Elle trouvait la situation assez étrange et pour le moins des plus incongrues. Il n’y avait pas encore vingt minutes, elle s’était écarté de Joseph comme si elle s’était brûlée. Et là, elle le laissait être proche d’elle sans ressentir le moindre malaise. La différence ? Elle résidait dans les simples faits qu’ils étaient isolés – ce qui la rendait bien moins susceptible d’être observée - et qu’il semblait avoir compris ce qui n’allait pas. Elle lui avait donné son autorisation et, naïvement peut-être, espérait qu’il saurait s’en souvenir. Elle était donc un peu plus détendue alors qu’il était proche au point de la frôler s’il faisait un mouvement ample. Malgré cela, elle ne bougeait pas et, sans vraiment savoir comment, trouva un courage certain pour parler… un peu plus. Du moins essayer vu combien elle se savait confuse.

Inconsciemment, à travers ses mots, elle prouva combien elle était totalement inapte émotionnellement quand elle était directement concernée. Elle se tendit un peu quand Joseph posa sa tasse sur le plan de travail. Cela ne l’empêcha pas de continuer et d’aller jusqu’à effleurer le sujet Balian. Effleurer parce qu’elle restait somme toute pudique et qu’elle ne voyait pas vraiment quoi dire de plus sans devoir entrer dans les détails. Chose qu’elle refusait. Le silence revint, finalement. Elle ne savait pas quoi ajouter sans craindre de paraître encore plus décousue et incompréhensible. Sans qu’elle puisse songer à faire autre chose – comme se mettre au travail – elle se retrouva attirée par Joseph dont les bras s’enroulèrent autour de sa taille comme pour l’empêcher de partir. Si le geste la surprit et la crispa, elle ne fit pas mine de s’enlever. Voilà quelque chose qu’elle comprenait plutôt bien pensait-elle. Elle papillonna des paupières pour ajuster sa vision, réagissant à peine quand il retira des mèches de son visage.

Elle l’écouta et effectivement, elle ne comprit rien à l’expression « les goûts et les couleurs ne se choisissent pas ». Encore un concept bien trop abstrait. D’autant plus qu’elle n’était pas habituée et ne s’était jamais autorisée à développer des préférences en dehors de ses choix de « carrière ». Elle devait une impartialité sans faille au monde extérieur. Alors avoir des goûts était une chose inenvisageable si elle voulait garder son objectivité. Pas de bon ou de mauvais goût ou de couleur… Peut-être. Pour elle, tout s’équivalait. L’une des mains de Joseph caressait son dos, la détendant lentement… jusqu’à ce qu’il pose sa main à elle sur son torse. Là, elle se crispa de nouveau et rougit. Elle ne retira pas ses doigts immédiatement. Les quelques mots soufflés à son oreille la firent tressaillir.

« Pourquoi serais-je en droit, Joseph ? » demanda-t-elle doucement. D’elle-même, elle compléta la distance entre eux. Sans pour autant se blottir contre lui, elle se contenta de simplement poser son front sur son épaule. « Ne pas espérer et ne rien attendre… évite la déception. J’ai longtemps espéré et attendu… en vain. Les déceptions ont été si nombreuses qu’encore aujourd’hui, il faudrait peu de choses pour que je sombre…. Et ça leur donnerait raison à tous. » Il pu entendre un nouveau soupir, plus profond et qui charriait bien plus qu’elle n’était prête à l’avouer. « Il n’y a pas si longtemps que cela, j’espérais encore un peu. J’ai discuté de mes inquiétudes avec le Grand Maître de l’Ordre. Je pensais… je m’étais attendue à être entendue… Et au final… Le discours a été le même que d’habitude. Cette fois-ci, j’ai quitté Ondéron pour Coruscant et j’ai décidé de ne plus rien attendre et ne plus rien espérer. »

Le naturel… Voilà une question épineuse quand on en venait aux Jedis. Le naturel était réprimé depuis leur plus tendre enfance. Les émotions étaient indiquées comme néfastes. Tout comme les sentiments et… tout ce qui pouvait faire de l’être un individu en un sens. Et au-delà de cela, dans l’espoir de s’intégrer, See’Ryl avait poussé les préceptes à leur extrême. Au point qu’elle était juste incapable de discerner des émotions chez elle. Chez les autres, ce n’était pas un problème. Chez elle… toutes étaient considérées comme des échecs plus ou moins importants. Cependant, depuis quelques semaines, elle s’améliorait dans le sens où elle se faisait moins intransigeante avec elle-même. Le rapprochement avec Balian en était le témoin le plus visible. Il y avait d’autres signes… Comme son départ d’Ondéron ou même…. Le fait qu’elle se laisse ainsi aller au point de poser son front sur l’épaule de Joseph. Pour se reposer, c’était exactement cela tant elle se sentait épuisée. Mentalement tout du moins. La journée était compliquée sur bien des points et elle se surprenait à vouloir se reposer sur quelqu’un. Une exception après des décennies solitaires à bien des égards.

Elle s’attendait à rester ainsi le temps qu’il lui faudrait. C’était sans compter Joseph qui l’attira plus franchement contre lui. Si elle se crispa, elle ne s’en laissa pas moins faire : son inconscient la poussait à faire ce qui semblait être particulièrement indiqué dans la situation actuelle. Et puis… Elle connaissait les étreintes. Et cela, c’était une différence notable avec tout ce qu’avait pu faire Joseph auparavant. « J’ai quitté Ondéron parce que la situation était intenable…Et parce que je n’avais pas le choix. » souffla-t-elle. En soulignant clairement le manque de choix, elle sous-entendait le fait que sa dernière conversation avec Saï l’avait positionnée d’une manière inattendue. Dans sa naïveté, See’Ryl avait cru être parvenue à se faire comprendre… et entendre. Le fait était que constater l’échec et la surdité apparente du vieil homme… cela avait été particulièrement douloureux. Une nouvelle preuve de désaveu s’il en était.

