Karm Torr
Karm Torr
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Le matin se levait sur le Temple de l’Ordre Jedi, près d’Iziz, sur Ondéron. Alors que le vent soufflait dans la canopée de la jungle, alors que les oiseaux gazouillaient, que que les rivières chantaient et que les Padawans padawanaient, nul se doutait des terribles événements qui s’étaient déroulés pendant la nuit, de la conspiration sinistre, de l’attentat odieux, qui avait eu lieu, là, dans le sein protecteur d’une communauté pleine de confiance et de…

— Bordel.

… et de Karm.

L’Ark-Ni s’était réveillé avant l’aurore, comme à son habitude, pour courir quelques kilomètres, escalader des arbres et tabasser des mannequins d’entraînement. Une discipline de fer : c’était ce qu’il avait appris quand il était jeune, auprès de Tavaï, et c’était ce à quoi il s’astreignait invariablement, même après tout ce qui s’était passé, entre sa Maître, l’Ordre et lui. Parfois, il était rejoint par Luke, et alors l’Ark-Ni reprenait l’entraînement de son compagnon au corps-à-corps.

Chastement.
(Comme quoi, tout arrive.)

Ensuite il y avait le second petit-déjeuner, l’étude, la réflexion, la méditation, le bricolage et puis, quand le reste du Temple commençait à s’éveiller, ses responsabilités au sein de l’ExploCorps. Entre deux missions, Karm y participait à la formation des Padawans, au catalogage des trouvailles botaniques, minérales ou archéologiques, à la mise en ordre du fonds d’archives, aux innombrables petites tâches insoupçonnables qui accompagnaient la vie plus rocambolesque, et sans doute plus prestigieuse et exaltante aux yeux de beaucoup, d’un explorateur tel que lui.

Mais ce matin-là, la routine quotidienne, alors que Karm s’approchait, ceinture d’outils sur les hanches, tel un héros d’holoporn gay, d’un mur qu’on avait dégagé la veille pour y installer les nouvelles étagères enfin commandées et livrées, après d’âpres négociations avec la comptabilité de l’Ordre.

Et là.
Là !
Sur le mur.
Sous ses yeux.

Un graffiti.
Immense.
Et un brin injurieux.

SAÏ DON EST UN DINDON

Les mots terribles s’étalaient en grandes lettres rouges, avec toute leur inexplicable violence, et le plus grave, c’était…

— En plus, ça rime même pas vraiment, se désola l’Ark-Ni.

C’était une affaire grave.
Très grave.
Pour mutiler une bibliothèque, il fallait être sérieusement engagé dans la voie du Côté Obscur. Et puis, bien sûr, il y avait l’insulte au vénérable Maître Jedi, pourtant l’un des plus populaires de l’Ordre. C’était le Maître de Luke, surtout, et, avec un réflexe primaire de petit ami viril et protecteur, Karm était déterminé à défendre l’honneur de son compagnon, auquel on attendait par proxy.

Bref.
Il fallait agir.

Et justement, il y avait non loin de là des petits pas pas tout à fait assez discrets pour échapper à l’oreille vigilante d’un traqueur professionnel transformé pour l’occasion en justicier de la fresque pariétale.

Qui sait ! Peut-être le coupable qui revenait sur les lieux de son crime pour contempler avec une joie sadique les conséquences de son odieux forfait.

— Toi, là, lança Karm à la Padawane, sans se retourner.

Fidèle à lui-même, il avait parlé d’un ton calme, et à mi-voix, mais dans le silence de la bibliothèque, déserte à part eux d’eux, on ne pouvait pas douter de la personne à laquelle il s’adressait.

— Tu as vu ça ? Non mais regarde moi ça… En plus, le N est mal formé.

Karm leva son datapad pour capturer l’image du mur. Les enquêtes, ce n’était pas sa spécialité, mais il ne doutait pas que la comparaison des écritures pourrait jouer un rôle essentiel de l’identification du coupable.

— T’es là depuis longtemps ? T’aurais pas aperçu quelque chose de suspect, des fois ? Parce que bon, on va pas s’mentir, c’est craignos, comme plaisanterie, mais si la personne responsable se dénonçait d’elle-même, j’suis sûr qu’on pourrait arrondir les angles.

D’ailleurs, la surprise et le mécontentement passés, Karm était poussé plutôt par la curiosité et le désir de comprendre ce qui avait pu provoquer cette soudaine éruption d’hostilité murale que par la volonté de punir un responsable qu’il s’imaginait, au fond, surtout jeune et immature. Et c’était sans doute une chance pour le graphomane fou : la plupart des autres Jedis se seraient montrés infiniment moins compréhensifs.

Laissant la chance à la Padawane d’avouer son éventuelle participation à la séance de peinture réprouvée, Karm composa un message à l’intention des services d’entretien de l’ExploCorps, pour qu’une bâche tendue vienne dissimuler l’inscription injurieuse aux yeux des visiteurs de la bibliothèque, le temps que l’affaire soit résolue.
Thann Sîdh
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Si l’entraînement des Padawans du Temple était basé sur la constance, la rigueur et la répétition des exercices, un jour sacré venait rompre la lente litanie de la vie quasi monacale des apprentis, jour béni où chacun était laissé libre de ses mouvements et de ses activités. L’idée n’était, bien entendu, pas de céder à l’oisiveté, non, c’était un moyen pour que chaque apprenti trouvât l’occasion de s’épanouir à sa façon, en dehors des cases bien nettes que la formation avait ciselées pour eux par ailleurs – enfin, du moins était-ce là ce que pensait Thann, n’ayant pas vraiment conscience que la plupart de ses camarades en profitaient avant tout pour s’amuser et se divertir là où son esprit, sans cesse en marche, était bien en peine lorsqu’il s’agissait de trouver le repos.

De fait, ce jour béni, elle l’avait taillé à sa mesure : d’abord un premier repas léger, puis l’exercice physique, puis un repas plus consistant, puis la méditation, puis un temps de création – il ne s’agissait pas de perdre les idées qui avaient surgi lors du temps précédent – puis la recherche et l’étude. Aujourd’hui, elle était en retard pour l’étude ; la repique d’une des nouvelles robes de Seïid lui avait pris plus de temps que prévu ; c’était d’un pas rapide et léger qu’elle tentait donc de rattraper ce temps perdu.

La matinée était déjà bien entamée, le soleil s’était levé depuis longtemps déjà, dix heures peut-être lorsqu’elle pénétrait dans les quartiers réservés aux recherches et à la médiation de l’ExploCorps. La semaine précédente, elle avait entendu parler des Chevaliers à propos d’un nouvel arrivage chargés de promesses : elle désirait depuis vivement vérifier par elle-même si elles avaient été tenues.

Derrière elle, Bouteboute planait tranquillement, pas plus bruyant que le vent, et, absorbait le fil de sa pensée qui ne cessait de s’emmêlait, elle ne remarquait pas le couloir qui devait être le sien, et poursuivit sa rapide avancée jusqu’au fin fond de ce qui devait être une réserve. Autour d’elle, les Chevaliers se firent de plus en plus absent et lorsque l’obstacle d’un mur se présenta enfin à elle, elle manqua de peu de le rencontrer violemment.


– Toi là. Tu as vu ça ? Non mais regarde-moi-ça… En plus, le N est mal formé. T’es là depuis longtemps ? T’aurais pas aperçu quelque chose de suspect, des fois ? Parce que bon, on va pas s’mentir, c’est craignos, comme plaisanterie, mais si la personne responsable se dénonçait d’elle-même, j’suis sûr qu’on pourrait arrondir les angles.

Dans le silence de cathédrale des lieux, le murmure du Chevalier saisit Thann comme l’aurait fait un cri dans un dortoir, en pleine nuit. Ramenée à la réalité, se tournant vers son interlocuteur – cela mettait toujours les Humains mal à l’aise lorsqu’elle s’adressait à eux sans les regarder, une question de culture et de politesse – elle fixa sur lui… ou elle ? toute son attention. Son aura, douce, lumineuse, tressaillait sous l’effet d’un agacement certain mais son rayonnement n’en restait pas moins beau. Elle l’avait déjà croisé, ici, et même avait entendu son nom, plusieurs fois. Mais… Les autres. « Le Chevalier Slip ». La gêne lui monta aux joues immédiatement. Les autres Padawans avaient évoqué ses exploits, entre rire et admiration, et surtout, avaient suggéré… Elle se sentit d’autant moins à l’aise qu’elle percevait très nettement les formes, elle, faute de percevoir les couleurs ; enfin, la question du genre du Chevalier Torr avait connu récemment une conclusion péremptoire et indubitable, l’expérience que connaissait actuellement Thann donnant à l’affirmation un caractère très Saint Thomas dont elle se serait passée. Elle le trouvait beau et cela s’ajoutait à la honte d’être saisie en pleine perdition et à celle de ne rien y comprendre dans une surenchère telle que la chaleur, par bouffées, l’informait qu’elle était d’un délicat vermeil, à la limite du rouge fiévreux.

Non, non, elle ne voyait rien sur le mur et elle ne comprenait rien à cette scène ? Voir quoi ? Elle venait d’arriver. Arrondir quels angles ? Craignos ? Qui employait encore ce terme en 21.573 ?! Il s’était battu pratiquement nu ! Nu ! Et… Ah ! Miracle, le Chevalier sortit son Datapad et scanna, grâce à lui, l’objet de ses récriminations. L’image, figée par l’énergie sur l’écran de l’appareil, lui apporta l’espoir d’une non-déconfiture à laquelle elle se raccrocha avidement. Ça, c’était quelque chose dont elle pouvait prendre conscience sans l’aide de Bouteboute qui, bien sûr, restait absolument silencieux malgré la détresse de celle qui se considérait pourtant son amie.


« Je… Chevalier Torr, je ne faisais que passer et… euh… Je ne devrais pas être ici, à vrai dire, je voulais me rendre dans l’aile des récentes découvertes. Je… Oui, le « N » est particulièrement mal réussi, mais vu la hauteur de l’écriture, j’imagine qu’il ou elle aura dû perdre son équilibre, d’autant qu’elle ou il devait avoir atteint la longueur de son bras à ce niveau de la phrase. Un dindon ? C’est un genre d’oiseau ? Pourquoi donner un nom d’oiseau à Maître Don ? J’ai beaucoup d’humour, pourtant, je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, c’est moqueur ? »

Voilà comment elle évacuait d’ordinaire la gêne – quand le moyen se présentait de ne pas rester cramoisie et muette –, par un flot ininterrompu d’observations objectives, plus moins, à la pertinence toute relative. De toute façon, que pouvait-elle dire ? Elle n’était pas là au moment des faits, l’infraction avec le règlement intérieur du Temple était ostensible et elle n’était pas Kiffar, elle ne maîtrisait donc pas la psychométrie. Elle ne savait trop que dire et finit par un timide :

« Puis-je vous être utile, Chevalier Torr ? »

Elle luttait vaillamment pour ne plus se concentrer sur lui mais s’en tenir à l’environnement, maintenant qu’elle sentait enfin le sang refluer de son visage pour regagner des parties du corps qu’il n’aurait jamais dû quitter. Sa voix s'était faite un peu plus assurée, avait imité la douceur de ses murmures, instinctivement, et elle essayait de se constituer un visage digne de la situation.
Karm Torr
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— Hmm.

Ondéron appelle Karm.
Ondéron appelle Karm !

Le Chevalier s’était plongé dans une soudaine et intense réflexion. Les Ark-Ni étaient réputés pour être particulièrement laconiques et portés à la communication verbale. En tout cas, c’était ce qu’on racontait, dans les couloirs du Temple et les rares textes qui leur étaient consacrés, sur l’Holonet, et Karm, même après avoir été éduqué l’essentiel de sa vie loin de son peuple, conservait la fâcheuse habitude de se réfugier dans le silence, au mépris des conventions sociales.

Les bras croisés, il considérait l’inscription, sans avoir cherché à s’excuser auprès de la Miraluka d’avoir tant insisté sur sa vue. Luke était aveugle et il détestait qu’on le traite pour un infirme à cause de cela, alors même qu’il ne jouissait pas de la même vision de Force que la Padawane. Et Soruan, son… ancienne, sans doute, désormais… Padawane avait été dans le même cas. Hors de question de rabaisser qui que ce soit sous le prétexte qu’on percevait les choses un peu différemment.

— Dis moi, finit-il par murmurer finalement, c’est sacrément bien réfléchi.

De quoi parlait-il, précisément ? En tout cas, il dégaina de sa ceinture d’outil un pointeur laseur, qu’on utilisait pour mesurer les distances, et, grâce à l’observation de Thann et à un rapide calcul, il estima que leur coupable devait faire entre un mètre cinquante et un mètre soixante. Manque de chance, ça excluait Maître Marja, que Karm imaginait pourtant fort bien en proie à un délire sénile en train d’invectiver graffitiquement ses estimables collègues.

— Embauchée, décréta-t-il, en rempochant son outil.

Il ne s’était manifestement pas rendu compte de l’émoi suscité par leur rencontre chez la jeune fille, mais c’était aussi qu’il ne prêtait pas vraiment attention aux rumeurs des couloirs, faute d’être souvent présent au sein du Temple. Il ignorait donc que ses mensurations étaient devenues un objet de discussion communs au sein de l’Ordre et il ne comprenait toujours pas pourquoi une certaine guérisseuse de l’infirmerie le regardait désormais avec un intérêt renouvelé.

— Mais c’est Karm, mon nom. Torr, c’est pour les extérieurs.

Les noms des Ark-Ni étaient un casse-tête pour toute personne à peu près saine d’esprit. Ils en avaient toute une ribambelle, déjà, et des règles à n’en plus finir, ensuite.

— C’est Thann, toi, pas vrai ? J’te vois rôder de temps en temps dans la bibliothèque. Il paraît que…

Les phrases inachevées, ça aussi, c’était une marque de fabrique des siens.

— Cool, le droïde, commenta-t-il d’un ton égal, viens, on va mater les enregistrements de sécurité.

Et, en l’entraînant vers la porte réservée au personnel de l’ExploCorps, il enchaîna ;

— Un dindon, c’t’un genre de gros oiseau pas exactement très valorisé, et on traite parfois les gens de dindon pour dire qu’ils sont, t’sais… Pas très malins. Qu’ils se font facilement avoir. Je sais pas si c’est censé être drôle, mais c’est en tout cas pas super respectueux.

Et Karm n’était définitivement pas un Consulaire, à en juger par sa manière de parler. La porte s’ouvrit devant eux et ils longèrent une succession de bureaux qui abritaient les archéologies, les botanistes, les historiens qui travaillent pour l’ExploCorps, des membres des corps auxiliaires pour la plupart, Karm étant l’un des rares Chevaliers Jedis pur sucre à fréquenter ce milieu.

Alors qu’ils pénétraient dans le local de sécurité, le datapad de Karm vibra pour lui confirmer que l’équipe de maintenance viendrait pour couvrir l’inscription honteuse. Le jeune homme s’assit sur l’un des trois fauteuils qui faisaient face à une rangée d’écrans, la plupart destinée à surveiller les collections les plus précieuses. En réalité, on ne craignait pas grand-chose, au sein du Temple, et selon beaucoup de Chevaliers, il s’agissait là d’une précaution inutile. Mais les membres de l’ExploCorps savaient d’expérience que les bizarreries découvertes lors des expéditions attiraient souvent la curiosité des Padawans. La mesure était salutaire.

— OK. J’avoue que je sais pas trop c’que tu perçois. J’imagine pas mal de choses, quand même. J’ai eu une Padawane comme toi.

Expérience éphémère mais souvenir douloureux.

— Et assez autonome. ‘Fin bref. L’idée, c’est de choper le malotru, de s’expliquer nettement avec lui, de comprendre le pourquoi du comment et de lui faire nettoyer sa bêtise. Pas besoin que ça remonte plus haut, on va pas lancer une inquisition pour quelques mots malheureux.

Karm pianotait à toute vitesse sur la console de contrôle, pour faire récupérer dans la base de données l’enregistrement des dernières heures, qu’il commença ensuite à diffuser en accéléré. Vers les deux heures du matin, ce fut image par image qu’il observa une silhouette encapuchonnée se faufiler dans la bibliothèque. On ne voyait pas le visage, hélas, mais la taille correspondait, et surtout… surtout…

— On dirait que notre tagueur fou a quatre bras.

Karm pivota son siège en direction de sa coéquipière du jour.

— Une suggestion, inspectrice Thann ?
Thann Sîdh
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Le silence qui suivit sa question ne fut certainement pas si long, mais Thann le vécu comme une éternité qui aurait rebouclée sur elle-même deux fois. Quand le verdict tomba, quelque part, elle fut presque étonnée d’être encore en vie. Elle désespérait sitôt qu’il lui semblait qu’elle était sur le point de décevoir ou de paraître idiote, elle qui, à quinze ans, n’avait toujours pas réussi à attirer de nouveau le regard d’un maître.

« Dis-moi, c’est sacrément bien réfléchi. »

Son premier souffle, après ce compliment, vu outrageusement profond ; c’était qu’elle était restée en tension, sans oser reprendre sa respiration, jusqu’alors. Heureusement, absorbé par sa prise de mesure, son aîné ne sembla aucune y prêter attention et Thann eut aisément le temps de gérer le petit tournis que le manque d’oxygène avait entraîné.

« - Embauchée. Mais c’est Karm, mon nom. Torr, c’est pour les extérieurs.

– Les exté… Mille pardons, Chevalier Karm. Je l’ignorais. »

Elle avait retenu sa question, se rendant soudainement compte qu’elle apparaîtrait certainement comme déplacée après avoir par deux fois écorchés le patronyme du Chevalier ; elle aurait tout le temps de se renseigner plus tard sans importuner encore davantage son interlocuteur. EMBAUCHEE ?! Que voulait-il dire ?

« – C’est Thann, toi, pas vrai ? J’te vois rôder de temps en temps dans la bibliothèque. Il paraît que… Cool, le droïde. Viens, on va mater les enregistrements de sécurité. Un dindon, c’t’un genre de gros oiseau pas exactement très valorisé, et on traite parfois les gens de dindon pour dire qu’ils sont, t’sais… Pas très malins. Qu’ils se font facilement avoir. Je sais pas si c’est censé être drôle, mais c’est en tout cas pas super respectueux. »

Il connaissait son nom ? Il l’avait remarquée ? Elle ?! Mais il ne lui laissa pas vraiment le temps d’intégrer l’information et déjà l’entraînait vers une porte qu’elle n’avait jamais eu le droit d’emprunter puisqu’en grosses lettres, bien en relief, était inscrit ‘Réservé au Personnel Autorisé’, dessus. Lorsqu’enfin un silence ce fit, croyant que se présentait à elle un instant dédié à une réponse de sa part, elle fut obligée de se râcler un peu la gorge afin de retrouver sa voix pour répondre :

« Oui, oui. Thann Sîdh, et lui c’est B0-UT, mais je l’appelle Bouteboute. Elle sourit timidement, elle savait pertinemment que ce surnom était puéril mais ne parvenait pas à s’en défaire. Je ne sais pas si ‘rôder’ est exactement l’impression que je voulais donner mais… C’est vrai, j’ai beaucoup fréquenté cet endroit mais visiblement pas encore assez si je ne connaissais pas ce qu’était un ‘dindon’. »

Bla, bla, bla… Trop de mots, trop de mots. Elle se tut, la gêne avait repris le dessus. A la fois, elle sourit un instant, avec un jeu de sonorité aussi curieux que d-in-d-on, c’était évident qu’une comparaison ne pouvait pas être flatteuse. Qui avait eu l’idée d’utiliser une telle séquence de phonèmes ? D-in-d-on… Plus elle y pensait et plus elle souriait. Les manières et la parole du Chevalier Karm, loin de la parole policée des enseignants qui l’encadraient ordinairement, si elle la déstabilisa d’abord, commençait à la rassurer. Entrée dans ce qui lui semblait, un peu, être un sanctuaire dans le sanctuaire, soudainement un sentiment d’importance un peu curieux la gagna, son sourire grandit encore.

