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J'avais imposé un choix à mon amant. Aller plus loin, ou ne pas brusquer les choses. Et si tout paraissait s'être fait naturellement, nous devions en garder un peu pour la suite. Ne serait-ce qu'attendre au soir. Oui, le soir, cela serait plus convenable. Dans un effort incommensurable, répondant non sans une certaine dissimulée amertume à sa décision, je me dégageai du corps d'Orme et m'allongeai sur le dos, le regard porté au plafond.

-Rien à redire, c'est toi le plus raisonnable.

Piqué à vif par ce désir brûlant, je tentais de focaliser mon esprit sur des recoins plus anodins, plus spirituels, plus méta-physique, ou plus absurdes, dans l'idée d'éloigner les vapeurs enivrantes d'un plaisir, si vivement rompu. Frustration éphémère, je te hais. Pourtant, mes lèvres s'arquèrent sur le coin de ma joue. Orme était prêt. Nous en étions capables. Je jetai alors une œillade sur ma table de chevet. Pas de réveil. Je me dressai alors hors du lit, dos à Orme, pour lui dissimuler la preuve évidente que l'arrêt spontané de notre étreinte charnelle n'avait pas tout à fait terminé son travail. J'enfilai alors mon pantalon et mes chaussettes, laissés au bas du matelas.

Une fois revêtu de la totalité de mes vêtements, j'entrepris d'ouvrir le store de la chambre, et d'entrebâiller la fenêtre. Le bruit de la ville, sourd, lointain, et rassurant tout à la fois, envahit de nouveau la pièce. Je me tournai alors en direction d'Orme, et lui adressai un sourire amusé.

-Tu vois, moi aussi je suis impulsif quand on me tire de mon sommeil.

Je marchai alors en direction de la porte, et la fis coulisser. Je remarquai à terre mon réveil, du côté d'Orme. 12h46. Peut-être que, pris d'une diurne hibernation, ne l'avais-je pas entendu sonner.

-On est dans les temps, en fait. Va prendre ta douche, je vais commander pendant ce temps. Y a quelque chose qui te fait envie ?

À part le fait de recommencer ce que nous avions amorcé, bien entendu. L'envie ne me manquait pas de mener une seconde fois cette guerre sainte, qui consistait à, parcelle par parcelle, territoire par territoire, partir à la conquête du corps de mon tendre amant. Ses cheveux en bataille, ses lèvres pulpeuses, son torse saillant... Tout était à son avantage pour me séduire. J'abaissai alors la tête rapidement, en étouffant un petit rire, et la relevai hâtivement, en sa direction.

-Je prends vraiment sur moi là, tu sais ça ?

C'était un fait, je n'aspirais qu'à retourner auprès de lui, dans ces draps soyeux. Mais l'ivresse du désir, fort heureusement, se dissipait progressivement, bien que toujours présente. Indéniablement, elle n'était pas rassasiée. Peut-être était-il temps de nous offrir un peu de repos, autour d'une assiette plutôt que d'un lit.

L'évidence de commander un repas végétarien m'apparut comme une vérité universelle. Cela ferait plaisir à Orme, j'en étais persuadé. J'espérais en Orme qu'un déjeuner, commandé auprès d'un traiteur local, ajouté à ces deux heures de sommeil, ainsi que ce réveil quelque peu... revigorant, auront permis à mon compagnon à se remettre du bon pied. De façon similaire à mes espoirs qui le concernaient, je me sentais apaisé. Mes craintes semblaient m'avoir quitté, et j'avais comme l'étrange sensation que nous vivions ensemble depuis déjà plusieurs jours. Il ne fallait pas qu'il parte. Non décidément, les choses se passaient beaucoup trop bien pour qu'il ne quitte les lieux.

L'après-midi était devant nous. Requinqués, peut-être allions-nous finalement nous lancer dans cette expédition à Coruscant. Une impatience infantile me gagnait.
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Orme tentait de ne pas entendre, dans cet adjectif de raisonnable, le moindre reproche. Mais déjà, il s'en voulait lui-même d'avoir freiné les ardeurs de son compagnon, sans songer que c'était son compagnon qui l'avait proposé. Une crainte toute adolescente de perdre Ulrich parce qu'il ne l'aurait pas satisfait immédiatement émergea en lui et, aussi raisonnable que le Padawan fût, il ne parvint pas à s'en débarrasser tout à fait.

