok ? s’empressa de souffler Shar, d’un ton plein de venin et de contrariété.
-Ben tiens, ca m’aurait étonnée aussi. Il sait très bien qu’il a pas le droit de se ramener au bras d’une humaine. Allez entrez

L’intérieur était aménagé avec autant de bon goût que l’extérieur. La pièce mesurait au moins six fois sa cabine du Sans-Visage. Dans le font, deux lits superposés et entre eux, une fenêtre aux rideaux fermés. Dans l’espace restant, une table et quatre chaises, ainsi que divers meubles de rangements. Des tapis de bonnes factures aux images colorés revêtaient le sol et Dana fut invitée à se déchausser pour ne pas les abîmer. Des plantes exotiques dévalaient de pots suspendus et propageaient des parfums inédits dans l’atmosphère, qui furent presque apaisants pour la brune. Il y avait également un grand miroir, suspendu à l’une des parois. Ruth s’accroupit devant un meuble, faisant tinter les grandes boucles d’oreilles qui pendaient de part et d’autre de son visage parfait. Ses cheveux atteignaient la chute de ses reins dans des boucles auburn qui captaient la moindre lumière. Epuisée, Mercy s’effondra sur une chaise en caressant son ventre si gonflé qu’il donnait l’impression d’exploser.

-Mamy Zora veut qu’on lui trouve des habits secs et qu’on lui explique un peu les règles du camp. Argh, bordel, vivement qu’il sorte, je vais exploser.
-T’aimes le stim-thé ? demanda Ruth à Dana.
-Ahm…

Elle songea au thé de Runà, au Temple, au contrôle qu’elle avait exercé sur Lloyd. Elle n’était pas sûre d’avoir envie de boire du stim-thé.

-Quelque chose de plus fort alors ? Mais ne le dis pas aux hommes. J’ai un peu d’alcool qui doit traîner.
-Oh chouette !
-Pas pour toi Mercy, rectifia sérieusement Ruth.
-Oui, ok pour l’alcool. J’ai eu une sale journée, souffla-t-elle en restant plantée à l’entrée, entassée dans son pull à capuche gris, un peu trop grand pour elle.

Elle remarqua un petit droïde dont les moteurs à répulsions lui permettait de flotter à leur niveau. Mercy avisa la machine et s’exclama :

-Un peu de musique, Peep !

Et des haut-parleurs du robot, des sonorités entraînantes jaillirent, qui rappelèrent – encore une fois, à Dana les musiques que l’on entendait sur Ch’Hodos. La petite rousse tapait dans ses mains et chantait en rythme pendant que Ruth servait deux verres d’une liqueur violacée. Elle claqua la bouteille sur la table et avisa son invitée.

-Ben viens t’asseoir, on va pas te mordre. Moins fort la musique, Mercy !
-C’est jour de fête, pff…
-T’es aussi têtue que tes frères et que ton père, c’est fou ça. Bon alors, Dana. C’t’un joli nom. Tu peux aussi enlever ta capuche.

Shar s’exécuta lentement et prit place face aux deux femmes, le ventre noué d’une appréhension étrange. C’était la première fois qu’elle se sentait dans un environnement sécurisé, sans danger, sans…violence. Cet apaisement lui brûlait les tripes.

-J’comprends pour la sale journée, fit-elle en désignant la blessure à la gorge. C’est pas Mum’ qui t’a fait ça j’espère ?
-Ou le Sith qui travaille pour lui là, Llord ? J’sais pas. Eh il était méga beau !
-Nan, nan, ce ne sont pas eux. J’suis tombée sur le vaisseau, en faisant la poussière, c’est tout, trancha-t-elle.
-Bon ben je suppose que si on t’a amené ici c’est que tu vas y crécher ici. Bienvenue chez Ruth, s’amusa la femme aux yeux verts et pétillants. Je ramasse un peu les âmes perdues. Mercy c’est ma belle-fille, la fille de mon mari. Elle vit ici avec moi. Une autre femme loge ici, tu feras sa connaissance plus tard. Ben par où commencer, mh. Santé !

Elle leva son verre. Dana imita pauvrement le geste. L’alcool brûla les gorges. Elle eût envie de fumer.

-Le clan c’est un peu compliqué pour les étrangers, faut dire qu’on en reçoit jamais. T’es mariée ?
-Non, mentit-elle avec aplomb.
-Ben ça te relègue dans le camp de célibataires. Normalement, les femmes sont sous la tutelle de leurs maris, frères, pères. Mais celles qui n’en ont pas, elles finissent dans cette roulotte. Et puisqu’elles deviennent mes filles, ben elles sont sous la protection de Kalon, mon mari. En gros, on ne côtoie pas les mâles en privé, seulement en public avec témoin. Sinon, on finit comme cette cruche de Mercy.

La concernée se renfrogna et ordonna au droïde d’arrêter la musique. Elle crispa ses mains fragiles contre son ventre rond, contrariée.

-Non mais j’suis là pour trois jours, grand maximum. Je ne planifie pas de rapport social de ce genre.
-Je préfère prévenir. Mais bon, c’est jour de fête, les filles vont pouvoir côtoyer un peu ce que le clan fait de meilleur, quand on célèbre une union on espère forcément que d’autres se créent.
-Mh, mh, émit Shar, indifférente en sirotant sa liqueur.
-Zoraïda dirige ce clan, les hommes lui portent du respect parce que c’est une magicienne et que c’était l’épouse du très respecté chef Vashek. Mais la décision revient toujours aux hommes. Surtout pour les affaires.
-Ils sont relouds, siffla la rouquine, toujours renfrognée.
-Ah et chez nous, les femmes ne portent pas de pantalons, vieille tradition. J’vais te dégotter une robe.
-La chance, Ruth veut jamais me prêter ses robes !
-J’ai aussi un peu de maquillage, déclara-t-elle en farfouillant dans une console qui ressemblait vaguement à une coiffeuse, et dont le métal avait une vieille couleur patine. Des tas de bijoux y étaient entassés, mais l’Inquisitrice n’aurait su mesurer leur véritable valeur.
-C’est pas nécessaire vraiment, je compte pas assister aux festivités, je vais rester ici.

A finir la bouteille de liqueur par exemple.

-Mais tu es l’invitée de Mumkin, ce serait pas correct. Non, va falloir venir. Sinon, on va me bombarder de question, j’serai pas d’humeur.
-En plus les mariages ici durent des jours, et ils sont rares ! Parce que y’a toujours un enfoiré de père pour empêcher sa fille de se marier.
-Mercy, t’es pas fairplay envers Kalon. Evidemment qu’il a dit non, tu refuses de lui dire qui est le père du bébé !
-Non, mais elle a raison.

Dana ne souhaitait pas s’en mêler, mais elle s’en mêla quand même.

-Elle est assez grande pour choisir.
-Ca se fait pas ici, c’est tout, dit froidement Ruth. C’est comme ça que le clan survit et se soutient. La famille, c’est sacrée. Les parents donnent leurs enfants aux bonnes personnes.
-C’est flippant.
-Ah, tu vois ! J’l’aime bien moi, Dana !
-Elle peut pas comprendre, Mercy. Et Dana, évite d’influencer les autres filles, d’accord ? J’ai pas envie de me faire remonter les oreilles par la vieille cornue.

Shar haussa les épaules et son hôtesse lui présenta enfin la tenue qu’elle avait déniché pour elle. La Sith sentit un rire gronder dans sa gorge en découvrant la robe et il éclata au bord de ses lèvres, nerveusement.





C’était un rouge éclatant, comme celui qui fardait ses lèvres rebondies. Il dansait, autour de ses courses, drapant son corps d’une impudeur écarlate. Dana sentit la brise moite frapper sa peau trop dénudée : son ventre, ses épaules son dos, ses cuisses qui se s’échappaient des fentes langoureuses qui découpaient la jupe rouge, sur les côtés. Et le bustier, tout aussi carmin, soulignait les profondeurs de son décolleté. Elle avait tenu à être à la fin de cette étrange procession, loin des plus téméraires, pas proches des plus timides. Elle était accompagnée de Ruth qui veillait au grain, trop inquiète que son « invitée » puisse commettre un impair. Mais Ruth était particulièrement fière d’avoir réussi à transformer Dana en vraie femme du clan. Elle avait dompté sa chevelure sauvage en une coiffure d’où débordaient des perles colorées et à ses oreilles dégagées pendaient des cercles d’or, tout comme ses chevilles et ses poignets étaient entravés de bijoux scintillants. Elle avait catégoriquement refusé le collier et Ruth avait mis ça sur le compte de sa blessure à la gorge, sans insister davantage.

Au loin, le lac étendait sa masse sombre, à peine perturber par l’onde de la pluie insipide. Il était témoin naturel des feux de joies, des rires, des notes de musiques qui pulsaient dans l’air et ravisaient les âmes.

-Le rouge te va bien. Et c’est la meilleure couleur possible pour tu sais..attirer le regard, la taquina Ruth. Tu sais danser ?
-Ahm, je ne danse pas.
-Il va falloir pourtant, tout le monde danse ce soir, même Mercy !

Dana avait repéré la crinière familière du Sith blond, quelques mères plus loin. Elle déglutit discrètement et s’empressa de détourner le regard, comme si elle souhaitait lui signifier qu’elle lui en voulait toujours. Elle se pinça les lèvres trop fort, de contrariété. La musique bourdonnait à ses oreilles et ce vent inconnu bataillait dans ses cheveux coiffés délogeant quelques mèches fragiles.

-Et ce soir, les cornus et les humains peuvent danser ensemble, c’est permis…y’a plus de différence lors d’une union !

Par curiosité, Shar suivit le regard malicieux de Ruth et décrivit les dévaroniens qui se délectaient déjà des demoiselles « à prendre ». Foutus aliens.

-Ils te plaisent ? murmura-t-elle sensuellement à son oreille avant de rire.
-Et ça se finit bientôt ?
-Rho, mais quelle rabat-joie ! Ah et évite de boire en public, les femmes n’y sont pas trop autorisées ! C’est une affaire d’homme. On fêtera ça avec de l’alcool chez moi. Je t’accompagne à ton patron, tu seras ptetre plus à l’aise à côté d’une silhouette familière.

Ruth empoigna la main de sa protégée et la tira fermement à sa suite. Elles traversèrent les danses qui avaient commencé, les rires, se firent bousculer, bousculèrent à leur tour. La tête lui tourna brièvement, sans doute les deux verres de liqueur qu’elle avait bu trop vite et que son organisme assimilait mal.

Face au hapien, Ruth fit son sourire le plus poli, mais le vert de ses prunelles brillaient bien trop fort.

-M’sieur. Je suis Ruth, la femme de Kalon, c’est moi qui m’occupe de votre domestique. (Elle se pencha vers l’oreille de Dana pour murmurer dans un souffle) Mercy n’avait pas tort. Hapien, mh ? (Puis elle revint au Sith, élevant la voix pour couvrir la musique.) Vous allez quand même pas rester tous les deux sur la touche ? Même Mumkin s’amuse déjà ! EH SVAN ! SVAN !

Elle s’était mise à hurler parce qu’elle avait repéré une tignasse brune parmi toutes ces têtes.

-SVAN ! VIENS LA !

Le concerné l’entendit enfin et quitta un groupe d’humains pour se rapprocher du trio, intrigué. Il était jeune, peut-être un peu plus jeune que Dana mais la dépassait d’une tête. Il avait une forte ressemblance avec Liam, dont les tâches de rousseur qui marquaient son visage, juste sous ses yeux gris. Des mèches noires lui retombaient en pagaille sur le front, ce qui lui offrait un certain charme. Il avait un pansement grossier qui lui barrait le nez, signe d’une rixte récente. Comme tous les autres hommes, il portait une chemise débraillée, de couleur sombre. Il tenait une bouteille de bière dans la main.

-Ouais ?
-J’te présente les deux nouveaux que Mum a ramené ! M’sieur Llord et Dana.
-Llord, fit-il puis il coula sur Shar. Dana, chouette nom. Chouette robe, aussi. Je l’ai déjà vu quelque part.
-Et voici Svan, mon beau-fils. Lui aussi il est revenu pour l’occasion, c’est un vrai homme du clan, souvent occupé par les affaires.

Et elle ébouriffa les cheveux de Svan d’une main fière. La victime maugréa et repoussa la main de sa mère par alliance, agacé.

-Ca va, j’suis pas un bébé. Et arrête de parler de mes activités à des étrangers ok ?
-T’invites pas Dana à danser ?
-Je dois chercher Liam d’abord, un mot à lui dire. Mais…(Et il adressa un clin d’œil à la brune) Je reviendrai pour toi, Dana.

Puis il disparut rapidement, sourire aux lèvres.

-Bien, je vais vérifier que Mercy n’est pas quelque part à perdre les eaux, rit Ruth. Amusez-vous bien !

Dès qu’ils furent seuls, Dana prit une grande inspiration et se détourna vers Lloyd, prête à l’insulter, quand elle remarqua qu’il était la cible de regards féminins particulièrement insistants. Non loin, trois jeunes filles échangeaient des messes basses en le regardant. Elles poussaient dans le dos une quatrième, pour qu’elle prenne son courage à deux mains.

Jabiim était une farce.

-J’ai l’impression que le pervers que tu es se plaira bien ici. Et l’alcoolique aussi.

Lloyd Hope
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- J’ai l’impression que le pervers que tu es se plaira bien ici. Et l’alcoolique aussi.

Lloyd baissa un instant les yeux son verre. Il en était au combien ? Heureusement, les verres de la roulotte étaient de petite taille.

- J’vois que tu t’sens mieux, lui répondit-il en détournant le regard.

Il croisa celui de trois jeunes filles qui pouffèrent et se détournèrent et il soupira. Il ne voulait pas regarder Dana. Dans cette tenue, c’était pire qu’avant : il voyait sa peau, il se souvenait de la douceur du derme.
Il entendait le tintement des perles dans ses cheveux noirs, il se souvenait de leur odeur.
Il devinait des courbes, il se souvenait précisément de l’emplacement du tatouage.
Il voyait les blessures, il se souvenait des traces laissées par Raidun.
Bref, il avait envie de fuir, mais il se contenta de fixer le lac devant lui en silence. La musique qui battait à leurs oreilles le laissait indifférent.

Au bout d’un moment, il la regarda de nouveau. L’alcool avait dilaté ses pupilles.

- Si je suis de si mauvaise compagnie, j’crois que t’as que l’embarras du choix ici pour trouver mieux, en même temps, j’t’impose pas ma présence.

Il la toisait froidement quand un visage surmonté de deux cornes apparut au-dessus de l’épaule du hapien.

- Bonjouuuuur.

La voix mielleuse fit sursauter Lloyd. C’était Rilc qui venait de les rejoindre, et qui adressait à Dana un regard appuyé. Il y eut un moment de silence, puis Rilc donna un coup de coude au hapien.

- Ben, tu me présentes pas ?
- Ah. Dana, c’est Rilc, un vrai… gentleman. Rilc, c’est Dana, notre femme de ménage.

Tiens, ça c’est pour l’alcoolique. Rilc se fendit d’une brève révérence et prit la main de Dana pour déposer sur ses phalanges un baiser, avant de consentir à la relâcher. Lloyd ignora la scène d’un regard blasé vers le lac.

- Alors, Dana, ça fait longtemps qu’tu travailles pour lui ? C’est un bon patron, au moins ?
- Bon, j’vous laisse faire connaissance, déclara sèchement Lloyd, qui n’avait aucune envie d’entendre la réponse.

Le hapien se désengagea du trio qu’ils formaient pour les laisser seuls. Il se dirigea droit vers Mumkin, qui arrivait par la plage encadré de Zekh et Russoc. Les deux frères à la peau carmine laissèrent leur cousin tranquille dès qu’ils virent le Sith arriver.

- Alors, comment tu trouves l’endroit ? fit Mumkin en écartant les bras, pour englober autour de lui à la fois le camp et le paysage qui les accueillait.
- Très sympa. Il est où ton cousin, là ?
- Qui, Lartokh ?
- Nan, Koshkosh, celui dont tu m’as parlé hier.
- Aaaaaaah Goshgosh ! Il règle un truc et il arrive, justement. Mais… Quoi, t’en veux maintenant ?
- Hein ? Nan, je veux juste être sûr de pas oublier.
- Lloyd. Là c’est pas le moment pour ça, hein.
- Je sais, pourquoi tu dis ça ? lâcha le hapien, exaspéré.

Mumkin eut un regard suspicieux vers Lloyd.

- J’te connais quand tu fais cette tête.
- Je vais très bien.

Le dévaronien ne parut pas convaincu, mais il l’attrapa par le bras pour ramener le hapien vers la fête. Ce dernier ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil vers Dana : elle conversait toujours avec Rilc et ses boucles s’agitaient à chaque fois qu’elle parlait. Il détourna le regard avant de prendre le risque de croiser les prunelles dorées de Dana.
Autour du feu de camp, plusieurs personnes s’étaient déjà mises à danser. Deux jeunes filles humaines dont les chevelures sombres tressées étaient parsemées de fleurs pâles dansaient ensemble avec insouciance, sous l’œil intéressé de Kinuux, qui les applaudissait en criant des encouragements. Les robes des autres danseuses se dévoilaient parfois, laissant entrevoir ici ou là une cuisse tatouée ou un ventre percé d’une perle brillante. Les hommes se mêlaient à la partie en sautillant, tapant le sable de leurs pieds en rythme. Lloyd se demanda ce qu’il foutait là, mais il tâcha de se rappeler qu’il avait fait une promesse à Mumkin et que pour les dernières promesses qu’il n’avait pas tenues, il payait encore le prix fort.

Le dévaronien et lui rejoignirent Vaklu et Russoc qui leur faisaient signe. Ils s’étaient assis dans le sable, avaient retiré leurs chaussures pour laisser l’eau du lac baigner leurs pieds. Mumkin les imita, bientôt suivi de Lloyd. Les quatre hommes alignés regardaient l’horizon, dos aux festivités qui battaient leur plein, indifférents à la pluie légère qui humidifiait leurs épaules, leurs crânes et les cheveux du Sith.

- Mumkin, tu as fait goûter ça à Lloyd ? fit Vaklu en tapant l’épaule du hapien en un geste paternel, avant de lui donner une pipe sur laquelle il venait de tirer en fermant les yeux avec volupté.
- L’herbe de jash ? Nan j’crois pas.

Le hapien prit précautionneusement l’objet entre ses doigts, une œillade interrogatrice vers son pilote.

- Tu peux y aller, c’est pas fort du tout. Ça a juste bon goût. Ici on dit qu’ça fait philosopher.

Lloyd referma ses lèvres sur l’embout et inspira. Une fumée odorante emplit ses bronches.

- Mum, t’as parlé à notre ami de… La petite affaire ?
- Ah nan. Mais j’suis sûr que ça lui posera pas de problème. Hein Lloyd, tu peux nous aider sur un p’tit truc, cette nuit ?

Le hapien se tendit, et rendit la pipe d’un geste plus sec qu’il ne l’avait prévu.

- Vous aider sur quoi ?
- Oh, probablement rien, en fait. Tu vois là-bas, les lumières de l’autre côté du lac ?

Il fallut un moment à Lloyd pour remarquer qu’en effet, de l’autre côté du lac, des petites lueurs apparaissaient entre les filets de bruine.

- Oui.
- Là-bas vivent ces chiens de Saphir. Ils se font appeler le Clan des Loups de Saphir, mais pour nous ce sont rien d’autres que des toutous sans cervelle.
- Ah.
- Regarde cette gamine, là-bas.

Soudain Vaklu se retourna vers les danseurs qui s’agitaient autour du feu. Il désigna du menton une jeune humaine qui s’était assise, seule, sur un fût, l’air absente. Au passage, Lloyd capta parmi les danseuses le sourire d’une adolescente qui le fixait intensément, et il préféra se retourner vers le lac.

- Tu l’as vue ? C’est Mia. On la soupçonne de voir un garçon en secret dans la forêt la nuit, parfois. Un de ces chiens. Non seulement c’est contre le Code d’Honneur, mais en plus, le gamin en question serait un zabrak. C’est pire que mélanger déva et hum.

Russoc grogna son assentiment, et Mumkin siffla entre ses dents. Lloyd soupçonna son pilote de surjouer un peu : jamais il n’avait vu Mumkin spécialement porté sur l’honneur ou les principes avant ce soir.