« – OK. J’avoue que je sais pas trop c’que tu perçois. J’imagine pas mal de choses, quand même. J’ai eu une Padawane comme toi. Et assez autonome. ‘Fin bref. L’idée, c’est de choper le malotru, de s’expliquer nettement avec lui, de comprendre le pourquoi du comment et de lui faire nettoyer sa bêtise. Pas besoin que ça remonte plus haut, on va pas lancer une inquisition pour quelques mots malheureux. »

Un autre Padawan comme elle ? Et autonome ? Allait-elle souffrir de la comparaison ? Alors que son aîné s’activait sur la console, elle ne put s’empêcher d’expliquer sa façon de percevoir le monde, comme pour se justifier de cette étrangeté qui pouvait, effectivement, se transformait en handicap en de rares occasions.

« J’ai l’habitude de rappeler à mes camarades que ‘lorsque c’est plat, je ne vois pas’. Elle essaya de retrouver son sourire mais la blague, qui d’ordinaire prêtait à sourire son entourage, lui parut soudainement si nulle qu’elle n’y parvint pas et embraya rapidement. Et, aussi, ne me demandez jamais de couper le fil rouge plutôt que le bleu, comme dans les holofilms d’action, nous y trouverions tous les deux la mort dans une explosion grotesque, je ne perçois pas les couleurs. » Le comique lui semblait ici plus réussi et à la fois, pourquoi ce nous ? N’allait-elle pas paraître insolente à se projeter ainsi ? Ne risquait-elle pas de paraître futile et… et…

« – On dirait que notre tagueur fou a quatre bras. Une suggestion, inspectrice Thann ?

Et voilà qu’elle était appelée inspectrice. Du sérieux, elle devait retrouver son sérieux.

« Quatre bras ? Pour une hauteur d’un mètre cinquante ? Clairement, il n’a pas la carrure d’un Besalisks, et les races à quatre bras moteurs et préhensible ne sont pas légion. Un Xexto peut-être ? Enfin… Pour ainsi vouloir se montrer… Elle ne voulait pas enfoncer son malheureux camarade par des termes désobligeants, tout en comprenant clairement qu’elle ne pouvait encourager son comportement en le couvrant. La situation la mettait fort mal à l’aise. Et, à vrai dire, le coupable lui apparaissait avec une telle évidence qu’elle ne pouvait guère aller plus loin sans dire l’honnête vérité. Chevalier Karm, avec tout le respect que je vous dois… Son murmure était tremblant plein d’hésitation mais après une grande inspiration, elle fut persuadée qu’elle était du côté du juste et reprit, Je ne peux ainsi donner le nom de l’un de mes camarades sans avoir moi-même parlé à celui-ci et essayée de l’amener lui-même à se présenter à vous. Je comprends que ce qu’il a fait est mal mais… Je dois d’abord lui laisser la possibilité de se racheter. Je comprendrais que vous soyez déçu et que vous désiriez me punir également mais… Je ne changerai pas d’avis. »

Elle s’étrangla presque en terminant sa phrase mais son regard voilé soutint avec assurance le regard de celui qui l’avait embauchée. Et à la fois, la chose lui paraissait évidente. Ils n’étaient pas suffisamment, parmi les Padawans, de cette taille et avec quatre bras pour que la réponse ne vint pas immédiatement. Était-ce un genre de test ? Son assurance faiblit et elle se mordit la lèvre tout en regrettant immédiatement de l’avoir fait – sur un visage donc seul la bouche était apparente, un tel signe était autant de fusée éclairante au milieu d’un ciel nocturne ; elle ne céda cependant pas et essaya de se dresser de toute sa petite hauteur, à demi-sûre d’elle.
Karm Torr
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— Hmm.

Les « hmmm », c’était apparemment la spécialiste du Chevalier. Les bras croisés, le regard brillant posé sur Thann, il jaugeait l’adolescente. En voilà une petite prometteuse. D’abord, elle donnait un nom rigolo à son droïde et c’était un excellent point : aux yeux de Karm, la fantaisie et l’humour n’étaient pas des luxes, mais des remparts précieux contre certaines dérives du tempérament. Ensuite, elle était fidèle envers ses amis, sans donner l’impression d’être roublarde : c’était une vertu précieuse, qui suggérait qu’elle voyait l’Ordre comme Karm lui-même, c’est-à-dire non comme une institution, mais comme une communauté.

— OK, finit-il par murmurer après un long silence, pendant lequel, dans la Force, il avait sondé la jeune fille, dans l’espoir de mieux cerner ses intentions, avant de pivoter à nouveau sur sa chaise, pour brancher son datapad sur la console de contrôle et récupérer l’enregistrement incriminant. On s’retrouve dans le parc, vers le potager médicinal, dans deux heures. Ramène ton collègue si tu peux.

Le téléchargement terminé, il rempocha l’appareil et précisa :

— J’vais pas t’punir parce que tu fais preuve de fraternité et de compréhension. On est des Jedis. On est pas une entreprise, et encore moins une armée, même si je sais que ces derniers temps, ça y ressemble pas mal.

A cause de la République qui s’imposait de plus en plus à leur organisation, mais aussi à cause de certains Maîtres, que Karm jugeait de plus en plus déviants, et qui rompaient à ses yeux avec les principes les plus sacrés de l’Ordre, pour instrumentaliser une communauté religieuse et la muer en simple régiment. De plus en plus, il voyait des Padawans formés au genre de docilité radicale, au genre de respect hiérarchique obtus, qu’il n’avait jamais rencontré jusque là que lors de ses collaborations avec l’armée républicaine.

— On est d’abord une fraternité et une sororité. Nos devoirs les plus fondamentaux, ce sont ceux qu’on a les uns envers les autres, pas nos devoirs envers des règlements, qui ne doivent être que les outils de notre cohésion, et non la fin de nos actions.

Luke ne serait sans doute pas d’accord avec cette conception, mais plus il vieillissait, plus Karm en était convaincu.

— Va trouver ton pote, et laisse la Force te souffler les mots justes.

Et sur ces bonnes paroles, Karm quitta le local de sécurité, pour traverser le couloir à grands pas et déboucher à nouveau dans la bibliothèque. Il jeta un regard à la bâche qui couvrait désormais le mur saccagé, avant de quitter les locaux de l’ExploCorps, pour se rendre dans les bureaux où se géraient les dossiers des Padawans. Une Archiviste entre deux âges l’y accueillit avec un sourire gentiment moqueur.

— Ah, ça, si je croyais voir ça de mon vivant, le Chevalier Karm qui s’approche vo-lon-tai-re-ment d’une salle dédiée aux formulaires, c’est un miracle.
— Qu’est-ce que tu veux, Salka, j’suis un grand garçon, j’apprends à affronter mes peurs les plus profondément ancrées.
— Très Jedi de ta part. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— J’cherche le dossier d’une Padawane. Thann… Thann quelque chose.
— Sîdh ?
— Probablement. T’as ça ?

Les mandibules de l’Archiviste firent résonner un claquement offensé dans la petite pièce.

— Évidemment que j’ai ça.
— J’voulais pas être vexant.
— Monsieur s’imagine quoi, hein ? Que je peigne des banthas toute la journée ?
— Je te rapporterai des larves exotiques de ma prochaine exploration.
— … bon.

Quelques minutes plus tard, Karm avait pu récupérer le dossier de Thann sur son datapad et, après avoir renouvelé la promesse de délices exotiques, il avait quitté l’Archiviste maugréante pour gagner les jardins. Bientôt assis en tailleur sur un banc, près des carrés soigneusement entretenus par les guérisseurs où fleurissaient les herbes médicinales et où il reconnaissait, parfois, non sans une certaine fierté, des variétés qu’il avait découvertes lui-même sur des planètes jusqu’à lors inconnues, il se mit à lire attentivement les détails concernant la jeune fille.

C’était un dossier comme celui de beaucoup d’autres Padawans, sans doute. À quinze ans, on n’avait pas eu tout à fait le temps de se démarquer pleinement des autres, sauf quand on tombait sous l’autorité d’un Maître aux ambitions un peu particulières. Karm parcourait les remarques rassemblées au fil des annotations des professeurs, lors des cours communs. Bon coopératrice, pas assez compétitive. Intelligente, mais brouillon. Manque de résolution et de combativité.

Certaines appréciations en disaient finalement plus long sur les différents Maîtres et Chevaliers, et les valeurs qu’ils jugeaient les plus importantes, que sur la Padawane elle-même. Karm ne participait pas assez souvent à la formation des jeunes pour être entièrement capable de lire entre les lignes de ces commentaires parfois longs et d’autres fois lapidaires. L’un d’autre eux lui fit hausser un sourcil. « Surveiller l’adolescence ». C’était une guérisseuse du Temple qui avait marqué cela, comme si ces trois mots devaient être évidents pour tous.

Karm mit le datapad en veille et releva les yeux vers le jardin. La Force essayait de lui souffler quelque chose. Il le sentait à la limite de sa conscience. L’Ark-Ni ferma les yeux et, bientôt, la respiration lente, il laissa son esprit se déployer dans la méditation, en quête d’une réponse.
Thann Sîdh
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« - Hmm. »

Pendant des instants encore mille fois trop longs, elle se sentit comme un objet exotique passant sous un scanner, puis dans un bain d’eau glacée pour être nettoyé, puis de nouveaux sous les scanners. Elle avait déjà essayé de l’expliquer à Seïid, cette façon qu’elle avait de percevoir lorsqu’on l’a ‘tâtonné’ à travers la Force, ce moment où les auras, souvent bien nettes, bien définies, en vase relativement clos, laissaient échapper comme de petits effluves, comme le bras de gaz d’une nébuleuse, comme un genre de petite éruption solaire qui venait lui toucher le bout du nez. Son amie n’avait jamais bien compris pourquoi Thann s’en formalisait tant, de fait, la Togruta ne pouvait comprendre combien la lumière intérieure des êtres étaient, pour Thann, partie intégrante de leur être, de leur personnalité. A toute proportion gardée, pour Thann, c’était comme si quelqu’un s’amusait à soulever sa robe pour regarder en-dessous, ou simplement comme lorsque la Jedi Guérisseuse qui s’occupait des visites médicales lui demandait de se tenir en sous-vêtement au milieu de la pièce. Elle essaya de garder sa contenance, mais elle était à deux doigts de virer un jet de vapeur par les oreilles lorsque :

« – OK. Le soulagement éclata dans son ventre comme une bulle qui libéra cent et cent autres bulles qui fourmillèrent à travers elle, éclatant à nouveau en cent et cent, libérant partout fraîcheur et sérénité – d’autant que le regard inquisiteur du Chevalier s’était détourné. On s’retrouve dans le parc, vers le potager médicinal, dans deux heures. Ramène ton collègue si tu peux. J’vais pas t’punir parce que tu fais preuve de fraternité et de compréhension. On est des Jedis. On est pas une entreprise, et encore moins une armée, même si je sais que ces derniers temps, ça y ressemble pas mal. On est d’abord une fraternité et une sororité. Nos devoirs les plus fondamentaux, ce sont ceux qu’on a les uns envers les autres, pas nos devoirs envers des règlements, qui ne doivent être que les outils de notre cohésion, et non la fin de nos actions. Va trouver ton pote, et laisse la Force te souffler les mots justes. »

Et le voilà qui s’envolait, majestueux dans sa sobriété, bouleversant dans sa simplicité et l’honnêteté de son discours. Thann resta figée au milieu de la pièce un bon moment, elle n’avait pas eu besoin de se retourner vers son aîné pour percevoir qu’il s’était tout à fait éloigné. Il lui fallait assimiler l’information, la peser, la nettoyer, la faire passer sous tous les scanners avant de l’archiver. Il lui semblait avoir été du côté du juste, et la réaction du Chevalier ne l’avait pas démenti un seul instant. Et à la fois, quelque part, une petite voix lui disait que cette conversation n’eût pas été la même avec tous les Maîtres du Temple. Aussitôt, le souvenir de Maître Marja s’imposa à elle. Un monolithe de sévérité. Elle ne pouvait elle-même faire cette comparaison, mais sa rencontre lui avait fait l’effet d’un soleil frappant la neige en haute altitude. Une blancheur immaculée et pourtant si dure, si froide.

« …

– Non, Bouteboute, je ne me suis pas endormie. Tu vois bien que ce qui vient de se passer est… est… Ah ! Il faut que j’aille trouver cet idiot ! Quelle idée de faire ça ! »

Du même pas rapide qui l’avait amené jusqu’ici, elle sortit du bureau et prit le chemin inverse de celui qu’elle avait emprunté. Elle connaissait les gens qu’il fréquentait le plus souvent, faute de connaître le numéro de sa chambre. Dans le quartier des Padawans, chacun allaient et venaient, riaient, méditaient, lisaient, jouaient à Knight Of The Old Republic, un holo-game qui s’inspirait assez librement des événements des Guerres Mandaloriennes et qui connaissaient, chez les jeunes du Temple, un grand succès ; Thann comprise. Bastilla Shan… Elle retint ses pensées par la bride, elle avait une mission, elle penserait à ses héroïnes plus tard.

Le Chevalier Karm lui avait donné rendez-vous dans deux deux heures, du moins l’avait-il fait il y a quinze minutes. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps et que faisait-elle ? Elle tournait en rond sans parvenir à tomber sur la bande de Bil Hize’Kkyd. Après plusieurs tours du patio, elle en conclut que sa stratégie était nulle et décida de changer celle-ci. Elle alla au centre du petit jardin, çà et là des groupes de ses camarades étaient allongés ou assis dans l’herbe, elle fila jusqu’à l’arbre magnifique qui trônait depuis toujours au milieu de l’endroit et s’assit pour méditer et percevoir son environnement.

Elle ralentit sa respiration, ralentit son pouls ; elle fit le vide dans son esprit, tendit l’oreille à tout, tendit l’esprit aussi. De la masse d’abord confuse surgit le bruit des feuilles, chaque rire se démêla des autres, les groupes redevinrent des sommes d’individus. Elle était dans un champ de petites fontaines pleine de lumière et la joie imprima un doux sourire sur son visage. Puis, une fois qu’elle fut en harmonie avec les autres, elle se mit en quête de ceux qui l’intéressait, allant de chandelle en chandelle, comme un papillon de fleur en fleur.


« Ah ! Vous êtes là ! »

Elle surgit hors de sa méditation comme un dauphin crève la surface de l’eau pour s’élancer dans les airs et se précipita, semi-courant, semi-marchant, vers le groupe de jeunes gens qu’elle avait localisé. La plupart de deux ans ses cadets, elle les connaissait pourtant tous assez bien, ayant souvent donné de son temps pour le tutorat des plus jeunes qu’elle et, surtout, parce qu’elle était l’encyclopédie sur pattes qui permettaient de s’épargnait un voyage jusqu’aux Archives du Temple lorsqu’on ne parvenait pas à trouver une information.

« Taad, Taad ? »

Le petit twi’lek, assis en tailleur dans l’herbe, se tourna vers elle, les mains pleines de cartes Grokemon ; du moins Thann le supposait car elles étaient pour elle lettre morte mais cela faisait des semaines qu’ils ne parlaient que de ça dans les couloirs.

« Ah, coucou, Thann ! ça va ? Tu veux jouer avec nous ?

Elle lui sourit, – Non, mais c’est gentil d’avoir proposé. Bil n’est pas avec vous, tu sis où il est ?

– Oui… Bah… Je sais, je devrais pas trop en parler mais… Il baissa d’un ton pour que l’information restât entre eux, il n’est pas trop bien. Je sens bien qu’il ne va pas bien mais il ne veut pas m’en parler. Il n’a pas voulu sortir, tout à l’heure, quand je lui ai proposé de venir. ‘Fin… »

Elle sourit de nouveau à son camarade qui montrait le même souci qu’elle pour son prochain et lui posa une main sur l’épaule.

« Ne t’inquiète pas, je vais aller voir ce qu’il a et je suis sûre qu’on va réussir à lui faire retrouver le sourire. »

Faute d’avoir un effet immédiat sur Bil, du moins cette presque promesse en eut sur Taad qui fut tout à fait soulagé de son fardeau. Elle lui demanda le numéro de leur chambre, le remercia, le félicita d’être si bon ami et s’écarta pour le laisser mâter ses camarades à grands coups de Déflagration et autre Fatal-Foudre. Il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre la pièce en question et doucement, elle toqua à la porte. Pas de réponse. Elle n’avait pas besoin de confirmation, sa façon de ‘voir’ le monde lui permettait de passer aisément des barrières aussi fines qu’une porte. Elle le savait là, dans un coin de sa chambre, à ignorer ses toc-toc.

« Bouteboute, tu restes-là, d’accord ?

– …

Elle toqua une nouvelle fois, mais cette fois-ci ajouta, suffisamment fort pour que Bil l’entendît :

« Bil ? C’est Thann, je peux entrer ? »

Toujours aucune réponse.

« Bil ? Je ne vais pas entrer si tu ne m’y autorises pas, mais je ne vais pas partir tant que tu ne m’auras pas rassurée. J’aimerais juste que l’on discute. J’ai vu Taad, il s’inquiète aussi. Allez… Et promis, si tu es gentil, on jouera ensemble à TOR, même si je le trouve pas fou. »

Oui, c’était de notoriété publique, Thann soutenait le débat, les KOTOR étaient bien mieux que les TOR. Pas d’un point de vue historique, bien entendu, dans les deux cas, nous étions dans le délire le plus complet, mais rien que le gameplay… Enfin ! Peut-être était-ce la mention de son ami, peut-être était-ce cette petite boutade, qu’importe, la porte s’ouvrit.

Le petit Xexto n’avait pas bougé, il avait fait appel à la Force pour activer l’interrupteur. Thann, doucement, entra dans la chambre et referma la porte derrière elle. Elle ne se précipita pas vers lui, se tenant simplement à l’entrée. Tant qu’il n’avait pas commencé à parler, il n’avait pas accepté le dialogue, simplement céder un peu de terrain.


« Je peux approcher ? »

Il acquiesça, sans pour autant se retourner vers elle, résolument braqué vers le coin de sa chambre dont il avait décidé de faire son sanctuaire. Elle glissa doucement vers lui et s’assit en tailleur dans son dos, faute de pouvoir lui faire face.

