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« Effectivement ! »

Son rire vînt se joindre à celui léger de la Balosar, alors que ses bras venaient doucement l’étreindre pour mieux profiter de sa proximité, de son odeur, de sa sensualité. Son regard était perdu sur ces antennes qui s’agitaient, venant offrir une sensation inattendue des plus étranges. C’était à croire que ces deux petits appendices ne servaient pas que d’outils sensoriels. L’Alsakani laissa son index effleurer l’une d’entre-elle, et ce juste avant qu’il n’initie le mouvement visant à retourner son amante. Il n’était pas resté dans l’ignorance de ses mouvements, mais la Balosar n’avait pas besoin d’enflammer ce qui brûlait déjà d’un feu vif, d’une volonté certaine, d’une détermination totale.

Un sourire s’étira sur ses lèvres en constat d’un mouvement rebelle de Ress, son regard inattentif à cette cigarette qui venait terminer son funeste destin dans le cendrier du meuble d’à côté. Il ne réagit pas immédiatement lorsque la Balosar vînt se pendre à con cou, préférant se délecter de la saveur de ces lèvres qui venaient de s’écraser sur les siennes. Jeresen avait bien reçu le message implicite, cette envie partagée de laisser la galaxie de côté pour se contenter de l’instant présent.Il ne tarda pas à réagir, ses bras venant soutenir la Balosar, son corps se penchant en avant, ses lèvres s’agitant d’une volonté nouvelle. Il se laissa entraîner par les délices du cocktail du désir et du plaisir. Ses mains se firent de nouveau exploratrices, remontant le long du corps de son amante alors que celle-ci s’affairait à faire tomber le drap qui couvrait le sien.

« Je suis d’accord. Sur tout. » finit-il par lâcher entre deux escarmouches, se laissant doucement acculer vers le lit qu’ils avaient quitter quelques instants plus tôt.

Il mit fin à la lente avancée de la Balosar, son pied venant buter contre le lit pour immobiliser leur duo. Son regard resta planter dans le sien, sa main venant glisser avec précision et douceur le long de la joue de son amante, ses doigts s’échouant dans son cou. Il l’écoutait annoncer la réalité, la vérité. Le fait que cette soirée n’aurait aucune suite ; aucun futur ; aucun avenir. Tout comme elle, il ne pouvait pas se le permettre. Du moins, le pensait-il. Pourtant, il savait inconsciemment que cette nuit aurait tout de même des conséquences. Tout d’abord parce qu’il ne pourrait pas l’oublier. Les autres raisons, elles, viendraient sans doute avec le temps.

Il l’observa encore un temps sans rien dire, se contentant de lui répondre par un baiser enflammé. Puis, sans crier gare, il pivotait et tombait, accompagnant Ress pour amortir sa chute avant d’annoncer, d’un air joueur mais empreint de sincérité :

« Comme si j’avais eu l’idée de partir. »

La suite était évidente tant l’invitation peu subtile. Il l’attira à lui, se blottit contre elle, laissa son corps frotter contre le sien, et ils retournèrent battre le pavé du désir, grimper les montagnes du plaisir. La nuit n’était là que pour couvrir leurs envies, et seule l’apparition inévitable du soleil matinal ne les feraient sortir de leur béatitude…



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Le lendemain matin,
Bureau A569, Bilbringi Corp. Tower.



« Ouvrez grand vos yeux et réfléchissez une seconde à ce que votre gouvernance projette de faire ; ce que vous vous apprêtez à faire. La sécession ne vous apportera rien, car Bilbringi ne dispose pas des capacités suffisantes et nécessaires à sa survie en dehors de la République. Au fil des siècles, elle a fait de votre monde un monde dépendant : la majeure partie de vos besoins premiers viennent de la République et votre économie à l’export est presque uniquement basée sur la production navale pour le compte de l’État Fédéral. »

« Justement ! En s’éloignant de la République, nous pourrons diversifier nos sources d’importations, et nous pourrons étendre notre exportation. »

« Hélas, non. La Constitution de la République interdit aux mondes fédérés de commercer avec des systèmes non-membre de l’entité fédérale, ce qui signifie que vous ne pourrez pas établir d’accords quels qu’ils soient avec un monde Républicain. Quand à la République elle-même, il est évident qu’elle refusera vos moindres requêtes à court ou moyen terme. »

Si la République ne le faisait pas, elle se discréditerait. Elle devrait donc adresser un message fort à ceux qui seraient tentés de suivre le même chemin. De fait, elle ne négocierait pas. Tout comme elle n’avait pas besoin de faire la guerre pour intégrer de nouveaux mondes et de nouvelles cultures en son sein. Son poids, son influence, son rayonnement était tel qu’un simple système indépendant ne pouvait survivre décemment à sa frontière sans l’appui d’une entité plus grande. Une entité inexistante dans le cas de Bilbringi. Ce système était seul. S’il quittait la République, il serait enclavé en son sein.

« Il a raison. Nous vous l’avons toujours dit, votre projet pour l’avenir ne tient pas. L’indépendance nous mènera droit à notre perte ! Nous ne disposerions plus des subventions de la République et notre population finira par s’exiler vers d’autres territoires plus propices à l’emploi, et à une situation de vie stable. »

Un poing s’abattit sur la table des négociations et tous les regards se tournèrent vers son propriétaire.

« Vous êtes un défaitiste, Jellon ! Nous pourrons compenser les pertes liées aux subventions par les économies que le départ de la République nous fournira en retour. En ce qui vous concerne, Sénateur Fylesan, vous ne connaissez rien à notre situation. Vous ne vivez pas ici, vous ne gérez pas les affaires quotidiennes bilbringies. »

« Bien au contraire, nous ne la connaissons que trop bien. Vous estimez que la République a outrepassé ses limites, a transformé votre monde en une exploitation minière et industrielle pour son propre profit au dépend des intérêts bilbringis. Vous vous estimez léser car vous n’êtes pas certain que les garanties préférentielles que vous avez négociées avec les précédentes gouvernances fédérales soient maintenues dans un avenir proche. Vous estimez, sur le coup de l’émotion, que la République n’est plus capable de vous protéger suite aux différentes escarmouches l’ayant confrontée à l’Empire Sith. Croyez-nous, nous vous comprenons. Nous, Alsakanis, avons effectué notre retrait de la République à douze reprises depuis sa fondation. Nous connaissons les épreuves auxquelles vous allez être confrontés. Là où nous disposions d’un territoire vaste et des mondes alliés qui nous ont permit de faire durer ces périodes d’autonomie, vous ne disposez que de votre propre système, lui-même enclavé au cœur même de la République.

Il faut vous rendre à l’évidence, votre projet n’est pas viable. »


Les yeux de certains s’écarquillèrent alors que d’autres hochaient plus vivement du menton. Les défenseurs du projet sécessionniste au sein de l’assemblée se sentaient dans la tourmente. A force de les travailler, Jeresen savait qu’il était possible d’en faire changer quelques uns de camp. S’il réussissait à donner de l’ampleur à ce potentiel ralliement, alors les autres finiraient peut-être par faire le pas à leur tour. A moins, bien sûr, que leurs racines soient suffisamment solides pour résister à la tempête qui risquait de s’annoncer.

« Mais dans ce cas, que proposez-vous ? »

« A votre avis ? Il veut que nous courbions l’échine, pour que la République puisse continuer à nous exploiter ! »

« Mais arrêtez donc avec vos fantasmes ! Si le sénateur Fylesan est avec nous à cette table, c’est pour négocier et non pour imposer. » lâcha Harrhan sans la moindre subtilité, affichant plus profondément encore le mépris qu’il avait pour ses semblables qui souhaitaient faire défection à la République en avançant des arguments de plus en plus risibles.

Car c’était évident que Jeresen n’était pas là pour assurer l’exploitation de Bilbringi par la République. Il était natif d’Alsakan et membre d’une Haute Noblesse qui vilipendait ces méthodes depuis des millénaires.

« Exactement. Le fait est que la République prend votre cas très au sérieux. A ce jour, vous êtes les seuls à avoir exprimé de pareils souhaits mais il est tout à fait possible que d’autres mondes vous rejoignent sur cette voie si rien n’est fait. D’où sa volonté de négocier, de trouver un véritable compromis. Si nous sommes ici, devant vous, c’est que nous avons des propositions, des idées, des projections. C’est à vous qu’il convient à présent de les écouter. Elles ne sont pas éternelles, c’est pourquoi je vous conseille d’y réfléchir à deux fois avant de prendre la mauvaise décision.»

