En réalité, ce n’était que depuis peu de temps que See’Ryl s’affichait avec sa couleur naturelle de cheveux après avoir passé des décennies à les colorer en noir. Un moyen de se faire plus discrète et de se protéger. « Quel que soit le nom qu’on lui donne, les effets restent les mêmes. » répondit-elle à propos de la Force. Elle comprenait que l’on puisse avoir des réticences à l’idée qu’une « entité » soit à l’origine de tout. Au temps pour l’autodétermination et le libre arbitre, n’est-ce-pas ? Néanmoins, See’Ryl ne pensait pas que la Force dirigeât le moindre détail de la vie des milliards d’âmes de la Galaxie. A quelque part, cela la rassurait de penser qu’elle possédait encore la possibilité de choisir.

Lorsqu’ils furent hors de l’atelier, la jeune femme se permit une petite phrase dont elle avait le secret. Oui, ils allaient tous deux constituer l’attraction de la journée pour des étudiants bien trop avides de rumeurs et autres « on dits » pour lesquels les réflexions frôlaient souvent le zéro absolu… pour ne pas dire le néant. See’Ryl y était habituée et elle savait pertinemment qu’aller dans un lieu aussi public que la cantina de l’université était une exception. Alors que dire du fait qu’elle était accompagnée ? Voilà qui ne manquerait pas d’agiter les étudiants. Elle se glissa à l’intérieur, peu étonnée du bruit ambiant ni du nombre de personnes. « Je peux toujours t’emmener ailleurs… » proposa-t-elle. Elle n’avait pas songé que la taille des lieux ni sa population pouvait constituer une gêne. Joseph avait faim. Elle l’avait donc accompagné dans le lieu le plus proche pour se nourrir.

« Tu es dans une université… Il n’y a qu’une petite part de la population étudiante dans cet endroit. Ce n’est pas la seule cantina du campus… mais c’était la plus proche de mon atelier. » dit-elle, devinant son sourire, grâce au ton de sa voix. Derrière ses lunettes, son regard navigua autour d’elle. En réalité, c’était aussi la première fois qu’elle mettait un pied dans ce lieu. Elle avait plus l’habitude d’envoyer Légion lui chercher à manger plutôt que de se déplacer elle-même. Les étudiants et les personnels étaient donc plus coutumiers de voir un droïde de 2m20 pour 230 kg parmi eux plutôt qu’une femme aux cheveux blancs, Jedi de surcroît. Les réactions alentours ne lui échappèrent pas et si dans un premier temps, See’Ryl ne broncha pas, elle finit par laisser passer un petit soupir.

Joseph la détourna brièvement du moment en taquinant les étudiants. Faire mine de retirer son casque pour mieux le garder ne manqua pas de l’amuser, comme pu l’indiquer le rire léger qui se fit entendre, encore bien loin d’un rire plus franc. D’un geste, elle lui désigna une zone quasiment déserte. « Là-bas. » dit-elle simplement. La zone réservée aux professeurs. Ils auraient un minimum de calme même s’ils seraient encore plus exposés aux regards curieux et aux chuchotis. D’ailleurs… Joseph eut à peine le temps de s’éloigner que See’Ryl cessa de restreindre sa présence. Celle-ci se diffusa aussitôt aux alentours. Il était désormais compliqué d’ignorer qu’ils ne parlaient pas d’une simple professeure.

Elle aperçu l’un de ses étudiants. Probablement l’un des plus méritants, d’ailleurs. Elle lui fit signe de s’approcher et lui tendit son badge. « Donnez-le à la personne qui m’accompagne, merci. » demanda-t-elle plus qu’elle n’ordonna. L’étudiant acquiesça alors que See’Ryl se dirigea vers la zone qu’elle avait désignée. Sa présence continuait à être perceptible d’une manière ou d’une autre. Assise, en attendant Joseph, elle consultait les données que Légion lui transmettait en temps réel.

De loin, on aurait pu croire que See’Ryl était indifférente à tout ce qui pouvait l’entourer. Les rumeurs continuaient à frémir sans sembler l’atteindre. Elle était assise, son interface entre ses doigts gantés, ouvertement plongée dans les informations que Légion lui transmettait en temps réel. Si son attention fut attirée par l’interaction entre Joseph et l’un des cuistots, la jeune femme ne fit pas mine de vouloir bouger pour intervenir. Le chasseur de primes était largement assez grand pour savoir se débrouiller dans une telle situation. En revanche, il en eut un ou deux pour déceler le sourire en coin qui fleurit sur ses lèvres au moment où elle perçut l’approche de son étudiant. A croire qu’elle entendait l’échange… Rien n’était moins faux : elle suivait simplement la Force. Tout comme elle sentit le retour de Joseph, son trajet jusqu’à elle… sans détacher son attention de l’écran. Au moment où il prit sa place, elle étouffa de nouveau sa présence. Juste avant qu’il ne lui retire son datapad, s’attirant un regard surpris, amplement dissimulé par les lunettes.

« Ce sont les rapports concernant ton droïde. » précisa-t-elle. Ceux qui ne la connaissaient pas pouvaient croire qu’elle était vexée ou, bien plus probablement, pince-sans-rire. Elle récupéra son plateau « Merci. J’espère que tu t’es fait un nouvel ami. » dit-elle plus taquine que l’on aurait pu s’y attendre. Evidemment, elle parlait du cuistot. Considérant sa nourriture, elle ne se prononça pas sur la quantité. « Je mange de tout… » rassura-t-elle. Quand bien même, elle avait été éduquée de sorte de ne jamais refuser ce qu’on lui donnait à manger… sauf en des cas précis qui ne s’appliquaient clairement pas à un déjeuner en compagnie de Joseph. « Le Badge leur permet de contrôler… Imagine si tous les bas-fonds savaient que les cantinas universitaires étaient accessibles… » En cela, elle ne faisait que répéter le discours communément admis. Savoir ce qu’elle en pensait était une autre paire de manche. « Veux-tu que je propose à la chorale universitaire de venir pousser la chansonnette pour pouvoir te distraire ? » lui demanda-t-elle, clairement taquine cette fois-ci.