« Bil ? Je peux parler avec ton dos, moi, ça ne me dérange pas, mais je sais que toi, tu n’aimerais pas parler avec le mien. Tu veux bien te retourner ? En plus, je pense que tu as largement eu le temps de repérer toutes les imperfections de ton mur, c’est plus très utile de le contempler. »

La tentative d’humour maladroite n’eut pas trop d’effet, du moins se retourna-t-il, l’air résolument morose. D’ordinaire plein de joie, tout en Lumière, Thann percevait très nettement la petite tâche noire qui l’accompagnait à présent. Son aura n’en était pas moins belle, à sa façon, ce n’était pas la première fois qu’elle voyait des nuances comme celle-ci, mais, elle sentait aussi la tension qu’il y avait dans le jeune bonhomme. Il n’y avait pas d’équilibre, en lui, entre cette petite boule noire et le reste, au contraire, elle semblait vouloir le manger tout entier. Il regardait le sol, fixement. Elle se contenta de se rapprocher encore un peu de lui, rampant sur les fesses, et posa les mains sur ses genoux, paumes levées.

« Si tu ne veux pas parler, je ne te force pas à le faire, on peut juste se donner la main, hein ? »

Ce qu’il fit, timidement. Il tendit ses quatre petites mains qui serrèrent les deux siennes, de son pouce, elle en caressa doucement le dos. Il ne fallut pas longtemps pour que les barrages cèdent et pour qu’il commence à baigner ses mains de ses larmes ; encore un instant, et il s’effondrait en larme dans les bras de Thann qui, si elle s’attendait à le trouver mal, fut un peu submergée par sa détresse et se contenta de le serrer contre elle, tendrement, sans savoir que dire.

Quand il eut fait sortir toute l’eau dont il était capable et qu’il eut retrouvé un peu de sérénité, il se mit enfin à parler, refusant de quitter le refuge de ses bras. Il lui raconta ses doutes, ses échecs lors des séances avec Maître Don, la façon dont il avait changé sa rancœur en colère, la façon dont il avait été, de nuit, se venger en barbouillant le mur, la façon dont il s’était persuadé ne pas être à la hauteur, toute sa détresse d’enfant. A peine plus vieille que lui, la Miraluka ne connaissait pas les mots qui lui auraient permis de le rassurer tout à fait mais donna toute l’affection dont elle était capable dans cette étreinte, comme une mère rassure ses enfants en pleine tempête. Lorsqu’il eut fini de dire tout ce qu’il avait à dire, le silence s’imposa un moment avant que la Padawane n’ose reprendre la parole.


« Je ne vais pas te mentir, Bil, je savais déjà ce que tu avais fait avant de venir. Elle le sentit se tendre dans ses bras, mais elle le serra doucement, davantage, pour le rassurer. Et je sais aussi que tu es sincère, que tu ne me mens pas. Tu as fait une bêtise, tout le monde fait des bêtises, ce n’est pas grave. Mais tu sais ce qu’il faut faire lorsqu’on fait des bêtises ?

– Oui…

– Alors je te propose qu’on y aille ensemble, d’accord ? Que tu dises la même chose que ce que tu m’as dit à un de nos aînés, que tu lui confies tout, tout. Être un Jedi, je crois, ce n’est pas ne jamais avoir peur, ce n’est pas ne jamais douter, ce n’est pas tout garder pour soi. Être un Jedi, c’est apprendre à maîtriser et la peur, et le doute ; ne pas les laisser maître de nos actions. Et puis, avoir peur, c’est simplement sentir que notre corps souhaite rester en vie, non ? Si nous n’avions pas peur du feu, nous y plongerions la tête ! Tu veux une tête de Gizka rôti, toi ? Moi, non. Du coup, je veux bien avoir peur de temps en temps. »

Elle rit et même si la blague était nulle, après une telle tension, Bil se mit à rire aussi. Elle attendit qu’il se sente prêt, puis prit avec lui le chemin du lieu de rendez-vous. Elle n’avait aucune idée du temps qu’elle avait passé avec son cadet et, pour l’instant, ne se concentrait que sur lui, le rassurant à chaque pas, main dans la main. C’était insignifiant, elle lui avait déjà dit, et pourtant, à ce moment, elle se présentait dans le jardin médicinal comme si un tribunal exceptionnel l’y attendait, prête à se faire l’avocate, contre vents et marées, du jeune contrevenant apeuré, Bouteboute suivant le duo comme prêt à filmer la séance judiciaire du siècle.
Karm Torr
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— … tu crois qu’il sait qu’on est là ?

Bil ne savait pas trop s’il devait être rassuré ou préoccupé d’avoir affaire à Karm. Le Chevalier était réputé pour être beaucoup, beaucoup, beaucoup plus compréhensif avec les Padawans que l’immense majorité de ses confrères, mais il était aussi très difficile à suivre et à comprendre, et, par conséquent, pour le moins imprévisible. Tout le monde sentait bien qu’il avait sa logique à lui, mais c’était une chose de le soupçonner, c’en était une autre de la comprendre. Au moins, les Maîtres qui étaient stricts de façon explicite, ils avaient des règles qu’on pouvait apprendre. Avec Karm, il fallait toujours réfléchir. C’était stressant.

— Ah, notre artiste peintre, murmura soudainement l’Ark-Ni en ouvrant ses yeux qui réfléchissaient la lumière.

Bil baissa aussitôt les siens.

— « Saï Don est un dindon », vraiment… ?

Karm n’était pas un Consulaire et ça se sentait : il ne s’embarrassait pas de ronds de jambe ni de politesse. De sa culture ark-ni, il avait gardé l’habitude d’aborder franchement les problèmes qui étaient évidents et d’en discuter d’une façon ouverte et directe, parce que c’était le plus profitable pour la société. Naturellement, pour bon nombre de Padawans habitués à la maïeutique parfois interminable des Jedis les plus enclins aux longues élaborations philosophiques, c’était déstabilisant, et même un peu intimidant.

Le regard du Chevalier s’arrêta brièvement sur Thann et il esquissa un sourire, sans être tout à fait certain si la Miraluka pouvait ou non le percevoir. Vu l’attitude de Bil, il devinait sans peine que le convaincre de se présenter devant un Jedi qui allait probablement le punir n’avait pas été un exercice facile et que la demoiselle avait dû faire preuve de bien des talents de persuasion. C’était décidément une gamine pleine de ressources et Karm était curieux d’éprouver son tempérament dans d’autres situations.

— C’était bête et je suis désolé, Chevalier, murmura Bil d’une toute petite voix, où il ne retenait ses sanglots que pour éviter d’avoir l’air encore un peu plus pathétique.
— Bête, je sais pas.

Karm décroisa les jambes pour quitter le banc et il entraîna les deux Padawans à sa suite dans les allées du potager médicinal.

— C’est pas comme si t’avais écrit « Saï Don est un gros con »…
— J’oserais jamais, protesta vivement le Xexto, horrifié à l’idée qu’on puisse lui prêter une semblable vulgarité.
— Ben pourquoi pas, s’étonna faussement Karm ?
— Ce serait super irrespectueux !

Silence.

Bil concéda rapidement :

— Bon, dindon, c’est pas super non plus…
— Mais c’est plus créatif.

Le jeune Padawan avait du mal à voir où son aîné voulait en venir, alors il jugea préférable d’adopter un silence prudent, tout en marchant bien à côté de Thann, comme si la présence de son amie le sauverait des pièges qu’on tentait de lui tendre dans la conversation.

— Donc, tu voulais manquer de respect à Maître Don mais sans être irrespectueux, c’est ça… ?
— Dis comme ça, ça a l’air idiot…
— Pas idiot, paradoxal.

Karm s’arrêta de marcher pour se tourner vers les Padawans.

— Vous savez, c’est deux choses vachement différentes que de faire preuve d’humilité et de pas avoir d’estime de soi. C’que t’as fait, c’était pas bête ou idiot. T’as cherché une expression un peu rigolote, t’as réussi à te faufiler la nuit, et tout. C’était malvenu, et pas très sympa, et pas très mature, mais c’est différent. Par contre, paradoxal, ça, totalement. Tu voulais être irrespectueux respectueusement et tu voulais faire passer un message bien public en grosses lettres rouges, en le taggant à un endroit où, franchement, y a quand même pas grand-monde qui passe. Du coup… ?
— Du coup, ça veut dire que je suis fou ?

En voilà un petit bien négatif.

— Moi, j’adore les vaisseaux. J’suis né sur un vaisseau, j’ai passé tout le début de mon enfance dans un vaisseau, ça me parle, c’est totalement mon monde, la mécanique, la navigation, tout ça. Et puis j’adore la nature. J’peux passer des jours à explorer une planète déserte, les pieds dans la boue, le vent qui fouette le visage, collé à la terre, tout ça. On est tous comme ça. Tous compliqués. Avec des envies et des besoins qui se contredisent. Toi, t’as envie de t’exprimer, d’extérioriser, mais c’est plutôt un message que tu t’adresses à toi, comme quand on jure parce qu’on s’est cogné quelque part, on agresse pas la table, on évacue, c’est tout.

Est-ce que Saï Don était une table dans cette comparaison ?

— Ceci étant dit, j’doute que c’que t’avais envie d’extérioriser, ce soit la nature aviaire de Saï Don.
— Aviaire ?
— Rapport aux oiseaux.
— Ah. Euh… Non.
— Vas-y, raconte moi ton histoire.

Nouveau pas de côté en direction de Thann. Le Xexto commença un récit un peu plus ordonné que celui qu’il avait servi à son amie. À la fin, il parvint même à se retenir de pleurer. Karm hocha lentement la tête.

— Quand j’avais ton âge, finit-il par dire, y avait ces classes, là, j’suppose que vous avez les mêmes, pour former les futurs Consulaires, où il faut préparer des discours, des argumentaires, sur tel ou tel sujet, et les présenter en face du groupe. Pour moi, c’était l’horreur. La moitié du temps, quand j’avais de la chance, je sortais un truc confus, l’autre moitié, j’étais tétanisé et j’arrivais pas à parler. Une fois, j’me suis senti tellement mal, j’ai fugué pendant genre, deux jours.

Bien sûr, ce n’était pas toute l’histoire. Il ne parlait pas de Tavaï, sa Maîtresse, dont la formation toute orientée vers les arts martiaux avait été une longue maltraitance et de son besoin presque vitale de s’offrir au moins deux jours de répit, dans le rythme inhumain que lui avait imposé celle qui devait ensuite trahir l’Ordre Jedi.

— Et franchement, j’ai vraiment appris à pas me décomposer devant une assistance que l’année dernière, environ, avec l’aide d’autres Chevaliers. Ça m’a pas empêché de faire d’autres trucs.
— Vraiment… ?
— Vraiment.
— Mais Maître Don, il dit que nos séances, c’est très, très important. Essentiel, même.
— Ce qui est essentiel, c’est d’essayer, de revenir après les échecs, de cerner ses faiblesses et d’avoir la patience de recommencer. Un Jedi, c’est pas un type parfait, c’t’un type qui admet et affronte ses imperfections. Y a des trucs que je saurai peut-être bien faire que quand j’aurai soixante ans…

S’il les atteignait jamais, vu le genre de missions qui étaient les siennes.

— … et d’autres que je saurai jamais faire. Mais j’essaie. Et si ça marche, j’essaie encore, plus tard. Et en chemin, j’apprends d’autres choses. Par exemple, là, tu peux en profiter pour essayer de trouver un autre moyen d’évacuer ta frustration bien compréhensible, qui implique pas de barbouiller ma bibliothèque au milieu de la nuit. Et ce sera au moins aussi utile que d’apprendre ce que tu cherches à maîtriser avec Saï Don.

Malgré son silence poli, Bil ne put retenir une moue dubitative.

— Non mais vois les choses comme ça. Si t’apprends à gérer la frustration, quand tu seras tout seul en mission, une fois Chevalier, et que tu rencontreras un gros exemple, tu sauras comment faire abstraction et composer avec la difficulté. On apprend comment fonctionne un sabre laser pour bien savoir s’en servir et on apprend à se connaître soi-même pour pouvoir être son meilleur outil.

Il y avait aussi des profits plus spirituels à ce genre d’exercices, mais Karm avait rapidement compris que les arguments mystiques portaient beaucoup moins avec les Padawans qu’un pragmatisme plus immédiat.

— Du coup, vous pensez que j’ai quand même une chance de devenir un vrai Jedi ?
— T’as plus qu’une chance, mec, t’as intérêt.

Bil hocha la tête.

]— Ceci étant dit, j’espère que t’as bien conscience que ton avenir immédiat implique beaucoup d’eau, une éponge et de l’huile de coude.
— Oui, Chevalier.
— Et une conversation embarrassante avec Maître Don.
— … oui, chevalier…
— Et, genre, des crêpes pour remercier Thann ou un truc comme ça.
Thann Sîdh
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Toujours inquiète de trouver un signe d’approbation chez ses aînés, autant vous dire que le sourire discret mais ravissant du Chevalier emplit soudainement la jeune adolescente comme un seau plongé tout entier dans la mer, elle lui rendit son sourire, franc, immense, découvrant ses dents et ignorant, pour sa part toute discrétion – de toute façon, légèrement en retrait par rapport à Bil, celui-ci ne pouvait pas la voir. Elle avait le sentiment profond et chaud du devoir accompli et, sucrerie des plus recherchées, celui d’avoir bien agi.

Thann n’était pas encore suffisamment douée pour ‘tendre’ son aura à la façon des Chevaliers et ainsi rassurer son entourage mais elle fit tout son possible pour que Bil la sentît physiquement à ses côtés. Loin de considérer que le discours du Chevalier Karm ne s’adressait qu’à lui, elle n’en perdit pas une bride, cherchant à y trouver un double enseignement : à la fois la sagesse du propos lui-même mais aussi comment l’aîné s’efforçait, auprès du plus jeune, de rendre cette sagesse accessible, compréhensible, si bien qu’il pût aisément l’intégrer ; en somme, ce qu’elle n’avait pas su faire dans la chambre, tout à l’heure. Elle remarqua surtout cette façon dont le Chevalier tentait de tourner les choses afin qu’elles apparussent sous l’angle le plus favorable, non pour dédouaner de la faute qu’il lui faudrait assumer jusqu’au bout, mais pour en extraire la meilleure leçon, le plus riche enseignement possible. Bon, il y avait bien eu ce moment ou elle s’était un peu figé lorsque le Chevalier évoqua la possibilité d’attribuer au vénérable Maître Don l’adjectif ‘con’, mais c’était pour les nécessités de la démonstration, hein ?


« Et, genre, des crêpes pour remercier Thann ou un truc comme ça. »

L’idée de recevoir une récompense aussi substantielle de ce qu’elle avait fait par pure sympathie l’étonna beaucoup, bien que l’évidente légèreté du propos invitait à ne pas trop le prendre au sérieux, elle ajouta tout de même.

« Je ne veux pas me donner de grands airs, pas du tout, mais… Des crêpes me feraient moins plaisir que si tu allais rapidement rejoindre Taad, avant d’aller nettoyer ton barbouillis, simplement pour lui dire que ça va mieux. Il se faisait du souci pour toi et ce n’est pas la peine qu’il se tourmente plus longtemps si tu vas mieux, hein ?

– Oui, tu as raison. Merci, Thann, merci beaucoup. »

De nouveau elle sourit, à Bil comme au Chevalier. Elle était sincère et tout à fait prête au sacrifice des crêpes pourvu que ce malheureux événement cessât au plus vite de tourmenter tout le monde. Bil lui rendit son sourire, son regard en disait long sur le câlin qu’il se retenait de délivrer, il le remit à plus tard. Alors qu’il s’inclinait une dernière fois devant le Chevalier, après s’être encore excusé platement, il commença à s’effacer et allait disparaître dans le bâtiment lorsque Thann l’interpella.

« Pense à demander un peu de dissolvant avec ton eau, sans quoi, tu ne sauras jamais ravoir correctement cette peinture ! »

Dans le silence tranquille des jardins, elle avait eu l’impression de hurler à plein poumons alors qu’elle avait simplement suffisamment haussé le ton pour qu’il l’entendît. Un peu confuse, alors que le petit Xexto et sa petite boule d’ombre apaisée disparaissaient derrière la porte coulissante, elle se tourna vers le Chevalier Karm et reprit sur le ton murmurant de celui-ci :

« Puis-je encore vous être utile, Chevalier ? »

L’affaire était résolue, tous les mystères élucidés, elle s’imaginait déjà reprendre son traintrain et refermer cette parenthèse sans qu’elle n’eut jamais d’autre conséquence que le retour à l’harmonie d’un jeune camarade en crise.

Intervention du Captain Obvious:
Karm Torr
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— Totalement.

Le jeune Chevalier avait suivi du regard la silhouette du Xexto qui disparaissait à l’autre bout de l’allée, avec l’espoir d’avoir tenu le discours approprié. Même si ses contacts avec les Padawans s’étaient multipliés au cours des deux dernières années, il était toujours infiniment plus intimidé à la perspective de devoir participer à l’éducation de qui que ce soit, surtout dans une situation aussi troublée, qu’à celle de se lancer sur un champ de bataille où il risquait de se faire hacher menu.

— C’est bientôt l’heure du déjeuner et j’ai besoin d’une complice pour dévaliser la cantine. C’est parti, inspectrice Thann.

Le regard de Karm se détacha de l’allée.

Il ne s’était pas trop mal débrouillé, pas vrai ? Il aurait sans doute pu être plus clair, et puis Luke lui aurait probablement recherché de ne pas en avoir profité pour s’exprimer dans le plus châtié des langages, afin de parfaire l’éducation rhétorique du petit Padawan, mais, tout bien considéré, l’expérience avait été relativement concluante.

Restait à s’attaquer au cas Thann.

Sa méditation ne l’avait pas exactement aidé à cerner le profil de la Miraluka et, d’ailleurs, il ne savait pas précisément ce qu’il avait cherché à déterminer en s’y plongeant. Mais elle lui avait apporté une sorte de détermination qu’il se contentait de suivre à présent, confiant dans la Force et dans les intuitions qu’elles faisaient naître en lui. Il ne croyait pas exactement au destin, mais il croyait aux rencontres opportunes.

Les deux Jedis quittèrent les carrés botaniques où s’épanouissaient les laxatifs et les diurétiques, les coagulants et les émétiques, sous des corolles de couleur qui n’évoquaient pas tout à fait l’expérience nettement moins poétique qu’en avait les patients des guérisseurs. Quelques marches plus loin, Thann et Karm s’engouffraient dans le Temple, où Chevaliers, Maîtres et Padawans vaquaient à leurs occupations.

Il y eut quelques signes de tête, des mots rapides échangés avec un tel ou une telle, sur le chemin. Karm parlait ici d’expédition bientôt lancée, là de rapport à fournir ; parfois, il était question d’une commission du Sénat et, d’autres fois, d’un entraînement promis de longue date mais longtemps repoussé. Le Chevalier était souvent laconique, toujours assez familier, et il avait manifestement l’habitude de traiter de façon égale les Maîtres comme les Padawans.