« Des propositions ? Et au nom de qui, Sénateur ? La République ? Ou bien est-ce pour le compte de votre monde, Alsakan ? »

Se sentant malmené, en danger, le ton du Bilbringi était acide, et l’Alsakani esquissa un maigre sourire confiant en guise de réponse :

« Les deux. »

Nouveaux échanges de regards, nouveaux haussements de sourcils. L’un s’apprêtait à objecter mais fut coupé dans son élan par Harrhan :

« Dans ce cas vous avez toute notre attention, Sénateur Fylesan. Nous vous écoutons. »

Jeresen écarta les mains, visiblement satisfait de cette réponse sensée. Il se pencha légèrement en avant, prenant appui sur ses coudes. Les affaires sérieuses allaient pouvoir commencer…
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Le petit jour perçait à la fenêtre, déposant ses rayons sur la face endormie des amants, ou plus exactement sur le visage très réveillé de Ress et celui respirant doucement de l’homme qui l’avait enlacé dans son sommeil. L’espace de quelques secondes, elle contempla le faciès détendu, presque enfantin de cet adulte qui lui avait pleinement démontré quelques heures plus tot à quel point il était homme … et d’expérience, manifestement. Cela n’aurait pas vraiment dû la surprendre : à leur âge et avec son passé, le contraire eut été étonnant. Quelque part, son passif étant sans doute plus important que le sien : elle avait simplement eu la chance d’avoir un mariage très libéré et heureux sur ce point. Après tout, peu importait le champ : elle avait toujours été relativement peu orthodoxe et rebelle. Son défunt mari partageait ses goûts pour la transgression. De ce point de vue, ils s’étaient bien trouvés. Et Jeresen Fylesan ? Il avait été … prometteur. Intéressant. Surprenant parfois. Son goût pour le piétinement des convenances l’aurait même poussé à continuer, pour voir ce qui se cachait réellement sous la surface du bel officier. Sauf que la politicienne en elle savait pertinemment que c’était autant une impasse qu’une idiotie.

Silencieusement, elle se dégagea du mieux qu’elle put de son étreinte sans l’éveiller, avant de récupérer à tâtons ses affaires puis de s’habiller à la hâte, boutonnant à la hussarde son chemisier avant de sortir, non sans avoir jeté un dernier regard à la silhouette endormie, avant de fermer la porte et de regagner sa chambre, non sans avoir soigneusement vérifié si la route était bien libre. Revenue rapidement, elle se calfeutra dans l’appartement et prit une longue douche, avant de choisir sa nouvelle tenue, un de ses habituels complets noirs si austères puis elle refit sa queue de cheval avant de passer quelques coups de holo rapidement. Tout était en place pour la journée qui allait suivre.

A neuf heures, Ress était devant le plus grand centre pénitentiaire de la planète, à attendre les officiels qui se retrouvaient avec une sénatrice de Balosar au lieu d’un fringant Ministre de la Justice pour s’occuper de leurs problèmes. Clairement, elle comprenait le manque d’enthousiasme général. Pour autant, certains n’étaient pas des ennemis, loin de là. Ils ne le savaient juste pas encore. Bientôt, un homme roux, d’une carrure impressionnante, vint la trouver et lui tendit une main ferme avant de s’exclamer :

« Ah, Madame Laz’ziark ! Vous tombez mal, nous sommes en pleine effervescence … »

« J’ai l’habitude, ne vous inquiétez pas. Qu’est-ce qu’il se passe ? »

« Rien de … Bon, entrez, je vais vous expliquer … »

Les imposantes portes s’ouvrirent, et après un passage interminable par la sécurité, la balosar se retrouva dans le bureau du directeur de la centrale qui la gratifia d’une tasse de café un peu trop serré avant de lui désigner la chaise en face de lui d’un geste rapide de la main. La quadragénaire s’y cala avant de croiser ses doigts, ses antennes braquées sur l’homme, puis elle prit une légère inspiration avant de dire :

« Donc, Monsieur Jankovik, vous avez réclamé l’aide de la République il y a peu, c’est bien ce que j’ai compris ? »

« En effet. Enfin, c’était avant … Tout ça. »

« Je me doute que la donne a changé … Pas pour le meilleur, je me trompe ? »

A ces mots, le directeur se tortilla sur sa chaise, visiblement mal à l’aise, avant de marmonner :

« Je ne peux pas prendre position politiquement, je ne suis qu’un fonctionnaire planétaire. Et je vois bien que votre démarche ici n’est pas dénuée d’intentions qui ne sont pas du type que je peux supporter. »

« Vous avez demandé à voir le Ministre et la délégation sénatoriale. Allons, Monsieur Jankovik, vous avez par ce simple fait pris position, et vous le savez. Vous ne pouviez pas ignorer les sentiments de votre élite dirigeante, et vous avez quand même agi. »

Un silence gêné suivi cette assertion. Au fond, Ress savait que le directeur Jankovik était le maillon faible de la chaîne par laquelle elle s’attaquait à la haute fonction publique de Bilbringi. Il suffisait maintenant de briser ladite chaîne et d’en forger une nouvelle, à sa convenance, dont elle détiendrait les clés. Encore fallait-il briser Jankovik, et pour cela, il allait falloir être adroite. Les simples affirmations péremptoires ne suffiraient pas. Preuve en fut sa réponse :

« J’ai fait ce qu’il fallait avec ce que j’avais à l’époque. C’est tout. »

« Soit. Je comprends votre position. Bien. Puis-je à tout le moins … Savoir ce qu’il se passe ? »

A nouveau, l’homme resta silencieux, avant finalement de dire :

« Ce n’est pas vraiment un secret. Bientôt, de toute manière, la presse va être au courant … »

Le directeur se tordit les mains, puis finit par déclarer :

« Les détenus se sont mis en grève de la faim. Ils réclament de meilleures conditions de vie … »

« Et vous n’avez ni la permission politique, ni les crédits pour le leur allouer, n’est-ce pas ? »

« Oui. Perspicace, pour une sénatrice. »

Avec un mince sourire, Ress répliqua :

« Je suis avocate, et j’ai souvent été commise d’office. Les conditions d’emprisonnement, les révoltes … je connais. »

Et c’était peu de le dire.

« Si je résume : vous avez deux choix, à savoir faire des promesses que vous ne tiendrez pas avec ce gouvernement, ou bien envisager de les nourrir de force. »

« Certes … »

« Bon. Visitons déjà. »

Comme elle s’y était attendue, la prison était relativement semblable à toutes celles qu’elle avait visité dans la Bordure : quelques quartiers étaient correctement entretenus, souvent ceux réservés aux prisonniers les plus influents, et le reste prenait l’eau de toute part. Classique, finalement. Vraiment, elle n’apprenait rien de nouveau, si ce n’était la misère de ces rebuts de la société que l’on condamnait, en oubliant que tous ces êtres demeuraient des frères et des sœurs pensants, malgré leurs errements. Les cris résonnaient, de même que le bruit de ses pas, douloureux sur le métal du sol. Lentement, ils remontèrent les différents quartiers, dans cette ambiance glaciale d’enfer sur terre.

« Pourrais-je parler à leur leader ? J’aimerais l’entendre. »

Brusquement, elle s’était arrêtée, et le directeur mit quelques instants avant de lui répondre puis, presque comme résigné, finit par hausser les épaules. Il la conduisit alors dans un enchevêtrement de pièces blanches pour déboucher sur l’infirmerie. Sur l’un des lits reposaient un alien, un rodien, qui, en la voyant, sembla se raidir. Jankovik s’approcha et les présenta :

« Jorbak, voici la Sénatrice Laz’ziark de Balosar. C’est … »

« Une avocate. »

Le rodien la regarda avec méfiance, avant de demander ce qu’elle désirait, ce à quoi Ress répondit doucement :

« Vous entendre. Simplement. »

Alors le détenu déversa tout son ressentiment, sa haine, sa révolte, et elle l’écouta sans jamais l’interrompre, prenant sa part de cette douleur silencieusement. Alors elle mit sa main sur celle du prisonnier et murmura :

« Je vais vous aider. Je vous le promets. »

Le directeur restait en retrait, l’air marqué, comme si le poids de ce malheur était trop lourd à porter, puis il lui emboîta le pas quand elle sortit, et ils revinrent dans son bureau :

« Alors ? »

« Alors, je vais faire ce que j’ai dit. Je vais l’aider. Je vais vous aider. »

Et Ress Laz’ziark ne prenait jamais ses engagements à la légère.
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« La première mesure que nous souhaitons mettre en avant est évidente et répond à l’une de vos exigences.
Actuellement, Bilbringi n’est autorisé à exploiter ses ressources et à produire uniquement pour le compte de l’État Fédéral, et plus particulièrement à produire des navires de guerre pour le compte de la Marine Républicaine.

Notre position sur ce sujet est claire, et nous sommes du même avis. Cela nuit gravement au développement de Bilbringi, en plus d’être une atteinte à sa souveraineté. »


Son regard glissa rapidement sur chaque individu, guettant une réaction, avant de poursuivre sa démarche :

« C’est pourquoi nous proposons d’assouplir les règles de production infligées par la République à votre gouvernement, et à vos travailleurs. Bilbringi sera autorisée à exploiter, produire et vendre pour des entités, ou organismes, autres que le seul État Fédéral dans le respect de la Constitution. »

Des regards s’échangèrent, interrogateurs, mais aucune discussion ne s’engagea entre les membres du conseil corporatif. Jeresen resta silencieux, prenant en compte la situation. Il connaissait déjà la réponse qui allait lui être lancé, mais il avait espéré pouvoir étirer un peu plus sa liste de proposition avant d’essuyer sa première interruption.