Elle récupéra son badge qui retourna à sa place originelle. A savoir une poche de sa combinaison. L’un des (très) rares avantages à détonner au milieu de la masse : inutile de justifier son identité au moindre contrôle. Joseph retira son casque et See’Ryl leva les yeux intérieurement. Par la Force, à croire que voir un humain était quelque chose d’unique… A moins, ce qui était bien plus probable, que les commères aient imaginé tout et n’importe quoi venant d’elle. « Je crois que les spectateurs sont déçus… Un humain tatoué… C’est à la fois tellement basique et exceptionnel à les entendre. » lâcha-t-elle en remplissant le verre de son interlocuteur après avoir attiré un pichet à l’aide de la Force.

« Tout dépend ce que tu appelles insolites… » commença-t-elle à répondre « Je ne suis jamais allée sur Dxun… Mais le dernier endroit hors de l’ordinaire où j’ai pu manger… C’était probablement Nal Hutta. Il n’y a pas si longtemps que cela d’ailleurs. » Une mission qui lui laissait une impression étrange sur laquelle elle ne mettait pas encore de mots. Elle avait rendu son rapport au Conseil, sans rien dissimuler. Surtout à propos de la padawan qui avait été au mieux inutile. Pourquoi leur avait-on mis un padawan aussi fragile et inexpérimenté sur une telle mission ? Surtout dans un tel monde. Cela aurait clairement été une insulte de croire que ni Luke ni See’Ryl n’auraient pu protéger ladite padawan. Cette dernière avait été trop inexpérimentée, encore trop « neuve » pour ce genre de tâche. On aurait voulu leur compliquer la tâche que l’on ne se serait pas pris autrement.

« Ton droïde est surtout réduit au silence depuis que Légion a commencé à le démonter pièce par pièce. » précisa-t-elle. Certains nettoyaient les droïdes sans prendre la peine de les démonter. See’Ryl, elle, était assez maniaque pour tout démonter, tout nettoyer avant de remonter. A son sens, il n’y avait que comme cela que l’on pouvait garantir le maintien d’un droïde en bon état. Et puis… visiblement, le R1 en avait plus que besoin. Au point que ça en était une nécessité vitale. Encore plus si après elle voulait pouvoir « jouer » avec sa programmation. Son regard quitta Joseph pour le cuistot et un fin sourire indéchiffrable s’épanouit sur ses lèvres. Ainsi projetait-il de revenir la voir… Probablement pour continuer le travail sur le petit R1… ou quoique ce soit d’autre incluant ses capacités. Pas une seule seconde la jeune femme n’imagina que c’était pour elle-même. « Je n’ai pas dit que tu avais l’air de venir des bas-fonds. J’ai dit que si l’on ne contrôlait pas à l’entrée, tous les bas-fonds viendraient… Dans les faits, il y en a déjà mais tant qu’ils ont une carte d’accès… » Elle haussa les épaules l’air de dire que cela ne la regardait pas plus que cela. Ca n’avait été que quelques mots répétés sans vraiment de conviction personnelle. Comme souvent, See’Ryl balançait les discours officiels.

Durant quelques secondes, elle regarda Joseph manger, pas le moins du monde choquée ou outrée par ses manières… ou leur absence. Non, elle trouvait simplement fascinant que l’on puisse dévorer autant… aussi vite. Bientôt, elle débuta son repas. « Je ne suis pas certaine que tu apprécies la chorale… Ils ont tendance à… comment mes étudiants disent ? » elle pencha la tête avec une moue songeuse. « Ah oui ! Ils pètent plus haut que leur cul et pensent chier du beskar quand c’est simplement de la merde. » Ce n’étaient clairement pas ses mots. Même son ton – qui n’avait pas varié – laissait deviner ce qu’elle pensait vraiment d’un tel vocabulaire. Puis, reprenant avec son éternelle naïveté « Certes, la professeure d’études d’économie politique est jolie… » dit-elle en pensant qu’il avait désigné la jeune femme non loin d’eux. Elle ne releva pas son exotisme. Probablement l’un des termes les plus aimables pour la désigner. Elle bu une gorgée d’eau avant de continuer de manger, aussi posée que de coutume.

« Je n’ai pas eu l’occasion de m’attarder sur la gastronomie locale, je l’avoue. » dit-elle avant qu’un sourire énigmatique ne passe brièvement sur ses lèvres. Elle était déjà allée sur Nar Shadda pour des affaires qui n’avaient rien à voir avec l’Ordre Jedi… Cela, personne n’avait à le savoir. Ce n’était pas pour rien qu’elle prenait toujours soin de contourner le système lorsqu’elle s’y rendait pour « affaires ». A sa question à propos d’un éventuel marché pour les freelances au sein de l’Ordre Jedi, See’Ryl secoua doucement la tête. « Effectivement… Il n’y en a pas. Je fais souvent partie de ceux que l’on envoie. »… Lorsque l’on n’envoyait pas d’ombres Jedi. Pour ce qu’elles pouvaient servir…

Vint un sujet auquel la jeune femme ne s’était pas attendue : la question de la rémunération. Elle considéra la carte avant de la prendre délicatement. « Je ne suis pas censée accepter une rémunération. Hormis pour les pièces, je n’ai pas… l’autorisation. » murmura-t-elle. Ainsi travaillait-elle à l’Université de Coruscant mais sa rémunération était versée pour le bénéfice des orphelins. A son nom, tout du moins, elle ne possédait que ce que l’Ordre lui autorisait. Alors être payée pour s’occuper d’un droïde… Elle resta un moment songeuse. « Ceci dit… Je pense qu’un échange de faveurs est permit … » Même si elle était certaine de ne jamais l’utiliser. Non pas par mépris mais parce que See’Ryl n’osait jamais rien demander pour elle-même.