Thann et lui finirent par se ranger dans la file de la cantine la plus longue, celle pour les physiologies humaines et proche-humaines, au bout de laquelle un Jedi cuisinier, épaulé par un droïde arachnéen, remplissait les plateaux. C’était un artisanat jedi admirable que la cuisine, selon Karm : méditer sur chaque ingrédient, comprendre la place de sa vie à travers la Force, son rôle dans la vie des autres et les liens qui tissaient le monde. L’aura de prestige était infiniment moindre que celle des artisans de l’Ordre qui travaillaient le marbre ou les joyaux, et pourtant…

— J’ai testé tes drôles de tubercules, déclara de but en blanc le cuisinier quand Karm se présenta devant lui.
— Alors ?
— Sucré. Plein de vitamines. Ça va faire une fureur auprès des gamins. On a mis ça en culture dans le potager.
— Cool.
— Si tu cherches Luke, il est déjà passé.
— Nan, j’ai une invitée. De marque.

Le regard du cuisinier se posa sur Thann et il se fit aussitôt très pensif. Quelque part dans l’esprit de l’homme, les données physiologiques se combinaient rapidement pour déterminer ce qui conviendrait le mieux à une Miraluka en pleine croissance. Il claqua plusieurs fois de la langue et le robot-araignée s’activa pour charger les plateaux de Thann et Karm.

— Tu gères, Rs’t’f. Merci.
— Tant que tu m’oublies pas dans tes explorations.

Karm répondit par un sourire puis il entraîna Thann à sa suite jusqu’à une petite table encore déserte. La grande salle se remplissait des discussions des Jedis, où les langues et les tons se mêlaient. Un grognement de Wookie résonnait parfois, d’autres fois, c’était un battement d’ailes, signe d’approbation, qui tranchait avec le murmure général. Karm espérait que Luke n’avait pas dû déjeuner seul. Et surtout, il espérait que Luke avait vraiment mangé quelque chose.

— J’ai regardé ton dossier.

Et encore une ouverture de but en blanc.

— T’as quand même de sacrés résultats dans pas mal de domaines. Genre petit génie. Mais le combat c’est pas trop ton truc, c’est ça ? Les appréciations étaient pas toujours super claires. Tu dirais quoi, toi ? C’est quoi tes disciplines préférées ? Celles que t’aimes vraiment pas ? Vas-y, parle franchement, on a tous nos marottes et nos repoussoirs.
Thann Sîdh
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Thann n’était pas du genre à refuser les invitations mais se retrouver à déjeuner seule avec un Chevalier Jedi, ce n’était plus arrivé depuis… depuis… La disparition de son mentor. Alors qu’elle avait acquiesçait avec un sourire, son humeur s’estompa un peu tandis qu’ils parcouraient les allées. Il ne faisait plus qu’un avec la Force. C’était ainsi que les préceptes du Temple le présentaient. Elle aurait aimé pouvoir le sentir, continuer, même de loin, à saisir son essence, individuelle, douce et harmonieuse, plutôt que de le voir disparaître ainsi. Elle n’avait pas pu lui dire adieu et pire, elle se souvenait à peine des derniers mots qu’il lui avait soufflés avant de partir une dernière fois sur le front.

Une légère mélancolie plana, un instant, sur le cœur de l’adolescente mais le battement vif des plumes dans le vent attira son attention. Elle admira les dizaines d’oiseaux qui s’étaient élancés, piaillant. Elle ne devait pas vivre dans le passé. Il n’y a pas de Passion, il y a la Sérénité. Il n’y a pas de Mort, il y a la Force.

Leur progression vers le self fut ralentie par les nombreux confrères qui interpellèrent le Chevalier Karm ; il était visiblement quelqu’un de très investi et ce dans de nombreuses affaires. Thann, ne sachant trop que faire, se contenta de sourire gentiment chaque fois que quelqu’un prenait la peine de la remarquer et de se concentrer sur le paysage le reste du temps. Lors d’une de ces interruptions, elle profita d’un instant où personne ne lui prêtait la moindre attention pour envoyer rapidement ce message à Seïid : « Ne m’attends pas pour manger, le Chevalier Karm veut déjeuner avec moi. Je te raconte ce soir ! Very Happy » avant de glisser de nouveau le datapad dans la sacoche dont il était sorti. Ils arrivèrent dans la file adéquate, attendirent encore en silence, le cuisinier échangea quelques mots avec le Chevalier, Thann sourit en recevant son plat ; la voilà qui déposait sa sacoche contre le pied de sa chaise et se juchait en tailleur sur celle-ci pour déjeuner – si elle ne coinçait pas ses jambes, elle savait pertinemment qu’elle n’aurait pas arrêté un instant de les balancer et aurait risqué de rencontrer celles de son aîné.


« – J’ai regardé ton dossier. T’as quand même de sacrés résultats dans pas mal de domaines. Genre petit génie. Mais le combat c’est pas trop ton truc, c’est ça ? Les appréciations étaient pas toujours super claires. Tu dirais quoi, toi ? C’est quoi tes disciplines préférées ? Celles que t’aimes vraiment pas ? Vas-y, parle franchement, on a tous nos marottes et nos repoussoirs. »

Thann se doutait que le jeune homme ne l’avait pas invité à partager son repas pour ne parler que de la pluie et du beau temps, mais la cascade de compliments la cueillit toute dépourvue et c’est avec des joues déformées par leur contenu qu’elle sourit timidement pour remercier leur auteur. Elle attendit de finir d’avaler – ce qui avait l’avantage premier de lui laisser le temps de réfléchir à sa réponse – but un peu d’eau et répondit, le plus honnêtement du monde.

« Je ne vais pas feindre la modestie mais je ne veux pas voir l’air orgueilleuse, c’est juste qu’il est vrai que les tests ont montré que j’avais des facilités dans l’apprentissage et surtout la mémorisation. J’ai appris plusieurs langues vivantes, le langage primaire droïde et j’ai commencé, il y a quelques mois de cela, à m’intéresser aux langues anciennes comme le Basic primitif – j’espère pouvoir comprendre les anciens dialectes Jedi et découvrir moi-même le texte, plutôt que ses traductions. J’adore inventé, planifier, concevoir. Je… Elle s’arrêta un instant et rougit un peu. Bon… Je n’en parle pas beaucoup et c’est peut-être idiot mis je dessine depuis longtemps maintenant des vêtements, suivant la tradition de notre Temple ou en m’inspirant de mode plus exotique. Depuis peu, je me suis mise aussi à concevoir des petits prototypes de choses, en essayant de comprendre le fonctionnement de nos boucliers notamment. Je suis fasciné par les plans, par la physique et je suis curieuse d’en découvrir davantage, même si ce n’est pas une branche que nous exploitons beaucoup dans notre formation initiale.

Après… J’aime beaucoup lire, autant par goût des langues que par goût de l’autre. J’aime bien découvrir ce que je n’aurais pas conçu seul, me confronter à la différence pour élargir ma propre pensée. J’aime beaucoup l’art en général, découvrir comment tel ou tel artiste aura su exprimer une idée, un sentiment à travers la matière. La musique, aussi. Mmmhh… Vous avez déjà entendu du post-rock nubian ? C’est incroyable, ils ont su retranscrire le bruit des machines et des vapeurs qui sont leur quotidien dans une mélodie et une rythmique dingue !


Elle se rendit compte qu’elle s’éloignait un peu du sujet et commençait à raconter davantage sa vie que sa formation. S’interrompit, éclaircit sa gorge, eut un sourire gêné avant de reprendre.

« Mes matières préférées ? … C’est difficile. Je suis curieuse de tout. En réalité, l’intérêt des autres est, chez moi, très vite communicatif. Si j’entends quelqu’un parler avec ferveur d’un caillou, j’accoure et m’enthousiasme autant que lui sur les caractéristiques minérales de son trésor. Maître Met’Aphor me compare sans arrêt aux papillons ; c’est ma qualité aussi bien que mon défaut. Je m’éparpille ! Heureusement, ma machinerie semble faite pour turbiner suffisamment vite pour tenir le rythme.

J’ai commencé à lire de la Philosophie également. Normalement, c’est réservé aux Padawans un peu plus âgé, vers seize ou dix sept ans, mais un ami m’a raconté les idées des Nihilistes Umbariens, un soir, et j’ai trouvé la chose incroyable. Après, j’y vais tranquillement, je regarde surtout des Holovid’ de vulgarisateurs, les textes sont souvent encore trop obscurs pour moi. Mais… Au moins ça m’aide un peu à mettre des mots sur mon propre sentiment, ma propre façon de percevoir le monde. Par exemple, le sujet de combat. Je suis loin d’être mauvaise au sabre. J’aime l’élégance du Makashi, l’énergie que dégage les pratiquants de l’Ataru, la simplicité du Shii-Cho et toute l’histoire qui transpire à travers cette forme. Mais… Pour parler tout à fait honnêtement, Chevalier Karm, … Je… Aaahh… C’est difficile de trouver les mots justes sans paraître prétentieuse ou… »


Elle s’interrompit, batailla un peu avec un morceau de brocolis qui n’avait rien demandé et reprit.

« Je ne peux pas faire de mal à un être vivant. Je ne veux pas, je ne peux pas. On ne peut pas faire le bien et tuer. On ne peut pas faire le bien et couper des morceaux de quelqu’un. Je n’arrive pas à le concevoir. Alors oui, je ne rends jamais les coups avec un sabre, j’esquive, je pare, je dévie, j’essouffle l’autre et le force à l’abandon ou au dialogue mais terrasser mes camarades, les mettre à terre et placer ma lame à deux centimètres d’un point vital pour marquer ma victoire en suggérant leur possible mort m’est déjà insupportable, alors tuer vraiment ? Elle reprit un peu son souffle mais les commissures de ses lèvres étaient ostensiblement travaillés par la tension qui l’habitait. Elle n’arrivait pas, en son for intérieur, à concilier le dogme Jedi et ce rôle martial. « Alors, oui, nous sommes en guerre et, oui, il faut protéger les plus faibles mais protéger doit-il signifier détruire les Sith ? J’ai… Bon, les mots ne sont pas de moi, c’est une vieille œuvre que j’aime beaucoup. Le héros, un peu jeune, dit à son guide qu’il aurait préféré voir mourir un des méchants de l’histoire et là-dessus, il lui rétorque : ‘Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort. Et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez-vous la leur rendre, Frodon ? – Frodon, c’est le nom du jeune homme – Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser la mort en jugement. Même les grands sages ne peuvent connaître toutes les fins.’ Et… Et… C’est si vrai, Chevalier. Je sens au fond de moi cette vérité. Mais les Maîtres… Quand j’essaye de le leur dire, il me regarde comme si j’étais une enfant de huit ans et qu’il me faut simplement mûrir pour découvrir que j’ai tort… »

Comme une plaie infectée depuis longtemps qu’on ouvrait enfin, tous les doutes de la Miraluka venaient de se répandre sur la table devant son aîné qui ne s’était peut-être pas attendu à cela. C’était d’ordinaire assez déroutant pour les interlocuteurs de Thann, ses facilités intellectuelles lui enrichissaient son vocabulaire, ses tournures, ses façons, et à la fois son comportement et ses humeurs étaient indubitablement ceux d’une adolescente. Après un court instant de silence, elle se réalisa que non seulement elle avait été trop loin dans sa remise en cause de ce qui lui était enseigné par des gens infiniment plus sages qu’elle mais aussi qu’elle l’avait non sans un certain énervement qui n’était pas l’apanage de l’Ordre.

« Pardonnez-moi, Chevalier, je n’aurais pas dû m’énerver ainsi, c’est puéril de ma part ; je ne suis personne pour remettre en cause ainsi mes ainés. »

Le contraste avec le début de la conversation était criard. Alors qu’elle s’était élancée gaiement dans le récit de son goût pour la vie, le sourire aux lèvres, son enthousiasme débordant jusque sur la table – puisque oui, dans sa joie de partager son goût pour la musique, elle avait mis un coup dans la table et avait fait bondir de l’eau hors de son verre – et soudainement, un rideau était tombé sur le visage de la jeune fille qui ne souriait plus, confuse, et ne savait plus comment se tenir autrement qu’un peu honteuse sous le regard du Chevalier. S’il avait été l’un de ses camarades plutôt qu’un aîné auquel le respect était dû, elle eût certainement, d’ailleurs, quitté la table pour aller s’isoler et le temps d’appréhender sa mauvaise humeur et de l’apaiser, seule.
Karm Torr
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Silence. Karm avait écouté la Padawan avec à peu près autant d’expressivité que s’il avait observé un caillou en train d’être un caillou. C’était probablement le trait de caractère le plus déroutant de l’Ark-Ni, une espèce de sang-froid qui s’exprimait tout autant dans la vie quotidienne que sur le champ de bataille. Les envolées lyriques de la jeune femme avaient été reçues avec le même visage égal que sa colère, comme si tout cela n’avait rien de surprenant, ni de répréhensible, ni non plus de particulièrement intéressant.

Karm avait peut-être raté sa vocation.
Il aurait dû faire fortune en bluffant dans les casinos.

— OK, finit-il par lâcher simplement, ce qui n’était pas beaucoup mieux.

Par bien des côtés, pourtant, Thann était un miroir qu’on lui tendait. Son opinion sur le sabre mis à part, elle lui ressemblait par bien des aspects : des facilités intellectuelles étonnantes, un goût pour la philosophie, une passion pour le bricolage et les langues étrangères. Bien sûr, c’était le cas de beaucoup de Chevaliers Jedis. L’entraînement intensif qu’ils recevaient depuis le plus jeune âge faisaient fleurir bien des esprits qui, dans des systèmes scolaires plus ordinaires, seraient demeurés sagement dans la moyenne. Il n’empêche. La curiosité de Karm était piquée au vif.

— En gros, selon toi, ta seule faiblesse, c’est d’être beaucoup trop sympa avec les gens pour vouloir les trucider.

Comme souvent, l’Ark-Ni n’y allait pas par quatre chemins. Mais il avait été saisi par le fait que la Padawan avait brossé un portrait presque exclusivement élogieux d’elle-même et que même ses problèmes au sabre avaient été noyés sous l’assurance de ses talents dans telle ou telle forme et de sa supériorité morale sur tout le reste de l’Ordre Jedi, quasi composé, à l’en croire, de meurtriers sanguinaires et dévoyés.

— C’est cool, enchaîna l’Ark-Ni, qui n’avait pas non plus l’intention de torturer la Padawane, j’comprends que tu sois enthousiaste et que t’aies envie de paraître sous ton meilleur jour devant un Chevalier que tu connais pas. J’aurais été pareil à ton âge, si j’avais pas été… euh… aussi, hm…

Comment décrire ça ?

— Asocial ?

Ou rustre ? Ou indépendant ?

— ‘Fin bref.

Karm poussa son assiette vide à côté de lui pour attraper un fruit.

— Tout le monde est assez quelqu’un pour remettre en cause n’importe qui.

Hésitation.
Clairement pas son meilleur aphorisme.

— J’veux dire que n’importe quel Padawan a le droit, et peut-être même le devoir, de remettre en cause ce qu’on lui apprend. D’abord, parce qu’aucun Maître Jedi ne devrait avoir l’orgueil de prétendre détenir une vérité universelle et si parfaitement évidente qu’elle devrait être toujours et immédiatement assimilée par tous. L’exigence d’humilité qu’on nous enseigne dès notre plus jeune âge, et qui est l’une de nos aventures les plus difficiles et les plus longues, pèse sur eux comme sur toi. Bien sûr, l’expérience, le savoir, la maturité créent des conditions favorables à l’élaboration d’avis susceptibles de faire largement consensus par leur cohérence, leur utilité et leur valeur morale, mais rien n’empêche à qui que ce soit d’employer sa liberté de jugement pour interroger ces avis.

C’était un principe ark-ni qui ne l’avait jamais quitté. Chez les siens, ceux qui avaient six ans discutaient sur un pied d’égalité avec ceux qui en avaient soixante. Les premiers remportaient moins souvent le consensus de la communauté du vaisseau, mais ils étaient écouté, et leur avis était examiné, par tous, jusqu’à ce que les assemblées finissent par déterminer quelle était la meilleure marche à suivre. D’ailleurs, le plus souvent, après les discussions, les Ark-Ni ne savaient plus précisément à qui appartenait l’idée qu’on finissait par appliquer.

— T’sais, les Chevaliers et les Maîtres ont des Padawans pas seulement pour éduquer les Padawans, mais pour que les Padawans puissent les éduquer eux. C’est évidemment d’autant plus difficile d’être humble et de se remettre en cause quand on sent qu’on a pour soi l’expérience et le savoir. On a besoin du regard des autres pour nous accompagner sur ce chemin. Ce serait la forme d’orgueil suprême que de croire qu’on peut être humble par soi-même. Si tu remets pas en cause les Maîtres, si tu poses pas des questions, si tu t’interroges pas sur la manière dont fonctionne l’Ordre, non seulement tu manques à tes devoirs à toi-même, parce que tu cours le risque d’assimiler moins profondément ce qu’on t’enseigne, faute de te l’être approprié, mais tu manques à tes devoirs aux autres, parce que tu les prives du regard par lequel ils se constituent.

Karm avait peut-être débuté par une critique à peine implicite du manque d’humilité de Thann, mais sa réponse était en soi un homme aux capacités intellectuelles de l’adolescente, parce qu’il ne lui épargnait aucune idée complexe : ni celle que la vérité n’était pas une idée extérieure mais le fruit d’un consensus, ni celle de la dialectique phénoménologique du sujet qui se constitue par le regard de l’autre. Et c’était un moment privilégié, parce que la plupart des Chevaliers qui avaient salué Karm au cours de leur chemin jusqu’au self n’auraient jamais soupçonné que l’Ark-Ni avait réfléchi de la sorte à ce genre de questions.

— Par contre, s’énerver, c’t’un autre problème. Mais est-ce qu’on peut demander à quelqu’un de ton âge d’être toujours placide ? Notre corps nous rappelle constamment au monde : il coupe les ailes à l’orgueil de notre esprit. Quand on croit pouvoir penser toute la nuit, on est fatigué et les idées s’embrouillent. Quand on croit pouvoir être toujours maître de soi, les hormones nous secouent. Moi, à ton âge, à chaque fois que je voyais une jolie fille ou un joli garçon passer, j’oubliais tous mes katas pour me focaliser sur leurs jolis yeux.

Ou leurs fesses.
D’accord, surtout les fesses.

— Y a des Jedis qui voient ça comme le signe d’une horrible imperfection, mais c’est un rappel de notre participation vitale à la Force. C’est un sujet de méditation. On arrête pas de s’énerver en s’empêchant d’être énervé, parce que le refoulement n’amène qu’à la frustration, on arrête de s’énerver en se comprenant soi-même. C’est comme ça qu’on transforme la colère en indignation, la lubricité en amour, la peur en prudence.

Cette seule conversation suffisait à planter le décor : Karm Torr n’était pas un chevalier orthodoxe. Entre sa manière d’aborder la question du corps, son opinion sur les relations hiérarchiques, sa perspective sur la place des sentiments, la facilité avec laquelle il évoquait le désir sexuel, y compris son désir sexuel, qui lui-même sortait déjà de la norme, il était loin d’incarner le marbre intellectualiste, dualiste et aristocratique qui semblait être le moule dans lequel on fabriquait beaucoup de ses confrères et de ses consœurs.

