Karm Torr
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— Encore.
— Karm… ?

Les portes de la soute s’étaient ouvertes derrière eux et la voix grave de l’ingénieur avait interrompu l’entraînement. L’Ark-Ni rétracta les deux lames courtes de ses shotos verts pour ranger les sabres à sa ceinture, dans son dos. Il s’était finalement décidé à les forger et à poursuivre à armes réelles son entraînement à deux lames. Il le mêlait désormais à celui de Thann. Même s’il respectait les idéaux pacifistes de la jeune femme, il ne comptait pas la laisser courir la Galaxie sans être capable de se défendre.

Abdor les rejoignit en longeant les grosses caisses solidement arrimées qui abritaient le matériel que la République livrait à Pakuuni. La planète n’avait pas subi les attaques les plus violentes. On pouvait même dire qu’elle avait été relativement épargnée. Son sort était infiniment plus enviable que celui de Dathomir. Mais la guerre avait frappé, ici aussi. Les explosions. La mort. Et le comportement des troupes républicains n’y avait pas laissé que de bons souvenirs.

— On arrive, déclara Abdor.

Karm hocha la tête.

Un quart d’heure plus tard, de puissantes pinces de métal se refermaient sur la navette, pour la maintenir solidement contre le quai de débarquement, aux docks marchands de l’astroport principal. À peine la rampe descendue, les dockers et les hommes d’équipage s’activèrent pour décharger la cargaison. Des médicaments, du matériel agricole, des pièces de machinerie rares, pour les systèmes essentiels des installations de filtrage de la planète.

Le Gardien ne doutait pas qu’ailleurs, d’autres vaisseaux avaient livré du matériel militaire. Coincée entre l’Espace Hutt et l’Empire Sith, Pakuuni restait une zone sensible. C’était par-là que l’Empire avait fait passer bon nombre de ses espions en République et l’armée y redoublait de vigilance. Formellement, la planète n’était pas sous loi martiale, mais c’était tout comme. Les conseillers de l’armée y étaient si nombreux, pour aider à la reconstruction, disait-on, et ils étaient devenus si essentiels au bon fonctionnement des opérations, qu’ils auraient pu tout aussi bien diriger l’endroit.

— M. Al Arrami, déclara un soldat à l’air pincé qui venait à leur rencontre avec un datapad. Chevalier Torr. Padawane Sîdh.
— Sergent.
— Une signature, s’il vous plaît, M. Al Arrami, dit le soldat en tendant le datapad à Abdor. Chevalier, le colonel veut… aimerait vous voir.

Karm répondit par un hochement de tête, salua Abdor et, accompagné de Thann, emboîta le pas au militaire. Alors qu’ils remontaient les docks pour gagner la partie de l’astroport qui abritait les services administratifs, il aperçut du coin de l’œil les réparations encore temporaires qu’on avait faites aux baies que le vaisseau des fugitifs avaient explosé, quelques mois plus tôt, quand Korgan et lui avaient tenté de les appréhender.

Sa mâchoire se contracta légèrement.

Il avait repensé à cette mission des dizaines de fois. En se repassant les événements en mémoire, il avait essayé de cerner ses erreurs. On l’avait honoré comme un héros, son intervention lui avait valu une petite réputation, mais lui, il était persuadé qu’il aurait pu mieux faire. Neutraliser le vaisseau autrement. Sauver des vies, peut-être.

Le sergent les introduisit dans un grand espace où, à une dizaine de bureaux, des militaires surveillaient le bon déroulement des travaux. Karm soupçonnait la moitié d’entre eux d’appartenir aux services de contre-espionnage de la République. Désormais que Pakuuni avait été identifié comme un point faible, nul doute qu’on redoublait de vigilance, pour s’assurer que les nouvelles défenses planétaires n’ouvriraient pas encore une fois la voie à des infiltrés.

Leur guide les fit attendre à la porte d’un bureau. Une jeune secrétaire, sans doute fraîchement enrôlée, ne put s’empêcher de jeter des regards insistants à Karm. Tout le monde, ici, avait entendu parler du Chevalier en Slip Rouge. Les archives des holovidéos de surveillance venaient alimenter l’hilarité de certains — ou les fantasmes des autres. Le regard de la jeune fille dérivait invariablement vers le pantalon du Jedi, dont le contenu n’était pas exactement un secret pour les soldats stationnés sur Pakuuni.

Un bip manqua de faire sursauter la secrétaire.

— Hm, euh. Il peut vous recevoir, maintenant.

Un Ogemite de haute stature, le colonel Rhyll, du haut de ses quarante ans, avait encore une brillante carrière devant lui. Il s’était illustré comme un stratège prometteur, moins sur les champs de bataille eux-mêmes que lors de la préparation et de la reconstruction des planètes. C’était lui que l’on envoyait souvent pour revisiter les systèmes de défense, pour extirper des saboteurs ou pour éradiquer des réseaux d’espions militaires. On lui prêtait une mémoire prodigieuse et un sens de la psychologie hors norme.

— Chevalier Torr, Padawane Sîdh, bienvenue, lança-t-il d’une voix profonde alors que les portes de son bureau se refermaient derrière les deux Jedis, pour les laisser en tête-à-tête avec lui.

D’un geste de la main, il les invita à s’asseoir de l’autre côté de son bureau.

— Navré de vous avoir convoqués de manière aussi cavalière, poursuivit-il, mais il y a beaucoup à faire ici. La reconstruction est plus complexe que nous l’avions prévu.

Il marqua une pause pour leur laisser l’intention de les interroger mais, comme beaucoup, il se heurta au mutisme ordinaire de l’Ark-Ni. Le militaire ne s’en formalisa pas pour autant. Il s’était renseigné sur le cas Karm Torr, et puis il avait l’habitude des hommes de terrain un brin taciturne.

— Il y a notamment un problème avec lequel je pense que vous pourriez nous aider.

Rhyll fit un geste de la main devant la console à son bureau et un holoprojecteur afficha entre eux l’image d’une tour d’habitation éventré par une explosion.

— C’est à une cinquantaine de kilomètres d’ici, dans l’un des quartiers populaires de la ville. La tour présente un certain nombre de faiblesses structurelles, après une explosion, lors des combats, il y a quelques mois. On a tenté de renforcer le squelette, mais c’est en vain, et le génie propose désormais de la démolir. On a déjà des logements pour les résidents, dans une autre partie de la ville, et la plupart d’entre eux ont accepté de s’y rendre. Mais il reste cinq ou six familles qui refusent, et tant qu’elles sont encore là, on ne pourra pas procéder aux travaux. Nous leur avons expliqué les dangers qu’elles couraient, mais les arguments n’ont pas semblé porter. J’aimerais éviter de les déloger de force…

Après la brutalité dont certaines troupes républicaines inexpérimentées avaient fait preuve contre la population civile lors de la bataille, l’image de soldats arrachant les familles à leur foyer risquait en effet de mettre le feu aux poudres.

— J’ai pensé que vous pourriez peut-être aller leur parler. Je sais que ce genre de choses ne correspond guère à vos missions ordinaires, mais vous êtes, comment dire… ? Disons que la population locale a une haute idée de vous et on vous écouterait sans doute.
— Vous construiriez quoi, à la place ?
— Pour l’instant, rien.

L’homme tapota aussitôt sur son clavier pour afficher l’image d’un autre immeuble, au design moderne.

— C’est là où nous voulons les reloger. Les conditions de vie y sont bien meilleures, à vrai dire, mais il faut reconnaître que le nouvel immeuble est plus éloigné de leurs lieux de travail, généralement. La solution n’est évidemment pas idéale, surtout que nous travaillons encore à la reconstitution du tissu des transports en commun. Je suppose que c’est pour eux la difficulté principale. Mais c’est un moindre mal.
Thann Sîdh
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L’arrivée de l’ingénieur était certainement une intervention de la Force elle-même pour laisser à une Thann aussi ébouriffée qu’essoufflée le temps de répit dont elle n’osait pas admettre la nécessité. Bien souvent, c’était à son maître de deviner le piètre état dans lequel elle se trouvait, elle-même s’imposait un niveau d’exigence aussi élevé que le respect qu’elle avait pour l’enseignement que son maître lui dispensait – autant dire qu’elle était, dans l’esprit, d’une audace sans mesure et flirtait peut-être avec l’ambition ; elle n’y échappait que de peu, elle ne cherchait pas la fierté de la réussite, elle fuyait plutôt la crainte de ne pas être à la hauteur de son aîné.
Dans les arts martiaux encore plus qu’ailleurs, puisqu’elle s’y savait d’un naturel moins habile qu’une Seïid qui semblait avoir tenue des armes in utero, elle s’efforçait de se montrer le plus à la hauteur. Sa volonté, ici, entrait gravement en conflit, pourtant, avec la première leçon qui lui avait été donnée sur l’écoute du corps et de ses douleurs. Cette contradiction, elle s’efforçait de la dépasser en se disant que de la douleur elle avait un enseignement à tirer, plus de douleurs, plus d’enseignements. D’ailleurs, son corps semblait lui donner raison. Depuis un mois et trois jours qu’elle était devenue l’apprentie du Chevalier Karm, elle se sentait être devenu plus forte et plus endurante. Pour réaliser son idéal, elle deviendrait le bouclier capable d’arrêter le fer de lance des Ombres.

Les discussions avec son aîné ayant nourri ses propres réflexions, elle avait commencé de mûrir ses idées. Là où elle avait pensé l’Ombre comme une entité unique, elle avait commencé de l’incarner. La Force était à l’origine du tout. Elle avait fait naître la Violence, la Mort, la Haine, la Colère, l’Amour. De fait, le dogme Jedi, en écartant absolument ces sentiments lui semblaient refuser une grande partie de ce qui faisait le vivant tel que l’avait fit jaillir la Force. La question était peut-être moins de bannir ces émotions que d’apprendre à les canaliser, à les comprendre, à voir la place qu’ils occupaient au sein de l’être et de ce que la Force avait fait de lui. Finalement, pour Thann, les Ombres n’étaient devenus que ces âmes damnées qui avaient absolument abandonnées la Compassion, l’Altruisme, la Sérénité et de fait, oubliés aussi, à la façon de Jedi trop rigoristes, une partie importante du vivant. Elle se voulait vivante, et la vie ne se résumait pas à l’intellect, à la pulsion, elle voulait incarner l’Equilibre. Elle ne voulait ni conduire la Mort, ni oublier la Vie. Elle voulait… beaucoup de choses encore diffuses pour une si jeune personne dont le Maître avait déjà su bouleverser la pensée. Elle ne le savait pas encore, mais elle était déjà loin de la jeune femme rigoriste et intellectualiste qu’elle aurait pu devenir sous la gouvernance d’un autre.

Lorsque les amarres s’ancrèrent sur la frégate de transport, de l’entraînement du matin ne restait plus que la fatigue musculaire, l’adolescente s’étant assurée que le reste disparut de son visage. Arborant sa tenue dont elle avait décrété elle-même qu’il s’agissait de sa plus présentable, son sabre était accroché à sa ceinture et une sacoche en cuir artificielle battait contre sa cuisse. Bouteboute, non loin, lui avait fait connaître par quelques trilles enthousiaste la hâte qu’il avait de pouvoir enfin sortir de la frégate où il n’avait, il faut bien le dire, pas eu l’occasion de faire grand-chose. La porte de la soute s’ouvrit, laissant entrée une lueur à peine moins électrique que celle qui régnait dans la soute. Ils n’eurent qu’à peine le temps de descendre que déjà un soldat venait à leur rencontre pour les aborder. Tandis que son maître échangeait quelques paroles, elle étendait sa conscience tout autour d’elle. Non loin, des ouvriers et des droïdes s’activaient aux réparations. Pakuuni pansait ses plaies. Elle avait bien conscience qu’ici, les assauts avaient été bien différents du ciel enflammé de Dathomir et pourtant, déjà ici, tant de gens avaient perdu la vie. Son mentor avait œuvré à éviter, en vain, ces pertes. Il ne lui en avait pas parlé, pudique sur ses actions, elle n’en savait que ce que les couloirs lui en avaient raconté. La réaction de la jeune secrétaire, pourtant, la fit sourire. Au cœur de cette tragédie avait émergé cet éclat de lumière et de rire, la légende du Jedi en Slip. Si les circonstances avaient été malheureuses, tous les événements ne l’avaient pas été. Au cœur de l’Ombre, la Lumière.

Elle salua le colonel, l’écouta attentivement et releva spontanément :


« Sauf votre respect, Colonel, si la question n’était que celle du transport, face au danger que vous nous présentez, les familles auraient tôt fait de choisir. On ne prend pas le risque de perdre ses enfants, son conjoint, ses biens, pour une question d’une trentaine de minutes de transport. Avant que nous les rencontrions, peut-être devriez-vous nous éclairer plus précisément sur les raisons qui les poussent à refuser ce relogement. »

Un petit sourire formel, juste ce qu’il fallait pour ne pas paraître sarcastique, venait nuancer le propos, bien qu’il risquait de ne pas suffire à ne pas mécontenter le militaire.
Karm Torr
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— Sauf votre respect, mademoiselle, je n’ai pas l’habitude de mentir à mes collaborateurs, répliqua le Colonel d’un ton que seule une froideur égale avait empêché d’être cinglant.

Le militaire croisa le regard de Karm qui, comme à son habitude, paraissait entièrement indifférent à la tension qui s’était réveillée entre sa Padawane et le militaire, et il se radoucit aussitôt.

— Les familles sont simplement convaincues que nous exagérons les risques structurels aux bâtiments, pour les chasser de leurs logements et vendre le lotissement à de nouveaux promoteurs. Quelques politiciens habiles se sont saisis des lendemains de la bataille pour déployer leurs théories populistes.

Comme beaucoup de militaires, le colonel ne portait pas les politiciens dans son coeur. Il les considérait comme des imprudents et des manipulateurs, prompts à accuser les armées des guerres qu’ils avaient eux-mêmes imaginées. Il trouvait que la gestion des affaires militaires, et même publiques en général, était beaucoup trop technique pour être abandonnée aux caprices sans fin d’une tripotée de corrompus.

— Ils assurent que l’armée républicaine est aux mains des grands bourgeois de Coruscant, qui profiteraient de la destruction de Pakuuni pour chasser les couches populaires loin du centre-ville, les repousser dans des logements précaires à la périphérie et renforcer les hiérarchies sociales.
— Je vois.
— Il y a une autre version de la même théorie où ce sont les Hutts qui chercheraient à étendre leur influence, et encore une autre où ce serait l’intervention secrète des Siths. Le traumatisme de la guerre et les difficultés de reconstruction éveillent toutes les paranoïas.

Karm échangea un regard avec sa Padawane. Il s’abstint de répondre que, selon lui, il y avait dans cette paranoïa beaucoup de plausible, mais, a priori, il n’avait pas de raison de se méfier du colonel. Il finit par hocher simplement la tête et se relever, serrant la main du militaire avant d’empocher le disque qui contenait les informations relatives à leur nouvelle mission. Une fois hors du bureau, ils furent à nouveau escortés par le sergent, dont la présence les invitait au silence.

L’homme ne les abandonna qu’après les avoir conduits vers un garage où s’alignaient les motospeeders couleurs camouflage de l’armée. Le Jedi attendit quelques minutes que leur chaperon se fût éloigné, avant de murmurer :

— Ouais, j’suis sceptique aussi.