« C’est un début, mais c’est clairement insuffisant ! »

« Ce n’est pas avec seulement ça que vous nous ferez changer d’avis, Sénateur… »

« Nous n’avons pas terminé, messieurs… »

A son tour, le sénateur d’Alsakan venait de les couper dans leur envolée. Jeresen ne souhaitait pas avoir à faire face à un refus commun de l’ensemble des membres du conseil. C’était d’ailleurs ce qu’il souhaitait à tout prix éviter, et il avait prit plusieurs précautions pour y parvenir. Mais d’abord, il devait creuser la division qui s’étaient créé entre les corporatistes, et pour cela il devait détailler ses mesures :

« Merci.

Dans la droite lignée de notre première mesure, nous estimons qu’il est nécessaire d’assouplir les contraintes commerciales imposées par la République. Il est anormal que Bilbringi ne puisse pas profiter des mêmes droits que ses voisins. »


« Ah, c’est bien vrai ça ! » s’exclama Jellon Razen

« Nous proposons donc que d’autres entreprises privées soient autorisées à s’implanter et à investir selon la volonté du gouvernement Bilbringi, et non pas celle de l’Etat Fédéral seul. Et sur ce point, Alsakan est déjà prête à s’impliquer. »

L’air de rien, Jeresen venait appuyer les propositions en glissant le nom de l’hégémonie qu’il représentait. L’Alsakani ne s’était pas caché vouloir étendre l’influence de son monde au-delà de son pré-carré, mais il voulait également se montrait sincère. Cette proposition n’était pas uniquement porté sur un intérêt personnel. Le sénateur voulait réellement que les choses changent sur Bilbringi.

« Comment comptez-vous impliquer votre monde, Sénateur ? »

« Il est hors de question que cela se fasse aux dépends des Bilbringis ! »

Enfin une remarque pertinente qui méritait la pleine attention de l’Alsakani. Ses conseillers l’avaient d’ailleurs prévue, et c’est pourquoi ils avaient pris les devants et évoqué la chose avec certaines compagnies privées liées à l’hégémonie et avaient donc pu définir des certitudes, des pré-requis, inaliénable.

Prenant un air et un ton rassurant, Jeresen n’hésita pas à exposer la vision qu’avait Alsakan de ce sujet :

« Il n’en est pas question, évidemment.

Notre législation concernant les entreprises planétaires va bientôt évoluer, et l’Alsakan Corporation of Armaments sera autorisée à s’implanter au-delà de nos frontières. Nos chantiers navals de Vento ne sont plus suffisants et nous ne pouvons étendre les chantiers présents sur Alsakan pour le moment. »


« Donc vous souhaiteriez que votre… ACA… s’installe à Bilbringi pour produire vos navires ? »

« C’est exact, et avec des obligations envers votre gouvernement. En employant, par exemple, très majoritairement des ouvriers bilbringis. »

Sur ce point, Jeresen était rapidement tombé d’accord avec les dirigeants de l’ACA, quand bien même un froid s’était installé entre le gouvernement Alsakani et le constructeur naval. Cela faisait d’ailleurs partie de l’accord tacite qui devait déboucher sur l’ouverture aux marchés extérieur. L’ACA serait contrainte d’employer des locaux, et non des expatriés. Et, dans le pire des cas, des immigrés.

« Ce sont… des propositions alléchantes que vous nous faites, Sénateur. Mais nous ne sommes pas dupes, vous devez forcément espérer des contreparties importantes. Sinon vous ne seriez pas venu nous exposer votre projet à cette table. »

Là encore, les industriels étaient prévisibles. D’ailleurs, la question n’était pas innocente tant ces gens étaient prêts de leurs sous tout autant que de leurs intérêts. Et ces derniers risquaient d’être mis à mal par les propositions de l’humain, qui comptait bien profiter de l’occasion pour insufflé d’un nouvel air progressiste dans cette machine militaro-industrielle technocrate. Car d’une certaine manière, les gens qui lui faisait face étaient à l’identique de ceux qu’il exécrait : le profit avant tout, quelque en fut le prix.

Une chose inacceptable aux yeux de l’Alsakani.

« Cela va de soi, bien évidemment. L’État Fédéral ne s’avancera pas sur ces terrains sans conditions et vous le savez tout aussi bien que moi.

Tout d’abord sur la première mesure. Si la République accepte de desserrer son étau sur votre production, cette dernière doit rester majoritairement et prioritairement dirigée pour le compte de l’État Fédéral. Deuxièmement, l’Etat Fédéral gardera un droit de regard sur les implantations et les ouvertures commerciales en raison de la sûreté de l’état. »


« C’est une plaisanterie ! Sénateur Fylesan, vous ne pouvez pas nous vendre un retour à la souveraineté avec de pareilles conditions… » balança aussitôt le trouble-fête de cette réunion, encore lui.

Une réaction que l’Alsakani espérait et qui lui permettait justement de creuser le fossé entre cet homme et le reste du conseil. L’idée était évidemment de les opposer le plus possible pour que la majorité finisse par accepter les propositions pour mieux torpiller leur adversaire. Jeresen avait pu remarquer le désaccord entre le corporatiste et ses semblables sur la question de l’indépendance, et l’idée étaient justement de le pointer du doigt pour l’isoler et ainsi négocier uniquement avec ceux plus enclins à le faire.

De toute manière, cette idée mis à part, ils ne devaient pas s’attendre à ce que la République ne se transforme en un béni-oui-oui pour conserver Bilbringi. Elle avait d’autres moyens de s’assurer de leur loyauté.

« Nous avons conscience des implications, mais c’est un moindre mal nécessaire. Vous ne pouvez pas demander à la République de tout abandonner en une seule négociation. Ce que nous vous proposons est un début, une ouverture que vous devez saisir si vous souhaitez réellement le bien de votre système, de votre monde, de vos citoyens.

Nous rajoutons également une condition importante. Si Alsakan doit investir à Bilbringi, ce sera dans le respect de la Loi Républicaine. Et plus particulièrement du Pacte Social que vous ne respectez actuellement pas. »


Jeresen fusilla du regard Jellon Razen, accusateur, attendant une réponse qui permettrait de l’abattre en plein vol avant de le regarder descendre en flammes.

« On ne va tout de même pas accepter ça ?! » s’exclama-t-il aussitôt, avec plus de sang-froid qu’attendu.

« Vos contreparties sont exigeantes, Sénateur… » rétorqua un autre, avec plus de tact.

« Certes elles le sont, mais elles ont au moins le mérite de nous offrir une sortie de crise. Nous savons tous que nous allons droit dans le mur si nous prenons le parti de l’indépendance. » trancha celui que Jeresen estimait le plus proche de sa propre position.

Cette réaction ne manqua pas d’allumer la mèche, chose tant attendue par l’Alsakani. Si bien que M. Razen ne tarda pas à sortir de ses gonds :

« Vous êtes des inconscients. Vous rendez-vous compte ? Il vient tout juste de nous accuser de ne pas respecter la loi républicaine, alors que tout les rapports, toutes les notes émises à l’administration républicaine prouvent le contraire ! Et vous, vous ne dîtes rien ?! On ne peut pas éternellement tendre la joue. Il faut agir ! »

L’humain vociférait, les mains appuyées sur la table, penché en avant. Son regard glissa sur ses collègues, accusateur, réprobateur. L’insulte était partit, et Jeresen masqua sa jubilation derrière un air particulièrement neutre et détaché, posant son datapad sur la table en feintant l’exaspération.

« N’insultez pas le reste de ce conseil, Jellon ! Vos manières sont déjà allées trop loin, et vous ne pouvez pas exiger que nous vous suivions sans réfléchir. Ce n’est pas une dictature ! Quand à vous sénateur Fylesan, nous ne vous permettons pas de diffamer de la sorte… »

L’Alsakani se redressa, l’air plus dur et autoritaire. Un air hautain qu’il ne réservait généralement qu’à certains de ses semblables, ceux qui n’hésitaient pas à péter plus haut que leur nez. Il était tant de sortir sa première carte, qui dépendait beaucoup de celle avec qui il avait profité d’une des nuits les plus agréables qu’il lui avait été offert de passer depuis des années. Il se demandait d’ailleurs si sa visite du centre pénitencier se déroulait sans accrocs. Si elle était parvenu à dialoguer avec les différents partenaires sociaux.

Enfin bref. Jeresen ferma les yeux une seconde le temps de refouler les émotions et l’envie que lui inspirait Ress Laz’ziark. Lorsque ce fut fait, il fixa ses interlocuteurs.