— Du coup… T’es pas énervée. T’es frustrée de pas comprendre pourquoi tout le monde a l’air d’un avis différent, et la frustration, bien gérée, c’est le premier pas vers une saine curiosité et un désir de saisir l’autre. Et t’es passionnée par ton sujet. Et t’es une ado. Bon. Et qu’est-ce que t’imagines faire, plus tard ? Sentinelle, Consulaire, Gardien ? Plus précis encore ? Ou les corps auxiliaires ?
Thann Sîdh
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Exprimé ainsi ses doutes avaient déjà placée la jeune Miraluka en position de faiblesse, se faire entendre dire combien elle était présomptueuse l’acheva. Aurait-elle dû mentir ? Devait-elle faire semblant de ne pas savoir qu’elle avait une prédisposition pour apprendre ? Avait-elle dit que cela la rendait meilleure que les autres ? Avait-elle établi la comparaison entre les autres et elle, méprisant les autres pour ce qu’ils ne savaient pas faire, s’était-elle concentrée uniquement sur elle si bien qu’elle avait ignoré tout ce qu’ils savaient faire et elle, non.

Elle avait cru pouvoir parler en toute honnêteté et voilà que son honnêteté lui était jeté à la figure comme un tort. Elle n’était pas orgueilleuse. Elle n’était pas orgueilleuse… L’était-elle ? Méchant brocolis, méchant ! Elle finit par l’avaler et le mastiquer longuement à la fois pour finir son assiette mais aussi pour s’obliger à reposer ses couverts et ne plus ainsi mettre en évidence son malaise. Elle qui avait été pleine d’assurance était à présent exsangue, livrée dans les plaines d’Iziz au festin des oiseaux du Doute ; le discours du Chevalier, qui se voulait pourtant rassurant, n’y changea pas grand-chose, d’autant que sous couvert de lui dire son droit à la liberté, il lui dictait à la fois ce qu’elle ressentait et, du même coup, la dépossédait de l’expression de son malaise en lui imposant un ressenti. Etait-ce réellement de la frustration ? La frustration ne devait-elle pas germé d’un espoir déçu ? D’un rapport insatisfait à la réalité ? L’adolescente était perdue et tout ce qu’elle sut répondre lorsqu’enfin le Chevalier lui rendit la parole, ce fut :


« Ce n’est pas une question d’égotisme. »

Lapidaire et absconse, elle comprit bien que cette réponse, un peu sèche, ne pouvait faire sens si elle ne se forçait pas à en dire davantage. Elle souffla et, soutenant son idée, elle fixa son aîné avec une certitude qui eût facilement pu être malinterprétée et jugée comme un air de défi.

« Ce n’est ni une question d’égo, ni une question de me vouloir trop ‘sympa’ pour tuer les gens. Je ne cherche pas à plaire, je ne veux pas plaire, je ne souhaite pas remporter un prix de popularité. Ce n’est pas une faiblesse, c’est une conviction. Je sens le vivant à ma façon et cette façon m’a intimement persuadé que donner la mort n’est pas la solution pour qui voudrait préserver l’équilibre et l’harmonie qui a jailli de la Force. Je sais que je suis jeune je sais que j’ai à apprendre, mais ne considérez pas comme un caprice ou une lubie d’enfant ce qui n’en est pas une. J’amènerais les belligérants à caler leur violence, à se construire dans la rencontre plutôt que dans la confrontation et l’éradication. Chacun en sortira plus grand ou rentrera chez lui sans mettre un terme au parcours de l’autre. »

En revenant ainsi si loin dans la conversation, il était évident que le reste du propos était largement passé à la trappe, que ce soit la question de la sexualité ou du sentiment qui en une autre occasion aurait fait bouillir de gêne l’adolescente qui ne savaient que trop ce dont le Chevalier parlait. Elle n’en montra cependant rien, soit par politesse, soit que l’entaille qu’elle avait au cœur lui avait fait oublier son savoir-vivre, et poursuivit :

« Les défauts qu’on se prête ne sont jamais tout à fait ceux que l’on se trouve. On dit de moi que je manque d’assurance, que je doute sitôt que quelqu’un se présente à moi chargé de certitude, que je suis trop naïve, que je ne sais pas dire non, que je suis brouillonne à force de m’éparpiller. Si je suis mauvaise nulle part, je ne brille dans rien de ce qui fait d’un Jedi un Jedi. Je suis trop volubile, trop honnête, et oui, on me dit orgueilleuse chaque fois, mais je ne suis pas d’accord. Pour être orgueilleux, il faudrait que je me sente supérieure ; comment puis-je être à la fois orgueilleuse et manquer d’assurance ? Comment pourrais-je être orgueilleuse et me sentir si nulle là, tout de suite ?

Et je veux rejoindre les Sentinelles, collaborer avec l’ExploCorps, aller là où personne n’est jamais allé mais sans oublier mon devoir, revenir partager ce que j’aurais appris, prêter main forte aussi bien aux Gardiens qu’aux Consulaires s’ils ont besoin de ce que je sais faire. Je ne veux pas m’enfermer, je veux sans cesse apprendre. Je comprends que pour une administration comme celle que nécessite le Temple, mettre chacun dans une petite case est utile, mais je ne veux pas me retrouver dans l’une de ces cases. Pour être plus précise encore, je veux être libre tout en servant du mieux que je peux les intérêts de chacun, être libre d’écouter la Force, de me laisser emporter dans un courant qui, la veille, m’aurait été inconnu, sans avoir à me dire ‘ceci n’est pas ma fonction, ceci n’est pas ce qu’on attend d’une Sentinelle’ ou je ne sais quoi… »


L’envie de se sauver en courant lui tenailler le ventre. L’expérience ne lui était absolument pas agréable et se sentir ainsi jaugée, jugée, dans une certaine mesure incomprise lui faisait de la peine. Au fond, elle avait toujours eu ce sentiment étrange d’être un genre de monstre, un truc en marge qui réfléchissait trop. Au fond, son principal défaut, c’était l’inquiétude, la peur de ne pas trouver sa place, non pas qu’elle eût été mauvaise, simplement ne jamais trouver quelqu’un pour la comprendre absolument.
Karm Torr
Karm Torr
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— Je vois.

Le nouveau discours de la jeune fille n’avait pas paru émouvoir le Chevalier outre mesure, et son aura, dans la Force, était demeurée imperturbable. Il avait continué à manger en observant la Miraluka se justifier, et même si, à sa manière, elle recommençait à se tirer des coups de blaster dans le pied, il n’avait eu aucun geste d’humeur.

L’essentiel de ce qu’il avait dit s’était heurté à un mur d’insécurité et les raisonnements qu’il lui avait proposés s’étaient perdus, quelque part dans l’incompréhension. Pas grave. Une leçon à tirer pour le pouvoir, se dit-il, sans savoir précisément à quel avenir il pensait, au fond. Un long silence avait fini par s’installer, tandis que Karm réfléchissait de la marche à suivre, les yeux perdus par la baie vitrée qui s’ouvrait sur la jungle d’Ondéron.

Ceux qui s’étaient installés en même temps qu’eux au self étaient en train de lever le camp et une nouvelle vague leur succédait, pour de nouvelles conversations. Karm observait les arbres au loin que la brise tropicale agitait. Quand il n’était pas retenu par des affaires au Temple et qu’une mission ne l’envoyait pas à l’extérieur, c’était là qu’il passait le plus clair de son temps, dans la nature sauvage, et souvent dangereuse.

— En vrai, personne rentre tellement dans des cases.

La voix de l’Ark-Ni s’était enfin élevée, tant bien que mal, dans le brouhaha de l’assemblée.

— Moi, j’suis un Gardien qui fait essentiellement un travail de recherche pour l’ExploCorps, et pendant des enquêtes comme un Sentinelle. Et parfois d’la politique. Luke est un Consulaire qui fait assez peu de diplomatie et plutôt des enquêtes. C’est pas l’armée républicaine, ici.

La conversation était devenue brutalement très factuelle, après avoir touché, sans succès selon Karm, à la philosophie.

— J’me passerais bien de la politique, cela dit.

Les souvenirs de ses auditions devant la sous-commission du Sénat en charge de l’élaboration d’une politique de relogement des populations déplacées par les conflits galactiques auraient encore pu lui donner des sueurs froides. Mais il avait appris à accepter que les responsabilités qui incombaient à quiconque gravissait petit à petit les échelons de la hiérarchie jedi ne permettaient pas toujours de se soustraire à des tâches que l’on jugeait désagréables.

— C’est plein d’calcium les brocolis. Si t’as fini, on y va, faudrait pas qu’on monopolise la table.

Et sur ces bonnes paroles, le Chevalier attrapa son plateau pour le déposer à l’entrée de la machine qui se chargeait du nettoyage. Il l’aimait bien, mais c’était probablement parce qu’il avait passé des heures, dans sa jeunesse, à la « réparer », au plus grand désespoir des mécaniciens assermentés de l’Ordre, que le sens pour le moins créatif — et chaotique — de la mécanique ark-ni n’avait jamais beaucoup enthousiasmé.

À l’extérieur du réfectoire, les mains dans les poches de sa tenue civile qui, comme à son habitude, n’avait pas grand-chose à voir avec les tuniques traditionnelles des Jedis — l’une des nombreuses habitudes de l’Ordre sur lesquelles il portait un regard critique —, il attendit Thann, avant de reprendre le chemin de l’ExploCorps et de la fameuse bibliothèque où, à l’heure qu’il était, Bil devait en être venu à bout de son forfait.

Cette fois-ci, Karm marchait à grandes enjambées — dans la mesure de ses capacités, l’Ark-Ni n’étant pas exactement un géant —, et son air pressé dissuada probablement les autres Jedis de l’aborder. Comme il était rarement au Temple, il se retrouvait constamment assailli lors de ses visites par les affaires qu’il n’avait pas le loisir, contrairement à beaucoup d’autres, de répartir tout au long de l’année.

La porte de la bibliothèque poussée, il gagna directement la réserve, où Bil achevait de s’excuser à la bibliothécaire, à côté d’un mur impeccablement propre.

— Karm.
— Onora.
— C’est vous qui donnez des passe-droits à ce petit garnement ?

Fidèle à lui-même, Bil entama une retraite en bon ordre en direction de Thann.

— Vois pas d’quoi vous voulez parler.
— Karm…
— Onora.
— La semaine dernière, c’était deux Auxiliaires qui se bécotaient dans la section sur les ceintures d’astéroïdes.
— Romantique, commenta l’Ark-Ni avec flegme.
— Karm Torr, n’essayez pas de faire le malin !

On lui agita un doigt osseux droit sous le nez.

— Nous ne pouvons pas faire preuve de laxisme.
— Le gamin a nettoyé tout ce qu’il avait à nettoyer, il ira s’excuser à Saï Don, vous voulez quoi, que je le suspende par les chevilles dans la cave ?

La bibliothécaire poussa un soupir théâtral avec de tourner le dos au Chevalier, et aux Padawans par la même occasion, en se lamentant sur l’inconséquence de la jeunesse. Elle quitta la réserve, pour s’en retourner à ses holodisks et ses bases de données, infiniment plus dociles que les êtres vivants qui s’obstinaient à troubler l’ordre immuable de son petit domaine inanimé.

— Bon, les terreurs, j’ai des étagères à monter. Bil, file déjeuner, je m’en voudrais de t’affamer.
Thann Sîdh
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Le Chevalier Karm n’était décidément pas tailler dans la même pierre que les autres Maîtres et Thann avait bien du mal à le saisir. Son laconisme la déstabilisait d’autant plus qu’elle ne savait qu’en conclure. Habituée au contact humain, au cocon si familial de la formation, elle avait là, soudainement, l’impression de s’adresser à un mur ou un genre de droïde qui, l’ayant déjà tout à fait détricotée en éléments simples, estimaient n’avoir plus rien à tirer d’elle d’intéressant, si tant est qu’il y eût quelque chose d’intéressant dedans. Et à la fois, ne répondait-il pas simplement à sa puérilité par un mutisme et une sévérité toute adulte ? Elle qui espérait avoir des merveilles à raconter à sa camarade de chambrée ce soir, elle se voyait déjà lui raconter sa déconfiture et ses déceptions.

Elle écouta sans broncher la remise en cause de son aîné et acquiesça en silence ; que pouvait-elle faire d’autre ? Lorsqu’il lui suggéra le départ, elle n’y fit pas barrage et alla déposer son plateau juste derrière lui avant de le suivre. Son pas l’obligea à accélérer un peu sans lui demander de courir non plus. Le chemin qu’ils avaient eu temps de mal à parcourir la première fois fut réalisé avec une simplicité surprenante ; personne n’osant interpeller le Chevalier qui se montrait ostensiblement occupé. Tout juste remarqua-t-elle certains de ses camarades arrivant seulement aux selfs et leur fit-elle discrètement signe de la main.

Aux couloirs succédèrent les allées de la bibliothèque du département de l’ExploCorps. Bil, bien inquiet face à la terrible bibliothécaire, s’empressa de battre en repli derrière Thann qui se contenta d’un petit sourire et d’un ‘c’est bien’ lorsqu’il lui annonça, à demi-mots, qu’il avait terminé de nettoyer. La vieille bibliothécaire, qui avait attrapé Bil alors qu’il venait tout juste de terminer de réparer son méfait, s’en prit assez sèchement à Karm. Si elle avait du mal à concilier son idée et certains discours des maîtres, il lui apparut évident que ces deux-là n’avaient pas non plus tout à fait la même conception de l’éducation des plus jeunes. Romantique ? C’était bien la première fois qu’elle entendait cela dans la bouche d’un de ses aînés. Certes la dernière réplique du Chevalier ne fut pas cinglante sur le ton, mais sur son fond, elle témoignait d’une radicale divergence d’opinion entre lui et cette dame Onora. Peut-être avait-il mieux entendu ses doutes que ce qu’elle avait cru d’abord ?


« Bon, les terreurs, j’ai des étagères à monter. Bil, file déjeuner, je m’en voudrais de t’affamer. Bil s’en fut sans demander son reste, et Thann se contenta de demander :

« Avez-vous encore besoin de moi, Chevalier Karm ? Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si vous avez à faire ; j'ai déjà bien assez abusée de votre patience. Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. »

Qu’importe à quel test elle avait été soumise, elle était d’ores-et-déjà persuadée d’avoir échouer à celui-ci et d’avoir définitivement perdu l’intérêt de son aîné à force de jérémiades et de vaines élucubrations. Elle attendit, sans bouger, ayant l’air de ‘fixer’ le Chevalier du regard mais n’osant se focaliser sur lui, préférant se concentrer sur la fuite du plafond qui goutait tranquillement et lui évitait d’affronter l’humiliation de son renvoi dans ses quartiers de plein fouet.
Karm Torr
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— Ah parce que tu crois t’en tirer à si bon compte ? T’es fichue, Thann, j’t’ai mis le grappin dessus, maintenant, t’es bonne pour retaper tout le Temple avec moi jusqu’au bout de la nuit. Pas d’chance. Tiens, déballe les étagères, s’il te plaît, j’vais chercher le reste des outils dans le local technique.

Et voilà que la jeune fille s’était faite enrôler encore une fois pour épauler le Chevalier, qui n’avait probablement pas besoin d’aide, puisqu’il avait prévu, au début, de monter ces étagères tout seul. La journée de loisir de Thann prenait en tout cas une allure bien industrieuse, alors que Karm disparaissait au détour d’une allée pour pousser à nouveau la porte réservée au personnel.

Il avait échoué à converser avec la demoiselle, mais ce qu’il avait dit à Bil valait autant pour lui-même que pour le jeune Xexto. Quand on y arrivait pas, on recommençait, avec patience et zèle, mais sans espérance démesurée toutefois. Il avait méjugé du tempérament de Thann, peut-être, ou de ses dispositions du jour, mais peu importait : ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’atteindre la Padawane et de lier avec elle.

Après avoir farfouillé dans les caisses du local technique, il refit son apparition dans la bibliothèque et rejoignit la Miraluka dans la réserve, où il l’avait laissée en tête-à-tête avec une pile de cartons volumineux, qui renfermaient les planches de bois et les pièces de métal nécessaires à la construction somme toute assez simple qui les attendait. On aurait probablement pu confier la tâche à n’importe quel droïde, d’ailleurs, mais Karm était persuadé que les petits travaux manuels les plus simples avaient le don de ramener les Jedis à une réalité immédiate et quotidienne, au travail manuel des gens du commun, et à couper l’herbe sous le pied des délires de grandeur.

Alors il bricolait, il jardinait, il réparait, il assemblait, il balayait, il nettoyait. Il y avait une spiritualité du travail comme il y avait une spiritualité du silence et, en cela au moins, il ressemblait à beaucoup d’autres Jedis, Chevaliers et Maîtres, qui, au sein de l’Ordre, accordaient une valeur importante à l’ascèse des tâches simples.

Il tendit une ceinture à outils à Thann.

— Tiens, te voilà Miss La Débrouille officielle de l’ExploCorps.

Et puis il fixa un niveau magnétique au mur. Des rayons lasers très fins et inoffensifs sortirent de l’appareil pour dessiner la ligne que devaient suivre les étagères, afin d’être bien parallèles au sol, et bien perpendiculaires au mur.

— OK, déclara Karm après avoir déplié et installé l’escabeau, pour grimper dessus. Tu m’passes les planches et je les fixe, on part du haut et on descend. C’est assez lourd alors va falloir s’aider un peu de télékinésie.

C’était peut-être un entraînement…

— Et même, j’suis tenté de dire que c’est un peu trop lourd pour que tu les soulèves seule par télékinésie, alors va falloir collaborer à travers la Force.

… ça ressemblait même suspicieusement à un entraînement !

— Au début, c’est toi qui manipules, alors c’est toi qui dois guider, et après, c’est moi qui récupère, du coup, c’est moi qui dois guider. C’est comme si on partageait de la Force entre nous, et sur une mesure tu mènes la danse, et sur la mesure suivante, c’est moi. Mais oublie pas tes muscles. C’est vachement plus facile de bouger des trucs par la Force, si on commence à les bouger par les muscles.

Une métaphore qui n’était pas tout à fait innocente, parce que la manière dont Karm se représentait intuitivement la Force, pour s’aider à la conceptualiser et à la manier, n’avait rien de spatial ou de visuel. Pour lui, la Force n’était pas une main invisible qui prenait ou bien un pilier qui soulevait : c’était une musique, une symphonie. Dès sa naissance, il avait été bercé par les mélodies ark-ni. La musique jouait un rôle essentiel dans sa société et, jusqu’à ce jour, il conservait comme caché sous son lit, un instrument qu’il avait fabriqué lui-même et dont il jouait dans la solitude. Seul Luke avait jamais eu le droit à un aperçu de ses talents en la matière, lors de rares chansons a cappella.

Sa présence dans la Force était devenue plus active, plus vibrante, alors qu’il se préparait à employer ses pouvoirs. C’était comme le battement régulier d’un rythme qui n’attendait qu’une mélodie. La télékinésie était l’un des pouvoirs de Force les plus faciles à comprendre, parce que ses effets étaient directs et somme toute assez simples, mais les plus difficiles à manier, parce qu’il devait constamment s’adapter à des objets différents, et qu’il exigeait tout à la fois de la puissance et de la finesse. Karm avait passé des heures de son enfance, dans une clairière, face à des cailloux, à affiner sa technique.