Populisme ou pas populisme, ces familles vivaient dans un immeuble à moitié éventré, et, à moins d’être diplômées en architecture, Karm les imaginait mal considérer leur façade et se dire qu’après tout, le risque n’était pas si considérable que cela. Soit elles étaient entourées de politiciens vraiment très persuasifs, soit le colonel avait été sélectif dans sa présentation des faits, sciemment ou non.

— T’sais quoi, Bouteboute, des fois, j’me dis qu’on devrait prendre l’habitude de te faire hacker toutes les consoles qu’on croise, histoire de choper les données qu’on veut nous cacher, poursuivit le jeune homme, en tendant un casque à sa Padawane. En plus, ça te filerait un côté un peu bad boy, ce s’rait classieux.

Laissant le droïde méditer cette proposition pas tout à fait légale, Karm enfourcha la moto et, quand Thann se fut installée derrière lui, démarra pour s’élever une nouvelle fois dans le ciel de Pakuuni. Il ne tarda pas à retrouver le paysage désormais familier de la ville qui entourait le principal astroport de la planète. Là-bas se détachait la silhouette des deux tours étroites que le vaisseau des fuyards avait en partie démolies et, plus loin, on apercevait le hangar qu’il avait lui-même démoli pour échapper aux Impériaux et à leurs mercenaires qui l’avaient poursuivi. Des robots de terrassement et de construction s’élevaient un peu partout, des échafaudages anti-gravités flottaient contre les édifices et on retrouvait, sur le flanc des appareils et les bâches de protection, les logos des principales grosses entreprises multiplanétaires de construction de la République.

La guerre était un marché juteux. L’après-guerre aussi. Entre les armes à fournir et la reconstruction, les conflits étaient ironiquement porteurs d’une grande prospérité, pour la République comme pour l’Empire. En tout cas, tant qu’ils se déroulaient dans des planètes périphériques, loin des grands centres qui en profitaient. Mais qui d’autres que ces entreprises géantes pour reconstruire rapidement des planètes ravagées ?

La tour que le colonel leur avait projetée se dessinait déjà devant eux. Tout autour, des engins de chantier réduisaient en gravier les immeubles qui s’étaient effondrées, puis des broyeuses en faisaient dans la boue, qui serait, ailleurs, réinjectée dans de nouvelles constructions. La tour était comme une ruine d’un autre temps, incompréhensible et figée, dans un monde en pleine transformation.

Karm gara la moto sur la dernière plateforme à avoir survécu, juste en-dessous du trou béant qui coupait quasi la tour en deux. La partie supérieure avait été entièrement évacuée et, dans celle du bas, quatre ou cinq étages seulement, vers le milieu, étaient encore occupés par les familles.
Thann Sîdh
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Malgré le semblant de courtoisie qu’il subsistait dans les paroles du militaire, il ne faisait aucun doute que Thann l’avait froissé et plutôt que de l’amener à revoir sa position radicale, à savoir qu’il avait absolument raison de faire ce qu’il faisait et que ces civils avaient absolument tort de s’y opposer, elle avait amené celui-ci à s’offusquer et se draper dans ses principes. Elle n’ajouta rien et se replia dans le mutisme, comme chaque fois qu’elle avait le sentiment de l’échec. Alors que le sergent les abandonnait dans le hangar où toutes les motos-jets se seraient en rang d’oignons, son maître confirma pourtant les doutes qu’elle avait émis :

« Ouais, j’suis sceptique aussi. »

Pourtant cela ne suffisait pas à la jeune fille pour lui donner l’impression d’avoir bien agi. Elle cogitait, elle cogitait. Il fallut toute la puissance de la proposition faite à Bouteboute pour la tirer de ses pensées. Faire de son compagnon un super droïde espion ? Outre le fait qu’effectivement, l’illégalité d’un tel procédé était criante, elle n’imaginait même pas les foudres qui s’abattraient sur elle si le Conseil venait à recevoir une plainte pour espionnage dont l’objet principal était le droïde qui lui avait été offert comme aide. Et malgré tout… L’idée ne la révulsait pas tant qu’elle l’eût fait quelques mois plus tôt ; d’ailleurs, les trilles joyeuses de son compagnon confirmèrent qu’il se voyait déjà dans ce rôle.

Elle enfourcha la motojet à la suite de son mentor – il sentait bon – passa ses bras autour de sa taille tandis que Bouteboute, lui, s’accrochait à l’arrière du châssis : ses propres répulseurs étant loin d’être suffisamment puissant pour filer à la même allure qu’un tel véhicule.

En prenant de l’altitude sur la ville, elle perçut les plaies encore évidentes que le monstre guerrier lui avait infligées. Les tours en partie détruites qui menaçaient, selon le Colonel, de s’effondraient pratiquement d’un instant à l’autre, mais aussi le hangar qu’elle savait avoir été le lieu de l’épopée Torréenne et l’origine de sa légende. De si haut, ces deux incidents auraient pu tout aussi bien être dû à des fuites de gaz. Elle comprit qu’ici, la guerre avait été légère en comparaison des mondes moins chanceux comme Artorias, il y a quelques années, et Dathomir si récemment. Si loin et avec si peu d’expérience, elle n’était même pas capable de sentir la souffrance et la peur de ceux qui étaient tombés là.

Après un élégant arc de cercle, son mentor guida l’engin jusqu’à ce qui semblait être la dernière plate-forme en service du lieu. Perchés à quelques vingtaines de mètres du sol, Thann prit le temps d’embrasser, par la conscience, l’espace vide qui entourait désormais ce pic solitaire et les machines qui s’activaient à lisser les plaines alentours. Les cours de géographie du Temple lui revinrent en mémoire, en particulier ceux concernant l’urbanisation et les phénomènes immobiliers.

« Quoi qu’en dise le Colonel, il y a de forts risques pour que les entrepreneurs en profitent pour dresser de nouvelles tours d’un standing tout autre et pour que le promoteurs, à leur suite, fassent flamber les prix. Pour eux, c’est une occasion en or, c’est rare qu’un centre-ville se trouve ainsi l’occasion de tels chantiers.

Vous pensez que j’ai mal agi, maître, en émettant si frontalement mes doutes au Colonel ? »


Elle s’adressait à lui en marchant vers la porte d’entrée du bâtiment qui les toisait, fier, comme si le trou béant qui lui perçait le ventre n’existait pas. Bien qu’elle ne fût pas experte en ingénierie, elle dut admettre que les dégâts étaient impressionnants et qu’effectivement, le danger semblait bien présent. A la fois, elle doutait également que la République ne dispose pas des technologies nécessaires à la sauvegarde de ce bâtiment. Le choix de la destruction complète du lieu et de l’exil des familles dans des quartiers périphériques lui semblait peut-être une solution de facilité qui ne prenait guère en considération les facteurs humains également en jeu.
Karm Torr
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Il fallait, pour l’ouvrir, un peu forcer la porte dont le système automatique avait rendu l’âme peu après la bataille de Pakuuni. Après les premiers dégâts, considérables et spectaculaires, tout le reste avait commencé à se dégrader. Les systèmes auxiliaires tombaient en panne les uns après les autres, et les derniers résidents tentaient de sauvegarder quelques fonctionnalités essentielles en bricolant au cas par cas.

Les deux Jedis s’engagèrent dans un couloir obscur, que plus personne ne devait emprunter depuis un bon moment. Karm tira une lampe poche de sa ceinture.

— Les militaires préfèrent en général qu’on leur parle franchement. ‘Fin, ça veut pas dire qu’ils le prennent pas mal, de toute évidence, mais j’pense que c’est mieux que d’essayer de faire des ronds de jambe. De toute façon, moi, tu sais, la comédie, les faux semblants et les interrogatoires subtils, c’est pas exactement mon domaine.

Le Conseil avait une autre idée sur la question, pour l’avoir précisément envoyé jouer les agents doubles sur Pakuuni, et il lui arrivait de reprendre ce rôle aux côtés de Luke, dans l’une des investigations dont l’Hapien avait la spécialité. Il n’empêche. Karm n’aimait pas mentir et il n’aimait pas tourner autour du pot.

— C’est notamment pour ça que…

Le jeune homme s’interrompit pour balayer du faisceau de sa lampe le gouffre béant qui avait été jadis une cage d’ascenseur. Un coup d’œil en haut et un coup d’œil en bas lui confirmèrent qu’il valait mieux prendre les escaliers. Une odeur de rouille et de moisissure descendaient des étages supérieurs, et le vent s’engouffrait par la blessure immense que la guerre avait ouverte dans le flanc de l’immeuble.

— … pour ça que les militaires d’la République préfèrent traiter avec les Gardiens qu’avec les Consulaires. Mais j’vais t’dire, un peu de méfiance entre l’armée et les politiciens, c’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ça invite à plus de pondération d’un côté et de l’autre.

Par chance, les escaliers avaient été relativement épargnés. Les Jedis s’abstinrent de les dévaler, cependant, par prudence.

— Cela dit, ce serait peut-être pas mal que tu demandes d’autres avis sur ces questions. On peut essayer de te trouver quelques missions diplomatiques ou des formations sur la communication interpersonnelle. Histoire que tu finisses comme ton gros rustre de maître.

La remarque avait été ponctuée d’un sourire en coin. En vérité, à sa manière, Karm était d’une délicatesse consommée, mais elle s’exprimait rarement dans les canons de la politesse et des normes de la société. Il en était bien conscient et, souvent, il se demandait par quels moyens il pourrait apprendre à Karm tout ce qu’il ignorait lui-même et qui devait permettre à la jeune fille de choisir la voie qui lui conviendrait le plus.

Quelques étages plus bas, la lumière était revenue. Pâle et vacillante. Dans la Force, la présence des locataires commença à se faire sentir, premiers signes de vie évolués, au milieu des rongeurs et des oiseaux qui avaient investi les étages supérieurs. Les deux Jedis forcèrent leur chemin à travers une nouvelle porte, pour déboucher dans un couloir envahi par un bric-à-brac qu’on avait consciencieusement récupéré plus haut : des tuyaux, des câbles, des morceaux d’interface qui servaient désormais aux petites réparations quotidiennes.

— C’est vous ! C’EST LUI.

La voix d’abord chevrotante avait fini par résonner dans tout le couloir.

— C’EST LE JEDIIIIIII.

Une petite femme potelée d’une cinquantaine d’années émergea de derrière un tas de débris dans lequel elle était occupée à farfouiller. Des portes s’ouvrirent dans le couloir et, bientôt, un petit attroupement de résidents se forma autour de Thann et Karm. Il était aisé de juger à leurs tenues et, parfois, à leur espèce, qu’ils ne faisaient pas partie des citoyens les plus favorisés de Pakuuni. Ce n’était pas la profonde misère, mais le bas d’une classe moyenne que la guerre menaçait de paupériser définitivement.

Il y eut un concert de félicitations et de remerciements. On serra la main à Karm, on lui tapa sur l’épaule — tout cela le mettait fort mal à l’aise. Il n’avait pas l’impression d’avoir beaucoup fait pour Pakuuni, même si son intervention, avec Korgan, avait permis de désorganiser le réseau impérial qui aurait pu se retourner contre la planète. Pour la population locale, il représentait une alternative salutaire à la violence pernicieuse de l’Empire, qui menaçait toujours, et à l’attitude implacable et méthodique de l’armée républicaine. Une troisième voie.

En quelques minutes, ils furent pressés jusque dans un appartement au style un peu vieillot, assis sur un sofa plastifié et abreuvés d’un thé du coin. La femme qui les avait aperçus en premier avait réussi à les extirper de la foule pour les accueillir chez elle. Très gêné, Karm ressemblait plus que jamais à un ado qu’on aurait traîné chez sa grand-mère.

— C’est, euh…
— On ne pensait pas que vous reviendriez, coupa aussitôt la dame. Regardez, regardez.

Elle pianota sur la table de basse et dut lui donner un franc coup de pied pour arriver à activer l’holoprojecteur, qui diffusait des photos de ses petits enfants. Elle les passa rapidement en revue, jusqu’à en montrer une toute différente : Karm Torr, le Chevalier Jedi, sabre à la maison, dans son slip rouge moulant et prometteur, immortalisé par les caméras de sécurité de l’astroport.

— Tout le monde a ça par ici, pour se souvenir.
— Ah, fit Karm. Chic.
Thann Sîdh
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La réponse de son maître n’eût pas vraiment l’effet escompté sur l’adolescente qui était bien en peine, in fine, de savoir si elle avait bien agi ou non. D’ailleurs, il semblait conscience de l’ambivalence de sa réponse puisqu’il lui proposa de la rapprocher de Jedi autrement plus spécialiste que lui sur ces questions. L’idée sembla étrange à la Padawane. Bien sûr, elle n’ignorait pas que son maître n’incarnait pas une forme de perfection, personne, mais… L’idée de de le savoir ailleurs, à courir la galaxie, pendant qu’elle se confrontait à l’ego des politiciens et des gens trop importants pour ne plus accepter la moindre critique sans se draper dans la plus ample des indignations la fit tiquer. Et pourtant, tout en pensant cela, elle ne put s’empêcher de se faire également la remarque de combien il était déplacé qu’elle s’attachât à ce point à ne plus quitter la présence de l’Ark-ni. A ses côtés, elle se sentait… à sa place.

Son introspection fut violemment interrompue par la ruée que provoqua leur arrivée, du moins, son arrivée. Tous les résidents se pressèrent autour d’eux et la jeune fille, guère habituée à un tel mouvement de foule, se retrouva bientôt séparée de son Maître par plusieurs lignes de têtes de tous les âges. Tous venaient saluer celui qui avait risqué sa vie pour sauver nombre des gens d’ici. Bientôt, le flot entraîna son maître et reflua, glissant autour d’elle sans prendre la peine de l’emporter. C’était une douche froide, pour elle, après s’être sentie si nécessaire à être avec lui mis après s’être récité les mantras Jedi, elle se laissa gagner par l’enthousiasme environnant plutôt que par l’amertume. Après tout, pour eux, il était un héros et elle n’était rien, il était normal qu’ils lui accordassent une place d’honneur.

Tiré en tous sens, serrant mains après mains, se faisant voler plus d’une accolade et plus d’un baiser sonore par uene grand-mère ou un père de famille, son Maître semblait avoir perdu tous ses repères jusqu’à se retrouver dans un salon à s’admirer en tenue légère – Bouteboute s’étant empressé de retranscrire la projection pour Thann qui venait de se faufiler, tant bien que mal, pour rejoindre son aîné et prendre place à son côté.

« Je suis curieuse d’entendre l’avis du Chevalier Fykk sur ce genre de campagne de publicité. »

Ce n’était un mystère pour personne que le Chevalier Evran Fykk était en grande partie responsable de la communication au Temple, bien qu’il soit spécialisé dans les rapports avec le Sénat, Thann s’imagina la tête de cet homme à l’allure sévère, qu’elle n’avait croisé, à vrai dire, que peu de fois, devant un exemplaire géant de ce cliché animé au milieu de la rotonde du Sénat. Nul doute que la côte de popularité de l’Ordre allait atteindre des cimes jamais égalées.

Cependant, alors que jusqu’à présent, l’humeur était à la liesse, celle fut subitement tempérée par une vibration qui parcourut tout le bâtiment suivi de gémissement sourd qui rappelèrent aussitôt la raison de leur venue. Bien que souriante, leur hôte ne parvint pas à masquer tout à fait son inquiétude. Visiblement, les affirmations du colonel Rhyll penchées du côté de la vérité.

« Ne faites pas attention, cela arrive à l’occasion mais… »

Elle laissa là sa phrase sans la reprendre, consciente du peu de conviction qu’elle pouvait y mettre. Son Maître gardant le silence, comme songeur, Thann crut bon d’intervenir.

