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« L’Express pour Coruscant aura deux heures de retard. La Société Galactique des Transports s’excuse par avance des désagréments occasionnés et prie ses aimables utilisateurs de bien vouloir faire preuve de compréhension. »

Comme l’ensemble des passagers, Ress maugréa copieusement sur sa place. A croire que cette maudite entreprise n’était définitivement pas faite pour les usagers ayant besoin de ponctualité. En même temps, les voyageurs lambdas, qui s’en souciaient ? Sûrement pas ceux possédant un monopole quasi absolu et qui, en échange de leurs tarifs plus bas que la moyenne, rognaient sur la sécurité et n’hésitaient pas ensuite à prôner la bonne foi face aux constants « incidents mécaniques » émaillant le parcours du combattant de tout travailleur républicain n’ayant pas la chance de pouvoir traverser l’espace à bord d’un yacht de luxe.

Il fallait reconnaître que la sénatrice faisait singulièrement tache au milieu de ses collègues qui arboraient pour la plupart des vaisseaux de fonction flambants neufs, voir personnels pour les plus riches. Elle-même avait préféré vendre l’odieux transporteur acheté à prix d’or par son prédécesseur pour son amusement personnel sur les deniers de l’Etat et se contentait d’une navette modeste, qu’elle n’utilisait quasiment jamais, afin d’éviter des dépenses de carburant inutiles. Si elle voulait inspirer la confiance, autant s’appliquer ses propres préceptes : tant qu’à dénoncer l’opulence de la caste dirigeante, autant s’en démarquer fortement. Sans compter que l’argent obtenu par la vente avait permis la réfection de deux orphelinats et l’embauche de plusieurs nurses, ce qui valait bien quelques sacrifices, Ress envisageant ces établissements comme les fers de lance de sa politique d’extraction de la pauvreté par l’apprentissage et l’éducation. Mieux valait que ces gamins soient à sa charge plutôt que dans les rues. Au fond, elle trouvait l’investissement profitable et à envisager sur le long terme.

Sauf que ces considérations ne l’empêchaient pas de regretter parfois de devoir se plier aux contraintes communes, même si elle estimait faire preuve de fidélité en cela. Mais tout de même, elle risquait d’être en retard à une réunion d’importance, alors qu’elle avait fait des pieds et des mains pour obtenir une place dans la délégation qui se rendrait sur Bilbringi… Cela ferait indéniablement mauvais genre.

Résignée, elle sortit son holocom personnel et envoya un message au secrétariat du Sénat à transmettre aux intéressés pour s’excuser de son retard dû à un incident de trafic galactique. Inutile de préciser que l’excuse des transports en commun ne devaient pas être souvent entendue en ces lieux, mais c’était la stricte vérité !

Se massant les tempes, Ress rangea l’appareil de communication et sortit de son attaché-case un datapad ancienne génération mais néanmoins en parfait état de marche, et entreprit de vérifier ses dossiers et de relire les informations dont elle disposait sur les négociations qui l’attendaient. Comme on pouvait s’y attendre et contrairement à ce que la kyrielle d’imbéciles peuplant le Sénat semblait penser, la démission de la Chancelière Von avaient fini d’allumer la mèche du séparatisme. La dernière figure unitaire disparue, chacun se demandait ce que le faible Coret pourrait bien faire, et vers qui se tournerait le destin républicain. Quand on voyait comment les précédents mandats s’étaient passés, il y avait de quoi être légitimement inquiet, et à vrai dire, le retour des appétits politiques n’était pas forcément du goût de la balosar. Au moins, ces derniers mois avaient vu la conduite de réforme bénéfique à la population, un intérêt nouveau pour des demandes d’intérêt général, et surtout une certaine stabilité avec une majorité au Sénat forte. Désormais, il faudrait composer avec les ambitions des uns et des autres, et abandonner tout espoir de discussion sérieuse et profitable. Bref, le jeu politique était de retour.

Or, ces semaines d’incertitudes ne pouvaient que nuire à l’unité, et les premières voix indépendantistes se faisaient entendre. Sans une poigne de fer à la tête de de la République, les rats quittaient le navire, persuadés que leur derrière trônant sur un tas d’or suffirait à leur assurer la tranquillité. Bande d’abrutis… Dubrillion avait été riche, et conquise. Artorias prospère, et mise à sac. Kashyyk pauvre, mais défendue. Quelle logique devait donc prévaloir ? Celle de l’unité du peuple, ou la voracité pécuniaire ? Inutile de préciser que l’avocate avait tranché depuis longtemps cette question.

Certes, un individu connu pour ses positions profondément humaniste et proche des syndicats pouvait détonner au sein d’une délégation pour négocier le maintien d’un monde influencé par de puissants lobbys industriels dans l’ensemble confédéré républicain. Cependant, la méfiance des autorités pour ce gouvernement influençable avait été en réalité la clé de son entrée au sein du corps diplomatique envoyé sur Bilbringi. En effet, à défaut d’avoir des contacts avec les chefs locaux, elle en avait avec certains de leurs opposants légaux, et de la société civile. La planète possédait une petite cellule de la CRT, ce qui au vu de ses activités industrielles, n’était guère étonnant. Surtout, l’adoption du Pacte social avait permis l’émergence d’un petit parti, le POB, ou Parti Ouvrier Bilringi, formé de représentants de la société civile qui s’élevaient ouvertement contre le séparatisme prôné par d’autres. Or, dans un régime démocratique qui procèderait bientôt à de nouvelles élections, des contacts proches de certaines couches de la population pouvant offrir une réserve de voix importante n’était pas négligeable. Le reste des envoyés se chargerait des gros bonnets, à n’en pas douter.

En un sens, Ress avait conscience que cette mission diplomatique était un véritable test, qui lui permettrait ou non de commencer à gagner en influence au sein de certains sénateurs. Jusque-là, on la prenait pour une agitatrice autocentrée en incapable de se détacher des problèmes de sa propre planète pour avoir une vision d’ensemble. Elle avait enfin l’occasion de prouver le contraire, et de démontrer que ses années passées au sein des syndicats lui avait offert une expérience précieuse qui ne demandait qu’à être appliquée sur d’autres terrains.

Plongée dans ses notes, l’arrivée la surprit presque, et une fois toutes ses affaires rangées, la sénatrice s’empressa de quitter sa place et débarqua en trombe du spatioport pour se diriger aussi vite que le permettaient ses petites jambes vers le lieu d’embarquement des taxis-speeders. Un vertige la saisit au moment de s’asseoir à l’arrière de l’engin, et tandis que le pilote devaronien mettait ses moteurs en marche, elle tenta de balayer sans succès les images d’un vieux speeder réduit en bouillie qui venaient de surgir dans sa mémoire, comme c’était le cas à chaque fois qu’elle s’asseyait dans un de ses véhicules. Malgré les années, le souvenir de l’assassinat de son époux restait vivace, et le traumatisme bien réel.

Inspirant profondément, la balosar entreprit de chasser ses pensées de sa tête, attentive à ne pas se laisser déconcentrer. Son deuil était fait… Du moins en partie. Son existence avec Elan appartenait au passé, quand bien même s’y résigner demeurait une toute paire de manche. Quelque part, la veuve qu’elle était restait en partie l’épouse comblée qu’elle avait été.
Traversant sans trop de mal les artères surchargées de la capitale républicaine, son chauffeur la déposa en un temps record devant la Rotonde, et elle se mit à courir aussi vite que possible après avoir réglé sa course, littéralement hors d’haleine. Une fois la sécurité passée, elle entreprit de slalomer à travers les couloirs sans fin du palais sénatorial, pour parvenir enfin au point de rendez-vous, à savoir le bureau au Sénat du Ministre de la Justice.

La perspective de travailler avec le jedi avait mis un peu de baume au cœur de la balosar. Leur premier entretien s’était remarquablement bien passé, Ress trouvant dans le Falleen une oreille attentive à ses propositions et remarquablement désintéressé. Voilà pourquoi elle appréciait les membres de l’Ordre : au moins, ces derniers avaient des principes moraux forts et effectuaient le travail qu’on leur confiait avec rigueur, sans chercher à en tirer un profit personnel, soit un cocktail bien trop rare sous les ors de la République. Certes, elle ne partageait ni leur mysticisme, ni leur conception par trop éthérée de la justice et des obligations, mais au moins faisaient-ils des interlocuteurs fiables, et des alliés indispensables du fait même de leur statut d’organisation rassemblant les citoyens sensibles à la Force.

Ce fut donc en trombe qu’elle déboula dans le bureau, pour se retrouver face à Leto Vorkosigan et une autre tête familière qu’elle reconnut presque immédiatement. Peut-être que son réseau de relations au sein de la Rotonde n’était pas si maigre finalement… Ou alors le hasard faisait simplement bien les choses. Voir Jeresen Fylesan comme troisième tête pensante de la délégation suffisait à apaiser ses dernières inquiétudes. Au moins, il était honnête, d’agréable compagnie, et prêt au dialogue, ce que sa planète d’appartenance ou sa position ne laissait pas forcément deviner. En plus, il appréciait l’opéra : un homme de goût, enfin.

« Messieurs, je suis sincèrement navrée de vous avoir fait attendre, ma navette a connu quelques soucis techniques au-dessus de Columus.

La Société Galactique des Transports n’a apparemment pas complètement résolu ses problèmes de maintenance. »


Voilà qui était un doux euphémisme. Enfin, voilà pour les excuses, restait à entrer dans le vif du sujet. Après tout, ils étaient déjà suffisamment en retard comme cela, non ?

« J’espère que ce léger contretemps n’aura pas d’incidence sur la prise de notre correspondance pour Bilringi. »

Bon, ce n’était techniquement pas de sa faute, mais tout de même… Ress s’en voudrait d’avoir entravé le début de leur entreprise diplomatique.

« En tout cas, sachez tous les deux que c’est un plaisir certain que de vous revoir, et je suis certaine que notre collaboration ne pourra être que fructueuse, et représenter le meilleur que la République et ses alliés puisse offrir. »
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Pour Leto, les missions se succédaient mais ne se ressemblaient pas, pour sur ! Après avoir porté secours à une Padawan sur Correlia dans les négociations d'une affaire de succession ; Après être parti à la poursuite d'un agent républicain renégat jusqu'à la désertique planète de Tatooine ; Et après avoir enquêté sur le présumé assassinat d'un gardien de prison sur Abregado-rae, le voici en partance pour assurer les intérêts de la République. Comme souvent, en réalité. Le Jedi en était arrivé à un point où il ne se posait plus la question de savoir comment il arriverait à gérer son emploi du temps démentiel, s'en remettant pleinement à la Force pour imbriquer correctement ses rendez-vous et ses temps de voyage l'un dans les autres. Il se demandait seulement pour l'heure quand est-ce que son organisme allait le lâcher et réclamer plusieurs jours de repos, voir plusieurs semaines, luxe absolu qu'il n'avait pas put s'octroyer depuis bientôt un an. On ne se posait pas souvent la question de comment ça marche, tant que ça marche. Alors Leto continuait à répondre présent autant que possible, jusqu'au jour où la Force lui dirait stop, et où il passerait volontiers une journée à trainer sans but dans ses quartiers pour se reposer. Car oui, même lui en était capable, il restait au fond un être vivant, mortel et parfois égoïste. Mais chut, n'allez pas révéler cela à ses détracteurs, surtout, ça pourrait les mettre en confiance.

Il en connaissait une autre qui ne devait probablement pas faire semblant lorsqu'elle se décidait à agir, et avec qui il allait faire équipe dès à présent. La Sénatrice Ress Laz'ziark avait déjà prouvé sa valeur et c'est conjointement avec ses services de dirigeante de Balosar qu'il avait put mettre en branle l'impressionnante machine juridique républicaine autour d'un projet d'intérêt commun hautement intéressant. L'enquête sur le pseudo assassinat du jeune maton sur Abregado-rae n'avait était qu'un prémisse de cette alliance déjà fort fructueuse. C'était une femme de principe, passionnée et forte, elle avait choisi la voie politique parce que c'est ce qui lui avait permit le mieux de faire aller ses élans humanistes et abreuver sa soif de justice pour tous. Nul doute que si elle avait eu une meilleure possibilité pour servir son prochain, elle aurait fait un autre choix, comme celui de devenir Jedi, pourquoi pas ?

En tout les cas, la voilà qu'elle était Sénatrice, une Sénatrice montante, honnête, denrée rare ces temps-ci et guidée par de réelles valeurs morales. Ce qui ne serait pas de trop pour remplir à bien la mission qui attendait Leto.

Leto, lui, visionnait le journal télévisé de la charmante présentatrice aux yeux bleus de Galactic Holonews, qu'il préférait à Holonews Network et son slogan ''toujours premier sur l'information''. Ce qui leur garantissait, certes, la primeur de divulguer bon nombre de scandales retentissants, mais qui ne garantissait absolument pas la véracité et la solidité des trois quarts des informations que la chaine décidait de diffuser dans la précipitation. Ce genre de chose, pour un Jedi qui prônait naturellement la patience avait son importance. Tandis qu'on lui présentait des statistiques et des courbes sur le cour inter-système du gaz Tibanna, son comlink sonna et on lui annonça le retard de la Sénatrice Balosare.

Dans le même instant, un secrétaire vint introduire le troisième membre de ce triangle diplomatique qui aurait pour lourde de tâche de préserver Bilbringi au sein de la République. Il s'agissait du Sénateur Jeresen Fylesan d'Alsakan, que Leto ne connaissait guère mais qui parait-il, avait été particulièrement insistant et volontaire quant à l'idée de partir en mission diplomatique lorsque l'occasion lui fut présentée. De ce qu'il en savait, Alsakan était une planète prospère, découverte quelques sept millénaires avant la fondation de la République et qui fut une des premières à rejoindre la coupe de Coruscant afin de former une alliance galactique. Jusqu'à peu encore, bon nombre de Sénateur et de dirigeant de groupuscule nationaliste Alsakan avaient tentés de déposer des motions afin de légitimer la représentation de leur monde au sein de la République à un niveau qui, selon eux lui siérait mieux. À savoir au niveau de Coruscant, qui accueillait le centre du pouvoir exécutif, legislatif et judiciaire de la République toute entière.

Pour autant, Leto ne doutait pas de la bonne volonté de l'homme qu'il avait en face de lui, les exceptions étaient permises, non ? Il se leva avant de congédié le secrétaire et accueillit le politicien d'une poigne ferme et avenante. Il désigna le petit salon d'apparat situé dans le coin de la pièce, à quelques pas de son bureau tandis qu'avec une télécommande à distance, il diminua subtilement le son du moniteur diffusant le Galactic Holonews. Autour d'une petite table basse en verre se trouvait quatre fauteuils dans lesquels le Jedi invita le Sénateur à prendre place.

- « Voulez-vous qu'on vous fasse apporter un rafraichissement, Sénateur ? » Demanda le Falleen, plus par protocole que par réelle nécessité.

Environ vingt minutes défilèrent pendant lesquelles le Ministre et le Sénateur avait échangés quelques mots sur des sujets tout aussi variés que frivoles tel que les nouvelles couleurs à la mode chez les costumes de cérémonie des nobles d'Alderaan lorsque Ress eu enfin l'obligeance de faire son apparition. Comme Leto l'aurait imaginé, elle était remontée comme un coucou Kuati, ce qui ne manqua pas de mettre la puce à l'oreille du Jedi :

- « La Société Galactique des Transports ? Encore et toujours dans l'idée de tirer le cout de leurs investissements et la qualité de leurs services vers le bas afin d'engendrer le plus de profit possible. Proposer un service low cost en toute impunité est facile lorsqu'on dispose d'un quasi monopole garanti par des contrats signés en accord avec la République elle-même. Pardon pour ceux qui auraient des actions dans cette société malhonnête. S'exprima le Ministre en faisant mine de regarder autour de lui, comme pour dénicher un VRP un peu trop zélé caché derrière un meuble, bien conscient qu'il faudrait aller dans le sens de la Sénatrice afin d’apaiser sa rancœur. Quand bien même il avait dit tout cela sur un ton légèrement sarcastique, Leto savait que Ress serait convaincue de sa prise de position à ce sujet. Tout ce qu'il avait dit, il le pensait, et Ress l'avait sûrement comprit.

Il y eut un timide sourire qui passa au travers du visage du Falleen tandis qu'il alla serrer chaleureusement la petite main de son estimée collègue. Puis Leto proposa qu'ils se mettent enfin en route. Ils rejoignirent une des aires d'atterrissage privées située sur la façade nord du bâtiment du Sénat afin d'y prendre une navette Défenseur.

[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]

Celle-ci, à la carlingue rouge cramoisie flambant neuve avait été dépourvues de ses canons blaster, seuls ses boucliers déflecteurs avaient été conservés dans un soucis de montrer patte blanche au gouvernement Bilbringi. Particulièrement enthousiaste, Leto alla sans tarder dans la cabine de commande pour y rencontrer les deux pilotes qui allaient mener la navette jusque dans le système Bilbringi. Tous s'installèrent et le Falleen émit une étrange demande, en s'adressant au commandant de bord :

- « Commandant, permettez ? Il s'approcha de lui et posa sa main sur l'épaule de l'homme assis aux commandes. Cela fait une éternité que je n'ai pas piloté le moindre engin. Confia-t-il. L'autre rit en détachant son harnais de sécurité pour laisser la place au Jedi.

- Je vous en prie monsieur, faites-vous plaisir, attention aux propulseurs auxiliaires, ils sont nerveux sur les nouveaux modèles ! »
S'exclama le pilote en allant s'installer dans un des sièges secondaires du cockpit, prêt des consoles de communications.

Leto connaissait bien le fonctionnement des Défenseurs, pour en avoir utilisé bien plus d'un dans toute sa vie. Le Défenseur était la navette de transport et de combat principale du Jedi et des agents Républicains de son ère. Développé alors que la Grande Guerre Galactique faisait rage par les meilleures ingénieurs aéronautique de la Corporation Technique Corellienne, il était une réponse à la demande de l'Ordre Jedi qui souhaitait avoir des appareils bien plus polyvalents que les vaisseaux militaires de la République, afin de mieux accomplir leurs missions si particulières. Ainsi naquit le Défenseur, savant mélange entre les corvettes de base et la technologie la plus pointues en matière d'armement, de défense et de survie toujours dans l'optique de faire du Défenseur un vaisseau léger et facile à manier.

Leto activa les générateurs, commanda l'alimentation des compartiments du vaisseau, stabilisa l'apport de puissance dans les propulseurs et prit garde de régler le contrôleur atmosphérique et gravitationnel sur le mode automatique avant de lancer les gaz. La navette s'éleva à prêt de dix mètres au dessus du sol, les trains d'atterrissage se rétractèrent et le Défenseur opéra un doux mouvement latéral pour s'éloigner de la plate-forme d’amarrage.


Spoiler:

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Assurer le maintien d’un monde dans la République. Voilà un objectif qui devenait de plus en plus fréquent à la suite des évènements d’Artorias et de Dubrillon. Une conséquence du manque de réactivité d’une République qui n’avait pas voulu s’engager dès l’affront du Traité d’Artorias, et qui n’avait pas eu la volonté de le faire à la suite des évènements de Byss et d’Aargau. Un parfait exemple de l’immobilisme des rouages corrompus de la machine Républicaine. A présent, il fallait réparer les pots cassés et rassurer les mondes neutres laissés à la merci des Impériaux. Bilbringi ne faisait pourtant pas partie de ces mondes là. Il s’agissait d’un monde prospère, proche du cœur galactique et dont l’importance le rendait presque inestimable aux yeux des planètes du Noyau. Pourquoi ce monde craignait-il l’Empire, les menaces extérieures potentielles ? Toutes ces choses, Jeresen comptait bien les découvrir.

Il allait avoir l’occasion de le faire, lui qui avait insisté pour participer aux négociations à venir, en compagnie du Ministre de la Justice en personne mais aussi de la Sénatrice de Balosar. S’il ne connaissait pas grand-chose du premier, si ce n’est qu’il s’agissait d’un Jedi ayant gagné en réputation avec les évènements de Kashyyk et ce qu’il pouvait avoir entendu comme ragots à son sujet au sein de la Rotonde, l’Alsakani connaissait un peu plus la seconde. Une adepte de l’Opéra, en facette désagréable et toujours sur les nerfs mais qui semblait cacher sa véritable nature. Logique, quand on étudie ses origines et l’état de son monde natal. Néanmoins, sa présence pouvait avoir son utilité si elle possédait des contacts fiables sur Bilbringi au sein des syndicats ouvriers.

L’Alsakani descendit lentement de la navette qu’il avait utilisée pour parcourir la faible distance séparant Alsakan de Coruscant. Il avait dû chambouler son emploi du temps et reporter de nombreuses réunions avec l’Archaïad, les conseillers du Roi Fird et des industriels de son monde pour pouvoir être présent en ce jour sur Coruscant. De toute manière, il était prêt à parier que la plupart ne lui en tiendrait pas rigueur vu l’ampleur de la tâche et les résultats qui pouvaient en être tiré.

Il suivit les envoyés venus l’accueillir à sa descente jusque dans l’enceinte du ministère, relevant au passage sur sa tablette numérique le fait que la sénatrice Laz’ziark allait avoir du retard. L’Alsakani prit alors le turbolift pour rejoindre les bureaux et plus exactement l’antichambre de celui du Ministre de la Justice et Maitre Jedi Vorkosigan. Comme il s’en était douté, il n’eut pas longtemps à attendre avant d’être invité à entrer dans le bureau du Falleen, lequel l’attendait, visiblement. Une logique imparable, d’ailleurs.

« Monsieur le Ministre, enchanté. »

Le ton était amical, avenant. Il n’était point question d’être ferme ou de se montrer inamical. Le Ministre était un allié, un partenaire pour leur mission sur Bilbringi. Le considérer comme creuserait immédiatement un fossé entre les deux individus. Qui plus est, il s’agissait d’un Jedi, ce qui ne dérangeait nullement l’Alsakani. Bien au contraire, Jeresen se sentait bien plus à l’aise et rassuré.

Attrapant la main du Falleen, il accompagna sa poigne ferme et avenante pour le remercier de son accueil dans son bureau du Ministère de la Justice. Le lieu était vraiment spacieux et agréablement meublé, ce qui tranchait nettement avec ce qui devait être l’habitude de la plupart des Jedi, de ce qu’il en sait, tout du moins. L’Alsakani ne tarda pas à suivre le Falleen à la stature imposante vers un coin plus calme et plus agréable pour discuter et il accepta volontiers l’invitation à s’asseoir de son hôte, prenant place dans le siège en quinconce de celui sélectionné par le Jedi avant de décliner sobrement sa proposition :

« Ce serait avec plaisir, mais je crains que nous n’en ayons guère le temps. Nous avons fort à faire. Peut-être plus tard, pendant notre trajet par exemple.»

Du travail, ils allaient en avoir. L’Alsakani n’en doutait pas. La situation sur Bilbringi était mal engagée et rétablir l’équilibre des choses risquait d’être difficile. Il existait évidemment des solutions faciles, comme truquer le scrutin ou encore faire taire assez discrètement les oppositions mais Jeresen était quelqu’un d’honnête. Il s‘est battu contre toutes formes de corruption. Il avait quitté son poste au sein des services de renseignement à cause de la trop grande ingérence de certains sénateurs véreux et douteux qui n’hésitaient pas à ingérer dans son travail. Il avait fait de la Ville-Haute d’Alsakan ainsi que certains secteurs de la Ville-Basse des secteurs nettoyés de la corruption et des traffics à outrance pour offrir un confort de vie plus agréable aux populations. Il n’allait donc pas faire vivre l’inverse à la faible population de Bilbringi dans le seul but de garantir les intérêts de la République. Il agirait autrement, avec l’aide du ministre Vorkosigan et de la Sénatrice Laz’ziark, dont il ne doutait nullement de leur droiture.

La Balosar fit d’ailleurs irruption vingt minutes plus tard, au cours desquelles l’Alsakani avait discuté de la pluie et du beau temps avec le Jedi, ignorant volontairement tout ce qui s’approchait de près ou de loin aux débats politiciens sans réels intérêts dans la situation présente. Hélas, l’arrivée de la sénatrice Laz’ziark laisse libre cours à certaines remarques bien placées, qu’il partageait néanmoins. C’était d’ailleurs là un des points sur lesquels il bataillait ardûment au sein de la République depuis des années, si bien qu’il ne pût s’empêcher d’émettre son avis sur la question pour faire taire les sous-entendus qu’aurait pu émettre le Falleen à son égard :

« Hélas, les monopoles dominent et gangrènent notre bureaucratie, et la Rotonde elle-même. La corruption a toujours été présente au Sénat, de manière flagrante. Dès lors que certains sénateurs se distinguent comme porte-parole de nombreux monopoles économiques et commerciaux, c’est la porte ouverte à la décadence et au déclin du débat républicain. Je n’ose pas imaginer ce que donnerait l’autorisation de siéger dans la Rotonde à de tels groupuscules, comme certains sénateurs semblent le suggérer dans leurs lignes politiques. » expliqua-t-il sur un ton particulièrement neutre et plat, marquant la pause avant de terminer son affirmation : « Mais sans réelle opposition, ces gens-là ont d’ors-et-déjà gagné. »

Restant en retrait, il laissa le ministre venir saluer la sénatrice arrivante pour venir à son tour serrer la main de la Balosar avec un sourire amical qui trahissait la petite joie qui le traversait à l’idée de pouvoir travailler avec celle que certains estimaient comme un élément perturbateur à évincer de la Rotonde au plus vite mais qui l’avait personnellement étonné en dévoilant son admiration pour l’Opéra et la culture en général.

« Le plaisir est partagé, sénatrice Laz’ziark. »

Sur ces salutations, le groupe se mit en route pour rejoindre les aires d’atterrissage sur lesquelles étaient entreposées plusieurs navettes, dont celle appartenant à la délégation sénatoriale de l’Alsakani et qu’il avait utilisé pour faire le voyage depuis Alsakan. Ils bifurquèrent néanmoins pour se diriger vers un appareil républicain plus officiel. Tandis qu’ils s’approchaient du vaste appareil à la coque rouge reluisante, l’Alsakani en profita pour venir raviver un sujet qu’il avait entretenu avec la sénatrice de Balosar il y a de ça plusieurs semaines :

« Vous vous souvenez sans doute de ma proposition, lors de notre dernière rencontre ? J’ai fais part de ce… « projet » à mon gouvernement, comme je vous l’avais promis, et j’ose espérer parvenir assez rapidement à certaines conclusions. Avez-vous pu obtenir votre audience auprès de l’Ordre ? »

Finissant par arriver sous le vaste appareil devant lequel les trois protagonistes ne ressemblaient plus qu’à des insectes, Jeresen grimpa à bord du vaisseau pour se diriger vers le poste de pilotage qui se trouvait non loin de la passerelle de débarquement, à la proue. Etonnamment, le Fallen demanda à prendre les commandes de l’engin pour, selon ses termes, « se dérouiller » un peu. L’Alsakani ne fit aucune remarque, bien qu’il aurait préféré pouvoir aborder la mission qui leur avait été confié dans un lieu plus tranquille à l’instar de la salle de réunion qu’il avait remarqué en montant à bord. Il allait s’adapter, faire avec, bien qu’il n’était certain que les deux pilotes présents dans l’habitacle n’allaient pas dévoiler leur discussion à quiconque une fois sur Bilbringi. C’était une possibilité à ne pas négliger, il le savait pour avoir expérimenté la chose lorsqu’il travaillait dans les renseignements. L’exemple le plus flagrant était sans doute un de ses exercices qui consistait à prendre place dans un lieu hautement fréquenté par des employés d’une corporation et d’y tendre l’oreille. Il n’y avait rien de mieux pour se tenir informé de tous les projets en cours… Et c’est dans une situation similaire qu’ils allaient se retrouver durant leur voyage, avec les deux pilotes à leurs côtés dans le poste de pilotage.

Dans tout les cas, le Ministre et pilote ne tarda pas à faire décoller l’engin, lequel pivota avant de s’élancer dans le ciel Coruscanti en direction de l’orbite d’où il pourrait sauter en vitesse-lumière à destination de Bilbringi. D’abord silencieux durant l’ascension les menant au vide sidéral, l’Alsakani se décida d’allumer la flamme du débat, nécessaire pour définir une conduite à tenir pour les futures négociations :

« Autant rester lucide et commencer à en parler dès maintenant. Les négociations risquent d’être assez engagées et ardues. Il y a fort à parier que leurs conditions ne seront pas acceptables dans leur état premier. La république ne peut pas se permettre de voir Bilbringi sortir de sa sphère d’influence, surtout en ce moment. La menace de l’Empire, qui pèse sur les mondes frontaliers des bordures, fait que des groupes comme la Ligue des Mondes Périphériques gagnent en influence. Bilbringi possèdent des atouts non négligeable pour les mondes du Noyau. Les pertes seraient considérables, tant au niveau économique, commercial ou même politique, non pas que pour les mondes riches du cœur galactique, mais pour l’intégralité de la République. Le fait est que l’on ne peut pas les laisser partir. Si nous ne parvenons pas à les convaincre, à mettre en place un projet recevable pour l’ensemble des parties, il ne restera plus qu’une initiative à la République. Et elle ne me plaît guère. »


Il y avait également les pressions qu’avaient exercées l’Archaïad et les conseils du Roi Fird sur sa personne. Le gouvernement d’Alsakan voyait en la défiance de Bilbringi une occasion unique de se saisir à nouveau de la voie menant aux anciennes « dépendances du Nord », qui constitue le berceau de mondes situés à « l’Ouest » de la Voie Hydienne. A cela venait s’ajouter le statut de Bilbringi. Grand centre d’extraction minière et de productions de vaisseaux spatiaux, c’était un système capable de rivaliser avec celui de Rendili ou même Duro. Pouvoir attirer Bilbringi dans sa sphère d’influence assurerait donc un gain considérable en prestige et en capacité économique comme commerciale. Jeresen ne partageait peut-être pas totalement l’enthousiasme qui avait saisi certains conseillers, mais il avait pleinement conscience de ce que son mon pouvait retirer d’un succès dans ces négociations. Cette situation l’agaçait, car elle le plaçait en porte-à-faux entre ses devoirs de représentant d’Alsakan et ceux de négociateurs pour le compte de la République. L’Alsakani se devait d’être détaché de toute considération géopolitique personnelle, mais il savait que c’était impossible. La volonté et la tentation de pouvoir extirper Bilbringi de l’influence de Coruscant était omniprésente. De fait, il allait devoir jongler, se positionner de manière à contenter les deux camps.

C’est pourquoi l’Alsakani ne se contenta pas d’expliciter la nécessité de parvenir à une conclusion favorable à leurs attentes communes, bien qu’il ignorait ce qui pouvait bien motiver le Falleen qui les accompagnaient. Il avait prit la parole et il comptait bien la garder encore un peu pour expliciter une esquisse d’idée, qui allait évidemment dans le sens des intérêts de la République et de son monde toute en appuyant sur les doutes et les réserves quand au but de leur mission diplomatique sur Bilbringi :

« L’idée de financer la campagne d’un parti me semble très risquée. Les garanties sont plus qu’incertaines. Etablir un projet solide est nécessaire, mais rien ne nous assure qu’il n’apportera les garanties attendues. On pourra au mieux s’assurer une base solide, et cela passera sans doute par des garanties sur le fonctionnement des chantiers navals. Il n’y a guère d’autres choses sur lesquelles discuter, de toute manière. »

C’était un fait. Bilbringi n’était pas connu pour sa capacité agraire. Ce n’était qu’une réunion de bases spatiales et de colonies minières agglomérées dans un immense champ d’astéroïdes riches en ressources minières. Les seuls revenus de ce système provenaient de sa production navale militaro-civile et de ses hautes technologies. Le reste était importé, ce qui ne laissait guère de choix pour l’établissement d’un projet viable. Hélas, la Chancelière Von avait déjà accordé un contrat à Mon Calamari concernant la Marine Républicaine et il serait difficile d’en conclure un nouveau avec une autre partie sans s’attirer les foudres de l’autre. Jeresen pouvait néanmoins avancer des propositions propres à son monde dans ce domaine, mais il lui faudrait l’aval des conseils du Roi. La production navale pour le compte d’Alsakan était exclusivement réservée aux entreprises Alsakanies. Peut-être pourrait-il obtenir une opportunité d’ouverture, en proposant à certaines compagnies de son monde de s’étendre en dehors de l’influence d’Alsakan pour offrir un nouvel essor économique à des mondes comme Bilbringi, ou plus modestement, Balosar ? Voilà une ligne de conduite qu’il trouvait intéressante à suivre et à tenir.

Cependant, Jeresen n’était pas le seul membre de la délagation se rendant sur Bilbringi. La Balosar avec qui il avait partagé un excellente représentation à l’Opéra avait sans doute ses propres idées et peut-être même des informations qu’il ignorait. Quand au Jedi, bien qu’il ignorait tout de ses intérêts dans cette histoire si ce n’est de s’assurer du bon déroulé de ses relations pour le compte de la République, peut-être pourrait-il posséder des indications inattendues ?

Jeresen avait un profond respect pour les membres de l’Ordre Jedi. Leur utilité n’était pas à remettre en cause. La survie de la République a plusieurs fois été entre leurs mains et cette dernière s’est toujours bien extirpée des mauvaises situations grâce à l’aide de l’Ordre. Il était malheureux de constater que beaucoup de politique préféraient l’oublier pour pouvoir profiter des bénéfices à retirer d’une critique de l’Ordre en ces temps sombres.