La planche à côté de Thann se mit à frémir.
Thann Sîdh
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Persuadée que tout espoir était perdu, Thann accueillit le retournement soudain de la situation d’abord avec une stupeur, puis avec un sourire radieux qui en disait long sur l’amour qu’elle avait pour les journées pleines de tournevis soniques, de pièces à mettre dans des trous et de boulons à serrer. Sa joie était d’autant plus sincère qu’elle n’avait souvent que l’occasion de concevoir, sans jamais trouver quelqu’un pour lui apprendre à faire. Elle voulait se servir de ses mains pour créer et commencer par de simples étagères lui apparut comme un excellent début. Le Chevalier s’évanouit dans le local et aussitôt l’adolescente s’affaira à découvrir le contenu de chacune des boîtes.

« Bouteboute, tu veux bien m’aider ? Leurs plans ne sont pas en relief, traduit moi ça dans une forme que je puisse lire, tu veux ? »

La petite sphère s’exécuta docilement, scanna chacune des pages et les projeta en faisceaux énergétiques de faibles intensités.

« Voilà qui est bien plus lisible. Bon, on va commencer par faire des tas et regrouper toutes les pièces semblables, d’accord ? »

Bien sûr, la question était pour la forme, le petit droïde flottant n’était absolument pas conçu pour ce genre de manœuvre mais elle aimait dire qu’ils faisaient les choses ensemble même quand son rôle consistait à simplement flotter dans les parages. C’était avec des étais plein les bras qu’elle sentit revenir son aîné, consciente de ce qu’il lui apportait bien avant qu’il ne lui présentât : une vraie ceinture à outils ! Alors bien sûr, il n’y avait pas de quoi réparer un hyperdrive dernier cri, mais elle ne put s’empêcher de le recevoir avec gaieté et fierté. Lorsqu’elle eût clipé la ceinture à sa taille et sentit lourdement peser les outils sur ses hanches, elle s’empressa de se saisir du tournevis sonique, de l’activer et de rire avant de se souvenir qu’elle n’était pas seul.

« Au début, c’est toi qui manipules, alors c’est toi qui dois guider, et après, c’est moi qui récupère, du coup, c’est moi qui dois guider. C’est comme si on partageait de la Force entre nous, et sur une mesure tu mènes la danse, et sur la mesure suivante, c’est moi. Mais oublie pas tes muscles. C’est vachement plus facile de bouger des trucs par la Force, si on commence à les bouger par les muscles. »

Thann ne précisa pas qu’elle avait essayé en vain de soulever seule et en vain, à la force de ses petits bras, l’une des planches les plus massives et se contenta d’acquiescer aux directives données par son aîné. Elle admira, sans le fixer du regard, les effluves qui jaillirent de son aura lorsque celui-ci commença à se lier plus profondément à la Force et à étendre sa Volonté. C’était un spectacle qui toujours la ravissait et qui renforçait, par sa douceur et son harmonieux déploiement, le charme du jeune homme ; la Padawan détourna d’autant plus son regard qu’elle sentait une chaleur lui monter aux joues. Elle se râcla la gorge, il s’agissait d’y aller doucement, de se concentrer, de faire confiance.

« Je vais commencer par la prudence et manipuler d’abord les planches les plus élevées, je garde les étagères les plus lourdes pour la fin, si vous le voulez bien. »

Comme il n’objectait pas et que la planche bien plus lourde, initialement choisie par le Chevalier, cessait de vibrer, elle considéra qu’il était d’accord et entreprit, à son tour, de déployer sa Volonté. Pour elle, qui percevait très littéralement la Force et ses mouvements, l’ensemble ressemblait bien davantage à un étrange mélange entre l’eau, la fumée et la brume. Parfois, la Force prenait la forme de longs doigts, comme des volutes de gaz carbonique qui se répandent sur le sol. Parfois, c’était plutôt un brouillard, informe et diffus et parfois, c’était un torrent qui cascadait ou une rivière qui serpentait.

La première planche qu’elle saisit, elle eût pu la prendre d’une main, certainement, si bien qu’un spectateur taquin eût pu souligner la vacuité de l’entreprise ‘pourquoi faire avec la Force ce que tu peux faire d’une main et plus vite ?’ mais, fort heureusement pour elle, il n’y avait pas de spectateur taquin. La planche se souleva gracieusement, doucement, elle n’était plus une novice, et se stabilisa à mi-hauteur de l’escabeau, là où elle percevait nettement la présence du Chevalier. Elle stabilisa l’objet, il s’en saisit à son tour, et la première planche trouva ses étais.

Bientôt, il ne resta plus de choses légères et l’entreprise se compliqua. Suivant ses conseils, Thann commença par soulever l’un des bords de la planche puis étendit sa Volonté pour soutenir l’autre et soulager son corps. La planche s’éleva, bien qu’elle eût conscience que l’opération était un succès du fait de la collaboration active de son aîné, c’était un sacré morceau de métal ! Avec une infinie précaution et un commentaire de chacune de ses actions pour indiquer à son chef technicien ce qu’elle faisait afin qu’il s’adaptât, elle éleva la planche jusqu’à ce qu’elle fut définitivement plus haut que ses bras.


« C’est à vous, plus haut, je risque de lâcher prise et de finir aplatie par la planche. »

La planche, qui avait fini par frémir sous la tension de la jeune fille pour la garder si haut, se stabilisa tandis que le Chevalier assurer à son tour son emprise sur elle et la Padawane n’eut plus qu’à aider à la stabilisation et s’assurer que le tout fut bien droit, suivant le trait du laser.

Ce qu’il y avait d’utile à être une Miraluka dans ce genre de situation, c’est qu’elle n’était pas limitée à son champ visuel. Elle percevait la planche d’un bloc, le faisceau laser, le mur, elle n’avait pas besoin de tourner la tête pour vérifier à droite pour mieux se rendre compte qu’à gauche la planche avait bougé, elle n’avait pas besoin d’être en face et n’était pas trompé par les jeux d’optiques de la distance si bien qu’elle fut plutôt bonne pour câler au millième chaque planche sur l’horizontale indiqué par le Chevalier Karm. Elle se sentit si à l’aise qu’elle fit même signe, alors qu’une autre planche changer de main, à Bouteboute de prendre une petite holo’, histoire de la montrer ce soir à Seïid.


« Pourquoi ne fait-on jamais ce genre d'exercice durant notre formation ? »

Originellement, elle pensait garder cette question dans sa tête mais visiblement, elle la taraudait si fort qu’elle avait décidé de franchir sans son autorisation la barrière de sa bouche. Contre toute attente, c’était l’une des meilleures après-midi de repos que Thann passait depuis un moment maintenant et les doutes du repas semblaient s’être sublimé au contact de l’intérêt ardent qu’elle portait à l’utilisation de tous ces outils et à toute cet art de la bricole.
Karm Torr
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Le laconisme de Karm avait encore frappé. Alors qu’ils maniaient à deux — à trois, plutôt, puisque Bouteboute était tout de même celui qui, dans toute cette histoire, fournissait l’essentiel du travail — les planches, les étais, les outils, les lasers, le Chevalier était demeuré d’un mutisme entier, alors même que sa présence dans la Force enveloppait les objets et répondait aux intentions de Thann. Pour lui, tout cela était une activité méditative, et même peut-être une expérience plus profonde et plus enrichissante que les séances en lotus dans le parc du Temple.

Les planches étaient soigneusement vissées, boulonnées, ajustées, alors que, petit à petit, Thann et lui se retrouvaient mieux dans la Force et que les mouvements de leurs pensées se répondaient plus exactement. L’exercice était simple, somme toute, et ils avaient tout le temps et tout le calme qu’ils voulaient pour l’accomplir, mais c’était tout de même une prouesse. Ils étaient encore loin de l’osmose que Luke et Karm étaient capables de créer entre eux, à force de missions en commun, à force d’exercices, à force d’amour, aussi. Mais c’était un début prometteur, et un guide plus sûr, pour Karm, que n’importe quelle entreprise de rationalisation des compétences et des faiblesses de Thann, de ses propres aptitudes et lacunes, et de leurs tempéraments respectifs.

La question de Thann intervint alors qu’il appliquait un dernier coup de tournevis. Très sérieusement, il déclara :

— Parce qu’on a pas assez d’étagères à monter ?

Silence.

— Pardon, reprit Karm, en descendant de l’escabeau pour le replier, humour ark-ni.

D’un geste de tête, il désigna le tas de carton.

— Je range l’escabeau et les outils et on descend au recyclage. Je reviens.

Après avoir récupéré la ceinture de Thann — les meilleures choses ont une fin — il disparut encore quelques minutes, avant de refaire son apparition, pour plier les emballages des étagères et les fourrer dans les deux grands sacs qu’il avait ramenés avec lui.

— C’est des exercices que les maîtres font avec leurs Padawans, principalement. ‘Fin, pas tous les maîtres, je suppose. Chacun a sa perspective bien différente sur la question. C’est parti.

Pas une seule seconde il ne parut s’inquiéter que le sac soit peut-être trop lourd pour Thann. L’apprentissage était une difficulté, que l’on apprenait à surmonter, et dans une certaine mesure une douleur. L’effort physique était une manière de connaître son corps, à ses yeux, et connaître son corps, c’était la voix de la connaissance de soi-même. La mystique de Karm était fondamentalement une version très personnelle de sensualisme. Selon lui, les muscles pensaient. À leur manière.

— Après, j’suis d’accord qu’il y aurait pas mal de choses à réformer dans la formation des Padawans. J’ai pas mal d’idées sur la question.

Manifestement, Karm n’était pas hostile aux pauses aussi souvent qu’il serait nécessaire pour que Thann puisse acheminer son sac à elle jusqu’aux sous-sols du Temple — il n’avait pas l’intention de prendre l’ascenseur —, là où se trouve la machine à compression, qui préparait les gros cartons au compostage.

— Mon grand projet de vie, pour les années à venir, c’est de devenir Maître pour pouvoir siéger au Conseil de Réaffectation et mener quelques réformes. Sur le rapport des Padawans aux Corps auxiliaires de services, sur les formations pratiques, ce genre de choses. Mais ça me prendra probablement des années, si tant est que ça arrive un jour.

Les escaliers.
Marche après marche.

— ‘fin bref. J’pense que le bricolage et les exercices physiques constructifs… Instrumentaux, si l’on pourrait dire, ceux où le corps est pas entraîné pour l’entraînement même, mais pour servir à quelque chose, et donc remplir une fonction sociale, c’est des choses essentielles. Et si on leur redonnait plus de valeur dans la formation initiale, les Padawans seraient pas aussi paniqués de « finir dans les Corps auxiliaires », comme on dit, parce qu’ils verraient plus facilement que la Voie du Jedi se continue là aussi.

Bon an mal an, ils étaient arrivés dans les sous-sols du Temple, où ronronnait la rumeur des machines qui assuraient le bon fonctionnement de toute la petite communauté, de la blanchisserie aux purificateurs d’air en passant par les différents éléments du dispositif de recyclage. Quelques mètres plus loin, ils étaient enfin arrivés au pied du compresseur.

— J’sais pas si t’as déjà fait un tour avec l’AgriCorps, mais j’pense que ça te plairait. D’abord, c’est très, très axé Force Vivante, et ensuite, y a des tonnes de machines à réparer, à bidouiller, à arranger. Pas mal de voyages à la clé, aussi, parce que le but, c’est quand même de développer des systèmes agricoles sur des planètes assez éloignées. Et quasi jamais de confrontation armée. Ça me plairait bien que plus de Chevaliers s’y intéressent de près.
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Un instant, l’humour du Chevalier n’apparut pas à la pensée de son assistante, puis, le silence accueillit son rire.

« Je crois pouvoir déjà affirmer que j’aime bien l’humour ark-ni, Chevalier. »

Bien qu’elle ne connut rien de ce qu’était les Ark-nis. Une race étrangère ? Il existait tant de choses dans cette galaxie, fallait-il s’étonnait qu’une petite, même précoce, n’en connut qu’une quantité infinitésimale ? Elle rendit sa ceinture avec un petit pincement, elle ne lui avait pas pesé suffisamment longtemps sur ses hanches à son goût. Tandis qu’elle écoutait son aîné, elle l’imita en tout, plia les cartons, les tassa tant bien que mal dans le sac qui lui avait été assigné et, surtout, se retint de tirer du ‘c’est des exercices que les maîtres font avec leurs Padawans’, des conclusions hâtives, malgré le bond que fit son cœur dans sa poitrine.

Lorsqu’il fallut charger le sac sur son épaule pour partir en direction de la zone de traitement des déchets, Thann accusa un peu le coup mais fit face bravement et tenta de suivre le rythme que lui imposait le Chevalier ; il lui fallait s’endurcir, elle le savait. Elle écoutait, entre deux respirations un peu pénibles, les idées qu’il lui exposait. Son esprit semblait fleurir d’idées et la curiosité de la Padawane allait croissante, quand bien même elle titubait dans les dernières marchent et qu’il lui fallut l’aide du Jedi pour charger le sac dans le recycleur. Elle était à bout de souffle, en nage, ses cheveux de bronze collait à son front trempé et même le bandeau qui lui cerclait la tête afin que le voile tînt devant ses yeux morts était gorgé de sa sueur ; pourtant, son sourire était rayonnant.


« L’AgriCorps ? J’aime l’idée d’aider les résidents à vivre là où ce n’est pas facile. J’aimerais comprendre les technologies des boucliers comme personne pour leur offrir une barrière face aux attaques et aux catastrophes venues du ciel. Je trouve qu’il y a quelque chose de stimulant à se pencher sur ces milliers de problèmes concrets qu’ils rencontrent, et chercher toujours la meilleure façon de le régler tout en leur permettant de se passer de notre présence. Mais… Sans Maître pour terminer ma formation, je ne pourrais pas rejoindre leurs rangs en tant que Jedi et… et ça me chagrinerait. Je sais qu’il n’y a pas qu’une façon de se réaliser, mais je veux vraiment faire mes preuves. Si je deviens Chevalier, je pourrai m’y intéresser de plus près ! »

Au fil de sa discussion, elle était parvenu à retrouver son souffle mais guère d’allure. Si son entrain lui donnait quelque chose de rayonnant, sa poisse en disait long sur les rêves d’enfant qu’elle avait encore. Mais soit ! Elle pensait aussi que l’espoir était un moteur plus sympathique que la haine, la peur ou l’ambition…

« L’après-midi n’est qu’à peine entamée, y a-t-il d’autres choses qui auraient besoin de notre attention, Chevalier Karm ? Et en même temps, vous pourriez me dire qu’est-ce que c’est que les Ark-Ni ? Je n’en connaissais pas l’humour et, à vrai dire, je n’en connaissais même pas le nom jusqu’à ce que vous l’utilisiez. »
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— La Force te guidera là où elle doit te guider, assura Karm, en pensant pour lui-même que la Force avait par exemple guidé la jeune fille sur son chemin, à lui.

Mais c’était un peu irrationnel, n’est-ce pas ?

Des Chevaliers sans Padawan, Thann devait en croiser cinq ou six par jour. Ce n’était pas une raison suffisante. Mais Karm avait sa propre vision des choses. Il était mystique et, en bon mystique, il savait laisser la raison de côté pour se concentrer sur l’appel de la foi, sur la certitude qui naissait même quand tout le reste pouvait la contredire. Et plus le temps passait, plus il sentait en lui-même où se trouvait son devoir. Son propre chemin.

— Bon, écoute, j’veux pas te vexer, hein, mais je crois que la prochaine étape, c’est la douche. Viens, j’te raccompagne à tes quartiers.

Ils délaissèrent le compacteur pour sortir du local technique et reprendre les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée.

— Les Ark-Ni, c’est mon… euh… Peuple. Ma société ? Ma civilisation ? C’t’un peu compliqué, en fait.

Il réfléchit un instant avant de concéder :

— Oui, en fait, non, pas tant que ça. C’est une nation itinérante, des gens du voyage. Relativement fermée, depuis très longtemps. Quasi aucune exogamie.

La vie au sein de l’ExploCorps, à y fréquenter les ethnographes, lui avait donné une perspective différente sur son propre peuple, dont il était désormais capable de conceptualiser les particularités. C’était une expérience un peu déstabilisante mais, après tout, il avait passé la plus grande partie de sa vie loin des Ark-Ni, et ce monde qu’il décrivait n’était pas tout à fait le sien.

— Du coup, y a une espèce de flou quant à savoir si on est humains ou proche-humains. La République nous considère comme des humains, malgré nos particularités physiques. Les Ark-Ni se considèrent comme… Des Ark-Ni, comme une espèce à part. Difficile de juger. Notre apparence physique est quand même assez spécifique. Développement musculaire moindre, yeux différents, qui réfléchissent la lumière beaucoup plus que ceux des humains, dimorphisme sexuel moins marqué, très faible variété de l’apparence. On a tous la même couleur de cheveux, et, je suppose, vu de l’extérieur, à peu près tous la même tête. Le vieillissement est aussi spécifique. Du coup, bon…

Lui-même n’avait pas tout à fait d’avis sur la question. D’abord, il n’était pas spécialisé dans les disciplines scientifiques qui auraient permis de bien trancher le débat. Ensuite, il doutait que qui que ce soit ait jamais eu accès à un échantillon statistiquement représentatif. Enfin, son expérience personnelle le faisait hésiter. Quand il regardait les (autres ?) humains, il se trouvait objectivement très différent d’eux. Mais, d’un autre côté, il était aussi différent des Ark-Ni, par exemple moins pâle et nettement plus musclé, ce qui suggérait que certaines de leurs particularités physiques étaient plutôt environnementales que véritablement génétiques.

— Bref. Donc. Des gens plus ou moins humains, qui vivent sur des vaisseaux, qu’on appelle… La Flotte, disons. Et deux ou trois stations spatiales. Les vaisseaux se déplacent constamment, dans la Bordure, de l’autre côté de la frontière républicaine. Pas une nation républicaine. La plupart des Ark-Ni naissent, vivent et meurent sans avoir jamais posé le début d’un orteil sur une lune, une planète, ou parfois même une station.

La société, comme tu peux l’imaginer, a des caractéristiques particulières. L’isolement joue beaucoup à la différencier de manière assez radicale de ce qui s’observe dans une République quand même assez largement multiculturelle et galactisée, où la culture, les habitudes, tout ça, ça circule. Ce sera long de te faire un inventaire complet, mais pour te donner une idée…


Ils arpentaient désormais les couloirs du Temple.

— … ça inclut un rapport différent à l’âge de raison, à la majorité, à la différence entre les sexes, l’absence de vraie notion de genre, l’absence de notion d’exclusivité sexuelle, une forte insistance sur le délibératif, etc. En gros, je dirais que la société a déployé beaucoup de mesures pour assurer la cohabitation pacifique d’individus dans un espace restreint et problématique, et permettre leur coopération. Et parmi ça, y a le langage. La langue ark-ni est pour une bonne part silencieuse. Enfin…

Difficile d’expliquer cela à quelqu’un d’extérieur. Il tentait de l’apprendre à Luke, mais c’était un exercice considérablement compliqué par la cécité de son compagnon. Les progrès n’étaient pas exactement fulgurants, notamment parce que Karm peinait à rendre compte de sa langue maternelle.