Il était pour l’Alsakani d’attaquer avec une lourdeur à peine cachée dans sa voix :

« Oh, mais nous ne diffamons pas. Nous avons des preuves, et nous sommes certains que la Sénatrice Laz’ziark se fera un plaisir de les exposer au grand jour à notre retour à Coruscant. En plus des preuves de faux et usage de faux, bien entendu. »

Nouveau regard vers M. Razen, qui était presque devenu rouge de colère. Il devait se sentir sur la défensive, dans l’obligation de réagir. Dommage pour lui que sa réponse fut si autoritaire, si irréfléchie :

« Il suffit, j’en ai assez entendu. Sénateur Fylesan, je vous demande de sortir. Cette séance est close, et il n’y en aura pas d’autres ! »

« Mais pour qui vous vous prenez, Jellon ? Cette fois vous êtes allé trop loin. Nous demandons votre exclusion de ce conseil par l’usage du vote. » l’interrompit aussitôt son collègue, avec autorité, sortant de leur torpeur ses associés qui n’avaient pas encore prit la parole et qui avaient préféré suivre la discussion avec discrétion.

« C’est une blague ? Vous n’avez pas le droit ! »

« Taisez-vous. Nous en avons parfaitement le droit et vous le savez. Le vote est ouvert. Qui est pour ? » rétorqua le principal défenseur du maintien de Bilbringi dans la République.

Les conseillers se regardèrent et, les unes après les autres, les mains se levèrent. La majorité fut atteinte en moins de quelques secondes, et seuls deux industriels refusèrent de voter la motion. Lorsque les mains se baissèrent enfin, les regards se tournèrent vers Jellon Razen :

« Jellon, par l’usage du vote, le conseil a choisi de vous exclure des négociations. Veuillez quitter la salle, je vous prie. »

« Ca ne se passera pas comme ça… » claqua l’exclu.

Rassemblant ses dossiers, il toisa du regard chacun des conseillers d’un air plein de haine avant de se lever et de disparaître de la pièce d’un pas musclé. Oh oui, il était agacé de na pas avoir été prit au sérieux, de s’être fait avoir par le sénateur d’Alsakan, lequel n’avait pas manqué de lui offrir un discret sourire.

Puis, la discussion reprit, avec un sérieux retrouvé :

« Sénateur Fylesan, au nom de ce conseil je vous prie de bien vouloir nous excuser pour cette… scène désobligeante. Monsieur Razen se croit suffisamment puissant pour imposer ses décisions à l’ensemble du conseil. »

« Est-ce qu’il l’est ? » demanda l’alsakani.

« Seul ? Non. Sa position, dure et tranchée, sur la question de l’indépendance l’a isolé. Ce vote l’a prouvé. Néanmoins, il avait raison sur un point. Cela a forcé la République à négocier.

Mais que l’on s’entende bien. Nous n’avons aucun intérêt à prendre notre indépendance, mais ces exigences sont trop contraignantes. »


Evidemment. En même temps, ils l’avaient interrompu alors qu’il n’avait pas finit d’émettre ses propositions. La réaction de M. Razen lui avait permit de lancer son premier Scud à l’intention des administrateurs. Désormais, il était tant de lancer celui que le Ministre de l’Intérieur n’avait pas manqué de mettre en évidence à son arrivée dans le système.

« Alors il est temps pour nous de dévoiler le reste de notre main. »

« De quoi parlez-vous, cette fois-ci ? »

Joignant ses mains devant lui, les coudes posés sur la table, Jeresen laissa glisser ses pouces sur son menton avant de se redresser. La première tempête était à peine passée qu’il s’apprêtait à en déchaîner une deuxième, avec, il l’espérait, le choc escompté.

« Peut-être que vous trouverez ces contreparties plus acceptables une fois que nous aurons fait notre rapport sur les travaux que vous avez entreprit pour menacer vos voisins, notamment par la construction de cette immense barrière défensive aux frontières de la ceinture d’astéroïdes de votre système. »

Coup de tonnerre. Étonnement. Surprise. Tant d’émotions qui s’affichèrent sur les mines déconfites des industriels, qui s’échangèrent une vague de regards interloqués. Pourtant, Jeresen pouvait presque déjà dire qui étaient au courant, et qui ne l’étaient pas. En tout cas, ceux avec qui il avait dialogué depuis le début, excepté celui qui s’était fait évincé, n’avaient pas laissé le moindre élément laissant à penser qu’ils pussent en être informés. Les autres, par contre….

« Je vous demande pardon ? »

« D’où tenez-vous ces accusations ? »

Jeresen les fixa du regard, l’un après l’autre, dans une volonté d’analyse issue de ses années passée dans le renseignement. Ils voulaient des réponses, l’Alsakani allait les leur donner.
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« Ce n’est pas que je ne vous crois pas, Madame Laz’ziark, mais comme vous l’avez dit vous-même, nous n’avons que peu de choix … »

« Vous peut-être. Pas moi. En tant que membre de la délégation républicaine sénatoriale envoyée sur Bilbringi, il est de mon devoir de proposer les ajustements nécessaires à la bonne conduite des affaires républicaines. Cette situation est proprement intolérable, et ne vient que confirmer les demandes répétées de rénovation de notre système carcéral que je tente d’imposer depuis plusieurs années.

J’ai proposé il y a quelques semaines au Ministre de la Justice actuel un plan destiné à changer nos mœurs pénitentiaires. Je crois qu’il est temps de passer de la théorie à la pratique. »


D’un coup, Ress sentit le regard du directeur évoluer, passant de l’air résigné et poli de celui qui se demande bien ce que son interlocutrice veut tout en ayant cure à celui calme et attentif de l’homme qui comprend soudain qu’en réalité, il n’a pas affaire à une potiche politicienne sans intérêt, mais à une personne qui a un minimum potassé son sujet. Or s’il y avait bien une chose que les politiques travaillaient peu dans ce genre de mission, c’étaient leurs dossiers thématiques, surtout si ces derniers étaient peu reconnus de l’opinion publique. Globalement, la plupart des gouverneurs planétaires ou représentants sénatoriaux allaient dans le sens du peuple, flattant ses plus bas instincts à leur avantage, les asphyxiant de leur haine, cet opium qui trompe les populations depuis la nuit des temps et l’empêche de s’unir. Oui, il était facile de se contenter de clamer haut et fort combattre le crime à grand renfort de privations de liberté et de régimes autoritaires. C’en était une autre que de s’intéresser au sort des condamnés, de veiller à la dignité de tous, et de prôner des politiques de réinsertion nécessairement mal vues. Il était plus facile de condamner que de se questionner sur les ressorts de la criminalité et de la récidive, de dénoncer les racines endémiques de la pauvreté et de l’exclusion. Certes, la balosar était une farouche adversaire de la pègre, mais davantage parce qu’elle la voyait comme une manière plus perverse d’oppression du peuple que comme un problème ponctuel venant simplement de mauvaises personnes. Comme elle avait coutume de le répéter, n’eut-elle pas elle-même bénéficié d’une chance éhontée qu’elle aurait sans doute fini à l’image de tous ces prisonniers, parce que la société ne lui aurait guère donné d’autres choix. Son propre frère aîné n’avait-il pas emprunté cette voie, échouant sur le bas-côté de la pire des façons. Toujours, la sénatrice avait en tête son pauvre corps désarticulé et ce front suintant de sang, adossé à la maison voisine en forme d’avertissement. A l’époque, elle n’avait pas huit ans. Désormais, elle luttait pour que d’autres gamines n’aient pas à grandir trop vite, sur Balosar comme ailleurs.

« Vous avez une idée en tête n’est-ce pas ? »

« En effet. Je compte proposer à la commission sénatoriale à la Justice de prendre Bilbringi comme cadre d’expérimentation de cette nouvelle politique, et y consacrer une partie des fonds alloués par la République et dont nous devons définir l’usage à votre planète. Ce sera un progrès pour tous, et aura des répercussions considérables en termes de sécurité, ce qui est, si j’ai bien compris, un sujet pour le moins brûlant en ce moment sur Bilbringi. »

L’homme la dévisagea pendant un long moment, avant de déclarer doucement :

« Beaucoup considéreront qu’un tel geste pour des condamnés sera une perte de temps, voir un mauvais signe. »

« Certes. Mais d’autres y verront la promesse d’un renouveau. Nous pouvons mener une politique vaste de réinsertion, développer la prévention de la délinquance, éduquer les condamnés, réformer les conditions de détention pour prévenir la récidive. Cela apportera la paix à Bilbringi, un nouveau sentiment de sûreté et une garantie que la République se préoccupe du sort de chacun, y compris les plus faibles.

Sans compter les gains pour tout le système juridique local. »


« J’entends bien. Sauf que si vous sortez cela au conseil élu actuel, vous courrez droit à la catastrophe. Ils ne vous écouteront pas. »

Avec une amertume non-dissimulée dans la voix, Jankovic soupira :

« Ce n’est pas comme s’ils m’écoutaient, de base. »

« Je sais. Il faudra donc leur forcer la main. »

Là, le grand roux haussa des sourcils franchement interrogateurs, sa main tapotant nerveusement son bureau comme s’il regrettait presque ce qui allait suivre.