« Ne vous inquiétez pas, madame, c’est précisément pour cela que nous sommes ici. Le Colonel Rhyll, chargé de superviser la restauration des dommages ici, nous a fait un point sur votre situation et a sollicité notre aide pour vous faire accepter les alternatives de relogement qu’il vous propose. Cependant, nous ne voulons pas intervenir sans avoir d’abord entendu, sinon vos revendications, du moins votre point de vue.

Il est évident que votre bâtiment a besoin de sérieux travaux et ce tremblement ne présage rien de bon quant à l’avenir de celui-ci si rien n’est fait. C’est précisément pour cette raison que nous aimerions arriver, avec vous et le Colonel, à un accord le plus juste et – surtout – le plus rapide possible afin que les actions héroïques de mon maître ne soit pas terni par un accident malheureux. »


Remettre ainsi en avant l’épopée de son maître pouvait paraître un peu présomptueux mais en réalité, Thann espérait faire comprendre à la vieille dame, assez clairement, qu’ils étaient ici non pas en tant que représentant d’intérêts d’un quelconque gouvernement, ni même de l’armée ou de la République, mais bien pour défendre le bien-commun. Si elle le comprenait, peut-être la sympathie qu’ils y gagneraient leur permettrait de mener ces négociations vers une fin rapide, sécurisée et, surtout, la meilleure pour chacune des parties prenantes.
Karm Torr
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Comme souvent depuis quelques semaines, Karm était soulagé d’avoir Thann à ses côtés. Comme Luke, la jeune femme disposait d’un esprit calme et méthodique qui lui permettait d’exposer avec une clarté qui n’était pas toujours celle de l’Ark-Ni les tenants et les aboutissants de la situation. L’esprit du Chevalier, lui, avait tendance à associer d’un coup des éléments très divers et à considérer que tout le monde était plus ou moins capable de le suivre. Une disposition utile sur le terrain, mais parfois peu productive dans la conversation.

Quand Thann eut fini d’exposer la situation, la femme les regarda tour à tour. Karm était un peu gêné qu’on utilise une gloire qu’il jugeait immérité pour inciter la dame à se confier, mais il soutint son regard du sien et y joignit son sourire le plus chaleureux, en faisant abstraction de l’holocliché de lui quasi érotique qui flottait à quelques pas de là.

— On est vraiment pas là pour vous forcer à faire quoi que ce soit, hein, finit par renchérir l’Ark-Ni.
— Oui, oui, c’est que… Enfin, vous êtes quand même qui vous êtes.
— Euh…

Plaît-il ?

— … oui… ?
— Je veux dire, vous savez ce qu’ils veulent construire, ici.

Karm haussa un sourcil.

— On nous a assurés qu’il n’y avait pas de projets.
— Qui ça, on ?
— Le colonel.

Les lumières de l’appartement se mirent à clignoter furieusement. La femme se releva et disparut dans le vestibule. Il y eut un bruit sourd, une espèce de crépitement électrique, et leur hôtesse refit son apparition dans le salon, pour fouiller dans sa commode.

— Je vais vous montrer la plaquette informative qu’on nous a données. À propos du relogement. C’est ça qui nous a mis la puce à l’oreille.

Le Jedi s’abstint de poser une nouvelle question, de peur de brusquer leur informatrice en se montrant trop insistant. Elle ne tarda pas de toute façon à se rasseoir en face d’eux pour leur tendre une dataclé, que le jeune homme inséra dans son pad. À l’intérieur, des documents administratifs sur les droits des résidents et les aides de la République auxquelles ils pouvaient prétendre avaient été joints à la description des nouveaux logements et aux projets de rénovation qui devaient les rendre aussi désirables que possibles.

Rien de bien extraordinaire. Karm leva un regard interrogateur vers la dame.

— Regardez les petits caractères, en bas, tout à la fin. Sur l’origine du document.
— Ministère de la Défense, Département du Logement de Pakuuni, Fonds d’Aide aux Victimes de Guerre de la République, A&G Projets, lut Karm à haute voix. J’imagine que c’est le dernier qui est censé retenir mon attention.
— Ce sont les gens qui doivent assurer la rénovation de nouveaux logements et la destruction de cette tour-là en toute sécurité.
— Et vous pensez qu’ils ne sont pas compétents ?
— Si, si. On a demandé à des amis d’amis de se renseigner, et la voisine du 78e a un fils dont la copine a un cousin qui travaille avec le frère du responsable des achats, là-bas.

Bref, une source fiable.

— Je vois.
— Ils veulent construire une tourelle de défense aérienne à la place de notre immeuble ! Une sorte de gros canon géant.
— Ah.

Karm était un peu perplexe. L’information ne lui paraissait pas très sûr et il n’était pas non plus absolument certain de bien cerner où se trouvait le problème. Les habitants de Pakuuni, après avoir été victimes de la guerre, devaient bien naturellement souhaiter être protégés.

— Et donc… c’est vrai que… c’est vrai que c’est problématique, hasarda le jeune Chevalier, vraiment pas très sûr de lui.
— Nous, ce à quoi on aspire, c’est la paix, vous comprenez ? Pas de voir les machines de guerre se multiplier. Surtout pas à l’endroit où nous avons vécu. Surtout pas quand on voit ce que l’armée républicaine a fait ici, à Pakuuni, lors des problèmes à l’astroport. On pourrait dépenser de l’argent pour faire des écoles, des jardins, des centres sociaux, des piscines. Et à la place…
— Mais si jamais demain il y a une attaque de l’Empire ?
— Qu’ils construisent des stations orbitales, ou quelque chose comme ça ! Mais je ne veux pas que nos jeunes générations soient continuellement exposées au spectacle des engins de guerre, comme si c’était quelque chose de normal. Nous, on ne veut pas que ça fasse partie de leur paysage.
Thann Sîdh
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L’ancienne et son propos pacifiste touchèrent au cœur Thann qui ne put s’empêcher de s’avancer et tendre la main jusqu’à toucher la sienne qui commençait tout juste à se rider. Si l’évocation du sinistre projet de la défense l’avait agacé, elle se calma tout à fait et lui répondit par un sourire maternel. Pourtant, la Padawane prit soudainement conscience de son geste, de son caractère tout à fait hors de propos et regagna rapidement le fond du fauteuil pour ne plus s’occuper, pour les minutes qui suivirent, que du fond de son thé.

Le soudain élan de sympathie qui l’avait mû la troubla beaucoup. Immédiatement, elle avait voulu voir en ses gens des victimes d’un système injuste, avant tout parce qu’ils avaient l’apparence d’être les plus démunis dans cette situation. Il n’y a pas d’émotion, il y a la paix. Elle se répéta le mantra, plusieurs fois, et s’amena progressivement, tandis que la conversation se poursuivait, à jeter sur la situation un regard plus neutre. S’engouffrer dans une voie si étroite et si traîtresse – à savoir les rumeurs colportées dans un voisinage aux abois – ne l’aiderait ni à remplir son rôle de Jedi, ni à aider véritablement ces gens qui, peut-être, était victime d’une angoisse collective.

Une telle décision de la part du gouvernement et de l’armée de la République semblait d’autant plus douteuse que le Colonel ne leur avait absolument pas mentionné ce projet – alors qu’il était évident qu’il semblait cristalliser le mécontentement des habitants renégats…

« Un bouclier ? »

La remarque lui avait échappée, comme surgit du fond de ses pensées pour venir au-devant de la scène. Son maître ainsi que leur hôte la regardèrent fixement. Elle venait de couper leur aînée, sans crier gare, ses deux interlocuteurs attendaient à présent qu’elle poursuivît son idée – elle n’eût pas un instant l’idée de s’excuser comme chaque fois que ses méninges prenaient le pas sur sa conscience des autres.

« J’ignore si ce projet est certain – peut-être le gouvernement y a-t-il songé, peut-être y songe-t-il encore, peut-être est-ce une alternative parmi d’autres – il nous faudra, à mon Maître et moi-même, le déterminer ; cependant, ce dont je peux être certaine, c’est que le gouvernement galactique, mais aussi celui de Pakuuni, ont le souci de protéger les zones les plus exposées aux velléités de l’Empire et aux incidents de guerre. Il vous faut donc, et vous l’avez compris puisque vous suggérez l’idée d’une station orbitale, penser à mettre votre cité hors d’atteinte des ambitions impériales.
Bien qu’une telle station pourrait être, en effet, un choix, il serait également le choix le plus onéreux mais aussi le plus long. Pourtant, et c’est tout à votre honneur, vous souhaitez que vos enfants ne grandissent pas à l’ombre des canons-lasers. De fait, si réellement un projet militaire devait être envisagé lors de la reconstruction de votre immeuble, peut-être pourrions-nous proposer à l’armée d’opter plutôt pour un bouclier anti-aérien ? Le symbole serait fort, vous ne prônez pas une culture de l’agression, et, en plus, les cristaux utilisés dans la conception d’une telle tour pourrait donner lieu à une prouesse technologique mais aussi architecturale.

Mais je dis cela, toujours sous le couvert de vérifier l’actualité de ce projet, bien sûr… »


Les neurones avaient donné tout ce qu’ils avaient et soudain elle reprenait pied dans le réel et dans le manque de courtoisie dont elle avait fait preuve. Elle rougit et termina sa tirade dans un bredouillant :

« Mais je vous ai coupée, je vous demande pardon, poursuivez, je vous en prie… »

Et elle replongeait de plus belle dans l’admiration de la tasse de thé qui lui avait été servie.
Karm Torr
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— Un bouclier ? Comme ceux de Coruscant ?

Le système quasi-impénétrable de la planète-capitale était le point de références pour beaucoup de gens dans la Galaxie. Les boucliers planétaires étaient rares et coûteux, mais à mesure que la technologie se modernisait, elle devenait plus accessible, et la guerre avait assurément stimulé l’inventivité de la recherche publique et des développeurs privés.

— Quelque chose dans le même esprit, disons, répondit Karm d’une voix prudente.

La vérité, c’était qu’il se voyait mal faire des propositions de ce genre au colonel. Les deux Jedis n’avaient pas été dépêchés sur Pakuuni avec des pouvoirs diplomatiques et leur conseil risquait d’être au mieux incongru, au pire malvenu. Que le colonel ne leur ait même pas évoqué le projet d’artillerie disait bien qu’il ne comptait pas les mêler aux réflexions stratégiques pour la défense d’une planète qui, en effet, pouvait à tout moment intéresser de nouveau l’Empire.

La femme hocha la tête, pensive.

— Mais… Enfin, vous savez, bouclier, tour d’artillerie, ou rien, je crois pas que qui que ce soit ait prévu de reconstruire ici une tour de logement. Je sais que c’est difficile mais du coup… Peut-être que vous pouvez continuer à militer, mais relogés, et plus en sécurité, vous pensez pas ?
— Oui mais être ici, occuper l’immeuble, c’est à peu près tout le pouvoir politique qu’on a. C’est notre seul moyen de pression.
— Je comprends bien.

Mais Karm craignait que l’immeuble lui-même finisse par faire pression sur ses habitants, et de manière plutôt littérale. Il y eut un nouveau silence pensif, alors que le jeune homme tentait de démêler l’écheveau de la politique locale, un domaine dans lequel on ne pouvait pas dire qu’il fût particulièrement versé.

— Ecoutez. Moi, c’que j’propose, c’est que Thann et moi, on se renseigne un peu sur tout ça. D’abord, sur le projet qui va vraiment remplacer la tour, pour savoir si c’est des rumeurs, s’il y aura de fait un truc d’artillerie. Ça me paraît important. J’imagine bien que vous devez avoir pas mal de difficultés à avoir accès aux informations militaires.

Une précision diplomate, faite pour suggérer que s’il voulait confirmer les dires des habitants, ce n’était pas qu’il ne leur faisait pas confiance, mais simplement qu’il voulait ajouter de l’eau à leur moulin.

— Ensuite, si projet il y a, on va voir si c’est possible de faire quelque chose quant à sa nature. Un bouclier, c’est quand même une sacrée bonne idée, ça fait sens niveau symbolique et puis stratégique. Et enfin, on va tâcher de prendre contact avec des gens un peu haut placés, qui pourraient vous donner une visibilité médiatique et vous permettre de continuer votre combat, mais ailleurs, dans des logements plus sûrs. Vous êtes sans doute pas tout seuls avec ces idées-là, s’agit seulement de se trouver des alliés.

Karm doutait d’être le mieux placé pour naviguer ce genre de problèmes. Son expérience des réunions diplomatiques et des négociations politiques avait consisté exclusivement à en assurer la sécurité. Mais cette faiblesse, la femme ne le voyait guère : pour elle, un Jedi était nécessairement un être complet, et si Karm avait contribué à protéger Pakuuni sabre à la main, c’était aussi qu’il pouvait le faire par les mots.

Il y eut de nouveaux remerciements, de nouvelles effusions, des offrandes de cookies et des promesses réitérées de garder très longtemps l’hologramme à la gloire du Chevalier en Slip. Il fallut un bon quart d’heure aux deux Jedis pour se dépêtrer de cet assaut de civilités et regagner les escaliers, qu’ils commencèrent à gravir en direction de leur speeder. Rien de tel pour se dégourdir les jambes.

— J’avoue que j’avais pas eu exactement l’impression que le colonel nous cachait un projet d’envergure, du coup je suis un peu… Perplexe. Après, j’dis pas, je lis pas dans les pensées, il peut très bien avoir essayé de manipuler, pour pas qu’on entrave ses affaires.

Mais quelles raisons aurait eu un militaire républicain de se méfier d’un Gardien qui, par définition, devait partager l’essentiel de ses préoccupations stratégiques et même, pour une large part, sa culture martiale ?

— Les rumeurs, ça se répand vite, dans ce genre de communautés. Et je suis pas totalement certain de comment gérer ça. À part que bon, faut les convaincre de déménager pour assurer leur sécurité, ça, j’imagine qu’on peut dire que ça fait consensus.

D’ailleurs, un nouveau grincement sinistre les accueillit alors qu’ils passaient un énième pallier.

— Je dirais que le plus urgent, c’est de leur trouver des alliés, pour les convaincre qu’ils peuvent agir ailleurs, et accélérer leur déménagement. T’en penses quoi ?

Plus encore qu’à l’habitude, la relation du maître à l’élève prenait une tournure des plus égalitaires. Thann lui paraissait bien plus douée d’empathie et de sens social qu’il ne l’était lui-même, même si la Miraluka avait ses propres particularités. Le geste qu’elle avait eu pour la femme qui les avait accueillis, loin d’avoir choqué le Chevalier, lui paraissait présager des heureuses dispositions de sa Padawane. Et il avait précisément besoin que quelqu’un réfléchisse à la situation autrement qu’en militaire.
Thann Sîdh
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Qu’en pensait-elle ? Elle était bien incapable de le dire à l’arraché, alors qu’on lui posait la question. D’abord, elle s’attendait à ce que son maître lui rappelât son rôle de Jedi et la nécessité pour elle de ne pas manifester des émotions du type de celle qui l’avait poussé à prendre la main de cette petite dame. L’absence de réprimande la troubla quelque peu et, à la fois, elle se souvint que ce qui l’avait poussé à suivre les pas de son aîné était aussi cette originalité qu’elle sentait en lui. Pourquoi attendait-elle encore de lui qu’il réagît comme les autres Chevaliers si précisément elle l’avait désiré pour maître pour cette raison ? Il n’était pas facile de dire adieu à quinze ans d’ascétisme émotionnel pour adopter la pensée sensualiste qui, de façon évidente, semblait lui être pourtant plus naturelle.