- Cette nuit, ça va être la fête. Et Zora pense qu’ils vont en profiter pour la rafler. Il parait qu’elle a préparé un sac qu’elle a caché sous sa couchette, c’est sa sœur qui l’a vendue. Mais peut-être qu'ils viendront pas.
- Mais si oui, c’est hors de question qu’ils gâchent la fête du mariage de ma frangine, intervint rageusement Mumkin, et Lloyd comprit soudain pourquoi son pilote avait soudain l’honneur du Syndicat à cœur. Alors on va les intercepter dans la forêt. Ils viendront pas avant minuit, mais après, on ira les attendre. On fera discret, tu vois, parce qu’il faut pas que ça dérange la fête pour les autres.

Il y eut un silence, et Vaklu jeta une nouvelle œillade vers la fête. La musique avait changé, pour laisser place à un rythme plus langoureux, qui se dansait en couple.

- Alors, tu nous aideras ? demanda Mumkin.
- Ouais, ouais, fit Lloyd en haussant les épaules. Une baston de plus ou de moins, hein.
- C’est ce que je me disais, puis avec un Sith, ils ont aucune chance d’enlever Mia, on va les défoncer.
- Au fait Lloyd, fit Vaklu, va falloir que t’en invites une ou deux à danser, quand même. C’est pas poli de pas trop participer à la fête. Ta femme de ménage, elle, elle s’amuse déjà.

Le hapien ne put s’empêcher de regarder en arrière, cherchant Dana de ses yeux émeraudes, s’interrogeant sur qui avait pu l’inviter à danser.

- Allez venez, décida Vaklu, on participe sinon Mimine va encore m’engueuler.

Mais Lloyd resta un moment assis dans le sable à jeter vers le feu un regard vide. La jeune fille qui l’avait scruté un peu plus tôt apparut devant lui et lui tendit la main :

- Tu veux pas m’inviter à danser ?
Darth Hope
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-Non, dit-elle un peu plus fort qu’elle ne l’aurait voulu dès que Lloyd s’était défilé. C’est un foutu mauvais patron de merde ! Un PUTAIN DE LACHE ! Et d’alcoolique !

Rilc recula d’un pas surpris par la hargne de Dana, mais il finit par concéder un sourire. Des femmes en colère émergeaient toujours un charme ravageur. La petite humaine avait du caractère, c’était plutôt son genre.

-Eh il t’entend plus de là où il est. Changement de sujet alors ! Tu viens d’où ? Et le plus important, est-ce qu’on danse par chez toi ?

La musique tambourinait fort à ses oreilles désormais et les mots du dévaronien se perdaient dans la caisse de résonnance qu’était sa tête. Elle se demandait comment Lloyd pouvait reprendre une petite vie minable après ce qu’ils avaient vécu sur Khar Delba. Était-ce elle qui n’était pas normale ? Était-elle la seule à voir un problème dans ces festivités ? Visiblement oui, elle allait devoir apprendre à lâcher prise ou bien toute cette amertume allait la consumer. Ses yeux se reportèrent sur son interlocuteur.

-Je viens de Ch’Hodos, fit-elle.
-Connais pas, mais (Et il eut un regard beaucoup trop appuyé sur son décolleté) ça doit être sympa, du genre, vallonné j’parie.
-Ouais, y’a des dunes. Et y’a des espèces de scorpions géants qui surgissent des sables. Ils ont tendance à embrocher les gens qui s’y promènent. Trop imprudents. Ils leur transpercent l’abdomen, mais ils meurent pas sur le coup, tu vois. Parce qu’ils diffusent un venin qui paralyse et garde en vie. Puis ils ont des mandibules et ils commencent à picorer ci et là avec, ils évitent les zones vitales, il paraît qu’on a meilleur goût quand on est encore vivants. Ca te donne assez d’informations ?
-Assez, ouais.

Elle était désormais flippante. Magnifique, mais terrifiante. Il n’était plus certain de vouloir s’y frotter avec ces histoires de mandibules et de venin paralysant. Il but une gorgée de son alcool fort pour noyer une grimace de désarroi.

-Super, Rilc, c’est ça ? Merci.
-Euh, merci pour ?
-Ca.

Dana lui subtilisa le verre des mains et s’octroya une goulée méritée, avalant la moitié du contenu sous le regard sidéré du cornu dont la mâchoire se décrocha presque. Elle lui rendit son bien, les lèvres brillantes de l’alcool qui irradiait maintenant ses tripes. Elle la planta ensuite là et se détourna vers la foule dansante, qu’elle avisa d’une œillade bravache. Puisqu’il fallait bien que ces trois jours passent, autant s’y coller. Dana Shar n’avait jamais rechigné aux festivités. Elle en était la première instigatrice sur Ch’Hodos. Et puisque tout Jabiim lui intimait de s’amuser, elle n’allait finalement pas s’en priver.

D’un pas décidé, elle fendit les silhouettes agitées, tentant d’atteindre le cœur du dancefloor de fortune, près du feu de camp, là où la température élevée faisait briller les peaux d’une sueur sensuelle.

-Eh, l’interpella une voix masculine qui n’était pas celle de Lloyd. Où tu vas comme ça ?


Elle se détourna vivement pour reconnaître Svan et son sourire ravageur. La déception enserra sa poitrine. Elle aurait aimé que ce fût Hope, qu'il l'empêche de faire une connerie monumentale ou qu'il la fasse avec. Mais puisque Son Excellence avait décidé de lui fausser compagnie, comme le lâche qu'il était.

-Attends, attends, souffla-t-il taquin, en se rapprochant d’elle.
-Qu’est-ce que tu fais ?

Elle aurait aimé être moins conciliante en posant la question. Elle aurait aimé ne pas avoir ce demi-sourire qui frôlait ses lippes colorées, ni cette étincelle amusée dans ses iris dorées.

-Ben, je t’accompagne jusqu’à la piste de danse, fit-il le plus naturellement du monde.

Un sourcil arqué, elle répliqua dans un souffle espiègle :

-Pourquoi ? Tu danses ?
-Moi ? déclara-t-il en se pointant du doigt. Nan. Tu sais pas comment ça fonctionne ? J’ai une bière dans la main (Il mit sa bouteille en évidence.) Et tu danses autour de moi pour que je paraisse cool.

Son insolence et sa nonchalance laissèrent un moment Dana perplexe. Partagée entre l’amusement et la mise au défi, elle échappa un ersatz de rire.

-Ah ok…j’ai compris.

Ses doigts s’emparèrent de la main libre de Svan qui s’empressa de se décharger de sa bière chez un passant alors que Dana l’attirait vers le feu.

-Allons te faire paraître cool.

Les corps brûlaient déchaînés sur les notes d’une musique aux notes plus lascives, plus basses, plus provocatrice. Et Shar entraînait toujours son partenaire par la main jusqu’à le libérer au milieu des siens, si proche d’elle. Au départ, elle s’amusa de quelques mouvements incohérents et clownesque, sous les yeux à la fois moqueurs et scrutateurs de Svan qui l’admirait faire ce « n’importe quoi » avec beaucoup d’intérêt. Elle n’était pas du tout en osmose avec le rythme musical et s’agitait devant lui, faisant tinter ses bracelets à chaque geste désordonné. Dana capta son regard et se mit à rire. Il rit aussi tandis qu’elle s’immobilisait, le contemplant de la tête aux pieds, pleine de défi.

-Alors ? Ca te paraît assez cool ?
-C’était terrible, répondit-il avec une ironie bienveillante. C’est tout ce que tu sais faire ?
-Ahm, nan.

La musique percuta de nouveau leurs oreilles, le son avait monté d’un cran, allait même crescendo et Dana cala ses mouvements sur les sonorités langoureuses. Svan cligna des yeux, se mordit la lèvre inférieure alors que son attention longeait la cambrure de ces reins féminins, la mise en valeur de sa croupe lors d’un geste plus sensuel que l’autre. Il vit les doigts vernis de l’étrangère glisser contre le rouge de sa jupe fendue, effleurant une féminité ardente, pour remonter vers sa chevelure de jais et faire danser ses mèches perlées. Autour d’eux, un public s’était attroupé, fébrile. D’un pas toujours dansant, elle se rapprocha de Svan, pivota avec sensualité, une main contre la nuque de l’humain. Elle sentit son torse plaqué à son dos et elle se laissa retomber à ses pieds, dans un grand écart parfaitement maîtrisé, obligeant le brun à se pencher légèrement. Elle se servit de l’appui sur sa nuque pour se redresser d’une impulsion légère sous les encouragements alentours qui s’étaient émerveillés de la prouesse technique. La paume de Dana fila du cou à la mâchoire de Svan, dans une caresse provocatrice alors qu’elle lui faisait face, à un souffle de lui. Son flanc la tançait salement, mais la musique était assez galvanisante, et l’adrénaline était revenu dans ses veines brûlantes. Elle finit par reculer de quelques pas, et sa jupe écarlate flottait autour de ses jambes galbées.

-Ok, à ton tour ! Promis, je rirai pas….trop.

Elle était persuadée qu’il se ridiculiserait, en bon fanfaron qu’il semblait être. Il haussa les épaules et se mit à enchaîner un pas endiablé sous les cris de ses pairs. On hurlait le nom de Svan, dans des bouches féminines, masculines. Il avait l’air populaire dans le coin, mais Dana ne voyait plus que ses muscles qui se coordonnaient dans une danse maîtrisée, en parfait rythme avec ce que les haut-parleurs crachaient de son. Elle se surprit même à s’agiter doucement, entraînée par la cadence qu’il imposait. Il s’était penché, avait ramassé un peu de sable et sur une note plus forte que l’autre, souffla le tout vers Dana, singeant avec théâtralité un tour de magie. Nouveau rire chez Dana. Il recula et elle s’avança dans un déhanché assuré.

Il s’était montré à la hauteur. Ils pourraient danser à deux.
Svan lui attrapa les hanches et elle arrima une poigne délicate à sa nuque moite. Leurs corps s’épousèrent sous les encouragements perpétuels des fêtards.

Ta femme de ménage, elle, elle s’amuse déjà.

Parce qu’ils étaient visibles depuis le rivage. Parce qu’on ne voyait plus qu’eux d’eux qui se déchaînaient l’un contre l’autre, avec brio, avec alchimie. La musique ralentit, leur danse aussi. Leurs cœurs essoufflés battaient l’un contre l’autre. Dana avait son front contre celui de Svan, son nez frôlant le sien, leurs lèvres se cherchant. Il faisait chaud et ce n’était pas à cause du Feu. L’Inquisitrice tendit son bras vers la foule, intercepta une bouteille de bière des mains d’un dévaronien et la renversa sans sommation sur son partenaire.

Histoire de faire descendre la température.


-Svan !

La voix familière de Ruth perça à travers les éclats de voix, la musique. Elle écarta quelques danseurs pour se rapprocher du couple, essoufflée. Le jeune homme arrêta immédiatement de sourire, retrouvant un semblant de sérieux car le visage de sa belle-mère était d’une gravité sans précédent.

-Svan, j’trouve plus Liam. Il était avec toi y’a pas longtemps non ?
-Ouais, je l’ai sermonné, parce que Mercy m’a dit qu’il s’était comporté comme un gamin.
-Mais c’est un gamin, Svan ! Il n’a que neuf ans, s’agaça-t-elle. Il est parti bouder, mais j’ai fouillé tous les endroits habituels, rien. J’ai pas envie de jeter une sale ambiance sur la fête, mais j’ai peur qu’il soit allé dans la forêt.
-Quoi ?! Il sait très bien que c’est interdit, putain !
-Je sais pas, Svan, je sais pas !
-T’as prévenu Papa ?
-Nan, il a prévu quelque chose ce soir, dit-elle très vite. Avec d’autres cornus.
-Je suis sûr que c’est un coup de ces putains de Saphir encore ! Ils doivent profiter que notre vigilance soit moindre ce soir.
-Dana, fit Ruth, paniquée, Tu peux nous aider ? Juste ouvrir l’œil, une petite recherche.
-Vous parlez du gamin aux tâches de rousseur ?
-Ouais, c’est mon petit frère.
-Pourquoi il peut pas aller dans la forêt ? demanda-t-elle.
-On dit qu’elle est hantée, y’a déjà plein de gamins qui ont disparu là-bas. Et c’est un terrain que les Loups connaissent bien.

Elle avait envie de dire que ce n’était pas son problème. Elle ne souhaitait pas s’en mêler. Mais le regard de Liam qui percutait le sien avec tant détermination brisa un peu de glace en elle. Elle s’en mêla quand même.

-Pourtant s’il est dans la forêt, c’est là qu’il faut aller.
-Je suis morte d’inquiétude.
-T’inquiète, il doit pas être bien loin. Et Dana…

Svan effleura l’épaule dénudée de la Sith, plantant un regard sévère dans le sien.

-Ne va pas seule dans la forêt, ok ? Reste au camp.
-Il a raison, c’est dangereux, souffla Ruth non sans avoir enregistré le geste de tendresse.
-Ca va. Les règles sont simples, pas d’alcool, pas de forêt, répliqua-t-elle en reculant légèrement pour rompre le contact avec le brun.
-Mercy est où ?
-Je l’ai ramené à la roulotte, elle était fatiguée, elle est en sécurité.










Excentrée, Zoraida portait une œillade maternelle sur sa communauté. Elle n’avait rien ignoré du rapprochement de Svan et Dana, pas plus que la danse du Seigneur Sith avec une jeune femme du clan n’avait échappé à sa vigilance. Mais quelque chose la perturbait. Trop de forces convergeaient ce soir. Certains semblables à des ouragans en formation, prêtes à tout balayer. A ses côtés, son droïde bipa un commentaire crypté qu’elle déchiffra avec sagesse. Il lui faudrait être vigilante.







-Je m’occupe de chercher Liam, décida Svan. Ruth garde un œil sur Dana.

L’Inquisitrice observa l’humain s’éloigner, mitigée. En compagnie de Ruth, elle retourna près du feu avant de se figer. Un picotement désagréable avait paralysé ses muscles quand elle décrivit Lloyd Hope partager une danse avec une inconnue. Ruth n’était pas bien, mais pour des raisons tout autre. Son esprit était préoccupé par Liam.

-C’est qui ?
-Hein ?
-Elle, celle qui danse avec le Sith ? précisa-t-elle avec brusquerie.
-Ah ben…





Lloyd Hope
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- Nan, t’es trop jeune.
- Ça va, j’ai quinze ans !
- Voilà, c’est ce que je dis : beaucoup trop jeune. Trouve-toi quelqu’un d’autre.

Lloyd se releva en ignorant la salive de la gamine qui venait de s’écraser à ses pieds : elle venait de cracher pour faire savoir son mécontentement avant de tourner les talons. Il n’en avait rien à foutre. Toute son attention était obnubilée par ce qui se passait près du feu. Il se rapprocha avec d’autres et, croisant les bras sur la poitrine, observa une Dana enflammée se mettre à danser. Il attendit calmement que le Svan fît un geste. Il fallait qu’elle réagisse comme ça, comme la créature pleine de colère qu’elle était. A tout instant, elle le repousserait, ou le giflerait ou…

La danse se fit plus intense et Lloyd sentit ses jambes s’ankyloser. Il ne se passait rien de ce qu’il avait prévu. Dana gratifiait Svan de frottements sensuels, dévoilant des cuisses luisantes, son décolleté pressé contre le torse de l’homme, et Lloyd crut un instant qu’il ne pourrait plus respirer.

Il connaissait cette sensation. Il l’avait déjà vécue.

Comme la surface de l’océan s’éloigne alors que l’on croit voir le soleil et que l’air vient à manquer. Comme le transparacier qui se fissure au cours d’une bataille, dans une explosion magnifique d’étincelles de mille couleurs : la conscience aiguë de la beauté, l’horreur de constater qu’elle signifie la fin de toute chose.

Quand Dana colla son front contre celui de Svan que leurs visages se rapprochèrent et que leurs lèvres furent prêtes à se toucher, il détourna vivement le regard. Il ne voulait pas savoir. Elle faisait ce qu’elle voulait. Il avait cru qu’elle avait voulu l’allumer, lui. Mais non : Dana Shar allumait tout le monde. Comme sa maîtresse avant elle, elle l’avait croqué pour lui laisser le ventre vide. Darth Runà avait raison : il avait fait le choix de la malédiction. Tu as fait le mauvais choix, ce soir. Pourquoi avait-il envoyé ce foutu message ?

Entre lui et le lac, une jeune femme à la peau sombre passa en le regardant. Elle était fardée d’un maquillage étincelant et léger à la fois, fait d’un rose qui faisait un écho à une robe bleue marine, légère comme un voile, qui laissait entrevoir un corps élancé. Elle s’immobilisant en se rendant compte qu’il ne la quittait pas des yeux. Elle sourit, et le rose de ses lèvres pétilla entre ses mèches brunes.

Spoiler:

- Vous ne dansez pas ? lui demanda-t-elle.

Lloyd mit du temps à répondre. Il y avait ce poids dans son estomac, cette boule dans sa gorge, cette envie de slick, aussi. Une vague idée de code d’honneur lui revint en mémoire.

- C’est compliqué chez vous, de savoir qui j’ai le droit d’inviter à danser, répondit-il, et ses yeux de nouveau parcoururent le lac, parce qu’il entendait des cris et des rires, qu’il ne voulait pas voir la scène qui se jouait à quelques mètres.
- Moi, par exemple.

Elle sourit de nouveau, et il se rendit compte qu’elle attendait.

- Je suis pas un bon partenaire, je vous préviens. Pas vraiment l’habitude.

Mais il tendit quand même une main vers elle et elle l’accepta avec un sourire.

- Je vous guide, alors.

La jeune femme se rapprocha de Lloyd, attrapa l’autre main du hapien qu’elle plaça sur sa hanche, et se mit à se balancer en rythme en levant vers lui un regard provocateur. Ils n’étaient pas au centre de l’attention, mais en périphérie du groupe autour du feu. Quelques personnes autour d’eux néanmoins se mirent à les accompagner en tapant des mains avec enthousiasme.

- Kashiina, souffla-t-elle à son oreille.
- Pardon ?
- Vous ne me demandez pas mon nom, alors je vous le donne. Je vous guide aussi pour la conversation. Ça non plus, vous avez pas l’air d’avoir vraiment l’habitude.

Il ne répondit rien. Elle n’avait pas tout à fait tort. C’était surtout qu’il avait la tête ailleurs. Il essaya de se concentrer sur les pas de la jeune femme, l’accompagner dans ses mouvements. Elle émanait un parfum capiteux. Il se sentait raide.

- Lloyd, finit-il par répondre.
- Je sais, on parle déjà pas mal de vous, figurez-vous. Je vais tourner, je saute et vous me rattrapez ?

Il n’eut pas le temps de répondre. Kashiina s’écarta vivement de lui, elle pivota sur elle-même dans un mouvement élégant, et sa robe bleue marine virevolta sur ses hanches en dévoilant ses cuisses. Elle bascula vers Lloyd à la fin de son pivot comme si elle allait s’effondrer, mais le hapien la rattrapa pour accompagner une fausse chute, avant de la redresser. Elle se pendit à son cou avec un sourire.

- T’apprends vite, Lloyd. Tu as déjà fait ton choix ?
- Quel choix ?
- Ta femme de ménage : c’est fichu. Si c’est pas Svan, ce sera un autre. Elle va pas repartir. Ce serait mieux d’avoir une vraie épouse plutôt qu’une employée, non ?

Le hapien se raidit un peu.

- Svan sait pas encore à quoi il se frotte. D’ici le matin, vous allez tous me demander de la r’embarquer et fissa.

Kashiina laissa échapper un rire en se déhanchant près de son corps. Il n’arrivait pas vraiment à apprécier. Depuis quand les joyaux qu’il pouvait se permettre parce qu’il était hapien ne lui faisaient-ils plus aucun effet ? Longtemps, en réalité. Il n’avait pas réappris. Il jeta ces pensées à la corbeille. Il avait bu, il ne pensait pas clairement, voilà tout.

- T’es naïf, monsieur le Sith. C’est justement ça que veulent les femmes tempêtueuses : un homme à leur hauteur. Svan a un caractère de cochon comme elle, ils iraient bien ensemble. Et clairement, la partager avec Mumkin, en plus…

Lloyd leva un sourcil en regardant Kashiina. Il se demandait ce qu’elle entendait par là. Mais la musique se terminait et la jeune femme s’arracha à lui. Sa main, dont les ongles roses portaient des perles lumineuses, frôlèrent les doigts de Lloyd, et elle regarda les bandages qu’il portait.

- Réfléchis-y sérieusement, conclut-elle avec un battement de cils.

Et elle s’éclipsa. L’instant suivant, il était planté là, à regarder autour de lui. D’autres jeunes femmes le regardaient. Il aurait pu danser toute la nuit. Probablement même enfreindre le Code assez facilement, finalement. Mais il quitta la piste de danse pour rejoindre une table. Il s’y servit un verre et l’avala d’un trait.