« Cette grève de la faim doit s’amplifier. Tout comme la grogne de vos employés. Je peux arriver à médiatiser sans trop de problèmes les affaires en cours, pour autant, inutile de préciser que mon implication directe n’est pas nécessairement souhaitable, sinon, le Sénat pourrait retoquer ma proposition. »

« Vous voulez … Que je sabote ma propre prison ? »

« Non. Je veux que vous vous donniez les moyens d’appuyer vos revendications. Je peux vous garantir l’appui discret de la délégation républicaine et une aide logistique. »

« Je … Je risque de perdre mon poste. »

« Oui. Ou de vous forger les débuts d’une carrière politique. »

L’orgueil était toujours le moteur des hommes. Il fallait simplement trouver l’argument choc, le levier de l’ambition pour appuyer dessus et en extraire cette énergie qui emplissait étrangement tous les hommes et femmes d’influence. Jankovic était un bon pion à cet égard.

« Moi ? Je n’ai pas d’ambitions particulières … »

« Vous pourriez. Mais en tout cas, en effet, si vous laissez cette situation dégénérer, et ce sera le cas dans peu de temps, croyez-moi, n’espérez rien. Surtout que si un fusible doit sauter … Enfin, vous savez ce que c’est. Il faut bien un coupable, dans ce genre de cas … »

L’humain pâlit à ces mots, son front se creusant comme s’il réfléchissait de plus en plus furieusement à la teneur de ces déclarations pour le moins … tranchées. Puis il finit par dire :

« Je … Je dois réfléchir. »

« Je vous en prie. Après tout, ce n’est qu’une proposition, un conseil … Prévenez-moi si vous avez du nouveau. »

Et sur ce, elle prit congé, remonta dans sa navette, avant d’indiquer une nouvelle position. Tu parles, que ce n’était qu’un conseil ! Jankokic suivrait, de gré ou de force. Et la suite passait par échauffer encore davantage les esprits, son jeu favori, le tout avec une couverture parfaite. Qui eut cru qu’être sénateur offrait autant de perspective pour des agitateurs ? Comme quoi, tous ces anarchistes qui brâmaient leur opposition à la politique traditionnelle avaient bien tort. Au moins, ainsi, on jouait à armes égales avec les oligarques républicains. Il était nécessaire pour changer les choses de s’approprier le pouvoir. Poser des bombes ou vivre en autarcie n’avait jamais rien amené, si ce n’étaient moqueries et chaos. Enfin, ces imbéciles étaient bien utiles, tout de même. Ils avaient cette capacité fanatique délicieuse qui pouvait débloquer bien des situations, et cerise sur le gâteau, sans impliquer les autres mouvements militants d’émancipation.

L’immeuble devant lequel elle s’arrêta était grisâtre, peu ragoûtant à première vue. Clairement, il y avait plus engageant. Pour autant, c’était bel et bien sa destination. Rassemblant ses affaires, Ress sortit rapidement et s’engouffra dans le bâtiment, cherchant distraitement sur le plan à l’entrée son prochain lieu de rendez-vous. Enfin, elle ouvrit une porte qui émit un crissement désagréable pour se trouver nez à nez avec une table ronde d’inconnus.

« Sénatrice, nous vous attendions. »

« Appelez-moi camarade, voyons. Ici nous sommes entre nous, pas de titres ridicules. »

Les convives se sourirent. L’intersyndicale de Bilbringi était prête à se mettre à table.
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Jeresen n’avait pas cherché à leur cacher la moindre information. Concernant la fameuse barrière défensive que les Bilbringis étaient en train de construire, il avait tout d’abord présenté plusieurs clichés pris par les caméras de leur vaisseau diplomatique lorsqu’ils avaient frôlé une des installations, appuyant sur le fait que les systèmes de détection des défenses spatiales laissaient clairement à désirer. Puis, il avait expliqué la manière dont ils avaient découvert l’existence de ces bases de défense, et comment le ministre Vorkosigan les avaient convaincus, Ress Laz’ziark et lui, de vérifier les rumeurs avant de poursuivre leur route vers Bilbringi. Ses accusations étaient pleinement justifiées, et les preuves ne manquaient pas. Une partie des membres du conseil exécutif n’en revenaient pas et s’échangeaient les clichés entre plusieurs murmures d’inquiétude et d’agacement.

Jeresen les regarda tour à tour, avisant leur réaction et préparant sa conclusion. Il attendit que le calme revînt, et que l’attention se fixait à nouveau sur lui. Alors seulement, il appuya :

« Vous comprenez bien que cette barrière défensive ne peut, en l’état actuel, représenter une menace que pour la seule République. Jusqu’à preuve du contraire, l’Empire n’est pas aux portes de Bilbringi. Nous pouvons même affirmer qu’il en est même très loin. Nous en déduisons-donc que cette barrière défensive n’a pour but que d’intimider la République, voir pire, n’est là que pour préparer la défense de Bilbringi lorsque celle-ci gagnera son indépendance. »

L’Alsakani n’avait pas mâché ses mots, ni même cherché à arrondir les angles. Son intonation était rude et accusatrice. Il ne pouvait pas accepter que Bilbringi développa pareils systèmes sans en avoir informé publiquement ses voisins. Alsakan avait des bases de défense, ainsi qu’une flotte. Mais ces bases étaient référencées, et tout mouvement de flotte était planifié puis annoncer aux systèmes républicains voisins et concernés de sorte à ce que tout acte maladroit puisse être évité. Tout le contraire du cas Bilbringi, qui était tout simplement inconscient.

Jeresen cherchait aussi à démasquer ceux qui étaient au courant du développement de ces installations, et cela passaient par une analyse comportementale précise et poussée, car les hommes d’affaires et politiques qui lui faisaient face étaient en grande partie rompus à ce genre d’exercices.

C’est pourquoi il les laissa s’exprimer, se contentant d’observer et de scruter les moindres réactions, les moindres déviations du regard, la moindre hésitation. De plus, il comptait bien laisser les conseillers se démasquer d’eux-mêmes, de part le débat qu’il cherchait à installer entre eux. Pour cela, expliciter les détails de la découverte des installations était un bon début.

« Comment avons-nous pu être aussi aveugles ? N’avons-nous pas des vaisseaux qui transitent tout les jours par ces secteurs ?! » lança subitement le représentant principal du conseil.

« Plus depuis que nous avons voté l’exclusion de la majorité du trafic dans la ceinture d’astéroïde extérieur, il y a plusieurs mois. Un vote demandé par Jellon Razen en personne. Il avait justifié cette zone d’exclusion par l’installation de bases minières de sa compagnie dans la ceinture et des risques encourus par le trafic spatial dans la zone. »

Jeresen commençait à comprendre au gré des explications comment une pareille entreprise avait put être menée dans la plus grande discrétion. Quand bien même il était plus facile de conserver un grand secret qu’un petit, celui-ci restait tout de même mystérieux. Tout d’abord, comment étaient-ils parvenus à maquiller les investissements ? Puis, comment avaient-ils pu cacher la construction aux yeux du public. A vrai dire, c’était ce deuxième point qui avait pêché, puisque l’information avait finit par parvenir aux oreilles du Falleen, puis de l’ensemble de la délégation républicaine, Jeresen comprit.

« En quoi une activité minière met-elle en danger le trafic spatial ? » questionna donc l’Alsakani d’un air quelque peu circonspect.

« Par les méthodes d’extraction à l’explosif militaire, qui permet d’atteindre rapidement les veines de minéraux. » rétorqua immédiatement un des industriels expert dans le domaine.

« Nous voyons. »

« Que faisons-nous à ce sujet, messieurs ? » lança ensuite, avec aplomb, l’un des défenseurs du maintien de Bilbringi dans la République.

« Nous devons faire interrompre ces travaux et démanteler les infrastructures déjà établies. Puis nous devons mettre la main sur les fournisseurs et les investisseurs. »

Il y eut un grand silence, et les premiers coupables finirent par se trahir : détournement du regard, sursaut d’étonnement ou léger rictus, rien ne passa inaperçu. Pourtant, il n’y eut aucune confrontation, ni même la moindre opposition. La réaction surprit Jeresen, qui s’attendait à voir les souris défendre corps et âmes leurs fromages. Il n’en fut rien. Sans doute ne voulaient-ils pas se mettre dans une position inconfortable tant que les preuves contre eux ne s’étaient pas accumulées. Une manœuvre logique, en fin de compte.

« C’est effectivement la meilleure chose à faire. Ou alors vous devrez annoncer publiquement ce projet à l’ensemble de vos voisins, ainsi qu’au gouvernement fédéral. Mais sachez, et c’est là le conseil d’un militaire, que la défense statique n’a jamais empêcher seule une invasion.