Le méli-mélo de ses pensées se déversa tout entier dans ses paroles – ce qui était plutôt une habitude chez elle – et c’est sur le ton de la réflexion en train de se construire qu’elle répondit :

« Ces gens, ils sont en danger, c’est une absolue certitude et nous devons réussir à les faire sortir d’ici. Cependant, leur pensée pacifiste et leur volonté anti-belliciste est tout à leur honneur. Je suis stupéfaite du peu de cas que le gouvernement, pourtant démocratique élu, fait de l’avis de ses citoyens. Si, unanimement, les futurs habitants de ce quartier refuse un tel projet, de quel droit leur est-il imposé ?

Et à la fois, devons-nous croire en cette information de seconde, voire de troisième – si ce n’est plus – main ? Une telle rumeur peut avoir été suggérée par des rivaux politiques, une psychose collective ou même, effectivement, peut avoir été débattue un temps et ne plus être d’actualité aujourd’hui.

Maître, pour être tout à fait honnête, je…
Elle marqua un temps d’arrêter pour essayer de formuler au mieux son idée et, après un silence seulement troublé par les grincements de la tour qui luttait contre l’effondrement, elle finit par dire : Pensez-vous que le colonel aurait osé nous cacher une telle information, alors même que je l’avais interrogé sur les possibles revendications des habitants de la Tour ? Pourquoi… Pourquoi ? Ne sommes-nous pas des Jedis ? Que craint-il ? Ne sommes-nous pas tous au service de ces gens ? Je ne comprends pas. L’Empire Sith n’est-il pas déjà suffisamment puissant et sournois pour que même dans nos rangs la défiance et l’individualisme se mettent à brouiller la concorde ? »

Toute la naïveté de l’adolescente revenait au galop. Malgré l’efficacité certaine de ses méninges, elle gardait parfois sur le monde une vision enfantine, et ce, quand bien même elle avait déjà lu plus de philosophe que tous les Padawans se sa génération réunis. Son bon cœur n’avait pas encore été endurci par les réalités de l’existence et la complexité des relations entre conscients.
Karm Torr
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— … des rivaux politiques…, murmura Karm pour lui-même, alors que Thann poursuivait son discours, auquel il prêtait par ailleurs une oreille attentive.

Des rivaux politiques.

Peu rompu à envisager l’écheveau des jeux de pouvoirs qui pouvait traverser des projets de ce genre, Karm avait du mal à imaginer spontanément le genre de rivalités qui pouvait se jouer là et quel intérêt on aurait pu avoir à faire fantasmer un projet qui n’existait pas. Pour empêcher la destruction de la tour ? À quelle fin ? Que n’était-il pas un Consulaire habitué à envisager ce genre de situations sous toutes ses coutures !

— J’ai pas l’impression que le colonel nous ait menti, mais j’suis peut-être un peu naïf.

Et ce n’était pas de la fausse modestie de sa part : il était plutôt habitué à faire parler les plantes, les roches et les animaux, et beaucoup moins à cerner les intentions des hommes de pouvoir.

En discutant, les deux Jedis débouchèrent sur la plateforme battue par le vent où ils avaient posé leur speeder, à mi-hauteur de la tour, en-dessous de la blessure béante que les combats y avaient ouverte. Karm considéra un instant l’infrastructure éventrée, plus pour se donner le temps de réfléchir aux questions de sa Padawane que par réelle expertise architecturale.

— Déjà, je pense pas qu’on soit du tout dans une situation démocratique, ici. De manière générale, je suis pas persuadé que la République ait un fonctionnement super démocratique. Des principes, ça, je dis pas, peut-être même une volonté de bien faire, mais dans les faits, c’est une autre histoire. Quoi qu’il en soit, là, on est dans une zone largement militarisée, avec des décisions qui tombent verticalement des administrations centrales, comme des directives de gestionnaire, et qui sont appliquées par l’armée.

L’une des tristes vérités de la guerre, c’était que l’urgence du conflit avait laissé les coudées franches à toutes sortes de bureaucrates qui s’étaient saisi de l’occasion pour régenter entièrement la vie des planètes périphériques, sous le prétexte de la raison d’État. Assurer la sécurité des populations était un prétexte commode pour conduire des réformes en profondeur, en se passant de l’approbation populaire ou en l’obtenant sur la foi d’un discours anxiogène.

La situation à Pakuuni était encore plus nette : la reconstruction assurée par l’armée en lien avec des institutions privées et publiques était à peu près indépendante de l’assentiment d’une population de toute façon réduite à la terreur de se voir bientôt annexée par l’Empire, si des mesures énergiques n’étaient pas prises.

— Après, c’est tout à fait possible que le gouvernement démocratiquement élu ait d’autres perspectives sur la situation et les besoins de reconstruction, et qu’il y ait un conflit entre les administrations centrales et eux. Ou l’armée et eux. Ou les grandes sociétés… ‘Fin, j’imagine que pas mal de configurations sont possibles. Quant au colonel…

Karm tendit le casque de speeder à Thann. Le plus urgent paraissait en tout cas de croiser les informations qu’on venait de leur rapporter et de s’enquérir de l’écho rencontré par l’opposition des habitants dans le reste de la population. La mairie de la capitale était sans aucun doute l’endroit idéal pour mener cette petite enquête.

— C’est pas dit qu’il ait des infos de première main. Aussi bien, il envoie des subordonnés se renseigner sur la question et ces gens-là sont plus ou moins consciencieux, plus ou moins doués pour entendre les revendications des habitants, ce genre de choses. ‘Fin, j’imagine qu’un mec comme lui gère simultanément une centaine de projets, je mettrais pas ma main à couper qu’il soit déjà venu ici personnellement.

C’était en tout cas son expérience des hauts gradés qui supervisaient les entreprises de sécurisation dans les planètes en voie de colonisation : très souvent, ils passaient plus de temps en orbite, sur le pont du vaisseau, à gérer les grands aspects stratégiques, que sur le terrain, à s’entretenir avec les populations de réfugiés. Karm s’était toujours promis de se préserver de ce genre de choses, si un jour il parvenait, comme il le souhaitait, à gravir les échelons de la hiérarchie jedi.

— Allez, on va interroger des vrais travailleurs du terrain.

Bientôt, ils enfourchaient tous les deux le speeder et l’appareil s’élevait dans l’air dégagé de Pakuuni. Ils ne tardèrent pas à filer dans le centre-ville où, bon an mal an, l’activité avait fini par reprendre. Les barges commerciales revenaient dans l’astroport encore en construction et Pakuuni redevenait, petit à petit, la pointe commerciale de la République, au bout du territoire, coincée entre les Hutts et l’Empire.

La mairie était un vaste bâtiment cubique, dont l’architecture avait dû être futuriste, quelques décennies plus tôt, mais qui aurait eu besoin depuis longtemps d’un bon ravalement de façades. Des droïdes s’activaient ce jour-là pour nettoyer les carreaux, alors que le speeder des deux Jedis s’arrimaient à l’une des passerelles pour visiteurs. Quelques minutes plus tard, ils s’engageaient dans les couloirs animés où se mêlaient administrés et fonctionnaires.
Thann Sîdh
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Les paroles de son Maître, pour la première fois, ne la rassurèrent pas vraiment. Elle qui était sorti du Temple en s’imaginant que d’aucun aurait nécessairement la même bienveillance envers son prochain qu’elle-même – pourquoi s’engager en politique sinon pour œuvrer pour le bien commun ? – découvrait un monde fait d’un camaïeu de gris qu’elle trouva immédiatement un peu triste. La monstruosité des événements lui apparut davantage encore lorsqu’elle réalisa qu’en définitive, la guerre semblait dangereusement rapprocher le fonctionnement de la République du fonctionnement impérial. Dès lors, la frontière entre le bon et le mauvais devenait dangereusement fine et la promptitude de l’Ordre à venir s’engager et mourir pour un gouvernement à la limite du modèle autocratique inquiétait profondément l’adolescente. Malheureusement, ni une aire d’atterrissage, ni un speeder n’étaient le lieu adéquat à l’exposition de telle préoccupation. En outre, l’urgence dans laquelle se trouvaient les habitants pour lesquels ils ouvraient à présent la rappela à davantage de concentration et de sérénité : l’âpreté de la politique attendrait, il s’agissait de s’occuper des Vivants.

Elle saisit le casque que son maître lui tendait, l’enfila, encore un peu pensive, et alors qu’elle enfourchait la bécane, ceinturant fermement son aîné, et invitait Bouteboute à rejoindre son attache, elle demanda, sa voix crachotant à travers la liaison radio des deux casques :

« Pensez-vous qu’il faille contacter le Colonel pour le tenir informer de nos faits et gestes ?

– Oh, c’est pas la peine de le déranger avec des détails comme ça, on va pas le surcharger non plus. »

Le speeder vrombit et bientôt s’éleva. La ville défila une nouvelle fois sous leurs pieds, tandis qu’ils s’éloignaient du triste immeuble. Autour d’elle, Thann put constater la vie qui reprenait lentement le dessus sur les récents événements. Des cargos, gorgés de biens et de richesses, allaient et venaient, tranquillement. Certes – quoi qu’elle l’ignorât – la densité du trafic était bien moindre que ce à quoi la capitale avait été habitué durant les cinquante dernières années mais, voir déjà le bal incessant des flux de marchandises reprendre lui rendit un peu espoir. Qu’importe les administrations et les chefs militaires, le vivant trouvait toujours une voie.

Du ciel, le bâtiment de la Mairie semblait un large cube, posé là par la main d’un bébé géant qui aurait égaré son jouet ; du sol, le cube ne changeait pas vraiment d’allure et par endroit, des marques d’usures laissaient deviner l’âge du bâtiment. Des droïdes d’entretient s’activaient sur sa façade ; l’ancienneté de leur modèle collait plutôt bien avec le décor général dans lequel ils évoluaient. La Padawane nota pourtant que leur ancienneté ne nuisait en rien à leur efficacité : les gigantesques surfaces vitrées de la mairie brillait de mille feu sous le soleil de la matinée. Le trio descendit de moto et aussitôt s’engagea dans les couloirs. Avant d’entrer tout à fait dans la structure, la jeune fille demanda :

« Nous pourrions peut-être envoyé un message au Temple ? Peut-être un Consulaire est-il chargé des relations diplomatiques ici et saura nous aiguiller sur les différentes tensions existantes entre les partis ? J’ignore pourquoi la tour deviendrait un enjeu crucial dans l’arène politique mais… Peut-être quelqu’un là-bas le sait-il ? »

Comme il opinait du chef, elle plongea la main dans sa sacoche et en sortie le datapad qu’elle portait en permanence sur elle pour faire s’occuper de la missive.

De : Thann Sîdh, Padawane du Chevalier Karm.
A : Temple Jedi, Service Diplomatique.
Objet : Etat de la politique locale Pakuunienne.

Corps : Chères consoeurs, chers confrères,

Je me permets de vous contacter par la présente missive afin d’obtenir toutes les informations relatives à la politique locale pakuunienne, de la part de mon maître. Nous sommes actuellement investi, par le Colonel Rhyll, de la mission de convaincre des habitants d’un immeuble endommagé lors des récents événements d’évacuer les lieux. Cependant, les habitants sont récalcitrants et craignent la construction, en plein centre d’un quartier résidentiel, d’une tour de défense sol-air. Nous ignorons si cette information est vraie ou non, mais nous aimerions savoir si elle pouvait, qu’elle soit véritable ou non, entrer dans un jeu complexe de la politique locale.

Respectueusement,
Padawane Thann Sîdh.

Le message fut transmis par les bons soins de Bouteboute qui prêta attention à envoyer la communication en format crypté selon les standards minimaux de sécurité – mesure courante dans les communications entre le Temple et ses envoyés. Une fois que ce fut fait, la petite Miraluka rangea son écran et s’attacha à découvrir l’intérieur du cube. Elle étendit sa perception autant qu’elle le put. Des couloirs, des bureaux, des couloirs, des bureaux, des gens. L’ensemble du bâtiment étaient parcouru en tous sens par des êtres conscients mais aussi des droïdes de service ou protocolaire. Des citoyens, aussi, se trouvaient là, pour des raisons diverses et variées : retirer des documents, se marier – ce qui fit sourire Thann –, annoncer la mort d’un proche mais aussi, parfois, déclarer la naissance d’un enfant. Le quotidien d’une mairie, finalement.

« Pensez-vous que nous pourrons rencontrer le Maire, directement, maître ? »

Demanda-t-elle intriguée tandis que les deux Jedis avaient humblement intégrés la file d’attente qui s’était formée devant le comptoir de l’accueil.
Karm Torr
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— Euh…

Karm considérait la file d’attente qui se déroulait devant eux avec un zeste d’incertitude. Allait-on les conduire au maire ?

— Bonne question.

On sentait immanquablement que le jeune chevalier était en terrain familier. Mais enfin ! Des Jedis ! On ne refusait pas un entretien à des Chevaliers Jedis, en ces terres reculées, où des visites de ce genre étaient si peu fréquentes. N’est-ce pas ?

— Suivant, beugla une voix traînante à l’autre bout de la file d’attente et ils purent tous faire deux pas en avant.
— Au moins la personne qui dirige le département de zonage urbain, ou quelque chose comme ça, je dirais.

Et désormais, il se prenait presque à espérer que la guichetière fût elle aussi familière de ses prouesses érotico-athlético-militaires au service de la sécurité de Pakuuni. Pendant les minutes qui suivirent, les suivants s’enchaînèrent de plus ou moins bonne grâce, jusqu’à ce que les deux Jedis pussent se présenter au comptoir de l’accueil, sous le regard aussitôt soupçonneux d’une secrétaire de mairie de soixante ans bien tassés, qui observait l’androgyne aux cheveux d’argent avec des yeux qui brillaient et la fille sans yeux du tout, flanquée de son drôle de robot, de derrière ses lunettes en demi-lunes.

— C’est pour une autorisation de spectacle urbain ?
— Pardon ?
— Si vous voulez vous produire dans la rue, il faut remplir le formulaire 65-X-27 sur l’application centralisée des affaires culturelles.
— Non mais…
— Par contre, pas d’acrobates. On a déjà assez d’acrobates.
— Vous avez un surplus d’acrobates ?

La Galaxie était décidément pleine de surprise.

— Euh… Peu importe. Nous sommes deux Jedis en mission. Chevalier Torr, Padawan Sîdh, déclara Karm, de son ton le plus conquérant, en projetant le petit hologramme d’identification, que la secrétaire regarda avec autant d’émotion qu’elle en mettait à tamponner à la file les formulaires.

Silence.

Karm s’était attendu à un peu plus d’ébahissement émerveillé.

— Et nous souhaiterions parler de la tour en cours de démolition dans le secteur 23 au maire.
— Si vous voulez un suivi psychiatrique gratuit…

Derrière eux, une rumeur de protestation commençait à monter. Karm hésita une fraction de seconde avant de plonger son regard dans celui de l’employée et d’esquisser un léger geste de la main.

— Nous sommes deux Jedis en mission.
— Vous êtes deux Jedis en mission, répéta la femme d’un air soudainement un peu absente.
— Nous pouvons parler au maire.
— Vous pouvez parler au maire.

La secrétaire composa un numéro sur son console avant de dire, à l’intention de son comlink :

— Jadine, j’ai un rendez-vous pour M. le maire.