- Roh la la, j’t’ai vu hein ! fit une voix goguenarde.

Lloyd se retourna. C’était Mumkin, bien sûr, dont l’œil brillait lui aussi d’alcool.

- Tu m’as vu ?
- Ouais, la Kashiina là, tu sais que d’habitude, elle rejette tout le monde. Même Svan le beau gosse.
- Ah. Elle veut sortir de Jabiim.
- Hein ?
- Elle veut se barrer, elle voit un ticket de sortie alors elle tente.

Mumkin haussa les épaules, visiblement pas très convaincu par son paranoïaque de patron. Mais il avait l’habitude.

- Dis donc, Dana elle se fond vachement dans le décor. Bon, paraît qu’elle a bu un peu.

Le hapien consentit à la chercher du regard de nouveau, non sans un grognement d’assentiment à l’égard de Mumkin. Il la trouva avec une autre humaine et croisa son regard. Il crut y déceler la même haine, ou le même dégoût que quand elle l’avait traité d’alcoolique. Alors de loin, il leva son verre en guise de salut moqueur, et il vida de nouveau son verre, rien que pour la narguer. Mumkin le gratifia d’une bourrade désagréable dans les côtes.

- Hé, vas-y mollo, j’te rappelle qu’on a un truc à faire cette nuit.
- Ah oui, à ce sujet, fit Lloyd en se tournant vers le dévaronien. Je les tabasse ou je les bute ?
- Chuuuut, s’exclama Mumkin, scandalisé. Pas si fort, t’es cinglé.

Mais le hapien haussa les épaules et tituba. Le dévaronien soupira. Son patron était pas sortable.

- Et puis on les amoche un peu, pas plus, hein. Si t’en tues un, y’a tout le clan qui va nous attaquer et ça va être un carnage. S’agit juste de leur donner une bonne leçon.
- Bon, bon, d’accord, ben j’faisais bien de poser la question. Il est où le Svan ?
- Hein ? Il est parti chercher son frère dans la forêt, apparemment le gosse s’est enfui.
- Ah ?

Lloyd reposa son verre vide sur la table d’un geste brusque.

- J’vais aller l’aider, alors.
- Lloyd ?
- Quoi ?
- T’es sûr que ça va ?
- Mais par-fai-te-ment.

Le hapien enfonça ses mains dans ses poches et se mit à marcher vers la forêt. La pluie glissait sur sa nuque, rafraîchissait son corps échauffé par un mélange d’alcool, de souvenir, de frustration. L’obscurité l’engloutit.

--------

--------

--------- Dana ! Dana !

Mumkin avait dévalé la plage en se dandinant, embarrassé. Il arriva devant la Sith avec des yeux ronds et nerveux.

- Tu veux pas v’nir m’aider ? Lloyd est parti dans la forêt. Soi-disant chercher Svan et Liam. Mais bon c’est pas vrai. J’sais bien quand il dit des conneries.

Il baissa la voix pour que Ruth, qui parlait à quelqu’un d’autre, préoccupée, ne l’entendît pas.

- Normalement j’ai quelque chose pour ces situations-là, mais là, j’l’ai pu, et c’est quand même un Sith… Toi tu pourras p’t-être faire quelque chose, essaya-t-il d’expliquer confusément. Faut l’ramener avant qu’il foute la merde. S’teuh-plait-s’teuh-plait-s’teuh-plait.
Darth Hope
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Chez les Serpents, il était mal vu qu’une femme boive en public. On avat drapé la gente féminine d’un voile sacré et inviolable. Une femme était une mère, une sœur, une fille, une cousine et elles étaient innocentes. Pas d’alcool, donc. Du moins, pas en public. Mais avec les époques, les émancipations timides, les femmes avaient appris à ruser. A chaque festivité, elles buvaient un mélange de jus de fruits acides avec une forte dose de sucre, dont leurs hommes ne voulaient pas. Avec le temps, une bonne louche de liqueur avait remplacé le sucre et c’était ainsi qu’elles goûtaient au réconfort de l’alcool, avec élégance, avec secret, les lèvres brillantes. Ce ponch, Dana en avait déjà dégusté cinq verres. Et un sixième venait de compléter la collection quand Lloyd Hope la nargua.

-Sale con.
-Bon Dana, ça suffit les jus de fruits maintenant, sourit Ruth un peu embêtée, en éloignant les verres de sa protégée.

Elles s’étaient installées à une table exclusivement féminine, où d’autres étaient venues chercher un peu de tranquillité, à l’écart des danses enfiévrées, des invitations insistantes. Les plus timides sirotaient un demi-verre, les yeux pétillants de curiosité qui se posaient ci ou là, attrapant au passage le regard d’un prétendant, quand elles n’étaient pas acquises au hapien qui était venu mettre un peu d’exotisme dans leur vie.

-C’est un mariage et y’a pas de mariés, grogna Shar, excédée, dont les veines étaient échauffées par les effets de l'alcool.
-En fait, le mariage dure plusieurs jours. Les trois premiers jours marquent la séparation. Les mariés sont séparés, chacun à l’écart de l’autre et des festivités. C’est pour éprouver le manque. Mh…

Elle parut pensive avant de lâcher avec un sourire taquin qui cacha mal ses airs préoccupés.

-Et crois-moi, le manque c’est terrible. J’ai eu ça avec Kalon, trois jours de merde.

Ruth fut ensuite accaparée par une jeune adolescente qui venait lui donner des nouvelles de Liam. Tendant vaguement l’oreille, Dana comprit qu’il n’y avait toujours aucun trace du garçon et que son hôtesse se torturait à savoir si elle devait prévenir son mari, le père du disparu. Mais la rumeur avait déjà vagabondé dans le clan, chez quelques âmes plus attentives que les autres.

-Dana ! Dana ! surgit la voix familière de Mumkin.

Hop, il était temps pour un septième verre de ponch. C’était mieux si on voulait supporter le laïus alarmiste du dévaronien. Sans gêne, il avait pris place à côté d’elle, sous le regard curieux et outré à la fois des autres femmes. Mais dans l’urgence, il n’avait plus trop le sens de la bienséance. Il s’était penché vers elle pour parler et il agitait nerveusement son genou sous la table, catastrophé.

-…S’teuh-plait-s’teuh-plait-s’teuh-plait.
-Non.
-Non ?! s’étrangla-t-il de désarroi.
-Tu vois pas que je m’amuse là, je bois du jus de fruits.
-Attends, ce que j’te dis c’est grave là. Tu boiras plus tard, nan ?
-De toute façon, j’peux pas.
-Hein ?
-Pas d’alcool, pas de forêt. J’respecte les règles à la con de ta petite famille.

Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous ce soir, les Siths à parler si fort ?!

-Shhh, pas si fort !
-Donc si Lloyd est parti dans la forêt et ben, c’est vraiment trop con, comme lui. Va demander à Kashiina de l’aider. Je suis sûre qu’elle va se porter volontaire presto avec son petit regard de catin.
-Quoi ?! Mais…

Il marqua une pause avant de plisser les yeux.

-Attends, t’es jalouse ?

Elle poussa un soupir et lui tourna le dos, agacée. Il insista, se pencha vers elle. Elle put sentir son souffle tiède échouer non loin de son épaule, tandis qu’il renchérissait.

-J’vais lui dire. A Lloyd. Sauf si…ben tu viens dans la forêt. Allez quoi, il est déjà parti depuis longtemps maintenant ! Si…s’il fait de la merde..
-Ben il assumera, répliqua-t-elle, je suis QUE la femme de ménage, j’ai rien à voir avec ces histoires de Siths, j’te signale.
-Rho, sérieux ?! Il va déraper, ça va être un carnage. S’teup’ !

Il y avait quelque chose de bien excédant chez Mumkin.

Son insistance, qui fut un prétexte parfait pour qu’elle se jette finalement au « secours » de Hope.









Le rouge était une couleur qui attirait le regard. Tout le monde aurait vu Dana drapée de sa robe carmin filer vers la forêt qui bordait la plage et le camp à quelques centaines de mètres à l’Est de leur position. Mais elle longeait également une partie du lac dont l’eau était fraîche. Dès que Dana y glissa les pieds, son derme chaud se hérissa d’une chaire de poule intense. Le contraste avec la température ambiante était élevé, malgré la bruine et l’humidité qui n’avaient fait, finalement, qu’accentuer la sensation oppressante de chaleur. Mumkin se jeta à l’eau comme un possédé. Les rires, les chants, les danses, étaient loin derrière eux et la lune pleine couverte de nuages pluvieux. Ils étaient dans l’ombre la plus totale et Shar s’émergea jusqu’à la taille, retenant son souffle. La jupe écarlate flotta autour de ses hanches, à la surface de l’eau et elle prit son son courage à deux mains pour plonger.

C’était une bonne nageuse. Les piscines de Ch’Hodos, qu’elle avait côtoyé dès l’enfance, furent instructrices. L’un des plus vieux esclaves de son père lui avait enseigné à nager. Mumkin, c’était autre chose. Il se maintenait pauvrement à la surface, brassant de ses bras courts, avançant comme il le pouvait vers la berge forestière. L’eau noire du lac glissa une dernière fois contre les courbes de Dana alors qu’elle donnait une impulsion pour atteindre le rivage où se dressait les arbres menaçants dont les cimes engloutissaient le ciel nocturne. Les clameurs des festivités s’étaient définitivement tues. Ils étaient peut-être allés un peu trop loin, mais c’était le seul gage de discrétion. Elle ignora la main tendue du dévaronien et se hissa à terre à la seule force de ses bras. Sa chevelure trempée était plaquée en arrière, découvrant l’entièreté de son front sur lequel demeurait une cicatrice que le kolto n’avait pas totalement réussi à refermer. Un rayon lunaire perça finalement la couche nuageuse pour les frapper d’une lumière tremblante. Mumkin ne sut regarder ailleurs quand la lueur opaline dévoila la robe humide de la Sith, collée à ses courbes comme une seconde peau et dont le tissu trop léger avait cédé place à une transparence aux teintes vermeilles.

-Qu’est-ce que tu mates ? fit-elle rudement, en essorant une partie de ses cheveux.
-Ben, j’sais pas, tout quoi.
-La ferme et avance.

Elle regarda autour d’eux. Le terme jungle était plus approprié pour décrire la végétation dense et sombre qui avait poussé en ces terres. Ses pieds nus battaient la terre meuble, boueuse par endroit, presque marécageuse. La Force était partout et si elle avait pu luire, l’écorce, les feuilles, les branches, les lianes, seraient recouvertes de sa marque. Elle avait l’impression que toutes ces plantes prenaient racines dans le Côté Obscur. Puis les bruits alourdissaient une atmosphère déjà oppressante. Les croassements des batraciens dont les ombres étaient immenses lui suggéraient qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Et la nature toute entière, majestueuse, l’incitait à communier, à s’oublier entre ces branchages toxiques, pour se laisser dévorer. Elle avait peur que cet engourdissement soit l’effet de quelques plantes qui dégageraient des spores envenimées.

-Mumkin ?
-Dana ?

Ils avaient parlé en même temps. Parce qu’ils avaient la même sensation d’ankylose et qu’ils avaient eu besoin de briser par la voix.

-Ca fout les jetons cet endroit. LLOYD ?! LLOYD ?! T’ES LA ?

Elle s’apprêtait à le sermonner et à lui rappeler la définition du mot discrétion ; une notion si importante en territoire hostile, mais un mouvement dans les fourrées attira immédiatement son attention. Elle déploya la Force, se heurta à plusieurs présences, tapies dans les ombres de la flore.

-LLOYD ? C’est toi ?

Dana eut un soubresaut et se dépêcha de pousser Mumkin, dans un réflexe mécanique quand une masse surgit pour la percuter de plein fouet. Son dos nu heurta violemment le sol et elle étouffa un cri de douleur. Plus loin, le dévaronien glapit sa terreur alors que d’autres figures inquiétantes avaient fait leur apparition. Au-dessus d’elle, un loup énorme avait absorbé le peu de pénombre. Elle ne voyait plus que ses babines retroussées, aux crocs entremêlés et acérés. La bête avait ancré ses pattes au sol, de part et d’autre du visage de l’humain et il la surplombait. Elle décrivait, les yeux écarquillés, son pelage argenté avant de croiser les prunelles azurées de la créature. Et la Force vint à elle, comme une lutte désespérée pour survivre. Elle vint à elle si fort qu’elle crut déchiffrer ce qui se terrait derrière ces iris de prédateur. Au-delà de toute cette monstruosité, elle percuta une âme, un esprit. Non, il y avait autre chose.

-ARGH !
-Mumkin ! s’exclama-t-elle, rattrapée par l’urgence de la situation.

Si le cornu crevait, Hope lui en voudrai sûrement un bon bout de temps. Elle détourna la figure et essaya de tendre le bras pour invoquer ses dons quand l’animal se dégagea d’elle et poussa un grognement vers ses pairs qui s’étaient apprêtés à dévorer Mumkin.

Et une seconde plus tard, il n’eût plus que les croassements sinistres et les rumeurs sombres de la jungle. Shar se releva péniblement et chancela vers le dévaronien pour l’aider à se relever.

-Debout, l’alien ! ordonna-t-elle.
-Putain, ils allaient me bouffer, t’as vu ces trucs ? C’était pas normal ! Putain de forêt hantée !
-Oui j’ai vu ! J’ai vu ! C’est bon maintenant, ils sont partis, ok ? Faut croire que t’avais pas assez de gras sur les os, on continue maintenant.



Un fil rouge dans la Force était tendu. Elle se concentrait dessus alors qu’ils progressaient. Le bas de sa jupe était maculé de boue, tout comme sa joue et une partie de ses cheveux. Ses pensées étaient dirigées sur ce fil incarnat qu’elle avait attribué à l’aura de Lloyd. Elle attendait que la corde frémisse, lui indiquant qu’il serait proche. Où es-tu Lloyd ?

-SVAN ?! LLOYD ?! EH VOUS ETES OU ? Tain, ça sert à rien, cette forêt est immense. J’suis sûr qu’on est déjà passé par là !
-La ferme, j’ai du mal à me concentrer.
-Pardon, pardon, j’savais pas que tu faisais des trucs de Sith là.
-Je vais finir par t’arracher ta sale petite langue d’alien. Je l’offrirai à mon Maître, elle sera ravie.

Mumkin déglutit, pas certain qu’elle plaisantait. Il finit par se taire.

Le fil trembla et elle eut un sursaut d’acuité.

-Par là !

Elle accéléra le pas, repoussait la végétation dense, le dévaronien sur les talons. Une branche couverte d’épines lui érafla la pommette, traçant un sillon de sang vif et profond, mais elle ignora la douleur. Elle espérait qu’il n’était pas trop tard. Le duo émergea dans une clairière où les silhouettes de Lloyd et Svan étaient présentes. Le brun détourna vivement son attention vers eux, et une contrariété assombrit immédiatement son regard en voyant Dana. Il lui avait dit de rester au camp.


Lloyd Hope
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Lloyd s’était enfoncé longuement dans la forêt en marmonnant entre ses dents serrées. Il ne savait pas où il allait ; il s’en fichait pas mal. S’il tombait sur le clan rival, il leur pèterait la gueule. S’il tombait sur un animal sauvage, il lui pèterait la gueule. S’il avait le putain de plaisir de tomber sur ce putain de Svan, il lui pèterait sa putain de gueule.

Et puis s’il tombait sur un gosse, il le ramènerait, et tout le monde serait content, et tout le monde le remercierait, on lui offrirait de l’alcool et des femmes pour lui rendre grâce, et il prendrait tout ça rien que pour faire chier cette foutue Inquisitrice.

L’alcool aidant, il se perdit rapidement, ce qui lui convenait parfaitement. Il avait suivi un sentier, qui s’était étréci jusqu’à devenir une trace difficile à suivre, puis qui avait disparu complètement. Il traversait des ronces qui griffait son pantalon. Il avait abîmé la chemise qu’on lui avait prêtée. Tant pis, il la paierait. Après tout, il était riche apparemment, il se payait même une femme de ménage.

Il se mit à rire tout seul, à voix haute, de sa propre connerie. Son rire s’éteignit tristement.

- Mais qu’est-ce que t’es con. Le pire con.

Les échos de la musique s’étaient tout à fait éteints. Cela lui sembla plus supportable : pas de musique, pas de Dana qui danse. Pas de Svan qui trace des sillons sur la peau de Dana. Il l’avait vu toucher ses reins. Et serrer sa taille. Et coller son front contre le sien. Et probablement qu’il avait senti son parfum, probablement qu’il avait bandé quand elle avait inséré sa cuisse entre les siennes, probablement qu’il n’avait même pas été capable de se rendre compte de la pierre précieuse qu’il avait entre les doigts, d’apprécier correctement la douceur de sa peau. Et le pire, c’était que c’était lui, lui ce pauvre con de Lloyd, qui l’avait amenée là.

Crac.

L’instinct de survie du hapien reprit le dessus instantanément, l’adrénaline chassant les délires de l’alcool. Lloyd s’immobilisa, jeta la Force autour de lui dans une recherche désordonnée. Il capta la présence d’animaux tapis dans l’ombre et sa main se porta à sa ceinture. Pas de sabre laser, pas de blaster. Il n’avait qu’un couteau, à la lame repliée dans sa poche, qu’on lui avait laissé depuis la roulotte. Il ferait avec et sortit la lame, ajustant ses doigts pour assurer d’avoir une bonne prise, au cas où il devrait s’en servir rapidement.

Soudain, il y eut un bref cri. Humanoïde.

Lloyd s’orienta vers le son et courut dans cette direction, à la hâte. Il essaya d’être discret, mais il connaissait mal son environnement et ne cessait d’émettre des bruits par maladresse. Il se maudit intérieurement. Le sang battait à ses tempes quand il parvient à une clairière. Il distingua une silhouette.

- Liam ! Liam, reviens !

Svan.

- Tiens, tiens, fit le hapien en émergeant entre les branchages.

Le stress retombait doucement, ses ruminations antérieures lui revenaient en tête. Elles n’avaient plus la même saveur, surtout que Svan leva vers lui un bâton lumineux qui lui permit de voir la face de l’homme : l’humain avait les yeux écarquillés.

- … Lloyd ! C’est vous ? Vous m’avez fait peur.

T’as bien raison d’avoir peur. Le hapien s’avança encore.

- C’est sympa de venir m’aider. Svan pointa un doigt devant lui. J’l’avais trouvé, ce con de gosse, mais il s’est enfui là-dedans.

Lloyd suivit la direction indiquée du regard. La lueur bleue de la lampe apportée par Svan permettait de deviner les contours d’une trappe à demi recouverte par une grosse pierre. Un petit trou, où un enfant aurait en effet pu se faufiler, laissait entrevoir des marches qui s’enfonçaient sous terre.

- Il est con, ce gosse, répéta Svan, visiblement angoissé par la situation. C’t’une cachette et à rester là, on risque d’attirer ces Chiens de Saphir et leur révéler notre planque !
- Une cachette pour quoi ? demanda Lloyd en s’accroupissant près de l’ouverture.

Il essaya de projeter la Force mais cessa aussitôt : elle y était fortement présente sous leurs pieds, obscure, épaisse comme un marécage invisible.

- Peu importe, fit Svan, nerveux. Ce gosse est fou, il a dit qu’il avait entendu la voix de sa mère qui venait d’en bas. C’qui est pas possible, bien sûr. Il est aussi cinglé qu’elle, voilà tout.

Le hapien tourna vers l’humain son visage sceptique.

- Ben c’était la tienne de mère, aussi, si j’ai bien compris, nan ? C’est p’t-être pas fou fou qu’il la cherche ?

Svan fronça les sourcils, agacé.

- Et alors ? Ça n’empêche pas qu’elle était folle, elle s’est pendue justement par ici. C’est Kinuux qu’a trouvé le corps, on l’a juste pas dit à Liam et aux autres. C’était une lâche. Quelle mère abandonnerait ses enfants comme ça ? Y’aurait qu’une salope pour…

L’humain s’interrompit avec un hoquet de douleur. Lloyd venait de se redresser brusquement et de lui asséner une claque sèche. Puis le hapien tituba, incertain. Svan se dit que le type était rond et porta à sa joue une main fébrile.

- Putain mais t’es con ou quoi !!
- ‘Parait, ouais.