Le jeune homme suivit son amant du regard et ne put s'empêcher de laisser ses yeux s'attarder un instant sur les fesses d'Ulrich. En vérité, raisonnable, précisément, c'était ce qu'il n'avait pas envie d'être. De nouvelles pensées licencieuses fleurirent dans son esprit pendant cette contemplation fort intéressante. Un instant, il faillit attirer le fugitif près de lui à nouveau et rompre leur sage résolution, mais la conviction qui l'avait décidé d'abord, la nécessité de passer des moments agréables qui ne fussent pas commandés par le désir charnel, revint dans son esprit.

Orme se redressa pour s'asseoir dans le lit, gardant le couverture un peu remontée pour dissimuler le fruit de ses émotions. Le sourire d'Ulrich le rassura et, à son tour, il laissa une moue espiègle s'installer sur ses lèvres.

— J'ai vu. Je tâcherai de m'en souvenir.

Pour pouvoir recommencer, évidement. D'ailleurs, presque indépendamment de son propre désir, il devait bien s'avouer qu'il avait été un peu flatté de la réaction de son ami. Lui qui avait passé sa jeunesse à se déprécier et à fuir son corps avait suscité les ardeurs du plus joli garçon de la Galaxie (ceci dit en toute objectivité, bien entendu) et il n'en était pas peu fier. C'était un peu une sorte de décoration d'honneur.

La question d'Ulrich qui sondait ses envies laissa Orme un peu rêveur.

— Oh...

Brusquement cependant, il se rendit compte qu'on l'interrogeait sur le menu du déjeuner et que, en tant que jeune homme bien élevé, il n'était pas censé répondre qu'il aimerait bien être le menu lui-même. Il rougit légèrement, détourna le regard et haussa les épaules.

— J'sais pas. Comme tu veux.

Comme il l'avait dit à Ulrich dans sa longue confession, il mangeait parce qu'il fallait manger, mais il n'y avait jamais vraiment pris beaucoup de plaisir. A vrai dire, il n'avait jamais pris beaucoup de plaisir à quoi que ce fût. Et puis, il n'avait strictement aucune idée de ce qu'on pouvait commander à manger, ni d'ailleurs de la manière dont on commandait à manger. Une sorte de pratique secrète des gens de la bonne société, se disait-il.

Du reste, Ulrich ne faisait guère d'efforts pour l'aider à se concentrer. Orme hocha presque timidement la tête en entendant la dernière remarque de son compagnon.

— Je sais.

Il le savait en réalité d'autant plus que ses propres efforts n'en étaient pas moins considérables. Il attendit néanmoins sagement qu'Ulrich disparût, puis s'extirpa du lit, enfila son pantalon, traversa fort discrètement le salon pour rattraper son propre haut et disparut dans la salle de bain (qui avait décidément la taille de l'appartement de ses parents à Coruscant). Il se débarrassa de ses vêtements pour entrer dans la douche.

Bon, il avait promis de prendre une douche chaude, mais Orme était un frileux. Il décida de prendre un peu plus de temps pour se calmer en échange d'une eau plus tempérée. Quelques quintes de toux interrompirent le délassement du moment. Son coeur se mit à battre plus fort. Plus fort encore. Avec une force qui n'était pas commandée par les sentiments. Un goût métallique lui monta aux lèvres. Du sang se mêla à l'eau qui tombait à ses pieds.

Et l'étreinte lui sembla soudain bien lointaine.
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La porte de la salle de bains se referma sur le passage de mon amant. Je m'installai sur mon fauteuil en cuir, face à la baie vitrée. Mon emplacement favori dans la vaste pièce. Il m'ouvrait sur l'extérieur, ce monde du dehors qui m'était devenu inaccessible. Prisonnier de chaînes en or, j'étais coincé, dans ce refuge temporaire. L'adrénaline et l'excitation du moment étaient retombées. Orme m'avait quitté. J'étais seul. Seul, une fois de plus.