Quelques secondes plus tard, elle indiquait l’ascenseur d’un geste de la tête.

— Etage 17, couloir de gauche.
— Merci.

Pour le plus grand soulagement de tous, les deux Jedis prirent le chemin de l’ascenseur. Quand les portes s’en refermèrent devant eux, Karm murmura :

— Je déteste faire ça. Pas prendre l’ascenseur, hein. La persuasion de Force.

D’ailleurs, il ne le faisait presque jamais, et, dans ce cas précis, il avait surtout persuadé la secrétaire récalcitrante de la vérité.

— Mais la tour se sera déjà effondrée sur ces pauvres gens d’ici à ce qu’on ait fini de nous balader de service en service.

Dix-sept étages plus loin, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et le trio tombe nez à nez ou, dans le cas de Bouteboute, né à boulons, avec un homme de deux mètres, en bure jedi, les bras croisés, la barbe noire taillée de près, qui les toisait de toute sa hauteur.

— On peut savoir ce que vous fabriquez ici ?

Karm plissa les yeux, fouillant dans sa mémoire pour y retrouver le nom d’un Consulaire qu’il n’avait jamais fréquenté. L’humain, de quinze ans son aîné, ne frayait pas précisément dans les mêmes milieux que lui.

— Warid, finit-il par se rappeler, en sortant de l’ascenseur. On est en train d’aider les gens de la tour en train de s’effondrer à trouver une solution à tout ça.
— Et sous quelle autorité ?
— Celle du colonel.

L’hostilité de leur interlocuteur était manifeste, mais elle paraissait se heurter, chez Karm, à une parfaite indifférence.

— T’es au courant du problème ?
— Je suis au courant de beaucoup de problème, Karm, et aucun qui ne vous concerne. La bataille est finie et ce n’est plus le moment de se lancer tête baissée dans des acrobaties nudistes pour épater la galerie.
— Bien pour ça que je suis habillé, c’te fois-ci, répliqua l’Ark-Ni du tac au tac.
Thann Sîdh
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Alors qu’ils faisaient face à un géant hargneux – qui pourtant était leur confrère – la petite Miraluka était bien en peine de savoir ce qui, durant les dix dernières minutes, l’avait le plus interpelé : l’accueil surréaliste de l’hôtesse ? la façon dont son maître avait trompé son esprit pour l’obliger à accéder à leur demande ? Ou alors était-ce cette agressivité latente dans le ton du Chevalier Warid qu’elle rencontrait là pour la première fois. Bien sûr, elle avait conscience que l’Ordre Jedi était un composé hétéroclite et que toutes les natures s’y trouvaient représentés mais elle avait osé penser que la tempérance et la sympathie, au moins à l’adresse de ses semblables, étaient un trait que tous les Jedis partageaient. De fait, il semblait qu’en ce sujet comme en beaucoup d’autres, elle l’avait remarqué depuis un moment, elle avait tort.

Bien que l’intervention dans l’esprit de la secrétaire fût justifiée immédiatement par son maître, qui ne se cacha pas du peu de goût qu’il avait à se prêter à ce genre d’exercice, elle ne parvenait pas à admettre cette solution – quoiqu’efficace – comme la meilleure. Et douter de la décision de son maître, c’était bien une chose qu’elle n’avait jusqu’à présent pas fait. Elle avait pourtant pleinement confiance en lui si bien qu’elle cherchait avant tout l’erreur dans ce qu’elle avait pu percevoir de la situation plutôt que de considérer l’homme qu’elle admirait comme fautif.

« Ai-je l’air de plaisanter, Karm ? Mon entrevue avec le Maire vient d’être interrompue pour cause d’une erreur lors de la prise en note des rendez-vous : est-ce que je vous dois cette mauvaise farce ? Trois semaines que j’attends de pouvoir avoir cet entretien avec le maire, ça vous amuse ?

– Nous sommes prof… »

La main levée de son aîné lui intima bourruement le silence et si elle avait pu percevoir l’éclat de la lumière dans la pupille de son interlocuteur à cet instant, elle aurait sûrement douté de son allégeance à la Lumière.

« Il ne me semble pas avoir sollicité votre intervention, Padawan, c’est à votre maître que je m’adresse et je l’imagine suffisamment grand pour répondre seul. Apprenez à rester à la place qui est la vôtre. »

La violence du coup de semonce la laissa interdite, coite devant ce monstre de rudesse. C’est à cet instant qu’elle réalisa toute la liberté dont son Maître la laissait disposer et combien elle eût été malheureuse sous la conduite d’un autre. Profondément outrée, elle se contenta de répondre par un sourire que beaucoup jugeraient, et à raison, parfaitement insolent. Elle n’était pourtant pas du genre à ouvertement se montrer mutine mais cette façon dont le grand bonhomme avait de traiter son Maître qui, certes en tenue légère, avait pourtant largement contribué à ce que lui se retrouve encore en poste dans cette cité l’agaçait au plus au point, si bien qu’elle s’enhardissait et regrettait de façon surprenante l’accueil que la secrétaire leur avait réservé dix-sept étages plus bas.
Karm Torr
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— Suffisamment grand, suffisamment grand, c’est vite dit, répliqua Karm d’un ton absolument placide et pleinement sérieux, j’suis quand même pas verticalement avantagé, quoi.

C’était peut-être l’exemple le plus frappant de particularisme culturel ark-ni auquel Thann et Warid aient jamais été exposés. Le calme à toute épreuve, alors que la tension était devenue presque palpable, l’humour à froid et dans une situation qui ne s’y prêtaient guère, rappelaient les vaisseaux de la Flotte, où toute crise était aussitôt traitée avec une distance ironique, pour donner une chance aux tempéraments trop forts de considérer les problèmes avec d’un œil moins tempétueux.

Mais il fallait bien admettre que, loin de la civilisation qui avait développé au fil des siècles cette manière bien particulière de survivre dans un environnement si dangereux, l’humour d’astéroïde, comme on l’appelait chez les partenaires des Ark-Ni, froid et inexplicable comme l’espace, n’était pas le moyen idéal de désamorcer les situations.

— Vous croyez peut-être que cette situation se prête aux traits d’esprit décadents mais…
— Chevalier Torr, interrompit une secrétaire beaucoup plus avenante (et beaucoup plus séduisante) que celle qui les avait accueillis dix-sept étages plus bas. Vous êtes bien le Chevalier Torr ?

Karm hocha la tête.

— Ne vous inquiétez pas, Marylda, je gère la situation. Le Chevalier et sa Padawan étaient sur le point de partir.
— C’est que le maire a été averti de sa présence, Chevalier Warid, et qu’il souhaite le voir.

La mâchoire du Consulaire se contracta. Karm lui adressa un regard indéchiffrable, avant de le contourner pour rejoindre la secrétaire qui leur ouvrait la voix. Warid leur avait emboîté le pas. S’il ne pouvait pas empêcher Karm et Thann de s’entretenir le maire, au moins pouvait-il assister à l’entretien et limiter les dégâts dont il ne doutait pas que l’Ark-Ni serait responsable.

Pour Warid, Karm incarnait tout ce qui n’allait pas avec les Gardiens, et peut-être même une bonne partie de l’Ordre en général. Des têtes brûlées grisées par l’adrénaline du combat, qui jouissaient d’une popularité injuste au détriment des fonctions les plus nobles de l’Ordre, et qui se permettaient de capitaliser sur leurs succès militaires pour s’arroger des prérogatives qui n’avaient aucun rapport avec leur formation et leurs compétences.

Et Karm… Karm était peut-être le pire du lot. Pour Warid, il était quasi inexplicable qu’avec son entraînement qui avait frôlé les pratiques hérétiques, Karm n’eût pas été interdit de passer les épreuves de Chevalier. Et ce qu’on racontait désormais sur lui dans les couloirs du Temple, toutes ces rumeurs qu’on partageait dans certains cercles, à propos de ses idées hétérodoxes, de son enseignement suspect aux Padawans, de sa lubricité, n’était-il pas la preuve que le Conseil avait commis une grave erreur en le laissant prospérer au sein de l’Ordre ?

Karm était un danger, c’était certain. Comme les Siths, à sa manière. Il instillait dans l’Ordre des idées pernicieuses, un certain goût pour l’irrévérence, un mépris pour les protocoles, une interprétation beaucoup trop libérale des codes et des traditions. Si on le laissait faire, dans quelques années, des jeunes gens séduits par la perspective d’une vie plus facile s’exileraient dans des communautés de mystiques illuminés qui passeraient leur temps dans des orgies débridées, sous prétexte de rechercher un lien avec la Force.

Le maire de la capitale, un humain de trente-cinq ans au physique avenant, les accueillit dans un vaste bureau où la sobriété élégante de l’ameublement était faite pour inspirer une impression de modernité. Il avait défait dans les précédentes élections celle qui l’avait précédé, en assurant qu’il transformerait la capitale pour la porter à la hauteur des défis d’une époque nouvelle. Souvent accusé de populisme, il avait en tout cas su conquérir le vote des électeurs.

Le regard qu’il posa sur Karm fut aussitôt très chaleureux.

— Bienvenue, bienvenue, s’exclama-t-il en leur tendant la main, à Karm d’abord, et ensuite à Thann. Je suis Sayl Van-Loot. Mais appelez-moi Sayl. Un café ? Un thé ?
— Non, ça ira, merci. Ma Padawane, Sîdh.
— Enchanté, enchanté. Asseyez-vous, je vous en prie. Merci, Marylda.

La secrétaire s’éclipsa.

— J’étais justement en train de parler avec votre confrère, le Chevalier Warid, des dispositions à prendre pour assurer à nouveau et progressivement la libre circulation des voyageurs dans l’astroport de la capitale, évidemment le plus important de la planète. Je crois que nous avons fait des progrès sensibles, poursuivit-il, en adressant un sourire à Warid, qui hocha simplement la tête.
— Loin de nous l’idée de vouloir vous déranger, répondit Karm. Mais on revient de la tour qui menace de s’effondrer, là. Le colonel en charge du réaménagement urbain nous a demandé de nous mettre en contact avec les habitants.
— Ah, oui, je vois, je vois. Une affaire très délicate.
— Délicate dans quel sens ?
— Hé bien… Je crains que le colonel, voyez-vous, soit quelque peu… comment dire ? C’est un homme capable, entreprenant, et tout à fait rigoureux, mais son honneur militaire l’empêche parfois de cerner toute la complexité des situations proprement politiques. Il ne mesure pas tout à fait les forces qui s’opposent à certains de ses projets.
— Je vois.

Karm n’était pas sûr de voir du tout.

— Et en l’espèce, c’est quoi, les forces en question ?
— L’ancienne maire de la capitale a, si je ne m’abuse, persuadé les résidents de la tour que des projets militaires devraient prendre la place de leur immeuble. Ce qui suscite, donc, leur opposition.
— Et elle les aurait persuadés de ça à quelle fin ?
— Hé bien pour qu’ils restent, voyons. Et que la tour s’effondre. Ce serait un scandale politique sans précédent, qui me coûterait assurément ma place.

Karm échangea un regard avec Warid. Cette théorie lui paraissait pour le moins rocambolesque.
Thann Sîdh
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Si leur confrère ne s’était pas montré particulièrement odieux dès les salutations, peut-être Thann eût-elle pris la peine de prendre le relai de son maître qui, clairement, était en bonne voie pour mettre en boîte son homologue jusqu’à ce que celui-ci bouillonnât de rage ou, simplement, entendît raison – ce qui était bien évidemment la fin la moins probable de la chaîne de causalité qu’il semblait poursuivre. Mais que pouvait-elle faire ? Elle qui venait de se faire rappeler à sa condition de toute petite enfant ? Elle regarderait le spectacle, supporter inconditionnelle de son mentor, et comptabiliserait les points – non sans une certaine satisfaction. Le summum fut atteint lorsque le mot ‘décadent’ fut lâché mais l’arrivée d’une dame, tout à fait opportune, empêcha Thann de sortir effectivement de son rôle en tançant vertement son aîné.

Décadent ? Parce qu’il ne s’autorisait pas la même fermeture d’esprit que le Consulaire ? Décadent ? Parce qu’il tentait encore, diplomatiquement, d’apaiser la tension par humour plutôt que de monter l’histoire en épingle ? Décadent, parce qu’il n’était pas, et Thann fit résonner le mot incroyablement fort dans sa tête espérant que le Chevalier parvînt à le capter : un gros… CON !

« Ne vous inquiétez pas, Marylda, je gère la situation, le Chevalier et sa Padaan étaient sur le point de partir.

– C’est que le maire a été averti de sa présence, Chevalier Warid, et qu’il souhaite le voir. »

Si elle avait eu des yeux, Thann les eût écarquillés à les faire sauter hors de leurs orbites – pour finalement arriver à un état proche du sien, en réalité. Comment osait-il dépasser ses prérogatives au point de faire obstacle à leur enquête ? Comment pouvait… UN GROS CON !

La petite Padawan fulminait – du moins autant qu’une petite padawan pouvait le faire sans sombrer dans le Côté Obscur. Le comportement de leur confrère était indigne d’un être issu au rang de Chevalier Jedi et il fallut toute la grâce subtile de la dame Marylda pour apaiser l’esprit de l’adolescente. En réalité, au-delà de la beauté manifeste de la dame au chignon ouvragé avec complexité, c’est son costume qu’elle appréciât. Sa coupe droite qui jouait foncièrement sur l’androgynie et qui pourtant laisser son raffinement s’épanouir lui fit soudainement quitter les rivages de l’agacement pour ceux de la curiosité, comme un papillon qui, sur le point d’aller arracher les pattes d’un congénère au savoir-vivre manifestement douteux, se trouvait soudainement attiré par l’odeur délicieusement riche d’un nectar tout à sa portée.

Alors que le Chevalier et sa Padawan emboitaient le pas de la secrétaire, non sans un certain air satisfait sur le visage de la plus jeune, elle sentit le mécréant rejoindre leur sillage et ne pas les lâcher d’une semelle. Qu’espérait-il en entreprenant ainsi leur traque ?

La double-porte du bureau du maire s’ouvrit silencieusement tandis qu’ils approchaient, et sitôt passé le pas, Thann étendit sa perception alentour pour repérer l’entièreté de la pièce en même temps que son aîné procédait aux présentations. Elle tendit sa main, tout viril, il tenta de la lui arracher ; elle ignorait que c’était là la marque des politiciens de l’ancienne école. Son sourire, presque accroché d’une oreille à l’autre, sonna immédiatement faux à la Miraluka qui percevait au-delà des formes de son visage un fond extrêmement placide en réalité. Cet homme se composait, à chaque instant, et la chaleur de son accueil devait à son calcul d’être, en coulisse, doublée d’une épaisseur assez fraîche. Elle sentit à regret Marylda disparaître.

Les préoccupations économiques du maire, alors même que sa cité était encore en pleine reconstruction et soumise à de vives tensions, finit de persuader la Padawane du peu de poids que la compassion et le souci pour le sensible avaient dans les calculs de l’élu. Autant dire que lorsqu’il lança son accusation, elle crut être, durant un court temps, dans un mauvais roman policier.

« Êtes-vous en train d’accuser votre rivale de mettre en péril la vie de ces gens pour une simple histoire d’influence politique ? Même si nous ne parlions que d’une personne, l’accusation serait terrible, nous parlons de plusieurs dizaines de famille ; nous verserions alors dans l’abominable. Les tensions, dans la cité, sont-elles à ce point palpables pour en venir à de telles machinations ?

– Monsieur le Maire.