Un Lloyd ivre ne voyait pas bien venir les coups, il encaissa un coup de poing mais réussit attraper le poignet de Svan quand il en envoya un deuxième. Il faillit décider d’envoyer son front contre son nez – Svan avait l’air de bien aimer les fronts – mais se ravisa au dernier moment. C’était pas sérieux, ce qu’il était en train de faire. Il repoussa Svan qui faillit trébucher en reculant, mais qui finalement avait lui aussi décidé de se maîtriser. Ou bien il n’osait pas répliquer davantage que cela. Il avait affaire à un Sith, après tout.

- T’es pas tranquille, toi, se contenta-t-il de grincer.
- Pas trop, non, grogna Lloyd en se massant la mâchoire.
- Et t’es v’nu pour m’aider à chercher Liam ou pour m’en coller une comme ça sortie de nulle part ?
- Un peu des deux, sûrement.

Mais Lloyd paraissait calme de nouveau. Il passa ses mains bandées sur son visage, essayant de chasser l’alcool, la frustration. Il y eut du mouvement dans les fourrés, et les deux hommes se tournèrent pour scruter la lisière de la clairière.
Dana et Mumkin apparurent, sous les yeux éberlués des deux hommes.

- Mumkin. Dana ?! Qu’est-ce que tu fous Mum, pourquoi tu l’as amenée ici ?!
- Ah ben j’allais l’dire.

Le dévaronien s’avança de quelques pas et parut soulagé. Il courut vers Lloyd, qui le fusilla du regard.

- Putain tu m’as foutu les j’tons !
- Je. T’ai. Dit. Que. Ça. Allait.
- Tu lui as rien fait, au moins ?
- Oh, juste une petite claque. Ça va, il va s’en r’mettre.
- Lloyd ! T'avais promis.

Svan jeta au hapien un regard de défi. Ce dernier regarda Dana de pied en cap. Elle était trempée. Svan se jeta presque sur elle et il dut serrer les dents pour éviter de lui en coller une deuxième, à ce petit con.

- Dana ! T’es trempée, tu vas attraper froid, tiens attends.

Svan entoura la Sith de ses bras pour lui frictionner les épaules et Mumkin grimaça avant de s’intéresser de nouveau à son patron.

- Viens Lloyd, on rentre, hein ? Goshgosh a tout c’qu’il faut pour t… Lloyd, qu’est-ce que tu fais ?

Le hapien était désormais à quatre pattes, en train de pousser la pierre qui dissimulait les escaliers, afin de se frayer un chemin. Il dut s’aider de la Force, parce que Svan n’avait pas réussi à la pousser tout seul un peu plus tôt, mais bientôt la pierre racla contre le sol tandis que Lloyd se mettait de la boue partout en grognant pour repousser le socle. Mumkin, un sourire gêné aux lèvres, se tourna vers Dana et Svan en écartant les mains et haussant les épaules, l’air de dire « désolé il est pas sortable mais ne vous en faites pas je gère ». Ou quelque chose comme ça. Mais le grand frère de Liam déjà apportait son tube luminescent pour éclairer l’escalier. On n’y voyait guère très loin : les marches de pierre étaient grossièrement taillées, anciennes, et de la mousse humide les rendaient glissantes. Lloyd faillit d’ailleurs se vautrer en les descendant. Il arracha le tube lumineux des mains de Svan pour éclairer plus bas. Les marches continuaient. De grosses toiles d’araignées étaient tendues.

- Bon, ben j’vais descendre.
- J’y vais aussi !
- Nan, j’y vais tout seul.
- Oh que si, j’vais venir.
- Nan, j’y vais. Tout. Seul.
- Hé ! Pourquoi pas ?
- Parce que c’est pas très lumineux, fit Lloyd, et il fut bien obligé de lever le nez vers Dana pour qu’elle comprît de quoi il voulait parler. C’est pas lumineux du tout en bas et c’est mieux que j’y aille du coup.

Il ne savait pas si Dana avait compris, mais Mumkin, pour une fois, eut l’air de percuter.

- Bon, si Lloyd dit qu’il faut pas y aller, il faut pas, fit le dévaronien. Svan, tu restes avec moi. Dana ?
- Ah nan, pas Dana, rétorqua l’humain. Elle descend pas toute seule avec ce dingue.
- On s’en tape du Code d’Honneur là non ? Faut retrouver Liam !
- J’AI DIT J’Y VAIS TOUT SEUL FOUTEZ MOI LA PAIX BORDEL DE MERDE.

Mumkin et Svan reculèrent. Lloyd les menaça une dernière fois du regard avant de descendre. On entendit ses pas quelques secondes, puis plus rien.
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Svan à la joue encore rougie fit de gros yeux vers Dana. Il la mettait au défi de descendre à son tour. L’ambiance était tendue, pleine d’inquiétude et d’angoisse. Mumkin n’arrêtait pas d’émettre des gémissements de contrariété et ses onomatopées se mêlaient aux sonorités de la faune locale. Vraiment, l’atmosphère était charmante.

-N’y va pas.
-Je vais ramener Liam.
-T’es pas obligée de faire ça, j’peux y aller.
-C’est dangereux, décréta-t-elle en se remémorant les paroles de Lloyd. Mieux vaut que Mumkin et toi retourniez au camp. Je vais ramener les deux gamins qui se sont perdus ce soir.

Et elle incluait Lloyd Hope dedans, parce que son comportement incompréhensible lui donnait l’impression d’avoir à gérer un enfant.

- Ah ouais et qu’est-ce qu’une femme de ménage comme toi peut y faire au danger ?
-Je suis PAS une putain de femme de ménage ! cracha-t-elle avec une autorité qui surprit Svan.
-Nan mais elle a juste un peu bu, ça sert à rien de t’énerver Dana.
-La ferme. Ramasse tes cornes et rentre avec Svan, on rejoindra la fête plus tard, Lloyd et moi.

Elle s’abaissa à la hâte et glissa dans l’ouverture avec souplesse, sitôt qu’elle eût atteint les premières marches de l’escaliers antique, elle usa de télékinésie pour que la lourde pierre rebouche en partie l’entrée et que l’humain ne puisse la suivre dans un geste héroïque. La pénombre était dense, le taux d’humidité éprouvant, mais un léger courant d’air charriait une odeur de putréfaction rance qui l’obligea à froncer du nez. Elle appela le nom de Lloyd plusieurs fois, du bout des lèvres et son murmure se répercuta bientôt sur un plafond voûté dont l’ouvrage ancien indiquait que la construction était plus complexe qu’aux premiers abords. Parfois, des lianes noires, suintantes d’une sève putride, se frayait un chemin entre le mortier qui liait les vieilles pierres. L’odeur semblait venir de là. Le Sith devait avoir une légère avance sur elle ce qui l’obligea à hâter le pas.

Dana aurait aimé ne pas avoir ses sens engourdis par les effets pernicieux de l’alcool. Elle aurait souhaité être en pleine possession de ses capacités, mais il faudrait faire sans. Le combat de Khar Delba n’avait pas encore complètement disparu et son corps s’indignait à l’idée d’une nouvelle confrontation dans un lieu si clos, si sombre. La seule source de lumière provenait de ses filaments végétaux qui s’insinuaient partout et réverbéraient une lumière ocre et phosphorescente. Après les interminables escaliers, une galerie commençait et elle s’y engouffra en marmonnant des insanités. Qu’est-ce qui leur avaient pris à Lloyd et à Liam de s’engouffrer dans un lieu si sinistre. Tout en elle était aux aboies. La Force se manifestait ici, comme dans la jungle, à l’image d’une épaisse fumée de pois ténébreuse. Une influence Sith avait exercé ici, ou exerçait toujours, car la même sensation la saisissait. La même sensation que celle qui avait étreint sa poitrine dans le caveau du Seigneur Dresh, sur Korriban. Mais elle était plus forte aujourd’hui, moins insouciante.

-Liam…Lloyd ? souffla-t-elle de nouveau.

Le silence laissa place aux battements effrénés de son cœur qui ne supportait plus l’inquiétude, le désarroi, la colère, la désorientation. Elle se mit à en vouloir à Hope de manière plus forte, plus intense. C’était son unique faute si elle se retrouvait encore dans le pétrin. Il lui avait envoyé ce message. Oh, elle aurait pu ne pas grimper bien sûr mais…elle s’était revue contre lui, aussi affamée qu’une lionne esseulée. Ch’Hodos avait-il été un prétexte ? Elle refusa de penser à cette éventualité. C’était impossible. Ch’Hodos passait avant tout le reste. Et le courant d’air, tiède, glaçait sa peau encore humide, soufflant dans sa chair les prémices d’une légère fièvre.






Le couloir déboucha sur une antichambre où elle retrouva enfin le Capitaine. Il s’était retourné vers elle, parce qu’elle n’avait pas été discrète et qu’on pouvait l’entendre respirer à des kilomètres à la ronde tant elle était essoufflée par la colère. La boue avait séché sur sa joue, comme le sang de son entaille. Seuls brillaient les billes d’or qui faisaient vibrer son regard.

-Qu’est-ce qui t’a pris d’entrer là ?! lança-t-elle. T’es vraiment con ! Cette jungle de merde est bourrée de plantes hallucinogènes ! Ca se trouve, le gamin est jamais entré là-dedans ! Et puis tu sais très bien ce qu’il y a ici ! Tu sais le bien PUTAIN ! J’ai suivi Mumkin pour toi ! Parce que je pensais que t’étais en danger, que t’allais faire une connerie ! Et toi t’es juste un pauvre con !

Sa voix s’était emportée, comme son cœur qui menaçait de bondir hors de sa poitrine. L’inquiétude était devenue égale au soulagement de le voir en vie. Trois pas enragés plus tard, et elle lui faisait face, dardant sur lui une œillade envenimée.

-T’étais pas obligé de le frapper non plus ! C’est l’alcool c’est ça ?! Y’a une fois dans ta vie où tu te mets pas de race ?! Regarde où ça nous a mené que tu sois bourré sur l’Egide !

Elle ne se serait pas privée de lui rappeler son petit numéro dans la cabine d’Aarian, alors qu’elle agonisait sur ce lit et qu’il n’avait eu que son souffle chargé d’alcool comme vœu de rétablissement. Elle le détestait tant. Elle n’avait pas besoin de pitié, mais elle se sentait honteuse d’avoir pensé qu’elle pourrait toujours compter sur l’équipe qu’ils avaient formé par le passé.

-Et tu recommences ? Prends ton foutu pilote, ta foutue catin de Kashiina, dégagez de là ! Je me débrouillerai toute seule !

Ses mots volaient en l’air comme des lames, percutaient le plafond vouté, les murs gravés d’inscriptions anciennes et se faufilaient dans les deux autres galeries qui se poursuivaient au-delà de la salle où ils se toisaient. Elle se rendit compte qu’à sa verve, elle avait rajouté les gestes et s’était rapprochée plus que de raison. Elle s’en rendit compte alors que sa voix était morte sur une dernière note de haine et qu’un silence pesant s’était installé. Et sentir le parfum de Lloyd, son souffle à proximité, manqua de la rendre folle. Elle porta les paumes à sa propre figure et les remonta dans sa chevelure de jais, encore alourdie par l’eau du lac. Elle se prit la tête entre les mains et recula de quelques pas, pour retrouver un peu d’air, un peu de raison.

Quelques perles chutèrent de ses cheveux et rebondirent contre le dallage de marbre sombre, dans un fracas timide. Elle était fatiguée. Et elle avait bousillé la tenue que Ruth, la si gentille Ruth, lui avait confié. Elle ne savait plus quoi dire, plus quoi faire. Elle était perdue et l’alcool qui perturbait son métabolisme l’enfonçait dans une léthargie dangereuse. Dana prit une grande inspiration et elle se sentit nauséeuse, elle avait besoin de vomir encore. Vomir sa colère qu’elle regretterait de ne pas avoir ravaler.

-T’aurais jamais dû me laisser monter à bord du Sans-Visage. Et…t’aurais jamais dû me choisir ce soir-là… T’aurais dû refuser…t’aurais dû refuser…

Elle manquait d’air. Le traumatisme du tombeau de Dresh s’insinuait comme un poison en elle. Elle avait l’impression que les murs en ruines se mouvaient, animés par une vie propre, qu’ils venaient pour la prendre en étau et l’écraser. Et elle aurait voulu se réfugier contre une paroi, mais elles étaient infestées de cette végétation rampante.


Lloyd Hope
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La voix de Dana s’était répercutée dans la galerie et Lloyd se tenait là, debout, le tube fluorescent levé entre eux deux. Au début, il s’était demandé si ce n’était pas la présence obscure qui le faisait halluciner, mais il sentait l’aura de l’Inquisitrice dans la Force et cette robe humide qui moulait son corps était bien trop réaliste pour que ce fût un simple délire de son esprit.

Et puis ces reproches, ce ne pouvait être que Dana.

Etrangement, il reçut calmement ces invectives. C’était mieux que quand elle trouvait juste « cool » qu’il soit vivant. Cette longue marche sous terre lui avait laissé le temps de réfléchir. Ou plutôt, d’essayer de retrouver un fil de réflexion raisonnable et pas seulement guidé par son ressentiment. La température assez froide de la galerie avait fait redescendre son propre bouillonnement, et il essayait de garder cet état pour faire face aux accusations de Dana.

- T’aurais dû refuser… t’aurais dû refuser…

Le hapien déglutit en la regardant toujours de son air livide. Dana n’avait pas l’air bien. Il s’imagina un instant la prendre dans ses bras pour la calmer, mais il se doutait qu’il allait se faire traiter de con et de pervers.

- Je sais, je sais, murmura-t-il. J’suis désolé.

Il ne savait pas quoi dire. Rien ne sonnerait bien. Il était inutile de nier que son choix avait été influencé par son désir. Mais il ne pouvait le dire non plus ; cela reviendrait à lui faire croire qu’il avait profité d’elle.
Il se rendait compte, désormais, à quel point il avait fait le mauvais choix : lui qui avait cru sauver Dana avait en fait brisé leur équipe. Si Dana avait subi Kedrod, et si lui avait subi Runà une deuxième fois, ils auraient pu reprendre. Blessés mais déterminés, à égalité. L’Inquisitrice aurait peut-être même pu se venger de Kedrod comme elle s’était vengée de Raidun. Ainsi sa propre présence n’aurait pas été une blessure pour Dana mais aujourd’hui, elle l’était. Il s’était trompé. Ce n’était pas une faible créature, elle n’avait jamais eu besoin de son aide.

- J’suis désolé, répéta-t-il d’une voix piteuse, incapable d’expliquer autrement.

Il fit un pas prudent vers elle, puis un autre. Il avait senti l’odeur de l’alcool quand elle était venue si près de lui. Maintenant, elle se tenait la tête entre les mains, à jeter des coups d’œil affolés autour d’elle, et il devinait qu’elle voulait être partout au monde sauf ici. Avec lui. Tant pis.

- Je sais où on est. On n’en a pas pour longtemps. On trouve le gamin et on s’en va.

Il s’approcha d’elle de nouveau, Dana ne recula pas. Il leva une main vers ses cheveux, saisit délicatement les doigts de Dana qui s’y étaient mêlés, et d’autres perles tombèrent en tintant sur le sol. Lloyd déglutit.

- C’est juste un gosse paumé.

Sa voix était rauque. Mais il fallait bien avancer. Il fallait rentrer. Ramener le gamin, Dana, le frère, Mumkin. On le laisserait peut-être enfin tranquille, après ça. Leurs mains redescendirent le long de leur corps, et comme elle n’avait pas arraché ses doigts de son emprise, il referma sa main sur la sienne.

- C’est juste un gosse paumé, répéta-t-il. Sa mère s’est suicidée, alors il se demande si c’est pas mieux qu’il disparaisse puisque tout le monde l’engueule. Pourtant, il voudrait sûrement bien faire. Mais c’est compliqué quand on peut pas dormir parce qu’on se sent coupable, qu’on pense aux gens étranglés dans la nuit alors que tout le monde dort sur ses deux oreilles comme si de rien n’était. Il veut probablement juste un peu…

Lloyd se mordit la lèvre, déglutit.

- Juste qu’on s’occupe un peu de lui, sûrement. Il va revenir au camp et être sage, tu vas voir.

Voilà, c’était aussi simple que ça. Il y avait certes une présence obscure. S’il n’était pas trop tard, ils allaient trouver Liam, et remonter. Et après ça, il arrêterait les conneries. Il avait déjà été beaucoup trop loin. Dana méritait bien de trouver de la tendresse dans les bras de Svan, si elle le voulait. C’était injuste, mais c’était ainsi : il ne pouvait pas la posséder. Il fallait en tout cas s’en convaincre.
Il baissa les yeux.

- Tu viens ?

Le hapien se détourna de la jeune femme et tira doucement sur sa main pour qu’elle le suivît. La galerie s’étirait encore devant eux, mais à la lueur du tube fluorescent, on devinait que le couloir s’étrécissait de plus en plus. Lloyd resta silencieux un moment. Ses doigts tenaient Dana fermement, plus chauds que la main froide de l’Inquisitrice.
Au bout d’un moment, il s’arrêta et se retourna pour lui faire face. Le couloir était devenu étroit, si bien qu’ils devaient se serrer un peu pour éviter de toucher la mousse fluorescente sur les parois. Il chercha ses yeux du regard. L’étendue dorée était toujours là.

- Quand on remontera, j’te laisserai tranquille, promis. J’dirai à Mumkin de plus t’embêter non plus. On leur dira qu’t’es une Sith toi aussi, que tu nous payes pour le voyage, et que le coup de la femme de ménage c’était une mauvaise blague et voilà. Et après ça, t'auras plus jamais besoin de repenser au mauvais choix que j'ai fait.

Enfin, il essaierait de tenir cette promesse. Et pour l’instant, ils n'étaient pas remontés. Il lui serra brièvement la main. Il songea que c'était peut-être la dernière fois qu'il sentait la douceur de sa peau sous ses doigts abîmés par sa vie de pauvre con.
Darth Hope
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Il était désolé.
Il voulait retrouver Liam.

Et il avait coulé ses doigts entre les siens.
Et elle avait senti la chaleur de sa peau.
Et le couloir dans lequel il l’avait traîné se rétrécissait dangereusement, prêt à l’avaler. Ses parois à la végétation toxique dégueuleraient sans doute le fantôme d’Orzak avant. Ce dernier se vengerait.

Mais il lui sembla, dans ce tableau d’horreur, que les épaules de Lloyd repoussaient les murs loin d’elle, comme il avait dévié la lame du zeltron des années plus tôt sur Korriban. Dana se sentit démunie. De la colère, il ne restait plus qu’une vague poussière qui se dispersait au vent et qui la laissait complètement nue, devant lui.

Elle ravala péniblement sa salive. Il put sentir les doigts de l’Inquisitrice échapper à sa poigne, glisser lentement hors de son emprise, dans un mouvement lent. Il aurait pensé tout et son contraire. Qu’elle ferait demi-tour pour partir, qu’elle le bousculerait pour prendre les devants et en finir. Mais ses paumes agrippèrent le visage du hapien, pressant ses joues avec une relative fermeté. Les bracelets prêtés par Ruth caressèrent la mâchoire Sith et Dana colla son front au sien. C’était une sensation rassurante, presque familière.

-T’oublie le Code, dit-elle pauvrement et ses mots s’écrasaient contre les lèvres de Hope. Si je suis pas une femme de ménage alors Mumkin a menti à ses frères, hein ? La mauvaise blague passera pas.

Elle se hissa sur la pointe des pieds. L’impulsion plaqua un peu plus son corps frigorifié contre celui du blond.

-J’veux juste que tu me promettes que tu me déposeras sur Ch’Hodos après Jabiim. Mais ne compte pas sur moi pour faire le ménage durant le voyage.

Ses doigts rampèrent contre les tempes de Lloyd, se lovèrent dans sa chevelure claire. Dana prit une courte inspiration, attirant le souffle du capitaine. Ils y étaient. Leurs lèvres allaient se rencontrer. Elles auraient le goût de l’alcool, des fruits acides, du rouge à lèvre. Mais elles se cherchèrent encore, indécises et l’Inquisitrice finit par détourner son faciès pour le réfugier contre l’épaule masculine pour s’abandonner dans une étreinte salvatrice.

-Me laisse pas remonter, Lloyd, souffla-t-elle depuis une autre temporalité, happée par les souvenirs. C’est moi qui ai fait ce choix.

Elle trembla contre lui. C’étaient des sanglots brefs, sans larmes car elle les rabattait douloureusement dans sa poitrine. Elle ne voulait pas qu’il voit l’horizon doré de son regard emporter par les flots, alors elle plaqua davantage sa figure contre lui.

On est une équipe.