Que Joseph confirme la beauté de la jeune femme non loin ne blessa pas le moins d’une monde une See’Ryl qui n’avait vraiment aucune conscience de son propre physique… Conscience qui eut une étincelle à la suite des paroles de Joseph qui ne manquèrent pas de faire rougir la jeune femme dont l’expression aurait pu se traduire par un « tu es sérieux ? » incrédule. La question aurait même pu se voir dans ses prunelles si elle n’avait pas porté ses lunettes. Ne sachant pas vraiment comment réagir après de telles paroles, See’Ryl continua son repas tout de même perturbée.

La réaction de Joseph à propos de sa rémunération fit sourire See’Ryl. Le chasseur de primes n’était pas le premier et ne serait pas le dernier à s’étonner de cela. « Bénévole… Non. Je suis officiellement payée par l’Université mais mon salaire est directement versé dans une fondation en faveur des orphelins de Dubrillion. J’ai ouvert mon atelier pour pouvoir pratiquer. » dit-elle doucement avant d’ajouter « Quand j’ai besoin de quelque chose… J’en fais une demande… Si elle sort de ce qui est communément admit pour la vie quotidienne. » Il y avait un point positif dans le marasme de ses relations avec l’Ordre : on ne lui refusait que rarement ce qu’elle demandait. Ne serait-ce que parce qu’elle prenait soin de le justifier de manière aussi claire qu’honnête. Elle termina son verre d’eau avant de corriger. « Nous ne faisons pas vœu de pauvreté… La convoitise est vue comme quelque chose pouvant mener au Côté Obscur. Nous apprenons donc à ne pas convoiter quelque chose de manière égoïste. J’ai eu l’autorisation pour l’atelier parce qu’il peut servir au plus grand nombre. J’ai l’autorisation pour Légion grâce à mon défunt maître. A l’époque, il m’aidait à me canaliser. Maintenant… Personne ne songe à remettre cette autorisation en question. » Quand bien même, personne n’oserait le faire. D’autres maître de l’Ordre étaient bien plus dotés que See’Ryl. Il y avait une limite à l’ostracisme que l’Arkanienne subissait en un sens. Lui retirer Légion sans toucher aux possessions des autres… serait une manœuvre un peu trop visible pour les yeux extérieurs. Or, l’Ordre tenait à son image. Il était difficile de le nier.

« Mes outils sont un don de la part d’une entreprise que j’aide régulièrement. » Ajouta-t-elle sans préciser qu’il s’agissait de celle de sa famille. Fidèle à ses promesses, See’Ryl passait sous silence son lien de parenté avec rien de moins que la famille dirigeante d’Arkania. Elle n’utilisait pas de pseudo mais pour savoir à quoi s’en tenir, il fallait passer outre la bureaucratie arkanienne… Un défi de taille pour une récompense plus que limitée. « Que ce n’est pas correct ? » proposa-t-elle. « Tu sais, j’adore m’occuper des droïdes… Et j’ai encore la possibilité de refuser. » Ce n’était qu’une remarque sans sous-entendu. Elle avait déjà accepté l’échange proposé par Joseph tout en sachant qu’elle n’oserait jamais lui demander la faveur promise. « Je n’ai jamais connu autre chose. Je suis dans l’Ordre depuis mes un an environ… Dans certains aspects, il s’agit plus d’habitude et de conditionnement qu’une réelle adhésion… Dans mon cas tout du moins. » Elle avait murmuré ses derniers mots. « J’ai choisi Coruscant pour m’éviter les allers-retours entre ici et un lieu plus calme. Je suis déjà assez souvent absente à cause de mes missions… Et puis… mon atelier va servir pour des travaux pratiques avec mes étudiants. » Elle était du genre à penser à plusieurs choses pour une seule action. Le choix de la localisation de son atelier n’en était qu’un simple exemple.

Un rire amusé lui échappa quand Joseph lui annonça qu’elle n’aurait pas besoin d’autorisation pour lui demander des choses. « Il me faudra des fonds… Que je devrais trouver… » releva-t-elle. « Ceci dit, je prends note de ta proposition. Je ne porte pas d’armure mais sait-on jamais… Si un jour j’ai un droïde militaire à réparer… » Elle reposa sa fourchette. « Et si un jour tu as besoin d’un atelier pour fabriquer ou modifier tes armes et armures… Ma porte te sera ouverte. Certes, je doute avoir tout le matériel indiqué mais tu auras au moins un lieu sécurisé. » proposa-t-elle.

Intérieurement, See’Ryl ne savait que penser de cette rencontre. Son éducation de Jedi ne lui permettait pas de faire un tri viable de ses pensées et de ses émotions. Après tout, elle n’était pas le moins du monde habituée à ce qu’on la complimente autant et à ce qu’on cherche à lui faire comprendre des choses qui lui échappaient totalement… quoiqu’on fasse. Là où elle était douée pour observer et comprendre les autres, voilà qui était autre chose lorsqu’elle était la première concernée. Ainsi donc, See’Ryl était perdue, parvenant à répondre comme à son habitude mais tout en ayant l’impression de marcher sur une couche de glace des plus fragiles. Qui pouvait savoir ce qui l’attendait en dessous ?

« Qui te dit que je n’ai rien de prévu ? » demanda-t-elle, un sourire emplit de secrets étirant brièvement ses lèvres. Elle avait des contacts et, grâce à Siela, avait renoué un certain lien avec sa famille. Cette dernière était toute prête à l’accueillir… ne serait-ce que pour son talent en robotique. Elle s’amusa de la petite scène que fit Joseph quand elle lui annonça qu’elle pouvait toujours refuser. Et répondit de la seule manière qu’elle connaissait : au premier degré, version plus terre à terre tu meurs. « Dans les faits, tu n’as rien avancé. » dit-elle sans comprendre qu’il parlait probablement d’autre chose que d’argent. « Et dire oui à tout ne fait ni partie de notre accord, ni de mes attributions. » Ca en était presque désespérant mais cela, See’Ryl l’ignorait. Elle marqua sa surprise quand Joseph attrapa sa main et prit alors conscience qu’elle avait plus que probablement raté quelque chose. La proposition qu’il lui fit la poussa à sourire. Ce n’était pas un sourire réservé mais un sourire plus… franc. Comme si, enfant, l’homme était parvenu à frôler quelque chose en elle.