– Mmmh ? répondit Thann qui, à vrai dire, ne comprenait pas trop où le Chevalier Warid voulait en venir en ajoutant cela à son adresse.

– Vous vous adressez à une personne public élue démocratiquement par son peuple et investit d’un pouvoir politique certain, vous le devez le respect et vous l’appellerez, à l’avenir, monsieur le Maire. »

Il faut croire que le Consulaire avait raison pour un point : le maître allait rapidement déteindre sur l’apprentie. Etait-ce réellement un mal ?

« Oh… Vous ai-je manqué de respect, monsieur ? Si cela avait été le cas, soyez bien sûr que je le regrette. »

Le degré de mignonnitude que le visage – encore juvénile – de Thann venait d’atteindre à cet instant balaya littéralement la remarque du Chevalier qui parût alors, non seulement d’une agressivité sans borne contre un si petit ange, mais aussi la plus irrespectueuse des deux.

« Non, non, il n’y a pas de mal, Padawane. Je crois que votre aîné est parfois un peu trop à cheval sur les protocoles. »

Le sourire qu’elle adressa au Consulaire, sitôt que l’attention du maire se fut reporté sur le Chevalier Karm, puisqu’il semblait décidé à lui répondre en personne alors qu’il n’était pas à l’origine de la question, lui aurait valu trois semaines à frotter les dalles du Temple si il avait été adressé à Maître Marja.
Karm Torr
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— Je conçois fort bien que cette théorie puisse vous paraître quelque peu exagérée, reconnut le maire, en s’adressant à Karm, jusque là occupé à admirer la capacité surhumaine de sa Padawane pour l’insolence, qu’il était peut-être l’un des rares au sein de l’Ordre Jedi à considérer comme une qualité précieuse. Mais… Et surtout, je ne voudrais pas insulter votre compréhension de la politique, je dis cela vraiment pour vous informer, au cas où…

Le maire ménageait le héros de Pakuuni avec des trésors de politesse qu’il n’aurait sans doute pas déployé par un Jedi lambda. Karm se contenta d’un hochement de tête encourageant, si toutefois le flegme d’un Ark-Ni pouvait le faire passer pour quelqu’un d’encourageant à qui que ce soit qui n’était pas en mesure de démêler ses émotions grâce à la Force.

— Hm. La planète de Pakuuni et en particulier sa capitale, Pakuuni…

C’était pratique pour distinguer.

— … sont affligés par l’ingérence corruptrice des Hutts. Nous sommes très loin du Noyau, très loin aussi des institutions de surveillance et de lutte contre la corruption de la République. Bien sûr, elles font ce qu’elles peuvent, dans la mesure de leurs moyens, mais la Galaxie est vaste et nous sommes, ici, à l’extrême périphérie du territoire.

Warid, qui avait consacré jusque là une bonne partie de son énergie à foudroyer la Padawane du regard et, probablement, à imaginer les punitions très pédagogiques qu’il lui infligerait à leur retour au Temple, était désormais absorbé par les explications du maire. Celui-ci était loin de s’en rendre compte, mais le Consulaire, rompu à la fréquentation des politiciens, cherchait tout autant à percer ses intentions et sa sincérité à travers la Force qu’ à suivre son propos.

— Hannah Harinda, qui m’a précédé dans ces fonctions, était devenue tristement célèbre pour ses liens étroits avec les cartels de l’autre côté de la frontière hutt. Des liens difficiles à prouver, naturellement, mais il est permis de penser que si des mercenaires ont pu faire prospérer un réseau clandestin à destination des impériaux avec Pakuuni pour plaque tournante, c’est aussi parce que les autorités portuaires, sous l’égide de Harinda, détournaient le regard aux moments opportuns.

Quand l’armée est venue s’installer ici pour organiser la reconstruction, les cartels ont brutalement coupé les liens avec Harinda, pour éviter qu’on ne remonte jusqu’à eux, et ses financements de campagne se sont taris, ce qui a considérablement facilité mon élection. Mais désormais que la situation se stabilise, je sais de bonne source que les affaires ont repris et je ne doute pas qu’elle soit prête à employer tous les moyens pour retrouver son fauteuil.

— Et d’où viennent vos propres financements ?

La question était brusque, mais, cette fois-ci, Warid s’abstint de tout commentaire. Tout désagréable que le Consulaire fût, il était attaché à la vérité et, dans une pareille conversation, il était finalement du côté des deux autres Jedis.

— Des habitants de la ville, de petits et de grands contributeurs, naturellement.
— Et, insista le Consulaire, qui savait bien que les élections dans les capitales ne se jouaient pas aux quelques crédits que le petit peuple pouvait y consacrer ?
— Certaines banques d’affaires républicaines, du Noyau.

Les affaires légales avaient donc remplacé le commerce illicite. C’était probablement un moindre mal, mais Karm avait du mal à ne pas le voir comme un mal malgré tout.

— Vous avez des preuves de ce que vous avancez ?
— J’ai alerté les autorités anti-corruptions de Coruscant, qui ont ouvert une enquête. J’imagine que vous pourriez en récupérer les éléments.
— Et cette Harinda, on peut la trouver où ?
— Son QG de campagne est à quelques immeubles d’ici, dans la Tour Corpson. Du dixième au quinzième étages.
— Monsieur le maire, nous allons naturellement tenter de faire toute la lumière sur cette affaire. Je vous remercie de nous avoir consacré du temps.
— Mais c’est bien naturel. En tout cas, vous pouvez assurer encore une fois aux habitants de la tour qu’aucun projet de nature militaire n’est prévu sur leur emplacement.

Les quatre se levèrent, on échangea encore une fois des poignées de mains et les Jedis se retirèrent. Un silence pensif s’installa entre eux, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans l’ascenseur. Quand les portes se refermèrent, leur laissant quelques instants d’intimité, Karm se contenta d’un :

— Alors ?
— Difficile à dire, répondit Warid, à qui la gravité de la situation avait fait oublier un temps son inimitié pour le Gardien et de sa Padawane. J’ai entendu des rumeurs sur Harinda, mais c’est autre chose de les entendre confirmer par le maire. Je suis simplement surpris qui ne le fasse que maintenant et encore plus surpris qu’il ne nous propose pas les recherches privées qu’il a indubitablement dû commanditer à l’encontre de sa rivale. S’il a des choses compromettantes, ce qui paraîtrait certain dans une situation comme celle-ci, quel intérêt a-t-il à les dissimuler ?
— Mais s’il ment, on risque de s’en rendre vite compte, pas vrai ?
— Peut-être que tout ce qu’il désire, c’est que l’on sache que des Jedis enquêtent sur Harinda. Après tout, en politique, la simple rumeur a parfois autant et même plus de valeur que la vérité.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Warid se tourna vers Karm.

— Je vais aller parler à Harinda et voir ce que l’on peut en tirer, pendant que vous contactez les autorités anti-corruption, récupérez leurs informations et attendez mes plus amples instructions.
— Pour sûr, répondit Karm du tac au tac, avec un aplomb irréprochable.

Les deux Jedis coordonnèrent leurs comlinks, avant que Warid ne s’éloigne à grands pas.

— Un homme assurément intéressant, commenta l’Ark-Ni avec plus qu’une pointe d’ironie. OK, on envoie un message à l’AntiCor, et puis on poursuit notre enquête.

Comme s’ils allaient rester bien sagement à la caserne…
Thann Sîdh
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Les accusations du maire pleuvaient dru sur sa rivale et soudainement, ce qui pouvait n’être qu’un petit imbroglio politique de quartier se transformait en une hydre de l’espace où se mêlaient joyeusement pègre locale, pègre galactique, financiers Coruscanti – une autre forme de pègre – et clans Hutt. L’adolescente, à la façon du Chevalier Waren, oublia bien vite les rivalités intercollègues pour se concentrer absolument sur cet épineux problème dont elle avait bien du mal à cerner tous les tenants et aboutissants. Si elle saisissait bien la menace immédiate d’une telle ingérence, elle ne faisait que deviner les conséquences désastreuses que cela pouvait avoir sur le long terme pour l’ensemble de la République. S’offrir ainsi les bonnes grâces d’un Maire dans une position si cruciale que l’était la frontière, c’était s’offrir un sas d’entrée dans les trois espaces : sith, républicain et hutt. S’ils ne prenaient pas soin de verrouiller cette porte une bonne fois pour toute, le grand méchant maalraas n’aurait même plus besoin de souffler sur la fragile maison des petits gizkas, il pourrait se glisser jusque dans leur lit.

Pourtant, malgré l’émoi que les révélations pouvaient susciter en elle, Thann se rappela qu’un esprit clair était un esprit à l’abri des émotions et inspira profondément. De tout ce que le maire avait, avec toute l’amabilité du monde, avancée, rien n’était étayé par aucune autre preuve que sa parole. Si elle ne décelait aucun mensonge en lui, son ton était trop composé, son sourire trop parfait, le tout trop maîtrisé pour qu’elle parvînt à lui faire confiance. Etait-ce simplement le résultat d’un homme rompu à la politique ? C’était beaucoup pour une si jeune personne qui venait de se faire retourner trois fois le cerveau en l’espace d’une heure : un maître parfait qui chuinte l’esprit des secrétaires, un confrère aux griffes acérées qui leur sautent à la gorge sans prévenir et à présent, un complot Huttonarchiste ?

Elle avait soudainement besoin de respirer un peu et de réfléchir à tout cela ; mais le temps, n’était-ce précisément pas ce qui leur manquait cruellement ? Elle se retrouvait plonger un peu vite dans la ‘vraie’ vie pour ses petits moyens et avait le sentiment de soudain perdre pied. Qui sont les alliés, qui sont les ennemis ?

« – Mais c’est bien naturel. En tout cas, vous pouvez assurer encore une fois aux habitants de la tour qu’aucun projet de nature militaire n’est prévu sur leur emplacement. »

On lui serra la main, en un claquement de doigt, ils se retrouvèrent dehors à discuter de la marche à suivre ; du moins ses aînés le firent. Elle était là, à essayer de démêler ses pensées qui fusaient en tous sens comme l’eussent fait des fusées d’artifices négligemment allumées par des enfants un soir de fête. Dans sa tête, ne restaient que les éclats de lumière épars sans réel dessin cohérent.

« Un homme assurément intéressant. OK, on envoie un message à l’AntiCor, et puis on poursuit notre enquête. »

Bien qu’ils se fréquentassent depuis quelques mois, elle n’avait jamais encore eu l’occasion d’entendre son maître à ce point sarcastique. Le Consulaire avait dû sérieusement entamer sa réserve de courtoisie – toute étrange que pouvait être la courtoisie Ark-ni.

« Que dois-je inclure dans le message ? Et où allons-nous près cela ? Si le Chevalier Warid se charge de rencontrer cette rivale prétendument corrompue, que pouvons-nous faire d’autre ? Je… Maître, je suis un peu perdue, à vrai dire. Peut-on s’arrêter un instant, s’il vous plaît ? Je sais que les gens de l’immeuble n’ont pas le luxe d’attendre que je me calme mais… Si je vous suis comme un bantha sans ne plus rien comprendre aux choses, je doute de pouvoir être d’une quelconque utilité… »

C’était rare, pour Thann, de ne plus comprendre les choses. La physique, la mécanique, les maths, l’Histoire… Toutes ces choses étaient si… stables en comparaison de ce sol meuble sur lequel ils tentaient d’avancer depuis qu’ils avaient posé le pied dans ce bourbier politique.

Son mentor répondit d’un simple hochement de tête, à la façon d’un pilote recevant une information de changement de vol, et opéra immédiatement une découverte des lieux. Depuis le parvis de la mairie, la place s’ouvrait sur une zone commerciale assez plaisante quoique manquant cruellement de végétation au goût de la petite Miraluka. Il finit par indiquer ce qui ressemblait, de loin, à une petite cafeteria un peu chic et s’y dirigea à grands pas.

Deux chocolats chauds et deux cheese-cake citron-cramberries plus tard et voilà le duo en terrasse, par une claire fin de matinée, le silence pour seul autre compagnon. Puisqu’ils étaient là pour elle, la Padawane finit tout de même par desceller ses lèvres, bien qu’un passant eût juré avoir entendu comme un bruit de métal crissant au moment où elle parvenait à réaliser cet exploit.

« J’ai… j’ai plusieurs questions et je ne sais comment les poser autrement que très frontalement alors veuillez me pardonner ma rudesse : pourquoi avez-vous forcé la main, ainsi, de cette secrétaire ? N’y avait-il aucun recours sinon la Force ? Pourquoi le Chevalier Warid est-il… Un tel… un tel… idiot ? S’il avait juste manqué de courtoisie, c’eût été une chose, mais il a été à notre égard d’une telle agressivité ! Ne sommes-nous pas ses confrères ? Pourquoi une telle défiance à notre encontre ? Et, le maire, croyez-vous réellement toutes ces histoires ? Ne sommes-nous pas en train de plonger en plein holofilm, maître ? »

Chaque parole s’accompagnait d’un brutal coup de cuillère donné au cheesecake qui, à l’exemple de cette journée, se trouvait à la placer dans l’horrible position du « finalement, si c’est pas dégueux, mais ce n’est pas bon, alors c’est quoi ? ».
Karm Torr
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En silence, depuis les grandes baies vitrées du café, Karm observait le cube impressionnant de la mairie qui trônait au milieu de la place centrale. Depuis qu’il était tout petit, on lui racontait que certains Consulaires étaient capables de sentir les nuances de la Force qui s’exprimaient dans les lieux de pouvoir et de devenir si un ministère, une assemblée, un gouvernorat abritait la corruption et la manipulation rien qu’on se concentrant sur le bâtiment. Des nuages invisibles étaient-ils précisément en train de s’amonceler sur la mairie pakuunienne, à son insu ?

L’étrange regard de l’Ark-Ni revint sur sa Padawane dont les questions déferlaient désormais sur lui. À l’anxiété de la jeune fille répondait le calme inébranlable du Chevalier, que jusqu’à présent, depuis des mois, rien n’avait semblé vraiment émouvoir. Karm promenait son flegme semblait-il à toute épreuve d’un bout à l’autre de la Galaxie, et c’était parfois à se demander s’il se sentait vraiment concerné par tout ce qui se passait autour de lui.

— Ouais, j’sais pas trop.

Avec ça, on était bien avancé.

— J’aurais pas dû marabouter la secrétaire, mais j’nous voyais partis pour remplir dix formulaires, et genre, ça m’angoisse, j’ai réagi sans réfléchir.

Rien n’était au fond plus étranger à l’Ark-Ni que le monde de la bureaucratie et de la politique. En posant le pied dans la mairie, il s’était senti aussitôt bien en-dessous de la tâche qui l’attendait. Ordinairement et depuis plus d’un an, c’était Luke qui se chargeait de diriger cette partie-là des opérations. Et comment pouvait-il espérer faire l’éducation de sa Padawane si une secrétaire un peu butée lui paraissait un obstacle insurmontable ?

— Désolé, conclut-il avec sincérité et simplicité.

Toujours reconnaître ses erreurs, c’était la clé du succès. Karm n’était peut-être pas un partisan extrémiste de l’humilité jedi et de l’effacement de soi, dont il jugeait les excès dangereux, mais, tout hétérodoxe qu’il fût, il avait les vertus de son Ordre chevillées au corps et, à sa manière, il les appliquait consciencieusement. Il n’éprouvait pas le besoin d’impressionner Thann par le mythe de son infaillibilité, seulement celui de la guider de son mieux dans un monde qui finissait toujours par leur échapper.