L'amarrage de la réalité céda, et la présence de l'ange dans cet appartement me parut un souvenir éloigné. Le souffle de mes tracas ramenait résolument à ma conscience cette sensation oppressante. Celle de l'impuissance. Jusqu'alors maître de mon destin, j'en avais perdu le contrôle. Ligoté par la précieuse soie du confort, je me terrais dans ce bunker luxueux au 433ème étage de la tour Oxygène.

L'idée même de commander notre repas m'échappa. Il n'y avait plus de "nous." Seul subsistait un "je." Ma lucidité me conduisit à me projeter en direction des jours à venir. Je passerai la majorité de mon temps dans l'inquiétude, sans personne autour de moi, connaissance lointaine ou rapprochée, pour me porter secours. Le venin de mes angoisses circulait dans mes artères, et je me sentais amputé de cet antidote que représentait Orme.

Les minutes s'écoulaient, mais rien ne me motivait à attendre le retour de mon compagnon. Une vague d'amertume bouleversait mon bon-sens, et l'idée même de profiter du présent instant chavira dans les abîmes des flots noirs qui cernaient mon âme. Je quittai la pièce, et m'installai au rebord de la fenêtre de notre chambre. J'en ouvris le battant, et m'allumai une nouvelle cigarette.

Quelques minutes, je m'égarai. L'odeur de sa présence dans mon lit ne me chatouillait plus les narines. La vision de ces draps froissés ne provoquait plus aucune émulsion en moi. Seuls comptaient ces nuages de tabac, qui embrumaient mes perceptions rationnelles. Je ne pensais à rien de précis qui soit lié, de près ou de loin, à Orme. J'étais seul. C'était tout. J'allais vivre dans l'attente de le revoir, toujours, et stagner. Rien n'est plus affreux que la stagnation.

Après ces deux cigarettes consumées, une douce léthargie prit possession de moi. Je m'installai alors sur mon lit, le regard perdu. Mes paupières s'alourdirent, et les troubles liés à ma menteuse solitude bercèrent la retraite de ma conscience.

Mes yeux s'ouvrirent. Ma gorge était pâteuse, mais la lucidité émergeait en moi. Pas celle tournée dangereusement, au niveau de mon avenir, mais bien celle des temps présent. Orme n'était pas qu'un lointain souvenir, non. Il était chez moi. Précipitamment, je me saisis de l'holoréveil, placé plus tôt au pied du lit. 13h31. Je me levai alors et, me justifiai à voix intelligible dans le couloir, tout en allant dans le séjour.

-Orme excuse-moi, j'ai complètement oublié de comman...

Vide.

-der.

Mon compagnon était de ceux qui apprécient la frugalité et la simplicité. Pas de la catégorie qui se prélasse trois longs quart d'heures dans une salle de bains. Je m'aventurai alors en sa direction, et approchai mon oreille de la porte métallique. J'entendais bien l'eau couler. Je frappai quatre coups.

-Tout va bien Orme ?

Pas de réponse. Sans doute ne m'entendait-il pas. Je parcouru alors mon foyer, et apporta mon datapad sur la table de la cuisine. Il me fallut bien quinze minutes pour peser le pour et le contre quant à la nourriture qui plairait à Orme. Il était difficile. Difficile, dans la simplicité de ses goûts. Mon choix se porta alors sur la livraison de cette même chaîne de sandwicherie, que nous avions visité sur Iziz. Deux végétariens, cette fois-ci. Mais compris dans un menu. J'appelai depuis ma ligne téléphonique, et commandai pour la demi-heure qui suivrait.

Survint alors l'instant où je pu pleinement m'inquiéter. Orme avait pénétré dans la salle de bains plus d'une heure auparavant. Il était bien à l'intérieur. L'eau coulait. Je m'approchai alors de nouveau de la porte qui me séparait de lui. La douche fonctionnait toujours. Je frappai de nouveau. Pas de réponse. Avec insistance. Pas de réponse. Avec vigueur. Pas de réponse. Une pensée s'infiltra alors dans mon esprit troublé.