Se tournant donc vers Balosar assise à côté de lui dans le vaste poste de pilotage de l’appareil, il demanda donc :

« Peut-être avez-vous plus d’informations qui pourraient nous être utiles, de par vos contacts, sénatrice ? »

La question, bien qu’elle était posée à destination de la sénatrice Laz ‘ziark, était tout aussi destinée au Falleen qui avait prit les commandes de leur vaisseau peu de temps auparavant. Le Jedi faisait partie de leur délégation, après tout.
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Qu’on se le dise, Ress Laz’ziark n’était guère habituée à entendre des avis similaires au sien dans les hautes instances de la République. A vrai dire, les rares fois où cela avait pu arriver, les problèmes d’ambition n’avaient pas manqué d’écorner tout accord potentiel. Même des personnes aux opinions similaires pouvaient ne pas s’entendre, et bien souvent, être en position de trouble-fête en tant que représentante syndicale n’arrangeait guère ses affaires. Enfin, à choisir, elle préférait encore défendre les intérêts de sa centrale plutôt que s’immiscer dans les jeux d’alliance de la Rotonde… Même si son inquiétude croissante suite aux récents événements l’amenait à reconsidérer quelque peu sa position.

Cependant, entre l’ironie du jedi et le grand discours du sénateur, la balosar devait avouer qu’elle buvait du petit lait. Certes, les deux, pour l’avoir déjà côtoyée devait savoir que ne pas aller dans son sens aurait amené un vif débat, son caractère quelque peu… explosif étant amplement connu. Pour autant, elle ne doutait pas de la sincérité de ses deux compagnons, pour avoir entrevu auparavant leurs propres avis politiques. Et qu’un jedi ou un alsakani combatte les monopoles et oligopoles n’avait en soi rien de surprenant. Après tout, son propre maître de thèse venait d’Alsakan, et elle l’avait choisi pour son approche anti-trust !

Serrant donc la main du Falleen en lui rendant son sourire un peu timide, elle passa ensuite à Jeresen Fylesan et lui dit avec amusement :

« Votre analyse aurait beaucoup plu à mon ancien maître de thèse. L’approche anti-trust serait-elle une norme sur Alsakan ? »

Ah ça… Andreas Berger aurait littéralement embrassé le sénateur s’il avait pu l’entendre, elle pouvait voir la scène d’ici. Dorénavant le vieil homme, bientôt nonagénaire, officiait comme doyen du petit lycée qu’avait ouvert la balosar sur sa planète, arguant de son air perpétuellement boudeur que ses vieux os ne risquaient plus grand-chose d’autre que de se briser sous l’effet de l’âge, alors un peu plus de pollution ou un peu moins… Ce n’était que des peccadilles.

Détachant sa main, elle ajouta à voix basse, pour que seul l’humain l’entende :

« Il ne tient qu’à ceux en désaccord de se faire entendre, vous savez. »

Mais déjà, le trio se mettait en marche pour prendre son transport, qui les attendaient toujours apparemment. Avec surprise, Ress vit Leto Vorkosigan demander à piloter, ce qui ne manqua pas de lui déplaire quelque peu. Pas qu’elle lui reproche une envie d’exercer ses talents, mais cela signifiait qu’ils devraient faire tout le voyage sans rien dire de leurs projets respectifs… Ou bien le faire devant les deux pilotes. Or, avec le temps, la confiance de l’avocate dans des éléments qu’elle ne connaissait pas s’était très sévèrement émoussée. Néanmoins, elle s’approcha d’eux et leur tendit sa main avec un sourire plaqué sur son visage et travaillé de longue date :

« Enchantée, Ress Laz’ziark. »

Les deux pilotes se regardèrent, un peu étonné par cette marque d’attention, puis serrèrent sa main chacun à leur tour avant de se présenter :

« Pat Anderson, M’dame. »

« Travis Mern, vraiment euh… très content d’vous accompagner sur ce vol. »

Typique, ces braves gars ne devaient pas avoir l’habitude de plaisanter avec un ministre puis d’être salués en présence par une sénatrice. A vrai dire, elle était persuadée que tous leurs illustres passagers se contentaient de s’asseoir et de les considérer avec à peu près autant d’intérêt que s’ils faisaient partis du décor.

Se tournant enfin vers l’humain, elle revint alors sur leur conversation précédente et lui déclara :

« Pour vous répondre, oui, j’ai obtenu mon audience, une équipe doit être envoyée par le Conseil pour voir les installations et planifier les besoins potentiels. Sans doute que les jedis sont un peu échaudés par leurs démêlés avec les politiques et préfèrent rester prudents. Ce que je peux comprendre, certes. »

S’adressant à Leto Vorkosigan, elle ajouta, histoire de ne pas paraître trop ingrate ou le mettre mal à l’aise vis-à-vis de sa confrérie :

« N’y voyez pas là une marque de défiance envers votre Ordre, Maître Vorkosigan. Je comprends leurs réticences à s’installer directement et avec ma seule parole comme vecteur de toute promesse sur une planète comme Balosar.

Je pense qu’une fois leurs délégués sur place, le Conseil pourra constater de visu la nécessité de leur présence. »


Dirigeant à nouveau son attention sur le sénateur d’Alsakan, elle changea de sujet :

« J’attends avec impatience les conclusions que vous m’apporterez alors. Pour être franche, j’aurais adoré voir la tête de vos gouvernants en vous entendant parler de Balosar. Ne m’en veuillez pas, mais j’ai peine à imaginer une autre réaction première que celle de la franche stupéfaction.

Cela dit, une telle audace ne manquera pas de faire parler. C’est une chose bien rare, de nos jours. »

Piquante, Ress ? Ironique, sarcastique ? Oh oui, et plutôt deux fois qu’une. Sa capacité à envoyer des sous-entendus appuyés sur ses adversaires politiques confinait parfois au génie… ou au ridicule, suivant l’appréciation de ses interlocuteurs. Mais c’eut été une grave erreur que de la réduire à une simple femme en colère. Dans chacun de ses traits, aussi féroces soient-ils, il y avait toujours une vérité crue et désagréable qu’elle avait pesée sciemment avant de parler. Elle ne se faisait aucune illusion sur la réputation de son monde natal, et comprenait les réactions de rejet, comme elle trouvait aberrantes toutes ces rodomontades qu’elle entendait de toute part au Sénat, et qui ne débouchait jamais sur rien d’autres qu’un sauve-qui-peut grandiose au moment de trouver quelqu’un pour prendre les décisions qui s’imposaient. Prêcher était une chose, agir en était une autre. Et elle ne doutait pas que ses deux interlocuteurs verraient au travers de son esprit caustique pour saisir le jugement sous-jacent que contenait ses propos, et qui n’était en aucun cas dirigé contre eux.

Par la suite, la syndicaliste écouta l’aristocrate leur faire part de ses recommandations à propos de la situation sur Bilbringi, et se fit en son for intérieur que les délégations avaient cet avantage et cet inconvénient que de réunir des personnalités avec des approches parfois différentes, du moins en terme de vision d’ensemble. En effet, elle pensait avant tout en termes politiques, et reléguait l’économie au second plan de son analyse, persuadée que le choc premier serait rapidement absorbé par les concurrents de la planète, trop heureux de voir un adversaire se saborder soi-même et désireux de se ruer sur ses parts de marché soudainement abandonnées à leurs griffes de vautours. En revanche, l’effet d’une première scission serait désastreux, et risquerait d’entraîner un effet domino tout à fait dangereux.

La même chose valait pour les chantiers navals : plutôt que penser garanties, instinctivement, Ress avait pensé menaces. Nul doute qu’au sein de ce trio hétéroclite, elle jouerait la part d’ombre. Après tout, ce ne serait pas la première fois. Aux autres le beau rôle de la compréhension, à l’éternelle énervée celui nettement moins reluisant du mauvais flic vitupérant. Au fond, c’était aussi ces élans qui plaisaient au peuple, pas les manières policées, et c’était sur cela qu’elle avait bâti une partie de sa carrière.

Or, c’était là justement, peut-être que se trompait le sénateur. Le peuple, voilà ce sur quoi il fallait discuter, ou plus exactement, avec qui il fallait discuter. Les chantiers n’étaient qu’une facette, mais le plus important était ailleurs. La démocratie avait bien des défauts, mais elle avait aussi des avantages certains, et ce n’était pas à une populiste avertie comme l’était la balosar qu’on dirait le contraire.

« Mes propres considérations seront nettement plus terre-à-terre, je le crains. Admettons que Bilbringi quitte la République. Que se passera-t-il pour elle ? Je crains que le problème ne soit posé à l’envers. La population se moque éperdument de manquer ou non au Sénat. En revanche, les gens ont toujours peur de ce qui les impactera directement.

Je vais être très claire, et, vous me pardonnerez pour cela, particulièrement vulgaire. En résumé, il n’y a que trois choses qui intéressent majoritairement toute citoyen lambda : dormir à son aise avec un toit au-dessus de la tête, manger à sa faim et même plus… et baiser tout son saoul. »


Elle avait prévenu qu’elle serait crue, elle l’avait été. Parfois, il fallait arrêter de tourner autour du pot quarante ans et dire les choses de façon nette et précise. D’ailleurs, sa remarque déclencha quelques rires de la part des deux pilotes, l’un des deux, le dénommé Anderson, soufflant entre deux éclats de rire durement réprimer :

« Faut avouer que c’pas totalement faux ! Hein Trav’ ! Toi qu’est toujours à courir les gonzesses des cantinas, tu peux pas dire l’contraire ! »

L’autre lui intima en termes fleuris de se taire, sous l’œil notoirement amusé de la balosar, qui continua donc son exposé avec un peu plus de sérieux :

« Le grand avantage, c’est que pour enclencher une procédure de sécession, il faut le faire par référendum, selon la nouvelle Constitution. Et pour déclencher cette procédure… Les partisans d’une scission devront gagner les prochaines élections, ou convaincre l’opinion publique que c’est la seule solution qui permettra aux habitants de Bilbringi de continuer leurs petites affaires dans leurs coins. Cela fait deux élections au suffrage universel à gagner. Et croyez-moi, cela fait beaucoup. Surtout quand les arguments sont bien faibles… »

Il était temps d’en venir aux faits.

« Oui, Bilbringi est riche. Mais elle l’est parce que ses partenaires commerciaux sont républicains et qu’elle profite d’un ensemble économique vierge de tout droit de douanes internes. Une fois en dehors de la République, ces produits se trouveront surtaxés, et je ne doute pas que, par mesure de rétorsion, les gouvernements fixent des taux exorbitants. Et les clients se tourneront alors vers d’autres entreprises, dont celles nationalisées, aux prix nettement plus concurrentiels. Autant dire que la prospérité de Bilbringi risque de fondre comme neige au soleil, surtout que vu sa position géographique, il lui sera presque impossible de trouver des partenaires d’importance, à moins de faire subir à ses cargos de longs détours abominablement coûteux. Se couper des principales voies commerciales n’est pas forcément une idée intelligente.

Alors oui, les chantiers sont à discuter. Mais avant de penser à des garanties, autant penser aux moyens de pression. La cupidité est un excellent moyen de persuasion, et la peur un excellent moyen de dissuasion. Et je suis certaine que beaucoup de personnes de la société civile seront sensibles à des arguments autre que la taille immédiate de leur porte-monnaie, parce que ce seront les premières à pâtir d’une sortie de Bilbringi de la République. »


La sénatrice fit une pause, histoire de reprendre son souffle, avant de continuer son monologue :

« Et je ne parle pas du reste : risque de pénuries alimentaires, de produits courants… Ce genre de faits n’aura aucun impact sur les lobbys industriels, car ce sont précisément ceux qui les dirigent qui n’en pâtiront pas. Mais ils forment une petite partie des électeurs, et le reste sera impacté. Le tout est de le leur montrer. »

Un mince sourire en coin éclaira son visage, mais qui tenait plus du prédateur que de la brebis douce et sincère :

« Certains pensent que l’argent seul suffit à mener une campagne. Je dirais que c’est une composante suffisante mais non essentielle. A un moment, l’appel du ventre sera plus fort, surtout chez ceux qui ont le plus à perdre, et qui ne le savent pas encore.

Aussi il ne sert à rien de financer un parti, car ce sera vu comme une ingérence de l’Etat fédéral et excitera les ardeurs des plus anti-républicains de nos adversaires. En revanche, il existe bien d’autres moyens d’influencer une campagne, comme soutenir discrètement certaines factions clairement en phase avec nos idées en liguant nos projets à leurs programmes.

Si des voix s’élèvent pour défendre l’appartenance de Bilbringi à la République, alors ce seront elles qui devront bénéficier de tout projet d’envergure, quitte à donner quelques concessions aux autorités en place. »


Autant faire tomber les masques d’emblée : Ress abordait cette mission avec tout le machiavélisme politique nécessaire, et ne comptait pas s’en remettre au bon vouloir d’une bande de pleutres qui, au premier signe de ralliement de la population à leurs ennemis, sauterait à pied joint dans la propagande sécessionniste.

« C’est précisément là que mes contacts, comme vous le dites, se révéleront utiles. Etant donné sa position comme centre de production industrielle d’importance, le CRT a une petite cellule sur Bilbringi, rien de bien développé cependant, mais ses membres seront des indicateurs précieux pour prendre la température des ouvriers et manutentionnaires divers et variés.

J’ai également appris par l’entremise de son secrétaire local qu’un petit parti s’était créé, essentiellement porté par des ingénieurs malgré son nom de Parti Ouvrier Bilbringi. En clair, il est davantage de la classe moyenne suffisamment éduquée pour se rendre compte de ce qu’elle a à perdre, et sans influence suffisante pour peser contre les gros lobbys auprès du gouvernement. Mais disons que la perspective de perdre entre autre les garanties du Pacte social les ont quelques peu… échaudés. Ces gens vivent bien, certes, mais n’avaient pas forcément les moyens de se payer des mutuelles trop extensives. C’est sans doute une base à élargie de contacts, mais je pense qu’il faudra écouter leurs arguments. Techniquement, ce seront nos meilleurs alliés, même si leur poids n’est pour le moment pas suffisant. »


A eux, aussi, de les aider.

« Je n’aurais pas de mal à rencontrer leurs leaders, dans un premier temps. Vous, Sénateur, devriez faire de même avec les industriels. Ils auront sans doute une crise de tétanie à l’idée de discuter avec une syndicaliste, et ce serait assez mauvais pour notre image d’avoir une crise cardiaque à gérer. Une fois les mondanités passées à notre arrivée, nous aurons sans doute au moins une journée pour rencontrer quelques personnes et avoir une vision plus globale. »

S’adressant à Leto cette fois-ci, elle conclut :

« Inutile de préciser que cela vaut pour vous aussi, Maître Vorkosigan. En votre qualité de Ministre, vous allez avoir une quantité assez monstrueuse de personnes prêtes à tout pour vous mettre le grappin dessus afin d’obtenir quelque avantage.

Sans doute que certains pourraient faire des alliés précieux. »

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Leto constata quasiment instantanément de faibles remous dans la Force, naissant de la tendre contrariété de la Sénatrice Balosare. Ses sentiments étaient bien trop pures et trop limpides pour que cela puisse passer inaperçu. Le Jedi n'avait pas vu son visage au moment il avait déclaré qu'il allait prendre les commandes du Défenseur, mais cela n'aurait même pas été étonnant d'y voir un rictus de désapprobation. En quelque sorte, ça le rassurait, elle, au moins, ne tricherait pas avec des faux semblants. Ce qu'elle dirait ou penserait serait le reflet parfait de ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même. La vérité n'en serait que plus facile à observer.

Mais bien sûr, la manœuvre de Leto n'avait pas eu pour simple but que de jauger la sincérité de Ress. Chose qu'il avait d'ailleurs déjà eu l'occasion de faire bien avant cette mission. Leto ne doutait plus, et n'avait peut-être jamais douté d'elle. En réalité, sa démarche n'avait rien à voir avec Ress ou Jeresen, leur réaction ressentie dans la Force n'était qu'une variable dans l'équation initialement posée par le Jedi. Sa manœuvre, son souhait de prendre les commandes du vaisseau avait une porté bien plus vaste que le simple fait de vouloir ''se dérouiller''. Mais Leto ne doutait pas que les deux politiciens puissent comprendre son but véritable le moment venu. Ils devait lui faire confiance.

Pour autant, il se montrait attentif à l'échange qui avait lieux principalement entre Ress et Jeresen. Tout deux avaient semble-t-il bien saisis les enjeux de la conservation de Bilbringi au sein de la République, bien qu'ils en parlaient du point de vue de l'économe, du politicien, du négociateur. Leto, lui, si il aurait dut ajouter un mot, en aurait parlé du point de vue du Jedi en mettant l'accent sur le principe même du scission qui en l'occurrence serait fort mal venue au vu des évènements récents et surtout au vu du développement effrayant de l'Empire ces dernières années. Le principe restait à ses yeux ce qui pouvait le plus différencier la République de l'Empire, si chacun des faits et gestes des gouvernements républicains ne s'encombraient plus de principe mais se contenter de ne voir que les aspects financiers, politiques et stratégiques, la République ne deviendrait guère plus qu'un Empire, au fond d'elle-même. Mais là encore, Leto était persuadé que les deux politiciens en avaient pleinement conscience, si bien qu'il ne lui semblait pas nécessaire d'en faire la remarque.

Ceci étant dit, Ress avait on ne peut plus raison à ce propos. Parler de principe, c'est bien, mais aller en parler à un père de famille qui n'a plus un sous en plein milieu de mois pour nourrir ses enfants, et vous verrez que dés lors les principes même les plus forts et les plus fondamentaux voleraient en éclat. Puis lorsque la Balosare s'adressa au Jedi, alors qu'ils étaient loin dans l'espace, en vitesse lumière, il programma le pilotage automatique et fit pivoter son siège pour faire face à ses deux compagnons.

- « Comme vous vous en doutez peut-être, ma position dans ces négociations est relativement délicate dans la mesure où je vais devoir prendre le problème selon différents angles. Ma priorité sera bien entendue d'agir en tant que Ministre au service de la République. Mais l'Ordre Jedi m'a confié d'autres prérogatives qui, pour être franc, si jamais j'arrive à concilier les rôles, pourraient aussi bien servir la République que mon Ordre. Il se pencha en avant pour déposer ses coudes sur ses genoux et prendre un air réfléchi. Concrètement, je dois venir à la rencontre des gens du domaine juridique, qui ont eux aussi des choses à revendiquer. On ne va pas se cacher qu'il s'agit là d'un jeu géant de "donnant-donnant", nous rencontrons des personnages clés de la société Bilbringi, nous agissons en leur faveur, et eux usent de leur influence pour faire pencher la balance à notre avantage. Pragmatique, direct, la façon d'aborder la politique du Jedi n'avait rien d'un poème illusoire et beau en toute circonstance. La politique était ingrate, presque toujours guidée par la convoitise et l'ambition. Il fit un signe de la main en direction de Ress pour bien lui préciser qu'il s'adresser à elle : Suite à notre premier entretien, j'ai commencé à me renseigner plus précisément sur les centres carcéraux et les tribunaux qui seraient susceptibles d'accrocher à notre projet de réforme. Aussi, j'y ai trouvé plusieurs alliés qui néanmoins attendent encore des preuves et un soutient réel de notre part pour se permettre de se lancer dans notre sillage. L'administrateur du principal centre carcéral de Bilbringi, préfet et en sus conseiller à la justice au sein du gouvernement de son monde fait partie des gens qui sont venus me rencontrer et me demander de l'aide. Je pense qu'il serait utile que je le rencontre à nouveau et qu'on envisage de l'aider, car je suis persuadé que son influence et son avis serait décisif d'un point de vue politique. Il se redressa dans son siège. Lui ne sera qu'une personne parmi tant d'autre. Il est, accessoirement, à la tête d'un syndicat reliant entre eux touts les organes judiciaires de Bilbringi. Prisons, tribunaux, préfectures, et même certains dirigeants de la police locale ont l'habitude de s'entretenir avec ce syndicat. Dans la ville de Bilibrex, le syndicat est très représentatif auprès de la communauté et s'investit beaucoup dans des programmes sociaux, la prison locale représentant une part non négligeable de l'emploi et est un symbole de la sécurité et de la bonne santé économique de la région. Malheureusement, les autorités locales et républicaines l'ont trop longtemps délaissée, si madame la Sénatrice Laz'ziark ne m'avait pas proposé son idée, peut-être bien que jamais je n'y aurait fait attention. Le second pilote, qui entre temps avait quitté la cabine de commande franchi le seuil et vint s'installer au poste de pilotage secondaire. Leto conclut, car il en avait déjà beaucoup dit : C'est simple, je prends contact avec le syndicat, qui a une influence très avantageuse bien au delà du simple domaine du judiciaire sur Bilbringi, je négocie pour eux et eux se rallient à nos côtés. Je sais de source sûre que le partie d'opposition récemment créé et les têtes pensantes du syndicat ne sont pas en très bons termes, j'ignore cependant pourquoi exactement, mais je compte bien me servir de cela pour faire valoir nos objectifs. Leto fut interrompu.

- Monsieur, désolé de vous couper, mais nous arrivons aux abords du corridor de Namadii. Nous arriverons aux coordonnées que vous avez indiqué dans deux minutes et trente secondes.

- Très bien, préparez vous à quitter l'hyperespace, je coupe le pilote automatique et je reprends les commandes. Le moment approchait enfin où Ress et Jeresen allaient obtenir quelques réponses aux comportement de Leto lorsqu'il avait exigé de prendre le contrôle de la navette. Le Défenseur sorti de l'hyperespace, mais pas là où il aurait dut en réalité. Et lorsque Leto reprit les commandes, il fit orienter la navette dans une direction qui semblait s'éloigner de la planète, visible à quelques milliers de kilomètres de là, derrière la ceinture d'astéroïde. Au loin, on pouvait y voir quelques installations des chantiers navals en orbite autour de Bilbringi, fixées à même les astéroïdes les plus importants. Le Défenseur se mit à longer la ceinture de cailloux spatiaux jusqu'à ce que Leto perçoivent, dans un cadran quasiment à l'opposé des chantiers navals en orbite autour de Bilbringi des structures bâtit à même d'autre astéroïdes. Des sortes de bunker rond et bas, quelques tours et une paire d'antenne constituaient le début d'un réseau de surveillance spatial censé défendre la planète de toute intrusion.

- Commandant, à mon signal, désactivez les stabilisateurs auxiliaires, maintenez une puissance minimale dans les moteurs 1 et 2 et coupez toute alimentation superflue au fonctionnement des outils de navigation. Ordonna Vorkosigan. L'autre se pencha vers lui.

- Mais, monsieur … ? Si nous désactivons les stabilisateurs, il faudrait s'éloigner de cette chaine d'astéroïde. Et puis, pourquoi couper l'alimentation, il n'y a pas de fuite de générateur.

- Ayez confiance, le fonctionnement de base des outils de navigation suffira à nous prémunir d'un crash contre les astéroïdes, si quelqu'un garde le contrôle seconde après seconde. Le pilote hésita, se racla la gorge discrètement et interrogea du regard les deux Sénateurs qui probablement n'avaient pas plus idée que lui de ce que voulait faire Leto. Puis il s’exécuta.

- Stabilisateurs désactivés, puissance minimale dans les moteurs 1 et 2, maintient de l'alimentation de l'ordinateur de bord, de la gravité, du recyclage de l'air et des capteurs. 

La navette se rapprocha alors doucement mais sûrement de la ceinture d'astéroïde, à vu d’œil, cela était quasiment imperceptible mais Leto jouait sensiblement avec le manche de direction pour doser degrés après degrés l'orientation du Défenseur. Si bien qu'au bout d'une minute, la navette se faufilait entre deux gros astéroïdes, puis entre une série de plus petits rochers célestes. De temps à autres, les stabilisateurs principaux venaient en aide au Jedi si jamais les capteurs indiquaient que la navette se rapprochait trop d'un obstacle, mais cela suffisait si le Défenseur restait à allure réduite comme cela. Aucune dispersion d'énergie n'était à déplorer, et c'était là le but du Jedi. Après une dizaine de minutes à jongler avec la direction de la navette, celle-ci s'était insinuer au delà de la ceinture d'astéroïde, Leto regarda calmement son co-pilote qui lui adressa un timide sourire, toujours dans l'incompréhension la plus totale.

- Vous pouvez réactiver les machines, réalimenter les moteurs, cap sur l'astroport de Bilbringi. Dit Leto avant de se retourner vers les Sénateurs qui depuis le temps devaient fulminer, laissés dans l'ignorance la plus totale. Peut-être avaient-ils comprit par eux même, mais par principe, Leto se devait de leur expliquer. Vous l'avez peut-être remarqué, mais nous venons de franchir sans encombre le système de défense planétaire de Bilbringi, ou en tout cas une partie étant donné que celui-ci reste en développement. La faction pro-militariste du partie d'opposition s'enorgueillit d'avoir soutenu le financement de l'élaboration d'un système de défense planétaire en se servant de la ceinture d'astéroïde de Bilbringi, mais nous venons de démontrer à l'instant même que ce système n'est clairement pas encore au point. Nous avons été prit pour un vulgaire astéroïde dérivant dans l'espace. Leto accompagna son élocution par quelques gestes de la main afin de souligner certaines notions essentielles. Imaginez si moi, qui n'a pas un don fabuleux pour le pilotage outre-mesure, à bord d'une corvette de la taille d'un Défenseur a réussi à franchir leur système de défense, quel serait le résultat avec des pilotes chevronnés, équipés d'outils de camouflage et de dissimulation sophistiqués tel qu'on peut en trouver sur les chasseurs et bombardiers impériaux … J'ai fais désactiver les systèmes d’alimentation inutiles à la navigation du vaisseau dans le simple but de diminuer au maximum l'émission d'énergie qui nous aurait rendu aussi visible aux yeux de leurs capteurs qu'une enseigne de bar à danseuses exotiques sur Nar Shaddaa. Une simple astuce qui nous a permit de nous faufiler entre les capteurs et les antennes que vous avez put voir construites sur les astéroïdes. Malhonnête? Tordu ? Non, prévoyant et osé. Si il y a bien une chose dont Leto ne manquait pas, c'était de détermination. Et lui plus que beaucoup d'autres savait jongler avec les limites de l'acceptable pour faire avancer les choses. Son ancienne vie de Sentinelle, passée à se lover au cœur des ténèbres le lui permettait d'agir d'une certaine façon là où d'autres Jedi moins expérimentés seraient aller trop loin sans avoir sut contrôler les évènements. Cette petite roublardise de sa part pour faire valoir son point de vue n'était que la partie visible de l’iceberg de ses capacités. Le partie d'opposition argue à qui veut l'entendre que Bilbringi est apte à se défendre face à une attaque armée d'envergure sans l'aide de la République, personnellement, après cette petite expérience, j'ai des doutes quant à la véracité de ces propos. Croyez-vous que le peuple soit au courant de l'inefficacité de la défense qui est censé leur garantir des jours paisibles sans la République ? Et je suis persuadé que nous allons au devant de bien des surprises, de quoi effriter de façon impressionnante l'argumentaire du partie d'opposition si nous nous montrons observateurs et audacieux. »

Car oui, quand bien même si Leto exposerait le résultat de son audacieuse entreprise aux yeux de ceux qui désirent la scission d'avec la République, il était quasiment certain que cela n'aurait guère de poids dans les négociations. Mais c'était quelque chose à ne pas négliger, si jamais cela pourrait servir pour ajouter un peu plus de force aux négociations du camp républicain, il ne faudrait pas s'en priver. Le Jedi était certain d'être en mesure de dénicher d'autres preuves bien plus solides pour prouver que les revendications et les avances du partie d'opposition n'étaient que des belles paroles pour forcer le peuple à choisir de se séparer de la République.

De la politique, en somme, rien de plus.

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« C’est déjà un bon début. Alsakan a toujours entretenu de bons rapports avec l’Ordre, et j’ose espérer que cela perdurera. J’ai confiance, ils vous aideront. »


C’était un fait qui n’était plus à prouver, bien que la précédente délégation représentative d’Alsakan ait approuvé l’inquisition placée contre les Jedi il y a de ça quelques années. Néanmoins, on ne pouvait oublier les efforts fournis par Alsakan et l’Ordre pour rétablir la République lorsque cette dernière s’était effondrée il y a de ça plusieurs millénaires. Jeresen était confiant dans le fait que l’Ordre finirait par accepter d’aider Balosar, à condition de voir un mouvement collectif en ce sens de la part de la République. L’Alsakani espérait bien initier ce mouvement en venant convaincre son gouvernement de venir aider ce monde que beaucoup considéraient comme la « poubelle » de la République.


« Je ne vous le fait pas dire. Certains ont manqué de s’étrangler au début mais d’autres ont été piqué à vif. Attirer leurs attentions était la première étape. A présent, il va nous falloir discuter des choses concrètes que nous pourrions réellement mettre en place. Je dirais que c’est sur la bonne voie, pour l’instant. »


C’était effectivement nécessaire. Jeresen avait déjà accompli une bonne partie du travail en venant s’adresser devant les Conseils du Roi pour mettre en avant les opportunités que pouvait offrir pareille action. Alsakan se voyait lentement reléguée en planète moyenne influente du Noyau alors qu’elle avait toujours été au sommet de la pyramide, aux côtés de Coruscant. Son monde devait profiter de l’inaction de la première pour se démarquer, prendre de l’ampleur et se révéler de nouveau comme incontournable. Il s’agissait d’un travail de longue haleine, mais Jeresen était convaincu que la chose était possible si son gouvernement lui offrait plus de marge de manœuvre.
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Jeresen avait exprimé son point de vue, laissant l’opportunité à la Balosar de faire valoir le sien. Cette dernière n’avait pas hésité à prendre la parole pour mettre en lumière l’aspect plus général du problème, bien que l’avis de l’Alsakani venait discorder sur certains points. Son analyse économique était foncièrement bonne, bien qu’elle oubliait le fait que l’Etat Fédéral avait littéralement étranglé Bilbringi en interdisant son ouverture aux marchés Républicain et en interdisant toute concurrence si ce n’est celle de l’Etat Fédéral lui-même. Par exemple, les chantiers navals ne fournissaient que la flotte Républicaine, ce qui venait porter un grand coup sur leur productivité. Le problème était le même pour les importations. En somme, la République avait transformé Bilbringi en exploitation géante, comme elle avait pu le faire pour Balosar et d’autres mondes pendant des millénaires.

L’Alsakani ne releva pas le manque de professionnalisme des deux pilotes, lesquels étaient militaires et n’avaient pas à venir commenter leur discussion. C’était bien une chose qu’il ne se permettait pas lorsqu’il travaillait pour le compte de l’armée et des services de sécurité de la République. Là où la Sénatrice de Balosar leur offrit un regard amusé, c’est clairement un air réprobateur que leur asséna Jeresen.

En revanche, les propos de Balosar devenaient de plus en plus pertinents au fur et à mesure qu’elle explicitant la nécessité d’agir directement auprès de la population et de certains syndicats, faisant référence à la toute nouvelle constitution. Un léger rictus se dressa en travers du visage de l’Alsakani, lequel ne pu contenir la remarque :


« Ais-je déjà exprimé ce que je pensais de la nouvelle Constitution ? » lâcha-t-il sans gêne aucune, le ton particulièrement sarcastique.


Sa position sur la question était bien connue. S’il y avait bien une chose qui le dérangeait dans cette fameuse Constitution, c’était bien l’ingérence à outrance de l’Etat Fédéral sur les secteurs fédérés, chose en totale contradiction avec l’esprit originel de la République.

Il reprit néanmoins, pour recentrer le sujet :


« Nous sommes d’accord que notre stratégie doit s’articuler autour de la population, Sénatrice. Votre analyse économique est pertinente, bien que nos points de vue divergent en certains points. Un retrait de Bilbringi de la République viendrait effectivement toucher la population, et cela dans son intégralité. L’intégralité des lobbys industriels, des têtes dirigeantes sont dépendants des contrats Républicains, si bien qu’ils en pâtiront tout autant. L’Etat Fédéral à toujours neutralisé toute concurrence sur Bilbringi, de part son importance stratégique. A qui leur fournit-elle ses navires ? A l’Etat Fédéral. A qui importe-t-elle ? A ce même Etat Fédéral qui rachète les biens sur le marché. Il s’agit de leur seul partenaire commercial. C’est cette dépendance qu’il faut briser, en l’ouvrant à la concurrence. A l’heure actuelle, c’est justement l’inverse qui se produit. Leur économie est à la merci de Coruscant, et c’est justement cela qu’ils dénoncent. Alors en effet, l’intégralité de leur système s’écroulera à court terme s’ils quittent la République. Mais à long terme, ils pourraient devenir un partenaire majeur pour bien des systèmes. »


Il soupirait légèrement, relisant en diagonale le dossier qu’il lui avait été remit et qu’il avait trié par la suite pour n’en garder que le nécessaire.


« Je ne suis pas particulièrement friand de ce genre de méthodes, bien qu’elles se révèlent nécessaires, Sénatrice. Vous êtes clairement la mieux placée pour venir parlementer avec des différents syndicats et les ouvriers, en effet. Ce n’est évidemment pas mon cas. L’aura qui m’entoure, lié à l’aristocratie d’Alsakan, ne ferait pas avancer les choses dans le bon sens. En revanche, si l’Etat Fédéral accepte certaines concessions et autorise l’ouverture aux marchés pour les industriels de Bilbringi, je devrais pouvoir m’entretenir avec ces derniers sans trop de problèmes, car c’est sans doute là l’une de leurs requêtes premières. Les gros lobbys ont déjà perdus avec la signature de contrats auprès de Mon Calamari. Offrons-leur une alternative. »


Ce n’était pas une réprimande. Quoi que, peut-être un peu, mais le reste était particulièrement sincère. Il respectait la Sénatrice pour sa capacité à se porter à l’écoute de la population et à défendre ses intérêts corps et âme. Tout comme le reste de ses propos étaient une invitation tendue au Maitre Jedi et Ministre.


Les propos de Maitre Vorkosigan étaient d’ailleurs tout aussi exacts. Les deux s’étant apparemment entrevu en amont de leur voyage, Jeresen ne s’étonnait pas de voir leurs discours s’accorder. Au final, il se demandait s’il n’était pas celui qui était le plus à plaindre dans cette affaire. Jeresen n’aimait pas manœuvrer avec les syndicats, car il avait toujours la mauvaise expérience de ceux corrompus de son monde, qu’il avait dû combattre pour permettre la mise en application de règles plus appropriées et plus attentives aux revendications de la population.