-C’était le meilleur choix, annonça-t-elle, comme si elle exorcisait un millier de démons qui avaient pourri son âme.





Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaan.






Le cri secoua les ténèbres.




Liam.




Elle détacha hâtivement sa figure de la peau hapienne et délivra sa chevelure blonde de ses doigts possessifs. Mais il provenait de l’antichambre qu’ils avaient quitté. Un moment d’engourdissement, d’incertitude qui dura bien moins d’une minute et ils se jetèrent dans un demi-tour soudain.

Le gamin était au centre de la salle, comme s’il avait été téléporté là par magie. Le long de ses joues rouges et gonflés coulaient des sillons de larmes brûlantes qu’il ravalait à coup d’inspiration saccadé. Dana se précipita sur lui, vérifia par réflexe qu’il n’était pas blessé et se détourna vers Lloyd, préoccupée. Si elle le sentait, il devait le sentir aussi. Dans leur dos, les lianes s’étaient mises à prendre vie, rampant contre la pierre glacée, éructant leur sève corrompue. Et c’était la Force qui les animait.

-On doit pas rester ici.

Ses bras entourèrent la silhouette frêle de Liam et elle le souleva pour le plaquer contre elle. Toujours en sanglotant, il s’accrocha à l’Inquisitrice avec désarroi. Il semblait à bout de forces, éreinté d’avoir marché dans la forêt, d’avoir pleuré, d’avoir été seul si longtemps dans ces vestiges obscurs. Quelque chose lui avait petit à petit grignoter son énergie. Dana tendit une main fébrile derrière elle, heurtant après plusieurs essais le poignet de Lloyd qu’elle agrippa fermement et visa la longue galerie qui menait vers les escaliers. Dans ces derniers, elle glissa plusieurs fois contre les marches humides et recouvertes d’une mousse qui croissait étrangement. Arrivés au sommet, ils butèrent contre la pierre et elle dut lâcher la main de Hope pour la tendre vers le rocher et mobiliser la Force. L’obstacle frémit, se souleva et bientôt la pénombre de la surface perça dans les entrailles qu’ils tentaient de quitter.



Elle rampa à terre, le gamin toujours dans ses bras, s’assura que le hapien suivait bien. Et d’un geste sec, emporté par la Force, elle repoussa le rocher contre l’entrée, scellant l’endroit. Elle avait eu peur qu’en sorte des lianes et des ronces empoisonnées qui les auraient enchaînés à tout jamais. Elle sentit l’odeur de la terre meuble alors qu’elle y était vautrée, essoufflée. Elle sentit les larmes encore tièdes de Liam échouer dans son cou. Elle sentit la main de Lloyd l’aider à se relever alors qu’elle aurait souhaité s’étendre là et ne plus bouger.

Svan et Mumkin s’étaient soudainement relevés. Aucun d’entre eux ne s’était résigné à quitter les lieux. Ils avaient fait le guet parce qu’ils ne pouvaient décemment retourner au camp. Cela aurait marqué au feutre indélébile sur leur front qu’ils avaient enfreint beaucoup trop de règles. Au soulagement de voir leurs proches sains et saufs se succéda l’incompréhension.

-Liam ! s’exclama Svan, soulagé en s’approchant de son petit frère, mais ce dernier le bouda, resserrant ses bras fragiles autour du cou de Dana.

Un voile de tristesse colora les yeux de l’humain.

-Allez, allez, on rentre, débita le dévaronien laissant peu de place aux sentiments des retrouvailles, paniqué, excédé, nerveux. On va grave se faire déglinguer. J’espère que le retour du gosse va calmer les esprits.

Mumkin et Svan ouvraient l’étrange procession de quatre silhouettes qui fendaient la nature luxuriante de la jungle. Dana et Lloyd la clôturaient. Liam avait fini par s’endormir. Il pesait lourd dans les bras de l’Inquisitrice, mais elle n’avait pas voulu s’en délester. Elle détourna son minois vers le Sith.

-J’crois que tu avais raison. Pour le gamin.

Il avait juste besoin qu’on s’occupe de lui. Il avait juste besoin de bras dans lesquels être un enfant, être lui-même, sans jugement, sans sermon. Et elle se demandait d’où Lloyd avait pu tirer une telle compassion et un tel discernement. Elle finit par étirer un sourire. Le genre de sourire qui dévoilait ses dents bien alignées et relevait ses pommettes jusqu’à se refléter dans ses prunelles dorées.

-Je savais bien que t’étais un sentimental, fit-elle, le timbre moqueur.

Un silence, perturbé par les croassements sinistres auxquels leurs oreilles s’étaient habitués. Devant, Mumkin et Svan s’étaient mis à échanger des paroles inquiètes, sur leur retour au camp. Dana en profita pour enchaîner.

-Tu t’es jamais demandé.

Elle ralentit un peu la cadence, ce qui sembla perturber Liam qui grogna depuis son sommeil.

-Tu t’es jamais demandé ce qu’aurait été ta vie si t’avais pas été un Sith. Si y’avait pas eu l’Empire. Si y’avait pas eu la Force, son Côté Obscur qui nous a béni trop tôt, trop violemment, hein.

Le ridicule de la question fit un instant rougir ses joues de gêne et elle enchaîna d’une voix pressée :

-J’veux dire, moi je me suis déjà posé la question. Mais je n’ai pas de réponse. Mais quelle importance, on aura jamais d'autre vie de toute façon.

J'ai juste une certitude.
Même sans être Sith, même sans l’Empire, la Force.
Même si j’avais été juste Dana.

J’aurais fait le choix de ne pas remonter.


Lloyd Hope
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Voilà, c’était terminé. Ils s’étaient touchés, front contre front, corps contre corps, comme une réminiscence de ce qu’il s’était passé quelques semaines plus tôt sur Dromund Kaas, et Lloyd l’avait serrée contre lui en écoutant ses mots. En essayant d’en ressentir une certaine gratitude, là où il n’y avait que désolation.

Et maintenant, c’était terminé. Dans les bras de Dana, c’était désormais un petit garçon qui était lové confortablement. Un petit garçon innocent. Personne n’est innocent. Mais il y avait quand même des gens plus innocents que d’autres.
Il ne fallait pas qu’il fût jaloux. Ni de Liam, ni de Svan, qui lui aussi bénéficierait probablement encore plus de l’attention de Dana à cause de cette histoire de mère qui s’était donné la mort. C’allait être compliqué. Mais il allait falloir tenir. Il avait vécu pire, non ?

- J’ai fait plus que me demander, j’ai essayé, je te rappelle, répondit-il pensivement.

Enfin, non, Dana ne savait pas exactement pourquoi il avait déserté ni à quoi avait ressemblé ses années de désertion. Tout ce qu’elle savait au fond, c’étaient des dates plus ou moins précises et le fait qu’il avait ramassé une twi’lek sur son chemin. Il se demanda si, de toute façon, il y avait vraiment grand-chose à dire sur le sujet. Il essaya de rassembler ce qu’il avait tiré comme leçon.

- Un moment, j’ai cru qu’en dehors de l’Empire, je serais quelqu’un de différent. Je croyais que c’étaient les Sith qui avaient fichu ma vie en l’air. Mais de l’autre côté de la barrière, j’ai compris que les conflits, les injustices, les vies étaient les mêmes. Que ces clans grandeur galaxie nous dépassaient complètement. Que ça n’avait rien à voir avec ma vie, que je savais tout foutre en l’air tout seul comme un grand ; Sith ou pas, Empire ou pas, Force ou pas.

Après ça, il avait décidé de se battre pour les personnes qui comptaient. Comme Mat’. Peu importait où. Là où il avait une place. Et ce n’était ni dans la République, ni sur sa planète d’origine, et encore moins chez les Jedi. Sa place, c’était parmi les Sith. Pour y faire ce qu’il savait faire de mieux : le sale boulot. Foutre des vies en l’air.

- Moralité : j’aurais été un con et un lâche, t’aurais été une voleuse et une allumeuse.

Le hapien adressa à Dana un bref sourire résigné en pensant à son pull gris dont il ne verrait probablement plus la couleur, puis détourna le regard. Devant eux, Svan et Mumkin hâtèrent le pas. Le son de la musique leur parvenait de nouveaux aux oreilles. Bientôt, ils entrevirent la plage. A peine s’approchèrent-ils qu’une nuée de personnes accoururent et les entourèrent. Ruth la première s’exclama de soulagement en trouvant Liam endormi dans les bras de Dana. On leur posa mille questions, Mumkin se pavana devant tout le monde en racontant qu’il avait sauvé Dana d’énormes loups, et on s’affaira autour d’elle pour l’emmener, avec Liam, vers des roulottes où on mettrait l’enfant au lit. Lloyd la regarda partir, et suivit sagement Svan et les dévaroniens vers le feu, où des couples s’étaient formés sur des musiques douces.

Et voilà, la trêve était finie.

-------

-------

------- Le hapien avait passé les deux dernières heures à écouter les jacassements de son ami dévaronien qui contait leurs aventures avec plus ou moins de véracité – plutôt moins que plus, d’ailleurs, car dans les histoires de Mumkin, le dévaronien avait toujours un rôle légèrement surestimé par rapport à la réalité – à une tablée de convives, hommes et femmes, dévaroniens et humains. Il s’était contenté d’acquiescer quand on avait chercher confirmation dans son regard, et de sourire quand on lui faisait des compliments. Il avait arrêté de boire. Mumkin lui-même ne se resservait plus, et Lloyd devinait que c’était pour mieux surveiller son défaillant de patron. Quand bien même ça n’arrivait pas souvent, il devait admettre que parfois, son pilote avait une forme de sagesse.

Au bout d’un certain temps, cependant, plusieurs femmes étaient parties se coucher, prétextant vouloir dormir pour être belles le lendemain pour la suite des festivités, et Vaklu fit un signe entendu à ses congénères : l’heure était venue. Les dévaroniens se regroupèrent en marchant vers la plage, accompagnés de deux humains, et Mumkin entraîna Lloyd pour les suivre. Ils se mirent à marcher tranquillement vers la forêt, comme une simple balade, et le hapien traînait un peu le pas en laissant dériver son regard sur la masse sombre du lac. Il sentait la fatigue tirailler son corps. La vinsha de la nuit précédente lui avait certes permis de trouver le sommeil, mais ça n’avait pas été très réparateur.

- On va voir Goshgosh, après ? demanda-t-il à Mumkin qui chancelait en marchant sur la plage.
- Oui oui, si tout se passe bien, assura le dévaronien. Tu oublies pas hein, on les amoche juste un peu.
- Ça va, j’ai compris. Depuis quand c’est toi qui donne les directives ?
- Depuis qu’le patron il déconne.
- C’est vous aussi, avec tous vos verres.
- On t’a dit qu’on refusait pas le premier, mais tu peux faire un effort sur les suivants, hein.
- Mouais. C’était pour être poli.
- Ah bah ça, t’as été vachement poli avec Svan ! T’as de la chance qu’il était stressé pour son p’tit frère.
- Il m’énerve, aussi, commença Lloyd, mais il n’avait pas d’arguments valables à ajouter.
- Faut l’comprendre. Il t’a dit pour sa mère. C’est pas beau.
- C’est comme ça.
- T’es encore bourré. J’espère que tu lui as pas dit de bêtises, au moins.
- A Svan ?
- Mais nan, à Dana.
- Heu…

Lloyd baissa les yeux sur ses pieds. Le sable enfouissait leurs chaussures humides, crissait à chacun de leur pas. Le rythme l’aidait à réfléchir. L’alcool peu à peu le libérait de son étreinte, mais c’était pas encore gagné.

- Je crois que si, admit-il au bout d’un moment. Mais je crois qu’elle a pas compris.

Ou bien c’était lui qui n’avait pas compris. Il ne comprenait rien à Dana. Il fallait qu’il arrêtât de penser à Dana.

- Hé ! Lloyd ! Viens par là !

C’était Vaklu qui avait immobilisé le groupe de tête pour les attendre. Mumkin et Lloyd se hâtèrent de les rejoindre. Vaklu passa un bras autour du hapien. Aussitôt, le chef de bande se mit à expliquer le plan à Lloyd et aux autres. Ils prévoyaient de prendre en tenaille toute tentative d’approche par les Loups de Saphir en se postant à un endroit stratégique.

Le plan était simple. Tout se passerait très bien.
Darth Hope
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Un modeste attroupement de femmes, humaines comme dévaroniennes, ainsi que d’enfants s’était amassé autour de Ruh et Dana qui se dirigeait vers le campement. Arrivées au milieu des caravanes, des roulottes, des landspeeders éteints et des petites maisons en dur, l’Inquisitrice se détourna vers la belle-mère de Liam, tenant toujours ce dernier contre elle. Il s’était réveillé mais se contentait de somnoler paresseusement sur l’épaule de Shar.

-Je suis désolée pour la robe.
-Mais qu’est-ce qu’elle dit celle-là, s’esclaffa Ruth, trop heureuse que l’on ait retrouvé Liam, même si cela fut au prix d’une règle transgressée. Rien n’avait compté plus que d’avoir le petit garçon sain et sauf de retour au camp. C’était une vieille relique cette robe de toute façon. Je la portais quand j’ai rencontré Kalon la première fois, j’espérais qu’elle te porterait bonheur et j’ai pas eu tort.

Elle sentit le parfum enivrant de Ruth caresser ses narines quand cette dernière souhaita reprendre l’enfant de ses bras. Il protesta fort, s’accrocha un peu trop à la Sith, occasionnant des soupirs d’impatience chez sa belle-mère.

-J’sais que t’es fatigué Liam, mais il faut aller dormir justement, al-lez, dit-elle en le tirant avec assez de force pour l’arracher à l’étreinte de Dana qui fut soulagée de ce poids en moins qui commençait à lui rompre le bras et le dos. Merci pour tout Dana, tu peux rejoindre ma roulotte. Je m’occupe de toi ensuite.

Et tout le monde suivit Ruth.
Et elle se retrouva seule dans ce que les habitations éphémères formaient de ruelles tortueuses. Ses pieds battirent le mélange de sable, de terre, de graviers, qu’était le sol du camp et elle se dirigea comme elle put jusqu’à reconnaître le foyer de Ruth. Svan attendait devant, assis sur les marches et dès qu’il la vit, il se redressa d’un mouvement hâté. Elle baissa les yeux. Elle n’était pas sûre d’avoir envie de parler alors elle tentait de le contourner mais il lui barra la route, imposant sa présence. Et elle gardait toujours ses yeux bas.

-Je suis désolé. J’avais pas l’intention de me battre avec ton patron. C’est lui qui…
-C’est bon. C’est un Sith, il est comme ça. Comme tous les Siths, dit-elle.
-Tu as la Magie des Rois aussi ?
-Hein ?
-Ce que t’as fait avec la pierre, que les Siths font aussi. J’sais pas comment ils appellent ça, mais chez les itinérants comme nous, on appelle ça la Magie des Rois. Je t’ai vu le faire avec le rocher devant la cachette.
-C’était pas moi, c’était Lloyd.
-Ouais, écoute. Faut pas que Mamy Zora le sache. Même si je pense qu’elle le saura, elle sait toujours tout. Les femmes qui ont la Magie des Rois c’est trop rare chez nous. Assez rare pour être monnayé.
-Je comprends pas de quoi tu parles. Et…tu devrais mieux t’occuper de Liam, c’est ton petit frère.
-Merci pour la leçon, rit-il malgré le reproche qui creusa un sillon de culpabilité dans son regard nuageux. Maman lui manque c’est tout.

Ils restèrent silencieux un moment, à se faire face. Il se pencha lentement et effleura la joue de Dana de ses lèvres. Elle ne dit rien et se dépêcha de le contourner pour disparaître dans la roulotte. Elle crut enfin pouvoir laisser ses émotions derrière elle, se délester de sa fatigue et prétendre à un repos mérité quand la silhouette de Kashiina apparut à la lueur des leds colorés de la pièce. Elle était assise en tailleur devant la table, sur des coussins confortables et grignotait un bout, un verre de « jus de fruits » non loin. L’atmosphère s’électrifia tout de suite. Il n’y aurait pas de repos, donc. Pas de tranquillité. Juste de la colère, encore toujours. C’était bon. Elle y était habituée. L’autre brune la toisa avec intérêt, sublimant ses lèvres brillantes d’un sourire amusé. Dana comprit que Kashiina faisait partie de ces femmes qui se savaient belles, et qui l’étaient. Elles resplendissaient autant que leur orgueil. Et pensaient que rien ne pouvait leur résister, parce qu’elles avaient conscience d’être comme des joyaux que seuls des mains supérieures méritaient.

-Svan semble à ton goût. Il est au goût de toutes ici, mais il ne s’est jamais vraiment intéressé aux femmes jusque ce soir. Dana, c’est ça ? Etrange comme nom.

Au moins, elle n’était pas hypocrite, la Kashiina. Face au silence de plomb de son interlocutrice, elle poursuivit tout en mâchant un morceau de fruits.

-Ah je vis là, avec Ruth. Je parie que Ruth est gentille avec toi. Elle est un peu brusque, mais elle est sympa avec tout le monde.

Parce que les lieux étaient petits, Dana n’eut d’autres choix que de s’installer à table, s’agenouillant sur les coussins et avisant la nourriture. Elle ne se priva pas de piquer un ou deux aliments qu’elle s’empressa de faire disparaître dans sa bouche. Elle mourrait de faim. L’autre femme l’observa avec un amusement assumé.

-Elle materne tout le monde, parce qu’elle peut pas avoir d’enfants. C’est pour ça que Kalon l’a pas marié quand ils se sont rencontrés y’a des années.  Une femme qui peut pas avoir d’enfants, elle met en péril la continuité du clan alors, personne ne veut d’elle. Mais Kalon l’aimait malgré tout, il a voulu d’elle. Et la Mamy a refusé. Catégorique. Kalon était son fils, il est impensable qu’il se lance dans un mariage sans héritage. C’est la survie du Nid de Serpents qui compte. Alors il a dû épouser une autre. Ahlala, ce vieux Vashek a payé cher son épouse, parce qu’elle avait la Magie des Rois paraît-il. On a dit qu’elle venait de chez les Saphirs mais on sait pas trop, c’était une étrangère. Et bon, elle aimait son mari. Mais lui ne l’aimait pas. Il a continué à voir Ruth en secret, malgré les naissances de Svan, de Mercy, de Liam. Il a continué, tout le monde le savait. Personne ne la soutenait parce que c’était une étrangère et que Ruth était un Serpent, tu comprends ? Alors, la pauvre a fini par se suicider de chagrin. Moralité de l’Histoire ? Les étrangères ne sont pas les bienvenues au camp. Même quand elles suivent les règles, elles restent des étrangères.

Alors ce conte débité avec un ton particulièrement froid n’était pas un simple commérage, mais une mise en garde.

-Et toi ? Pourquoi t’es là alors ? Il paraît que y’a que les femmes sans maris, sans père, sans frère qui atterrissent ici.
-Parce qu’elle peut pas avoir d’enfants ! s’exclama la petite voix endormie de Mercy qui s’était ébrouée depuis un lit dans le fond. Elle n’avait, heureusement, pas entendu l’histoire sur sa mère, mais les voix l’avaient éveillé assez pour qu’elle témoigne de la question de Dana. Alors y’a qu’ici qu’elle a sa place. Même quand on peut on en avoir, on est relégué ici de toute façon pff !

Kashiina contracta sa mâchoire un court instant, encaissant la réponse qu’elle n’avait pas souhaité donner. Au fond, n’était-ce pas pour cela que la belle repoussait tous ces prétendants ? Elle avait pour elle la beauté. Les hommes du camp s’éaient mis d’accord pour dire qu’elle était la plus belles des femmes du Syndicat. D’une beauté qui faisait autant peur qu’elle attirait. Une beauté qui en avait séduit plus d’un au premier regard. Mais les autres femmes savaient que cette beauté ne se fanait pas, troublante et maudite comme une fleur qui jamais n’engendrera de fruits. Et que si c’était le prix à payer pour autant de beauté, elles passaient volontiers leur tour.

-Ruth me comprend, finit-elle par dire. Elle m’a expliqué pourquoi, la nature décidait que certaines ne donneraient pas la vie. Je vis très bien avec.
-Et…tu te disais à tout hasard, qu’un Seigneur Sith n’avait pas besoin d’enfants ? lâcha Dana avec un peu de brusquerie.
-Il me plaît, fit-elle pour seule réponse.

Shar leva les yeux au ciel, tandis que la rouquine s’extirpait avec difficulté de sa couchette, roulant le poids de son ventre comme elle le pouvait. Elle se rapprocha d’elles et s’échoua près de Dana, un peu essoufflée. On voyait bien qu’elle était trop jeune pour supporter le fardeau dune grossesse, mais elle semblait assez vaillante pour ne pas trop s’en plaindre.