« Tu n’es pas… obligé de faire cela, Joseph. » dit-elle à propos des dernières paroles du chasseur de primes. « Il y a des choses qui ne peuvent être comblées que par ceux qui les ont provoqués. » Elle se redressa pour pouvoir le regarder. Elle ne refusait pas son aide. Elle désirait simplement qu’il ne se lance pas dans une quête interminable et, surtout, impossible sur certains aspects. « Et… tu as sûrement bien mieux à faire que de prendre en charge quelqu’un comme moi. » Comprendre : une personne émotionnellement handicapée et occupée à se débattre avec ses propres démons. Elle soupira légèrement et retourna à sa position première, bien décidée à prendre un peu de repos puisqu’il semblait vouloir le lui en offrir.

Elle resta ainsi un temps qui lui parut indéfini. Trop long, peut-être pour Joseph. Trop court en tout cas pour elle. Elle ne voulait pas abuser plus qu’elle ne l’avait déjà fait en son sens. Aussi finit-elle par se détacher doucement, prenant garde à ne pas être brusque afin de ne pas le blesser et lui faire croire qu’elle le rejetait. Pas comme presque une heure plus tôt. « Merci, Joseph. » souffla-t-elle au passage, à son oreille. « Je devrais me mettre au travail avant que ton R1 songe à me trucider dans mon sommeil » ajouta-t-elle, un léger sourire amusé. Son regard vola jusqu'au photorécepteur et le souvenir des boissons chaudes lui revint à l’esprit. « Je crois que maintenant, tu ne vas plus te brûler en essayant de boire… ».

Evidemment, elles étaient glacées désormais.

Il y avait finalement peu de temps depuis qu’elle avait découvert les contacts humains et la valeur d’une étreinte. Et bien qu’elle ne se soit pas encore décidée quant au fait que ce soit interdit ou permit – pour elle, tout du moins -, See’Ryl n’y résistait pas… Elle ne cherchait même pas à le faire. En la serrant contre lui, Joseph lui donnait typiquement ce dont elle avait besoin après les quelques heures émotionnellement riches qu’il venait de lui faire vivre. La jeune femme trouva donc une forme certaine d’apaisement, celui qui lui convenait sur l’instant… Un instant qui s’éternisa sans qu’elle ne manifeste le moindre besoin, ou la moindre envie, de le briser. Il était différent des autres. A ses yeux, tout du moins. « Je me demande bien ce qui t’a poussé à te décider. » chuchota-t-elle, immobile et le front toujours posé sur son épaule. « J’ai cru comprendre que tu continuerais à… » Elle ne savait qu’ajouter après. A vouloir d’elle ? Voilà une chose qu’il n’avait pas dite. Il avait dit charmer… Mais à quoi bon ? voulait-elle lui demander.

Peu envieuse à l’idée de mettre fin à cette étreinte, elle laissa le silence s’installer et les entourer. Ce n’était pas gênant, ou intimidant… Juste confortablement simple. Jusqu’à ce que sa conscience soit impossible à ignorer. Elle s’écarta lentement, rétive devant la perspective de retourner à sa solitude. Voilà qui était on ne pouvait plus ambigu après qu’elle se soit ingéniée à le repousser et à échapper à ses contacts. Il bougea, finalement, achevant la boisson dont la saveur ne devait plus être au rendez-vous. L’ombre d’un sourire éclaira son visage. « Je n’ai encore rien fait. Remercie-moi quand je te rendrais ton R1… Et prépares toi à une logorrhée digne de ce nom. » Le ton de sa voix trahissait son amusement tant elle ne doutait pas que le petit droïde allait leur en vouloir pendant un moment à la durée proportionnelle à sa torture théorique.

Des deux êtres de chair, seule See’Ryl allait devoir porter le fardeau d’une ire éternelle. Ce qu’elle allait faire au droïde ne se résumait pas à simplement l’amener à l’atelier et à le laisser. Elle pouvait mettre sa main à couper que l’être mécanique saurait tout à faire faire la différence entre la pseudo responsabilité de Joseph et celle de l’Arkanienne. Cette dernière, d’ailleurs, eut les joues roses à l’aveu du mandalorien. Lui faire des avances quelle idée… Si tant est qu’elle sache vraiment ce que cela pouvait bien dire… Doucement, elle serra les doigts qui tenaient les siens alors qu’il la saluait.

« C’est dans ton intérêt… J’ai beau savoir ce que je fais, si tu passes ton temps à me perturber, je ne suis pas certaine que le résultat soit à la hauteur de ce dont tu as besoin. » Peut-être la manière la plus délicate de dire qu’elle avait besoin de tranquillité si elle ne voulait pas faire la moindre erreur lorsqu’elle serait plongée dans la programmation et la mémoire du R1. « Ma proposition concernant le Temple tient toujours. Je n’y rentrerais probablement pas ce soir… » Pourquoi le précisait-elle ? Surtout qu’elle savait précisément que c’était pour pouvoir fabriquer les pièces endommagées du droïde dont elle avait la charge. Ce n’était pas non plus comme si Joseph était un invité… Elle soupira intérieurement sans comprendre la raison d’un tel comportement. « Je te tiendrais informé de l’évolution de ta demande. Ton R1 sera réassemblé demain si j’ai toutes les pièces. Pour le reste… il me faudra plus de temps. Je m’en occuperais entre les cours. »

De justesse, elle se retint de lui proposer de venir quand il le voulait. De justesse.