« Ce serait en effet une bonne opportunité Monsieur le Ministre. Il y a beaucoup de domaines à ratisser, et le vôtre est particulièrement prépondérant sur Bilbringi, tout comme la production navale. »


Il était sincère, c’était la moindre des choses. Visiblement, le Maitre Jedi avait travaillé son sujet, tout comme la Sénatrice Laz’ziark. Jeresen se satisfaisait de la chose, ayant déjà eu à manœuvrer avec des collègues bien mois intéressés par la tâche qui leur avait été confié.

Leur vaisseau finit par émerger de vitesse-lumière plus tôt que prévu, à la demande du ministre lui-même. Jeresen attendit des explications, lesquelles ne vinrent pas. Visiblement, le Maitre Jedi était trop concentré sur sa tâche. Les paroles des pilotes ne le rassurèrent pas, alors que les astéroïdes de la dense ceinture d’astéroïdes de Bilbringi se rapprochaient. Les petits astéroïdes ne tardèrent pas à devenir immenses, dévoilant leur paroi rocheuse aux yeux du Sénateur. Des bunkers de duracier et de durabéton venaient casser ce paysage de désolation, surmontés par des antennes et des batteries de turbolasers. De son souvenir, Bilbringi ne disposait pas de système de défense.


« J’espère que vous savez ce que vous faites… Ces quelques tourelles me semblent bien menaçantes. »


Lentement mais surement, la corvette glissa entre les astéroïdes, passant à l’intérieur du premier anneau pour se laisser aller vers les stations orbitales et les chantiers navals. L’Alsakani restait perplexe, son regard déviant vers la Balosar pour prendre conscience de son malaise. Avec assurance, le Jedi les mena au-delà du prétendu périmètre défensif, réactivant alors l’intégralité des systèmes de la navette. Jeresen souffla légèrement, comme pour exprimer son soulagement face à la situation. L’explication du Jedi quand à l’existence de ce système manqua de l’étrangler, tant elle semblait stupide sur de nombreux points. Stratégiquement, se baser uniquement sur un système défensif fixe et non mobile était une erreur sans nom. Ensuite, de manière pratique, établir un périmètre aussi large était extrêmement coûteux et réduisait de fait son efficacité. Et à ce sujet, l’Alsakani n’hésita pas à répondre :


« Pas encore au point ? C’est ridiculement inefficace, vous voulez dire. C’est à se demander si ce projet n’est pas qu’un simple écran visant à cacher un détournement titanesque de fonds. Même le système de détection d’Alsakan, pourtant vétuste, est plus efficace que ça. Il faudrait enquêter à ce sujet. Si nous pouvions découvrir ce qu’il se cache là-derrière, nous pourrions en effet faire tomber un de leur argument. Je pourrais peut-être vous aider à mettre en évidence ces lacunes, si vous le souhaitez.»


Les questions de sécurité et de défense étaient un peu plus de son domaine d’expertise, lui qui était tout de même ancien membre des forces spéciales et désormais Contre-Amiral de réserve au sein de la Marine d’Alsakan. Il pourrait en effet aider à prouver que le système en question n’était clairement pas au point. Pour le reste, le Maitre Jedi avait sans doute déjà tout un panel d’idées.


« Après, cela fait apparaître une autre revendication. Celle de la sécurité. Voyez-vous un seul bâtiment Républicain dans les environs ? Moi pas. Les Bilbringi se pensent sans défenses malgré leur appartenance à la République, et ils ont parfaitement raison. La République ne tient actuellement pas ses obligations. »


Il soupira, alors que le vaisseau se rapprochait inexorablement de sa destination, pour énoncer finalement :


« Cela fait beaucoup de sujets à aborder et à étudier. En se répartissant convenablement les tâches, nous devrions pouvoir démonter sans peine les arguments des uns et des autres. Essayons tout de même d’en savoir plus directement. Les dossiers étaient peut-être bien fournis, je sais d’expérience que la situation sur le terrain est bien plus complexe qu’elle n’y paraît de premier abord. »
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Lister tout ce que détestait Ress Laz’ziark aurait pu facilement prendre des heures, voir des jours. On aurait pu citer pêle-mêle les financiers, les privilégiés aveugles, les vendeurs d’armes, les actionnaires gavés de dividendes, les corrompus, les démagogues, les ultra-libéraux, les nationalistes sourds, les barons du crime, les hutts, les proxénètes, et ainsi de suite pendant très longtemps… Mais il y avait notoirement peu de choses qui la rendait réellement malade physiquement. Evidemment, il avait fallu que le Maître jedi se tourne vers ce qui occupait la première place de ces activités les plus honnies.

La balosar haïssait les voyages dans l’espace. Forcément, dans une galaxie qui les rendaient indispensables, c’était jouer de malchance. Sujette au mal de l’espace, elle avait toujours une sensation de nausée légère quand elle prenait un transport, mais supportait cette sensation désagréable stoïquement la plupart du temps. Sauf qu’il ne fallait pas non plus trop insister : rajouter du stress à sa phobie légendaire des navettes, et on obtenait un cocktail notoirement explosif. Et voir leur pilote autoproclamé couper toute assistance pour faire mumuse avec un système défensif n’avait pas grand-chose pour la rassurer.

Rapidement, alors qu’elle sentait tous les mouvements du vaisseau en se cramponnant à son siège, Ress sut qu’elle allait rendre tripes et boyaux. Elle avait horriblement envie de vomir. Aussi, n’y tenant plus et confrontée entre le choix de retapisser leur navette ou se lever, elle quitta son siège en laissant les deux hommes gloser sur les faiblesses de l’installation tandis qu’elle se précipitait aux toilettes pour dégobiller promptement le contenu de son estomac.
S’essuyant la bouche d’un revers de la main, la sénatrice pesta intérieurement contre cette maudite mission diplomatique qui la mettait déjà en pétard. Vraiment, pourquoi les planètes sécessionnistes ne pouvaient pas se trouver à un jet de pierre de Coruscant. Elle prit une profonde inspiration, tenta de se rendre à peu près présentable suite à cet incident peu glorieux, avant de sortir, blanche comme un linge, et de revenir à son siège, déclarant au passage d’un ton rogue :

« Je vais me contenter d’apprécier que ce système soit défectueux, si ça ne vous dérange pas. »

Avant d’ajouter en direction de leur pilote :

« J’aurais peut-être dû vous préciser que je souffrais du mal de l’espace avant toutes ces cabrioles spatiales… »

Sous-entendu : il lui refaisait un coup pareil, Ministre ou pas, elle allait l’étriper… Ou rendre son déjeuner sur lui, au choix. Décidément, elle détestait déjà cette mission. Et c’était sans compter les assertions précédentes de son confrère sénateur, auxquelles elle aurait adoré répondre s’ils n’avaient pas été interrompus par cette modeste affaire. Alors qu’ils amorçaient enfin leur descente et qu’elle priait pour que tout ceci se finisse rapidement, elle ne put s’empêcher de siffler entre ses dents, laissant sa mauvaise humeur s’exprimer avec moins de retenue qu’auparavant :

« La République n’a pas vocation à envoyer des vaisseaux protéger toutes ses planètes en permanence. Il y a quand même plus dangereux à l’heure actuelle comme situation géographique. Bilbringi se trouverait à la frontière avec l’Empire sith ou l’espace hutt, je ne dirais rien. Mais là… Elle est proche de Coruscant et du Noyau, éloignée de tout ennemi potentiel…

Ce qui s’exprime là, c’est de la paranoïa et l’usage du tout sécuritaire pour alimenter la peur et le rejet de l’autre, en l’occurrence la République. Franchement, avec un positionnement vers l’intérieur de cette dernière… Il est censé défendre Bilbringi contre qui exactement !

Ce n’est pas une installation défensive. C’est un avertissement adressé à ses voisins. »


Ils voulaient des explications sur le pourquoi du comment d’une installation factice à un tel endroit ? Elle venait de leur en donner une. Pas sûre qu’elle leur plaise cela dit, mais la balosar était suffisamment remontée pour ne pas prendre de gants. Rien ne l’agaçait plus que ces discours prônant la défense armée comme réponse à tout, comme si des hordes armées étaient prêtes à fondre sur des planètes situées en plein cœur du territoire républicain et suffisamment imbriquées dans cette dernière pour qu’une attaque soit repérée des années-lumière avant. Si Bilbringi obtenait des crédits pour renforcer son armada alors qu’il n’y avait aucune raison que ce soit le cas, toutes les planètes voudraient la même chose, et il était hors de question de gaspiller les ressources républicaines nécessaires au renforcement des frontières sensibles pour satisfaire une bande de couards nationalistes.

Alors qu’ils atterrissaient enfin et qu’ils pouvaient quitter la navette, Ress rassembla ses affaires, prenant son temps et veillant à ce que le jedi passe en premier, conformément à son rang protocolaire, mais surtout pour se retrouver seule avec l’Alsakani. Tout en sortant, elle lui glissa :

« Quant à ce que vous avez dit précédemment et auquel je n’ai pas pu répondre…

Sachez que je ne cacherais pas le fait que des industriels préfèrent couler l’ensemble de leurs employés parce qu’ils estiment qu’ils ne peuvent pas se gaver suffisamment sur le dos de la République et des contribuables.

Je suis sûre que les citoyens de Bilbringi apprécieront ce fin calcul politique. »


Elle le regarda et lui fit :

« Ce sera probablement suffisant pour déclencher une grève générale. J’en ai initié pour moins que ça.

A vous d’utiliser ce blocage judicieusement. Qui sait, un brin de pression aide souvent pour obtenir une signature rapide… »


Elle préférait être d’emblée honnête avec l’humain. Ce qu’il avait dit l’avait positivement mis hors d’elle, et elle comptait clairement mettre le feu aux poudres. Mais ce ne serait pas sans intérêt : Ress en avait toujours un, même caché. Elle lui offrait le couteau à mettre sous la gorge des lobbyistes. A lui de savoir s’en servir.
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Spoiler:


Que dire de la réaction de la Sénatrice Laz’ziark lorsque le Maitre Jedi avait manœuvré pour étudier la fiabilité du système statique de défense de Bilbringi ? L’Alsakani la trouvait particulièrement exquise, car elle s’associait étrangement bien avec le caractère physiologique et psychologique de la Balosar. L’intéressant n’était pas de savoir ce qu’elle avait régurgité mais plutôt d’analyser sa réaction d’après coup. Sa moue, combinée avec les mouvements de ses antennes et les traits tracés sur son visage était particulièrement amusante, pour ne pas dire hilarante. Jeresen ne laissa pourtant rien transparaître, excepté un léger sourire qui ne disait pas grand-chose sur son attitude. Il n’y avait pas vraiment de secret pour se protéger du mal de l’Espace. La meilleure méthode, mais aussi la plus répandue, consistait généralement à accepter une injection qui venait atténuer certaines réactions du métabolisme de la personne traitée contre ce mal. Cependant, parfois, cette méthode ne suffisait pas. Était-ce le cas de la Sénatrice Laz’ziark ? L’Alsakani ne connaissait pas la réponse à cette question. Il préférait d’ailleurs l’éviter, pour ne pas risquer de froisser la Sénatrice au caractère bien trempé.

En réalité, le Sénateur d’Alsakan était plutôt concentré à étudier le comité d’accueil venu les recevoir dans le hangar, au travers de la verrière renforcée du poste de pilotage. Il reconnaissait déjà une des têtes, puisqu’il s’agissait ni plus ni moins que du représentant de Bilbringi au Sénat. Le Sénateur Dinyelfi, assistant et conseiller direct des dirigeants du système en question, dont celui désigné par la population mais aussi les principales compagnies de Bilbringi elles-mêmes, l’ensemble réuni en un conseil politique. Dinyelfi était plutôt un défenseur du maintien du système au sein de la République et constituait de fait un soutien fiable mais sans réel pouvoir décisionnel dans la sphère politique du secteur. En réalité, il jouait plus le rôle d’intermédiaire qu’autre chose.

« C’est une possibilité, en effet. Mais quel intérêt d’émettre un avertissement adressé à ses voisins quand on ne dispose pas de moyen de les menacer, ou d’être menacé ? Il y a forcément quelque chose de masqué au milieu de tout cela. Quelque chose de suffisamment important qu’il nous faudra trouver. C’est peut-être une des clés qui nous permettra de débloquer la situation » , rétorqua Jeresen aux propos quelque peu enflammé de la Sénatrice qui l’accompagnait, et qu’il appréciait. L’idée d’envoyer un tel message alors que les capacités de nuisances de Bilbringi étaient nulles n’étaient qu’un non-sens absolu. Pour l’instant, il serait d’ailleurs préférable de ne pas évoquer le sujet avec leurs futurs interlocuteurs tant que de plus amples informations sur ce sujet. Quand à la politique sécuritaire de la Marine Républicaine, c’était encore une incompréhension. Jeresen précisa donc : « Je ne parlais pas d’une présence permanente, ce serait ingérable à l’échelle de la République, mais plutôt d’une action de réassurance des systèmes inquiets en déployant un ou deux bâtiments pour des actions temporaires et ne devant pas s’ancrer dans la durée. En gros, un roulement, pour réaffirmer à la fois la souveraineté de la République tout en rassurant les autorités locales concernant la détermination de la République à protéger les entités souveraines. »

Une fois la navette posée, Jeresen laissa également le Ministre et Maitre Jedi prendre les devant de part son statut de membre du gouvernement actuel. L’Alsakani lui laissait volontiers les joies du protocole, préférant de loin écouter les propos tenus par Ress à son attention, ou plus exactement ses protestations. Elles étaient fondées, bien évidemment, mais l’Alsakani craignait qu’elle puisse agir trop vite pour qu’il puisse lui-même s’assurer des garanties de ses futurs interlocuteurs, à savoir les patrons et autres mécènes et membre d’une quelconque aristocratie. Qui plus est, rien ne garantissait que les ouvriers et cadres des chantiers orbitaux ou des mines allaient être d’accord et se rallier tous ensemble derrière la Sénatrice de Balosar. Plus encore, il était tout à fait possible que l’Alsakani se soit trompé sur son analyse de la situation. Toute précipitation pouvait dès lors se révéler contre productive. Ce dont ils avaient réellement besoin en cet instant, c’était de tâter le terrain, et donc de disposer de temps pour bien analyser la véracité des faits sur le terrain lui-même.

Jeresen s’assura donc que le Falleen avait suffisamment marqué la distance pour attirer l’attention de l’ensemble du comité d’accueil avant de venir répondre de la même manière à la Balosar :

« Ne le prenez pas de cette manière. Je ne pense pas que les industriels tiennent à couler l’ensemble de leurs employés, car ils ne pourront jamais atteindre leurs objectifs sans leur aide. Ils vont sans doute exiger des modifications dans le statut des ouvriers et de leur main d’œuvre. C’est la réaction la plus logique, bien qu’elle soit tout à fait inacceptable.

De cela, je pense que nous sommes tout les deux d’accord. De là à déclencher immédiatement un blocage des installations, je ne pense pas que ce soit la meilleure chose à faire. Les lobbyistes risqueraient de refuser tout dialogue, et toute signature. Il faut que ce soit bien amené, bien préparé. Ne dit-on pas qu’il faut parfois savoir quand perdre une bataille pour mieux gagner la guerre ? »


Jeresen s’interrompit en voyant un des officiels s’approcher vers eux tandis que Maitre Vorkosigan s’éloignait déjà aux-côtés du Sénateur Dinyelfi. Il haussa un sourcil, avant de se tourner dans la direction de l’arrivant, lequel se présenta de manière respectueuse et parfaitement protocolaire. Peut-être un peu trop, d’ailleurs…

« Sénatrice Laz’ziark, Sénateur Fylesan. Jan Liennyr, assistant de Monsieur le Sénateur. Au nom du conseil de gouvernance, bienvenue sur Bilbringi. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous mener à votre véhicule. »

« Nous vous remercions de cet accueil, mais qu’en est-il de Monsieur le Ministre ? » balança sans hésitation l’Alsakani.

« Oh. Le Sénateur Dinyelfi désire s’entretenir personnellement avec lui avant que les réunions officielles ne débutent. Il vous rejoindra plus tard, n’ayez crainte. »

Jeresen acquiesça d’un léger signe de tête, avant d’inviter la Sénatrice à suivre le mouvement alors que l’assistant les menaient vers un speeder plutôt luxueux, sans doute bien trop pour la Balosar. Tant pis, elle se ferait une raison, ils n’avaient pas vraiment le choix. Lorsque la porte s’ouvrit, il laissa la Balosar prendre place en premier avant de se retourner vers Jan Liennyr :

« Nous aimerions être seuls, c’est possible ? Nos discussions concernant les négociations revêtent un caractère confidentiel. »

La réaction de l’assistant ne trompait pas. Son étonnement et sa gêne était parfaitement visible et il sembla s’offusquer, avant de se faire une raison et d’acquiescer :

« Mh… Bien évidemment, Monsieur. Je serais dans le véhicule de tête. »

« Nous vous remercions. »

Jeresen s’installa donc à la suite de Balosar, à ses côtés, et attendit que la porte ne se referme pour constater que l’habitacle entre le poste de conduite et le reste du véhicule était hermétique, et que donc le chauffeur ne pourrait entendre le potentiel contenu de leur discussion. L’intérieur était bien plus luxueux que l’extérieur, comme pour mettre à nu la teneur des richesses de Bilbringi. Il y avait de quoi rendre malade les moins expérimentés à ce genre de stratagème bien classique. Tout y était, jusqu’à la bouteille de somptueux posée sur la petite table qui était fixée devant eux. L’Alsakani attendit que le véhicule ne s’ébranle pour sortir un petit appareil d’une de ses poches, et qui consistait en un écran miniaturisé maintenu par un manche tout aussi petit. Il l’activa et l’appareil débuta son analyse pour finalement rendre son verdict, visiblement positif puisque Jeresen esquissa un léger sourire.

« Deux précautions valent mieux qu’une. C’est un appareil que j’ai hérité de mes années passées dans l’armée de la République : aucun dispositif électronique d’écoute ou d’enregistrement pour capter nos discussions. » lâcha-t-il tout en rangeant de nouveau l’appareil, avant de se tourner légèrement vers la Balosar. Il avait laissé tomber le nous protocolaire et nobiliaire, pour une discussion clairement d’égal à égal –et donc plus représentative de la réalité des choses. « Ce Liennyr ne me semble guère être dans notre camp. Ses réactions étaient formatées, et une simple demande l’a déstabilisé. Il est possible qu’il soit là pour nous espionner. »

Le véhicule fonçait à travers les avenues et Jeresen observa un instant le décor qui défilait sous ses yeux avant de revenir vers Ress avec une détermination nouvelle :

« Et si vous m’expliquiez vos idées en détails, Sénatrice Laz’ziark ? Que je ne sois pas surpris par vos actions. Ce serais fâcheux que l’on se jette mutuellement des bâtons dans les pieds.»
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Se poser eut un effet salutaire sur Ress, qui reprit presque immédiatement un peu de couleur sur les joues. Enfin… Plus qu’avant, c’est-à-dire qu’elle passait du blanc cadavérique au blanc cassé. Pas sûr que ce soit engageant pour des humains, mais elle n’était pas à ça près, de toute manière. Avec son physique, miser sur l’apparence était de la folie furieuse, et cela, elle n’avait pas mis longtemps à le comprendre. Deux semaines après son arrivée sur Coruscant, en fait, si elle comptait bien, le temps de voir toutes les portes se fermer devant une « saleté de balosar », dixit presque tous ceux à qui elle avait eu affaire. Qu’ils soient obligés de lui lécher les bottes maintenant, des années plus tard, continuait de lui donner une satisfaction aussi mesquine que puérile, de même qu’observer les grands de ce monde devoir accorder leur attention à ce qu’ils considéraient comme un cafard tout juste bon à être écrasé. La République avait ses défauts : elle avait aussi ses petites jouissances, une fois les obstacles dépassés, l’échelle grimpée à la force du poignet et de l’obstination.

Continuer à parler de la sorte avec le sénateur d’Alsakan ne l’aurait pas gênée, mais il était temps de faire face à la horde d’officiels. Tant mieux, rien ne valait un accueil de délégation, surtout une aussi disparate que la leur pour jauger des intentions d’en face et prendre la température. Qui allait être glaciale, à en croire ce qui suivit. Non pas qu’elle en soit heurtée : au moins là, ce n’était pas des fusils pointés sur sa tête qu’elle avait en face, contrairement à certains de ses souvenirs sur Balosar ou dans des points chauds en grève. C’était l’avantage d’avoir un passé d’agitatrice : elle avait forcément vu pire. Aussi l’avocate se contenta d’adresser des sourires carnassiers aux imbéciles en face d’elle, désespérée en les voyant tous rentrer les épaules.

Tandis que le Ministre avait droit aux honneurs, elle-même et son collègue du Sénat allaient donc devoir se coltiner un freluquet pompeux qui semblait régurgiter à chaque mot le tome des bonnes manières galactiques. Joie. Rien de pire que ce genre d’ectoplasme envoyé souvent pour occuper ceux dont on ne voulait pas, ou du moins les espionner. S’il fallait être honnête, elle-même avait utilsié des diversions semblables au cours de sa carrière de syndicaliste … Raison qui faisait qu’elle ne mettait guère de temps à repérer ce genre de petit stratagème. Elle se contenta donc d’un hochement de tête et d’un tressautement d’antennes comme salut, ainsi que d’une poignée de main à la froideur nette. En même temps, entre un Ministre, un sénateur de planète importante et … elle, il n’y avait pas holo-photo. Dix contre un que tous allaient se précipiter pour cirer les pompes des deux premiers et qu’elle allait avoir le buffet pour elle seule lors de la réception du soir qu’ils ne manqueraient pas d’annoncer.

Heureusement, Jeresen Fylesan eut la présence d’esprit d’écarter l’importun, sans doute pour continuer leur discussion … Et de vérifier l’absence de mouchards. Pratique aussi, l’ancienne appartenance à l’armée. Comme quoi, peu importait le côté de la barrière où on se trouvait : chacun avait les mêmes méthodes au final.

« J’approuve. Fut une époque où mon mari et moi-même parlions balosur entre nous pour être sûrs de ne pas être compris.

Cela dit, autant pour vos oreilles que pour la fluidité de notre conversation, je crois que votre méthode représente moins d’inconvénients. »


Un élan de nostalgie la saisit furtivement en mentionnant Elan. Que ce temps semblait loin. Enfin, il ne servait à rien de s’appesantir sur ce qui n’était plus. Oui, il lui manquait toujours. Enormément. Et l’alliance à son doigt, constamment présente malgré les années et la patine était là pour le rappeler. Parfois, moins que l’époux adoré, c’était le partenaire qui lui faisait cruellement défaut, celui avec qui elle pouvait partager tout sans crainte, le comparse de tractations. Désormais elle était seule, et devait apprendre à faire confiance à d’autres, ce que sa paranoïa ordinaire rendait notoirement difficile. Heureusement pour lui, l’humain en face d’elle avait su piquer son intérêt auparavant, sans quoi cette mission aurait été singulièrement compliquée. Elle voulait bien jouer carte sur table.

« Bien, ceci étant dit… Revenons à nos banthas. En ce qui concerne mes idées … »

Un sourire en coin étira les coins de ses lèvres, comme si la situation l’amusait fortement. Mécaniquement, elle sortit son fidèle briquet et sa cigarette, le sénateur étant au moins habitué à son addiction pour la nicotine, en alluma une avant de prendre une bouffée et finit par souffler :

« Vous allez devoir faire confiance à mes talents d’agitatrice, mon cher. Ne vous inquiétez pas. J’ai suffisamment de métier pour que ce soit … productif.

Je ne m’engage jamais que pour gagner, en ce genre de choses. Trop de personnes sont en jeu. »


Elle savait que tout mouvement social coûtait cher à ceux qui s’engageaient dedans, et attendait toujours d’avoir un bon moyen pour le faire, et des arguments fourbis à l’extrême. Par chance, elle avait les deux à portée de main sur Bilbringi.

« Récapitulons. Le gouvernement en place est à la merci des grands lobbys industriels. Ils vont demander que les fonds républicains aillent sans doute dans les chantiers, soit droit dans la poche de leurs actionnaires, qui pourront donc continuer à arguer que grâce à ces investissements, Bilbringi sera encore plus forte. Aucun intérêt à long terme : nous ne ferons que renforcer les indépendantistes, en vérité.

Nous sommes également d’accord pour ne financer aucun parti.

Il n’y a donc pas trente-six solutions. Nous allons donc devoir trouver quelque chose pour les appâter et d’inoffensif de surcroît, les faire patienter en parlant accord en surplus … Et mettre des billes dans le camp adverse. »

Ses prunelles noires se posèrent sur l’alsakani, et elle souffla :

« Je présume que les gouvernants l’ont d’ores et déjà compris. Ils essayent déjà de nous diviser en éloignant le Ministre. Peut-être pensent-ils qu’ils obtiendront plus facilement des accords avec lui. Dommage pour eux, mais j’en doute. Pour autant, je suis prête à vous parier que bizarrement, Maître Vorkosigan va se trouver pris dans un enchaînement de rencontres toutes plus inutiles les unes que les autres … »

Nouvelle bouffée de cigarette, qui se consumait déjà, à son plus grand regret :

« Voilà ce que je propose. Dès demain, faites les yeux doux à leurs lobbyistes. Ecoutez-les pleurnicher sur leur argent. Je n’aurais pas cette patience, et il vaut sans doute mieux que je ne paraisse pas de toute manière.

Vous en revanche … Ils vont dérouler le tapis rouge. Demandez leurs propositions, récupérez leurs doléances sans rien promettre.

Dans l’intervalle, je vais tenter de contacter mes collègues avocats et de voir si j’ai des relais dans leur centrale pénitentiaire. Du moins, officiellement.

Officieusement, cela me permettra de prendre la température de la classe moyenne, de ceux éduqués et qui observent sans doute ce va et vient avec circonspection.

On n’obtient rien avec seulement les ouvriers. Mais on obtient toujours beaucoup avec ceux qui leur sont juste supérieur, car eux ont l’ambition et la capacité de la soutenir. »


Son doigt effleura la portière qui s’ouvrit juste assez pour expulser son mégot distraitement, avant de conclure :

« En clair ? Voyons ce que chacun a à dire. Je ne vous cacherais pas que je préférerais soutenir un mouvement partisan susceptible de retourner favorablement la situation en notre faveur, ou faire réfléchir les lobbyistes de la planète.

Mais je n’agirais pas sans être sûre. Et pour cela, nous devons avoir les demandes et impressions de chacun, et les partager fidèlement. »


Ils arrivaient déjà à leurs logements. Avant de sortir, Ress ajouta :

« Evidemment, nous pouvons toujours mettre sur la table des propositions bateau comme une amélioration des ressources pénitentiaires ou la création de je ne sais encore quel grand ensemble. Du type laboratoire de recherches, ce genre de choses.

Au pire, en attendant, c’est une solution médiane qui me semble intéressante, le temps d’en savoir plus. Nous verrons bien comment chacun réagit à ce type de perspectives, et pouvons trancher en conséquence tout en tâtant le terrain. »


Leur véhicule s’arrêta et l’assistant du sénateur ouvrit leur porte :

« Nous sommes arrivés. Des appartements dans le palais sénatorial vous ont été réservés. Le sénateur organise une réception ce soir en votre honneur, où il se fera une joie de vous rencontrer. En revanche, il s’excuse, mais son entretien avec Monsieur le Ministre semble prendre un peu plus de temps que prévu, il ne pourra donc pas vous voir avant. »

Bingo. Restait donc à survivre à la soirée qui s’annonçait. Donc à cibler le buffet. Tout un programme.
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Il était toujours satisfaisant de constater que son entourage était d’accord avec son avis. Il n’y avait rien de plus agaçant que de devoir accomplir une mission avec une équipe non convaincue des tentants et des aboutissants, tout comme il était désagréable de régler un contentieux aux côtés d’autres médiateurs disposants d’une position radicalement opposé à la sienne. Pour cela, Jeresen était assez soulagé de la présence de la Sénatrice Laz’ziark à ses côtés. Qu’en aurait-il été s’il s’était agit d’un membre du FLR à la solde des patrons et des grands financiers et commerçants ? Cette médiation se serait sans doute transformée en véritable tragédie. Le fait d’avoir déjà échangé avec la Balosar par le passé facilitait l’intégration de chacun et allait sans doute permettre de régler ce litige de la meilleure des manières, et cela, rapidement. C’est tout du moins ce que l’Alsakani espérait en débarquant sur Bilbringi. L’aide du Ministre Vorkosigan était appréciée, car sa connaissance du dossier et sa qualité de Jedi le désignait d’emblée comme diplomate et négociateur. De plus, le Falleen semblait de ceux curieux et fouineurs, ce qui n’était pas pour déplaire à l’ancien membre des services de renseignements qu’était Jeresen.

D’une certaine manière, cette petite scène au départ de leur véhicule faisait naître une forme de nostalgie chez l’Alsakani, le ramenant quelques instants des années en arrière. Il trouvait toujours amusant de constater au jour le jour que ce qui lui avait été dispensé pendant ses classes étaient toujours autant d’actualité quelques décennies plus tard dans un emploi qui se révélait aux antipodes de ce qu’il avait pu faire étant plus jeune. S’il y avait bien quelque chose qui lui manquait et qu’il n’avait pu retrouver ces années passées en qualité de Sénateur, c’était l’adrénaline et la tension qui régnait lors de chacune de ses opérations ou bien encore l’odeur de brûlé provoqué par les décharges des armes laser lorsqu’il opérait au sein des forces spéciales. Évidemment, toutes ces années passées au cœur de la Rotonde et dans les rouages de la politique d’Alsakan lui avait fait découvrir –ou redécouvrir- des choses qu’il n’aurait pas pu observer lorsqu’il était militaire pour le compte de la République. En soi, il ne regrettait en rien ses choix. Jeresen avait œuvré pour monter lui-même les échelons d’une hiérarchie dont il pouvait bousculer toutes les portes pour se poser là où il le souhaitait grâce à ses origines. Il avait voulu mériter ce respect qui lui était désormais dû, et non venir le cueillir en tendant simplement la main. Il assumait parfaitement son passé et ses actions, qu’elles fussent légitimes ou non. De part ses services rendus à l’entité suprême étant plus jeune, il était fort probable qu’il aurait pu être arrêté sur le champ dans bien des mondes non affiliés à la République mais ces temps étaient désormais révolus. Il était Sénateur d’Alsakan, monde influent ayant un poids non négligeable dans la Rotonde ; Un monde qui s’était fait éclipser par des mouvances politiques nouvelles qu’il n’avait su prévoir et apprécier ; Un monde qui comptait bien gagner de nouveau sa place qui était la sienne depuis des millénaires. En revanche, Jeresen ne rêvait pas de pouvoir siéger à la Chancellerie, de disposer d’autant de responsabilités. Il estimait avoir atteint une forme d’apogée, ou tout du moins longer la fin de courbure de sa propre ascension bien qu’il ne fermait pas la porte aux éventuelles surprises et opportunités. Les temps futurs décideront de la direction qu’il prendrait. Si le FLR venait à devenir majoritaire au sein de la Rotonde, les relations entre Alsakan et le reste de la République pourraient bien se complexifier alors que la situation à la frontière avec l’Empire pouvait dégénérer à tout moment. Il ne souhaitait pas être celui qui annoncerait une fois de plus le retrait de son monde. Jeresen avait foi en les capacités de la République, et sa présence sur Bilbringi n’était pas anodine. L’image donnée était celle d’une Alsakan voulant rassembler autour du Sénat et de la Chancellerie et non l’inverse.

Il appréciait de constater que la méfiance à l’égard de leurs hôtes était partagée par la Balosar. Il n’y avait rien de plus frustrant que de constater la naïveté ou l’imbécilité de ceux incapables de tenir leur langue et de conserver les conversations privées secrètes. Dans une situation pareille à Bilbringi, il était nécessaire de ne rien laisser filtrer des discussions pour garder la main mise sur la situation et ne pas se faire devancer par le camp adverse. Ils allaient devoir manœuvrer de manière habile pour amener les têtes dirigeantes à reconsidérer leurs choix pour se conformer aux demandes de leur peuple et du reste de la République. Jeresen était mal placé pour exprimer ce cas de figure, Alsakan étant connue comme La Sécessionniste depuis des millénaires mais l’hypocrisie était hélas bien souvent nécessaire. Néanmoins, Jeresen restait un Républicain convaincu. Son monde, et encore moins Bilbringi ne pouvait exister éternellement en dehors de la République. Les pertes seraient bien trop immenses pour des bénéfices douteux. La seule façon d’exister de manière pérenne à la frontière d’une pareille entité était justement de faire partie d’une entité similaire. L’exemple de la zone neutre était flagrant : des mondes pour la plupart isolés, avec une économie et une industrie souvent poussive, des forces armées quasi-inexistantes et une volonté politique proche du néant.

L’Alsakani sourit légèrement à la remarque de la Sénatrice, s’ouvrant plus facilement à elle qu’aux restes de ses collègues de la Rotonde. D’une certaine manière, il avait confiance en elle. Il estimait que la Balosar n’était pas de ceux à vous poignarder sans ménagement dans le dos à la première occasion venue. Cependant, on n’était jamais à l’abri d’une surprise, et ça Jeresen en avait bien conscience. Elle possédait un esprit d’analyse qui faisait opposition avec celui de la plupart de ses congénères souvent noyés dans les drogues dures et disposait de relations dans la plupart des classes ouvrières, ce qui faisait d’elle une alliée de poids en toutes circonstances. Il était étonnant que les autres Sénateurs n’aient pas vus cette facette de la Balosar pour se contenter de l’ignorer telle la représentante d’un monde-décharge aux frontières du Noyau.
Son idée était pertinente, et la pensée de Jeresen convergeait aisément avec elle. C’était toujours étonnant pour lui de constater que ses idées étaient en adéquation avec celles de la Balosar alors que leurs intérêts originels étaient comme les origines : radicalement différentes.