-Dis Kashii, j’peux avoir un jus de fruit ?
-Non. Tu sais bien qu’il y a de l’alcool dedans.
-Allez, s’il te plaît, juste un peu. On le dira pas à Ruth.
-Tu peux avoir de l’eau.

Dana soupira vivement et se pencha pour se saisir de la cruche de ponch. Elle en versa une quantité généreuse dans une coupe vide et la fit glisser sèchement vers Mercy, comme une mise au défi envers Kashiina.

-Elle peut boire si elle en a envie. C’est quoi cette manie de contrôler la vie des gens, ici.
-Elle porte un enfant, si tu ne l’avais pas remarqué. Le ménage a dû te faire perdre des neurones, mais alcool et grossesse ne font pas bon ménage.
-Bois Mercy, insista-t-elle. C’est jour de fête après tout.
-Oh merciiiii, s’exclama la rousse en sautillant sur place, bien trop heureuse. Je pourrais repartir avec toi ? Je veux bien faire le ménage sur le vaisseau de Llord. Le petit fera le ménage aussi.

Et les lèvres de l’Inquisitrice tressaillirent d’un rire étrange. Un rire qui pour une fois avait sa place dans la situation. Un rire presque sincère. Il lui sembla qu’elle n’avait plus entendu ce rire sortir de sa bouche depuis sa séparation avec Damaya. Elle se servit également et trinqua avec Mercy sous le regard dépité de Kashiina, qui se sentit obligée de suivre le mouvement.

-Dis Mercy, y’a quoi d’autres que t’as envie de faire et qu’on t’interdit ?
-Bah….je sais pas, mh. (Elle porta un index à son menton, les yeux pensifs avant de sursauter). Manger du poisson cru, j’adore ça ! Surtout avec une touche de sel et une sauce. Ah et puis me baigner dans le lac, c’est trop injuste.
-On fera tout ça si tu veux.
-Dana…Mercy, c’est pas raisonnable, se froissa Kashiina avec un petit air pincé.
-Pas plus que de s’éprendre d’un Sith.
-Ils sont si dangereux que ça ? enchaîna Mercy, le regard pétillant, les joues rougies par le ponch dont elle enchaînait les gorgées.
-Non…enfin, si ! Mais quelle importance.
-Bien on aimerait savoir, on n'en voit pas souvent. Il paraît qu’un Sith vivait ici y’a des centaines d’années et que les communautés itinérantes le fournissaient en esclaves. Mais, vu que tu es la domestique de l’un d’entre eux. Comment est-il ?

Shar fut prise de court par la question. Elle sentit ses joues se colorer et mit cela sur le compte de la boisson.

Comment était Lloyd Hope ?

Son cœur rata plusieurs battements.

Puis elle fut sauvée par l’arrivée soudaine de Ruth qui poussa un énorme soupir de soulagement.

-Liam est ENFIN couché. Oh tu es déjà rentrée Kashii ?
-Je n’avais plus de partenaire pour danser.
-Quelle misère, rit-elle avant de déloger un linge et de le tremper dans une bassin d’eau assouplie par une huile parfumée. Elle poussa un peu Mercy pour se mettre près de Dana et commencer à lui nettoyer le visage. Et quelle aventure, tu es toute plein de boue et de sang.
-Ouais…désolée pour les perles.
-Ce n’est rien, elles étaient bon marché.
-Il paraît que Mia va se faire la malle ce soir, en fait, lâcha Mercy comme une bombe.
-Quoi ?! s’exclamèrent Ruth et Kashiina.

La rouquine eut un petit sourire de culpabilité. Oups, elle aurait peut-être dû garder ça pour elle.

-C’est sa frangine qui me l’a dit. Paraît qu’elle vit une super histoire d’amour avec un Saphir.
-QUOI ?!
-Elle vit sa meilleure vie et ces foutus hommes vont encore se mêler de rien. Valku et les autres vont tendre un piège ce soir.
-Mercy je t’ai déjà dit d’arrêter d’espionner les conversations, soupira Ruth dont la main tremblait un peu.
-Et Papa fait partie de l’expédition punitive. Ca me saoule. Si j’avais pas ce ventre de merde, je serai allée aider Mia. C’est ma copine.
-Si Mia fréquente un Saphir, elle a enfreint une très grosse règle du Code, fustigea Ruth alors qu’elle s’était mise à aider Dana à se déshabiller, avant de lui tendre une serviette qui avait tiédi sur un radiateur pour qu’elle se sèche.

Kashiina ne put s’empêcher de jeter une œillade curieuse aux cicatrices qui tapissaient le derme nue de la Sith. Visiblement, faire le ménage pour un Seigneur comportait une prime de risque. Elle se demanda si ces blessures passées étaient le fait d’une cruauté probable de Lloyd ? Cependant, songea-t-elle, vu l’indisciplinée quee semblait être Dana, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’elle se fasse corriger.

-J’aimerais tellement me casser de ce putain de bled, avec ces lois à la con, grinça Mercy, l’humeur plus sombre.
-Les hommes défendent l’honneur de Mia et du clan des Serpents, insista Ruth, fébrile, en présentant une nouvelle tenue à sa protégée.

Dana l’enfila sans broncher et détacha ses cheveux.












-Eh Mercy !
-Hein quoi ?! sursauta la rouquine, soudainement tiré de son sommeil.
-Moins fort, murmura Dana qui était descendue du lit juste au-dessus.

Kashiina et Ruth dormaient d’un sommeil profond. Minuit était passé.

-Lève-toi, on va aider Mia.
-Hein ? T’es sérieuse ?
-Oui. Mais ne fais pas de bruit. Tu connais le camp, tu vas pouvoir me montrer les raccourcis pour atteindre la Forêt. Mia a sûrement dû dire à sa sœur où était le rendez-vous.
-Ouais…attends, tu peux m’aider ?

Dana agrippa le bras de la future mère et l’aida à s’extirper du lit dans un bruit sourd qui perturba un instant le sommeil de Kashiina. Elles ne firent plus un bruit et sitôt assurées que tout le monde dormait bien, attrapèrent leurs chaussures et se dirigèrent dehors sur la pointe des pieds.

L’air était frais et tenace, la pluie avait cessé. Les profondeurs de la nuit semblaient plus froides que les journées sur Jabiim. Du moins, à cet endroit-là de Jabiim. Elles se rechaussèrent à la hâte et coururent. Mercy fit de son mieux, mais trouva la force de l’effort physique. Elle admirait Dana, libre et svelte, à la taille musclée, qu’une robe simple arrivait à mettre en valeur. Elle lui montra par où passer et elles furent bientôt à la lisière de la forêt après avoir traversé la plage où les restes des festivités sommeillaient en attendant le lendemain.


Lloyd Hope
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La forêt était épaisse, et les membres du clan ne prenaient guère de précautions pour rester discrets. Ils avaient formé une longue ligne, chacun positionné à sept ou huit mètres de son voisin, pour couvrir une large distance et s’assurer qu’ils intercepteraient bien les Saphirs si ceux-ci essayaient réellement de venir récupérer la jeune Mia. Très vite, on avait indiqué à Lloyd que les amas de mousse jaunâtres devaient être évités : quand on marchait dessus, ils éjectaient des nuages de spores hallucinogènes qui risquaient de les rendre inefficaces, voire carrément dangereux pour leurs propres camarades. Le hapien essayait donc de se concentrer sur les endroits où il mettait les pieds et cette marche consciente, au milieu d’une forêt qu’un vent léger faisait bruisser dans la nuit, l’apaisa peu à peu. Il sentait toujours par instants, au-dessous de ses pas, une vague présence obscure, mais tant qu’il était à l’extérieur, il ne pensait pas qu’elle pût l’atteindre.
Il se prit à espérer que les Saphirs ne viendraient pas, et que cette longue balade se solderait par un retour au camp bredouille. Mais pour l’instant, il appréciait d’être enfin loin des femmes à marier, loin de Svan, au milieu de menaces face auxquelles il se sentait à la hauteur : des animaux sauvages, des zabraks ou d’autres humains prêts à en découvre à coups de poings.

A quelques pas sur sa gauche, une ombre surgit entre les troncs, en silence, mais lorsqu’il tourna son regard vers elle, elle avait disparu. Un oiseau nocturne ? Il poursuivit sa marche, attentif. Quelques mètres plus loin, il eut la même impression, sur sa droite. Il ralentit le pas.

- Mum.

Il chercha le dévaronien du regard. Celui-ci avançait le nez vers le sol, comme s’il était à la cueillette aux champignons.

- Mum ! appela-t-il plus fort.

Mumkin releva le nez vers lui.

- Quoi ?
- Y’a quoi comme animaux dans le coin ?
- Ben, tout un tas de trucs.
- Nan mais, quoi comme animaux suffisamment gros pour qu’on s’inquiète ?
- Des serpents et des loups. Regarde où tu mets les pieds.

Lloyd grogna avant de se remettre à marcher. Ça ne pouvait pas être un loup qu’ils avaient croisé. En tout cas, ce n’étaient pas des s…

- AAAAAAAAH !!

Toute la ligne se rabattit brusquement vers le cri. Lloyd suivit le mouvement et on se regroupa autour de Zekh, l’un des trois frères à la peau carmine. Celui-ci regardait autour de lui d’un air affolé. Vaklu l’attrapa par l’épaule.

- Quoi ? T’as marché sur la mousse ? T’as mal quelque part ?
- Nan-nan-nan, fit Zekh. Il était là, je l’ai vu, j’vous jure !
- Vu quoi ?!
- Un loup ! Enorme ! Il m’a regardé et il a filé par là !

Les dévaroniens qui l’entouraient suivirent son regard, il désignait la direction du camp des Serpents. Mais le camp était loin.

- Boah, c’était certainement une bête sauvage, fit Rilc, qui gardait à la main un couteau, dont la lame reflétait les lueurs que des astres nocturnes jetaient entre la cime des arbres.
- On a croisé des loups aussi tout à l’heure, hein, intervint Mumkin d’une voix pas très assurée.
- Oui, mais tu vois bien qu’ils osent pas s’attaquer à nous, intervint Kinuux.
- Allez allez, c’était rien, on se remet en battue et on repart, ordonna sèchement Vaklu.

Le groupe s’exécuta. Les hommes s’écartèrent juste un peu moins, pour certains. Mumkin restait à deux mètres de Lloyd.
Leur marche se poursuivit de longues minutes, si bien que le hapien commença à se demander s’ils n’avaient pas tout simplement leur réponse : les Saphirs n’avaient pas prévu leur enlèvement ce soir. Soit Vaklu s’était trompé, soit le Clan d’en face avait senti le piège et s’était rétracté au dernier moment.











Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !










Toute la ligne s’immobilisa. Lloyd chercha Mumkin du regard, le dévaronien lui renvoya des yeux ronds effrayés.

- C’était la voix de Mia ! cria l’un des frères.
- Ca venait de derrière !!
- EN AVANT ! LES LAISSEZ PAS S’ECHAPPER !!

Le groupe d’hommes se jeta en direction du cri comme une meute de chiens désordonnés. Quelques minutes plus tard, ils entendirent la voix féminine de nouveau, puis des aboiements et des ordres donnés d’une voix grave. Les dévaroniens déboulèrent dans une clairière, Lloyd et deux humains sur leurs talons, pour faire face à une scène étrange : Mia était bien là, transie de peur dans les bras d’un jeune zabrak qui la serrait comme s’il avait pu la faire disparaître dans sa tunique. Autour d’eux, des loups énormes rôdaient en les encerclant, les empêchant de s’échapper, tandis que plusieurs hommes faisaient face aux dévaroniens, ne s’inquiétant en aucune façon des créatures aux yeux jaunes perçants qui retroussèrent leurs babines, dévoilant leurs crocs acérés en toisant le groupe dont Lloyd faisait partie. Il y eut un moment de silence, où chacun observait l’autre.

- Vaklu !

L’homme qui avait crié faisait au moins deux têtes de plus que Lloyd. Sa musculature saillante paraissait lui servir d’armure tandis qu’il croisait les bras sur sa poitrine. Un visage couvert de cicatrices sous une coupe de cheveux noirs et courts affichait un sourire de triomphe.

- Vous voilà enfin dans la gueule du loup, littéralement.

Il y eut des rires, mais Vaklu, malgré sa maigre stature, fit quelques pas en avant, tenant dans sa main droite une lame luisante.

- Vetchet ! Rends-nous Mia ! C’est un rapt. Et ne me sers pas une histoire d’amour idiote !
- Un rapt ?!
- Mia n’est qu’une gamine !
- Justement : œil pour œil…

Il y eut un silence glacial. Vaklu fronça ses sourcils.

- Qu’est-ce que vous avez fait de nos gamins ?
- Quoi ?!
- Tessie et Koron, les jumeaux. Vous les avez pris. En prenant Mia, on se rembourse sur une première partie.
- J’sais pas de quoi tu parles Vetchet. Deux de nos gosses ont disparu dans cette forêt aussi, et c’est vous qui contrôlez les loups ! Vous êtes responsables des disparitions ! Rends-nous Mia, et on saignera pas ta petite bande de bêtes sauvages !
- Menace-moi encore, et je les lance pour qu’ils t’arrachent la jugulaire, menaça Vetchet.

Mais il avait perdu son sourire. L’humain et le dévaronien se défiaient du regard. L’un comme l’autre évaluaient les risques. Le premier pensait que les loups compenseraient, l’autre savait qu’il avait une carte main qui ne se voyait pas : un Sith. Vaklu aurait dû reculer, comme il l’avait fait plusieurs fois auparavant. Mais pas cette fois. Cette fois, c’était sa chance.

- Je te donne une dernière opportunité, Vetchet. Relâchez Mia. Le gamin peut venir vivre chez nous si ça lui chante. Mais vous n’emportez pas notre gamine.

Nouveau silence. Vetchet finit par secouer la tête négativement.

- En ce cas, tant pis pour tes jolies petites créatures.

Lloyd resserra sa prise sur le couteau qu’on lui avait fourni. Mauvaise idée d’avoir laissé son sabre laser au vaisseau : il ne s’était pas attendu à devoir combattre de telles créatures, qui le surpasseraient en vitesse sans difficulté. Mais ils avaient avec eux l’avantage du nombre, et de la surprise, en partie.
Soudain, d’un geste sec et précis, Vaklu jeta son couteau vers l’un des loups. La lame affutée se planta dans la hanche de la créature qui glapit brusquement de douleur. L’instant suivant, les cris enflèrent dans la clairière : les hommes se jetèrent les uns sur les autres, les loups se jetèrent dans la mêlée, refermant leurs crocs ici sur un bras, ailleurs sur un mollet. Aux cris de guerre s'ajoutèrent des cris de douleurs, et Mia et son amant reculèrent, terrifiés.

Le hapien se mêla à la bataille avec des gestes secs, froids. La Force amenuisait l’énergie de ses ennemis, faisant dès le départ clairement pencher la balance en faveur des dévaroniens. Lloyd se jeta sur un loup, planta sa lame dans le dos de la bête et celle-ci se tordit de douleur pour essayer de lui attraper le poignet. Mais le hapien lui décocha un coup de pied et la créature battit en retraite. L’instant suivant, il écrasait son poing en plein visage d’un homme qui luttait contre Rilc, et ce dernier put se dégager pour asséner un coup de pied dans le ventre de leur opposant. Ils basculèrent pour tomber à bras raccourcis sur un autre homme, qui se débattit comme un diable. Lloyd enfonça son poing dans le ventre du type, mais à l’instant où il reculait pour passer au suivant, il sentit la douleur intense, comme vingt lames brutalement insérées dans son avant-bras, de la morsure du loup blessé qui revenait à la charge. Il essaya de se dégager en panique, mais la bête tenait bon et il fut renversé à terre avec un cri de souffrance. L’instant d’après, le loup reculait en le tirant par le bras et il crut qu’il emporterait avec lui ses chairs, ses tendons, un os peut-être même. Son autre main réagit dans l’affolement et fit un arc de cercle maladroit avec la lame. Celle-ci coupa l’oreille du loup. Au lieu de le faire lâcher, la blessure effaroucha davantage encore l’animal qui se mit à secouer la tête. Lloyd hurla de nouveau de douleur. Il crut que cette fois-ci, son bras allait être arraché. Il le souhaitait presque, tant le supplice était vif. Mais soudain, Kinuux apparut dans son champ de vision et son poing rouge s’abattit comme une masse lancée à pleine vitesse sur le crâne de la créature.

Le loup lâcha prise. Lloyd récupéra son bras en gémissant et roula sur lui-même, pour se remettre rapidement à genoux, le souffle court. Le hapien chercha le loup des yeux, mais il avait disparu dans les fourrés. Les deux autres loups blessés avaient dû également s’enfuir, et il ne restait plus dans la clairière que les hommes en train de se battre. Le groupe de dévaroniens avait clairement pris le dessus, maintenant que les loups étaient partis. Vetchet lui-même bascula à terre, recevant dans la foulée une pluie de coups de pieds assenés par un trio de dévaroniens enragés.

- Stop ! Stop ! cria Vaklu. Ca suffit !

Kinuux dut attraper Russoc par les épaules pour le faire reculer et laisser Vetchet vivant. Ce dernier se leva et aida ses deux confrères à se relever – les autres de leur groupe étaient déjà partis. Les hommes disparurent dans les fourrés, laissant derrière eux le zabrak et Mia qui étaient restés figés d’horreur.

- Quelle bande de pleutres ! gueula Zekh avec satisfaction.
- Je crois qu’ils ont eu là leur leçon, en effet, grommela Vaklu, qui accusait plus de fatigue que ses confrères, plus jeunes.

Lloyd jeta un coup d’œil aux autres. Chacun avait son lot de taillades, de bleus, qui ne se révèleraient dans toute leur splendeur que le lendemain, mais ils affichaient des sourires goguenards.

- C’est Mamy Zora qui va être contente, commenta Mumkin d'une voix excitée, en se relevant péniblement en se massant la mâchoire, que l’un des humains avait décroché dans la bagarre. Quand ils vont voir qu’on r…

Mumkin ne termina pas sa phrase. Des crocs s’étaient refermés sur son épaule, à la naissance du cou, et le hapien ne put que voir le loup blessé qui l’avait attaqué plus tôt renverser son pilote au sol comme une vulgaire poupée de chiffons. Lloyd bondit vers la bête en tâchant d’ignorer la douleur de son bras sanguinolent mais brusquement, un autre loup lui barra le chemin. Un troisième loup apparut et se jeta sur Mumkin, l’attrapant par l’avant-bras. Lloyd paniqua quand il crut que les loups allaient le dévorer, mais non : ils tirèrent Mumkin et emportèrent leur proie dans la forêt en tenant dans leur gueule les membres du pauvre dévaronien qui hurla un bref instant de terreur. Le troisième loup défendit un bref instant Lloyd de les suivre, puis il se jeta à sa suite.
Le hapien resta figé d’horreur. On n’entendait plus le pilote crier, et les fourrés s’étaient refermés sur le trio de loups qui venaient de l’emporter dans la nuit.

- Mumkin ? … Mumkin !

Lloyd s’élança dans la direction où le dévaronien avait disparu, emporté par les créatures. Il se mit à courir follement, appelant la Force à lui, se fichant de la mousse qu’il écrasait sous ses pas. Il haletait, mais s’évertuait à s’égosiller, dans l’espoir d’entendre la voix du pilote. Que celui-ci lui répondît pour l’aider à l’orienter. Pour l’aider à espérer qu’il était encore vivant. Qu’il y avait encore un pilote à sauver.

- MUMKIN… !
Darth Hope
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Dana était en alerte, peu ravie de parcourir cette forêt maudite de nouveau, mais il lui semblait qu’il était important de briser cette règle, ce soir. Elle se désolait d’être tombée dans un lieu où la fête avait une si grande importance, mais où la moitié d’une communauté était bridée du seul fait de sa capacité à reproduire. Elle avait bien peu de compassion pour les injustices. Mais celle-ci lui semblait grande, profonde, intolérable. Peut-être parce qu’elle-même était une femme et qu’elle avait vécu les humiliations de la part de Darth Akusha, sous le simple prétexte d’être son épouse, de lui appartenir de ce fait. Elle serra les dents, ignorant les bruits sinistres qui craquaient, s’envolaient, saturaient l’air pernicieux de cette végétation dense.

-Dana ? On peut s’arrêter ? J’en peux plus. Ca fait des heures qu’on marche.