Je songeai à la crise qu'avait semblé avorter le garçon, quelques heures auparavant. Peut-être s'était-elle annoncée cette fois-ci plus vive, et plus dangereuse. Ma main se mit à trembler sur l'acier de la porte. Hâtivement, je tentai d'ouvrir la porte. Fermée. Forcément. Orme avait l'art d'être bien-élevé durant les instants auxquels il ne fallait pas qu'il le soit.

Je tapai des bras et du pied contre l'accès. Rien. Pas la moindre réponse, ni la plus petite preuve que celui-ci céderait à mes coups. Son sabre. Je me ruai alors dans ma chambre, me saisis rapidement de son arme, et fusai sur le chemin du retour, pour détruire l'obstacle qui me séparait de mon amant en danger. Une partie de moi souffrait. Je le percevais. J'enclenchai la lame dorée de mon partenaire, et déchirai les centimètres qui me séparaient de mon but. Un monceau métallique s'écrasa au sol, et je m'immisçai dans la salle de bains.

Un tableau animé d'une morbide sensualité s'offrait à mes rétines. Une sainte horreur frappa mon esprit. La silhouette d'Orme, inanimée, gisait derrière les vitres embuées de la cabine de douche. J'ouvris le battant en plastique. Mes craintes étaient fondées.

Instantanément, je coupai le débit d'eau, et m'agenouillai dans une eau rouge, le visage fragile du malade ensanglanté dans mes mains. La peur violente de perdre l'être aimé m'animait. Il s'était passé tant de choses, depuis la dernière fois. Le fouet de l'injustice claquait à mes oreilles, une fois de plus. La gorge nouée, je secouai l'inconscient, sans parvenir à maîtriser mon calme.

-Orme, Orme, arrête ! Tu m'entends...? Me fais pas ça...

Je commençais à perdre mes moyens. Il fallait qu'il reprenne conscience. Il devait ouvrir les yeux, rire, m'embrasser, et se moquer de moi. Il était de son devoir de m'annoncer la supercherie dont il avait fait preuve, dans le seul et unique but de provoquer ma présence. Saisi de tremblements, je me saisis de la serviette qu'il avait déposé à côté de la douche, et lui essuyai les marques d'hémoglobine sur le visage. Le sang coulait toujours. Je devais faire venir un médecin au plus vite. Et si seuls les talents des guérisseurs du Temple pouvaient l'aider à aller mieux en ce terrible instant, le sort jouerait définitivement contre nous.

Il ne pouvait pas me laisser seul. Pas pour ce motif.
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Orme Aryssie n'était pas un jeune homme superstitieux. Une heureuse disposition d'esprit : l'eût-il été, il n'eût été forcé de songer que ses crises survenaient curieusement en présence d'Ulrich. Malgré tout, cette pensée lui traversa l'esprit, alors qu'il regardait les gouttes de sang se mêler à l'eau qui s'écoulait par le siphon de la douche. Oui, mais après tout, ces crises arrivaient tous les jours et puisqu'il passait la journée avec Ulrich, alors, fatalement, la conséquence nécessaire était que...

Les pensées du Padawan s'embrouillaient. Respirer. Il devait respirer. A tâtons il cherchait le bouton de la douche pour couper l'eau, sans parvenir à le trouver. Se souvenir des conseils des Guérisseurs, voilà ce qu'il fallait : respirer, se concentrer sur son rythme cardiaque, le calmer. Ce n'était rien de plus qu'une méditation, un simple exercice à vrai dire, à la portée de n'importe quel Novice. Il suffisait de se concentrer, un tout petit peu.

Il y arrivait d'ordinaire. Enfin, il y arrivait une fois sur deux. Peut-être une fois sur trois. Le reste du temps, il s'effondrait pitoyablement et attendait que son corps voulût bien reprendre un rythme normal pour se réveiller. Un spectacle peu glorieux. Son ancien Maître lui avait bien dit que cela n'avait aucune importance, que l'important était la vie — une belle philosophie Jedi dont Orme n'arrivait pas entièrement à se convaincre.