« Je ne l’oublierai pas. » promit-elle. Elle avait beau savoir que, comme pour la faveur, elle n’oserait pas demander, cela ne l’empêchait pas d’être touchée par la proposition. Rares étaient ceux qui lui avaient offert une porte de sortie – même temporaire – au cours de sa vie. Pour tout dire, ils se comptaient sur les doigts de sa main droite. Quatre donc. De sa main libre, elle se servit un peu d’eau afin de terminer son repas. Juste avant d’aviser les regards posés sur eux. Ce qui entraîna le retrait immédiat de sa main de celle de Joseph. Par la Force, on allait encore jaser pendant des lustres. Elle soupira intérieurement. La conversation prenait définitivement un tour plus personnel, ce qui, en un tel lieu, ne manquait pas de la rendre encore plus mal à l’aise. « Il n’est pas nécessaire pour toi de venir me demander quelque chose si tu veux me voir. Un simple message suffit. » l’informa-t-elle. « Mais… je suis perplexe : pourquoi vouloir passer du temps en ma compagnie ? Je ne suis pas… quelqu’un de particulièrement sociable. »

Elle avait peut-être, pour ne pas dire sûrement, une opinion médiocre d’elle-même. Pour sa défense, elle avait peur que Joseph s’ennuie ou, pire, se sente forcé. Elle dissimula son trouble derrière une gorgée d’eau. « Je crois que, contrairement à moi, tu as plus d’un lieu sécurisé à l’abri des regards. » murmura-t-elle, touchée par sa proposition. Ses mots étaient à la fois une acceptation et une constatation dénuée de jugement. C’était même logique à ses yeux : étant donné son style de vie, il serait totalement imprudent de ne pas avoir plusieurs abris, plusieurs portes de secours, plusieurs refuges. Et elle venait de lui en ajouter un sans l’ombre d’un regret ou d’une hésitation. « Est-ce-que tu sais où aller pendant que je m’occupe de ton droïde ? » demanda-t-elle « Le Temple accueille parfois des visiteurs, je peux en faire la demande si tu le veux. »

Il était compliqué de reprocher à See’Ryl de ne pas être attentive aux autres. Probablement trop, même. Elle avait proposé à Joseph l’abri du Temple, tout en sachant que cela ne conviendrait pas forcément. Qu’il ne lui réponde pas à ce sujet ne la toucha pas. Il était grand, bien capable de prendre ses décisions seul… et elle le pensait encore plus capable de lui demander quelque chose s’il en avait besoin. Avant même qu’elle puisse faire un geste, il venait de récupérer leurs plateaux pour aller les déposer. Elle le suivit du coin de l’œil non sans récupérer son datapad, consciente qu’ils allaient quitter les lieux. En revanche, elle ne s’était pas attendue à ce qu’il soit galant envers elle. Même si elle n’en avait pas besoin, elle lui offrit sa main pour qu’il l’aide à se relever… et dans la seconde suivante, s’immobiliser, un peu surprise de réaliser que Joseph ne la lâchait pas du regard. Trop de contacts en un temps record… Voilà ce à quoi elle songea, inconsciente qu’elle était…

Parce qu’il ne trouva rien de mieux que de la prendre par la taille. N’importe qui pu voir See’Ryl se crisper et seul un aveugle n’aurait pu s’apercevoir qu’elle était écarlate alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie. Voilà qui n’allaient pas le moins du monde arrêter les rumeurs. Partagée entre son envie de ne pas blesser Joseph en le rejetant et son reflexe primaire de s’éloigner, la jeune femme se laissa guider plus ou moins volontairement jusqu’à l’espace vert le plus proche. Ce fut à peine si elle réagit lorsqu’il lui annonça qu’elle se trompait. « Je voulais dire que tu n’es pas obligé d’avoir quelque chose à me demander pour me voir. Le message évite juste de faire un déplacement inutile. Je ne suis pas si souvent que cela sur Coruscant. » répondit-elle, sa voix d’habitude si calme, légèrement troublée.

Elle se détendit sensiblement lorsqu’ils furent isolés… si tant est que cela veuille dire quelque chose dans une telle configuration. Il eut beau dire que les raisons le poussant à vouloir passer du temps avec elle étaient simples, See’Ryl ne les envisageaient même pas. Aussitôt assise, mûe par un réflexe quasi immédiat, elle s’écarta pour être à une distance plus… respectueuse. Du Code Jedi en tous cas. Et de sa timidité. La seule personne qu’elle avait eut aussi proche d’elle, c’était Balian. La différence d’avec Joseph résidait dans le simple fait qu’elle savait sur quel pied danser avec le Mirialan. C’était un tout autre domaine avec le chasseur de prime.

La preuve en était : je t’apprécie See. Quelques mots. Un surnom. C’était aussi rapide qu’inattendu. Ses prunelles immaculées trahirent sa stupéfaction alors qu’il continuait son aveu presque trop brutal pour l’Arkanienne. La blancheur de son teint se colora, encore une fois. A croire que l’humain en faisait sa spécialité. La jeune femme laissa involontairement le silence s’installer et se prolonger entre eux. Le temps pour elle de retrouver une contenance, de se raccrocher à des choses qu’elle connaissait pour trouver une réponse pertinente… Enfin un peu. « Tu ne me déranges pas et… J’apprécie ta présence. » finit-elle par dire après avoir prit une inspiration. « Mais… Je ne suis pas tactile. Je ne suis pas habituée à ce que l’on me touche ou que l’on envahisse mon espace personnel… Encore plus devant des gens. De ceux qui m’épient pour décortiquer le moindre de mes faits et gestes. Il y aurait eu un autre Jedi, tout cela serait déjà arrivé aux oreilles du Conseil. »

C’était probablement brutal comme réponse mais on ne pouvait lui reprocher sa sincérité. Elle se savait en manque de contacts humains. Et malgré ça, elle n’était pas encore capable d’en envisager en dehors d’un endroit clos, à l’abri des regards des autres. Elle soupira et bascula la tête en arrière. « Je ne suis pas… dans les petits papiers de l’Ordre et de son Conseil. Mes faits et gestes sont souvent observés, analysés et interprétés. Je dois rendre des comptes et tâcher de prouver ma bonne foi et mon honnêteté dès qu’il y a l’ombre de l’ombre d’un doute. Si un jour, on vient à penser que je transgresse une règle, je devrais rentrer sur Ondéron pour en répondre. » Elle bascula son visage vers lui, pour qu’il comprenne qu’elle le regardait à travers ses lunettes. « Ne t’avise pas à t’excuser ou à t’en vouloir. Il n’y a aucune raison pour le faire. Cela fait longtemps que j'ai appris à composer avec ça.»