— Pour Warid…

Le jeune homme haussa les épaules.

— Je le connais pas tant que ça, à vrai dire, on évolue pas tellement dans les mêmes cercles. C’est plutôt un tradi, quoi. Y a pas mal de Consulaires qui considèrent les Gardiens comme des têtes brûlées qui compliquent toujours tout, voire même comme des déviations de principe par rapport à la doctrine de l’Ordre. Faut dire qu’ils ont pas complètement tort. Globalement, je suis pas toujours persuadé que la tripartition des voies est une super chose pour l’Ordre en général et chaque Jedi en particulier, mais c’est vrai qu’il faut un degré de spécialisation, alors…

Les réflexions de l’Ark-Ni étaient à deux doigts de l’emmener dans une discussion générale sur l’organisation des Jedis, mais il se rattrapa juste à temps et Thann fut sauvée d’un nouvel exposé interminable alliant métaphysique et ecclésiologie.

— ‘Fin bref. Warid et moi, on est clairement pas sur la même longueur d’ondes. Mais son truc sur la décadence, là, c’était clairement à cause de mes positions sur la sexualité. C’t’un sujet sensible, qu’est-ce tu veux. On est dans une congrégation religieuse, hein, c’est clair que c’est généralement pas les endroits les plus ouverts au progressisme en la matière.

Cette petite adversité du quotidien ne l’inquiétait pas trop, essentiellement parce qu’elle ne le surprenait pas. Il aurait préféré, c’est certain, que l’Ordre se montre plus ouvert, mais il avait conscience qu’on ne pouvait pas trop en demander. Il fallait avancer petit à petit, sujet par sujet, et s’accommoder de l’inimitié des confrères que cette nouvelle vision des choses bousculait de leurs propres conceptions.

— Faut pas t’attendre à ce que le courant passe toujours avec les gens dans l’Ordre. C’est sûr que y a certains Jedis qui font consensus, mais c’est pas systématique, et parfois, y a des inimitiés apparemment irréconciliables. Faut accepter cette part de friction, puis essayer de trouver des moyens de travailler ensemble quand même, ou alors juste de pas se gêner.

Et il fallait bien avouer que le Gardien n’était pas exactement le mieux placé pour se livrer à ce genre d’équilibrisme diplomatique.

— Quant au maire… difficile à dire. Le mec inspire pas spontanément confiance, c’est clair, mais enfin, j’ai jamais eu vraiment confiance en un maire d’une grande capitale, du coup… Son histoire me paraît pas si rocambolesque que ça, en tout cas la toile de fond, j’dirais même que ce genre de corruption et de manœuvres est assez typique de ce qui se passe sur les frontières. Même si Pakuuni, c’est loin d’être une colonie sauvage, l’éloignement du Noyau, c’est aussi l’éloignement de la routine des institutions. J’ai p’têt passer trop de temps en Bordure pour être vraiment étonné par ce genre d’histoires.

Même si, fort heureusement, il fréquentait plutôt des terres moins civilisées.

— Donc bon. On écrit à l’AntiCor, on demande des infos sur la capitale de Pakuuni en général et ses trois ou quatre derniers maires, histoire de ratisser large, genre enquête de routine, et on met le Temple en copie, des fois que des Sentinelles se soient penchés sur la question. Après ça, on fait un tour chez les autorités chargées d’enquêter sur ça ici, au niveau local, voir ce qu’elles en pensent, si elles ont des pistes et ainsi de suite. On échange avec Warid, on fait le point, on retourne voir le colonel, on fait encore le point et ensuite, on va voir les habitants et on les fait participer à la décision.
Thann Sîdh
Thann Sîdh
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La simplicité avec laquelle son Maître lui confessa son erreur fit presque culpabiliser la petite Padawane qui eut soudainement l’impression de mener contre lui une inquisition alors qu’il n’avait jamais eu la prétention de se montrer comme parfait. Qui était-elle pour le pousser à se justifier ainsi ? Le mettre au pied du mur ? L’enfermer dans le confessionnal ? Elle respira profondément. Elle était son Apprentie et son rôle et même son devoir était de poser ces questions et d’apprendre. Toute l’admiration qu’elle éprouvait pour lui faisait parfois perdre de vue que s’il était son maître, il n’était pas un Maître Jedi ; ce qui d’ailleurs, ne l’aurait pas sauvegardé de toute faute non plus. Alors, ne sachant que faire d’autre, elle sourit un peu gênée, sentant une douce chaleur irradier ses joues : même en sachant qu’elle avait eu raison de poser cette question elle ne parvenait pas à n’en ressentir aucune honte.

Les explications relatives au Chevalier Warid eurent de toute façon tôt fait de balayer cet instant fugace de malaise pour le remplacer par une farouche révolte. Comment pouvait-on se montrer aussi mesquin ? Des divergences d’opinions étaient une chose, ainsi remettre en cause toute l’activité d’un semblable au prétexte qu’il ne partageait pas la passion du dogme établi… Elle se doutait que la noble colère qui l’animait à l’instant n’était pas tout à fait étrangère aux sentiments qu’elle éprouvait pour son aîné, mais cela lui importait peu, elle savait qu’à cela se mêlait surtout son indignation pour un manque évident aux règles de bases et de la courtoisie et de la confraternité. Elle refusait de voir en l’Ordre Jedi un groupe fanatique, incapable de réagir à l’altérité autrement que par une réaction immunitaire féroce. Comment pouvait-on à ce point prêcher l’acceptation de la différence et de l’autre pour ce qu’il était et refuser en son sein la plurivocité ?

Elle sentait, dans son ventre, le bouillon farouche de son esprit réfractaire et, tout le long de son corps, remontaient les bulles vaporeuses de son envie de renouveau. Avec un autre maître, sûrement cette effervescence eût-elle fini par mourir, à la façon dont un volcan s’endort lorsque, sous l’effet du mouvement des plaques, la poche de magma qui l’avait jusque-là alimenté finit par s’en éloigner. Avec le Chevalier Karm, elle avait trouvé, en quelque sorte, un point chaud tectonique certainement inépuisable qui opérerait chez elle des changements importants de sa surface : de morne et lisse, sûrement deviendrait-elle plus escarpée, plus inattendue et, surtout, plus originale.

Elle n’eût pourtant pas la possibilité de répondre car le tour du Maire venait à présent, comme son aîné reprenait le triptyque des questions qu’elle lui avait posées. Ces révélations, cette fois, plutôt que l’outrée l’inquiétèrent. Comment, par attrait du pouvoir, pouvait-on ainsi jouer avec la vie de temps de personnes innocentes ? Nous ne parlions ni de soldats, ni de mercenaires mais bien de familles, d’enfants, d’anciens… Le sourire avait tout à fait disparu du visage de l’adolescente. Ce monde, ces institutions républicaines, décidément, lui apparaissait bien obscures si l’écroulement d’une tour et la mort, dans l’accident, d’une centaine d’innocents devenaient un quotidien envisageable.

Elle écouta attentivement les consignes qui prévaudraient pour les prochaines heures et y assentit avant de sortir son datapad et d’effectuer les premières tâches de communication, non sans avoir demander à Bouteboute – qui avait profité de cette halte improvisée pour se mettre un peu en veille – de se réactiver pour procéder à l’envoi. Elle venait tout juste de terminer lorsque Bouteboute lança un trille fluet pour annoncer l’arrivée d’un mail. Leur message précédent avait trouvé réponse et les services du Temple leur faisait l’exposé de toutes les informations dont ils disposaient sur la politique locale de la planète. Puisqu’elle n’avait pas besoin d’être face à l’écran pour consulter le document, la Padawane tendit la tablette à son Maître pour qu’il put suivre en même temps qu’elle, si bien qu’elle découvrit les informations au fur et à mesure qu’il les faisait défiler.
Karm Torr
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— Un café. Un petit café. Le Pakucafé de Pakuninininini…
— Euh…

Karm leva les yeux du datapad que sa Padawane venait de lui tendre et on lui expliquait par le détail les grands projets et les menues péripéties de la politique locale. Le droïde de service était en train de trembler près de leur table, avec son tuyau plein de café levé vers eux. Une serveuse se précipita sur ses six pattes en se répandant à moitié en excuses, à moitié en jurons, avant d’asséner une tape sur l’arrière du crâne du droïde.

— Désolée ! Désolée. Il a été secoué dans la bataille et…

Les yeux de la serveuse se posèrent pour la plupart sur Karm et elle plissa les paupières, qu’elle avait nombreuses.

— Vous êtes un habitué, non ? Votre visage m’est familier.
— Avec un cheesecake comme ça, qui deviendrait pas un habitué, commenta Karm, préférant botter en touche que de récolter à nouveau les lauriers de sa popularité ?
— Hé hé ! Ingrédient secret de notre chef, ça.
— Hm hm.

Le Jedi préféra ne pas s’interroger sur la nature de l’ingrédient en question, et la serveuse pivota son droïde pour le diriger vers l’arrière-boutique, sans doute pour le repérer un peu plus dans les règles de l’art. Une fois le droïde disparu, il reprit sa lecture dans le calme. Dans l’ensemble, le dossier des Sentinelles confirmait leurs propres intuitions sur la nature de la politique dans la capitale astroportuaire d’une planète de frontière : beaucoup de trafics, des politiciens plus ou moins corrompus, ce qui ne les empêchait pas toujours d’agir pour le bien de la population et une influence considérable des réseaux criminels.

Tout cela brossait le tableau d’un milieu assez peu familier pour le Gardien, dont les enquêtes se comptaient sur les doigts de la main et n’avaient en général pas grand-chose à voir avec ce genre d’univers. Il se fiait donc entièrement aux conclusions des Sentinelles, sur l’impossibilité d’assainir d’un coup la vie politique de Pakuuni, avec une grande arrestation par exemple, et la nécessité, par conséquent, de procéder à une moralisation progressive des élites dirigeantes, en renforçant la présence républicaine et les liens avec le Noyau.

Au fond, il y avait dans cette manière de voir les choses un biais républicain et centraliste puissant. La corruption, c’était une affaire de la périphérie et l’influence bénéfique d’un centre censément plus ordonné et plus légaliste, au rythme des échanges commerciaux et culturels, institutionnaliserait de nouvelles pratiques qui réformeraient en douceur la société. C’était la doctrine officielle de l’Ordre Jedi, pas exactement connu pour propager des idéaux insurrectionnels.

— OK. Bon. On va voir la police locale ? Histoire de se faire idée, si des fois ça recoupe ce que les Sentinelles nous disent. À moins que tu veuilles entamer une nouvelle carrière de droïde de café, Bouteboute.

Une série de pépiements offensés arracha un demi-sourire à l’Ark-Ni et puis ils se remirent en route. Abandonnant pour l’heure leur speeder pour s’affranchir du trafic encombré des hauteurs de la capitale, ils s’engagèrent dans le réseau de trains magnétiques qui longeaient les façades, comme des serpents s’enroulaient autour du tronc d’arbres immenses. Le dossier que les Sentinelles leur avait fait parvenir contenait le contact de quelques policiers qui servaient de liaison avec l’Ordre et ils n’eurent pas à chercher le commissariat propice.

Ils arrivèrent bientôt dans l’immeuble flambant neuf de l’hôtel de police, l’un des premiers bâtiments officiels démolis à avoir été reconstruits après les bombardements, comme il était d’usage : l’armée envoyait ainsi un signal fort à la population, celui de son intention de revenir à la loi ordinaire et au fonctionnement courant des administrations, pour désamorcer de manière préventive toute paranoïa à propos d’un coup d’État militaire. À l’intérieur de l’immense immeuble qui abritait pour une partie des services administratifs, et pour l’autre différentes unités d’investigation spécialisées, beaucoup en était encore à prendre leurs marques dans un environnement nouveau, qui surclassait sans peine les anciens locaux pas loin de la décrépitude.

Un réceptionniste cyborg, qui avait bien besoin de toutes ses augmentations cybernétiques pour se familiariser avec le nouveau système de gestions des visiteurs, accueillit les deux Jedis d’un regard plein de reconnaissance, apparemment soulagé d’avoir à traiter avec autre chose qu’un ordinateur.

— Bienvenue à l’Hôtel de Police de la ville de Pakuuni, que puis-je faire pour vous ?
— On vient voir l’inspecteur spécial Barok.
— Barok, Barok… Division de la Lutte contre la Corruption ?
— C’est ça.
— Vous avez un rendez-vous ?
— Non. Mais je suis le Chevalier orrr et c’est ma…
— Le Chevalier Karm Torr… !

Décidément. Karm se contenta de hocher la tête puis d’achever :

— … Padawane, Sîdh.
— Je vais avertir immédiatement l’IS Barok de votre arrivée. Quatrième ascenseur, trente-troisième étage, bureau DLC 7.
— Merci.

Quand les portes de l’ascenseur se refermèrent sur eux, Karm déclara du ton égal, sérieux et détaché typique de l’humour ark-ni :

— Vu ma popularité, j’songe à faire fortune en devenant mannequin pour sous-vêtements.
Thann Sîdh
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L’humilité manifeste de son maître lui donna l’occasion de sourire de nouveau. Certes, il n’était pas parfait, mais quel cœur. Parfois, elle l’oubliait, à force de trop la percevoir : cette douce lumière qui jaillissait de tout son être comme la source crève le rocher et cascade. La parole prenait d’autant plus de puissance lorsqu’elle prêtait un instant attention au goût persistant que le ‘secret du chef’ avait imprimé sur ses papilles – rien qui invitât un être sensible raisonnable à renouveler l’expérience.

Les informations défilèrent régulièrement, au rythme des caresses digitales de son maître, et la toile tentaculaire des réseaux financiers et mafieux qu’elles tissaient eut rapidement confirmé la complexité entraperçue de la situation ; ce dont elle était de toute façon, déjà pleinement convaincue. Les réseaux électroniques, les tissages les plus baroques lui semblaient tout à fait enfantin au regard de ces canaux de crédits qui irriguaient, sans plan d’urbanisme, chaque frange de la vie politique locale. Pas un représentant officiel pour n’avoir pas au moins les pieds secs. Les conclusions du rapport n’aidèrent guère à envisager une stratégie : laisser faire le temps et rayonner la République ainsi que ses valeurs. Une partie d’elle, immédiatement, s’enthousiasma à l’idée d’un interventionnisme tranquille – de cette évidence infinie que ces idéaux fermement défendus dans le noyau parviendraient à rallier inévitablement tous les peuples de la galaxie. Les lustres ne seraient alors plus sombres mais d’une éclatante blancheur. L’autre partie fit aussitôt et longuement défiler dans son esprit les chiffres qu’elle connaissait de la corruption au Sénat, des disparités économiques, de l’immanquable et nauséabond fossés qui séparaient, de façon étanche, les différentes strates sociales coruscantis.

« Ne t’inquiètes pas Bouteboute, jamais je ne prendrai le risque de t’équiper d’une arme aussi létale que du café bouillant – vu ton caractère… »

La pique, bien loin de calmer les vrilles, les redoublèrent en même temps qu’elle riait.

Parvenus sur le parvis de l’Hôtel de Police, la splendeur de l’édifice figea un temps l’adolescente qui prit le temps de le parcourir tout à fait avant de reprendre sa marche.

« Maître ? Sommes-nous réellement en train d’enquêter à propos d’un immeuble sur le point de s’écrouler sur ses habitants quand les forces de l’ordre disposent, elles, d’un véritable palais ?