— Les phrases sont souvent laissées en suspens, pour éviter d’imposer son avis et laisser d’la place au consensus, on parle pas fort, comme t’as remarqué, pour éviter que les autres se sentent agressés, y a énormément de communication gestuelle, à la base développée pour les réparations dans le vide, sur la coque des vaisseaux, ou pendant le minage des astéroïdes, au cas où les comlinks lâchent, et puis ensuite intégrée à la vie de tous les jours. Et parmi tout ça, y a l’humour. Chez nous, ça s’appelle littéralement l’humour d’astéroïde, parce que c’est froid et impassible, comme un rocher dans l’espace. Pince-sans-rire, si tu préfères.

Ils avaient atteint les quartiers des Padawans et s’étaient arrêtés devant la porte de la chambre de Thann.

— Et… J’en ai parlé un peu aux ethnographes de l’ExploCorps. Selon eux, c’est un moyen de dédramatiser les situations problématiques, nées du manque d’espace personnel intime sur les vaisseaux et des dangers inhérents à une vie de navigation spatiale. Une mise à distance, quelque chose pour désamorcer les conflits. Rabaisser les égos, aussi, pour éviter que quelqu’un prenne trop d’ascendant dans une société, qui est assez radicalement fondé sur l’égalitarisme anarchique. ‘Fin bref. Un long exposé pour dire qu’il faut pas s’étonner si je fais des blagues à contre-courant, c’est dans ma culture.

Une culture qui, telle qu’il l’avait décrite, n’avait pas dû faciliter l’intégration à la vie républicaine, ni même à l’Ordre Jedi. Les mains dans les poches, Karm adressa un sourire à Thann.

— Bon, t’es chez toi. Va donc te décrasser et raconter à tout le monde combien t’as été honteusement exploitée par un Chevalier.
Thann Sîdh
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« La Force te guidera là où elle doit te guider. »

C’était une certitude qu’elle avait aussi. C’était un principe que son intellectualisme n’avait jamais entamé, elle pouvait aimer passionnément logique et science elle n’adorait que la Force et croyait profondément à l’Harmonie qu’elle semblait viser. Bien sûr, l’ampleur était telle que le grand schème de la Force la dépassait totalement mais qu’importe ? Elle était dans le courant, il suffisait de s’y laisser flotter.

Quant aux remarques sur son hygiène à présent plus que douteuse, elle ne put que s’y ranger et accepta avec chaleur l’offre du Chevalier de la raccompagner. Elle écouta avec attention le récit qu’il lui fit sur sa culture d’origine et aussitôt, une curiosité dévorante enflamma l’esprit de la petite rousse qui tenta de cataloguer, au fur et à mesure qu’elle se précipitait aux bords de ses lèvres, les questions que faisaient surgir le récit. Un langage basé aussi bien sur la parole que les signes ? Un humour singulier ? Un mode de vie entièrement nomade ? Mais… Les vaisseaux devaient, pour certains, être aussi vieux, voir plus vieux que leurs habitants ! Et… Sérieusement, il n’était pas juste humain ? Son propre manque d’observation la consterna. Les humains sont pourtant tous si semblables… Comment aurait-elle pu devenir, elle qui ne voyait pas les couleurs, ni les jeux de lumière dans les yeux des autres, qu’il n’était pas parfaitement humain ?

C’était dingue ! Et faire des sortis spatiales… Marcher à la surface d’un vaisseau en vol ! Pour Thann, nous touchions là à l’ineffable. La brève esquisse de son peuple qu’il venait de réaliser l’avait tant captivé qu’elle fut surprise de s’arrêter et de constater qu’effectivement, elle se trouvait devant sa chambre. La sueur, sur son front, avait fini de coller ses mèches en séchant et le dos de sa bure, encore imbibé d’eau, la frigorifia lorsqu’un léger courant d’air lui caressa les omoplates. Il était évident qu’une douche lui était nécessaire, ainsi qu’un changement urgent de tenue et à la fois, elle ne pouvait s’empêcher d’être déçue que la journée s’acheva si vite. Avec timidité et hésitation, elle finit tout de même par poser la question la plus pressante :


« Dites, vous allez encore m’exploiter, Chevalier Karm ? Si c’est ça, être exploitée, je veux bien que vous le fassiez plus souvent. Et puis… J’aimerais beaucoup que vous m’appreniez la langue de votre peuple. Je suis désolée, je n’avais pas perçu votre singularité, je vous pensais humain. Il faut dire que je trouve que votre différence ne saute pas tant aux yeux. »

Terminant sur le même ton qu’il avait employé lorsque lui-même avait tenté un trait d’humour, elle espérant par-là lui témoigner sa volonté d’apprendre mais aussi lui montrer qu’elle n’était pas que capable de bouder lors des repas. A ce stade, elle se ménageait largement et se doutait qu’il n’allait pas faire d’elle sa Padawane dans l’immédiat mais… Avec le temps, peut-être ? Lorsqu’ils auraient appris à se connaître un peu plus ?
Karm Torr
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Des Initiés déboulèrent comme une troupe furieuse dans le couloir, en faisant des bruits de blaster avec la bouche. Ils entamèrent un dérapage absolument pas contrôlé en apercevant un Chevalier Jedi et se confondirent en excuses et en salutations, avant de le contourner comme on ferait d’une bête féroce, d’un pas aussi digne que possible. À peine disparus au détour du couloir que la cavalcade reprit.

Le Jedi reporta son attention sur Thann. Le trait d’humour de la jeune fille fut accueilli avec un sourire discret mais chaleureux.

— J’tiens pas à ce qu’on perçoive ma différence, tu sais. De toute façon, je suis pas totalement un Ark-Ni. Je veux dire, je vis hors de la Flotte depuis tellement longtemps que j’suis bien différent. Beaucoup plus…

Plus musclé, sans doute, c’était ce qu’il y avait de plus évident, et plus martial, aussi. Plus masculin, aussi, que la majorité des mâles Ark-Ni, même s’il continuait à se montrer relativement indifférent au genre qu’on lui prêtait. Infiniment plus aventureux et plus ouvert d’esprit envers les autres cultures. Quand il avait retrouvé la Flotte, en compagnie de Luke, pour servir d’ambassadeurs à la République qui espérait pouvoir utiliser les stations ark-ni comme points de ravitaillement, Karm avait ressenti un mélange d’étrangeté et de familiarité.

— J’sais pas, finit-il par dire en haussant les épaules, Différent. Mais c’est le cas de la plupart des Jedis, finalement. On n’est jamais totalement intégrés à notre culture, sauf si on finit par y retourner en tant que surveillant planétaire ou quelque chose comme ça.

Le cas, d’ailleurs, était assez rare, pour éviter des phénomènes d’attachement que le Conseil jugeait souvent dommageable à l’exercice de leurs fonctions.

— ‘Fin bref. On se reverra bientôt, j’en doute pas. Au moins pour des cours de langue. Allez, file.

*

— J… aban… donne…

Karm désactiva la lame du sabre laser d’entraînement. Son souffle rapide redevenait petit à petit plus régulier, alors même qu’il venait d’enchaîner les assauts et les pirouettes. La Twi’Lek en face de lui, elle, s’était effondrée par terre, pantelante, le regard fixé sur le plafond, les lekkus étendus tout autour d’elle.

— Je suis morte…
— T’es bien bavarde pour un cadavre.
— Qu’on m’amène un notaire pour mon testament.

L’Ark-Ni torse nu poussa du bout du pied celui de la Chevalière.

— Tu donnes ton corps à la science ?
— Totalement.

L’entraînement avait été rude. En tout cas pour elle. La Consulaire n’avait jamais été très douée au sabre, mais elle s’obstinait, et c’était tout à son honneur. Elle faisait partie des élèves de Karm. La rumeur commençait petit à petit à se répandre que l’Ark-Ni écrivait un traité sur les arts martiaux jedis, et celles et ceux qui n’osaient pas se soumettre à l’enseignement d’un Maître d’Armes de l’Ordre, de peur d’être jugés, cherchaient auprès d’un confrère au même niveau hiérarchique qu’eux quelques conseils utiles pour progresser.

Karm ne refusait jamais. D’abord par solidarité. Ensuite par passion. Enfin parce que rencontrer d’autres Jedis en difficulté l’aidait à identifier les besoins auxquels il espérait que son traité puisse un jour répondre. Et ce jour-là, quelques heures après avoir laissé Thann devant sa porte, il avait encore trouvé, comme souvent, dans le combat, dans la méditation qui l’accompagnait toujours quand il s’y consacrait pleinement, une lucidité nouvelle et une conviction précieuse.

L’Ark-Ni tendit la main à la Twi’Lek pour l’aider à se relever.

— Tu t’améliores. Garde courage. On se retrouve à mon retour de mission, dans deux semaines.

L’autre hocha la tête.

— Merci Karm.

Les deux Chevaliers s’étreignirent fraternellement avant que la Twi’Lek ne laisse Karm seul dans la salle d’entraînement. L’Ark-Ni s’assit sur l’un des bancs qui longeaient les murs de la salle et où il avait laissé son datapad. Une rapide recherche dans le réseau du Temple lui permit d’exhumer les coordonnées de Thann et il composa à l’intention de la jeune fille laconique.

RDV dans la salle d’entraînement 18, d’ici un quart d’heure, si tu peux.

Le temps pour lui de prendre une douche. Dans les vestiaires, sous l’eau froide, presque glacée, qu’il employait toujours, par ascèse et pour s’habituer aux conditions rudes qui l’attendaient presque invariablement lors de ses explorations, Karm sonda encore une dernière fois la Force pour se conforter dans sa décision. Il avait éprouvé beaucoup plus d’incertitude, face à Soruan. Est-ce qu’il avait commis une erreur, à l’époque ? Ou avait-il été, malgré tout, une étape nécessaire sur le chemin d’une apprentie qui n’avait pas pu, su ou voulu se fixer avec lui ?

Il ne pouvait nier que l’angoisse que, une nouvelle fois, il puisse ne pas être à la hauteur de la tâche lui nouait l’estomac. Mais Luke lui dirait sans doute de faire confiance à son intuition. Qu’il en serait tout à fait capable. Que Thann aurait de la chance de l’avoir comme Padawane. Luke était-il seulement objectif ? L’Ark-Ni laissa échapper un soupir, avant de couper l’eau glacée et de s’envelopper dans une serviette.

La Force le guidait, après tout.
Et la Force avait toujours raison.
Thann Sîdh
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« ‘Fin bref. On se reverra bientôt, j’en doute pas. Au moins pour des cours de langue. Allez, file. »

Elle s’inclina respectueusement et, avec un grand sourire, entra dans sa chambre. Elle attendit que la présence du chevalier se fût évanouie avant d’exulter face à une Seïid à qui elle avait tout juste réussi à intimer le silence d’un geste durant ce temps.

« Aaaaahhhh ! Tu viens, tu t’assoies, tu me racontes tout, c’est un autre Padawan Sîdh !

– Demandons la permission d’aller nous laver d’abord, Padawan Qiik

Elle fit mine de renifler bruyamment et fronça le nez, le verdict était sans appel. – Permission accordée ! Mais tu te grouilles ! Je fais un peu de thé pendant ce temps-là, histoire qu’on meurt pas de soif ! »

En riant, elle partit presque en courant dans leur petite salle d’eau histoire de procéder à un décrassage en règle ; Bouteboute fut chargé d’assister Seïid dans sa tâche. Sur son visage, l’eau fraîche lui fit le plus grand bien et revigora ses muscles que l’exercice avait un peu maltraité. Alors qu’elle laissait un peu les rivières s’entrelaçait sur son corps, elle chercha à se remémorer au mieux fol instant qui s’étala de sa capture dans la Bibliothèque à cette promesse à demi-mots sur le pas de la porte.

Inévitablement, se concentrant sur ces souvenirs, l’image du jeune homme s’ancra aussi fermement dans son esprit et elle commença à avoir chaud malgré l’eau. Seïid surgit à temps dans la salle pour la presser, la pudeur avait toujours été un concept assez flou entre elles. Thann rit, l’obligea à fuir en usant de la Force pour détourner l’eau, bientôt il y en eut partout et les rires redoublèrent. La fonction de Bouteboute fut revue et la tâche de nettoyer tout ce désordre aqueux, dont pourtant il n’était pas vraiment à l’origine, lui retomba sur le frêle alliage ; en amour qu’il était, il ne s’en plaignit pas et laissa à Thann tout le loisir d’abandonner la salle d’eau en l’état pour traverser tout l’espace de la chambre dans le plus simple appareil ; vraiment, la pudeur n’existait pas entre elles pourvue que la porte fut verrouillée.

Lorsqu’elle se fut enfin habillée dans une tenue assez proche de la précédente – hormis son regard qu’elle avait simplement bandé cette fois –, Seïid lui indiqua le coussin sur lequel elle l’invitait à se poser. Elle n’y couperait pas. Elle s’assit, fixa son amie et sentit son regard poser lourdement sur elle, avec ce petit sourire en coin qui ne pouvait que l’amener au rouge intégral et à l’éclat de rire nerveux.


« Tu arrêtes ça tout de suite, hein ! Si tu veux entendre, tu commences pas comme ça sinon je vais me planquer sous ma couette et tu ne sauras rien !

– Okay, okay. concéda la Togruta en riant, Mais tu as intérêt à tout me dire de ton après-midi avec le Chevalier Beau-Gosse-En-Slip.

L’intense chaleur qu’elle sentait sur ses joues en disait long sur le délicat carmin qu’elles avaient adopté, – Arrête de parler comme ça, tu sais bien qu’on doit savoir maîtriser nos appétences !

– Maîtriser ne veut pas dire ignorer, Padawan Sîdh, la Galaxie a le droit de savoir ! Enfin, moi surtout, alors ! C’est vrai ce qu’on raconte ?! »

Elle n’eut pas besoin de réponse. Thann se sentait littéralement irradier et il ne devait plus y avoir grande différence chromatique entre ses cheveux et sa carnation. Cela en disait très, très long sur l’effet que le Chevalier avait eu sur l’adolescente.

« Bon, je crois que j’ai compris, souligna-t-elle en riant, va ! J’arrête avec ça ! Maintenant, raconte-moi ce que tu as fait à part le mater ![/color]

– Alors déjà, je ne l’ai pas maté, tu sais très bien que…

- … tu ne peux pas t’empêcher de percevoir les choses ! Ouais, ouais, c’est facile de dire ça, quand on sait très bien que je peux pas vérifier !

– Tu es juste jalouse car t’es incapable de cacher tes yeux baladeurs, perverse ! » Et les deux d’éclater de nouveau de rire avant, ce qui permit à Thann d’évacuer un peu de la chaleur qu’elle avait accumulé et de reprendre. « Bon, tais-toi maintenant, faut que je te raconte ! En fait, après avoir fini de reprendre ta tenue, je voulais aller à la Bibliothèque de l’ExploCorps pour…

Et le récit fut fait, en long, en large, en travers, en oblique, répété, questionné, complété, explicité, l’holo’ montré, commenté, explicité. Tout fut dit et redit. Du doute à l’espoir, de l’incompréhension à la promesse.

« Tu penses qu’il va vouloir faire de toi son Apprentie ?

– Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’il m’a dit qu’il me donnerait des cours de langue Ark-Ni. Je n’avais même jamais remarqué qu’il n’était pas humain… J’ai eu tellement honte ! Enfin, j’aurais au moins réussi à le faire sourire ; c’était pas gagné tellement j’ai été godiche au repas. Enfin soit ! Affaire à suivre. En attendant, toi, ta journée ? »

Bien que moins surprenante, la journée de Seïid bénéficia du même passage au crible de la part de Thann, depuis l’échange particulier qu’elle avait eu avec Maître Wi-Ing, le mentor de Seïid depuis à trois ans jusqu’à ce étrange regard qu’elle avait échangé avec Iugh Grahant, un autre Padawan, un peu plus âgé qu’elle, avec lequel elle flirtait depuis un moment maintenant sans que Thann ou elle n’osassent mettre le mot sur cette relation que les Maîtres réprouveraient à coup sûr.

Thann avait quitté depuis longtemps son coussin pour venir poser sa tête sur les genoux de Seïid qui en profita pour jouer avec ses cheveux. Alors que la conversation s’était tu, laissant les deux jeunes filles songeuses, Seïid reprit :


« Tu devrais vraiment te laisser pousser les cheveux… Que je puisse te les tresser, te les coiffer mieux qu’en tignasse.

– Alors déjà, tu parles bien de ma tignasse, hein, et ensuite, je ne sais pas… J’hésite.

– Qu’est-ce que tu crains.

– De devenir trop belle et de te faire de l’ombre. Je pense à toi, tiens !

– T’es vraiment trop bête ! »

Les deux filles rirent encore, mais ce n’était pas tout à fait faux. Thann craignait de se trouver belle et de nourrir une vanité que pourtant le Code interdisait. Ce n’était pas comme Seïid. Elle, qu’importe, sa beauté sautait aux yeux et sa féminité allant en s’épanouissant, l’évidence se faisait chaque jour plus écrasante. Thann, sans trop s’en rendre compte, se concentra sur la présence de la Togruta, petite luciole quotidienne, et se sentit bien, à être là, ses doigts jouant dans ses cheveux.

Sa rêverie fut interrompue soudainement par Bouteboute qui, après s’être mis en veille un temps, revint à la conscience et signala le message qui venait d’arriver.


RDV dans la salle d’entraînement 18, d’ici un quart d’heure, si tu peux.

« Bien sûr que tu es libre ! s’écria sa camarade qui aussitôt la planta sur ses deux pieds en même temps qu’elle se relevait elle-même. Le branle-bas-de-combat fut déclaré, en une fraction de seconde, Bouteboute et Thann se trouvait dans les couloirs, direction la Salle d’Entrainement 18, son sabre à la hanche ainsi que son bâton de combat glissé en travers de son dos. Peut-être s’étaient-elles trompées, mais elles avaient conclus l’une comme l’autre qu’un tel lieu de rendez-vous n’était pas décidé pour aller enfiler des perles. Un mélange d’excitation et de tension animait l’adolescente qui déjà, cherchait à trouver une certaine plénitude en elle afin de se préparer au possible affrontement. Lorsqu’elle arriva devant la salle, la porte était close et Bouteboute lui signala qu’elle était un peu en avance – elle n’aurait pas su faire autrement de toute façon tant elle ne voulait pas risquer de déplaire au Chevalier. Elle se contenta de signaler sa présence en appuyant sur l’interrupteur, entendit la petite mélodie qui la signalait à travers la fine porte, et attendit sagement que le Chevalier l’invitât à entrer en ajoutant cependant :

« Bouteboute, si tu vois que j’oublie de le demander, tu me rappelles que je dois demander au Chevalier Karm l’autorisation de filmer notre entraînement, afin que je puisse méditer dessus et mieux appréhender mes défauts et mes qualités, d’accord ?

– …

– T’es le meilleur. »
Karm Torr
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Thann était plus que ponctuelle : elle était en avance. Karm était encore en train de se prélasser nu dans les vestiaires — ce qui, de sa part, impliquait de lire les sommaires des derniers rapports chargés sur les serveurs de l’ExploCorps, afin d’organiser ses lectures du soir pour les jours à venir — que la mélodie censément apaisante qui indiquait l’arrivée des prochains occupants de la salle d’entraînement se fit entendre. L’Ark-Ni ferma les yeux un instant, pour cerner la présence de Thann dans la Force et confirmer l’identité des visiteurs.