Alors que Joseph la serrait contre lui, See’Ryl en était à se demander s’il ne prenait pas vraiment un plaisir presque malsain à la mettre dans des situations qu’elle trouvait profondément gênantes. Cependant, elle n’allait pas jusqu’à lui poser la question : comme elle ne voulait pas provoquer d’esclandre, elle se laissa faire jusqu’à ce qu’ils soient assis. Là, elle lui échappa et brisa l’étreinte dans laquelle il l’avait tenue… Et il avait sourit. Evidemment. Il s’était sûrement attendu à ce qu’elle veuille lui échapper à peine en aurait-elle eut l’occasion. En vérité, elle aurait pu le faire dès la première seconde mais n’avait pas voulu blesser l’homme ou causer encore plus de rumeurs…. D’autant plus que cela ne lui ressemblait pas de faire des esclandres et d’avoir ce qui pouvait ressembler à des mouvements d’humeur.

Néanmoins, après qu’il lui ait avoué qu’il l’appréciait, elle n’hésita pas à remettre les choses dans un contexte plus… éclairé en un sens, lui indiquant où était sa limite et sous-entendant qu’il l’avait d’ores et déjà franchie. En revanche, elle était encore loin de ressentir la nécessité de faire preuve de plus de détermination pour se faire comprendre. Si le besoin s’en faisait ressentir, elle ne tergiverserait pas… Dès que Joseph commença à lui répondre, elle comprit qu’il n’en ferait qu’à sa tête, probablement pour chercher jusqu’où il pouvait aller avant qu’elle ne le repousse. Pour un peu, elle en aurait soupiré. Elle avisa le bras qu’il posa sur le dossier, non loin d’elle. C’était un jeu pour lui et elle en était d’autant plus consciente que son sourire le criait. S’il attendait une réaction, elle ne lui donna pas satisfaction, continuant à l’observer non sans se demander ce qu’il allait encore inventer pour la perturber. « L’Ordre a confiance en moi. Une confiance limitée mais jusqu’à présent… c’est suffisant. Le reste… on en prend l’habitude. »

Mais rien ne disait que cette sorte de statu quo devait être éternelle. La conversation avec Saï lui avait fait l’effet d’une piqûre de rappel que cette fois-ci, elle avait bien du mal à tolérer. A croire que sa patience et sa tolérance n’étaient pas infinis. Elle fut extraite de ses pensées au contact du genou de Joseph avec le sien. Elle baissa aussitôt les yeux vers leurs jambes, retenant une moue désappointée. Il jouait encore. « Il n’y a aucune responsabilité à prendre. » rassura-t-elle en relevant le visage… Juste avant de rougir. Par la Force, ce n’était pas vraiment amusant pour elle. « J’ai l’habitude, Joseph. Pendant des années, je ne voyais même plus cette cage. » Même maintenant, alors que tout semblait être sur le point de changer, elle n’y faisait plus vraiment attention. Sauf dans des situations comme celle qu’elle était en train de vivre.

En vérité, c’était même la première fois de sa vie que quelqu’un flirtait avec elle. Du moins d’une manière aussi… claire pour elle. Il y en avait peut-être eut d’autres auxquels elle n’avait même pas fait attention. Que se passait-il donc pour que cette fois-ci, elle le comprenne ? Enfin… Joseph avait rapidement comprit qu’il lui fallait être terre-à-terre pour l’atteindre. Et il se faisait un malin plaisir de l’être. « Le surnom n’est pas un problème. » dit-elle sobrement. La question sur ses lunettes l’étonna. Pourtant, elle prit soin d’y répondre. « Je suis Arkanienne. Arkania est une planète glacée. Mes yeux… sont sensibles à la chaleur. Les lunettes me permettent de voir sans forcer sur eux grâce aux filtres adaptatifs. C’est aussi pour cela qu’il fait froid dans mon atelier. »

Voilà pourquoi elle avait proposé des boissons chaudes : pour lui éviter de ressentir la température des lieux.

L’habitude mène à la stagnation, la stagnation à la mort… Quelques mots qui ne purent que la faire sourire tant elle les trouvait appropriés sur bien des aspects. Joseph n’avait pas tort : elle stagnait et commençait à avoir la réelle impression de s’étioler dans le contexte qui était le sien. « Il y a un certain confort dans l’habitude, la peur du changement et de ses conséquences… » » commença-t-elle « Toutes les habitudes ne sont pas bonnes à jeter… Je suis sûre que tu en as qui t’ont sauvé la vie plusieurs fois… Je me trompe ? » Elle jouait sur les mots parce qu’elle aimait ça, non pour se moquer de lui. Qu’il soit du noyau ou non l’indifférait. Qu’il soit chasseur de primes ou sénateur revenait au même aux yeux de la jeune femme. Ce n’était pas tant la couverture qui la poussait à s’intéresser aux gens mais plutôt leur « contenu ».

« Il est compliqué de sortir d’une cage qui a déjà détruit une première vie et quand tu n’as connu qu’elle. Il m’a fallut beaucoup de temps pour envisager une existence propre et encore plus pour l’envisager en dehors du carcan dans lequel je suis enfermée. » souffla-t-elle, plus que consciente que ces dernières années, elle avait été victime plus que volontaire de tout cela. Une sorte de conditionnement, une version étrange d’un syndrome de Stockholm, même. « Ce sont justement les quelques rencontres que j’ai pu faire en dehors qui m’ont poussé à considérer autre chose qu’une vie « à la lisière » ». Elle seule pouvait bien dire ce qu’elle entendait par là… Sachant qu’elle était déjà fortement isolée de l’Ordre dans son ensemble. Disons qu’elle avait récemment décidé de s’en moquer éperdument et de ne plus courir désespérément vers une approbation qu’elle n’obtiendrait jamais. D’ailleurs, si l’on cherchait une preuve qu’elle s’ouvrait un peu plus au monde… la conversation avec Joseph en était une. Autrefois, elle se serait contentée de récupérer la mission et de faire ce que l’on attendait d’elle sans chercher à sociabiliser.