C’est pourquoi, si le projet est abandonné, nous appuierons pour que Bilbringi puisse posséder sa propre force de défense indépendamment de la force fédérale. Ainsi, si à l’avenir Bilbringi devaient quitter la République, vous pourrez garder votre capacité à vous protéger. »


Il y eut un nouveau silence, seulement interrompu par le bruit des doigts pianotant sur les pads et les plumes des stylos griffonnant les feuilles. Puis, des regards s’échangèrent, rapidement suivis par les mots :

« On devrait garder la ligne de défense. Nous n’avons pas les capacités, ni même les moyens de former des militaires à la défense navale. »

« Non. On ne peut pas conserver ces installations. Ce serait perdre la face devant ceux qui ont voulu se jouer de ce conseil pour affirmer leurs souhaits d’indépendance. »

« Que voulez-vous dire ? Que l’on essaye de nous écarter par la même occasion ? »

« C’est possible. Mais nous n’avons pas assez d’éléments pour l’affirmer. En revanche, le Sénateur Fylesan nous a dressé ses propositions, et j’estime qu’il est temps pour nous d’en débattre. Qu’en pensez-vous Sénateur ? Avez-vous d’autres choses à ajouter ? »

Le regard de l’ensemble des industriels et autres entrepreneurs du conseil de Bilbringi se rivèrent sur l’Alsakani, lequel finissait de griffonner un bout de papier. Il se redressa, s’adossant confortablement au dossier de son fauteuil. Il n’avait pas tout à fait terminé, mais ses prochaines paroles seraient les dernières qu’ils prononceraient à cette table avant leur débat.

« Oui, une dernière chose, si vous nous le permettez. Et cette fois-ci en tant que représentant d’Alsakan. Entre-nous, cette idée de ligne défensive est une absurdité. Vous avez bien plus à gagner à organiser vos propres forcées armées mobiles, qui seraient plus à même de défendre votre système que des bases spatiales faciles à cibler, car immobiles.

Mais vous avez soulevés un point important. Effectivement, vous n’avez pas les connaissances pour former une véritable force de défense, à l’échelle de votre système. »


Il marqua une courte pause.

« C’est pourquoi nous proposons, au nom de l’Hégémonie d’Alsakan, de former la future force de défense de Bilbringi, et d’intégrer votre système aux mondes placés sous la protection de l’Hégémonie le temps que vous soyez à même s’assurer seuls votre protection. »

Puis, il referma le dossier qu’il avait devant lui et attrapa son pad entre ses mains, avisant les réactions et les discussions qui ne tardèrent pas à reprendre. L’offre qu’il venait de faire allait re-mélanger les cartes, et il espérait bien que ce serait pour le meilleur et non pour le pire.

« Sur ce, nous avons terminé. » Son regard glissa vers le maitre de la conférence, celui qui l’avait soutenu dès le début du débat. « Vous nous raccompagnez ? »

Ce dernier acquiesça et remercia le Sénateur, avant d’annoncer que la phase de discussion sur les propositions faites par l’Alsakani allait bientôt commencer. Puis il se leva, invitant Jeresen à le suivre dans le couloir, ce que l’humain fit sans attendre. Ils passèrent la porte de la salle de réunion, laissant le brouhaha disparaître pour laisser place à une atmosphère plus calme. L’Alsakani glissa son pad dans sa poche, pour en ressortir le papier qu’il avait griffonné pour le tendre vers le chef d’entreprise :

« Nous connaissons le chemin, merci. Tenez, prenez ça. Ce sont les noms des responsables. Du moins, de ceux qui étaient présent. »

Il laissa l’homme se saisir du papier avec étonnement, visiblement surpris, avant de reprendre seul sa route. Il avait encore beaucoup de choses à faire, à commencer par contacter Ress Laz’ziark. Il espérait qu’elle avait pu avancer de son côté, car les choses risquaient de rapidement s’accélérer.
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La scène syndicale de la République était encore plus morcelée que son paysage politique, ce qui représentait une prouesse particulièrement impressionnante en matière de multiplication stupide d’organisations ayant des buts similaires mais se refusant à une alliance fructueuse en raison de disparités idéologiques mineures, d’ambitions personnelles contrariées ou tout simplement d’imbroglios locaux peu propices à une extension à l’extérieur des frontières planétaires. Il ne fallait en effet pas se leurrer sur les rapports de force au sein du mastodonte supposément démocratique qui abritait la majorité de la population galactique : si les plus gros triomphaient, ce n’était pas précisément parce que leurs idées étaient majoritaires, mais tout simplement parce qu’ils avaient accumulé en raison de leur puissance militaire et économique des zélotes fidèles qui constituaient des embryons d’esprit partisan. Après tout, bien que leurs défenseurs s’en offusquent, on pouvait aisément analyser les débuts de la République et les dissensions en son sein entre Coruscant, Alsakan et Corellia comme l’expression de frictions politiques entre trois partis ou blocs. Si ces différences s’étaient estompées, d’autres avaient surgi, mais c’était seulement depuis quelques années que l’esprit partisan commençait à obtenir de réelles percées dans la Rotonde … et ailleurs. Sauf que les progrès demeuraient faibles et que dans bien des endroits de la galaxie, beaucoup ne comprenaient toujours pas que leur position malaisée venait de leur isolement.

Ress avait en effet très tôt théorisé l’union syndicale comme le seul moyen de faire le poids face aux puissances démentielles de l’argent au sein de la République, et ce sur deux niveaux : local puis galactique. Trop longtemps, les syndicats s’étaient fait la guerre ou se retranchaient derrière une posture planétariste du plus mauvais effet, sous prétexte que les problèmes n’étaient pas les mêmes ici ou là. A son avis, c’était une grave et fatale erreur, car c’était précisément le rôle de la classe dirigeante que de parvenir à convaincre les dominés de leurs divergences. Or, au fond, il n’y avait pas tant de différence que ça entre un habitant des bas-fonds de Coruscant et un ouvrier de Balosar, ou un militant écologiste d’Antar IV vis-à-vis d’un révolutionnaire de Bakura. Objectivement, tous luttaient pour augmenter ou préserver leur niveau de vie, se battaient contre la pollution et l’exploitation, et tentaient de promouvoir de nouvelles formes de coexistence sociale. Les particularismes n’empêchaient pas de trouver des points communs, au contraire même. L’essentiel était de s’accorder sur les grands principes … et de cornaquer tout ce petit monde pour qu’il avance dans une direction favorable. Apparemment, ce schéma de la dissonance des voix avait pourtant encore de beaux jours devant lui, comme en témoignait la diversité des personnes attablées.

Avec deux représentants chacun, l’Organisation Confédérale Vivantiste et le Parti Ouvrier Bilbringi tentaient de s’afficher comme les forces en puissances locales, bien que par sa propre personne, Ress faisait mathématiquement jeu égal en apportant une voix supplémentaire à l’émissaire de la CRT. Au milieu de ces poids lourds s’égrenaient d’autres petites organisations, dont les représentants corporatistes, ce que la balosar accueillait avec peu d’enthousiasme : rien de plus contre-productif à ses yeux que de se réunir au sein d’une même branche ! D’une part, cela limitait les revendications à des spécificités sans intérêt, d’autre part, cela faisait souvent le jeu du patronat qui avait beau jeu de monter les cadres contre les employés, les contre-maîtres contre les ingénieurs, et ainsi de suite pour obtenir les accords qu’il désirait. Tout l’enjeu était d’ailleurs là, pour elle : convaincre les Bilbringi que tous seraient impactés par un retrait d’une part, mais aussi obtenir une alliance de principe pour éventuellement mener un front commun. La première partie s’annonçait déjà ardue, quant à la seconde, elle devait admettre qu’elle se demandait sérieusement comment parvenir à ce tour de force. Non pas qu’elle ne s’en crut pas capable … Pour autant, elle n’était pas non plus complètement imbue de sa personne, et arrivait encore à envisager certains cas de figure avec l’humilité nécessaire pour ne pas partir bille en tête et se ramasser un bon gadin.

« Bien, mes amis, camarades, si j’ai demandé à participer à cette réunion … »

« Que vous avez convoqué … » persifla immédiatement un des représentants des cadres, qui par cette incise moqueuse s’attira instantanément le ressentiment de Ress, ses antennes se braquant sur le malotru sans pour autant que son visage ne bouge, arrachant une expression momentanément interloqué à l’humain étant intervenu.

« Je disais donc que si je suis venue, c’est certes en tant que représentante de la délégation sénatoriale envoyée sur Bilbringi, mais également en tant que citoyenne soucieuse de l’intérêt de ses pairs en raison de la situation pour le moins complexe qui se joue en ce moment. »

« Pairs, pairs … C’est vite dit. Je ne voudrais pas être désobligeante, mais vos préoccupations ne sont sans doute pas les mêmes que celle d’un habitant moyen de Bilbringi. »

Décidément, cet humain paraissait aussi coopératif qu’un rancor, et Ress n’eut besoin que d’un mouvement vers sa gauche pour s’entendre confirmer ce qu’elle avait soupçonné : Moraj Goldorbi appartenait à une organisation de cadres relativement protégée par le pouvoir, connu autant pour sa modération que pour sa propension à s’aligner sur les demandes des grands lobbys tant que ces derniers acceptaient des contreparties modestes pour soigner sa clientèle.