Un sous-vêtement et un pantalon plus tard, l’Ark-Ni traversa à grands pas, pieds et torse nus, les cheveux encore humides et en bataille, les vestiaires et la salle d’entraînement pour ouvrir la porte à Thann et son droïde, en faisant flotter autour de lui les vapeurs de son shampoing et de son gel douche.

— V’z’êtes du genre rapides, commenta-t-il, sans que la remarque ne relevât d’un reproche.

Il s’effaça pour laisser la jeune fille entrer.

— J’viens de finir un entraînement avec une consœur.

Le terme n’était pas innocent : pour Karm, l’Ordre Jedi était d’abord fondé sur des relations de fraternité et de sororité. Il n’excluait évidemment pas que ces relations pussent évoluer au fil du temps, sa liaison avec Luke en étant l’exemple même. Il était même persuadé que c’était souhaitable, presque nécessaire, pour la survie de leur institution. Mais il ne considérait pas les autres Jedis comme des collègues distribués dans un organigramme hiérarchisé.

— C’est ma spécialité. À la base.

Le sujet n’était pas venu sur le tapis plus tôt dans la journée et Karm n’était pas du genre à considérer que tous les Padawans avaient dû mémoriser sa biographie de A à Z. Pour les plus jeunes, il était seulement un membre de l’ExploCorps, aux fonctions parfois un peu floues.

— Les armes. Le combat. Et la guerre.

Machinalement, il tenta de domestiquer du plat de la main la chevelure argentée qui se rebellait sur sa tête.

— Celle qui m’a formé était une Maître d’Armes. Avec une méthode particulière. Formation intensive en arts martiaux, en explosifs, en stratégie militaire. Guérilla. Blasters. La totale. Méditation par le combat. C’était très spécifique. À l’époque, elle avait présenté comme un programme exploratoire. Quand j’avais ton âge, je faisais déjà mes premières batailles. Pendant longtemps, la guerre, c’était tout mon quotidien.

Une histoire qu’il ne racontait pas à la légère : après le discours de Thann, au déjeuner, ce jour-là, et ses principes pacifistes fiévreusement déclarés, Karm estimait qu’il devait à la jeune fille un récit au moins synthétique de son passé. Il s’assit en tailleur sur le tatami au milieu de la salle, apparemment pas décidé à enfiler un haut. La pudeur n’était pas non plus sa grande spécialité — comme sa réputation ne manquait pas de le signaler.

— Ma Maître avait une position assez radicale sur l’Empire. Elle prônait son élimination totale. Pas seulement la structure, les institutions et leur idéologie. Les individus qui y coopéraient activement aussi. Pour elle, seule la guerre totale avait un sens. Un peu comme Maître Marja, si tu veux. Mais Tavaï était prête à aller encore plus loin. Elle a fini par quitter l’Ordre. Ou le fuir. Pour montrer un groupe paramilitaire, une milice ou… Une organisation terroriste. Enfin tu saisis, quoi. Qui organise des attentats pour mettre la pression sur les gouvernements locaux, afin qu’ils fassent à leur tour pression sur le Sénat, pour que la République redouble ses efforts.

Pour ce qu’il en savait, l’organisation de l’ancienne Maître Jedi demeurait relativement anecdotique, mais il était tout à fait familier de la détermination de celle qui l’avait formé, et il lui conservait son entière méfiance.

— Moi, après toutes ces batailles, quelques années après être devenu un Chevalier Jedi, j’ai décidé que ma vie devait prendre un autre chemin. Pas parce que j’étais traumatisé par les horreurs de la guerre. C’est un truc important à comprendre, sur moi.

Le regard de l’Ark-Ni fixait intensément Thann.

— J’suis pas traumatisé par grand-chose.

Ni par la violence des combats, ni par le sang, ni par les entrailles fumantes tout juste cautérisées par un sabre laser, ni par les coups innombrables qu’il avait reçus, en tant que Padawan, pour « l’endurcir », ni par ses séjours à l’infirmerie du Temple. Il n’avait aucun goût particulier pour la violence, bien au contraire, aucun plaisir sadique à vaincre ses ennemis, mais il encaissait et il allait de l’avant, toujours, systématiquement, et c’était pour ça, à l’origine, que Tavaï l’avait choisi.

— Mais ça m’empêchait pas de les trouver condamnable. J’ai sans doute pas tout à fait le même avis que toi sur ces questions. La guerre, et le combat. Mais j’pense que y a des dizaines de manières différentes de faire les choses, que nous, les Jedis et puis la République et puis toutes les planètes qui composent la République, échouons à considérer. ‘Fin bref. Je voulais faire autre chose, autrement. C’est pour ça que je suis rentré dans l’ExploCorps. Même si quand la situation l’exige, on me renvoie faire ce pour quoi j’ai été formé.

Et il exécutait ces ordres-là, parce qu’il préférait encore que ce soit lui, sur le champ de bataille, plutôt qu’un autre Jedi que cette expérience briserait à vie.

— Depuis quelques années, je développe un style de combat moins létal. J’écris un traité sur les arts martiaux jedi. Je suis pas un pacifiste, je suis pas un fou du sabre non plus. Si je te raconte tout ça…

Moment fatidique.
Mais Karm avait confiance en la Force.

— … c’est que j’aimerais que tu deviennes ma Padawan. Une seconde, rajouta-t-il aussitôt en levant la main pour avoir le temps de finir, je sais qu’à ton âge, on commence à stresser quand on a pas de maître et qu’on se dit qu’on acceptera toutes les opportunités qui se présentent. Je comprends ça. Mais la première Padawane que j’ai eue est partie parce qu’elle n’était pas prête. Parce qu’elle n’avait pas bien réfléchi. Sans doute aussi parce que je n’ai pas su être le maître dont elle avait besoin. Alors il faut que tu prennes le temps de la réflexion. Avant de dire oui ou non.

Le jeune homme baissa la main.

— J’dis pas trois semaines, ou des mois. Ça peut même être juste quelques minutes. Mais c’est le moment de poser des questions si tu as des questions à poser. Des vagues, des précises, des pratiques, des théoriques. Si tu acceptes, y aura bien sûr toujours le temps de poser plein d’autres questions. Si tu refuses, je t’aiderai quand même à apprendre l’ark-ni mais, on va pas se mentir, je suis très occupé et j’aurai pas toujours beaucoup de temps. En tout cas, ma décision à moi est prise.
Thann Sîdh
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Lorsqu’elle s’aperçut de la presque nudité du Chevalier, le sobriquet dont Seïid était l’autrice s’imposa à son esprit et elle s’empressa de se concentrer sur la présence de Bouteboute plutôt que sur celle du bel homme qui lui faisait face afin d’essayer de calmer la vague de chaleur qui venait de la cueillir. Bien incapable de parler, elle se contenta de l’écouter et d’acquiescer. Il s’étendit beaucoup et sa question finale la laissa toujours aussi muette mais sans plus qu’aucune question hormonale ne la troubla.

Assise au centre de la salle d’entraînement, à l’indienne, elle essayait de réaliser l’œuvre de violence que le Chevalier tentait de lui esquissait et dont il se présentait comme l’auteur. Ni traumatisme, ni frayeur ? La guerre totale ? Pourtant, il y avait renoncé et avait dépassé l’enseignement de son Maître pour choisir sa propre voie. Des batailles, à quinze ans ? C’était un cadre dans lequel elle ne s’était jamais imaginée tout en sachant que d’aucun n’avait pas eu cette chance. Rien que l’attaque qu’avait subi le Temple, quelques années avant son arrivée, suffisait à faire savoir aux plus idéalistes que la violence n’attendait pas le nombre des années pour se présenter aux Jedi. Elle ne savait trop quoi penser, mais verbaliser l’avait toujours aidé à construire sa pensée. Sur le même ton murmurant avec lequel il s’adressait à elle, et qu’elle appréciait, elle répondit :


« Il est vrai, je suis inquiète de ne trouver jamais quelqu’un pour m’apprendre et m’élever au rang de Chevalier et… Il est vrai aussi que je ne vous connaissais pas ce passé, cette violence. Pourtant, il est vrai aussi que je ne nie pas l’existence de cette violence et le fait qu’il faille s’y opposer. Lorsqu’à la prédation naturelle se substitue la cruauté et le goût de la domination, nous ne pouvons nous tenir en retrait et laisser l’Harmonie tissée par la Force ainsi être maltraité par ceux qui, pourtant, sont ses enfants.

Et…
Les mots n’étaient pas facile à choisir, ni même à trouver. L’intelligence et la sagesse sont deux choses si différentes, savoir d’une part, construire sa pensée de l’autre. … Voyez, lorsque nous sommes là, à guerroyer contre l’Empire, une entité à la fois politique, abstraite et pourtant en partie incarné par les Siths et leurs fidèles, sommes-nous réellement en train d’œuvre à une stabilité, à l’équilibre que la Force cherche ? Je veux dire… Elle mordit sa lèvre inférieure, tandis qu’elle tentait de joindre ses idées sans paraître sombrer dans le délire. « Nous apprenons que la République est l’alliée de toujours de l’Ordre Jedi, que nous œuvrons à sa préservation, qu’elle est l’une de nos prérogatives et pourtant, œuvrons-nous aujourd’hui la préservation de la Justice et l’Idéal qu’incarnait cette République à sa fondation ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes, les inégalités sont aberrante et beaucoup s’élèvent et souligner, pertinemment, la façon dont le système représentatif de la République œuvre non pas à une politique du bien-commun mais bel et bien à une politique de l’intérêt individuel. Alors, certes, dans l’Empire Sith et ses turpides, nous trouvons un ennemi commun, un ‘pire’ qu’il nous faut combattre car il revendique un modèle servile, violent, où l’individu n’a pas à s’épanouir et mais à servir ; pourtant, j’ai du mal à croire, parfois, que la chose soit différente de ce côté-ci de la frontière lorsque je vois le visage, sur les holos, des moins heureux de Coruscant qui errent, dans des rues bondées, sales, pour aller de leurs bureaux à leurs maisons, de leurs maisons à leurs bureaux. Quel épanouissement de l’individu défendons-nous là ? Mais il y a la guerre, et il y a cet ennemi, et il nous faut nous sacrifier et défendre les civils que la République ne parvient pas à défendre, cette République qui pourtant a su, quelques parts, asservir chaque minute de leurs temps afin de drainer leurs richesses.

Alors bien sûr, mon propos et naïf, ma vision simpliste et mon idée hasardeuse mais si je ne pense pas qu’il y ait de guerre juste, c’est parce que je ne pense pas que l’on puisse garder l’esprit clair lorsque nous la faisons, et ce d’autant plus lorsque cette guerre devient le prétexte à l’absence de discussion.

Enfin, j’essaye de détacher ma vision du combat singulier d’enjeux tels que l’affrontement entre deux entités politiques si titanesques. Au moins, lorsqu’il s’agit du combat singulier, les questions socio-politiques disparaissent-elles. Je ne refuse pas le combat et l’affrontement, seulement, je souhaite que celui-ci ne se termine jamais dans la destruction de l’autre. S’il faut combattre, alors combattons, mais jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que la violence, dissipée à force de s’exercer, cède à la nécessité de dialoguer à nouveau, la force n’ayant pas réussi à me faire céder. C’est ainsi que j’espère œuvrer, pour privilégier la Rationalité, l’écoute entre les êtres et la compréhension. Je ne vois pas comment la mort peut représenté une quelconque victoire de la pensée et du bon.


Elle sourit maladroitement, son propos n’était qu’à peine plus clair que ceux qu’elle avait tenus lors de leur repas mais elle essayait sincèrement de lui faire savoir qu’elle s’engagerait partout où l’Ordre lui demanderait de s’engager. Elle pensait simplement que tuer l’autre, c’était se donner raison par la facilité, faire taire ce qui n’était pas soi, prendre le droit de rester ce que l’on était, obstinément, sans accepter l’altérité. Au fond, ce qu’elle pensait, c’était qu’on n’arrivait pas au degré de haine que les Sith pouvaient démontrer ‘par nature’, sans qu’aucune raison ne l’expliquât.

« Quant à devenir votre Apprentie, Chevalier Karm… Il me faut me confronter à vous, si vous le voulez bien, avant de savoir faire la part entre mes sentiments qui sont pour l’instant encore assez confus ; vous comprendrez que je ne saurais accepter une telle offre venant d’un aîné avec qui je n’aurais jamais partagé une valse. »

C’était une nouvelle tentative d’humour et à la fois un propos très sérieux. Elle concevait le duel au sabre laser à la façon d’une danse, et son entraînement en binôme était un duo. Chaque pas, chaque mouvement suivait les rythmes du partenaire, chaque parade, chaque écart se faisait par rapport à lui ; et c’était sans compter les kata que les deux pouvaient effectuer en miroir, effectuant les coups classiques de chacune des formes en parfaite synchronisation, trouvant dans l’alliance de leur corps, de leur esprit, de l’autre et du monde un instant de grâce et d’équilibre rare.

« Si je suis sûre de trouver avec vous la Connaissance, il me faut savoir si à vos côtés, je pourrais apprendre la Paix et la plénitude. »

Car c'était ce qu'elle avait perdu avec la perte de son ancien mentor. Quelqu'un qui sût faire taire ses doutes, la mettre en confiance et auprès de qui toutes ses étrangetés pouvaient trouver un sens. Bien sûr, Seïid l'aidait mais... Elle ne pouvait être son maître et elle son élève quand toutes les deux avaient encore tant à apprendre.
Karm Torr
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— Ah, hm…

Le long discours de Thann sur la République avait été accueilli d’abord par un silence pensif.

— Je suppose qu’il faut aussi que je précise qu’à bien des égards, je suis pas un Jedi mainstream. Sur beaucoup de sujets, mon avis, qui n’est pas hérétique, n’est pas pour autant orthodoxe. Et si je suppose que pour ma future élève, c’est l’occasion d’être exposée à des façons de penser alternatives, au moins intéressantes par leur côté, disons, exotique, ça peut aussi être délicat avec les forces les plus, comment dire…

Obscurantistes ?

— … Dogmatiques. De notre communauté. Et donc, sur la République, en particulier, mon avis est assez loin de ce qui est enseigné aux Initiés. Peut-être parce que je ne suis Républicain que par naturalisation, et que j’ai été naturalisé que parce que je suis un Jedi. Mais… à mon sens, l’Ordre devrait se distancier de la République, les Maîtres qui servent à des fonctions politiques devraient être invités par la communauté à une profonde introspection et remise en question de leur rapport au Code Jedi et notre voix collective devrait être une voix de critique radicale des structures sociales du capitalisme galactique, pas un instrument de consolidation du néo-libéralisme qui est le produit de la machine diplomatique et bureaucratique coruscantienne.

Et cet avis était vraisemblablement la raison pour laquelle on ne confiait jamais de missions diplomatiques à Karm, exception faite de sa visite à la Flotte ark-ni. Et même dans ce cas-là, Luke avait été le Consulaire chargé de l’affaire, et Karm, un simple interprète, en quelque sorte. Un facilitateur communautaire. Pour Karm, l’Ordre Jedi contemporain était dans un grave état de déliquescence idéologique et morale, et la compromission des élites de l’Ordre avec les élites politiques de la République en était le symptôme le plus préoccupant.

Son avis, cela dit, comme celui de Thann, n’était pas non plus inouï : de nombreux Jedis commençaient à questionner les choix faits par la République et la part inexplicable qu’y prenaient des Maîtres, qui se propulsaient de ministères en chancellerie, au mépris de ce que l’on enseignait précisément à tous les Initiés, et aux Padawans, ceux-là même que l’on envoyait s’empaler sur les sabres siths, dans les plaines désolées de quelque planète lointaine.

— Quant à la guerre, ma foi… C’est tout un monde à part sur lequel je crois pas pouvoir philosopher en quelques phrases. J’comprends qu’on ait des principes solidement ancrés, et sur le plan de l’idéal, je crois que pas mal de Jedis sont d’accord sur la question. Et dans les rencontres individuelles, l’idéal peut même s’incarner souvent. Le problème, c’est que la guerre est systémique, et que les rencontres individuelles existent presque jamais.

L’explication était pour le moins difficile à comprendre, mais Karm condensait parfois ses réflexions mûries au fil des années en quelques mots qui échouaient à les éclairer. Il esquissa un sourire mélancolique, avant de se relever avec souplesse.

— On parlera valse et combat plus tard.

Un sabre laser fusa à travers la pièce pour se loger comme par lui-même contre la paume gauche du Chevalier. Bientôt, le vrombissement caractéristique se fit entendre, alors que la lame blanche, presque inoffensive, des sabres d’entraînement jaillissait. Karm fit quelques pas en arrière, prêt à engager le combat.

Les premières passes d’armes furent soigneusement dosées. Académiques, même, pour ainsi dire. Coups et parades classiques, pour vérifier que Thann avait bien acquis les bases, ce dont il ne doutait guère au demeurant, après avoir consulté son dossier et parcouru les appréciations de ses professeurs. Les styles se succédaient, par degré croissant de difficulté, mais toujours dans la familiarité du canon ordinaire des formes martiales pratiquées par la majorité des Jedis.

Et puis, soudain, tout devint beaucoup, beaucoup plus confus, parce que Karm avait commencé à laisser parler son style. Le tràkata était partout. Son sabre ne cessait de s’allumer et de s’éteindre. Quand il paraît un coup, la lame disparaissait, il faisait un pas de côté, l’adversaire perdait l’équilibre. Quand il attaquait, elle se volatilisait aussi, passait la garde, réapparaissait près de la gorge. Ses katas s’enchaînaient dans le désordre le plus complet, à première vue.

C’était une interprétation terriblement dangereuse du Djem So, qui laissait Karm souvent exposé à un coup fatal. L’Ark-Ni n’avait sans doute dû sa survie qu’à une précision technique et une détermination physique inaltérables. Rien n’était élégant. Rien n’était fait pour impressionner, ou par sens de l’esthétique. On aurait dit que la noblesse du sabre laser était un aspect absolument négligeable. C’était une tornade : imprévisible, puissante, chaotique à première vue mais pourtant implacablement pragmatique et organisée.

Souvent, le sabre laser était même complètement délaissé au profit d’une série de prises de combat à mains nues. À chaque fois que Thann était trop en difficulté ou qu’elle se retrouvait avec une lame pointée vers son coeur ou à quelques centimètres de sa trachée, Karm se reculait, pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits et de recommencer le combat.

Il y avait dans son style de sabreur quelque chose qui aurait pu faire penser à un Sith, si sa présence dans la Force n’était demeurée imperturbable. C’était d’ailleurs probablement son attachement primordial au Côté Lumineux qui, après la formation toute en maltraitante qu’il avait subie, et ses innombrables batailles, lui avait permis de rester, malgré tout, un Jedi. Plus il déployait son style, plus il paraissait, au contraire, calme. C’était ce qu’il appelait, en bon moine guerrier, la méditation de combat. Le plus grand calme dans la plus grande tourmente.
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