– J’suppose, ouais. Note que la plupart des habitants ont été relogés et que ceux qui restent ont aussi des logements qui les attendent. Et qu’à la base, l’immeuble était pas trop mal. J’veux dire, la situation craint, mais pour le coup, chacun partait plus ou moins bien équipé au départ. »

La conversation n’alla guère plus loin, le maître et l’apprentie parcoururent rapidement l’esplanade et pénétrèrent le complexe palatial de la police. Dans le hall, l’adolescente fut moins captivée par la nouvelle démonstration de la réputation de son maître que par l’étrange réalité dans la Force que formait cette être, superbe, à mi-chemin entre le synthétique et l’organique. Si le choix lui avait été donné, elle aurait abandonné là, pour au moins une paire d’heures, la situation de Pakuuni pour emmener la dame dans un jardin et lui poser mille-et-une questions. Enfin, elle n’était pas le Maître, et c’était ici pour le mieux assurément, et elle se contenta de suivre, après un large sourire adressé à la dame-borg qui le lui rendit. Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur son sourire, et son maître de dire :

« Vu ma popularité, j’songe à faire fortune en devenant mannequin pour sous-vêtements.
Et elle de répondre sur le même ton,
– Vous savez, je suis une excellente styliste, il y aurait une somme de crédits considérable à la clef. De quoi financer notre projet d’Académie, voire plus. »

Encore incapable de tenir le flegme de son aîné, elle finit par pouffer et rougir un peu faute de l’avoir déjà effectivement imaginé dans quelques conceptions de son cru. Alors que les étages défilaient, elle changea cependant tout à fait de sujet, toujours admirative de la dame de l’accueil mais curieuse du regard que son maître portait sur la question.

« Vous pensez quoi des cyborgs, maître ? J’ai senti un nombre de composants incroyables dans le corps de la dame de l’accueil… »

La phrase resta en suspens, sur une moue songeuse tandis qu’elle projetait dans son esprit l’exacte sentiment qu’elle avait eu d’elle.
Karm Torr
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[justify]2.
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4.
5.


Les étages défilaient.
Karm esquissa une moue pensive, en observant son reflet dans le grand miroir qui occupait tout un mur de l’ascenseur.


Je sais pas trop, finit-il par reconnaître, alors que sa Padawane l’interrogeait sur les cyborgs. J’y ai jamais tant réfléchi que ça.


Pourtant, ceux-ci étaient légions, dans les franges mal famées de la Galaxie qu’il fréquentait le plus souvent. Des cyborgs autrement moins bien équipés que la réceptionniste, cela dit, et dont les pièces avaient des provenances plus exotiques.


C’est super mal vu, dans la culture ark-ni, pour être honnête, mais bon, la culture ark-ni est pas, genre, super ouverte à ce qui vient de l’extérieur.


Au fond, à bien y réfléchir, les cyborgs étaient enveloppés dans la même méfiance générale qui condamnait, aux yeux des siens, tout ce qui était étranger à la Flotte et tout ce qui ne leur ressemblait pas. À l’intérieur de ce vaste groupe hétéroclite que composait tout le reste de la Galaxie, Karm n’était finalement pas très sûr que les Ark-Ni auraient fait beaucoup de distinctions.


Moi, j’imagine que je trouve que y a pas de problème a priori. Des gens ont besoin de ces instruments. D’autres aiment bien ça. Chacun est libre de disposer de son corps.


Jusqu’à quelle limite Karm poussait-il ce principe ? Aurait-il approuvé le suicide ? Ou l’avortement, qui restait un sujet épineux, pour bien des Jedis qui considéraient que la vie était une valeur suprême et que toute existence se manifestait dans la Force dès sa conception.


Et puis je suis convaincu que les droïdes devraient pour une large part jouir de plus de droits dans la société et de plus de considération de la théologie jedi. Du coup, j’imagine que les cyborgs sont dans une sorte de continuité.


C’était une réponse en demi-teinte qui ne trahissait pas la même fascination que celle qu’éprouvait Thann pour le sujet, mais la conversation fut de toute façon interrompue par les portes de l’ascenseur, enfin ouvertes devant eux. Ils longèrent un couloir impeccablement entretenu où s’alignaient les bureaux plaqués du nom des inspecteurs, avant de frapper à la porte de celui qu’on leur avait indiqué. Le battant métallique coulissa automatiquement et, de l’autre côté, l’inspecteur Barok.


C’était un humain d’une quarantaine d’années, assez puissamment bâti, qui portait une barbe de trois jours et dont les cheveux grisonnants, jetés en bataille, achevaient de brosser le portrait typique de l’inspecteur qui ne dormait pas assez pour avoir l’air tout-à-fait présentable. On sentait de lui, à travers la Force, une intelligence pénétrante et une aura lumineuse : Barok était un bon flic, et un bon flic habitué à démêler les affaires complexes.


Si je pensais qu’un jour je recevrais la visite d’une célébrité, lança-t-il, avec un sourire en coin, en contournant son bureau pour tendre la main à Karm, serrer vigoureusement celle-ci de l’Ark-Ni, et faire de même pour sa Padawane. Vous savez que vos frasques sont si populaires que la direction de la communication envisage de créer une brigade de policiers légèrement vêtus pour redorer notre image auprès de la population.
Que voulez-vous, je fais des émules. Inspecteur Barok, ma Padawane, Sîdh.


D’un geste de la main, l’inspecteur les invita à s’asseoir devant le bureau. Quand ils furent tous installés, Karm résuma en peu de mots ce qui les amenait : l’immeuble, l’entretien avec le nouveau maire, les soupçons de corruption, la nécessité de mener une enquête, pour démêler la vérité des rumeurs. Le Pakunien l’écouta avec la plus grande attention, abandonnant son sourire malicieux pour fixer l’Ark-Ni d’un air pénétrant, comme si lui aussi avait été capable de lire à travers la Force. De temps en temps, il hochait la tête.


Quand Karm eut fini, Barok se cala contre le dossier de son siège, l’air méditatif. Après un moment, il se décida à rompre le silence :


Les accusations de Van-Loot contre sa rivale sont entièrement fondées. La proximité avec l’Espace Hutt fait des ravages dans la sphère politique planétaire, et, si ce n’était l’occupation républicaine…


Barok se reprit et reformula :


… la présence de la force de sécurisation et de reconstruction républicaine, je veux dire, si ce n’était ça, j’imagine que les affaires reprendraient comme avant.
Vous avez des preuves ?
Un certain nombre, oui.
Mais il y a une raison, j’imagine, pour que l’ancienne maire ne soit pas derrières les barreaux.
Disons que c’est un arbitrage compliqué. Et qui ne dépend pas entièrement de moi. L’influence de l’Espace Hutt a bien des effets délétères, mais elle permet aussi de tempérer les velléités colonisatrices de l’Empire. Pour beaucoup de gens ici, c’est une espèce de jeu d’équilibriste. Si on nettoie toute la corruption hutt, si on fait le ménage dans les hautes sphères, la nouvelle lutte de pouvoir sera un face-à-face entre l’Empire et l’élite politique pakunienne, et c’est un face-à-face pour lequel je ne nous donne pas gagnant.


Pour Karm, ce genre de raisonnements stratégiques était dangereusement abstrait. Avec des idées comme celle-ci, ne pouvait-on pas justifier tout et n’importe quoi ?
Thann Sîdh
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L’aversion ark-ni pour le croisement biologique-cybernétique surprit assez la Miraluka. Pour des gens en permanence obligeaient de vivre enfermé, sous surveillance constante pour éviter la moindre épidémie, avec pour seul protection contre le vide spatiale la coque de leur vaisseau, elle était assez étonnée qu’ils ne se fussent jamais tournés vers l’optimisation de leurs corps. Peut-être des exosquelettes étaient-ils suffisants ?

Elle n’eut pas vraiment l’occasion de répondre, d’autant que son mentor partit un peu en digression en abordant cette fois le sujet des droïdes. C’était là une question ardue, d’aucun considérait que jamais une machine ne pourrait être doté d’une intelligence suffisante et d’une personnalité si affirmée qu’elle en deviendrait une personne, d’autres pensaient que non seulement la chose était possible mais qu’en plus elle était déjà. Comme pour semer le doute, c’est tout à fait à ce moment que Bouteboute décida d’intervenir pour faire savoir qu’il était heureux de sa programmation, sans que ni le maître, ni la Padawane ne pussent savoir s’il avait effectivement compris ce dont il était question et donc, s’ils avaient raison de se poser la question. Le débat s’arrêta là tandis que les portes s’ouvrirent.

Ce fut un véritable plaisir pour Thann de découvrir la force tranquille et véritablement honnête qui émanait de l’agent qui les accueillit. Il gagna immédiatement sa confiance tant il était évident, pour elle, qu’il avait un bon fond au-delà de toutes les apparences. Cette sympathie lui valut le salue le plus souriant qu’elle avait adressé aux officiels depuis son arrivée sur Pakuuni.

Le tableau qu’il brossa, et elle admira les Sentinelles pour cela, était incroyablement proche du rapport qui leur avait été communiqué sur la situation locale. Si le peigne qu’il utilisa plus fin, il ne fit que séparer les fils avec plus d’habileté, non surgir de nouveau pan du tressage tout à fait inattendus. Une chose cependant l’interpella davantage. Sa mauvaise habitude, que son aîné ne cherchait jamais à tempérer, la poussa à intervenir :

« Vous ne considérez pas que la République et, par ailleurs, l’Ordre Jedi pourraient avoir un rôle à jouer en tant que bouclier ? Vous l’avez souligné vous-mêmes à notre arrivée, l’Ordre a déjà agi ici et endigué le pire, pourquoi faillirait-il cette fois au départ des Hutts ? »

Contrairement aux huiles précédentes, ce n’est pas avec condescendance que l’agent de police lui répondit :

« Je vois que l’Ordre n’a pas à s’inquiéter pour son futur. Il est vrai que depuis les derniers événements, la République et l’Ordre ont gagné en notoriété mais nous sommes un monde infiniment périphérique. Tout le monde n’a pas le même espoir que vous quant à la fin de la guerre et son dénouement heureux. Pour la plupart, il faut apprendre à survivre par nous-mêmes, réussir à dompter les deux bêtes à la foi, d’autant que troquer les Hutts pour les Sénateurs, pour certains, ce ne seraient qu’améliorer l’odeur mais non la moralité de la politique locale. »

Le trait d’humour ne manqua pas de faire sourire la jeune fille qui poursuivit la conversation :

« Et sur la question, je pense que nous ne pourrons guère faire radicalement changer l’opinion. C’est pour cela qu’il nous faut nous concentrer sur ces habitants, ils sont pris dans une manigance politique qui les dépassent tout à fait. Pouvez-vous nous assurer qu’effectivement, ils seront convenablement relogés et qu’aucun dispositif militaire n’a vocation à remplacer leurs anciens foyers ? »

S’il ne s’agissait que d’éventer les mensonges d’un opposant politique corrompu, la Padawane était persuadée que son mentor et elle-même pourraient régler la situation au plus vite mais l’agent prit une profonde inspiration, se passa une main sur le visage, s’enfonça profondément dans son siège avant de répondre...
Karm Torr
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Redonnez-moi le numéro du lot ?


Barok entreprit de fouiller dans les dossiers qui s’accumulaient dans la mémoire de son ordinateur.


Désolé, je ne m’occupe pas des affaires immobilières, ordinairement, sauf quand l’implication mafieuse est évidente, mais on devrait avoir accès aux permis de construire, aux demandes d’autorisation spéciale, aux… Ah, voilà.


Il fit pivoter l’écran de la console vers eux. Celui-ci affichait le profil du prochain immeuble qui devait occuper l’emplacement de la tour, une sorte de rotonde qui devait accueillir la représentation du comité galactique des sports à Pakuuni.


La planète a été choisie par le Comité pour accueillir le quartier général pour les secteurs avoisinants. Si j’ai bien compris, la République pense que l’installation de certaines institutions galactiques ici permettra une meilleure intégration de la planète à la vie politique centrale. C’est… J’imagine, pas entièrement une mauvaise idée.


Au fond, il était même assez convaincu. Karm, pour sa part, n’avait pas de notions précises sur le sujet et, au fond, il se représentait mal ce que pouvait bien faire concrètement le comité galactique des sports. En voilà une qui ne regardait pas assez l’holovision !


Du coup, le maire avait raison ?
Ça ne me surprendrait pas. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que les informations diffusées aux habitants sont fausses. Quant à savoir si c’est vraiment sa concurrente malheureuse qui est derrière tout cela, pour les raisons qu’il vous a dites, ça, c’est une autre histoire.
Quelqu’un d’autre aurait intérêt à ce que l’évacuation ne se fasse pas ?


Barok s’appuya contre le dossier de son fauteuil, les mains croisées, profondément pensif. Il était facile de juger que des suspects et des scénarios potentiels défilaient dans son esprit, mais, au bout du compte, il finit par secouer la tête.


Je ne vois pas très bien. Si j’en crois le dossier, personne ne s’est présenté pour assurer la rénovation de l’immeuble et le projet de rotonde fait l’unanimité. En réalité, vous voyez, il y a tant à reconstruire ici et le secteur du bâtiment est somme toute assez modeste, qu’on est loin d’être dans un monde aussi violemment concurrentiel que sur Coruscant. Je crois que vous avez votre suspecte la plus crédible.
Je vois.


Pour être honnête, Karm n’était pas très certain de la marche à suivre. Et Barok lui inspirait suffisamment confiance pour qu’il avoue tout simplement :


Écoutez, je suis pas vraiment un enquêteur…


La phrase resta en suspens quelques secondes puis le policier hocha la tête.


Vous voulez que je récupère le dossier sur la maire ?
Vous ou un collègue de confiance.
Fort bien.


C’était, après tout, son métier.


Je ne peux pas vous promettre que les conséquences seront considérables. Elle pourra simplement prétendre qu’elle était mal informée. Mais peut-être que nous trouverons des preuves de ses intentions.


C’était, en somme, un travail de longue haleine auquel les deux Jedis ne pouvaient prétendre, sauf à vouloir rester pendant des semaines à Pakuuni.


On va aller parler aux habitants et essayer d’organiser leur évacuation. Vous pensez qu’elle irait plus loin qu’une simple campagne de désinformation ?
Peu probable. Ce serait prendre des risques considérables pour un résultat incertain. Cette affaire est après tout une arme à double tranchant. On pourrait tout aussi bien l’accuser de ne pas avoir su entretenir le parc immobilier. Bref, je doute qu’elle envoie des gros bras poser des explosifs, si c’est ça votre question.


C’était bien ce que l’Ark-Ni cherchait à savoir.
L’affaire était donc entendue et ils se relevèrent, serrèrent la main à Barok, promirent de lui adresser les témoignages des habitants et quittèrent l’inspecteur, pour le laisser à son travail.


Lorsque les portes automatiques de l’ascenseur se refermèrent sur eux, pour les conduire jusqu’aux hangars à speeders, Karm se retourna vers sa Padawane.


Thann, dit-il d’un ton sérieux, même si, à vrai dire, l’Ark-Ni n’était pas exactement un modèle d’expressivité.


Il y eut un moment d’hésitation, le temps de trouver les bons mots, puis, alors que les étages défilaient, il dit encore :


Je suis fier de toi. Tu poses les bonnes questions. Tu fais les bonnes remarques. Tu fais les bonnes critiques, y compris à moi-même. Tu as du coeur et de l’intelligence et tu le prouves, à chaque fois que nous faisons une nouvelle rencontre. Je suis vraiment fier de toi.


Et sur ces bonnes paroles les portes de l’ascenseur se rouvrirent.
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