« Je doute que les vôtres soient exactement semblables à celles de votre voisin, répliqua avec force l’avocate en pointant son voisin de l’OCV, ou encore que toutes celles de ceux présents à cette table. Et pourtant, vous serez impactés tout comme eux par ce qui se prépare. Et sur ce point, moi aussi. Nos préoccupations ne sont donc pas si éloignées, en vérité. »

« C’est vous qui le dites. Un retrait de Bilbringi n’amènera pas que de mauvaises choses pour les cadres de Bilbringi … »

« C’est ça, et les autres peuvent crever non ? »

« Bonjour la solidarité ! »

« Vous pensez à autre chose que votre gueule, Goldorbi, ou c’est trop demander ? »

La bronca était venue de toutes les parties de la table, et il fallut plusieurs minutes pour que le silence revienne, ainsi qu’une intervention musclée pour empêcher ledit Goldorbi de coller son poing dans la figure de l’un de ses contradicteurs les plus véhéments. Clairement, l’entente n’était pas des plus cordiales …

« Si nous pouvions reprendre dans le calme … Bien, voilà. Je présume que l’on vous a assuré, Monsieur Goldorbi, que la sortie de Bilbringi du cadre de la République se traduirait favorablement au niveau de vos salaires et de vos avantages, en raison notamment d’une cessation des contraintes sur la production et d’une hausse donc de cette dernière ? »

« C’est ça. Et laissez-moi vous dire que c’est une vision économiquement soutenable ! »

« Je n’en doute pas. A ce détail près que Bilbringi se retrouvera enclavée et sans partenaires commerciaux directs, ce qui vous obligera à transiger avec des entités très éloignées et qui continueront à commercer avec la République et ses grands groupes, car une seule planète ne pourra aucunement s’aligner en matière de compétitivité en raison des déséconomies d’échelle majeures auxquelles vous serez exposés. Sans compter les diverses autres représailles qui vous asphyxieront, et je ne parle même pas de votre dépendance alimentaire et énergétique qui, en raison des taxes que vous devrez désormais acquitter, réhaussera encore vos coûts.

Rogner sur tous les salaires deviendra alors la seule solution, ainsi que sur les avantages les plus couteux. Dites adieu à vos gratifications exceptionnelles et aux protections du pacte social qui vous sont appliquées.

Ce n’est pas de l’idéologie. C’est du bon sens. »


Contrairement à une croyance communément ancrée dans l’inconscient collectif, les syndicalistes n’avaient pas une vision atrophiée de l’économie. Généralement même, pour ne pas s’effondrer durant des négociations particulièrement pointues, la plupart avaient même une formation relativement efficace sur ces questions, et ce qu’ils manquaient en théories pures, ils le rattrapaient par une version cartésienne et terre à terre, reléguant l’économétrie au profit des conséquences directement observables, privilégiant l’expérience aux chiffres. Ress elle-même s’était forgée une solide culture en ce sens, et c’était sans oublier que sa spécialisation première était le droit des affaires, ce qui augurait d’une bonne connaissance des rouages de l’industrie et du maillage juridique contractuel au sein de la République. C’était précisément ces armes qui en avaient fait une interlocutrice intransigeante mais pas nécessairement inepte. Rappeler la situation de Bilbringi lui semblait donc un prélude naturel à toute tractation.

« Vous ne pouvez pas assurer que ça se passera ainsi. Vous faites des hypothèses, tout comme moi. »

« Pouvez-vous dire droit dans les yeux à tous ceux présents ici qu’ils ne seront pas lésés ? Pouvez-vous faire la même chose à tous ceux que vous représentez ? Tous ? Sans exception ? »

L’humain ouvrit la bouche avant de la refermer, comme pris d’un doute, ou plus exactement conscient dans un sursaut d’honnêteté qu’il lui était difficile de promettre la lune de cette façon.

« Je ne peux pas non plus leur dire que leur situation sera meilleure en restant. Elle est déjà parfois compliquée, même dans votre chère République. »

« Merci de le reconnaître, Goldorbi ! »

« On vous le fera redire, un de ces quatre ! »

Des sourires goguenards étaient apparus sur les visages des frondeurs du jour, avant que l’un d’eux, le représentant de l’OVC en l’occurrence, ne finisse par enchaîner :

« Goldorbi n’a pas tort sur ce point. Nous sommes beaucoup à dire que la situation de Bilbringi laisse à désirer, et que la République ne s’en occupe pas vraiment. La plupart des ouvriers n’ont pas vraiment vu la couleur du Pacte social … »

« Les ingénieurs l’ont vu s’appliquer partiellement, mais pas complètement, même si nous négocions au fur et à mesure son extension complète. »

Le soupir d’un des membres du POB s’était fait entendre distinctement, entraînant des hochements de tête plus ou moins vigoureux.

« J’en ai conscience, et croyez-moi, je suis l’une des premières à dire que c’est inacceptable ! Cependant, au sein de la République et avec de l’aide, vous pourriez attaquer vos patrons et obtenir justice … A l’extérieur, ce ne sera pas possible. »

« Si nous faisons ça, ils chercheront vite les coupables, et nous sauterons … »

« Oui, nous ne sommes pas irremplaçables … »

« Pas si vous vous mobilisez tous, et que ceux au pouvoir vous sont favorables. »

Le silence qui suivit fut assourdissant, alors que tous comprenaient ce que ses paroles impliquaient. Ress n’insista pas, consciente qu’il fallait parfois laisser les mots infuser, et en profita pour vérifier son comlink qui vibrait nerveusement dans sa poche. Jeresen Fylesan essayait de l’appeler. Elle lui transmit rapidement un message écrit lui annonçant qu’elle était en pleine réunion et qu’elle ne pouvait prendre son appel immédiatement, avant de reprendre la parole puisque personne ne daignait le faire.

« Il est temps de vous faire entendre, mes amis. De montrer que vous êtes le cœur de Bilbringi. »

« Les masques tombent ! Vous êtes venues jouer les agitatrices, comme d’habitude ! Eh bien, ça ne marche pas ! JE ne marche pas ! »

Goldorbi avait explosé, et se fit en retour copieusement siffler. Et cette fois, Ress craqua, son naturel emporté prenant le dessus. D’un geste brusque, elle se leva et abattit son poing contre la table, ses antennes fusillant de leur pointe l’importun, tandis qu’un flot de paroles tonitruant s’échappait de sa bouche :

« Je suis venue vous aider, espèce d’abruti trop engoncé dans ses privilèges pour voir qu’il va encore se faire entuber !

Mais réveillez-vous, bon sang ! Vous êtes là, déjà battus, avachis, pas étonnant que les lobbys vous écrasent ! Mais regardez-vous ! Pas une once de combattivité, vous préférez vous bouffer le nez plutôt qu’essayer d’avancer, alors que vous avez exactement les mêmes doléances ! Vous voulez être plus respectés dans votre travail ? Mieux payés ? Mieux protégés ?

Comment ne pas voir que c’est en vous unissant que vous allez y arriver ? Qu’il vaut mieux être dans un système que seuls contre tous au fin fond de la carte galactique !

AGISSEZ ! Ou crevez! »

Rouge de colère, la balosar s’arrêta pour reprendre sa respiration, et constata que son écart avait passablement échauffé les esprits. Les invectives fusèrent un long moment, et elle les encaissa, répondant parfois tout aussi vertement, avant que finalement l’un des membres du POB resté jusque-là silencieux déclare timidement :

« Ce n’est pas complètement faux … »

Le traître se fit agonir d’injures peu glorieuses, mais malgré la moiteur de ses mains, continua tout de même bravement :

« Ben non mais c’est vrai … on sait qu’on va dans le mur, et on est pas capable de l’empêcher … On discute, on discute, mais on fait rien, parce qu’on sait pas travailler ensemble … »

« C’est parce qu’on a rien en commun ! Je travaille pas avec des anar’ moi ! »

Et c’était reparti … Un moment, Ress se sentit envahie d’une grande lassitude, et songea même à jeter l’éponge, avant de prendre une profonde inspiration puis de se râcler la gorge avant de lancer d’une voix forte :

« Alors construisez ce que vous avez en commun. Mettez en place une grande plateforme solidaire, et consignez ce que vous désirez pour Bilbringi, comme l’exécution du Pacte Social, un gouvernement vraiment représentatif, que sais-je ! »

« Des fonds pour la formation des jeunes déjà. Et leur réinsertion s’ils sont en échec ? »

La proposition de l’OCV fut accueillie avec des vivats, et bientôt, d’autres propositions fusèrent. Avec un sourire, Ress notait tout, et bientôt, le Grand Plan pour la Solidarité et le Développement Républicain de Bilbringi s’ébauchait, Godolfi lui-même finissant par se prendre au jeu pour réclamer un intéressement aux résultats des entreprises pour les salariés, ce que la balosar appuya contre l’avis de certains en expliquant la valeur d’avoir des salariés co-gestionnaires des entreprises. Avec un soupir, Godolfi finit par dire :

« Ça va coûter une blinde … Personne ne financera ça sur Bilbringi. »

« Non, mais la République, oui. La délégation a des fonds pour soutenir une occasion spéciale. Pour le moment, voici tout ce que je proposerais au vote de mes partenaires et au Sénat, sous couvert d’obtenir un gouvernement qui mettra réellement en œuvre ce programme … »

Elle fit rapidement circuler ses notes qui contenaient en outre ses projets carcéraux, qui eurent un certain succès. Sauf que Godolfi doucha ses ardeurs en réattaquant :

« Je le redis … Personne en haut voudra négocier ça. Trop à perdre. »

« Faites-les négocier. »

La mine sombre, tous s’entre-regardèrent.