« Je m’en doutais. » dit-elle au sujet de l’armure thermo-régulée. La remarque au sujet de la température du sang de l’homme lui passa largement au-dessus de la tête. C’était un humain. Un mammifère à sang chaud. Rien de plus à comprendre, non ? Elle lui laissa sa main gantée sans chercher à la lui retirer. Il n’était pas le premier à vouloir contempler ses doigts. L’ombre d’un sourire amusé passa sur ses lèvres. « Non… mes congénères ont la peau dorée, les yeux et les cheveux blancs. Ma couleur de peau est un choix génétique de mes parents. » expliqua-t-elle sans s’offusquer. Elle fut surprise qu’il ait si rapidement compris pourquoi elle ne s’était jamais intéressée à la génétique. « Il y a des ingénieurs en robotique sur Arkania mais ils sont bien plus rares. » tint-elle à préciser. « Mais oui… je me suis intéressée à la robotique notamment pour les raisons que tu viens de citer. Il a été infiniment plus simple de faire accepter cette « lubie » que si elle avait concerné la médecine ou la génétique… » expliqua-t-elle « Et il est bien plus simple d’apprendre la robotique seule que la génétique ou la médecine. Être autodidacte c’est bien… mais il y a des limites. C’est pour cela que Légion a été une sorte d’exercice d’application sur le long terme. »

Il pu la voir écarquiller légèrement les yeux à sa dernière taquinerie. Ses joues prirent une coloration rosée sans qu’elle puisse l’éviter de quelque manière que ce soit. « Au début, c’était une nécessité. L’apprentissage Jedi c’est bien… mais je m’ennuyais… et j’étais en colère. Apprendre la robotique a été une sorte de bulle qui m’a permis de ne pas sombrer. C’est mon Maître qui a suggéré ce dérivatif. Elle a eu raison. Désormais… c’est… un « petit plaisir » de ma vie, comme tu le dis. » Le seul, d’ailleurs.

« Des choses classiques pour des personnes qui ont pour « fâcheuse » tendance à se retrouver dans des situations potentiellement mortelle » tint-elle à préciser. Pour l’immense majorité des individus conscients de la galaxie, les habitudes de Joseph étaient exceptionnelles et tenaient plus à la survie qu’à autre chose. See’Ryl ne pouvait que comprendre même si elle ne se retrouvait pas autant en danger que Joseph. En revanche, elle planifiait tout avec le perfectionnisme qui était le sien. Il y avait le plan B… le plan C… et souvent bien plus loin dans l’alphabet basic. Au point qu’il y en avait pour la qualifier d’obsessionnelle. Mais quand il s’agissait de survie, pouvait-on décemment parler d’obsession ?

« Ma valeur ? » demanda-t-elle sans comprendre ce qu’il pouvait bien entendre par là tant elle était persuadée d’en avoir aucune. Elle était un Jedi parmi tant d’autres, en théorie. En pratique, elle était même en dessous de la masse. Pas dans le sens exceptionnelle mais plutôt honteuse ou à éviter. « Je crois que certaines choses sont dépendantes des circonstances. Dans la majorité des cas, il n’y a rien pour motiver les individus à sortir de leur cage ou même à ne serait-ce que l’entrapercevoir. Tant que c’est supportable, ils sont capables de tolérer beaucoup de choses. » Elle parlait de cela en connaissance de cause : il avait fallu que la situation atteigne cette limite et que bon nombre de ses principes – ou du moins ceux qu’on lui avait imposés – entre en contradiction d’une manière intolérable, pour qu’elle accepte ce qui prenait l’apparence de quelque chose d’inéluctable.

Elle allait ajouter quelque chose d’autre quand elle le vit retirer son gant. Il pu la voir écarquiller les paupières, trop surprise pour avoir le réflexe d’écarter sa main de la sienne. A ses mots, elle se sentit rougir de nouveau tandis qu’elle acquiesçait bêtement à sa question. Oui, elle percevait sa chaleur maintenant. Il termina de la tétaniser en lui disant qu’elle était magnifique… Le pire étant qu’il le pensait vraiment. On avait fait des compliments à la jeune femme. Mais de là à le penser… Il y avait quelques parsecs. Là, c’était indéniablement différent et la crispait un peu plus tant elle ne savait pas comment répondre. Elle tâcha de rester « de marbre » en répondant à sa question à propos des droïdes. Même si elle continuait à être écarlate et à être aussi rigide qu’un bloc de permafrost. Au point qu’elle ne se rendit pas compte qu’il s’était approché d’elle.

Et évidemment, elle ne comprit même pas ce qu’il entendait par plaisir de la vie. Elle se laissa entraîner vers lui… et ne réagit que lorsqu’il rapprocha son visage du sien. La seconde d’avant, elle était littéralement tétanisée. Celle d’après, elle s’était échappée hors de portée, debout. Elle avait même eut la présence d’esprit de récupérer son gant qu’elle renfila, le rouge aux joues mais les gestes assurés. De l’extérieur, elle pouvait donner le change sans trop de problème. Néanmoins, elle bénissait ses lunettes qui lui permettaient de dissimuler le fait qu’elle était à la fois troublée et paniquée. « Ce n’est pas… » commença-t-elle en cherchant comment mettre fin à ce qui semblait être un jeu. « Je ne comprends pas ce que tu veux, Joseph. Mais ce… n’est pas autorisé. » Elle se cachait derrière les principes de l’Ordre pour la bonne et simple raison qu’elle n’en était pas encore à « ce » point dans les changements. Elle fit voler son datapad jusqu’à elle. « On devrait rentrer à l’atelier. Légion a terminé. » annonça-t-elle.