Maitre Vorkosigan allait sans doute se retrouver empêtrer dans une suite de visites et de rendez-vous tous aussi inutiles les uns que les autres pour attirer son attention ailleurs et le forcer à ronger son frein. Cependant, le Jedi semblait être issu d’une autre pluie que la plupart de leurs ambassadeurs. Il semblait plus être un homme d’action, toujours à l’affût. D’une certaine manière, cette situation était appréciable car retournable. Avec un peu de manœuvre, l’éloignement du Ministre pouvait devenir une force car il serait à même d’occuper le terrain pour offrir plus de marge de manœuvre à la Sénatrice Laz’ziark. Dans son cas, l’Alsakani allait enchaîner les réunions et les discussions. Il le savait, et il s’était armé pour cela. Les mots de la Balosar pour décrire ce qui les attendaient tout les deux étaient exacts et résumaient parfaitement la situation. L’Alsakani, lui, se contentait de l’écouter et de regarder la cigarette disparaître un peu plus à chaque bouffée. Fumer était un bien vilain défaut, mais au moins Ress ne s’enfilait pas des bâtons de la mort comme le faisaient ses compatriotes.

« Les enfumer devrait être assez simple. Leurs demandes seront sans aucuns doutes exigeantes, inacceptables et bien au-delà de ce qu’ils espèrent obtenir de nous. Je ferais de mon mieux pour que les discussions s’éternisent, vous offrant ainsi le temps nécessaire pour manœuvrer en coulisses. »

Soutenir un mouvement partisan ne le dérangeait pas tant que pareille manœuvre ne menait pas à une guerre civile ou à un conflit ouvert entre les classes. Alsakan n’était pas une pareille agitatrice, et lui l’était encore moins depuis qu’il avait quitté les forces spéciales. Les missions avaient changées, et son appréciation aussi. Le caractère de Jeresen restait cependant le même, fort heureusement. Ainsi, si la situation venait à dégénérer, il serait le premier à mettre un terme aux agissements potentiels de la Sénatrice Laz’ziark. Il n’était pas question d’invectiver une foule pour fomenter un coup d’état mais bien d’assurer le maintien de Bilbringi dans la République par des moyens légaux.

« J’ai confiance en vos talents, très chère, et je suis informé de ceux-ci. Tout comme nos adversaires, sans doute. Il y a plus de papiers vous concernant que vous ne le croyez. »

Un nouveau sourire léger s’étira sur les lèvres de l’Alsakani. Le véhicule s’immobilisa peu après devant le palais sénatorial, des ombres s’affairant au-delà des vitres pour se préparer à leur sortie. Le protocole était respecté à la lettre, et cela en toutes circonstances. C’était une preuve de discipline, une démonstration qu’il appréciait souvent. La porte finit par s’ouvrir et Jeresen n’attendit pas plus longtemps pour sortir du véhicule alors que l’assistant du Sénateur glissait déjà la suite du programme. Des journalistes et photographes étaient présents à leur arrivée, et Jeresen attendit que Ress fut sortit du véhicule pour répondre calmement :

« C’est compréhensible. Nous imaginons qu’ils ont beaucoup de choses à échanger concernant l’évolution de la situation. C’est par là ? »

Il tendit légèrement le bras, fléchit et paume ouverte, en direction du bâtiment, telle une invitation à potentiellement poursuivre cette discussion à l’intérieur et non aux yeux et aux oreilles de tous. Ce dernier accepta d’un signe de tête et Jeresen attendit la Balosar pour faire mouvement vers l’enceinte du vaste bâtiment aux côtés de l’assistant du Sénateur Dinyelfi. Ils ne fallut pas longtemps pour monter les quelques marches les séparant de l’entrée et ils disparurent bien vite de la vue des caméras. L’intérieur du bâtiment était somptueux et l’appartement qui lui avait été réservé était tout aussi richement décoré.
C’est là que Jeresen songea aux péripéties qui l’attendaient. La réception serait le premier indicateur de température et devrait permettre de jauger l’état du conflit entre les indépendantistes, les loyalistes et les lobbyistes. La Sénatrice Laz’ziark serait sans doute révulsée mais c’était un mal nécessaire.

Quoi qu’il en fut, la fin de journée passa bien vite et il était désormais tant pour la Balosar et l’Alsakani de se présenter à la réception dressée en leur honneur –ou plutôt en le sien, l’Alsakani doutant de la considération qu’il pouvait être faite à la Balosar. C’était malheureux, car Ress restait une Sénatrice, une représentante de l’institution Républicaine.
Quittant son logement, Jeresen ne tarda pas à retrouver la Sénatrice. Lui, s’était guère changé pour l’occasion. Il n’était pas de ceux à amener leur garde-robe avec eux où qu’ils aillent. La réception en question avait lieu dans le même bâtiment et il n’y avait pas beaucoup de chemin à avaler pour rejoindre la grande salle prévue à cet effet. Cette dernière était plutôt bien fournie, remplie par tout ces industriels et financiers Bilbringis prêt à tout pour faire grossir leurs profits. D’ailleurs, le gala n’était rien d’autre qu’une vaste mascarade où chacun venait de ses propres excentricités. A côté, les Alsakanis et leurs traditions passaient pour de petites natures. Lorsque l’on sait à quoi ressemble les grandes réceptions sur le monde natal du Sénateur, il y de quoi être surpris. Les mousseux coulaient à flot et un vaste buffet s’élançait à travers toute la grande salle aux dorures et aux fresques magistrales, donnant à la scène un certain air de ridicule là où les cérémonies de l’Archaïad restaient particulièrement appréciables et souvent sublimes. Enfin, c’était là la pensée de Fylesan sur le sujet.

Leur entrée ne passa pas inaperçue puisqu’elle fut annoncée avec aplomb, attirant aussitôt tout un tas de moucherons soucieux de cirer les bottes de ceux sensés être venu les délivrer du fléau des indépendantistes. Qu’ils pouvaient être absurdes… L’Alsakani n’eut pas le temps de glisser une remarque que le Sénateur Dinyelfi se présenta devant eux, accompagné d’un léger cortège d’hommes d’affaires et autres entrepreneurs.

« Ah, Sénateur Fylesan. C’est un plaisir pour moi de vous revoir. Vous aussi, Sénatrice Laz’ziark. J »ose espérer que votre séjour sur Bilbringi se déroulera au mieux et que nous pourrons sortir renforcés de cette épreuve. »

Hyprocisie totale. Un classique de sa part. Si tout ce qu’ils avaient pu observer était vrai, alors le Sénateur n’espérait absolument rien de cette médiation si ce n’est pouvoir se remplir lui aussi les poches sur le dos des contribuables Républicains.

« Nous vous remercions de votre accueil, Sénateur. Nous ferons au mieux pour résoudre ce dilemme au plus vite. » répondit-il calmement, révulsant une envie soudaine d’écraser son poing sur la face du Bilbringi insolent qui avait déjà du mal à contenir sa joie à l’idée de pouvoir s’enrichir aussi aisément.

Cela ne l’empêcha hélas pas de repartir à la charge…

« Je suis du même avis que vous, Sénateur. A ce sujet, j’aimerais vous présenter Monsieur Galjiner, en charge des chantiers navals de Bilbringi. C’est grâce à son expertise que la plupart des vaisseaux de la flotte républicaine se révèlent aussi performants malgré des siècles sans expérience réelle de la guerre. »

Jeresen fit mine de ne pas être au courant du statu que possédait cette perche fine à la chevelure blonde taillée au carré qui servait de directeur. Il se contenta de lui serrer la main, préférant s’attarder sur les petits fours qui trônaient sur une des tables, se saisissant de l’un d’entre eux. C’est seulement là qu’il répondit, avec une légère provocation :

« Enchanté Monsieur Galjiner. Nous avons entendu parler de vos exploits, en effet, et nous espérons que vous pourrez réitérer l’expérience lorsque nous discuterons de manière plus… officielle. »

L’Alsakani glissa un regard en direction de la Balosar, alors que l’homme d’affaire semblait quelque peu hésitant à proposer sa main à ce qu’il avait du mal à considérer comme une Sénatrice. Un véritable déchet, ce Galjiner, mais Jeresen allait devoir faire avec et surtout le supporter. Pourtant, le Bilbringi finit par tendre sa main vers la Balosar, et l’Alsakani en fut soulagé. Il n’était pas question de créer un esclandre dès maintenant…

« Hmm… savez-vous où se trouve Monsieur le Ministre, Sénateur ? Nous ne le voyons pas. » demanda soudainement Jeresen, arborant un air distrait pour mieux détourner l’attention avant que la scène ne puisse éventuellement déraper. C’était aussi un moyen de recentrer le sujet et peut-être même d’en apprendre un peu plus sur la situation...

Cela sans parler du ton toujours hautain de l'Alsakani, lequel n'hésitait pas à faire usage son statut nobiliaire -de part l'utilisation systématique de la première personne du pluriel pour se désigner- pour doucher les ardeurs des deux Bilbringis et de leur suite..
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Dès que Ress posa un orteil dans la suite préparée pour elle, la balosar s’activa. Balançant son attaché-case sur le lit qui, vu sa largeur, aurait pu contenir une bonne quinzaine de membres de son espèce, à croire qu’il était pensé pour abriter des gamoréens, ne s’attardant guère sur le faste ridicule de l’ensemble, qu’elle jugeait pompeux et de mauvais goût avec toutes ces dorures douteuses, la sénatrice sortit son comlink personnel, non sans avoir vérifié au préalable rapidement l’ensemble de la pièce. Même si elle comptait faire en sorte que les conversations qui allaient se dérouler soient aussi désagréables que possibles à suivre. Au bout de quelques secondes, le visage d’Altas Porter se matérialisa devant elle, et le jovial humain s’exclama :

« Ress ! Alors, c’est comment Bilbringi ? »

« Pour le moment ? Rococo. Bref, trêve de bêtises, on a du boulot, et j’ai besoin de toi. »

« Vas-y. »

La balosar tordit ses antennes en une forme proche d’un « s » sur le sommet de son crâne, bien en face de l’émetteur, de sorte que son interlocuteur comprenne qu’elle allait s’exprimer en balosur et enclenche son appareil de traduction qu’elle lui avait offert. C’était un code entre eux, une manière de donner du fil à retordre à ceux qui voudraient espionner ses directives. Après tout, non seulement le langage des balosars était intrinsèquement difficile à comprendre, mais il était souvent agrémenté d’onomatopées et de mouvements d’antennes, histoire de compliquer un peu plus les choses. Elle le vit acquiescer silencieusement, sortir de son champ de vision, puis revenir. Il devait être fin prêt, aussi elle commença à japper :

« Envoie-moi la liste des syndiqués éventuels chez nous de cette planète. S’il n’y en pas, débrouille-toi pour voir auprès de nos partenaires s’ils ont prises sur certains organismes. Tente l’Organisation Confédérale Vivantiste, ils sont plus modérés que nous et doivent avoir des contacts. Au pire, si un coince, transmets-les à mon cabinet sénatorial. Je passerais par le canal politique.

Trouve-moi nos rapports sur la situation sociale là-bas, les plus gros bonnets locaux. Ajoute les ragots s’il y en a, c’est toujours utile.

Mets tout le monde sur le coup. Y a un très gros coup à jouer. »


Il y eu un silence le temps que l’homme note tout, et finalement, l’humain siffla :

« Ok. T’auras tout ça. »

« Merci. »

Ils échangèrent encore quelques mots, puis Ress raccrocha et enchaîna sur un appel à sa secrétaire pour la prévenir qu’Altas Porter l’appellerait vraisemblablement dans les heures à venir.

Une fois cela fait, elle en profita pour sortir son datapad et relire ses propres données, avant de se changer pour un tailleur aussi noir et strict que le premier, mais à la coupe plus raffinée. Enfin, certes, pour le commun des êtres pensants, la différence était minime, pour ne pas dire inexistante, mais c’était sa façon à elle de dire qu’elle n’arrivait pas non plus comme la dernière des pauvresses. Certes, elle possédait peu, mais savait s’habiller, avec cette élégance triste qui la caractérisait. Nul doute que de toute manière, elle ferait corbeau de malheur au milieu de tous ceux décidés à étaler leurs richesses pour cette soirée. Enfin, que n’endurerait-elle pas pour l’amour de la cause !

Elle rejoignit l’Alsakani, constatant qu’il arborait toujours la même tenue, même si à vrai dire, ses pourpoints ordinaires avaient plus leur place sous de telles coupoles, de toute manière. Et quand elle vit la décoration de la grande salle qui contenait le gros de la réception, elle retint avec la plus grande difficulté le fou rire qui monta en elle. C’était … horrible. Laid. Enfin de son point de vue, évidemment. L’ensemble était proprement surchargé, et la fontaine au centre qui propulsait un liquide doré fait pour imiter l’or était d’un kitsch délicieux. Quant aux tenues présentes, certaines dames ressemblaient à des charlottes aux fraises géantes et les hommes à des grands empaffés à plumeaux. Manifestement, la balosar semblait fort peu sensible au décorum de Bilbringi. En tout cas, avec ses vêtements ajustés et sombres, elle détonnait totalement dans cette assemblée. Décidément, les riches ne savaient pas faire la fête correctement. Elle se souvenait des fiestas endiablées de sa jeunesse une fois revenue sur Balosar … Ah, Elan et ses amis n’avaient pas un sou vaillant, mais elle s’était toujours sentie à sa place parmi eux, alors que leur condition sociale était finalement déjà fort éloignée, avec cette fois-ci elle-même dans le rôle de la personne favorisée. Enfin, ce passé était révolu, ses belles années étaient fort loin … Comme quoi, elle se rendait compte qu’elle vieillissait, au fond.

Néanmoins, ses considérations festives devraient attendre, puisque le sénateur de Bilbringi venait vers eux, avec ses courtisans. En le voyant fondre sur le sénateur Fylesan, Ress étouffa sa nouvelle montée de fou rire. Décidément, elle allait finir par se tordre une côte à force de se réprimer. Cependant, elle ne put résister à lui envoyer un sourire angélique avant de lui serrer à la main à la suite de l’ancien militaire et de renchérir avec la plus parfaite innocence :

« Oh oui, vous savez à quel point j’ai à cœur de résoudre les conflits de ce type avec la plus grande célérité. »

L’homme la dévisagea, ne sachant manifestement pas si c’était du bantha ou du tauntaun, et retourna donc son attention sur l’autre humain, se disant qu’il aurait sans doute plus de chance avec cet interlocuteur-là. Il lui présenta une sorte de géant à échasse blondasse, sèche comme une planche à pain, et à l’air aussi sympathique qu’un muun sous anabolisant, ce qui donnait une idée de son charisme. Quand ses yeux se posèrent sur elle, Ress sentit une bouffée d’antipathie la submerger. Elle se souvenait maintenant l’avoir déjà croisé au cours de négociations dans sa jeunesse. Elle gardait le souvenir d’un être intelligent, cela, elle ne pouvait le lui enlever, mais avec le raisonnement d’un métronome et le charisme d’un bulot. Autant dire que les deux s’étaient immédiatement détestés. En même temps, s’il fallait être parfaitement honnête, c’était le cas de pas mal des opposants qu’elle avait eu pendant sa carrière d’avocate.

« Monsieur Galjiner. Quelle joie de vous revoir. Votre visage ne m’était pas inconnu. Cela fait … une bonne vingtaine d’années, si je ne m’abuse. »

« En effet. »

La raideur avec laquelle il avait prononcé ces quelques mots laissait supposer que la joie n’était absolument pas partagée. Heureusement, le sénateur Fylesan coupa court à cette touchante réunion en demandant où était le Ministre. Excellente question en vérité. Le jedi était hors de vue, même si Ress était à peu près certaine qu’il ne paraîtrait pas. Ou sinon, il avait le chic pour être très en retard. Le sénateur répondit d’ailleurs rapidement :

« Il s’est excusé pour ce soir. Une urgence ministérielle, apparemment. »

Avisant l’humain, Dinyelfi continua, un sourire moqueur aux lèvres, comme s’il s’apprêtait à délivrer une fine plaisanterie :

« Enfin vous savez comment sont ces jedis. Paraître en bonne compagnie leur briserait le sabre-laser ! »

Apparemment, il devait falloir rire, puisque sa suite s’esclaffa plus ou moins discrètement. Quant à Ress, ses lèvres se pincèrent dangereusement, et elle réfréna la réplique acérée qui lui venait aux lèvres. Avec un fils padawan, elle était assez sensible sur le sujet. D’autant plus quand le but de la manœuvre semblait être de tester la cohésion de leur trio pour isoler le jedi. Pas de doute, la moutarde lui montait aux antennes. Il était temps de s’éclipser avant de procéder à un étripage en règle.

« Je vais me rafraîchir. Messieurs. »

Et elle les planta là. Elle voulait bien faire des efforts, mais il ne fallait pas trop lui en demander. Avisant le barman, elle lui lança :

« Un café. Très serré. »

Un peu surpris, l’homme s’exécuta pourtant, et bientôt, la balosar sirota le liquide noirâtre et fumant tout en observant les alentours, se demandant bien ce qu’elle allait faire durant cette soirée. C’est alors qu’une voix la sortit de ses pensées :

« Un café à cette heure ? Vous comptez rester là toute la nuit ? »

Un tout jeune humain mâle d’une vingtaine d’années, en grande tenue d’apparat un peu trop rutilante à son goût se tenait à ses côtés. Avec un sourire charmant, il lui tendit la main et se présenta :

« Excusez-moi. Elmer Dinyelfi. »

« Ress Laz’ziark. Vous êtes de la famille du sénateur ? »

« Son fils. Enfin, le quatrième. Et vous, vous êtes la… euh… ? »

« Syndicaliste ? Entre autre, oui. »

Le gamin piqua un fard.

« Hum, navré. Ce n’est pas ce que je voulais dire … »

« Je n’en doute pas. »

La balosar laissa échapper un petit rire, mais sincère, nullement moqueur.

« Pardon. Je n’ai pas résisté. »

Avant d’enchaîner, se disant que faire la conversation ne coûtait pas grand-chose :

« Vous me semblez tout de même un peu jeune pour être déjà dans les affaires. »

« Oh non, je ne suis pas … Je suis juste là pour Père. Sinon, je fais mes études sur Coruscant. »

Amusée malgré elle, l’avocate souffla, un brin nostalgique :

« Vous me rappelez des années bien lointaines, en disant cela. »

L’air ahuri à l’idée qu’une créature comme elle ait pu faire la même chose que lui, le jeune homme ouvrit des yeux ronds et finit par lâcher :

« Oh ? Vous avez étudié … Enfin, sur Coruscant. Je ne savais pas. »

« Connaître toute ma biographie n’est pas une condition sine qua non de conversation, je vous rassure. »

Le garçon rit à son tour, avant de souffler :

« Vous n’êtes pas si terrible. »

En se rendant compte de ce qu’il venait de dire, son visage vira au cramoisi :

« Euh, je ne voulais pas … »

« Si, sans doute. Mais je vais le prendre pour un compliment. Si vous vous bien m’excuser cependant. »

Avec un léger sourire, Ress le salua avant de rejoindre le Sénateur Fylesan, toujours aux prises avec ses admirateurs, et dont elle avait un peu pitié. La même expression placardée sur le visage, elle réapparut et déclara :

« Allons messieurs dames, laissons le sénateur nous montrer toute l’élégance alsakanie sur la piste. »

Et sans lui laisser le temps de répliquer, elle le traîna au milieu des danseurs, leur différence de taille rendant l’ensemble totalement comique.

« Ne me remerciez pas pour vous avoir arraché à toutes ces rombières et leurs délicieux maris affairistes. »

La balosar dansait plutôt bien, merci ses années de jeunesse un peu folles et son service dans certaines cantinas, même si elle détestait les morceaux empesés qu’on servait à ce genre d’occasions.

« Décidément, je ne comprendrais jamais comment on peut danser sur un rythme aussi ronflant. J’espère que vous avez pu assister à des fêtes dignes de ce nom dans l’armée. »

Quand même, jeune officier, il avait dû assister à toutes sortes de festivités dont les militaires avaient le secret … Et en profiter. Avec sa jolie gueule d’ange, il aurait tort de ne pas le faire. Elle-même l’avait fait, et à satiété. Ses souvenirs avec Elan restaient précieusement dans sa mémoire …

Tout en dansant, elle lui fit :

« Bien hormis croiser l’un des fils du sénateur, qui est fort charmant et totalement incapable de tenir sa langue, je n’ai rien d’intéressant à nous mettre sous la dent. Et vous ? »

Avant d’ajouter :

« Oh, pour information. Votre Gal-truc … Je l’ai croisé quand il travaillait pour la Rendili Stardrive. Un spécialiste des montages financiers opaques à l’époque.

Pas besoin de demander pourquoi il est à son poste aujourd’hui. »


Et de conclure avec son habituel sourire carnassier :

« Nous avons un excellent souvenir mutuel. »
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Le Ministre de la Justice était absent pour urgence ministérielle. Mais oui, bien sûr. Et Jeresen n’est autre que le Chancelier de la République, c’est ça ? Maitre Vorkosigan avait beau être un Jedi avant d’être membre du gouvernement, il n’aurait pas dérogé à la règle visant à prévenir ses associés avant de s’éclipser. Hors l’Alsakani n’avait pas été informé d’une pareille histoire, ce qui laissait à supposer que le Sénateur lui-même mentait. A cette idée, Jeresen ne fut plus très serein l’espace de quelques secondes. Etait-il tombé dans une gigantesque embuscade ? Le décor du lieu y faisait bien penser tant il était ridiculement osé et totalement décalé de la réalité de Bilbringi. Il avait du mal à retenir un rire en voyant passer un homme vêtu d’une fraise absolument délirante et totalement inadapté au reste de son accoutrement.

Jeresen avait vite compris que la Sénatrice Laz’ziark et le Sénateur Galjiner se connaissait de longue date et n’était pas du genre à s’apprécier. Après tout, il n’avait fait qu’analyser l’évidence même caractérisée par la raideur de la réponse du Bilbringi à la remarque de la Balosar. Quand à la remarque du premier au sujet du départ précipité du Ministre de la Justice venu nous accompagner, balancée sur un ton plaisantin, Jeresen n’esquissa pas l’once d’un sourire tant elle était profondément déplacé. L’Alsakani se contenta de lancer un regard entendu et compréhensif à l’égard de sa comparse Balosar qui ne tarda pas à s’éclipser pour ne pas éclater face à l’irrespect total de leur interlocuteur et l’hilarité naïve de sa suite.

Jeresen regarda la Balosar qui s’éloignait avant de se fendre d’une réplique assassine :

« Vous feriez mieux de revoir votre répertoires de plaisanteries Sénateur, auquel cas vous risquez de perdre gros. »

Ce dernier déglutit péniblement alors qu’il semblait constater l’énormité de sa bourde. Il avait beau ne pas apprécier la Sénatrice et les Jedi, il savait qu’il avait dépassé les limites sans même s’en rendre compte. Pas de chance pour lui, Jeresen était plutôt de ceux qui appréciait l’action des Jedi et qui reconnaissait sans gêne leur utilité au sein de la République.

Jeresen se serait bien éloigné à son tour pour ne pas avoir à endurer l’insolence et la stupidité du Bilbringi, mais se dernier s’était bien trop vite ressaisi de sa précédente erreur pour adopter un parler plus franc encore :

« Sachez Sénateur que je n’ai que peu d’estime vis-à-vis de votre associée dans cette affaire. Elle n’amènera rien de bon sur ce dossier, croyez-moi. J’ai déjà eu à faire avec elle. La Sénatrice ne vous apportera que des ennuis et n’agira que dans un seul et unique but : faire échouer les négociations. »

Au moins, la chose était dite et Jeresen la réceptionnait avec une certaine indifférence feinte derrière une légère approbation. Comme pour feindre l’intérêt porté au Sénateur, l’Alsakani porta la coupe qui venait de lui être tendue directement à ses lèvres pour venir se saisir d’une gorgée du somptueux liquide qu’elle contenait. Pour clouer le tout, il se fendit même d’une réponse feintée d’intéressement :

« Ah oui ? Qu’entendez-vous par là ? »

« Elle possède de nombreuses assises dans la sphère ouvrière. Si elle n’obtient pas ce qu’elle veut, elle le fera savoir en faisant sortir la populace dans la rue. Elle se moque éperdument des autres. Seule sa volonté lui importe. C’est pourquoi nous fondons beaucoup d’espoirs en vous, Sénateur Fylesan. Vous nous comprenez, vous êtes le représentant d’un monde compréhensif de nos intérêts et de la nécessité de nos exigences. Je crois sincèrement au maintien de Bilbringi dans la République, mais seulement contre certaines concessions. »

Pas bête, le Sénateur. Sa vision était en partie la bonne mais il n’avait pas encore cerné le mouvement que Jeresen et Ress souhaitaient imprimer au cours de leur séjour sur Bilbringi. Cependant, s’il espérait obtenir des informations venant de Jeresen, il se fourrait le compas dans l’œil. Il ne dirait rien et capturerait toutes les informations naïvement données ou sous-entendues par le Sénateur de Bilbringi. En revanche, son cirage de bottes était habilement amené et Jeresen aurait presque pu y croire si son interlocuteur ne s’était pas montré aussi abruti dans son approche.

Et quitte à obtenir des informations, autant se servir auprès de la vache à lait…

« Et quelles sont ces concessions, Galjiner ? Vous avez piqué la curiosité, vous ne pouvez pas en rester là, sur si peu. »

« Hélas, je le dois. Je ne suis pas le plus à même pour discuter de cela. Les réunions débuterons demain, et vous pourrez alors prendre toute la mesure de la tâche qui nous incombe. En attendant, si vous me le permettez je voudrais vous présenter ma femme… »

Jeresen venait de se faire piéger à son propre jeu, mais il avait au moins eu le mérite de tenter la chose. En conséquence, il allait devoir supporter les affres de la plupart des invités venus cirer ses pompes ou encore tenter de glaner des informations sur la stratégie qu’ils avaient adoptés en privé. Cependant, l’Alsakani resta muet comme une tombe, se laissant aller à quelques extravagances et autres fausses pistes avant que la Sénatrice Laz’zirak ne décida de venir le libérer de la prison dans laquelle il s’était lui-même enfermé.

S’il s’était attendu à voir la Balosar surgir, il ne s’était pas préparé à la manière dont elle s’était approchée pour l’attirer à sa suite. S’excusant auprès de ses interlocuteurs, Jeresen se laissa entrainer par la Sénatrice au milieu des danseurs. Le rythme était lent, ronflant mais digne de certains bals d’Alsakan organisés par la Noblesse. Autant dire que Jeresen était passé expert dans l’art de danser dans la cadence de ces fêtes et pouvait donc facilement tenir tête à la Balosar qui l’avait invité.

« Oh, mais si, je dois vous remercier. Quelques minutes de plus et je m’évanouissais sous leurs fausses considérations. »

Il n’avait jamais été si proche de la Balosar et l’Alsakani semblait se perdre dans le regard de cette dernière et le mouvement amusant de ses antennes. Il laissa échapper un léger rire à la remarque de Ress, gloussant quelque peu :

« Oh oui, rassurez-vous. J’en ai vu de toutes les couleurs mais pardonnez mon côté un petit peu classique mais j’ai une préférence pour ce genre de cadence. »

Tout en dansant, Jeresen se laissait emporter par la Balosar qui tournoyait lentement avec lui, écoutant avec attention ses propos et se remémora l’intégralité des discussions qu’il avait pu échanger en à peine quelques minutes avec l’assemblée qui s’était présentée à lui. Puis, maintenant la cadence lente, il lui fit :

« Je vois. Il n’y a rien à tirer de lui ? De mon côté, pas grand-chose non plus. Le Sénateur n’est pas dupe, il a compris que nous préparions quelque chose mais il ne sait pas quoi. J’ai aussi obtenu quelques pistes sur les négociations. Il serait bel et bien question de faire pression sur nous pour nous amener à accepter les conditions proposées par les grandes pontes de l’industrie et de la finance. Une histoire de financement officieux et de garanties politiques. Bref… Ils ont déjà essayé de m’amadouer en me présentant leurs femmes. Quelles futilités… Dans tout les cas, ils semblent craindre vos capacités de « nuisance ». »

Finalement, il put prendre en considération le peu d’estime que portait la Balosar pour le Sénateur, les propos de l’avocate sonnant bien plus vrais que ceux profanés par Galjiner à son encontre quelques instants plus tôt. En soit, plus rien ne l’impressionnait vraiment concernant la pourriture qui rongeait certains de ses confrères…

« Je ne vous surprendrais pas en disant que cela ne m’étonne pas de sa part. Sachez qu’il a également de très bons souvenirs de vos dernières rencontres. C’est tout juste s’il n’était pas prêt à vous traiter de tous les noms d’oiseaux existants dans la galaxie. »

Sourire partagé, alors qu’il prenait le contrôle de la danse pour s’accorder au rythme plus entraînant et légèrement plus soutenu de la musique.
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« Je vous trouve enfin un défaut, voilà qui me rassure, je commençais à trouver que j’avais perdu de mon célèbre caractère. »

L’heure était à la plaisanterie, même si cette dernière contenait un compliment savamment troussé pour ne pas avoir l’air d’en donner, soit un art dont Ress était une utilisatrice avertie. Rares étaient ceux à s’être fait féliciter par la balosar, encore moins des collègues sénateurs. De façon générale, seuls les représentants de Vulpter, Antar IV et celui des exilés de Botajef étaient véritablement proches d’elles, encore que pour le dernier, c’était avant tout une relation politique en raison de son soutien au moment du Traité d’Artorias qu’une réelle amitié, ce qui n’était pas le cas des deux précédents, qu’elle appréciait sincèrement. Et avec le passé de Jeresen Fylesan, au départ, les chances d’entente paraissaient maigres, surtout du côté de l’irascible avocate, qui avait une nette tendance à juger avant de connaître et tenait fermement à ses préjugés négatifs. Cependant, elle n’était pas non plus acquise à la mauvaise foi, et savait quand reconnaître qu’une personne avait des qualités qui lui plaisaient. Et force était de constater que malgré toute sa capacité à ne laisser aucune chance à ses interlocuteurs, le sénateur d’Alsakan avait réussi son test haut la main.

Sur le plan humain, sa compagnie était agréable, même si le vernis de bonne éducation que la plupart des aristocrates recevaient suffisait souvent à faire illusion en société. Néanmoins, depuis leur rencontre fortuite à l’Opéra de Coruscant, Ress avait la conviction que l’homme était sincère en sa compagnie. Et elle se trompait rarement sur ses interlocuteurs, surtout avec sa méfiance chevillée au corps. Et quand bien même ils pouvaient s’opposer sur certains points, étonnamment, il y avait plus de convergences entre eux qu’elle ne l’aurait cru. Or, pour une telle idéologue, s’entendre avec ses vis-à-vis était une condition sine qua non de bonne camaraderie. La tolérance n’avait jamais été son fort, et elle ne s’en cachait aucunement. A force d’être en butte au sectarisme des hautes sphères de la République, elle avait développé en retour un solide terreau à détestation qui ne demandait pas grand-chose pour s’éveiller. Certes, ce n’était finalement que reproduire un système qu’elle haïssait, mais mieux valait ne pas pointer la contradiction en sa présence, sous peine de subir une envolée lyrique particulièrement longue et désagréable …

« Mais rassurez-vous, je m’efforcerais de ne pas vous tenir gré de ce désaccord mélodique. »

Son sourire immense et le début de rire qui tintait dans sa voix clamait son amusement aussi sincère que profond face à ce badinage qui la changeait agréablement de ce dont elle avait l’habitude en termes de joute verbale. En fait, il y avait des années qu’elle n’avait pas usé de telles tournures, et y penser la ramenait à un passé fort lointain, et tout à fait révolu. Bigre, voilà qu’elle était contaminée par cette atmosphère de gala ! Il était temps de se ressaisir et d’évoluer sur un terrain plus ordinaire, celui de l’analyse des forces adverses. Que le grand escogriffe ait tenté de lui savonner la planche auprès de l’humain ne l’étonnait pas. En d’autres circonstances, elle n’aurait pas hésité à faire de même : c’était donc de bonne guerre, et attendu. Heureusement néanmoins qu’une certaine confiance s’était établie entre eux, sinon, Ress n’aurait pas manqué de soupçonner son partenaire de duplicité. Pour le bien de leur collaboration et de leur entente, ce ne fut pas le cas.

« Si j’avais vingt ans de moins, une plastique refaite et un caractère très différent, j’aurais pu répondre par l’affirmative. Mais en l’état … A voir. Il m’a plus fait l’effet d’un gamin ne sachant guère ce qu’il faisait là et farci des idées paternelles que d’un rouage réellement déterminant. Cependant, le fait qu’il n’ait pas fui directement est potentiellement encourageant, bien que pour le moment non significatif. »

Jugeait-elle le fils du sénateur durement ? Sans doute. Pour autant, elle en avait côtoyé des dizaines de ces fils à papa engoncés dans des certitudes qui n’étaient pas les leurs et déchantant en découvrant que la réalité ne correspondait pas aux fables racontées entre la poire et le fromage. Enfin, bien sûr, ceci était pour ceux tentant de se faire leur propre opinion ou confrontés par une extraordinaire au monde extérieur, tout en étant capable de remettre des années d’éducation en cause. Il y en avait un ou deux dans ce cas, à l’époque de ses études. L’un d’eux, un fils de haut-fonctionnaire au Ministère de l’Agriculture, avait été horrifié d’apprendre que certains de ses petits camarades devaient travailler dans des endroits peu ragoûtants pour survivre, et lui avait même proposé gentiment de l’aider financièrement. Par fierté, elle avait refusé, mais n’avait pas oublié ce geste de sympathie hélas trop rare dans les allées de leur faculté, où l’ambition primait sur l’entraide. Elle savait donc que certains pouvaient se raviser, mais n’estimait pas prioritaire pour le moment d’ouvrir les yeux d’un jeune homme qui n’avait guère, a priori, d’intérêt.