L’Inquisitrice se détourna vers Mercy, demeurée quelques pas en arrière et dont le front luisait d’une sueur accablante. Ses joues rondes étaient rougies par l’effort intense de la seule marche. La grossesse lui avait fait prendre un poids qu’elle ne supportait pas et prisonnière de ce corps déformé, elle n’arrivait plus à suivre la cadence imposée par son aînée.

-T’es sûre pour le lieu de rendez-vous ?
-J’sais plus, geignit la rouquine en regardant autour d’elle. Ca fait longtemps qu’elle m’a dit ça, j’en sais rien.

Il n’y avait pas que le visage de la jeune fille qui était trempée de sueur, sa tunique bariolée, repoussée par son énorme ventre, était humide par endroit. Shar poussa un léger soupir et dévia son attention vers les alentours. La lune haute et ronde, libérée des entraves nuageuses, jetait à travers les feuillages exotiques, sa lumière pâle, sur les endroits de leur peau qui étaient dénudés. La robe de Dana était moins élégante que sa tenue précédente. D’une simplicité fonctionnelle, elle épousait ses courbes et s’arrêtait à mi-cuisses, découvrant ses bras, ses jambes et une bonne partie de son décolleté. C’était une simple pièce de tissu, si bien qu’elle sentait la morsure de l’humidité, de la fraîcheur nocturne.

-Ok. On s’arrête cinq minutes. Mia ne doit plus être bien loin.

Après une minute, Mercy glapit en se blottissant contre la Sith.

-T’as entendu ? C’étaient….

Des cris humains. Elle avait entendu et dressé immédiatement la Force dans leur périmètre proche, le cœur battant. Un mouvement sur sa droite, puis sur sa gauche. Une sensation de déjà-vu. Mercy lui broyait les côtes tant elle l’enserrait fort, brisée par la peur, tremblante comme une feuille. Elle sentait son ventre rond se presser contre son flanc, elle sentait l’être qui y grandissait donner de grands coups. Mercy hoqueta et ferma les yeux au moment où des masses sombres surgirent d’entre les arbres aux troncs noirs. A la faveur de la pénombre lunaire, elle reconnut les loups, grands, majestueux, mais blessés et de ce fait, plus agressifs que jamais.

Son cœur arrêta presque de battre quand elle reconnut vaguement la silhouette inerte de Mumkin entre les crocs ensanglantés de deux d’entre eux.

-Mumkin….souffla-t-elle, sidérée par ce qu’elle voyait, plus choquée qu’elle n’aurait bien voulu le croire.
-Eh Vetchet, y’a deux gonzesses !

La voix rauque la tira de sa stupeur et elle avisa les hommes qui avaient dressé leurs silhouettes dans l’horizon végétal. Dana passa un bras autour des épaules de Mercy et recula d’un pas, analysant la situation comme le soldat qu’elle avait été toisait ses chances de victoire sur un champ de bataille. Ils étaient nombreux, mais tous – ou presque, blessés. Ils se soutenaient l’un l’autre et leurs yeux brillaient de douleur. La rousse osa un coup d’œil vers le spectacle et poussa une exclamation de terreur.

-Ce sont les Loups, les Saphirs !

Vetchet repoussa l’un de ses aides, peu désireux de paraître amenui devant des femmes. Il se dressa de toute sa stature, malgré la souffrance, malgré la fatigue.

-Tiens donc.
-Vetchet, c’est la fille de ce fumier de Kalon, j’la reconnais. Je l’ai vu à la grande foire de l’an dernier, s’écria un des inconnus.

Les monstres lupins demeuraient immobiles. Seul un feu brûlant et dangereux débordait de leurs prunelles animales, mais il ne semblait pas vouloir attaquer tous ces hommes, toute cette chair à disposition ; comme s’ils étaient…alliés ? Dana écarquilla les yeux.

-Deux serpents sont sortis du nid ce soir, déclara le meneur. On tient notre revanche. Faîtes ce que vous voulez de la femme, mais j’veux la gamine de Kalon sans une seule égratignure. Elle porte un gamin. Vous devez être encore assez en forme contre UNE femme NON ?

Le cri de leur chef les enhardit plus que nécessaire. Ils n’avaient pas pour habitude de s’en prendre à la gente féminine, mais ce soir, l’exception était Reine et ils ne pouvaient se priver de laver leur affront. Shar, elle, ne quittait toujours pas le dévaronien inconscient des yeux. Mais l’aider serait s’en prendre aux loups et elle avait Mercy comme un fardeau dans les bras. Ils ne lui laissèrent guère le temps de décider ou de réfléchir et se ruèrent sur elle.

Alors elle percuta la Force, aussi douloureusement qu’on se fracassait à la surface d’une eau dure. Elle fut submergée et tendit sa main libre vers les assaillants pour déployer son don. Une onde de choc les repoussa violemment, stoppant leur course pour les propulser au pied de leur leader. Plusieurs gémirent, déjà blessés par la rixe précédente.

-La Magie des Rois, s’étonna Vetchet en reculant d’un pas.
-N’approchez PAS ! s’écria enfin Dana. Et toi ! Le balafré ! Tu commandes à ces loups ?! DIS-LEUR de relâcher Mumkin TOUT DE SUITE !
-Tu me donnes des ordres à moi ? Vetchet ! Tu sais pas où est ta place !
-Ouais ! Qu’ils le lâchent, ou je vous tue.

Quelques ricanements nerveux, incertains, mais personne n’osa répliquer. La plupart, affaiblis, n’étaient plus sûrs d’avoir la force ou l’envie. Vetchet, que l’étonnement avait quitté, s’avança d’un pas, puis l’autre. Dana recula, plaquant Mercy contre elle, les sourcils froncés de colère. Il joua des épaules, fit craquer ses cervicales, ses phalanges, prêt à en découdre. L’Inquisitrice cherchait une stratégie. Elle pourrait invoquer la Force de nouveau. Elle s’était suffisamment entraînée avec Kedrod, avec Runa. Elle n’avait plus besoin de contact pour contrôler un esprit bien que celui de Vetchet semblait solide. Elle prit une grande inspiration, tendit la main vers lui, rassemblant la Force, l’attirant à elle comme un aimant, jusqu’à communier assez pour se frayer un couloir. Un couloir droit vers le cerveau de cet homme.

Dans l’iris bleuté d’un loup à l’oreille coupée une lueur se manifesta. Ses pattes puissantes se mirent en branle et il s’interposa brutalement entre Vetchet et Dana, surprenant cette dernière. De nouveau, elle croisa le regard du monstre. Il était dans le faisceau de la Force qu’elle avait engagé, elle le sentait. Plus profondément qu’à leur première rencontre. Il la toisa également, babines retroussées, crocs révélés.

-Attaque-la ! s’exclama Vetchet, essoufflé.

Le loup grogna et son grognement rauque glaça les sangs de Mercy. Dana repensa au Nexu de son défunt père. A toutes ces créatures qu’il avait possédé par sa seule puissance. Etrangement, au milieu de cette jungle, sur Jabiim, elle songea à son enfance sur Ch’Hodos. Aux jardins suspendus qui avait accueilli tant d’animaux. D’aussi loin qu’elle se souvenait, elle n’y avait jamais vu de loup. Mais dans les yeux profondément bleus de la bête, elle crut que la Force lui révéla quelque chose. Que les grognements gutturaux qui émanaient de cette gorge prédatrice avaient un sens. Que ses paroles à elle, peut être, portées par la Force, en auraient un aussi. Il y avait un esprit. Il y avait une âme. Il y avait autre chose derrière ce regard azuré. Et elle voulut aller au-delà.

Le loup se détourna vivement vers ses pairs et grogna de nouveau. Leurs puissantes mâchoires se désolidarisèrent du corps de Mumkin qui retomba mollement au sol. Vetchet n’en crut pas ses yeux.

-Quoi ? s’étrangla-t-il.

L’animal grogna encore, vers l’humain cette fois et rassemblant les siens, sauta entre les arbres, de là où il était venu.

-DEBOUT les gars, on rentre ! hurla le chef, transi de colère et d’incompréhension. Darren a rappelé les loups au camp !









Quand il n’y eût plus personne, mises à part leurs trois âmes, Dana se précipita vers le corps de Mumkin, Mercy sur les talons. Elle s’agenouilla près du dévaronien, ausculta comme elle le put son état. Il perdait beaucoup de sang, mais elle le vit toujours respirer, péniblement. Elle réclama à la rouquine un morceau de sa tunique qu’elle avait plus longue que la petite robe qu’elle portait. La jeune fille s’exécuta, blême. Le bruit du tissu qui se déchirait éclata dans l’air. Pour une fois plus de croassements, les sons obscurs de la forêt avaient laissé place à un silence de plomb. L’Inquisitrice faisait du mieux qu’elle put pour trouver l’origine de l’hémorragie ; sans doute le creux de l’épaule. Un centimètre de plus et les crocs perçaient une jugulaire. Elle noua maladroite le morceau de linge, serra de toutes ses forces pour bloquer le saignement. Puis elle envoya des petites claques à Mumkin, penchée au-dessus de lui.

-Eh l’alien, l’alien, tu m’entends ? Réveille-toi…

Il geignit, s’ébroua un peu. Elle fronça les sourcils, recommença jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux pour croiser son regard doré et sentir les mèches brunes lui retombe de part et d’autre de la figure. Elle était auréolée de la pâle lumière de la lune et dans sa vision encore floue, il crut à une hallucination qui le fit sourire.

-J’sais pas si j’suis mort, mais j’ai vachement mal, articula-t-il.
-Ouais…souffla-t-elle, cachant au mieux son soulagement. Tu peux bouger ?
-Ben c’est-à-dire…que non…
-La poisse…Eh eh Mumkin te rendors pas !

Elle l’avait vu lutter, puis refermer les yeux. Nouvelle claque.

-Garde les yeux ouverts ! s’énerva-t-elle.
-Ils sont…où les autres…ah tiens Mercy..fit-il, vaguement, alors qu’il avait laissé sa tête choir sur le côté et qu’il avait croisé la silhouette de l’humaine.

Mercy. Ce fut comme un électrochoc.

-Mercy ?! Qu’est-ce qu’elle fout dans la forêt ? Argh…

Son interrogation mourut dans un râle de douleur.

-Vaut mieux pas que tu parles trop et que t’arrête de t’agiter. Garde juste les yeux ouverts.
-J’suis désolée Mumkin, répondit-elle, l’air coupable, J’voulais aider Mia, qu’elle puisse ahm…
-On parlera de ça plus tard ok ? Faut qu’on te bouge de là.

Mumkin n’était pas très grand, ni très lourd. Elle pouvait envisager de le porter sur son dos. Mais à peine voulut-elle le changer de position qu’il s’était mis à hurler de douleur. Peut-être exagérait-il, peut-être pas. Après tout, deux énormes loups l’avaient chicoté comme un vulgaire nerf de bantha. Par prudence, elle préféra ne pas réitérer. Une lassitude se mit à peser sur ses épaules. C’étaient les poids de l’incompréhension et de l’impuissance. Elle ne sut combien de temps, ils demeurèrent là. Sans un bruit. Sans une parole. Elle s’était assise près du blessée et Mercy s’était recroquevillée contre elle, épuisée. A travers le ventre de la future-mère, elle sentit encore les mouvements du bébé. Et dans la pénombre, ses iris précieuses surveillaient Mumkin. Elles contrôlaient que sa poitrine se soulevait toujours, signe qu’il respirait. Elle ne faisaitt que lancer la Force aussi loin qu’elle le pouvait à travers cette jungle hostile. Elle la lançait avec l’énergie du désespoir pour que Lloyd puisse la sentir.

Elle n’y arriverait pas seule.

Et de temps en temps, une claque à Mumkin, pour ne pas qu’il s’endorme.
Il grognait de mécontentement.

-T’es pas obligé de me claquer….me parler suffirait hein.
-J’ai rien à te dire.
-Ouais ben si c’est comme ça j’dors. J’suis en train de crever là.
-Ok, ok.

Putain d'alien.

-Tu veux parler de quoi ?
-Lloyd et toi…
-Quoi ? répliqua-t-elle un peu sèchement, sur la défensive.
-Bah…Lui et toi quoi…genre..

Il parlait lentement, aussi lentement que la douleur le permettait, ce qui agaça davantage Dana.

-Y’a pas eu des petits bisous par-ci par-là t’vas me dire ?
-Tu veux une claque ?
-Nan, nan, j’dors pas là !
-Alors la ferme.

Contre son épaule, Mercy avait déjà repris sa nuit et elle sentait sa respiration régulière.

-N’empêche…reprit Mumkin, pour ne pas sombrer à nouveau, se concentrant sur ses paroles.

Et il reçut une petite claque, juste histoire de l’aider à se maintenir conscient.

Lloyd Hope
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- Dana, le patron, il…

Mumkin s’interrompit. Il grimaçait de souffrance.

- Tu crois que… j’vais mourir ?

A quelques pas de là, Mercy avait été obligée de s’asseoir à même le sol, tremblante. Ses jambes ne la portaient plus et elle jetait des coups d’œil autour d’elle en chuchotant des questions qui resteraient sans réponse sur les loups, sur le chemin qui les ramènerait ou non au camp, sur les bruits dans les buissons qui ne lui disaient rien qui vaille.
Mais Mumkin, lui, regardait le ciel étoilé entre la cime des arbres qui se balançait au gré de vents agités. Il fronça les sourcils, puis ses yeux rencontrèrent ceux de Dana et il tâcha de les garder ouvert histoire de ne pas prendre une autre claque.

- Tu diras à Mamy Zora et à ma frangine que je les aime, hein ?
- Mais tu vas pas mourir Mumkin ! gémit Mercy affalée sur son séant, son ventre rond prenant trop de place pour qu’elle pût respirer aussi convenablement qu’elle le souhaitait.
- Le patron, j’disais, dit-il à Dana entre ses dents serrées en ignorant la remarque de Mercy. Si j’meurs… tu l’laisses pas tout seul, ok ? Il va faire… des conneries.
- Tu vas pas mourir, répéta la jeune femme obstinément, mais sa voix était plus incertaine.

Mumkin essaya de grimacer un sourire.

- Ben si j’meurs pas tant mieux. Mais si j’meurs, faut juste l’assommer un peu la nuit quand il délire, c’est tout. Ok ?

Le sourire du visage de Mumkin s’effaça et ses yeux se fermèrent. Il prit probablement une claque ou deux, mais cette fois-ci, il ne les rouvrit plus.

-------

-------

-------- Mumkin !

Lloyd dérapa dans la boue, se rattrapa maladroitement à des branches qui ployèrent sous son poids. Le terrain s’était fait accidenté, et Lloyd avançait laborieusement toujours dans la même direction, supposant que les loups avaient tiré droit vers leur destination et qu’il lui fallait rester dans cet axe. Il avait couru si vite, mais les loups étaient bien plus rapides que lui. Et maintenant la fatigue le gagnait, sa poitrine se soulevait au rythme d’une respiration effrénée. Un peu plus tôt, par endroits, il avait vu du sang frais sur une pierre. Ce pouvait être celui de Mumkin comme celui d’un loup blessé, mais c’était la dernière trace qu’il avait trouvée, le dernier indice sur la piste, et depuis un quart d’heure il criait en vain, incertain sur le chemin à suivre, et la panique le gagnait peu à peu.

- Mumkin ?

Rien ne lui répondit.
Il n’était pas prêt à ça. Encore moins en ce moment. Il ne pourrait pas rentrer au vaisseau sans Mumkin, sans son dévaronien de pilote à qui il avait promis des vacances bien méritées en famille, qu’il avait déjà gâché en buvant trop, en tapant dans le tas sans réfléchir. Il savait combien c’était égoïste : il ne pouvait juste pas être laissé seul pour rentrer au vaisseau. Pas maintenant, pas cette nuit. Il ne pourrait pas l’encaisser.
Il se commanda de cesser ses pensées qui tournaient en rond dans sa tête comme des requins prêts à le dévorer et de se concentrer sur ses recherches. Il était bien trop tôt pour abandonner.

- Mumkin… !

Il s’obstina. Arracha des branches, ignora la douleur de son bras sanguinolent. Il ne savait pas à quel point le reste du clan était loin derrière lui. Il lui semblait avoir entendu quelques pas derrière lui au tout début de sa course, mais ensuite la Force l’avait porté pour gagner du terrain, et il les avait certainement distancé rapidement.

Un fil tendu vibra dans son esprit.

Dana.

Il ralentit le pas, le souffle court. Si Dana était là, elle pourrait peut-être l’aider. Il lui semblait qu’elle était dans une direction proche de celle qu’il suivait, et il bifurqua avant de repartir au pas de course.

-------

-------

-------- Dana ?

Le hapien émergea comme un fou dans le sentier au milieu duquel les deux jeunes femmes s’étaient arrêtées, son couteau en l’air prêt à en découdre et sa chemise trempée de pluie, de sueur et de sang. Mercy glapit de surprise, mais Lloyd lâcha son arme en voyant le dévaronien étendu au sol.

- Mumkin !

Il s’agenouilla par terre et vérifia affolé la blessure à la naissance du cou : un morceau de tissu avait compressé la plaie de façon à faire cesser l’hémorragie mais Mumkin avait perdu beaucoup de sang ; et visiblement, il avait perdu connaissance aussi : Lloyd répéta son nom mais n’eut aucune réaction. En tâtant sa gorge, en se penchant au-dessus de sa bouche, cependant, il constata que Mumkin respirait. Il se força à se calmer mais l’adrénaline et la peur mettaient du temps à refluer et il jeta vers Dana et Mercy des regards hébétés en vérifiant les autres blessures, et que le bandage de fortune était bien serré. Et qu’il respirait, encore une fois.
Seulement ensuite put-il ralentir, passer ses mains sales sur son visage pour essuyer la frayeur. Il y eut quelques minutes de silence, pendant lequel Lloyd s’était laissé choir sur son séant à côté du dévaronien. Il jeta un regard soulagé vers Dana, qui était toujours de l’autre côté du pilote.

- C’est toi qui l’a tiré de leurs gueules, dit-il, comme si c’était une question à laquelle il avait déjà répondu.

Dana maîtrisait mieux la Force que lui. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé exactement, mais le soulagement et la gratitude le calmèrent peu à peu. Il posa les yeux sur Mercy, qui dardait sur eux ses prunelles effrayées.

- Et toi, qu’est-ce que tu fais là ?

Il n’avait pas voulu être sec. Mais il avait du mal à se remettre. Il regarda Dana, dont il remarquait seulement maintenant la robe simple et déchirée. Mais sur elle, il ne posa aucune question.

- Je cherchais Mia.
- Elle va bien. Elle est avec les autres. Il faut qu’on rentre.

Lloyd n’attendit pas l’assentiment des deux femmes. Il s’inquiétait pour Mumkin. Il fallait le recoudre avec du matériel. Les femmes au camp auraient bien des aiguilles et du fil solide, supposait-il. Il fallait aussi vérifier que la plaie n’était pas infectée – on ne savait pas quel genre de maladie ces loups étranges pouvaient porter, et il fallait vérifier qu’il n’avait pas perdu trop de sang, et sinon qui lui en donnerait ? Ne serait-il pas trop tard ? Il y avait trop de choses à penser et le hapien était déjà en train de soulever le corps du dévaronien avec difficulté que Mercy se manifesta d’une voix brisée.

- J’vais pas pouvoir, éclata-t-elle dans un sanglot. J'vais pas pouvoir me relever.

Le hapien se retourna, prêt à ordonner à Dana d’aider la jeune femme, mais Mercy cria de douleur entre deux gros sanglots.

- J’crois que j'ai perdu les eaux...

Darth Hope
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La présence soudaine de Lloyd l’avait un peu revigorée. Elle avait allégé les poids qui menaçaient de briser ses épaules qu’elle sentait trop frêles ce soir. Ses claques n’avaient pas réussi à réveiller Mumkin et elle s’en désola. Elle eut l’impression d’être coupable aux yeux du hapien et finalement, évita son regard de peur d’y lire des reproches. Des reproches qu’elle ne supporterait pas, parce qu’elle avait déjà fait plus que de son mieux pour ce foutu alien, dont elle n’avait pas envie de se soucier, mais dont elle se souciait parce qu’il était un lien important pour l’autre Sith. Et ses prunelles fuyantes tombèrent sur Mercy qui s’était éloignée d’elle depuis un moment, tentant de maîtriser de légères contractions qui avaient mené à la perte de ses eaux dans un premier cri qui déchira l’air et la nuit. Sans doute annonciateur d’une longue série d’autres cris.

- J’crois que j'ai perdu les eaux...

