C’était le seul mot qui venait à l’esprit du jeune homme en bure d’apprenti, perché sur l’un des nombreux rochers surplombant la vallée des seigneurs noirs. Le combat engagé dans l’arène improvisée le faisait frissonner intérieurement. Tant de violence, tant de haine et tant d’ardeur à vouloir emporter la victoire perturbait son âme froide et calculatrice d’un tourbillon de sentiments.

La peur était bien évidemment omniprésente. La peur de voir ces deux duellistes de talent déployer un savoir faire au sabre digne des seniors de l’ordre. Un savoir faire dont Kell ne serait probablement jamais capable. Et la crainte résidait dans la possibilité de devoir les affronter dans l’avenir, ils avaient déjà trop d’avance sur lui. Mais c’était la raison de sa présence ici, en apprendre le maximum sur ces rivaux pour trouver une manière fiable de les mettre au tapis dans le cas où ils devraient un jour croiser le fer. La chose demeurait cependant ardue. Ferikk était une bête féroce et brutale, dont la rapidité des attaques n’avait d’égale que la dévastation qu’elles provoquaient. Il se battait comme un chien Kath enragé et acculé, prêt à encaisser autant de blessures qu’il en faudrait pour dévorer son adversaire. Elle en revanche, la petite adolescente dont le jeune âge avait surpris nombre de spectateurs lors de son entrée dans l’arène, continuait de provoquer la stupeur de l’assemblée en échappant d’une manière spectaculaire au faisceau mortel de son assaillant. Les mouvements qu’elle exécutait pour s’évader des assauts de son ainé étaient non seulement remplis d’une grâce et d’une fluidité quasiment féline, mais lui permettait d’exécuter une riposte directe et précise vers son adversaire. Et là où Kell était vraiment impressionné, c’est que la jeune fille en dominait presque le duel. Presque car elle n’entamerait pas la combativité de Ferikk pour autant. Bien au contraire, tel qu’il le connaissait, un adversaire résistant serait une aubaine pour lui. En fait, en y regardant d’un peu plus près, les deux combattants semblaient ravis de cet affrontement. Qu’importe qui gagnerait et qui souffrirait, ils se réjouissaient de cette étreinte mortelle.

En réalité, tout les siths ici présents devaient se réjouir de ce magnifique spectacle. Kell ne faisait pas exception. Certes il éprouvait de la peur et de la jalousie face à tant de talent, mais il dégustait ce débordement de haine et de violence avec la plus grande des satisfactions. La Force elle-même semblait s’agiter sous le ciel nocturne de la vallée, l’aura maléfique des tombeaux des seigneurs noirs faisant échos aux sombres émotions provoquées par la valse meurtrière des deux combattants. A cette vague de sensations venait s’ajouter la peur croissante et collective des collons, si forte, que n’importe quel être si peu sensible à la Force pouvait la sentir et la savourer… à part peut être nos deux duellistes, trop occupé à s’entredéchirer.

Le regard du jeune homme quitta l’affrontement et se porta un instant sur le nouveau maître autoproclamé de l’académie. Que pouvait être le réel objectif qui se tramait derrière cet événement. Sans doute quelques jeux de pouvoir, il profiterait du tournoi pour asseoir son autorité en tant que seigneur de l’ordre. La probable élimination de Falkner se verrait suivie par l’assassinat ou la conversion des quelques maîtres qui le soutenaient. Tel était le fonctionnement de la plupart des dictatures, celles des siths n’y faisait pas exception. Alors ou en était la créature encapuchonnée, encore à l’identification de ses adversaires ou se servirait elle déjà de ce tournoi pour commencer sa purge ? Bien qu’il aurait été difficile au jeune homme de déterminer les intentions de cet être, il était persuadé qu’elles ne se limiteraient pas à une banale mise en concurrence ce soir. Peut-être vaudrait-il mieux se trouver dans l’arène qu’à errer dans l’académie presque vide.

Les deux dernières passes tirèrent Kell de ses pensées. La brutalité des coups avait sérieusement entamés les deux adversaires et le combat toucherait bientôt à sa fin. Se levant de son perchoir, il commença à descendre dans la vallée. Après tout, ce serait bientôt son tour d’entrer dans l’arène.