« J’espère bien. J’ai passé des mois à essayer de l’envoyer en prison, le contraire serait étonnant. Enfin, vous connaissez les détails de ce procès, je ne vous apprends rien. »

Encore aujourd’hui, son échec contre la Rendili Stardrive lui laissait un goût étrange dans la bouche. Certes, par le scandale suscité, elle avait obtenu indirectement la tête de son PDG et une amélioration des conditions de vie de certains ouvriers, pour autant, tous les autres avaient réussi à passer à travers les mailles du filet, et à l’époque, elle n’était pas assez aguerrie pour parvenir à remporter l’adhésion des juges. Les traiter de corrompus en pleine audience n’avait peut-être pas arranger non plus les choses … Avec vingt années de recul, elle consentait à l’admettre. Enfin, l’emportement de la jeunesse avait ses raisons. Pour autant, voir l’un de ceux qui avaient été appelé à la barre et qu’elle avait poursuivi de sa vindicte vengeresse à un poste aussi stratégique l’agaçait prodigieusement. Un bref instant, le parfum âcre de la haine lui vint, qu’elle s’efforça de chasser. Elle n’était pas ici pour résoudre un conflit personnel. Sa mère était morte depuis bien longtemps, il fallait qu’elle fasse la paix avec ce passé familial morbide. Arrivait-elle seulement à se convaincre de cela ? Pas vraiment.

« Dans tous les cas, s’ils ne se méfiaient pas, ce serait vraiment trop facile … Et presque suspect. Enfin, je doute qu’ils aient prévu notre cheminement. Ils s’attendent sans doute à une approche classique … Et fort peu subtile.

Bref, commençons le jeu de dupes. »

Elle n’en dirait pas plus en un tel lieu, évidemment, par crainte d’être écoutée. Peut-être était-ce un excès de prudence, mais elle préférait ne pas risquer le diable. Les forces s’étaient approchées, se jaugeraient prochainement … C’était une danse plus dangereuse que celle qu’ils pratiquaient … Mais autrement plus intéressante, certes, bien que leur petite valse avait son intérêt, elle devait le reconnaître, surtout que le morceau était un brin plus entraînant que le précédent. Au hasard d’un rapprochement, Ress souffla :

« Je suis tout de même fort étonnée que la robe jaune fluo de Madame Galjiner ne vous ait pas mis en transe. Avouez que sa coupe est des plus … Chaleureuses. »

Traduction : la brave dame avait un décolleté à réveiller le plus froid des hommes. Ou à accueillir les antennes de Ress qui maudissait souvent sa petite taille, la faisant se retrouver nez-à-nez avec l’opulence offerte, à son plus grand désarroi. Certains auraient pu se demander ce qu’une femme avec de tels atouts faisaient avec un pisse-froid comme son époux. La réponse était simple : à eux deux, ils devaient former un redoutable tandem d’opportunistes. Aussi désespérant que ce constat soit, la balosar ne doutait pas de sa véracité. Dans tous les cas, sa moue moqueuse et son ton ironique signifiait amplement ce qu’elle pensait de ce déploiement, de même que sa confiance dans le fait que son cavalier n’était guère du genre à loucher dedans. Un homme capable de résister une soirée entière à une Ashla Tee lui faisant un plat éhonté pouvait être cru sur parole sur ce terrain-là !

« Séparons-nous après cette danse. Il ne faudrait pas non plus nous montrer trop proches. »

Ses antennes battant la mesure, Ress se contenta donc de profiter de la danse, non sans en profiter pour scanner l’ensemble de la salle. Quand cette dernière prit fin, elle se détacha de son partenaire, le salua, et fila à nouveau vers son point d’ancrage … le buffet ! Tout en commandant un nouveau café et en picorant une bordée de petits fours, elle essaya d’élaborer un plan d’approche pour la journée du lendemain … Et bientôt, une idée germa dans son esprit. Elle était un peu folle, mais … Potentiellement intéressante. Et amusante. Un sourire aux lèvres, elle finit sa tarte à elle ne savait trop quoi, complimenta le serveur et lui demandant de transmettre ses félicitations au cuisinier, ce qui fit bafouiller le pauvre homme guère habitué à ce qu’un invité le remarque, avant de se jeter dans l’exercice du serrage de main en serrant les dents. Autant dire qu’elle trouva le temps long, à supporter et renvoyer les piques des uns et des autres lui déclamant combien ils trouvaient formidable qu’une planète aussi insignifiante que la sienne puisse avoir un mot à dire sur leur avenir. Charmant. Enfin, elle était habituée, et s’organisa un bingo mental pour passer le temps. En une demi-heure, elle l’avait complété. Finalement, le supplice prit fin, et l’avocate put prendre congé sans que cela paraisse impoli.

Une fois dans sa chambre, elle se changea en vitesse, adoptant une tenue nettement plus ordinaire, composée d’une chemise noire et d’un pantalon quelconque de la même couleur, avec des bottes très confortables. Et non sans avoir glissé son blaster dans sa chaussure, elle se hâta vers les appartements alloués au sénateur Fylesan. Quand il reparut, elle l’attendait, nonchalamment appuyée sur le mur. Antennes braquées immédiatement sur lui, même si elle-même ne se retournait pas, Ress lança :

« Maintenant que nous avons rencontré les mondains … Que dites-vous de nous encanailler au dehors ? »

Sourire aux lèvres, elle ajouta malicieusement :

« Outre que la musique sera plus à mon goût … »

Petite pause.

« Rien ne vaut une prise de température de la population incognito. »
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Jeresen s’amusait toujours à observer les réactions d’autrui, s’était là une occupation qui avait de multiples intérêts : ça permettait d’abord d’analyser une des facettes des individus, certes, mais aussi –et surtout- de faire passer le temps lors d’une soirée où, sérieusement, il ne se passait pas grand-chose. A vrai dire, avant de parler d’analyse comportementale, Jeresen préférait se renseigner sur les origines de la personne, à commencer par son monde natale et son espèce. A partir de ces informations recoupées, il pouvait alors en analyser la culture, ce qui se révélait souvent primordial pour comprendre les us et coutumes ou encore la manière de fonctionner, d’analyser ou dialoguer. Une fois que vous êtes capable de comprendre les réactions et même de les anticiper, tout devient alors plus simple. Dans le cas de la Balosar, c’était un peu l’exception qui confirmait la règle. D’ordinaire, les Balosars étaient plutôt renfermés et discutaient rarement avec les autres pour proposer autre chose que des bâtons de la mort et autres drogues. En vérité, rare étaient ceux qui parvenaient à grimper l’échelon social comme Ress avait pu le faire. En soit, rien que cela était un exploit lorsque l’on sait que la plupart des habitants de la planète polluée y restait et finissaient leur vie rongés par les drogues et la pollution.

En revanche, Jeresen appréciait le fait de ne pas avoir à se confronter au caractère bien trempée de la Sénatrice. Il avait pu constater la fureur qui l’animait lorsqu’elle débattait au cœur de la Rotonde et il avait l’impression d’avoir à faire à une toute autre personne, et cela même si certains détails permettaient de faire le rapprochement entre les deux facettes que présentait la Balosar. Par exemple, qui aurait pu penser que derrière la façade de marbre se cachait une personnalité appréciant l’opéra et la danse ? L’Alsakani découvrait pas mal de choses qu’il n’avait pas concrètement imaginé possible venant de la Sénatrice Laz’ziark ; des choses qui rendaient cette soirée mondaine bien plus agréable. En réalité, il ne se voyait pas tenir quelques heures seul à subir les assauts insistants des différents hommes d’affaires et autres corporations disposants de la mainmise sur toutes les affaires de Bilbringi. De fait, l’idée de Ress de s’éloigner de tout ce monde fut réellement appréciée par Jeresen, qui faisait de son mieux pour lui offrir une danse mémorable, même si ce n’était pas vraiment le style musical préféré par la Balosar.

Aussi se contenta-t-il de sourire à sa remarque, quelque peu amusé qu’il était. Elle ne pouvait pas tomber en meilleure adéquation avec ses pensées. La Balsoar était sans doute l’une des personnes de la Rotonde avec qui il pensait s’entendre le mieux, et qui lui inspirait une confiance sincère. Même les Sénateurs des mondes proches d’Alsakan culturellement parlant ne lui donnaient pas pareille certitude. Preuve en était de Caamas, qui, malgré sa proximité avec Alsakan depuis des millénaires, avait tendance à souvent faire cavalier seul. Ce n’était pas un reproche fait aux Caamasis, ils étaient indépendants et pouvaient faire ce qui leur plaisait. Cependant, certaines sorties n’étaient pas très fortuites. Bref, il y avait plein de choses à dire sur le sujet, mais ce n’était pas celui qui primait dans son esprit.

« J’ose bien l’espérer ! M’enfin, les différences sont bien trop nombreuses. Il y aura bien d’autres détails face auxquels vous resterez totalement inflexible. »

Le léger sourire qui s’étirait sur ses lèvres en disait long sur le peu de sérieux de son propos, qui n’était en réalité là que pour tâter le terrain en réponse aux remarques de Ress. Le message qu’elle lui avait passé était assez étonnant, et il ne savait pas trop quoi en penser. Devait-il aller dans le sens que lui dictait son instinct ou bien était-ce préférable de ne pas tout de suite mettre les mains dans le plat ? La deuxième solution fut celle qu’il choisit, et il se contenta de rebondir sur l’idée qu’il avait initié quelques instants plus tôt, non sans laisser filtrer un léger rire significateur :

« Nous verrons bien. Ne négligeons pas certaines possibilités. »

Il aurait bien rajouter que la Balosar ne déplaisait pas forcément à tout le monde, mais cela aurait suffit à ouvrir une brèche bien trop béante pour être contournée et, sincèrement, il ne voulait pas avoir à raconter des sornettes à la Sénatrice sur un sujet bien trop épineux. Aussi préféra-t-il appuyer réellement les propos de Ress au sujet du Bilbringi, car il partageait son point de vue. Ce n’était pas parce que l’on avait de l’argent débordant de ses poches et une influence au Sénat que l’on pouvait se permettre de cracher au visage des institutions ainsi que des droits humains. Cela lui rappelait d’ailleurs certaines de ses missions menées en secret au cœur de la République. Certaines avaient eu des dénouements assez étonnants permettant notamment de mettre au grand jour des sujets tels la traite de certaines espèces jugées « inférieures » par certaines strates aux pensées extrêmes de la société Républicaine.

« Oui. S’il savait, il n’aurait pas abattu toutes ses cartes à votre sujet. »

Jeresen avait en effet interprété les propos du Bilbringi comme une reconnaissance du terrain, dans l’idée de pouvoir obtenir des informations en se permettant de lancer un appât. Sans doute avait-il espéré que Jeresen lâcha le morceau par erreur. Manque de chance, il avait eu à faire à plus malin que lui sur ce coup. L’Alsakani était issu du même milieu, peut-être même plus vicieux. Il ne pouvait pas se faire avoir aussi facilement.

« Oh, je crains que mon intérêt aille vers une toute autre personnalité. »

Le regard fut entendu, alors qu’il répondait à la perche tendue par la Sénatrice Laz’ziark. Au moins avait-il lui-même lancé l’hameçon, n’attendant plus que de savoir si cela suffirait ou non. Il se permit néanmoins de rajouter, avec un sérieux tout retrouvé :

« Je craignais plutôt qu’elle ne finisse par m’abattre avec ses propos sans aucuns sens. »

Nouveau sourire, puis de nouveau cet air sérieux alors que son regard glissait autour d’eux. Leur danse continuait, perpétuelle, alors que le rythme de la musique semblait de nouveau ralentir pour glisser vers sa fin.

Jeresen s’éloigna comme convenu, retournant vers le buffet pour se retrouver une nouvelle fois happé par le Sénateur et sa cour. Lâchant un dernier regard vers la Balosar, il se plongea alors pleinement dans le rôle qui devenait le sien. S’offrant à un débat assez houleux sur la nécessité de maintenir Bilbringi sous une cloche rigoureuse, Jeresen botta en touche lorsqu’on lui demanda son point de vue concernant les potentielles concessions que pourraient faire la République pour empêcher la fuite du système. Il n’allait pas griller ses atouts dans l’immédiat, mais il s’offrit tout de même le luxe de gâcher quelques munitions d’exercices pour tester les réactions des uns et des autres. Les exigences fusèrent de toutes parts : encadrement plus strict du temps de travail des ouvriers, ouverture du système aux autres marchés de Défense, reconsidérations de certains contrats passés sous contraintes avec la République, etc… Tout y passa, même les réflexions sur l’exploitation des ressources minières ou encore des questions sur la pluie et le beau temps. Là encore, l’Alsakani refusa de faire des promesses, des concessions. Il ne projeta même aucune idée, préférant laisser entendre aux requérants qu’il entendait leurs recommandations et préféraient d’abord prendre le temps de bien construire ses propositions que de donner une décision hâtive. Il insista notamment sur le fait qu’agir de la sorte ne serait que contre-productif et n’amènerait aucune garantie.

Finalement, il put enfin se dégager de toutes ces obligations pour prendre le chemin de ses appartements. Il estimait avoir obtenu les informations qu’il souhaitait sans avoir trop laissé entrevoir les cartes qu’il avait en main. A vrai dire, il n’y avait rien d’exploitable dans les réponses qu’il avait donné. Grimpant dans le turbolift menant à son étage, il fut quelque surpris de constater la présence de la Sénatrice Laz’ziark. Visiblement, celle-ci l’attendait, et il fut quelque peu étonné par sa proposition. C’est qu’il n’avait prévu aucune tenue de la sorte ! Comment aurait-il pu imaginer qu’il serait amené à se jeter incognito dans la nasse de la population ?

Pourtant, l’idée était pertinente…

« Je ne suis pas contre l’idée. Cependant… Je crois avoir une idée. » lâcha-t-il, tout en levant la main pour interpeller un membre du service des étages.

Ce dernier approcha, s’immobilisant avant de demander s’il pouvait faire quelque chose pour eux. Jeresen lui expliqua brièvement la situation, tout en prenant suffisamment d’écart entre son interlocuteur et lui. Pas de Je. Il le toisa, avant de lui tendre quelques barrettes de crédits en échange de son service. Le jeune homme acquiesça, bien qu’un peu déboussolé par la demande de l’Alsakani et la discrétion qu’il lui avait demandé. Il finit par s’éclipser, promettant de revenir dans quelques minutes seulement. Sans doute avait-il déjà une idée sur l’endroit où chercher. Jeresen profita de l’instant de solitude pour se retourner vers Ress.

« Et où comptez-vous nous mener ? J’imagine que vous avez déjà une petite idée en tête. Ce n’est pas vraiment votre genre de ne rien prévoir. »

Ce n’était pas le sien non plus, d’ailleurs.

Le jeune Bilbringi finit par revenir avec une pile de vêtements soigneusement pliés. Jeresen s’éloigna donc un instant, interrompant sa discussion avec la Balosar pour le remercier. Lorsque celui-ci lui tendit les barrettes de crédits qu’il lui restait, Jeresen les refusa.

« Gardez-les. Nous espérons que nous pourrons compter sur votre discrétion. Vous pouvez disposer. »

Nouveau pivot, pour se retrouver face à la Balosar.

« Vous m’excuserez… » fit-il avec malice, alors qu’il passait le pass sur la serrure magnétique de sa porte.

Il s’y glissa à l’intérieur, refermant derrière-lui. Il profita de l’instant pour se changer rapidement, abandonnant ses vêtements coûteux pour quelque chose de bien plus discret : un pantalon simple, noir, accompagné d’un long manteau assortis qu’il boutonna bien facilement. C’était à croire que le serviteur avait vu juste quand à sa carrure et sa taille. Serrant la ceinture de la veste autour de sa taille, il s’assura qu’il avait bien glissé son arme avec discrétion dans le dos. Il finit alors par ressortir, se tournant vers la Sénatrice pour afficher un sourire sincère tinté d’une touche d’amusement à l’idée de ce qu’ils allaient bien pouvoir découvrir là-dehors.

D’une certaine façon, il avait l’impression de perdre des années pour se retrouver à l’époque où il pouvait se permettre de sortir aussi facilement, ou bien encore lorsqu’il était en mission, sous couverture. En somme, il avait l’impression de retrouver une liberté qu’il avait perdu il y a bien longtemps.

« Bien, nous y allons ? »

Invité
Anonymous
« Détrompez-vous. Il m’arrive d’agir sur un coup de tête. Ou plutôt, d’avoir des coups de têtes très réfléchis. »

En clair, parfois, Ress suivait ses instincts, mais ne le faisait qu’avec une idée précise en tête, ce qui revenait à entreprendre une action inconsidérée en mettant toute sa considération sur la question. Si la sénatrice se targuait d’être une femme à l’esprit reptilien, souvent calculateur, elle n’en demeurait pas moins un être au sang-chaud, telle un paradoxe vivant, n’hésitant pas à taper du poing sur la table ou se rendre sur le terrain pour mieux entrevoir l’étendue d’une situation. Ses galons de politique, elle ne les avait pas obtenus dans des bureaux, à lécher les bottes des uns et des autres tout en se gavant de petits fours, mais bel et bien au contact de la population, en partageant ses luttes et sa misère, ses engagements et ses désillusions. En un sens, fausser compagnie à la bonne société de Bilbringi était à la fois un impensé originel de leur plan, et une décision d’une logique imparable quand on connaissait son parcours, ce qui expliquait pourquoi la balosar n’avait pas hésité une fois les rouages de son cerveau en action pour mettre en place ce qui avait germé dans sa tête.

Outre l’intérêt évident d’une telle démarche pour des représentants républicains, la plupart, à son grand regret, se contentant souvent en de telles visites officielles de la tournée des puissants locaux avant de repartir, il y avait tout bonnement dans cette proposition une observation pragmatique. Contrairement à d’autres planètes, Bilbringi était une démocratie. Avec son fonctionnement particulier, certes, mais une démocratie tout de même. Ce qui signifiait que là plus qu’ailleurs, le peuple avait son importance, et son mot à dire. L’oublier pour se focaliser uniquement sur les demandes des élites aurait été une erreur, en plus d’un problème éthique. Quoique ça, personne ne s’en formalisait, en vérité. Sauf elles, et un ou deux êtres perdus dans les méandres corrompus du Sénat …

Voyant que l’alsakani avait trouvé un moyen de récupérer des vêtements plus discrets que sa tenue d’apparat, ce qui n’était pas un mal, même si elle se demandait comment on pouvait ne pas emporter quelques pantalons et chemises confortables pour les moments en dehors des obligations mondaines de représentation, tant il lui semblait incongru de porter ces brocards et autres joyeusetés en dehors d’un devoir culturel mais par simple goût, elle attendit patiemment que l’échange ne se fasse, ses antennes captant de temps en temps les conversations des femmes de chambre, grooms et autres qui fourmillaient dans le bâtiment et passaient près d’eux. Ress avait toujours adoré l’ouïe subsonique conférée à sa race par la paire d’antennes au-dessus de sa cervelle, qui n’avait rien d’une simple décoration organique un peu étrange. Si les balosars faisaient d’excellents criminels, ce n’était pas pour rien : la nature les avait gâtés de dons facilement utilisables pour faire le mal … ou le bien, comme leur capacité à sentir le danger ou, donc, leur faculté à entendre des sons presque inaudibles ou lointains. Si elle n’espionnait pas à tout va son environnement, l’avocate avouait tout de même profiter de temps en temps de ce talent inné pour prendre la température des alentours. Globalement, ça chuchotait, ça donnait des ordres, ça se séparait … Mais étonnamment, ça ne cancanait ni ne se chamaillait, comportement techniquement attendu de jeunes gens de cet âge et au milieu du gratin local. Non, d’une certaine façon, ce qu’elle ressentait en écoutant ces quelques exclamations volées, vite étouffées … C’était de l’anxiété. Et soudain, la réalisation la frappa : l’atmosphère était pesante, sur Bilbringi. Lourde. Etouffante. Comme si tous n’avaient que trop conscience de la situation.

Quand l’humain ressortit, habillé comme un homme du commun, ce qui était fort seyant sur sa personne, si on lui demandait son avis, Ress émit un hochement de tête appréciateur avant de lui emboîter le pas, ses bottes claquant sur le sol tellement récuré qu’elle aurait pu s’y mirer à loisir, si l’envie lui avait pris. A vrai dire, ce genre de détails étaient souvent là pour lui rappeler que décidément, ce monde n’était et ne serait jamais le sien, elle qui avait une passion pour le désordre et avait vécu au milieu de ses papiers et dossiers pendant des années. Généralement, chez elle, que ce soit sur Coruscant ou Balosar, il y avait des papiers en tas partout, les jouets de sa fille par-dessus, et un joyeux bric-à-brac dont elle s’occupait … Quand elle pouvait, ou quand elle embauchait les nounous pour des heures supplémentaires en tant que femme de ménage. Mais c’était aussi cette absence de perfection maniérée, presque irréelle, qui faisait qu’elle aimait son appartement sur sa planète natale. Il respirait sa vie, celle passée avec Elan, celle désormais faite seule avec sa fille. Parfois, l’envie de le vendre lui était venu. A chaque fois, elle l’avait chassée, horrifiée à l’idée de se séparer de ce témoignage de sa vie commune avec son mari assassiné. Même si elle n’était jamais à l’aise complètement dans ce dernier, il avait le goût familier de la nostalgie assumée. Et cette dernière, malgré son âcreté, elle n’arrivait pas à s’en passer, en dépit des années écoulées.

S’arrachant à ses pensées soudainement morbides, la balosar se souvint d’où elle se trouvait, et avec qui, aussi elle afficha une expression neutre tandis qu’ils se dirigeaient vers la sortie. Cependant, au lieu de prendre le turbolift, elle indiqua la porte de service, avant de déclarer :

« Par là. Inutile de sortir par la porte principale, au risque d’attirer l’attention. »

Tout en disant cela, elle rentra ses antennes sous son occiput, afin de se donner l’apparence d’une humaine, quoique frêle et de petite taille. Enfin, au cas où elle ne se ferait pas remarquer, même si ceux qu’ils croiseraient ne manqueraient pas de se demander ce qu’un bel homme faisait avec une petite bonne femme au teint grêle … Non pas que Ress complexât particulièrement sur son physique, selon les standards balosar, elle avait été dans sa prime jeunesse une vraie beauté et restait, à son âge, une femme avec un charme triste. Néanmoins, selon les critères humains, soit la race dominante sur Bilbringi, il était évident que ce dernier opérait nettement moins … Bon, il faudrait faire avec, de toute façon.

Une fois sortis dans la nuit encore douce de la planète, la sénatrice en profita pour humer l’air frais qui lui fit un bien fou, avant de chuchoter :

« Je propose de trouver une cantina et de nous y attabler un peu. Pour prendre la température d’un endroit, je ne connais pas de meilleure place qu’un tel repaire. »

Contrairement à un certain nombre de ses collègues, Ress était singulièrement à l’aise dans ce genre de bouges. A vrai dire, elle pouvait faire une véritable topographie des cantinas suivant leurs emplacements et leur ameublement. Il y avait les familiales, celles de quartiers, les malfamées, les un peu huppées utilisées par les puissants pour se donner l’impression de vivre comme le peuple … Ainsi, quand ils se trouvèrent face à une enseigne aux néons chatoyants, dans une petite ruelle sombre mais proprette, aux abords tranquilles, avec les speeders des habitants garés dans le coin avec des systèmes de sécurités présents, sans être ni excessif ni dernier cri, la quadragénaire sut qu’ils avaient touché au but.

Lorsqu’ils entrèrent, une musique pas encore assourdissante, mais néanmoins plutôt forte et qui passait un tube en vogue sur les ondes du Noyau ces derniers temps que la balosar reconnut sans mal, les accueillit. Battant presque instantanément la mesure avec son pied, Ress releva ce réflexe presque involontaire, et offrit à son compagnon un sourire d’excuse :

« Que voulez-vous, j’ai aussi des goûts plus simples que l’opéra. »

Le bar n’était pas bondé, même si quelques couples ou visiteurs solitaires sirotant leur boisson s’y trouvaient déjà. Et comme à son habitude, Ress se trouva confrontée à son cauchemar personnel : grimper sur ces fichus sièges de bar. Heureusement, elle avait développé dans sa jeunesse quelques techniques, et un léger saut lui permit de poser son derrière sur sa cible. Ainsi installée, elle détailla quelques instants les environs, avant de commander d’une voix ferme en hélant le barman :

« Une thuris stout ! »

L’humain, un colosse brun à la barbe taillée avec soin, se pencha vers elle de toute sa hauteur, avant de dire d’un ton rieur, et un brin moqueur :

« C’est pas de la bière pour fillette, ma petite dame. Vous êtes sûre que vous voulez pas plutôt une forvish ? »

« Et pourquoi pas une dresselian pendant qu’on y est ! Autant prendre ce qui est bon, non ? »

Pour avoir travaillé comme serveuse, Ress avait une connaissance assez affûtée des différents alcools servis dans des cantinas. C’était un savoir qu’elle utilisait peu, certes, mais qui pouvait, de temps en temps, être relativement pratique. Elle se trouva donc bientôt embarquée dans une longue conversation sur les bières galactiques, et en vingt minutes, se trouvait derrière le comptoir à mixer des cocktails sous les yeux amusés des clients, et le regard un brin ébahi du patron, qui ne s’attendait pas à ce qu’elle relève son défi avec deux pintes dans le sang. Evidemment, pour lui, il avait une petite humaine sous le nez, et pas une balosar avec un filtre à toxine dans l’organisme qui permettait à son espèce d’avoir une résistance à l’alcool particulièrement élevée, d’où son étonnement compréhensible.

« Et un cooler coruscanti spécial. J’espère que v… Que ça te plaira ! »

Tout en posant le verre devant Jeresen, qui arborait une teinte s’égayant entre le mauve en haut et le rouge carmin vers le bas, Ress s’était mordu la langue juste à temps pour éviter de gaffer et de le vouvoyer, afin de ne pas attirer les soupçons. Ils étaient arrivés ensemble, et se trouvait dans un lieu à l’atmosphère plutôt bon enfant. Autant ne pas gâcher le tableau qu’elle s’efforçait de peindre à gros traits par un manque de familiarité qui faisait tâche dans ce milieu. Elle espérait que l’homme n’en prendrait pas ombrage.

Désormais adoptée par le barman et les habitués, Ress discutaillait avec ces derniers, passant en revue les actualités sans en avoir l’air, en commençant par le scandale qui occupait le tout Coruscant ces dernières semaines, à savoir une sombre affaire de proxénétisme au sein d’une des facultés de la planétopole, avant d’en venir l’air de rien à ce qui l’intéressait plus précisément … Et qui finit par lui tomber tout cuit dans le bec.

« Ouais, bah on se moque des gars de Coru, mais on est pas mieux ici. Avec tout ce qu’il se passe … »

Celui qui venait de parler, un homme d’une trentaine d’année au teint mat et au visage buriné lui donnant un air de baroudeur, enchaîna :

« J’veux dire, hormis ici, c’est quand même pas joyeux, en ce moment, Bilbringi. »

Plusieurs autres clients hochèrent la tête, avant de piquer du nez dans leur verre pour une rasade. Manifestement, le sujet était sensible.

« Ah ? Excusez-nous, avec mon … mari, nous venons d’arriver, on a été embauché pour un contrat court … »

Explication plausible, débitée avec aplomb pour masquer sa légère hésitation. Et ses interlocuteurs parurent la gober sans insister. Au contraire, ils semblaient pressés de vider leur sac :

« Vous avez de la chance, si ça se trouve, dans un an, ce sera plus possible … »

« Ouais, avec leurs idées de quitter la République, là … Ca fout les jetons à tout le monde. »

« Non, mais, si ça se trouve, ce sera pas trop grave. Y a plein de planètes indépendantes et qui se débrouillent pas mal. »

« C’est ça crétin, Artorias et Dubrillion se sont vachement bien débrouillées, t’as raison ! »

« Mais nous, on est loin … »

« Pas assez à mon goût. »

Et pendant ce temps, la sénatrice sous couverture engrangeait les renseignements précieusement, attendant que son comparse se joigne à la discussion ou aille questionner d’autres personnes présentes … Ou qu’il la surprenne en donnant le change sur leur fausse identité, elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais n’avait nul doute que tous tireraient profit au mieux de leur soirée impromptue.
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Il y a bien longtemps que Jeresen n’a pas profité de pareil bol d’air, loin de toutes ses obligations et de son statut, quel qu’il fut. Depuis qu’il avait quitté l’Armée Républicaine et le Renseignement alors que celui-ci dépendait uniquement du Sénat, il s’était fait à l’idée qu’il n’aurait plus l’opportunité de passer inaperçu, et donc de pouvoir disposer des plaisirs dont il avait longuement profité étant plus jeune. Ce fut à l’époque un moyen de briser les barrières sociales entre lui et ses collègues ou encore ses coéquipiers. A l’Académie, peu étaient ceux qui le considéraient comme digne, et beaucoup le voyaient comme le fils à papa ayant profité de ses privilèges pour se placer à un poste intéressant sans en avoir les capacités. L’Alsakani avait démontré le contraire à bien des reprises, mais ce qui avait brisé la glace n’était pas le fait de savoir protéger son camarade dans un moment difficile, mais bien d’être capable de s’intégrer socialement, de vivre comme lui. C’est de là que vient en réalité le besoin de Jeresen à connaître ses partenaires de travail lorsqu’il revêt la casquette de Sénateur et ses hommes lorsqu’il porte celle d’Amiral. Il n’hésitait pas à forcer la chaîne de commandement pour venir parler directement avec la troupe, comprendre leur besoin ou même manger avec eux. C’était un moyen de s’intégrer, et de montrer que l’on ne se contentait pas de les lancer sur un champ de bataille comme on coche une croix sur un bon de loterie.
Savoir combiner la droiture de la noblesse d’Alakan aux infinies possibilités laissées par la vie de la plèbe, comme certains aimaient l’appeler, demandait une certaine rigueur et une ouverture d’esprit qui n’était pas donnée à tout le monde. Il fallait accepter de se faire insulter par des gens qui ignoraient tout de vos origines, tout simplement parce que vous savez pris la décision de vous lancer incognito dans un jeu bien différent de celui auquel vous étiez habitué. Et pourtant, il était facile de faire des parallèles avec l’expérience et l’habitude. Jeresen s’en était rendu compte à ses dépends il y a bien longtemps mais il espérait ne pas avoir oublié tout ce qu’il avait appris après avoir passé les dernières années derrière un bureau ou bien sous le feu des projecteurs.

En réalité, et sans même s’en rendre compte, son attitude avait changé. Sa droiture habituelle avait disparu, tout comme ce flegme et cette neutralité parfaite qui émanait si souvent de son regard. Sa démarche avait changé du tout au tout, comme s’il venait de se replonger dans un univers qu’il n’avait plus côtoyé depuis des décennies. Et c’était le cas ! Il se sentait plus léger maintenant qu’il avait abandonné le poids des responsabilités et tout le protocole nobiliaire pour le remplacer par une touche d’insouciance. C’est justement alors qu’ils passaient la porte de service qu’il s’en rendit compte, qu’il constata que des années passées au sein des services de renseignement l’avaient profondément marqué, et changé. Qu’il était capable d’adopter un tout autre personnage qui, si on ne connaissait pas l’original, se révélait alors bien différent alors qu’en réalité, Jeresen restait Jeresen. Il se permettait seulement de laisser certaines habitudes cachées apparaître au profit d’autres.

Qu’allait bien pouvoir en dire la Balosar ? Il l’ignorait, mais il espérait ne pas agir de manière contre productive, dans le sens où il venait de montrer qu’il était capable de changer d’attitude de manière aisée. En général, il n’était pas très encourageant de savoir que son associé pouvait vous flouer facilement. L’avantage dont disposait Jeresen était sans doute que la Balosar n’était pas comme ses autres confrères de la Rotonde. Elle avait un esprit différent, de part ses origines. Il avait toujours eu une grande considération pour le travail accompli par Ress même s’il n’approuvait pas forcément les manières d’y parvenir. Le fait était que la Sénatrice, elle, ne cherchait pas à tromper ses concitoyens, à profiter de ces derniers pour pouvoir se payer un yacht spatial de trois cent mètres de long. Bon, cela reviendrait à dépenser tout le budget de Balosar mais… certains Sénateurs en auraient bien été capables. En revanche, Ress pouvait se révéler d’une grande aide lorsqu’il s’agissait de venir récolter la température des ouvriers, et des citoyens dans leur ensemble. L’Archaïad aurait payé cher pour posséder pareil atout, et ainsi anticiper les mouvements sociaux avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur. Ou encore pour trouver une solution adaptée à la corruption et l’ensemble du système mafieux qui pullulaient dans la ville souterraine. Jeresen avait amorcé un processus, mais ce dernier restait basé sur une forme de régularisation plus proche de la pacification mesurée que du dialogue social, puisque la chose consistait, en résumé, à démanteler les trafics et à intervenir niveau par niveau, zone par zone, pour rétablir l’équité sociale, et les droits des citoyens à l’égal de ceux en surface.