Oui, elle avait fuit dans un élan qui tenait à la fois de l’instinct et de la frayeur. Elle n’était pas habituée à ce qu’on l’approche. Encore moins d’aussi près… sans que les intentions soient claires. A vrai dire, la situation était si extraordinaire que See’Ryl n’était même pas certaine de comprendre si Joseph venait à lui expliquer. Pour l’instant, elle n’était que trop perturbée pour faire autre chose. Un comble pour un Maître Jedi qui avait plus la réputation d’être un iceberg que quelqu’un de sociable, plus imperturbable qu’autre chose. Le fait était qu’à chaque situation, il y avait une exception, un impondérable que l’Arkanienne avait été incapable d’envisager. Elle essaya de rattraper les choses, de rattacher les wagons de leur conversation. Un échec s’il en était en un sens. Un effort louable à la maladresse plus ou moins risible. Derrière ses lunettes, elle ne lâchait pas Joseph des yeux, un peu sur la défensive. Non pas qu’elle pensait qu’il l’attaquerait… Simplement qu’elle ne savait pas s’il allait s’approcher encore au-delà de ce qu’elle était capable de tolérer.

Elle l’écouta et ne bougea pas quand il se leva, ayant suffisamment de maîtrise pour ne pas reculer encore. Apprendre à la connaître… Mais pourquoi ? eut-elle envie de lui demander tant elle n’envisageait aucune raison valable de perdre du temps avec elle. Joseph semblait y tenir, encore plus lorsqu’il évoqua les « modalités » inclues dans cette « envie ». Jusque là, s’il évitait de s’approcher au-delà de la limite, See’Ryl pouvait envisager d’accepter. Encore fallait-il qu’elle soit sûre qu’il ne recommence pas. Cette perplexité se vit lorsqu’elle acquiesça juste après qu’il parlait de sa fâcheuse tendance. A cela, elle ne pouvait qu’approuver. Ne le lui avait-il pas prouvé quelques instants plus tôt ? Il lui demanda son autorisation et elle ne répondit pas immédiatement. Ne serait-ce que pour se donner le temps de peser le pour et le contre. « Il faut que tu comprennes que j’ai des limites, Joseph. Et tu les as clairement dépassées quand… » Elle ne termina même pas, ses joues reprirent une teinte chaleureuse qui explicitait clairement ce à quoi elle pensait exactement.

« Je te l’ai dit : j’apprécie ta présence et… nos conversations. Je refuse néanmoins d’être l’objet d’un jeu ou d’une expérimentation. » Elle soupira pour évacuer le reste de la tension qui l’avait gagnée précédemment. « Comprends-le : je ne suis pas quelqu’un que l’on touche ou que l’on étreint ou… quoique ce soit d’autres. » Dans les faits, elle avait désormais l’habitude d’être serrée contre quelqu’un. L’immense différence c’était qu’elle savait exactement à quoi s’attendre avec un certain Mirialan… et qu’elle avait eu le temps de s’y faire. « Alors oui, tu as mon autorisation. » Comprendre qu’elle la lui donnait sous réserve qu’il sache s’arrêter. Elle se permit l’ombre d’un sourire avant de reprendre le trajet vers son atelier. Elle marcha en silence, jetant quelques regards à l’homme qui, grâce à ses lunettes, passèrent inaperçu. C’était assez contradictoire de sa part : après avoir pris du recul, elle s’inquiétait de le voir si loin.

Le trajet fut court. Elle rouvrit son atelier et laissa Joseph entrer en premier. Sur le plan de travail, le R1 était démonté, les pièces étalées dans un ordre strict sur les différents espaces de travail. Le système central était d’ores et déjà relié. « J’ai déposé les pièces qui sont à changer sur l’établi. Toutes les autres sont nettoyées et utilisables. J’ai pris toutes les empreintes pour pouvoir effectuer les réparations et ré-usinages. J’ai passé commande pour les blocs en vue des remplacements » indiqua Légion plus pour Joseph que pour See’Ryl qui, tout de même, eut un léger mouvement de tête pour accuser réception des informations. Elle retira ses lunettes avant de poser son regard sur Joseph. « Tu veux quelque chose à boire ? » Elle désigna l’établi. « Il n’y a que quelques petites pièces, ce ne sera pas long pour les recréer. » On ne pouvait pas lui reprocher, au moins, d’essayer de renouer la conversation… même si ce n’était pas de la meilleure manière.

Elle avait tellement été vague qu’il était l’évidence même que Joseph cherche à comprendre où elle avait posé la limite. La réponse vint d’elle-même dans le rougissement de ses joues, juste avant qu’elle ne souffle « Quand tu as essayé de m’embrasser ». Quelques mots à peine audibles qui charriaient tant sa gêne que son incrédulité. Oui, cela lui semblait tout bonnement invraisemblable que quelqu’un songe à cela la concernant. Et toujours dans ses tentatives maladroites de communiquer, elle n’en nota pas moins la crispation qui envahit le visage de Joseph lorsqu’elle indiqua qu’elle refusait d’être un jeu, une expérimentation. Elle essayait de comprendre, au moins. Même si elle échouait et, les secondes passant, finissait par se trouver particulièrement pathétique dans ses efforts. Se faisant, elle trahissait même des signes d’angoisse. Un nouveau comble pour quelqu’un comme elle qui, pourtant, ne se laissait pas aisément déstabiliser. Il avait simplement fallut une foule de petits contacts et d’interactions physiques pour que sa stabilité aille voir ailleurs si jamais elle y était.

Bref, Joseph faisait face à une femme qui avait la maturité émotionnelle d’une huître galactique oubliée en plein désert… enfin qui n’en avait pas énormément, surtout sur le plan personnel. Sur les autres, See’Ryl gérait infiniment mieux. Elle inspira profondément pour faire refluer un état émotionnel qui ne lui convenait pas. Lorsque Joseph lui répondit, ca allait déjà un peu mieux même si c’était très loin d’être parfait. « Attirance ? » répéta-t-elle avant d’ajouter « Mais… je n’ai rien… d’attirant. Enfin… je suis un Jedi. » Comme si son appartenance à l’Ordre la rendait totalement repoussante. Et dans les faits, si l’on ajoutait sa race, See’Ryl trouvait une foule de raisons qu’elle estimait on ne pouvait plus réelles et justifiées pour se penser être l’objet d’une répulsion totalement légitime.