Dana déposa son attention sous le bassin de la jeune fille, dont la tunique était trempée, assombrie entre ses jambes fébriles.

-Qu..Quoi ?
-Le bébé va venir ! cria-t-elle avant de serrer les dents pour encaisser une nouvelle pointe de douleur qui l’essouffla.

L’inquisitrice rampa hâtivement vers la rouquine, affolée. Elle jeta vers Lloyd un regard paniqué. Une autre menace s’annonçait. Une menace contre laquelle la Force ne pourrait rien. Elle ne savait que dire. Mumkin était inconscient, mais ce n’était pas comme s’il aurait pu se montrer utile en situation d’accouchement. Elle revint à Mercy et lui prit le visage entre ses mains tremblantes mais fermes.

-Mercy, écoute-moi, c’est pas le moment ! Retiens-le.
-Quoi ? hurla-t-elle et des croassements enragés en provenance de la flore firent écho à sa douleur. Mais je PEUX PAS. J’dois faire quoi Dana, j’dois faire quoi ? Ruth….AH ! Ruth elle m’a explique mais…j’me souviens plus….

Des larmes brûlantes dévalaient le long des joues rebondies de la future mère et son visage était tordu d’inconfort. Dana aurait aimé ne rien ressentir à ce moment-là, être dénuée de compassion comme elle l’avait toujours été. Cependant, elle sentit son cœur se rétracter dans sa poitrine, sans le contrôler. Elle avait l’impression horrible de partager la douleur de Mercy et ne souhaitait rien de plus que la soulager. Bien qu’elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Elle avait déjà entendu les esclaves accoucher au palais sur Ch’Hodos. Elle se souvenait vaguement des échos de leur souffrance, des pleurs qui se répandaient dans les coursives comme une longue complainte. Mais elle n’y avait jamais assisté.

Elle ne savait pas comment soigner Mumkin.
Elle ne savait pas comment faire accoucher une femme.

Dana Shar n’avait jamais été aussi démunie de toute son existence. Pas même sur Korriban, pas même sur un champ de bataille, elle n’avait senti cette impuissance lui étreindre douloureusement la gorge. Il lui fallait suivre son instinct. Compter sur le fait qu’elle était une femme. Qu’ironiquement, quelque part, la nature l’avait également doté pour ça. Il le fallait. Ou bien Mercy mourait.

-Lloyd. Fit-elle d’une voix blanche. Lloyd déchire ta chemise. Faut que tu me passes les morceaux ensuite.

Et joignant le geste à la parole, elle commença à tirer sur les pans de la tunique de Mercy, dégageant de grandes bandes de tissu qu’elle aurait aimé propres, mais à ce stade, il fallait juste espérer que cela fasse l’affaire. Elle retroussa ensuite le vêtement sur le bassin pour dégager ce qui devait l’être. Paumes contre les genoux écartés de la rouquine, elle avisa et fut terrifiée par ce qu’elle voyait.

Un nouveau hurlement cisailla la nuit. Mercy ne respirait pas très bien, emportée par ses propres contractions, par son stress, par sa douleur. Elle était aussi pâle que la lune qui veillait avec indifférence sur le spectacle. Dana serra les dents.

-Attends Mercy, fais pas n’importe quoi !
-JE FAIS COMME JE PEUX ! s’égosilla-t-elle avant de pousser, comme le lui avait expliqué Ruth de nombreuses fois. Contrairement à l’Inquisitrice, elle avait eu la « chance » d’assister à des naissances. Elle se remémorait dans l’urgence de la survie, et surtout de celle de son bébé, qu’il fallait pousser à chaque pointe aïgue qui contractait le bassin, la poussant au supplice. Elle voyait flou sans savoir si c’étaient ses larmes, ou si c’était la mort. Mais elle poussait de toutes ses forces, à en sacrifier son souffle. Et quand elle fournissait cet effort, elle hurlait. Quand elle ne poussait plus, elle sanglotait de douleur. Ses mains avaient capturé l’herbe sur laquelle elle était couchée et enserrait la végétation. Ses ongles s’enfonçaient dans la terre meuble.

-Je vois quelque chose ! finit par souffler Dana en se penchant entre les jambes de l’humaine. Y’a une tête !

La remarque fut comme un encouragement pour Mercy, comme la promesse d’une délivrance proche alors elle se remit à pousser même si elle avait l’impression qu’à chaque poussée, tout ses muscles se déchiraient, elle poursuivait. Les minutes s’étiraient.Dana tendit ses mains maladroitement alors qu’une petite chose frayait son chemin hors de la matrice. Elle sentit bientôt un poids fragile échouer entre ses doigts. Le silence se fit. Mercy ne poussait plus et un cri innocent résonna timidement.

-Mon bébé…mon bébé….murmura-t-elle, vidée de ses forces.

Mais Dana restait figée alors qu’elle reculait un peu, le nouveau-né tout frémissant entre ses mains. Elle le regardait parce qu’il avait deux minuscules excroissances sur son tout petit front humain.

-Dana…mon bébé…il va bien ? Dana…

Elle se ressaisit et se pencha pour déposer l’enfant contre sa mère qui se mit à pleurer encore, de soulagement, de joie. Et par-dessus cette nouvelle âme, la Sith ramena la bande de tissu qu’elle avait déchiré plus tôt. Elle se détourna vers Lloyd,

-Ton couteau, ton couteau. Dit-elle plusieurs fois. Faut que tu coupes ça…

Et elle désigna le cordon qui reliait encore le bébé à sa mère.

-Dana…reprit Mercy qui plaquait sa joue contre son bébé, soulagée. Dana c’est un petit garçon…
-Ouais…il est….

Elle aurait voulu dire quelque chose de gentil, partager la joie de Mercy, mais aucun mot sensé n’arriva à franchir ses lèvres. Par pudeur, elle remit la tunique déchirée de Mercy en place, voilant ses hanches, son bassin, ce qui avait fait d’elle une mère à grand renfort de sang.

-Il est….reprit-elle.

C’est un putain d’hybride, pensa-t-elle alors, ça devrait pas être possible, bordel. Mais elle témoignait de l’immense sourire qui barrait la figure éprouvée de la jeune mère et elle se radoucit.

-Il est bien.
-C’est un garçon, redit-elle d’une voix fatiguée. J’suis contente…il aura pas une vie de merde…comme les femmes…J’vais…j’vais lui apprendre à être sympa avec elles. A leur laisser faire…tout ce qu’elles veulent…
-Tu vas être une bonne mère, c’est sûr, tenta Dana. Il faut qu’on rentre maintenant.

Elle se détourna vers Hope et se redressa. Sitôt proche de lui, elle le prit pas le bras valide pour l’entraîner un peu à l’écart, dans la pénombre et lui parler tout bas :

-Tu vas pouvoir les porter tous les deux ? Elle et Mumkin ? On peut trouver des lianes pas trop dégueu et attaché l’alien à ton dos, non ? Parce qu’on va pas s’en sortir sinon..

Elle se rendit qu’elle n’avait pas relâché le bras, et qu’elle l’avait enserré plus fort, parce qu’elle était trop heureuse de ne plus être seule dans toute cette misère. Ses yeux retombèrent sur l’autre membre, celui en charpie. Elle distinguait le sang, elle distinguait la chaire meurtrie qui s’échappait d’un derme mordu. Elle devina qu’il avait dû croiser les loups.

-Visiblement, ce sera compliqué. Il faut te soigner aussi. Pourquoi t’es allé avec eux hein ? Il faut toujours que…

Scratch.

Elle déchirait sa propre robe, déjà simple, déjà courte. Et releva sur lui un regard mitigé, plein de reproches et d’inquiétude. Alors qu’elle s’évertuait à nouer ce morceau de robe autour de ce qu’il y avait de plus sanglant sur ce bras blessé, elle poursuivit d’un ton sec :

-Il faut toujours que tu te mettes dans les ennuis. Mumkin sera pas toujours là pour te sauver la mise, tu sais ça ?


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Lloyd avait un peu bataillé pour couper le cordon. La matière était gluante, glissait dans ses mains mal assurées, mais il avait fini par réussir à faire une boucle serrée autour de la lame pour trancher d’un geste sec le lien ombilical. Il était torse nu et récupéra le dernier pan de sa chemise qui traînait par terre pour envelopper un peu mieux le bébé que Mercy tenait fébrilement. Son cœur battait à tout rompre, mais il tâchait de rester calme.
Qu’il y eût un bébé et que le bébé fut hybride ne le perturbait pas tellement, en réalité. Il avait serré les dents et prié pour que tout se déroulât au plus vite, de façon à ce qu’il pût ramener Mumkin plus rapidement. C’était égoïste. Mais il voulait son pilote vivant.

- Il faut toujours que tu te mettes dans les ennuis. Mumkin sera pas toujours là pour te sauver la mise, tu sais ça ?

Ni toi, songea-t-il, mais il ne dit rien. Il serrait les dents en suivant des yeux les gestes rapides de Dana pendant qu’elle lui bandait le bras. Ça faisait mal. Il n’avait aucune envie de se plaindre.

- Merci, dit-il simplement quand elle eut terminé.

Il eut une œillade vers Mumkin avant de revenir aux prunelles dorées de Dana.

- Merci, répéta-t-il pour qu’elle comprît qu’il était sincère, pas ironique, qu’il ne la remerciait pas que pour son bras.

Il y aurait certainement eu des mots plus précis pour dire ce qu’il ressentait mais comme d’habitude, il n’avait pas ça en stock. Alors comme d’habitude, il espéra qu’elle comprendrait.

--------

--------

--------- Attends, ça va glisser, là.

Ils avaient mis près d’une demi-heure à confectionner à partir des lianes quelque chose qui ressemblait à un harnais dans lequel ils avaient emberlificoté Mumkin. Lloyd s’était assis par terre, dos au dévaronien, et Dana l’avait aidé à attacher les lianes autour de sa taille, de ses épaules et de son cou pour répartir la charge. Mais lors de leur premier essai, l’un des nœuds du harnais près de sa hanche se dénoua et Lloyd et Dana se mirent à le renouer. Ils s’emberlificotaient les doigts. Leurs mains se mêlaient parfois involontairement. Les doigts de Dana étaient humides et froids.
Ils réussirent à renouer le harnais de fortune et le hapien essaya de se lever une deuxième fois. Le dévaronien était lourd, mais son poids était supportable : Mumkin n’était pas très corpulent, mais une fois debout, Lloyd sentit les lianes lui cisailler la peau sans protection autour du torse et du cou. Mais si c’était le prix à payer pour sauver son pilote, il l’aurait fait et refait encore, malgré la douleur et la fatigue.

Après cela, Dana essaya de mettre de Mercy debout, mais les jambes de la jeune femme ne la portaient tout simplement plus. Alors Lloyd se remit à genoux et les deux Sith s’échinèrent à la mettre dans une position où il pourrait la maintenir. Mercy s’excusait en pleurnichant, et elle les aida en passant ses bras autour de la nuque de Lloyd. Celui-ci avait passé ses mains sous le dos et les jambes de la jeune mère et finalement, ils parvinrent à tenir à trois sur ses deux jambes.

Et là, ce fut vraiment lourd.

- Bon, j’espère qu’on n’est pas trop loin du camp parce que j’vais pas tenir longtemps.

A l’absence de réponse de Dana, il comprit qu’ils n’étaient pas à deux pas du camp. Ils débutèrent néanmoins leur étrange procession, la Sith en tête avec le bébé enveloppé dans des morceaux de chemise et de robe bariolée.

--------

--------

--------Lorsqu’ils arrivèrent au camp, Lloyd peinait à tenir debout. Il avait manqué de tomber plusieurs fois, s’était rattrapé en heurtant les troncs de ses épaules nues. Ils avaient fait deux pauses, pendant lesquelles il avait posé Mercy pour se reposer un peu, après quoi ils étaient repartis en titubant. Le bébé s’était endormi dans les bras de Dana, et le hapien enviait sa situation. Il avait l’impression d’être un animal de bât.
Aussi les lueurs qui provenaient du camp furent-elles un soulagement. Lloyd s’était attendu à un comité d’accueil, de l’aide, mais il n’y avait rien de tout ça. Leur épopée était restée secrète, étonnamment. Seule une silhouette se découpait sur la plage et les fixait au-delà d’un masque. Dès qu’ils furent à sa hauteur, Lloyd n’y tint plus et se laissa tomber à genoux sur la plage, laissant Mercy glisser sur le sable. La jeune femme tendit les mains pour récupérer son bébé comme si elle avait peur qu’on le lui vole ; et effectivement Mamy Zora prit l’enfant des mains de Dana en laissant Mercy gémir à terre, tandis que le hapien commençait à défaire les lianes qui avaient laissé sur sa peau des marques rouges et brûlantes.

- Un bâtard, dit l’ancienne à travers son masque, comme si elle l’avait toujours su, ce qui était peut-être vrai. Tu as de la chance qu’il ne soit pas déformé. J’ai vu des monstres de la nature naître de ce genre d’union, Mercy, mais tu as été épargnée. Nos dieux seuls savent pourquoi.

La vieille femme consentit à se baisser pour rendre l’enfant à sa mère, qui s’en empara à gestes fébriles et soulagés.

- Il va falloir lui trouver un nom et un habitat adéquat, commença Zora, mais Lloyd se fichait pas mal de ce genre de détails administratifs.
- Hé, d’abord on le recoud, lui, dit-il en désignant Mumkin du doigt, qu’il avait libéré de son harnais. Quelqu’un sait faire ça chez vous ?

Sans attendre de réponse, il s’était mis à soulever le dévaronien comme il avait pris Mercy, et se releva.

- Je l’amène où ?

Mamy Zora le toisa de son regard indéchiffrable.

- Il va vivre, ne vous en faites pas. Je sens d'ici son souffle régulier. Son heure n'est pas venue.
- ... Je m’en fais quand même, merci bien, grogna-t-il. Dites-moi où je vais.

Zoraïna soupira, insatisfaite de cette impatience, puis elle se tourna vers le roulottes.

- Kashiina.

Seulement alors l’aperçurent-ils. La brune au teint sombre les toisait, bras croisés, dans une robe de nuit légère, à quelques pas de là.

- C’est toi qu’a cafté ! persifla Mercy entre ses dents.
- Mercy, fit sèchement Zoraina. Vous règlerez ça plus tard. Accompagne-les. Kashiina et Ruth pourront vous donner ce qu’il faut, pour Mumkin et le bébé.

Lloyd se hâta vers Kashiina, qui couvait toujours la scène de ses yeux ténébreux.

- Pas vous, entendit-il dans son dos. Je dois vous parler en privé.

C’était Zora qui venait de retenir Dana par le bras. Le hapien lui adressa un bref coup d’œil. Il fallait sauver Mumkin. Il suivit donc Kashiina sans un mot.

--------

--------

--------Lloyd ne put trouver un peu de paix que lorsque Ruth avait commencé à recoudre Mumkin, dans une roulotte austère qu’elle avait déverrouillé spécialement pour qu’il y déposât le dévaronien. Il n’y avait que deux couchettes dans la minuscule roulotte, aussi lui avait-il laissé la place afin qu’elle pût travailler tranquillement, à la lueur d’une guirlande colorée accrochée à la petite vitre ornée de rideaux.
Il s’était assis sur les marches de métal, à l’abri sous une bâche d’une pluie fine qui s’était remise à laver le paysage. Kashiina, qui avait aidé Mercy à rejoindre sa roulotte en la supportant à demi avec son bébé, revint au bout d'un moment avec une deux tasses brûlantes. Elle en tendit une à Lloyd et déposa l’autre à l’entrée de la roulotte. Le hapien l’accueillit avec un regard interrogateur.

- C’est un breuvage réparateur, expliqua-t-elle. J’ai toujours eu la main pour les onguents et les remèdes. Je sais faire des pommades pour soulager ça, aussi, si tu veux.

Lloyd suivit la pointe de son doigt des yeux. Elle désignait les marques rouges que les lianes avaient laissé sur son torse.

- Ça ira, merci. Et Mercy ?
- Elle dort. Le bébé aussi. Ca devrait aller.

Il trempa ses lèvres dans la boisson. Sentir le liquide, qui sentait l’herbe séchée, lui réchauffer l’œsophage et ses mains à travers la tasse, avait quelque chose de réconfortant. Mais comme toujours, l’effet ne dura que quelques secondes. L’instant suivant, il jetait des œillades suspectes autour de lui. Kashiina attendit un peu, puis se décida à s’asseoir à ses côtés. Le hapien ferma les yeux un bref instant. Il était fatigué. Il n’avait pas envie d’une confrontation maintenant. D’un autre côté, il avait signifié à Dana qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait avec Svan, qu’il devait l’accepter.

- Pfff, je peux te refaire ça, au moins, c’est fichu n’importe comment, dit Kashiina, et elle essaya de s’emparer du bras de Lloyd, où on reconnaissait les motifs de la robe de Dana, mais le hapien dégagea doucement son bras.
- Je saurai faire ça tout seul. Plus tard. D’abord je veux Mumkin soigné comme il faut, si tu veux aider.

Kashiina soupira. Elle était jolie. Elle attrapa ses genoux dénudés entre ses bras fins et posa son menton sur ses avant-bras avec une mine triste.

- Tu pourrais un peu jouer le jeu, au moins.

Lloyd ne répondit pas.

- Je sais que j'te plais. Tous les hommes ici t'envieraient.
- Tu veux juste quitter Jabiim, rétorqua-t-il, évitant la question implicite.

Kashiina eut un sourire mais s’obstina à regarder devant elle.

- Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? La princesse ne s’entiche peut-être pas du prince charmant que pour sa belle gueule, mais aussi pour le cheval et tout le toutim.

Le hapien replongea les lèvres dans sa tasse, pensivement, et avala une nouvelle gorgée. Il devait reconnaître que sa boisson faisait réellement du bien. Il sentait son corps se détendre peu à peu.

- Y’a rien de mal à ça, j’préfère juste qu’on soit clairs.
- Alors tu y réfléchis vraiment ?
- Absolument pas.

Kashiina défia le hapien du regard. Puis elle soupira, avant de se rapprocher de Lloyd. Sa cuisse touchait celle du hapien qui s’obstina à faire mine de n’avoir rien remarqué.

- Puisqu’on est dans un moment d’honnêteté : c’est toi qui l’a lardée comme ça, la femme de ménage ?
- Qui l’ai quoi ? répéta Lloyd, en se tournant vers elle un peu plus brusquement qu’il ne l’aurait voulu.
- Elle a un sacré paquet de cicatrices. J’voulais savoir si ça t’arrivait souvent, ou si elle l’avait vraiment cherché.

Le hapien roula des yeux. Cette histoire de femme de ménage prenait des proportions idiotes. C’était tellement absurde qu’il ne se fatigua même pas pour démentir.

- Ça ne t’arrivera pas dans tous les cas puisque tu ne monteras pas sur le Sans Visage.
- Ok. Je peux être ton épouse ici.

Lloyd tourna de nouveau vers Kashiina son visage contrarié, mais la jeune femme souriait avec audace.

- Quoi ? Je veux juste être claire.
- J’avais compris.

La jeune femme faisait maintenant glisser ses doigts sur le dos de la main de Lloyd, dont le bandage depuis le Sans Visage s’était terni par la saleté et le sang. Il aurait dû le changer plus tôt.

- Alors quoi, reprit-elle d’une voix douce, tu vois bien qu’il n’y en a aucune qui tiendra la concurrence : tu as pas besoin d’une femme de ménage, tu as besoin de quelqu’un qui s’occupe un peu de toi, et qui soit suffisamment intelligente pour pas non plus rester dans tes pattes au mauvais moment. Est-ce que je me trompe ?
- C’est plus compliqué que ça.
- Ah-ah. Donc je n’ai pas tort. Je saurai faire tout ça, ici ou sur un vaisseau.

Elle avait susurré ces mots en posant sa tête sur son épaule, et Lloyd laissa échapper un soupir. Dans une autre vie, il aurait peut-être accepté. C’était un deal raisonnable : elle sortait de sa situation d’impasse, quelle qu’elle fut ; ils étaient tous les deux moins seuls, il aurait quelqu’un vers qui battre en retraite quand ça n’irait pas. Il n’y avait qu’une seule chose qui clochait : il n’en avait pas du tout envie, voilà tout. Même s’il n’était pas désagréable d’avoir une tête à l’odeur délicate posée sur son épaule, il pensait à un autre shampooing, d’autres cheveux sombres, une autre tête.

- Je cherche pas d’épouse.
- Tu cherches quoi, alors ?
- Rien.
- Menteur. Tout le monde cherche quelque chose.

Lloyd ne répondit pas.


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