En soi, la mission qui leur était demandée, en venant rétablir la situation sur Bilbringi, n’était pas si différente que celle vécue sur Alsakan, à la différence que le système étatique de la première profitait de la situation au dépend des citoyens là où celui de la seconde cherchait à faire l’inverse et à placer les citoyens sur un pied d’égalité, même s’il était nécessaire de débourser d’importantes sommes pour y parvenir. Il espérait pouvoir régler la situation sur Bilbingri tout en avançant les cartes d’Alsakan, trouver un compromis qui, peut-être, amènerait une transition politique qui offrirait plus de droits aux citoyens. Pour l’instant, ils n’avaient pas beaucoup d’options, si ce n’est subir les décisions. Une forme d’autocratie gérée par les technocrates. Même sur Alsakan, les droits des citoyens étaient plus grands. Ils avaient le droit de vote, pour élire les représentants publics se réunissant à l’Auditorium Civil de Xenvaer pour entretenir le dialogue avec les sphères nobles de l’Archaïad. Bilbringi incarnait tout ce qu’Alsakan détestait : les grandes corporations au pouvoir, et se permettant d’exploiter les peuples sans craindre le moindre courroux. Cette seule motivation suffisait à convaincre Jeresen d’aller jusqu’au bout du processus qu’ils avaient entamés en débarquant dans ce système.

« C’est effectivement un endroit que nous avions l’habitude de côtoyer lorsque je travaillais pour la République. »

Il esquissa un léger sourire, laissant volontairement filtrer des détails sur ce qu’il avait bien pu faire pendant cette période où il avait travaillé d’une autre manière pour le compte du Sénat. C’était une façon de jeter des cailloux dans la mare suite à l’ouverture discrète du sujet sur Coruscant, après leur séance commune à l’Opéra. Les militaires allaient rarement dans des cantinas pour des questions d’ordre professionnel. C’était plutôt dans le cadre de leurs permissions, et non de leurs missions.
Quoiqu’il en soit, Jeresen se laissa conduire par la Balosar, profitant de leur périple dans les rues de la capitale pour tenter de mieux comprendre les problèmes qui secouaient les citoyens de Bilbringi. En somme, trouver des indices voir des preuves pouvant accabler la décision des dirigeants de faire sécession.

Le lieu que finit par choisir Ress le fit légèrement sourire. Il n’était pas vraiment étonné, et cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mit les pieds dans pareil endroit. Même en étant incognito. L’Alsakani ne protesta pas, car c’était sans doute un des meilleurs endroits pour se tenir au courant des ragots, voir même de tomber sur des pistes intéressantes, à étudier et à creuser. Bien souvent, c’était à partir de ce genre de lieu que se tissait la toile menant à la résolution du problème.

Jeresen fut quelque peu surpris par le changement qui sembla transcender de la Balosar alors qu’ils venaient tout juste d’entrer dans le bâtiment. La musique était forte, et plutôt agressive pour les oreilles du Sénateur, lequel esquissa une grimace légère. Il allait bien devoir s’y faire. Ress semblait se complaire dans cet endroit. Pas lui. Cela faisait trop longtemps. Il avait lentement délaissé ces genres musicaux au fil des années. Ce n’était plus son genre.

« Vous m’excuserez, mais ce n’est pas vraiment à mon goût. »

Il haussa légèrement les épaules. Tout ne pouvait pas être si parfait. Ils ne pouvaient pas avoir que des points communs, après tout. Il y a vingt ans, il aurait sans doute été de l’avis de la Balosar, mais les choses avaient évolué. S’il ne se sentait pas perdu dans cet environnement, il ressentait tout de même un léger malaise. Il avait dû abandonner cette vie pour en adopter une plus noble, pour se conformer aux procédés d’Alsakan. Sans ça, il n’aurait jamais été Sénateur. Les Alsakanis étaient des gens fiers, avec un certain sens de l’honneur et du devoir. Ils étaient très à cheval sur les protocoles, les méthodes. Ce qui était disgracieux.

Et en soi, ce que faisais Ress en cet instant l’était totalement. Le fait de passer commande n’était pas le problème, évidemment, mais la discussion qui avait suivit, puis le fait que la Sénatrice quitte sa place pour venir tenir tête au barman était peut-être un peu trop exagéré, trop indiscret là où ils étaient sensés ne pas trop faire de vague, ne pas se faire remarquer pour pouvoir approcher les locaux. C’était certes une méthode, mais il la trouvait trop voyante, trop extravagante, et surtout trop risquée. Vider plusieurs verres pour faire bonne figure, pour s’intégrer était un risque qu’il n’aurait personnellement pas couru. Quand à la discussion sur les bières galactiques, si elle s’était avérée amusante au début, venait totalement le perdre au bout de la quatrième exclamation. Là encore, il n’aurait pas hésité à se jeter dans la conversation si elle avait eu lieu des années plus tôt. Alors certes, Ress fut serveuse. Elle lui en avait parlé lors de ce diner avec la cantatrice Tee. Pourtant, cela lui faisait du mal de la voir revenir à une condition qu’il ne trouvait guère enviable. Peut-être avait-elle prit du plaisir dans cet emploi, après-tout. Pour autant, s’il lui offrit un sourire faussement amusé, il se sentait juste de trop. Aussi se contenta-t-il de faire mine d’écouter, pour mieux venir tendre ses oreilles pour capter les diverses autres discussions qui se tenaient dans la salle.

C’était une chose facile à faire, et qui surprenait beaucoup. Peu de gens avaient conscience de ce qu’il disait, et de la manière dont il s’exprimait. L’Alsakani se souvenait de la première fois où on l’avait fait s’asseoir au milieu d’un réfectoire d’une grande entreprise Rendillienne, avec pour instruction de seulement écouter les conversations entre ingénieurs, sans chercher à les influencer. En ressortant de cette expérience, il était au courant de presque l’intégralité des projets en cours dans l’entreprise, tout simplement parce que les gens ne pensaient pas plausible l’idée que l’on puisse les espionner.

« Hé, je te l’ai dis. Ils sont en train de nous user… »

« Ils disent qu’ils sont obligés, pour satisfaire les demandes de la République. Peut-être qu’ils ne font qu’appliquer leurs directives et… »

La discussion attira l’intérêt de Jeresen, qui se détacha totalement du défi que la Sénatrice Laz’ziark et le barman s’offrait. Il oublia tout ce qui se passait autour de lui, pour isoler uniquement le ton des deux individus. Il détourna légèrement la tête dans leur direction, pour mieux distinguer du coin de l’œil les deux humains qui discutaient. Ils étaient tendus, et visiblement en désaccord.

« Ne m’prends pas pour un con. On sait tous qu’ils se croient tout permis. Le Sénateur n’est qu’un pantin. Tout ce qu’ils veulent, c’est se remplir les poches sur notre dos. Et tu sais quoi ? S’ils arrivent à quitter la République, bah on est dans la merde, mon gars. Ils vont pouvoir faire ce qu’ils veulent. Même nous exploiter. »

« Hé, arrêtes. Tu déconnes là. »

« Nous exploiter, j’te dis. Sans parler de la menace de l’Empire et tout le tintouin. Ils n’hésitent pas à s’en servir pour dénoncer l’inefficacité de la République. Pffff ! Comme s’ils pouvaient faire mieux avec trois pauvres canons planqués dans des astéroïdes. »

Jeresen esquissa enfin un sourire sincère, sans doute le premier depuis qu’il avait posé le dossier sur cette chaise et qu’il avait passé commande. Il constatait que les Bilbringis n’étaient pas stupides. Bien au contraire. Ils n’avaient juste pas le choix. Ce dernier leur était presque imposé, sans doute par des pressions dans leur travail. Ce que ne comprenait pas Jeresen, c’était pourquoi tout ces gens n’allaient pas revendiquer leur souhait de changer les choses. C’est vrai, s’ils étaient tous mécontents, pourquoi n’allaient-ils pas le crier haut et fort ? On devait les tenir par la gorge, les faire chanter… Il avait l’impression l’évidence même sous les yeux, mais il n’arrivait pas à en comprendre tout son sens.

L’Alsakani aurait aimé en entendre plus, mais le bruit du verre se posant sur le comptoir du bar le fit revenir à la réalité. Il manqua de sursauter, et se contenta de porter son regard vers la Balosar qui venait… de le tutoyer ? Il se retînt de lâcher un rire, face au rattrapage de Ress bien qu’il aurait sans doute trouvé une explication improvisée qui aurait convaincu le barman de la raison du vouvoiement. Il était logique de privilégier le tutoiement dans ce genre de situation, et de discussion. Jeresen réceptionna donc le verre, portant un regard des plus intrigués à son contenu qui, il devit bien l’admettre, n’avait rien de très attirant. S’il n’avait pas su ce qu’il y avait dans cette boisson, il n’y aurait sans doute jamais goûté.

« Sans aucun doutes. »

En réalité, il n’en savait rien. Et pourtant, ses paroles furent sincères. Il esquissa un léger sourire pour la Balosar avant de venir porter le verre à ses lèvres. Il déglutit légèrement en se rappelant que ce genre de boisson était obtenue en mélangeant du vin avec du jus de fruit. Posant de nouveau le verre sur la table, il tenta de retrouver le fil de la conversation qu’il écoutait, sans réel succès. Les deux humains avaient finis par plier bagage après avoir déposer l’addition sur leur table. Jeresen essaya donc de se concentrer sur la discussion dans laquelle s’était intégrée la Balosar. Il se demandait comment il pourrait parvenir à faire de même sans donner l’impression de n’être qu’un vulgaire fouineur. C’est pourquoi il se contenta de tendre l’oreille, et de se retenir de lancer une remarque concernant cette affaire de proxénétisme. Fort heureusement d’ailleurs, car venir affirmer que ce genre de choses ne se serait jamais produit sur Alsakan aurait plus que compromis leur couverture actuelle. Un air d dégoût suffirait à faire passer le message. A condition que quelqu’un l’ait remarqué.

Pourtant, l’Alsakani ne pouvait qu’apprécier le jeu mené par la Sénatrice Laz’ziark. Via une habile manœuvre, elle avait mené les clients à aborder le sujet de l’avenir de Bilbringi. Il ne fut pas étonné d’entendre le même discours défaitiste. Puis, il eut l’intervention de la Balosar et le regard de Jeresen vînt immédiatement se porter vers la Sénatrice. S’il n’avait pas été entouré d’inconnus, il aurait laissé exploser sa stupéfaction. Mais il ne le pouvait pas, et il se contenta de maintenir ce regard un bref instant, l’air absent. La Sénatrice venait de lui offrir ce qu’il cherchait, le moyen d’entrer dans la discussion. Enfin, ce fut surtout la réaction d’un des clients qui lui ouvrit le boulevard.

« Qu’est-ce que vous entendez par là ? Qu’il n’y aura plus de travail ? Que nous risquons de perdre nos statuts ? Je croyais que la demande en main d’œuvre était forte ici. »

Ce devait sans doute être le cas, avec toutes les demandes de la République. Ils ne semblaient pourtant pas partager ce constat.

« Nous ne pensions pas la situation si dramatique en venant ici. Vous n’avez pas essayé de vous faire entendre ? »

Il se maudit presque immédiatement. Il n’aurait jamais dû formuler la question de la sorte. Son regard dévia un instant sur toute l’assemblée avant de venir se porter sur la Balosar. Peut-être aurait-il mieux fait de ne rien dire, et de se contenter de constater une fois seuls.

Pourtant, il sentait certaine sensations resurgir. Comme s’il commençait à retrouver des habitudes mises au rebut depuis qu’il avait fermé la porte à son passé au service de l’Armée Républicaine. Son malaise initial semblait disparaître. Peut-être que la Sénatrice avait bien fait d’agir de la sorte, au final.
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« Ah ouais, clairement, z’êtes pas du coin … »

« Grave, c’est pas un Bilbringi qui poserait une question pareille … »

Tout en écoutant les réactions des autres clients, Ress n’arrivait pas à savoir si elle devait diluer la situation, s’inquiéter de voir le sénateur d’Alsakan mettre les pieds dans le plat de cette façon … Ou lui sauter au cou et lui rouler un patin de tous les diables. Quoi, c’était pour remercier son « mari » de tant d’intérêt pour de la protestation ouvrière ! En même temps, on pouvait bien lui pardonner ce léger élan, mais il était tout de même aussi amusant qu’intéressant de voir le représentant d’un monde aristocratique s’enquérir du mécontentement laborieux sur une planète comme celle-ci … Bien sûr, il jouait son rôle. Pour autant, vu le malaise qu’il avait laissé paraître à s’intégrer de la sorte dans leur nouvel environnement, la balosar ne pouvait s’empêcher de se demander s’il ne pensait pas un peu ce qu’il disait.

Nul besoin de le nier, elle n’avait guère eu de mal à s’en apercevoir. Manifestement, s’il avait un jour été amené à fréquenter ce genre d’endroits, Jeresen Fylesan en avait perdu depuis longtemps l’habitude. Cela s’était vu dès leur entrée, et Ress en était venue à regretter d’avoir agi de la sorte. D’abord parce que pour avoir supporté la réception qui avait précédé leur escapade, elle savait parfaitement ce qu’il en coûtait de se voir imposer un lieu qu’on appréciait guère, dans lequel on se sentait de trop. Est-ce que cela la peinait de le voir si emprunté alors qu’elle avait voulu tout simplement changer leur décor pour en retrouver un qui lui était plus familier ? Sans doute un peu. Elle se demandait pourquoi. Après tout, c’était dans l’intérêt de leur travail, rien de plus, l’alsakani n’avait qu’à sortir de sa zone de confort, comme elle devait le faire chaque jour pour écouter les autres sénateurs et comme elle devrait probablement le faire une bonne partie de leur séjour ici. Alors, où était le problème ? Etait-ce de la déception, d’avoir cru que l’aristocrate saurait apprécier les mêmes choses qu’elle, en sortant des mondanités ? Ou autre chose, l’espoir éventé de pouvoir partagé un moment léger, qui différait tellement de leurs vies ordinaires de politiciens, de voir une autre facette, moins formelle, du représentant d’Alsakan ? Un mélange habile de tout cela.

Au moins avait-elle réussi à l’intégrer à la conversation. Bon, vu le regard qu’il lui avait lancé, la balosar était prête à parier qu’elle allait en entendre parler à la sortie, de leur soudain mariage. En même temps, dur de trouver un bobard crédible en si peu de temps … Celui-là, personne n’allait le vérifier ! Aussi elle le soutint, en lui offrant un petit sourire d’excuse. Allons, la mascarade ne durerait pas longtemps. Juste assez pour se faire une idée de la situation du côté du peuple, ou du moins d’un échantillon de celui-ci … Ce qui n’allait pas tarder à arriver, puisque les deux larrons avec qui elle avait engagé la conversation paraissait lancés :

« Non parce que, ici, se faire entendre, ça revient à voter pour le moins pire des candidats et à attendre le prochain en faisant le dos rond. »

« Ouais. Oh, y a du boulot. Vous inquiétez pas. En même temps, c’pas pour rien qu’vous en avez. Une fois que nous on est viré, suffit d’aller chercher des étrangers. »

« C’pas de votre faute, hein, moi aussi j’prendrais une bonne offre qui s’présente. Mais faut dire c’qui est. Tu vois mon gars, protester, c’est la porte. Donc si tu veux bouffer … »

« Tous les gros groupes sont contrôlés par les mêmes. Donc si t’es pas d’accord avec eux … Bah tu dis rien. »

« Et ainsi de suite … »

En somme, la situation classique des régimes démocratiques dominés par une ploutocratie qui contrôlait l’ensemble d’un appareil de production tout entier tourné vers une seule activité, ou peu s’en faut, et dont toute la planète quasiment vivait. Déplaire au patron, c’était déplaire à la seule source d’argent du coin, donc prendre le risque de se retrouver au chômage et black-listé. La situation arrangeait la République tant qu’elle avait ses commandes, les patrons s’en mettaient plein les poches et pouvaient choisir à leur guise une main d’œuvre servile, qu’ils pouvaient remplacer par des immigrés d’autres planètes au besoin … Ou par ceux qui n’avaient rien et seraient sans doute bien content de retrouver du travail contre le silence et la docilité.

Soudain, Ress repensa à ce que le sénateur d’Alsakan avait dit au tout début de leur voyage, sur la situation due au monopole républicain. A vrai dire, elle n’avait rien trouvé à redire à cela, considérant que les protestations étaient simplement dues à l’avidité des dirigeants locaux. Cependant, une idée germait peu à peu dans son esprit, à même d’aiguiser l’appétit du sénateur, potentiellement d’aguicher pour un temps certains potentats, tout en offrant une aide éventuelle aux employés en divisant les patrons, donc les moyens de pression. Cela allait demander des moyens, des investissements. Ce qu’ils étaient venus pour faire. Oui, il y avait moyen que tout s’enchaîne parfaitement. Mais pour cela, elle devait discuter avec son homologue, mettre au point cette nouvelle partie de leur plan d’attaque qui se complexifiait au fur et à mesure tout en continuant la conversation pour donner le change, et filer au moment opportun. De l’art de réussir sa sortie après son entrée, en somme.

« C’est partout pareil, je crois … On aurait pas dû penser que sur Bilbringi ce serait différent. »

Les deux lascars opinèrent du chef, avant que le premier ne souffle :

« Faudra faire attention à votre mari, qu’il dise pas ça devant les chefs ! »

« J’y veillerais. »

Camoufler le sourire qui menaçait de fleurir sur son visage fut particulièrement pénible pour la balosar, qui devait admettre trouver la situation abominablement hilarante. Pour une fois que ce n’était pas elle qui passait pour la révolutionnaire de service … Quand on la connaissait, jurer solennellement ne pas faire de vague avait une saveur toute particulière. Oui, décidément, l’ironie de la chose ne passait pas inaperçue à ses yeux. Ils discutèrent encore quelques temps, tournant autour du pot sans plus y revenir vraiment. Et après un petit moment, Ress finit par annoncer à la cantonade qu’elle était fatiguée et que son époux allait la raccompagner à leur résidence. On se salua, et chacun repartit dans son verre ou vers la sortie.

La sénatrice attendit qu’ils se soient éloignés avant de sortir ses antennes et de pousser par la même occasion un léger soupir de bien-être. Elle détestait avoir à rentrer ses appendices, les considérant comme une part d’elle-même, sans compter que sans, elle ne bénéficiait de tous les avantages liés à leur ultra sensibilité, ce qui l’agaçait fort à la longue. Mine de rien, on s’habituait à pouvoir écouter à plusieurs mètres les conversations et à sentir les choses venir. Enfin, le sixième sens balosar n’était pas comparable à une vraie prescience comme pouvaient en posséder les jedis … Seulement, à force, la plupart des membres de cette race apprenait à interpréter ces petits tressaillements en eux, à se tenir aux aguets. S’en être privée était un choix justifié pour passer davantage inaperçu au milieu d’une foule constituée en majeure partie d’humains. Néanmoins, rien ne vaudrait jamais le confort de ses petites habitudes.

« Navrée de vous avoir traîné là-dedans. Vous auriez dû me dire que vous n’aimiez pas spécialement ce genre d’endroits, j’y serais allée seule. Ce n’est pas dérangeant, j’ai pas mal d’amis qui n’aiment pas vraiment l’atmosphère des cantinas.

J’ai vu que vous ne sembliez pas très à l’aise. C’est peut-être une impression, après. Mais ce n’était pas mon intention. De vous mettre mal à l’aise, je veux dire. »

Son ton était, pour quiconque ne connaissait de Ress que sa carapace vipérine publique, étrangement doux, compréhensif. Elle ajouta avec une expression légèrement contrite :

« Je sais mieux que quiconque que ce n’est pas agréable de se sentir … Disons, pas à sa place. »

La balosar faisait rarement allusion de façon aussi directe à son sentiment d’être de trop dans les réunions mondaines. En un sens, ils étaient de deux mondes différents. Elle l’avait juste oublié. Là où elle était mal à l’aise, lui était à son avantage, et inversement. Certes, il y avait apparemment l’opéra qu’ils partageaient, cela dit, on ne pouvait pas dire que ce goût était véritablement attendu pour quelqu’un avec ses origines. Enfin, comme elle l’avait dit, plusieurs de ses amis proches n’avaient jamais aimé les cantinas : trop bruyantes, pas assez intimes … Il ne servait à rien de s’appesantir sur des questions dont elle n’aurait pas la réponse, de se morigéner sur quelque chose qui pouvait finalement avoir plus à voir avec un goût personnel qu’une barrière infranchissable de classe. Du moins l’espérait-elle.

« Quoique … J’admets que le tutoiement était pratique, pour un temps du moins. En revanche, tu peux divorcer sur le champ. C’est la première excuse plausible qui me venait. Les mensonges les plus improbables sont toujours les meilleurs. »

Ce n’est pas qu’elle avait quelque chose contre le vouvoiement, mais il induisait une forme de distance qu’elle n’appréciait pas particulièrement avec les gens qu’elle appréciait. Et elle appréciait Jeresen Fylesan. C’était une évidence. Sinon, elle ne se serait pas excusée. A vrai dire, elle aurait pris un malin plaisir à l’emmener dans un endroit pour le faire descendre de son piédestal. A aucun moment, elle n’avait pensé ainsi, et espérait qu’il n’avait pas imaginé une sorte de vengeance cachée ou quoi que ce soit. Certes, il y avait là un fond de paranoïa … Mais Ress avait trop souffert des préjugés ancrés contre elle, souvent à raison vu ce qu’elle donnait à voir, qu’elle préférait dissiper immédiatement tout malentendu.

« Nous pouvons rentrer pour discuter plus avant de ce que nous avons entendu … Ou continuer à marcher un peu.

Il y a un endroit qui vous … te plairait de voir en particulier ? »


Un échange, disons. Un prêté pour un rendu, histoire de le laisser les mener au gré de sa fantaisie.
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Avait-il fait une erreur ? Sans doute. La chance était cependant de leur côté, et le fait de se trouver dans ce genre d’endroits avait aidé. Ce qu’il avait dit semblait visiblement déplacé, et peut-être était-ce une part de lui-même qui avait voulu hurler le fait que ce genre de pratiques ne devait pas exister. Jeresen était peut-être issu d’un monde aristocratique, il ne pouvait accepter ce genre de situation. Alsakan avait, il y a très longtemps, prit la même direction que Coruscant quand à la gestion de ses colonies. Coruscant avait occupé des territoires au « Sud » et Alsakan avait fait la même chose au « Nord », laissant elle aussi ses corporations exploiter sans foi ni loi ce qui se trouvaient sur ces mondes, quitte à réduire les droits des travailleurs pour se maintenir à un niveau concurrentiel avec sa rivale de toujours. Sauf que l’aristocratie d’Alsakan avait finit par comprendre son erreur, et à museler les corporations nationales au point de leur interdire toute activité hors de la planète-mère, que les travailleurs ont retrouvés leur plein droits, et que les colonies ont gagnées leur indépendance. A condition, bien évidemment, de rester sous influence Alsakanie. Depuis lors, les autorités dirigeantes avaient décidé d’inscrire dans les Lois Fondamentales le fait qu’Alsakan s’opposerait toujours à la montée en puissance des corporations, quitte à partir en guerre contre la République. Ce qu’elle a fait à de nombreuses reprises, s’autorisant des dérives quand aux justifications, en prétextant ce fait alors que le véritable but n’était que d’humilier Coruscant et étendre son influence.

Personne n’est parfait, après tout. Jeresen le sait parfaitement, mais l’admettre en public était tout simplement impossible. Tout comme le fait de jeter aux lions le fait que le système électif de Balosar n’était en rien démocratique et ne s’appuyait que sur les pressions de l’État, lequel contrôlait presque tout alors que sa dirigeante se disait pro-démocrate. L’hypocrisie étant inscrite en tout être, il n’était pas étonnant de la voir jouer pleinement son jeu à ce niveau.

Les propos des clients ne l’étonnèrent point. Jeresen avait jeté ce pavé dans l’eau pour les faire réagir, les faire parler. Certes, la chose fut amenée de manière douteuse, et sans doute aurait-il dû y mettre plus de pincettes mais le résultat était là. Ils parlaient, et lui se gavaient des informations qu’ils donnaient. Il aurait sans doute utilisé une méthode plus douce des années plus tôt, mais le manque de pratique se faisait sentir, et il allait avoir besoin de temps pour se repositionner à la hauteur d’un individu lambda, et même d’un ouvrier. Il ne l’avait jamais été. Comment devait-il agir ?
Il avait suivit son instinct, et ça avait fonctionné. Pour cette fois.

Il écouta avec attention la discussion, se retenant de s’offusquer lorsque sa comparse lâcha sur la table le fait que c’était la même chose partout. C’était vrai dans la plupart des cas, mais Jeresen aimait à croire que le modèle Alsakani était différent depuis que son monde avait réalisé ses erreurs il y a de ça des millénaires. Depuis, l’État gardait un œil rivé sur les corporations et leurs dirigeants, de sorte qu’ils ne puissent avoir une quelconque suprématie sur leurs travailleurs, lesquels avaient le droit de se syndiquer et de protester contre les erreurs de leurs patrons. Le Roi et ses Conseils avait poussé le vice jusqu’au bout, en imposant à toute entreprise ayant son siège social sur Alsakan de disposer de sièges exclusivement réservés aux travailleurs au sein de leur conseil d’administration, de sorte que les ouvriers aient leur mot à dire et soit au fait des décisions de leurs employeurs.

Finalement, la discussion s’estompa et les centres d’intérêts divergèrent lentement. Jusqu’à ce que le temps fut venu de quitter cet endroit alors que Jeresen commençait à retrouver ses vieilles habitudes. Il se leva, feignant de raccompagner la Balosar pour finalement sortir de l’établissement. Ils s’éloignèrent, et Jeresen ne savait s’il devait s’excuser pour son manque d’enthousiasme. Il fut cependant surpris de la voir prendre les devants, et il s’en voulait quelque peu de la voir prendre sur elle tout ce qu’il s’était passé. Or, Jeresen était lui-même coupable. C’était lui qui avait affirmé avoir l’habitude de ce genre d’endroits. Il avait pensé pouvoir être à la hauteur, se replonger dans ses souvenirs et ses anciennes habitudes. Il s’était trompé.

« Ce n’est pas exactement ça. Ce n’est pas de votre faute. C’est seulement… Je n’ai plus passé la porte de ce genre d’endroits depuis des années. Le changement d’environnement fut quelque peu brutal, dirons-nous. »

Elle n’y était réellement pour rien. Jeresen avait ses propres raisons de se sentir mal à l’aise, à commencer par le fait qu’il n’avait pas côtoyé ce genre d’endroits depuis des années. A force, on finit par en perdre l’habitude, surtout lorsque vos us et coutumes vous laisse vivre dans un environnement luxueux, au dialogue hautain et où ce rendre dans ce genre d’endroits peut parfois être vu comme de la perversion.

« Ca doit bien faire plus de dix ans, et je pensais que les sensations reviendraient rapidement, que je me sentirais dans mon environnement. Je me suis trompé. »

Pourtant, il avait commencé à y retrouver une partie de l’aisance qu’il avait eu à cette époque, à courir de cantina en cantina, à vivre au jour le jour loin de toutes ces considérations. Le temps où il fut dans les forces spéciales était loin, et il en était parfois nostalgique. Il se sentait bien plus libre il y a quinze ans qu’il ne l’est maintenant.

« L’une des dernières fois que j’ai mis les pieds dans ce genre d’établissement, j’étais en mission pour le Sénat. C’était sur un monde en périphérie de la frontière Républicaine. L’OSR savait de source sûre que les pirates qui frappaient la route commerciale de Trellen possédaient des installations sur ce monde, et je faisais partie d’une équipe visant à neutraliser. »

Il s’en souvenait très bien, peut-être trop. Jeresen était capable de reconstituer la scène dans ses moindres détails, comme pour la plupart des faits marquants qui avaient rythmé son existence. C’était un jour de pluie, sur Balamak, un monde agricole parfaitement neutre, et où personne ne venait généralement fouiller dans les affaires locales. Sauf si vous êtes membre d’un service de renseignement républicain dépendant directement du Sénat :

« On a cherché à récolter des informations dans une de ces cantinas, mais les choses se sont compliquées. Nous avions commis une erreur, et nous l’avons payé cher, immédiatement. »

L’erreur avait été de s’être relâché, et d’en avoir trop demandé sur un monde où tous les habitants des différentes localités se connaissaient. Et même au-delà. Ils avaient commit une faute de débutant, et son équipe en paya le prix fort. Des hommes armés débarquèrent dans la cantina locale et y déchaînèrent un déluge de feu, fauchant deux des membres de son équipe avant qu’ils ne réagissent et ne reprennent le contrôle de la situation grâce à leur entrainement intensif, et leur discipline de fer.

« Depuis, mettre les pieds dans ce genre d’endroits fait resurgir des faits désagréables. »

Il voyait encore les corps ensanglantés des hommes qui furent sous ses ordres, immobiles et mutilés, démembrés.

Il cligna des yeux, déglutissant lentement comme pour chasser ce souvenir choquant et se repositionner dans l’instant présent, repensant à la présence de la sénatrice à ses côtés. Elle n’y était pour rien dans cette histoire, et pourtant il se permettait de la lui raconter sans s’attarder sur ces détails morbides. Dans d’autres circonstances, étaler ce genre d’informations auraient été une erreur tant elles étaient placées sous le statut de la confidentialité. Mais avec les années, ce genre de secrets pouvaient être en partie éventés, surtout lorsque l’interlocutrice était elle-même membre du Sénat et qu’elle pouvait aisément fouiller dans certains de ces dossiers. Qui plus est, Jeresen avait confiance en la Balosar, ce qui pouvait paraître étonnant lorsque l’on sait que l’Alsakani avait tendance à se méfier de ses collègues de ce même Sénat.

Mais Ress Laz’ziark était bien différente des habituels sénateurs. Il savait qu’elle était capable de frapper là où ça fait mal, d’appuyer sans hésitation sur une plaie ouverte pour obtenir gain de cause. Et pourtant, il s’en sentait presque immunisé depuis leur première discussion au cœur des murs de l’Opéra de Coruscant. Il était d’ailleurs assez amusant de constater un tel rapprochement entre ces deux personnalités aux idéaux totalement opposés. Comme quoi, certains adages bien ancrés n’étaient pas forcément empreint d’une vérité inaliénable, car Jeresen et Ress montraient assez bien que qui ne se ressemblent pas, s’assemblent quand même.

« Mais là encore, ce n’était pas de votre… ta faute. »

Le passage du vouvoiement au tutoiement était bénéfique, et il ne le remit pas en cause, se contentant d’un simple signe de tête à l’encontre de la Balosar. Quand à cette soi-disant couverture, il se surprenait à la commenter :

«Ne divorçons pas tout de suite, voyons. Il serait peut-être judicieux que tu restes ma femme encore un temps. Ca nous permet de nous fondre dans la masse, et ça a plutôt bien marché dans la cantina. On ne sait jamais, nous pourrions en avoir encore besoin. »

Jeresen voyait la barrière entre le tutoiement et le vouvoiement comme la séparation entre sa partie politicienne et le reste de son caractère. Il fut difficile pour lui de quitter le tu pour le vous lors de son retour sur Alsakan, et revenir à cet état naturel de la discussion avec Ress lui permettait de se sentir éloigné de tout les protocoles et des règles de bienséances de son monde. Non pas qu’il regrettait sa position ou qu’il reniait d’une quelconque façon les coutumes de son peuple, mais passer cette barrière le faisait se sentir différent. Comme avant.

« Non, Non. Je me sentirais coupable si nous rentrons maintenant. C’est sans doute notre dernière soirée de répit, avant de subir dès demain les assauts répétés des partisans de l’indépendance de Bilbringi, alors autant en profiter. Non ? »

Il n’était pas pressé du tout à l’idée de devoir dialoguer une fois de plus avec le sénateur de Bilbringi et ses « collègues de travail ». Il savait déjà qu’ils allaient tenter de le caresser dans le sens du poil, de lui faire ouvrir les yeux sur les bienfaits de l’indépendance. Mais c’était peine perdue. Jeresen ne laisserait pas partir Bilbringi, pour la simple raison qu’agir dans l’intérêt de l’indépendance ne servirait que ceux du FLR et de ceux qui voulaient montrer que les corporations devaient posséder un poids politique, décisionnel.

Jeresen regarda un instant les étoiles, avant de faire un signe de la main à Ress pour qu’ils reprendre leur marche, sans avoir la moindre idée de leur destination:

« Et nous pouvons très bien analyser ce que nous avons entendu en marchant. Je dois t’avouer que j’ai une petite préférence pour les lieux moins tambourinant. Un parc, par exemple ? »
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« Je vois. On échappe rarement à ses souvenirs. Surtout les plus douloureux. »

Il n’y avait pas grand-chose de plus à dire. Ress n’était pas suffisamment idiote pour ne pas comprendre ce que le silence de l’ancien militaire sous-entendait. Elle comprenait, évidemment, mieux son malaise initial. Et effectivement, elle aurait eu du mal à en deviner la raison, tout en compatissant. Le passé … Certains parlaient de tourner la page. Elle ne savait trop bien que ces derniers n’avaient jamais dû avoir beaucoup de pages à tourner dans leurs longs cahiers de doléances à la vie. On pouvait avancer, décider de se servir de tels faits comme d’armes pour se tailler à coup de dents une place dans le monde, comme elle. Préférer les réminiscences agréables, se concentrer sur les petits plaisirs que l’existence offraient. Mais les regrets demeuraient toujours, dans l’ombre, attendant un petit instant de faiblesse pour resurgir.

Sa propre vie était un cimetière, sa mémoire un lieu de pénitence zébré de pleurs ravalés par fierté et de haines savamment entretenues pour échapper à la folie. La plupart de ses proches avaient succombé à la maladie, la pauvreté, ou à des assassinats. A huit ans, elle avait vu le cadavre de son frère désarticulé pourrir dans la rue. A quatorze, sa mère se tordait de douleur sans qu’elle ne puisse rien faire hormis songer à l’étouffer avec un oreiller pour arrêter ses souffrances, pour l’empêcher de hurler davantage. Ce genre d’images ne s’effaçait pas. Ils conditionnaient son engagement depuis ce moment où, définitivement, elle avait compris qu’elle n’était rien, et qu’elle aspirait à devenir quelque chose. Son ambition s’était nourrie de sa hargne, et des morts autour d’elle. Jeresen Fylesan avait-il ressenti ce même instinct ? Etait-ce pour cela qu’il avait quitté l’armée républicaine et s’était engagé en politique ? A cause de ce tournant où soudain, le prix de l’existence apparaissait autrement qu’une vague liste de statistiques ou de noms qu’on rayait d’un mouvement du doigt sur un datapad.