« Je vous laisse réfléchir. J’ai un appel urgent auquel je dois répondre. »

La balosar sortit et, une fois dans le couloir, appela enfin Jeresen Fylesan avant d’attaquer sans préambule :

« Vous vous en sortez comment ? A l’intersyndicale, c’est assez chaud, mais je crois tenir le bon bout. J’ai bon espoir d’obtenir un projet d’intérêt général à présenter à la République, mais il risque de rencontrer de fortes résistances chez vos nouveaux amis. La bonne nouvelle, c’est qu’il va peut-être y avoir du grabuge d’ici peu … »

Et à sa mine réjouie, on pouvait supposer qu’elle n’était pas vraiment contre …
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A peine sortit de l’ascenseur, Jeresen décocha son comlink pour tenter de prendre des nouvelles de la Sénatrice Laz ‘ziark. La prise de contact avec les Balosar était essentielle, mais l’absence de réponse de cette dernière fut tout d’abord problématique. Il avait ce qu’il fallait de son côté, avec plus ou moins le succès escompté. Mais il ne pouvait pas faire plus concernant le conseil des guildes.
La réponse écrite qu’il reçut quelques instants plus tard, tandis qu’il descendait les escaliers de l’entrée du bâtiment, le rassura. Au moins Ress allait bien, et avait visiblement entamé sa deuxième grande réunion de la journée. Jeresen espérait désormais que ses résultats seraient satisfaisants, pour garantir une marge devant assurer à coup sûr la réussite des négociations.

Arrivant au bord de la place et du véhicule qui lui avait été prêté pour ses déplacements sur Bilbringi, Jeresen s’engouffra à l’arrière après que le chauffeur lui ait ouvert la porte. Puis, lorsque le speeder démarra, il annonça sobrement :

« Vers l’Hôtel des Archives. »

Son comlink se mit à sonner après plusieurs minutes, et c’est avec un certain soulagement qu’il découvrit l’identité de l’appelant. Ainsi la Sénatrice avait terminé sa réunion, ou bien avait-elle trouvé quelques instants pour s’éclipser le temps de prendre des nouvelles. Il décrocha donc :

« Ah, Ress, enfin ! »

Entendre la voix de la Balosar le soulageait. Il n’avait jamais traité avec des syndicats, lesquels lui avaient toujours été décrit comme les représentants d’une minorité anarchiste qui s’opposait au progressisme souhaité par la majorité. Ou bien des terroristes, des dérangés, … Bref, des gens à éviter. En réalité, Ress Laz’ziark était la première qu’il avait pu rencontrer et le contraste était saisissant. Certes la Balosar était une boule de nerf, et sans doute avait elle participé à des actions peu recommandables, pourtant Jeresen l’avait trouvé plus qu’aimable et appréciable. De ça, la preuve la plus évidente de leur entente plus que cordiale était encore ce qui s’était secrètement déroulé entre eux la nuit précédente.

L’Alsakani esquissa un léger sourire à cette pensée, tout en écoutant la sénatrice lui expliquer sa situation qui, visiblement, était à quelques détails près aussi bien rendue que la sienne. Jeresen avait espéré pendant toute la durée de ses négociations que la Balosar serait capable de convaincre les différents groupes syndicaux de se mobiliser pour appuyer les propositions qu’il avait mit sur la table des négociations, sans oublier celles que Ress n’avait sans doute pas manqué d’exposer à ses « camarades ».

« Ça ne peut pas être une mauvaise chose. De mon côté, j’ai réussi à glisser nos propositions sur la table des négociations, mais malgré une bonne réception rien est encore joué. Nos petits dossiers ont semé la zizanie dans les rangs de leur conseil, et bien que ce dernier semble adhérer à nos solutions, l’hostilité reste importante. »

Si les choses s’étaient effectivement agréablement bien déroulées, Jeresen restait tout de même sur ses gardes. Bon nombres de conseillers s’étaient contentés d’écouter, opinant parfois du chef mais préférant se murer dans le silence. Certains industriels, minoritaires certes, avaient mit en avant leurs refus par des grimaces à peine cachées, ou comme Jellon Razen, s’étaient directement emportés.

« Ils ont exclu un de leur collaborateur, le plus convaincu de la nécessité de leur indépendance. C’est également l’un des plus puissants. Mais il reste quelques conseillers discrets qui ne vont pas se laisser marcher dessus. Notre solution a de réelles chances d’aboutir mais je crains que les opposants ne cherchent à évincer le conseil en place pour se saisir des rennes de Bilbringi. »

C’était effectivement à craindre. Plusieurs décisions avaient déjà été prises sans l’aval du conseil des guildes, ce qui prouvait bien que son influence était devenue de plus en plus relative. Les groupes qui y siégeaient se révélaient plus puissants que le conseil lui-même, et c’est pourquoi Jeresen avait frappé large : pour rapprocher certains groupes et former une majorité à même d’écraser ceux pas encore convaincu par l’indépendance.

Mais le temps qu’une décision fut prise, les choses pouvaient rapidement évoluer en externe et entrainer un nouveau mélange des cartes qui forcerait l’Alsakani à tout reprendre de zéro. Il n’avait plus aucune possibilité de contrôle sur le conseil, ce qui impliquait que les moyens de pression reposaient désormais entre les mains de la Balosar.

« Nous avons mis les pieds dans quelques choses de bien plus complexe qu’il n’y parait. Je pense que le grabuge sera nécessaire pour convaincre les plus hésitants d’accepter nos propositions s’ils ne veulent pas perdre leurs privilèges.

L’ordre public sur Bilbringi est géré par des milices corporatistes, à la solde des membres des guildes. Si les opposants lâchent leurs chiens dans les rues, ça risque de faire mal.»


Ce serait la pire des choses que de voir certaines milices mettre à feu et à sang les rues de Bilbringi pour rétablir l’ordre, ou même tenter un putsch pour évincer du pouvoir ceux qui n’étaient pas de l’avis de Jellon Razen. Si cela devait arriver, alors les milices viendraient à s’affronter mutuellement et embarquerait tout Bilbringi dans un cercle de violence aux conséquences encore imprévisibles.

Il fallait donc profiter du moment, du fait que les discussions étaient encore en cours, pour les prendre de vitesse.

« Heureusement pour nous, ils sont encore en train de se concerter à huit clos. Il va donc falloir faire vite si nous ne voulons pas que la situation nous échappe, de ton côté comme du mien. Profitons encore de leur léthargie pour agir. Après, il sera trop tard. Je ne souhaite pas déclencher des émeutes généralisées, ou les prémices d’une guerre civile.»

Il n’était pas venu pour ça et il ne voulait pas quitter Bilbringi à la va-vite en traînant pareil boulet à son pied. Tout comme il ne voulait pas devoir enfiler le costume de celui qui n’avait pas pu empêcher la mise en place du référendum d’indépendance. Plus que tout, l’Alsakani ne voulait pas être emporté par l’échec.

« Je me rends actuellement aux Archives de Bilbringi pour y rencontrer l’intelligentsia. Ce ne devrait pas être très long et il ne nous offrirons pas un soutien immense mais si nous voulons que ça marche, il faut que tous les acteurs soient réellement prêts pour cette évolution. En laisser un seul de côté risque de provoquer des dissensions. »

Bien qu’il savait que les intellectuels se rangeraient de son côté, l’Alsakani avait conscience que leur influence dans les affaires courantes était plutôt limitée. L’administration de Bilbringi semblait plutôt rigide et pilotée fermement par l’exécutif pour s’en assurer un parfait contrôle. Néanmoins, comme ils formaient en partie ceux qui peuplaient la bureaucratie, s’assurer de leur soutien était une nécessité.
Et pour cela, Jeresen avait plusieurs pistes ; à commencer par le re-développement du lien culturel entre Alsakan et Bilbringi, tissé au fil des millénaires où l’influence de l’Hégémonie prédominait dans cette région encore désignée comme celle des « Dépendances du Nord » par certaines élites de la noblesse alsakanie. Chose qui serait impossible si Bilbringi venait à sortir de la République. Plus généralement, d’ailleurs, tous les accords et les liens culturels et universitaires seraient tout simplement rompus.

« Et de votre côté, qui-à-t-il de prévu suite à l’intersyndicale ? Vous avez pu dresser une liste d’exigences claire ? »
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