Le trajet jusqu’à son atelier fut calme, à peine suffisant pour lui permettre de récupérer quelques onces de sérénité et de détachement tant elle avait l’impression que Joseph ne la lâchait pas des yeux. Chose qu’elle n’osa pas vraiment vérifier, se contentant de son instinct. Elle le remercia d’un léger mouvement de tête quand il ferma la porte derrière elle. Il s’était souvenu de ce qu’elle lui avait dit… et indiquait clairement qu’ils allaient aborder des sujets qui ne devaient pas être entendus par n’importe qui. Elle ne fit aucun commentaire et alla préparer de quoi le réchauffer. Elle savait que maintenant qu’elle lui avait mentionné la température de son atelier, Joseph y serait plus sensible. De son côté, Légion répondit aux questions, fidèle à sa programmation.

Elle revint bientôt avec une tasse pour Joseph, la sienne terminant d’être préparée. Presque par miracle, elle parvint à ne pas sursauter quand il garda sa main entre la tasse et sa prise. En revanche, elle rougit encore sous son regard intense… Et bien plus à son compliment. « Je… » commença-t-elle « Je ne suis pas belle » finit-elle par murmurer en détournant les yeux mais sans lui retirer sa main. Elle lui laissait l’occasion de la relâcher, lui faisant confiance pour ne pas prolonger le contact outre mesure. Lorsqu’il le fit, elle recula juste assez pour lui laisser de l’espace et la suite… La fit rire. Oui, rire. Un son bref, cristallin qui charriait son amusement par très Jedi… qui la fit tousser de gêne et murmurer un « Désolée ».

Pour se donner une contenance, elle bougea. Sa tasse vola jusqu’à elle dans une trajectoire nette et rapide. Elle la récupéra au moment où elle faisait face au photorécepteur du R1. Un sourire s’épanouit sur ses lèvres. Elle tapota doucement le plan de travail. « Ne me regarde pas ainsi. Dis-toi que c’est un bain d’huile amélioré. Tu vas adorer pouvoir bouger sans grincer et sans risquer la rupture d’un composant. »

Toute persuadée qu’elle était de ce qu’elle avait bien pu annoncer la concernant, See’Ryl était à des parsecs d’imaginer l’effet que ses mots avait pu avoir sur Joseph. C’était un fait ancré depuis son plus jeune âge. Ses interactions sociales au sein de l’Ordre, jusqu’à ce qu’elle devienne padawan, avaient toutes été teintées de répulsion et de méfiance. Devenue padawan, l’ouverture aux autres peuples de la Galaxie n’avait guère été mieux. Et après… Le conditionnement commun à tous les Jedis avait terminé de parachever l’image que l’Arkanienne avait d’elle-même : celle d’un être duel. A la fois repoussant et sans aucune individualité propre. Exit donc, tout ce qui pouvait se rapporter à elle-même. En cela, notamment, See’Ryl était un parfait produit de l’Ordre Jedi. Être Jedi la résumait encore quasi totalement. Des efforts étaient faits mais ils restaient bien trop insuffisants dans le domaine personnel pour avoir un quelconque impact.

Arrivée près du R1, elle perçu la présence de Joseph qui l’avait suivit et s’était rapproché suffisamment pour qu’elle perçoive à la fois sa chaleur et sa présence. Il brisa le silence, entamant un discours qui, au début, la soulagea presque. La suite… la plongea dans un abîme perplexe. Les mots étaient durs mais ils reflétaient la réalité. Si elle ne broncha pas sous cette vérité, il pu la voir brièvement baisser les yeux, trahissant le fait que cela ne la laissait pas indifférente malgré des années de pratique. Elle retrouva néanmoins très rapidement son expression habituelle, comme si tout ce qu’il pouvait lui dire glissait le long de son corps sans l’atteindre. Là aussi elle avait des années de pratique.

La suite… ne pu que la surprendre. Le ton était différent tout en portant des précisions quant à sa situation actuelle. C’était un constat très loin d’être faux. La fin, en revanche…. Fut une toute autre histoire. Ses prunelles immaculées se troublèrent, signe qu’elle avait été touchée. Elle posa doucement sa tasse sur le plan de travail tandis que Joseph terminait réellement son petit discours. Comment pouvait-elle répondre à ça ? Est-ce-qu’il y avait seulement une réponse possible ? See’Ryl ne comprenait pas ni pourquoi ni comment. Finalement, elle inspira pour se détendre un peu. « Je ne comprends pas » avoua-t-elle dans un murmure « C’est quelque chose qui semble impossible pour moi… Encore plus quand ça me concerne… Alors… Pourquoi, Joseph ? » elle secoua doucement la tête. « Pas pourquoi mais comment ? Ou non… il y a peut-être aucune raison. »

Ce qui rendait les choses on ne pouvait plus complexes pour la jeune femme. Elle soupira, évacuant un début de frustration. « Je ne sais même pas ce qu’est l’attirance. Ou même ce que tu entends par belle. Tu vois des choses me concernant que je n’envisage même pas. Je me demande comment tu fais. » Elle lui dédia un sourire à la fois triste et doux. « Tu vois… j’ai quelqu’un que je considère comme un ami. C’est le seul en dehors de l’Ordre qui m’a traité autrement… Jusqu’à toi. » Elle parlait, essayant de ne pas se soucier des réactions de Joseph pour pouvoir terminer sa confession. « Je n’ai pas… expérimenté autant de troubles que depuis que tu… manifestes ton… attirance. Je pensais avoir fait le tour des relations humaines, avoir trouvé de cette chaleur qui manquait. » Elle écarta une mèche blanche de son visage. « Visiblement, je me suis bien trompée. »