« C’est pour cela que tu as quitté l’armée ? Pour changer ce qu’il était impossible de changer en tant que simple soldat ? »

Simple supputation, qu’elle avait dans un coin de sa tête depuis un bon moment. L’homme avait tenu à mener une carrière indépendamment de sa planète d’origine, fait rare pour un noble d’Alsakan. Et puis il était parti, et s’était appuyé sur son nom pour grimper rapidement l’échelle du pouvoir. Un tel retournement n’avait que deux explications : un plan mûrement réfléchi pour se faire un nom ailleurs avant de se dorer la pilule, ou une affaire de convictions suffisamment fortes, drastiques, pour envisager d’user de moyens qu’on avait repoussé avec dégoût au début. La balosar n’était pas étrangère à ce type de raisonnement. Elle qui avait toujours été d’un légalisme obsessionnelle, convaincue en bonne juriste de la supériorité de la loi, in fine, n’avait pas hésité à fermer les yeux et à se boucher les oreilles sur des actes qui avaient mené à des attentats. Elle aurait pu les empêcher. Peut-être. Elle ne l’avait pas fait, par pur calcul. Parce que cela faisait avancer la cause. On arrivait toujours à un moment où, face à un gouffre, il fallait reculer, ou se construire une corde avec ce que l’on pouvait pour traverser. Les uns appelaient cela la compromission. Ress considérait que c’était le début de la politique.

« Alors, tant qu’il y a un banc … Le parc me va. »

Lentement, ils marchèrent au gré des luminaires, l’avocate ayant allumé une cigarette tout en veillant à ne pas envoyer de la fumée vers l’humain, la cendre rougeoyante éclairant faiblement son visage pâle. Sa jambe commençait à lui faire mal, peu habituée désormais à vaquer ainsi. Finalement, ils arrivèrent dans une sorte de jardin à la corellienne, plutôt joli et fleuri, une sorte d’anomalie dans cet océan de béton, le genre qu’on trouvait souvent dans les quartiers cossus des mégalopoles galactiques, histoire de permettre à ceux qui en avaient les moyens de se souvenir qu’il existait vaguement un écosystème sous l’enfer du plastacier. C’était un détail, certes, mais pour Ress, il était symptomatique des différences qui existaient entre les bas-fonds et le reste, et cela, seul un œil habitué à la misère pouvait le voir. Pour les autres, c’était tout simplement naturel. Sa cigarette finie, elle écrasa le mégot et le jeta dans une poubelle, avant de dire, un peu pensive :

« D’une certaine façon, nous avons eu confirmation de ce qui était rationnellement envisageable, sachant que la population de cette cantina est plus représentative de la classe moyenne que du gros des ouvriers, vu sa localisation. En clair, pour ceux qui peuvent commencer à lire dans les mouvements de leur gouvernement, l’avenir apparaît incertain. Mais ils ne bougeront pas, parce qu’ils pensent que c’est inutile. »

La balosar secoua la tête tant ce simple fait l’agaçait. Comment ceux qui avaient la possibilité de changer les choses quand d’autres en étaient complètement dépourvu, du moins légalement, pouvaient se résigner ainsi ! Evidemment, une militante ayant un emploi libéral ne pouvait comprendre les affres de devoir choisir entre son gagne-pain et ses convictions. Elle-même et son mari avaient toujours choisi les secondes, quitte à avoir faim les premières années de leur vie commune. Mais tout le monde ne pouvait assumer un tel engagement. Le pouvoir avait ses façons insidieuses d’étouffer toute protestation.

« Or s’ils ne bougent pas … En toute honnêteté, tu auras beau avoir toute la diplomatie du monde, les dirigeants de Bilbringi vont se contenter d’appuyer leurs soi-disant propositions en agitant le spectre de la sécession pour obtenir le plus possible, en piétinant allègrement au passage tout ce qui a pu être décidé ailleurs.

Et en même temps, je ne vois pas pourquoi ils ne le feraient pas, puisque personne ne s’oppose à eux, sachant qu’ils auront beau jeu de nous faire porter le chapeau d’un échec. »


Ses antennes étaient penchées en avant, plissées comme son front par la concentration.

« Il faudrait peut-être creuser dans l’intelligentsia, voir ceux qui sont au service de l’administration fédérale par exemple. Histoire d’avoir aussi quelques alliés dans les hautes sphères. Je peux chercher dans les réseaux des anciens universitaires, mais ton nom ouvrira sans doute à lui seul plus de portes que mon vieux carnet d’adresse.

Eux ont beaucoup à perdre, et pourraient constituer des voix puissantes. Ainsi que des relais d’informations … »


Un sourire ironique se peignit sur ses lèvres tandis qu’elle ajoutait :

« Sinon, cache nos récentes épousailles et offre ta main à la fille du plus gros ploutocrate local contre l’abandon de la sécession. Au pire, sur un malentendu, ça peut marcher. »

Le pire … C’est que ce n’était pas si farfelu. Ce qui était désolant en soi. Pour éviter de le dire à haut voix, la balosar scanna rapidement les alentours pour trouver ce qu’elle cherchait, à savoir un banc, et s’y assit en poussant un léger soupir d’aise, sa mauvaise jambe cessant enfin de la tirailler. Le pire, c’est que tout en se posant, la question du célibat de Jeresen Fylesan venait encore l’effleurer, comme cela avait été le cas lors de leur rencontre à l’Opéra. Il était étrange qu’un homme de sa condition n’ait pas déjà été plus ou moins vendu à la première femelle avec un nom important, surtout à son âge. Généralement, c’était le cas, et pour peu que les époux ne s’entendent pas, chacun menait sa vie dans son coin tout en évitant au mieux de se faire surprendre en galante compagnie. Elle avait vu cela à la fin de ses études, quand certains de ses condisciples de familles puissantes avaient commencé à convoler. Pour beaucoup, le caractère intéressé de ces unions ne faisait guère de doute, et la plupart des étudiants aimaient s’en moquer en colportant les ragots sur les activités nocturnes des fiancés lors des soirées universitaires les plus chaudes … Et jamais l’un avec l’autre, bien entendu.

Machinalement, ses doigts se refermèrent sur son alliance et elle joua quelques instants avec. De telles pensées lui faisaient fatalement penser à son mari décédé, l’emplissant d’une mélancolie profonde. Elle se sentait seule. Et le froid de la nuit tombée ne faisait qu’accentuer cette sensation désagréable. L’espace d’un instant, dans cette cantina, elle avait retrouvé sa jeunesse, son impudence, son caractère joueur, aimant prendre des risques et tromper son monde avec un visage apprécié. C’était le genre de petits jeux qu’elle aimait faire avec Elan, au début de leur relation : sortir seuls, faire semblant de ne pas se connaître, jouer une fausse rencontre dans une cantina, tout en écoutant les clients parler, parce que même en amoureux transis, aucun n’oubliait jamais leurs buts … Il y avait de l’insouciance dans ces moments-là, le goût de ses vingt ans, d’un temps où elle n’était pas cette veuve aigrie et détestable. Enfin, bon, elle avait toujours eu un sacré caractère, comme aimait à le dire son époux quand il affirmait en plaisantant qu’il n’aurait jamais pu la tromper, sous peine de se faire castrer sur le champ. Mais clairement, les années ne l’avaient pas amélioré. Parfois, pourtant, sa personnalité plus agréable faisait surface, timidement. Et Jeresen Fylesan avait cet effet apaisant qui rendait cela possible.

« Je crois … »

Les mots étaient sortis seuls. Sans qu’elle y pense, ou plus exactement, en suivant le fil de sa pensée. Elle hésita à continuer. Puis le fit. Parce qu’elle n’était pas femme à reculer.

« Je crois que je n’aurais cru possible de m’entendre avec un membre de l’Archaiad. Tu es tout ce que je devrais détester. Et la réciproque est vraie, j’en ai conscience. »

Elle l’avait dit abruptement. Ses doigts avaient cessé de tripoter son alliance et elle le fixait de ses yeux noirs, profonds.

« Le fait est que malgré tous mes efforts … »

L’humour était présent, mais le sérieux demeurait.

« … Je n’y arrive pas. A te détester.»

Belle litote.
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« Précisément.

Elle comprenait le message qu’il avait voulu faire passer. C’était un bon début, même si la manière faisait que c’était tout de même assez évident de comprendre où ça coinçait. Il y avait bon nombres de situations qui pouvaient entraîner une réaction de la part de l’Alsakani, mais ce dernier en avait balayé la majorité. Il n’était pas atteint de stress, c’était juste de simple souvenirs qui revenaient parfois hanter son esprit, lui rappeler qu’avant d’être sénateur, avant d’avoir quitté l’OSR, il avait croisé des scènes horribles. Qu’avant d’être un politicien, il avait été militaire, il avait tué des gens.

Il avait perdu des camarades, il avait vu des innocents mourir par sa faute, ou par celle de ses ennemis. Il avait mené des conflits au cœur même de la République sans que personne n’en entende le moindre mot et il acceptait sans rechigner tout ce qu’il avait fait. Ce qui était inacceptable, en revanche, c’était les raisons qui l’avaient mené à agir, à intervenir pour résoudre des prétendus problèmes. Il avait finit par découvrir le pot aux roses, la vérité sur les actions du Sénat, dont son agence dépendait.

S’il avait quitté l’OSR, c’était pour de bonnes raisons. A l’époque, il n’espérait pas changer les choses. Il n’avait pas le bagage pour. Il était revenu sur Alsakan pour apprendre et attendre le bon moment pour se lancer.

« Pas exactement. J’ai travaillé pour l’OSR, et c’est un secret pour personne. Si je l’ai quitté, c’est uniquement parce que les renseignements s’étaient transformés en un outil utilisé par les sénateurs de la Rotonde pour assouvir leurs volontés, faire tomber leurs concurrents. Nous avions perdu le sens de notre mission première, à savoir protéger la République, en devenant des mercenaires. »

C’était ce que lui et ses hommes étaient devenus. Des mercenaires à la soldes des corporations, alors que le but premier de l’OSR était de défendre la République.

« Détruire l’industrie Balosar pour le compte de la SoroSuub ou Rendili Stardrive n’était pas acceptable. »

La chose n’avait pas été dite par hasard. D’une certaine manière, il venait d’avouer avoir œuvré sur Balosar un jour, bien que la raison de son déplacement de l’époque n’avait rien avoir avec les corporations, mais bien avec une menace réelle contre le cœur de la République. En revanche, c’était un moyen d’expliquer clairement la situation dans laquelle il avait finit par se retrouver. Si elle lui avait trouvé des élans de révolutionnaire dans la cantina, c’était bien parce que cette période de sa vie l’avait convaincu que les grandes corporations étaient un danger pour la République. Il était devenu l’image de son monde natal. Pour autant, il espérait pouvoir faire évoluer les choses, et peut-être même interdire l’accession au Sénat et à la Chancellerie à toute personne fortement liée à une des nombreuses corporations républicaines.

Adieu, ô FLR.

Jeresen se laissa entrainer dans leur marche, songeur de ses années passées dans incognito, souvent dans l’illégalité. Il ne pouvait plus désormais se permettre d’agir comme à l’époque, où il finissait souvent dans les cantinas à se répandre en paris avec les membres de son unité, mais aussi ces moments passés à errer dans les rues de Coruscant ou Coronet. Depuis qu’il était revenu à Alsakan, toutes ces choses avaient disparues. Ainsi était sa vie, sa condition. Il en était orgueilleux, tout comme il était fier de ce qu’il avait accompli. C’était lui qui avait nettoyé la corruption régnant en maitre dans l’administration. C’était lui qui avait ramené la sécurité dans les premiers niveaux des bas-fonds d’Alsakan. Il n’était pas n’importe qui. Il pouvait toujours marquer le pavé des grandes avenues de Xenvaer, mais sa présence désormais attirait automatiquement les regards.

Son regard dévia sur la Balosar, remarquant sa démarche boiteuse, habituellement moins marquée. D’un geste, il l’entrainait vers un jardin à la corellienne, avec ses larges haies, ses fontaines et son calme. Ils avaient les mêmes choses sur Alsakan, mais avec des formes plus lisses, et un pavage différent. L’ensemble de la « ville-haute », cette zone située en atmosphère ouverte et qui recouvrait la quasi intégralité de la surface de la planète était bâtie pour mettre en valeur l’art Alsakani. La mosaïque de Rucapar, presque entièrement détruite il y a des siècles et en cours de restauration en était la preuve. Visible depuis l’espace, elle faisait partie des plus grandes merveilles de la Galaxie.

Jeresen l’invita à s’asseoir à un des bancs, alors que le jardin était totalement vide. Il suivit le mouvement, s’installant à ses côtés alors que son regard déviait vers le ciel. Ce que disait Ress était parfaitement exact. La discussion qu’ils avaient eue avec les locaux n’avait fait que conforter ce qu’ils savaient déjà, et il était rageant de constater que ces gens refusaient de bouger, résignés à affronter leur sort. Or, s’ils ne bougeaient pas, il leur serait difficile d’agir de leur côté, le gouvernement de Bilbringi se contenant de balayer leur arguments en affirmant que la population était avec eux.

« Je suis d’accord. Il faut qu’ils bougent, qu’ils se réveillent. Il leur faut une raison suffisamment appétissante pour qu’ils se lèvent et disent stop à la politique de leur gouvernement. Je ne peux tout simplement pas venir poser mes conditions, proposer des contreparties si la population ne bouge pas, voir pire, qu’elle le soutien. On a bien vu que ce n’était pas le cas, alors il faut les faire réagir. Et le plus tôt sera le mieux. »

En revanche, Jeresen ne se pensait pas aussi reconnu que l’affirmait Ress. Si sa renommée le précédait sur Alsakan, ce n’était pas la même chose en dehors. Jeresen ne pensait pas avoir une si grande influence sur un monde comme Bilbringi, quand bien même Alsakan avait toujours été le défenseur des mondes du Nord contre l’oppression des corporations venues de Coruscant et de ses alliées. Il incarnait Alsakan en tant que Sénateur, mais il n’était pas Alsakan pour autant.

« Je pense que tu surestimes l’influence que je peux avoir en dehors d’Alsakan. Mais je compte bien essayer. De toute manière, Bilbringi perdra tout si nous ne faisons rien. »

Il soupira, laissant glisser son regard saphir vers la Balosar, observant un instant le jeu des antennes.

« Ce mur défensif qu’ils construisent n’est qu’une véritable farce. Leurs dirigeants savent pertinemment que leurs promesses ne sont que des écrans de fumées, que l’indépendance ne fera que nuire à leur industrie. La population le sait aussi, ils nous l’ont dit. Mais ils ne font rien. Ils ne font rien parce qu’ils savent qu’ils n’ont aucun pouvoir sur les choses. »

C’est le souci des systèmes démocratiques. Du moins, le souci qu’un aristocrate comme Jeresen avait décelé. Les citoyens pensaient avoir le droit de choisir, de gouverner à leur manière en élisant quelqu’un. Sauf que cette personne faisait ce qu’elle souhaitait ensuite, quitte à aller à l’encontre des personnes qui l’avaient élu. Les promesses de campagne ne sont que des promesses, et rien n’engage le candidat élu à les appliquer…

« Tout ce que l’on pourra leur dire, ils le savent déjà. La seule chose que l’on peut leur faire, c’est des promesses. Et je déteste promettre des choses sans être certains de pouvoir tenir mes engagements. »

Il déglutit, avant de soupirer.

« J’irais leur parler, mais je ne suis pas certain qu’ils m’écoutent. »

La remarque de Ress lui arracha un rire, détendant l’ambiance qui avait commencé à se noircir, à devenir un peu trop sérieuse. Jeresen n’avait pas l’habitude de se confier, surtout lorsque la personne en question est une politicienne, des plus calculatrices qui plus est. C’était une erreur de débutant, mais il avait confiance en elle. Il avait apprit à la connaître un peu plus, confirmant les premières impressions qu’il avait eu à l’époque. Ress Laz’ziark était sans doute la personne qu’il respectait le plus dans la Rotonde. Il n’avait pas peur de se confier.

Amusé, il rétorqua :

« Plutôt mourir que de me rabaisser à ce genre de pratiques. Surtout avec des Bilbringis. Je pense qu’il y a de meilleurs choix. »

Le peu de temps qu’il avait passé en leur compagnie à cette réception ne lui avait laissé qu’un goût amer aux sujets de ces ploutocrates. Il avait déjà eu l’occasion de se rapprocher de quelqu’un sur Alsakan, et il préférait encore cette hypothèse à la première, bien que la chose ne l’intéresse absolument pas. Ses pensées se tournaient vers d’autres, loin d’Alsakan, loin de la Noblesse. Jeresen faisait parti de ceux qui aimaient enfreindre les traditions, il aimait être l’exception qui, avec les années, devenaient la norme.

Ress incarnait ce même dessein. Elle était celle qui avait émergé de la masse de Balosar pour reprendre en main un monde à la dérive, elle était celle qui s’insurgeait, comme lui, contre les décisions stupides du Sénat. Tous disaient d’elle qu’elle n’était qu’une boule de nerfs, un être incontrôlable ne sachant faire qu’une chose : vociférer. Jeresen ne savait pas vraiment pourquoi Ress était si différente avec lui, bien plus à l’écoute, compréhensive, calme et aimable. A présent, il savait pourquoi. Il savait pourquoi lui aussi se sentait apaisé lorsqu’ils discutaient entre eux. AU final, ils n’étaient pas si différents.

Lui aussi, il n’avait pas imaginé une seule seconde pouvoir s’entendre avec elle. Il s’était préparé à se faire insulter lors de leur rencontre à l’Opéra de Coruscant. On dit souvent que les choses se déroulent rarement selon le plan. Rien n’était plus vrai qu’à cet instant.

Son regard resta rivé dans le sien, alors que sa main était venue s’apposer sur a sienne, dans une attitude compréhensive, alors qu’il esquissait un léger sourire. Lui non plus, n’arrivait pas à la détester…

« Est-ce bien grave ? Tu te souviens de ce que j’ai dis, lorsque nous dînions avec la cantatrice Tee ? Que sur Alsakan, certaines choses sont considérées comme inacceptables ? »

Il laissa échapper un très léger soupir, marquant une pause volontaire alors que son bras venait doucement s’enrouler dans le dos de la Balosar, amicalement, discrètement. Il allait commettre une grosse erreur, une chose à ne surtout pas faire dans sa position. Mais il n’en avait rien à faire, justement. Il avait déjà enfoncé les portes de bien des principes, de biens des traditions. Et des deux, il serait celui qui ose exploser la barrière et franchir la frontière pour laisser filtrer ses sentiments.

Il s’affaissa légèrement, alors qu’il laissait ses lèvres se déposer sur ces de la Balosar, son bras l’attirant doucement à lui alors que leurs corps se rapprochaient naturellement, lui offrant de la sorte une partie des sentiments qu’il ressentait à son égard. Les yeux clos, il se laissait baigner par des émotions qu’il n’avait plus ressenties depuis des années. Le baiser qu’il venait d’échanger avec la Balosar était salvateur, apaisant.

Et alors que leurs lèvres s’écartaient, qu’il ouvrait les yeux, il termina sa pensée entamée précédemment :

« Ceci en fait partie… »
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« J’ai toujours détesté la Rendili Stardrive, de toute manière. »

Instinctivement, ses poings s’étaient refermés, serrés à l’excès tandis qu’une bouffée de haine incandescente dévastait son être, à des milliers de parsecs de la mine faussement amusée qu’elle affichait, d’où suintait une ironie mordante et un dédain provocateur. A vrai dire, elle était loin de la vérité. Elle ne détestait pas les grandes corporations, et celle-ci en particulier. Elle les haissait, et voir Scalia leur casser les reins avait été une des grandes satisfactions de son existence, au-delà de tous les discours sur la nécessité économique des nationalisations, qu’elle soutenait pourtant corps et âme. Il y avait cependant dans son soutien sans faille à cette mesure une dimension de vengeance savoureuse qu’elle ne cherchait presque jamais à cacher, dans sa carrière s’était construite en opposition de ces firmes qui, à force de contrôler des planètes entières, finissaient par se conduire en pouvoirs autonomes, n’hésitant pas à brutaliser des mondes moins puissants, profitant sans le dire du soutien de leurs mondes-parents, qui n’y trouvaient rien à redire puisque ces ploutocraties se nourrissaient du travail des autres, comme des sangsues usant leurs victimes, leur pompant jusqu’à la dernière goutte de fluide vital.

Le pire ? L’avocate n’était même pas surprise. La corruption du Sénat ne l’étonnait plus. La force immonde de ces laquais du pouvoir ne la hérissait plus autant qu’avant. Ou plus exactement, elle se retenait mieux d’exploser de rage. Non, cette information était intéressante. Très intéressante. A croire que son combat contre la Rendili Stardrive n’était pas fini, et qu’il dominerait encore longtemps une partie de son existence. Elle avait trouvé dans la perte de sa mère la volonté nécessaire pour s’extraire de la fange de Balosar, avait réalisé son premier coup d’éclat à ses dépens, construit sa réputation en tant qu’avocate sur sa capacité à contraindre les grands groupes galactiques. En un sens, les corporations avaient réussi à façonner l’une de leurs adversaires les plus acharnées. Ironique, n’est-ce pas ?

« J’ai mené mon premier procès contre eux, d’ailleurs. Un excellent souvenir. Très formateur. J’ai perdu, parce que le droit est toujours impuissant contre les pots de vin, mais la médiatisation a permis de réussir là où les moyens traditionnels avaient échoué. »

Elle ne racontait pas ce pan de son existence, au demeurant parfaitement public et connu, au hasard. Il y avait dans ce souvenir précis une leçon emblématique vis-à-vis de leur situation actuelle, un enseignement évident qu’elle n’allait pas manquer d’expliciter convenablement une fois son souffle repris. C’était l’avantage des échecs : Ress les voyait rarement comme des freins brutaux. Son parcours était jalonné de ces derniers. Mais l’essentiel était de se relever, de continuer à croire en son destin, en ses idées. Le reste n’était qu’une mauvaise passe, en somme, à chaque fois, qu’il convenait d’analyser posément une fois la colère initiale et l’amertume passée.

« Il n’y a jamais qu’un seul moyen de réussir. Voilà pourquoi je pense que les négociations n’ont aucune chance d’aboutir seules, mais que je suis persuadée qu’elles seront un levier efficace pour lancer d’autres batailles.

Nous n’avons pas besoin de les convaincre. Nous avons besoin d’être convainquant pour ceux qui décideront à la fin de leur renouveler leur confiance ou pas. Et ça ne passera que par des moyens détournés … Et des promesses, en effet. »


Un politicien qui n’aimait pas faire des promesses, c’était comme un sith pacifique : une aberration. Non pas qu’elle ne comprît pas la logique, seulement, sa longue expérience des élections avait fini par lui faire voir non les inconvénients, mais aussi les avantages de telles campagnes de persuasion. Au fond, le contrat était clair : ne pas le suivre revenait à s’affranchir du consentement des électeurs, et donc à s’exposer à des mesures de rétorsion populaire. Certains considéraient que cet exercice menait à des tromperies. Ress professait au contraire que c’était l’exercice le plus pur d’honnêteté intellectuelle. Mentir servait à gagner. Pas à rester au pouvoir. Or ce qui comptait n’était pas forcément l’accession, mais beaucoup plus la permanence. Cette vision expliquait amplement sa vision.

« L’essentiel est de croire en ce que l’on dit. De toute manière, si nous racontons n’importe quoi, les bilbringis auront tôt fait de tourner le dos à la République, et ce de manière définitive. C’est à nous de nous assurer que nous leur donnerons raison de nous faire confiance.

J’ai promis à mon peuple la sécurité. Cela fait sept ans que je tiens ma promesse petit à petit, quartier par quartier, ville par ville. Nous n’avons pas à réussir en un claquement de doigt … Nous devons juste être sincère. Maintenant et après. Ce qui ancrera Bilbringi dans la République … Et auprès de nous. »


Pourquoi s’en cacher ? Tous deux n’étaient pas là uniquement par amour de la patrie. Ils poursuivaient chacun leurs intérêts, et s’ils visaient des échelles différentes, il n’en demeurait pas moins que la République leur avait offert l’occasion rêvée de se faire des alliés au Sénat. Ce n’était pas un hasard si les missions diplomatiques étaient aussi prisées. Généralement, elles offraient renommée, retombées économiques et culturelles ainsi que possibilités d’alliance. Il n’y avait donc là rien d’extraordinaire. Bilbringi aurait pu tomber sur pire : ils ne comptaient pas mettre la planète à leur botte ou l’asservir financièrement … Du moins, ce n’était pas ce cas, et mieux valait que l’humain n’ait pas de telles visées, quoiqu’elle en doutât fortement.

« Et je suis certaine qu’ils t’écouteront. »

Elle fit une pause, avant d’ajouter, un sourire aux dents éclatantes en avant :

« Ou du moins, je suis sûre qu’ils feront très bien semblant. »

A croire qu’alterner les pensées stratégico-philosophiques et les boutades devenait une habitude. Certains auraient pensé qu’il était étrange que cette machine froide et austère soit capable de se déconcentrer cinq secondes pour parler d’autres choses que de plans de déstabilisation. Sauf que ces gens ignoraient sa vraie personnalité, celle qui surgissait désormais si rarement. Les années et les décès l’avaient considérablement affadi, mais des bribes subsisaient de la bonne vivante qu’elle avait été autrefois, toujours prompte à boire un verre, fumer le cigare et discuter des heures de la nouvelle galaxie qu’elle s’efforçait de créer avec ses amis. Bien sûr, ce temps était révolu depuis longtemps. Et pourtant … Elle le regrettait souvent.

Plus que tout, elle regrettait son mari. Elan était le seul avec qui elle pouvait parler de politique pour basculer la seconde d’après sur l’oreiller pour une « discussion » d’une toute autre teneur. La complicité intellectuelle lui manquait affreusement, et la solitude lui pesait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Oh, certes, s’il ne s’était agi que de cette partie, il n’aurait pas été très compliqué de trouver des … amusements. Elle demeurait une femme puissante, dans un milieu plutôt libertin qui plus est. Quand la vie est essentiellement constituée de luttes, le sexe devient aussi un argument politique. Rares étaient les couples comme celui qu’elle avait constitué avec Elan, finalement, sincèrement amoureux, et non uniquement épris de l’ambition ou des idéaux de l’autre. Pourtant, après son assassinat, elle s’y était refusée. Par simple deuil compréhensible dans un premier temps, puis par manque de temps, justement, par refus de tourner la page, par envie de demeurer fidèle à sa mémoire, à cause de son travail chronophage, de sa position, de sa réputation … Bref, elle n’avait guère de mal à se trouver des excuses alors qu’il aurait été infiniment plus clair de s’avouer que, tout bêtement, elle n’en éprouvait ni le besoin ni l’envie. Aucun homme n’avait présenté un challenge suffisamment intéressant pour éveiller son intérêt. Aucun homme n’avait su allumer le brasier qui couvait en elle, n’avait été capable d’établir la connivence intellectuelle nécessaire pour séduire, durablement ou non, cette femme d’acier qui évaluait davantage les capacités mentales que le physique de ses interlocuteurs.

Jeresen Fylesan était attirant. Pour un humain du moins. Autant dire que s’il ne s’était agi que de cela, elle l’aurait copieusement ignoré, confiné à un rôle d’aristocrate bellâtre. Il n’était pas que ça. Ils étaient différents. Totalement. Mais aussi convergents, comme deux parallèles qui avaient décidé de dévier de leurs courses pour se retrouver à mi-parcours. Il élevait ses envies de culture, elle cultivait son esprit de révolte. Elle ne voyait pas ce qui lui plaisait chez elle honnêtement. Elle était petite, maigre, maladive, toujours en colère, mère célibataire et plutôt sans le sou, perpétuellement en train de râler. Etait-ce un défi ? Une envie de coucher avec la frigide du Sénat ? Non. Il aurait tenté avant d’y arriver, et mettait sa réputation en péril également. Moins, car les hommes finissaient toujours par être plus excusé que les femmes par les tabloïds stupides. Mais tout de même, que l’honorable sénateur d’Alsakan fricote avec sa basse personne … Il y avait de quoi faire remuer dans les chaumières !

Peut-être ce goût du risque, de l’inconnu, de l’interdit qui excitait son intérêt, du moins en partie, la poussant à envisager sérieusement ce qui se profilait déjà, alors que l’homme parlait de leur première rencontre et se penchait. Dans quelques secondes, il serait trop tard. Elle pouvait encore s’écarter. Refuser. Elle ne le fit pas. Elle n’en avait pas envie. Instinctivement, dès qu’elle sentit les lèvres chaudes se poser sur les siennes, minces et froides, elle répondit, posant sa main dans le cou de l’humain pour l’approcher d’elle, l’écrasant presque contre son visage, se perdant dans l’ardeur du moment, s’oubliant. L’espace de quelques instants volés à la nuit de Bilbringi, elle n’était plus sénatrice, plus syndicaliste, plus mère. Elle était femme, et son corps se réveillait, les souvenirs sensuels enfouis dans le marasme sentimental qu’elle s’était infligée ressurgissaient, comme des automatismes, tandis qu’elle se perdait dans ce baiser avec une passion réelle. Hors d’haleine, ils se séparèrent, et presque aussitôt, Ress l’attira à nouveau à elle, dévorant ses lèvres avec toute l’ardeur que ce corps frêle pouvait contenir. Enfin, elle consentit à le relâcher et souffla contre son cou :

« Je te l’ai déjà dit. Si les coutumes existent … C’est pour les transgresser. »

Avant de se relever brutalement et de jeter au vent :

« Partons. »

Ils avaient passé l’âge de se bécoter sur un banc. Sans compter qu’il ne fallait pas exclure totalement de tomber sur des personnes qui pourraient les reconnaître. Ils étaient adultes. Ils avaient peu de temps, beaucoup de responsabilité. Aucun n’était suffisamment stupide ou naïf pour ne pas comprendre ce qui était attendu à la suite.

« Nous serons plus tranquille ailleurs … »

Et ils revinrent sur leurs pas, les mains se frôlant, les bras se mêlant, les regards se faisant brûlants tandis qu’ils avalaient les mètres les séparant de leur résidence. Ils remontèrent, et après avoir vérifié que la voie était libre, Ress prit la main de son compagnon et l’entraîna à sa suite dans le couloir, referma la porte de ses appartements et l’embrassa immédiatement, se hissant sur la pointe des pieds et s’aidant de sa main pour lui faire baisser la tête, avant de souffler :

« C’est une erreur. »

Elle attendit quelques secondes, et ajouta, un mince sourire aux lèvres :

« Elle est trop belle pour ne pas la commettre. »
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Si Ress Laz’ziark n’appréciait pas la Rendili Stardrive, Jeresen n’avait jamais eu le moindre problème avec elle. Le fait, sans doute, qu’Alsakan disposait d’un savoir-faire qui leur permettait de s’en passer. L’indépendance de son monde dans le domaine de l’aérospatial était un avantage non négligeable qui avait prouvé son utilité au cours des derniers millénaires. Preuve en était les Conflits Alsakanis. Sans cette indépendance, l’Hégémonie n’aurait jamais pu s’opposer de la sorte à Coruscant. Mais l’Asakan Corporation of Armaments n’était pas non plus toute blanche. Il avait accumulé pas mal de documents accablants sur les membres du conseil d’administration, relatifs notamment à une corruption qu’il avait longtemps combattu. Mais hélas, certaines personnes étaient restées intouchables. Mais plus pour très longtemps. Les rumeurs concernant le rachat de l’ACA devraient filtrer au-delà d’Alsakan d’ici quelques mois, quand bien même les choses ne seraient pas totalement acquises. Jeresen s’attendait à un refus en bloc des hauts dignitaires de la corporation, ce qui allait très certainement saborder des négociations qui seraient alors plus qu’avancées. Il espérait que, dans ce cas précis, les conseillers du Roi décideraient d’agir plus drastiquement. Jeresen avait bien l’intention de tout faire que les chantiers navals restent partiellement privatisés, avec uniquement la cession des activités militaires de la corporation à l’État, mais il s’attendait aussi à devoir faire face à l’opposition des dirigeants. Mais s’il s’opposait à cela, l’Alsakani était prêt à mettre sa main à couper que certains conseillers feraient tout pour faire de cette affaire un exemple, et les hauts dignitaires membre du conseil d’administration de l’entreprise risqueraient alors de tout perdre. L’ACA serait de fait totalement nationalisé par le monde qui l’avait longtemps soutenue, et les nobles qui siégeaient jusque là au conseil d’administration déchus de leurs titres face à la divulgation des nombreuses affaires dans lesquelles ils mouillaient depuis de trop longues années. De fait, ils perdraient leurs privilèges, ainsi que leur domaine terrien, lesquels seraient saisis. A vouloir jouer, ils risqueraient de tout perdre. Et ils ne seraient peut-être pas les seuls. Tout comme Ress Laz’ziark, Jeresen était remonté contre les mouvements politiques initiés sur Bilbringi, et il était déterminé à les faire tomber pour restaurer le droit des citoyens.

A vrai dire, Jeresen aurait presque pu sourire à cette pensée. Lui, défendant un système démocratique alors que son propre monde possédait un régime politique qui n’avait rien d’égalitaire ou de populaire. Bien au contraire, les traditions d’Alsakan étaient basées sur l’aristocratie et l’élitisme mais Jeresen était une personne bien plus progressiste que conservateur. S’il ne remettait absolument pas en question le régime en place sur Alsakan, qu’il pensait fort et parfaitement adapté, il y avait d’autres us et coutumes, d’autres traditions qui devaient évoluer. La haute administration, comme les hautes strates de l’armée ne devaient pas rester uniquement entre les mains de la noblesse, ne serait-ce que pour asseoir la volonté plus populiste du Roi Fird. Cette transition était déjà amorcée, mais ses chances d’aboutir restaient trop faibles, pour ne pas dire inexistantes. L’Hégémonie n’était pas parfaite, il le savait. Elle n’était pas parfaite mais au moins tout y fonctionnait parfaitement.

Tout l’inverse de l’actuelle Bilbringi.

« Sur Alsakan, ce genre de procès sont grandement suivis. Nous sommes très regardants sur les activités des membres de la noblesse, et le moindre faux-pas est durement sanctionné. Évidemment, certains dignitaires sont trop influents pour être atteint et c’est regrettable. Mais les mœurs sont en train d’évoluer. D’ici quelques mois, certaines têtes pourraient enfin tomber. »

Jeresen avait prononcé ces mots avec une satisfaction non feinte. Même si cela signifierait l’échec de son approche sur le dossier, ce serait tout de même une grande victoire. Une victoire dans un combat qu’il avait mené contre la corruption mais plus généralement contre le non-respect des lois. Il n’avait jamais été procureur, ou même avocat. Il n’avait pas les mêmes compétences que Ress Laz’ziark concernant la Loi, mais son passage à la tête du directoire de la sécurité intérieure l’avait positionné comme l’un de ses principaux défenseurs.

« C’est sans doute vrai. »

Il n’allait pas commenter plus en détails les propos de la Balosar. Il était évident qu’ils allaient devoir faire des promesses, et Jeresen n’avait absolument rien contre cette nécessité. Sinon, il ne serait pas venu sur Bilbringi. En revanche, il n’était toujours guère convaincu par la nécessité d’agir autrement. L’Alsakani avait trop longtemps fait usage de « moyens détournés » pour atteindre les objectifs qu’on lui avait fixé. Mais cela faisait partie d’un passé dont il ne voulait pas voir certains pans lui ressurgir en pleine figure.

De plus, Jeresen n’avait jamais eu à développer tout un programme, et encore moins à faire des promesses au peuple pour obtenir la place qu’il occupait aujourd’hui. Certes, ce n’était pas là un domaine qui lui était totalement inconnu, mais il était évident qu’il avait de sérieuses lacunes. Enfin, ne dit-on pas qu’il est toujours temps d’apprendre ? Certains voient la vie comme une succession d’apprentissage. Pourquoi pas lui ?

Il avait toujours exécré ces gens qui n’agissaient que par leur propre intérêt, en se servant de la populace pour se propulser vers les sommets avant de faire volte face une fois les derniers mètres gravi. Ress Laz’ziark et lui partageaient beaucoup de points communs malgré les apparences, et cela l’était également. Chacun poursuivait ses propres intérêts dans cette affaire, voire même un intérêt commun. Jeresen se souvenait de leur discussion à l’Opéra et de la fin de leur dîner, où la Balosar lui avait demandé de la suivre et de l’appuyer. Il n’avait pas fait faux bon, et peut-être était-il réellement temps de commencer à bâtir les fondations de quelque chose de plus concret. Le projet pour Bilbringi était sans doute un bon indicateur test, un laboratoire géant pour tester leurs idées et leurs points de vue. Peut-être même qu’ils parviendraient à se faire entendre par les habitants de ce monde, peut-être que ces citoyens feraient finalement le bon choix en restant dans la République. C’était à eux, qu’incombaient cette tâche. Jeresen, tout comme Ress, ne pouvaient que leur fournir les ingrédients du changement, les moyens nécessaires de reprendre en main leur monde, pour le meilleur comme pour le pire. L’Alsakani ne prônait pas la révolte, mais seulement la simple reconnaissance du système en place, et du fait que Bilbringi n’était pas, et ne devait pas devenir un état totalitaire, replié sur lui-même, et à la solde des corporations. Bilbringi était et devait rester dans la République, tout comme Alsakan le devait tout autant.

« Peut-être qu’ils m’écouteront. Peut-être qu’ils ne le feront pas. Mais il est peut-être temps de réfléchir plus profondément à ce dont nous avions parlé lors de ce diner, de penser à des bases solides. »

Jeresen était venu avec d’autres idées en tête, des mouvements plus centrés sur Alsakan. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était sans doute temps de penser plus large, de se pencher plus concrètement sur cette idée de rassemblement qu’il avait évoqué brièvement avec la Balosar. C’était même le bon moment, en réalité…

Tout comme ce fut le bon moment pour qu’il décide de se rapprocher. La discussion s’était arrêté sur un ton plus calme, moins emporté, et il s’était déjà laissé emporter par les sentiments et l’ambiance du lieu. Cela faisait très longtemps qu’il se les était interdit, pour sa sécurité et celles des autres. Il avait travaillé dans de nombreux milieux, désagréables et inadaptés. Puis, il y avait eu les tentatives d’assassinat et les menaces. Enfin, il y avait eu le désintérêt pour la chose. Sa famille était revenue plusieurs fois vers lui à ce sujet, et il avait catégoriquement refusé tout mariage arrangé. Ces coutumes là ne lui plaisaient guère, et il préférait encore ressentir quelque chose pour ce qu’ils qualifieraient de roturière plutôt que de devoir partager sa vie avec une femme qui ne lui inspiraient pas grand-chose, si ce n’est du dédain ainsi qu’un rappel profond quand à l’origine de cette fausse relation.

Cependant, était-ce réellement prudent de se lancer dans ce genre de relation avec la Balosar ? Certainement pas. C’était d’ailleurs une immense erreur, et il en avait parfaitement conscience. Néanmoins, ce qu'il ressentait à cet instant était sincère tout en étant pas gage d’une garantie durable. Ses sens s’étaient réveillés, tout comme ceux de la Balosar, et il était désormais trop tard pour faire machine arrière. De toute, il n’en avait pas l’envie. Au pire, cela ne serait qu’une erreur de parcours. Un coup d’un soir.

Ce qu’il voulait, à cet instant, c’était profiter. Profiter de l’instant, de l’éloignement du monde politique, du Sénat. Ses lèvres s’arquaient d’ailleurs pour suivre celles de la Balosar, dans ce second échange passionné. Sa main se resserrait autour de celle, frêle, de Ress Laz’ziark alors que leurs visages s’écartaient. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ressenti pareille chose, qu’il n’avait pas pu profiter de ce genre d’instants. Depuis qu’il avait quitté les forces spéciales et l’OSR.

« Alors transgressons-les. » lâcha-t-il pour simple réponse, dans un intime murmure.

Puis, il se redressa, suivant le mouvement de Ress. Il était effectivement préférable de bouger, pour éviter de s’exposer. Car si Jeresen pouvait bien se laisser aller et enfreindre le code de conduite qu’il s’était juré de suivre depuis le jour où il avait reçu sa première lettre de menaces, il veillait tout de même à éviter de se faire surprendre. Il n’était pas question qu’une chose pareille puisse filtrer. C’était déjà une faiblesse en soi, inutile donc de la transformer en énorme bourde.

Il suivit d’un pas rapide la Balosar sur le chemin du retour, son regard ne quittant que rarement celui de la femme qui faisait naître en lui une volonté précise, évident et commune. Il s’avançait, prenant volontairement les devants alors qu’ils revenaient à l’hôtel, comme si ses habitudes d’ancien espion revenaient au galop. Avec personne en vue, il se laissa de nouveau entrainer par Ress Laz’ziark au-delà de sa porte. Cette dernière se refermant, leurs échanges reprirent et l’Alsakani se laissa doucement repousser contre le mur pour pouvoir mieux se baisser et savourer le baiser qu’elle venait lui offrir.

« Nous commettons tous des erreurs, non ? » répondit-il simplement, un fin sourire aux lèvres, avant de laisser ses bras glisser dans son dos pour finalement venir la porter et l’entrainer plus profondément dans l’appartement…

Ils avaient des choses à se dire. Et surtout à faire.
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Peut-être que certaines femmes auraient manifesté un instant de crainte, de doute, au moment de basculer sur ce lit qui leur tendait ses draps. Pas un instant une pensée de la sorte n’effleura Ress Laz’ziark. Elle était décidée. Elle savait ce qu’elle faisait, ce qu’elle attendait, le plaisir qui viendrait et qu’elle obtiendrait, qu’elle donnerait aussi. Elle n’avait rien d’une ingénue, ou d’un être rongé par les insécurités. Son caractère affirmé n’aurait pas souffert le moindre errement d’esprit. Au fond, si l’avocate n’était pas des plus engagés pour multiplier les conquêtes et avait plutôt tendance à soupeser longuement les caractères, une fois sa décision prise, elle était irrévocable, et son instinct passionné prenait le dessus.

Il eut en effet été bien illusoire d’imaginer que sa froideur ordinaire demeurait une fois les portes fermées. En amour comme en amitié, la balosar savait être chaleureuse, et quelqu’un d’aussi profondément vivant ne pouvait qu’entretenir la flamme dans un aspect aussi intime et sensuel que le moment présent, tandis qu’elle enserrait ses jambes autour de la taille de l’homme qui la portait et dont elle ravageait les lèvres avec une ferveur que peu auraient pu trouver sous les atours de la veuve sévère. La vérité n’était pourtant pas difficile à comprendre : en cette matière, comme en bien d’autres, Ress n’était pas timide. C’était même tout le contraire, bien que ce secret ne concernât qu’elle et ses partenaires, finalement. Comme elle le disait souvent à Elan aux premiers temps de leur relation, quand il lui avait fait part un jour, amusé, de sa surprise en la découvrant si flamboyante dans leurs ébats, elle qui lui avait paru tellement inaccessible pendant des mois, presque détaché de ce genre de contingence, il y avait des domaines dans lesquelles elle était autant croyante que pratiquante.

Certes, depuis la mort de son époux, le monde n’avait connu d’elle que le deuil rigide et les emportements. Ses amis eux-mêmes avaient noté la perte de cette flamme joyeuse qui, auparavant n’avait cessé de l’animer en privé. Le feu de la haine seul était resté. Alors, au moment où elle touchait du doigt la renaissance de ses sens, où son corps et son esprit s’éveillaient à nouveau à des égarements plus tendres que les joutes oratoires de la Rotonde, où elle se sentait à nouveau pleinement vivante, désirable, il n’y avait pas de place pour le doute. Jeresen Fylesan, par son statut, si ce n’était par son physique plaisant, pouvait avoir vraisemblablement toutes les femmes qu’il désirait. S’il avait tenu à ce que ce soit elle, il y avait une raison, et ce qu’elle sentait gronder en lui, tandis que leurs corps se pressaient l’un contre l’autre, que leurs baisers se faisaient plus fiévreux, leurs souffles plus heurtés et que son dos heurtait le matelas avant qu’elle ne renverse son amant pour prendre le contrôle de leurs échanges n’avait rien de feint. Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter pour de telles futilités. Elle n’avait plus vingt ans, et portait fièrement les marques de l’âge. Il y avait des rides, des vergetures, la sécheresse d’un physique fin que l’âge commençait à marquer, bien qu’il conservât une vigueur suffisante. Il y avait la fragilité d’un être qui, face à un humain, ne pouvait rivaliser, engoncé dans les faiblesses inhérentes à sa race. Mais il y avait aussi la force de celle qui a su depuis longtemps accepter ses défauts physiques pour s’aimer, pour savoir que d’autres pouvaient aimer ses défauts, et les trouver charmants. Il y avait la beauté de celle qui sait tout simplement qu’elle est telle qu’elle est, et en tire une fierté sincère, qui aime l’amour comme on aime l’art, en esthète, en passionnelle qui se refuse à s’appesantir sur des détails pour se concentrer sur l’instant. Et peut-être aussi qu’il y avait en elle l’assurance d’une femme mûre, qui n’a plus grand-chose à se prouver dans le domaine de l’intimité, hormis sa capacité sans cesse renouveler à provoquer le désir et susciter le plaisir. Et de ce point de vue, Ress estimait avoir acquis, en vingt ans de mariage particulièrement passionnés, toute l’expérience nécessaire.

L’amour était une conversation avec d’autres mots que ceux prononcés, finalement. Il y avait l’apostrophe, ce baiser volé, puis cette muette déclaration d’intention qui prenait forme aux premiers heurts entre deux corps qui se découvraient. Ensuite venait les digressions, préliminaires nécessaires pour la découverte des amants comme de n’importe quel partenaire. On s’embrassait pour se parler, puis on se touchait pour approfondir les sentiments dévoilés. Une cicatrice apparue sous son regard, qu’elle embrassa délicatement, mordillant légèrement son tracé, lui en apprit plus sur le passé de Jeresen Fylesan que toutes les révélations de la nuit. Elle-même n’en manquait pas, et tressaillit très légèrement quand il effleura sa mauvaise jambe, avant de se reprendre et de hausser les épaules. Elle boitait. Et alors ? Ce n’était pas avec le talon qu’on faisait les bons amants. Honnêtement, si l’humain ne s’était pas arrêté avant … Ce n’était pas au moment où ses doigts se perdaient dans ses vêtements qu’il allait tout stopper. Ce genre de préoccupations était bon pour les jeunes filles en fleur. Objectivement, quand le plaisir montait, personne ne s’intéressait à ce type d’inquiétude. L’avantage d’être quadragénaire, c’était qu’on perdait autant en illusions qu’en fausses attentes.

Les nouveaux vêtements de Jeresen lui donnèrent un peu de fil à retordre, ce qui, après quatre tentatives pour desserrer ce maudit haut, lui arracha un rire léger, avant qu’un peu d’aide ne lui soit accordé et qu'il ne vienne se perdre au sol. Le reste de sa vêture ne lui fut pas plus favorable, ce qui finit par lui arracher un sourire vraiment amusé, tandis qu’elle murmurait à son oreille tout en envoyant valser au loin sa veste et que des mains chaudes venaient défaire sa chemise :

« Je crois que sur la praticité, Balosar l’emporte sur Alsakan. J’attends une revanche avec impatience. »

Déjà, ses automatismes revenaient. Elle lardait le corps offert de baisers, le goûtait, le cartographiait presque avec une curiosité sincère, maintenant qu’il était pleinement découvert, nu, sous ses yeux. Elle en appréciait les imperfections, caressait les muscles bien dessinés, se perdait dans un monde qui ne demandait qu’à être exploré avec diligence et empressement. Elle s’y employa donc avec la plus grande vigueur, appliquant pleinement ses principes de partage pour donner autant que recevoir. Elle ne fut pas déçue, et sous la lutte sensuelle pour la domination, sut trouver un combat qui valait la peine qu’elle s’acharne.

Sur Bilbringi, ils se laissèrent aller aux affres de la passion, goutèrent les plaisirs les plus exquis, et la chambre résonna bientôt de leurs cris mêlés, étouffés, difficlement contenus, avalés par des bouches avides qui ne pouvaient se quitter et se cherchaient sans cesse pour mieux se trouver. Leurs corps se murent bientôt en une symphonie exaltée, et Ress apprit au gré de ses gestes à jouer de son nouvel instrument, à en tirer les notes les plus délicieuses, tandis que son amant faisait de même. Il y eut quelques approximations, un ou deux rires, et aucun ne s’en formalisa. L’essentiel était ailleurs. La valse de leurs sens s’exacerba peu à peu, pour ne plus laisser la place qu’à la lente montée vers les sommets. Gravir la montagne de leurs envies fut une promesse, découvrir son acmée sa réalisation la plus éclatante.

Roulant sur le côté, Ress reprit lentement sa respiration, avant de se lever lentement, une fois le souffle de Jeresen ralenti. Enroulée dans un drap, elle ouvrit doucement la fenêtre et alluma machinalement une cigarette, contemplant silencieusement le ciel tandis qu’elle la fumait. La nuit étendait son long manteau sombre sur Bilbringi, abritant en ses replis les soupirs des amants et veillant sur eux. Un doux sourire flotta sur ses lèvres. Ce soir-là, elle ne le regretterait pas, car pour la première fois depuis longtemps, elle s’était souvenue de pourquoi elle se battait sans cesse.

Avant de lutter contre ceux qu’elle haïssait, elle dédiait sa vie à ceux qu’elle aimait … Et il était bon, parfois, de s’en rappeler. Il fallait que jamais elle n’oublie que l’existence ne se résumait pas à une suite d’échecs et de machinations. Il y avait autre chose, de plus essentiel. Jeresen le lui avait fait découvrir à nouveau. Et rien que pour cela, elle lui en était reconnaissante.

Ress ne regrettait rien.
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Ses lèvres venaient s’écraser avec ferveur contre celles de la Balosar, entamant une danse et un échange plein de ferveur et de passion. Jeresen était déterminé. Il avait prit sa décision et il était trop tard pour faire machine arrière. Jeresen n’était guère surpris de découvrir Ress Laz’ziark aussi volontaire et entreprenante, aussi libérée et chaleureuse. Pour être parfaitement sincère, l’Alsakani était plutôt fier que la Balosar l’ait choisit lui pour rompre ce qu’il avait comprit comme un long deuil- bien qu’il n’en ait aucune certitude, les rumeurs à ce sujet semblaient en effet bien solides-, un refus total de tourner une page qui s’était écrite il y a des années de cela avec la mort de son mari. D’une certaine manière, leur rapprochement n’était pas anodin. Tout deux avaient refusé de se lancer la moindre histoire depuis des années, pour des causes différentes mais une conséquence commune. En effet, Jeresen tenait à faire le bon choix et à ne pas se précipiter dans une histoire où l’un ou l’autre se sentirait mal à l’aise. S’il avait voulu se placer, cela ferait longtemps qu’il l’aurait fait au cours d’un de ces mariages arrangés qu’il trouvait parfois bien ridicule, quand bien même il permettait aux familles désormais liées de rayonner.

Il se renversa sur le lit, atterrissant à genoux au dessus de la Balosar, son regard venant se perdre dans les profondeurs brûlantes et désireuses des yeux de son amante. Elle avait ses défauts, lui avait les siens. Elle avait ses maux, il en avait également. L’amour, le désir, la passion avaient cette capacité à rapprocher les individus, quand bien même certains pensaient cette réunion improbable. Ress et lui en étaient le parfait exemple. Les baisers de plus en plus fiévreux qu’ils s’échangeaient en étaient d’autres. Lentement, Jeresen laissa sa place, offrant sa place au profit de son amante pour mieux la contempler. Son dos frottait contre le matelas, alors que la Balosar revenait sensuellement à la charge et qu’il lui rendait coup pour coup ses assauts délicieux. Ses doigts venaient se perdre dans les vêtements de la Balosar, glissant sur sa peau aussi bien que sur les tissus, découvrant les moindres cicatrices, les moindres marques. Il la savait boiteuse, mais il n’en avait cure. Cette infirmité pourtant visible ne l’avait jamais dérangé, si bien qu’il avait finit par ne plus y prêter la moindre attention.

Leurs regards finit par se croiser à nouveau, dans une énième rencontre, s’échangeant des mots sans même bouger les lèvres. Lentement, l’Alsakani avait relâché son étreinte passionnée pour laisser Ress manœuvrer, son attention glissant sur ses petites mains qui venaient s’affairer sur sa veste et sa chemise, ses paroles venant lui tirer un rire léger et amusé. Rapidement, il lui venait en aide, ses propres mains glissant sur celles de la Balosar pour l’épauler dans son œuvre.

« Ca ne vient même pas d’Alsakan… » rétorqua-t-il d’un faux air réprobateur, avant de partir dans un rire léger.

Il tiqua néanmoins sur la fin de la remarque, semblant s’immobiliser un court instant. Une revanche ? Était-ce vraiment bien raisonnable ? Ils commettaient déjà un impair, une erreur monumentale qui, si elle se savait, pouvait transformer leur avenir politique en un véritable enfer. De fait, la question se posait. Mais pas maintenant. L’Alsakani était déjà absorbé par les vêtements de la Balosar, lui rendant coup sur coup le déshabillage en règle qu’elle lui faisait subir. Il jeta la chemise noire de son amante au-delà des draps, avant de laisser glisser ses mains vers le pantalon, se penchant en avant pour retourner les offrandes, dans une volonté partageuse. A son tour, il venait explorer et découvrir le corps de Ress Laz’ziark, ses doigts glissant avec une curiosité aventureuse les courbes et les traits de la Balosar. Comme s’il n’avait cessé ce genre de relation, les habitudes revenaient. Ses mains et ses lèvres venaient se perdre sur sa peau alors qu’il se laissait aller aux délices de l’adoration de l’affection. De la passion.

Dans ce lit, au cœur de Bilbringi, Jeresen sentait une partie de son être faire renaissance. Il retrouvait des habitudes, des sensations et des envies qu’il avait longtemps terrées, sans avoir réellement pensé les faire ressurgir un jour. Ce jour était venu. Ou plutôt cette nuit, avec Ress Laz’ziark. Entraîné, empêtré dans un élan salvateur, il se laissa aller pour mieux découvrir et comprendre sa partenaire avant de se lancer avec elle dans une lente mais savoureuse montée vers les sommets. Peu à peu, il laissa tomber derrière lui tout les fardeaux, toutes les nécessités qui le retenait, pour s’adonner pleinement à l’échange, pour dépasser les promesses ; les attentes. La délivrance n’en fut que plus brillante et étincelante tandis que leur redescente se fit plus lente et langoureuse, s’échangeant de profonds baisers et d’exquises caresses qui laissaient présager d’une suite encore plus harmonieuse et mélodieuse.

Jeresen finit cependant par rouler sur le côté, s’échouant dans les draps pour libérer la Balosar. Respirant fortement, encore haletant, l’Alsakani venait reprendre son souffle, s’étirant doucement pour se défaire de la crispation qui venait tétaniser une partie de son corps. Il clignait des yeux, portant son regard vers la vitre extérieure. Il sentit Ress se redresser et son poids quitter le lit, le regard de l’Alsakani glissant sans gêne sur le corps que la Balosar finissait par masquer sous son drap.

« Ress ? » lança-t-il, interloqué à son égard alors qu’elle venait de s’éloigner vers la fenêtre, la faisant coulisser pour s’allumer une cigarette.

Il se redressa à son tour, avant de venir lui-même s’envelopper d’un drap pour se protéger du courant d’air frais qui venait se glisser jusqu’au creux du lit. Sa respiration était encore forte, bien que l’absence nouvelle d’effort en ait réduit la vitesse. Il patienta quelques secondes de plus, le temps de prendre la température du sol de ses pieds nus.

Puis il se leva.

« Il y a un problème ? »

Il s’approcha, non sans retrouver des automatismes protecteurs. Son regard glissait de droite à gauche à la recherche de la moindre caméra, du moindre micro. C’était bien souvent de l’extérieur, là où on ne s’y attendait le moins que les informations venaient à filtrer. Qui sait ce qui pouvait bien se trouver de l’autre côté de la rue, ou bien dans une chambre voisine. Il se cala dans le dos de la Balosar, un bras venant s’enrouler avec délicatesse autour de son bas ventre et ses doigts venaient se perdre dans le tissu du drap tandis que l’autre venait glisser avec tendresse au creux de son cou. L’Alsakani se pencha en avant, ses lèvres venant s’immobiliser au coin de son oreille pour laisser échapper ses propos dans un murmure :

« Tu ne devrais pas rester dehors, tu vas attraper froid et nous avons une longue journée qui nous attend. »

Il n’y avait pas que la journée qui attendait. La nuit ne faisait que commencer, le soir s’était à peine couché. Leurs premiers échanges avaient réveillé une flamme qui s’était éteinte en lui depuis de trop longues années, par professionnalisme et protectionnisme. Il ne comptait pas en rester là, à condition bien sûr que la Balosar n’en ait décidée autrement. Cette nuit, il avait décidé d’enfreindre les règles et les traditions, de commettre une erreur qui méritait de l’être. Il n’était pas encore tout à fait certaine de l’origine réelle de ses sentiments, mais il avait une seule et réelle certitude : il n’avait pas ressenti cela depuis vingt ans. Il ne se l’était pas permit. Ress était la première à parvenir à défaire les entraves qui condamnait sa passion, mais l’Alsakani se refusait encore à la possibilité qu’un tel amour ait un avenir.

Il se voulait simplement pragmatique. Ils étaient tout les deux Sénateurs. Lui d’un monde riche et puissant, basé sur l’aristocratie et épris de véritables et solides traditions. Elle d’un monde oublié du Noyau, connu uniquement des citoyens de la République comme l’une des planètes poubelles de la galaxie. Tout les désignaient comme incompatible, et Jeresen doutait que sa famille puisse entrevoir un bon œil un pareil rapprochement. Même lui n’y croyait pas, c’était tout simplement improbable.

En vérité, Jeresen pensait n’avoir que faire de l’avenir pour l’instant. Ces pensées n’avaient fait que passer, et il aurait tout le temps de les ressasser plus tard. Pourtant, ses propos n’étaient évidemment qu’une excuse pour inviter Ress à revenir vers l’intérieur, à poser sa cigarette qui venait un peu plus ronger sa vie. Il n’avait fait que commencer sa lente exploration, la découverte de la Balosar. Comme s’il voulait être certain d’avoir fait le bon choix, comme s’il espérait au fond de son être que ce qui était en train de se passer ce soir n’était pas qu’une vulgaire erreur.

« Et comment pourrais-je supporter les affres de Dinyelfi et de ses acolytes sans le moindre commentaire acerbe de ta part à son égard ? Je n’aurais plus de divertissement… » rajouta-t-il sur le ton de plaisanterie, une lueur bravache dans le regard.

D’un geste final et lent du bras, il faisait pivoter la Balosar de sorte que son regard puisse se plonger dans le sien une fois de plus, à la recherche des émotions et des pensées qui germaient dans l’esprit de la Sénatrice. Ses doigts vinrent lentement écarter la cigarette des lèvres de la Balosar, plaquant gentiment son bras contre son corps.La suite les attendaient, plus explosive que jamais.

Il n’attendait que son signal.
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En sentant soudainement le corps de Jeresen contre le sien, son souffle chaud sur sa nuque qui remontait vers son oreille, les draps malhabilement noués les séparant modestement, Ress ressentit brutalement une bouffée de désir, comme si le feu qui avait embrasé son être auparavant n’était pas éteint, que l’humain venait de réanimer les braises de son envie, alors qu’elle se croyait pourtant pleinement rassassié. Mais il n’en était rien, manifestement, et ses antennes caressèrent machinalement la joue de l’alsakani tandis qu’elle expirait une nouvelle bouffée de tabac, la fumée se lovant devant eux avant d’être effacée par la brise et de disparaître doucement, en une métaphore adéquate de ce que devrait être leur relation passé cette nuit d’égarement.

Pour la balosar, il ne pouvait en être autrement. Dès le lendemain, ni lui ni elle n’y feraient plus allusion, ou du moins … Pas autrement qu’en privé, et au nom des souvenirs partagés. Elle appréciait la compagnie du contre-amiral, n’avait pas honte d’avoir aimé son physique et d’avoir partagé avec lui un moment charnel. Manifestement, il en avait eu envie autant qu’elle. Ils étaient adultes, clairement consentants … Et pleinement conscients de ce que leurs places respectives impliquaient. A vrai dire, la simple idée qu’il puisse avoir des sentiments pour elle l’aurait fait rire. Il ne s’agissait pas de cela … N’est-ce pas ? Sous l’amant attentif, il n’y avait que la prévenance d’un être galant, rien de plus. Le contraire serait dévastateur … Et surtout, Ress ne voulait pas lui faire de mal, parce qu’au fond, elle n’était pas prête à entretenir une liaison. Et encore moins avec un autre sénateur. Surtout pas avec le représentant d’un monde comme Alsakan. Définitivement pas avec le descendant d’une aristocratie qui constituait à ses yeux un pouvoir oligarchique qu’il faudrait un jour démocratiser. Il en allait de sa réputation, de sa crédibilité … De ses convictions d’acier, sans doute aussi, qu’elle n’avait jamais su adapter aux réalités de la vie. Qu’on découvre déjà cette aventure, et elle pouvait dire adieu à sa tranquillité et à une partie de ses soutiens, qui imaginerait qu’elle avait succombé à l’attrait du pouvoir, de la richesse … Pff, bande d’imbéciles. Comme si cela avait un intérêt quelconque à ses yeux ! Comme si elle n’en avait pas fait la preuve ! Comme si elle n’était pas une femme forte, mûre, indépendante ! Comme si un homme pouvait, par l’action de son corps, la changer ! Ils ne la connaissaient pas, ces juges péremptoires. Ils ne savaient pas de quel bois elle était réellement faite, ce qu’il faudrait de trésor pour la conquérir.

Et si … Finalement, elle s’en moquait ? Et si elle acceptait d’y croire au moins quelques instants ? D’imaginer une existence moins morne, moins solitaire, ce qu’elle avait toujours refusé de faire depuis la mort d’Elan. Oui, l’idée était belle, tentante même … Mais elle demeurait un rêve, et on ne bâtissait pas une vie sur des chimères. Pas quand d’autres dépendaient de soi. Elle avait une petite fille à élever, des concitoyens qui attendaient qu’elle se consacre totalement à eux … Sans doute qu’elle n’aurait jamais plus de vie privée comme elle avait pu en connaître une. Il fallait s’y résoudre et l’accepter. Ce genre d’étreintes furtives, elle pouvait se le permettre. Le reste … Pour le moment, elle n’y était pas prête. Et doutait de l’être. Il faudrait du temps, et une raison forte pour qu’elle puisse mettre en doute tout ce en quoi elle croyait, et ce simplement pour une passion amoureuse. A son âge, il y avait des emportements qu’on apprenait à canaliser, tout simplement. A vingt ans, sans doute qu’elle n’aurait pas hésité, et qu’elle aurait sauté sur l’occasion. Encore que … A vrai dire, révoltée comme elle l’était à l’époque, sans doute qu’elle n’aurait pas donné sa chance à l’humain. Au moins, les années lui avaient appris à ne pas juger trop vite, et à se tempérer quelque peu. Son caractère était certes exécrable, mais il l’était moins. Les mauvaises langues auraient évidemment persiflé que de toute manière, on partait de loin.

Alors oui, l’avocate allait bien. Mieux que bien souvent dans son existence de ces derniers temps, d’ailleurs. Mais il y avait aussi au fond d’elle-même une douce mélancolie qui apparaissait, doucement, à mesure que les volutes de la cigarette s’effaçaient. Bientôt, ces instants agréables ne seraient plus qu’un souvenir. Ils avaient entrouvert l’espoir d’une autre existence, dont elle avait refermé la porte sans regarder à l’intérieur et en découvrir les promesses. Elle n’avait plus l’âge de croire. Elle voulait être sûre. Et avec un enfant à charge, sa vie et celle de Jeresen … Elle ne le serait jamais. Elle aurait voulu que ce soit le cas. Sincèrement. Elle avait de l’affection pour lui, il lui plaisait plus que presque tous les hommes qui avaient pu croiser son regard … Mais ils étaient trop différents. Il y avait trop d’écart entre elle et lui, et se complaire dans le rôle de maîtresse de l’ombre n’était clairement pas une possibilité pour elle. Pas question non plus de le réduire au rôle d’amant de passage, vite remisé dans le placard au moindre souci. A quarante ans, Ress aurait voulu plus, tellement plus … Et il n’y avait pas de possibilité pour qu’elle puisse l’obtenir. Du moins, elle se refusait à l’envisager … A l’espérer. A étreindre ce futur fugace qu’elle avait déjà balayé.

« Non, tout va bien. Je … réfléchissais juste. Je me disais que c’était bon … de vivre à nouveau. »

Et elle regrettait que cette frénésie de vie ne doive s’arrêter si brutalement.

« Ce serait dommage … de s’arrêter là. »

Avec une lenteur calculée, la balosar se blottit contre l’humain, ses antennes décrivant des cercles sur ses épaules, son torse tandis qu’elle effectuait avec une langueur sensuelle quelques mouvements de frottement destinés à enflammer Jeresen, avant d’éclater d’un rire léger en l’entendant parler de froid :

« Si j’avais froid maintenant … Tu n’aurais pas fait correctement ton travail avant, mon cher. »

Elle le laissa la retourner, affichant une moue faussement boudeuse en voyant la cigarette s’éloigner. D’un geste vif, elle la lui vola, prit une dernière bouffée d’un air de défi, avant de l’écraser dans le cendrier sur le meuble à leurs côtés, les restes du mégot rougeoyant brièvement en exhalant ses derniers feux. Puis ses bras entourèrent brusquement le cou de l’humain et elle se pendit à lui, laissant le drap glisser à terre, laissant sa peau nue venir toucher les draps qui emprisonnaient encore Jeresen … Et elle l’embrassa.

Ce baiser incendiaire contenait toute sa hargne, sa passion, ses envies. Il y avait dans cette déclaration muette et sensuelle comme un impératif de vie qui prenait le dessus, un désir impérieux de ne pas penser au lendemain, à ce qui aurait pu être et ne serait pas, et seulement à ce qui était à ce moment précis, alors que leurs lèvres se chevauchaient, que leurs corps en sueur se battaient, s’entrechoquaient pour ne plus se quitter, que leurs langues décidaient d’user d’autres armes que l’habituelle rhétorique sénatoriale. Il y avait presque une violence désespérée dans ses mouvements, alors qu’elle arrachait le drap du sénateur pour sentir enfin tout son être contre le sien, qu’elle le repoussait vers le lit. Il y avait comme une supplique dans son regard ardent, une prière pour être aimée le temps d’une nuit, et ne pas l’être après. Il y avait tout simplement la volonté de s’aimer, parce que c’était interdit, et de ne pas le faire, parce que bientôt le jour se lèverait, et qu’alors la nuit complice disparaîtrait, réduisant en cendres les rêves d’amant, qui irait pourrir comme une cigarette trop lentement savourée, et maintenant poussière. Il n’y aurait pas d’après. Il n’y avait que maintenant.

« Nous n’avons pas d’avenir. Mais nous avons un présent. Reste avec moi toute la nuit. »

Aime-moi. Juste un peu. Jusqu'à demain.

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