Comment était-il censé se concentrer quand il sentait son muscle cardiaque sur le point de se déchirer ? Il savait bien que cela ne se produirait pas — que cela ne se produisait jamais — qu'il était à l'abri — que c'était une souffrance considérable, certes, mais passagère et, tout bien considéré, inoffensive — et pourtant, il avait peur, comme un petit enfant à sa première maladie un peu forte, quoique sans conséquence.

Une quinte de toux projeta une giclée de sang sur la vitre de la cabine de douche. Fantastique. D'abord, il menaçait de casser le jacuzzi, ensuite, il défigurait la douche. Il ne lui manquait plus que d'abattre le lavabo à coups de masse et il ferait l'invité parfait. Respectueux. Respectueux des règles — les règles de l'Ordre — Ulrich — les fesses d'Ulrich — un canard. L'esprit d'Orme se perdait dans un tourbillon confus.

Renonçant à l'idée prétentieuse d'arriver à couper l'eau de ses mains tremblantes, Orme prit le parti, plus ou moins forcé, de se laisser glisser jusqu'au sol. Ses yeux se fermèrent. Pour se concentrer. Oui, voilà, se concentrer. Sur quoi, déjà ? Une seconde plus tard, le Padawan avait sombré dans l'inconscience. Une heure plus tard, ses paupières se mirent à battre, s'ouvrirent et se posèrent sur une vitre de douche.

— Canard. Que... Quoi...

Les saignements s'étaient arrêtés mais une violente migraine avait pris leur place. Orme émergeait lentement à la réalité. Il entreprit d'envisager les choses avec ordre et méthode. Il était dans la douche. Avec Ulrich. Quelque chose dans cette association ne tournait pas rond. Son esprit considérablement ralentit éprouva des difficultés considérables à trouver le petit détail qui clochait, puis...

— Dis moi que la première fois que tu me vois nu, ce n'est pas au milieu d'une mare de mon propre sang dans une douche avec des doigts de crapaud et un air de chien mouillé.


L'évanouissement avait porté ses fruits : plus qu'un symptôme de sa maladie, il était un acte de défense de son corps, une sorte de verrouillage imposé, le temps que ses fonctions vitales se rétablissent. Orme se sentait faible, courbaturé, migraineux, stupide, confus ; en d'autres termes, il se sentait beaucoup mieux. Il leva des mains encore un peu tremblantes devant ses yeux embrumés.

— Oh non. Doigts de crapaud.

Ses yeux se tournèrent enfin vers Ulrich et le jeune homme adressa au fugitif un sourire affaibli.

— Hé... T'as intérêt à me regarder que dans les yeux, sinon je vais être traumatisé à vie et je porterai des polaires en personne.


Comme à son habitude, la plaisanterie était son premier cours dans les difficultés. Plutôt qu'une tentative de minimiser les dégâts, c'était une manière de dire : plus de peur que de mal. Orme attrapa la serviette pour se couvrir au moins un peu — oui parce qu'il y avait des priorités ici. Il avait une réputation d'héroïque virilité à conserver après tout. Enfin, quelque chose comme cela.

La tête appuyée contre la vitre, il reprit d'un air un peu plus sérieux.

— Ulrich. T'inquiète pas. Je t'ai dit. C'est pas aussi grave que ça en l'air. Faut juste attendre que j'revienne à moi. Le temps que je récupère.

Il avait beau être parfaitement sincère, il se doutait que la chose n'était pas très facile à persuader. Ce serait une question d'habitude, sans doute. Aussitôt, il s'en voulut d'imposer ces épreuves supplémentaires à son compagnon.

— Par contre, euh... J'suis quand même pas super, super en forme là. Va falloir m'aider à me rel'ver.

Orme s'empressa de préciser, comme si, définitivement, il s'agissait de la chose la plus importante :

— Les yeux dans les yeux, hein !
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Une fois de plus, le mal infâme avait frappé. Pourtant, Orme émergeait. S'il était vrai que son sens du second degré allégeait quelque peu l'atmosphère, déjà apaisée lorsqu'il avait ouvert les yeux, l'anxiété et l'angoisse ne me guettaient pas moins. Et dans ces sentiments réputés nocifs, une forme de séduction frappa aux portes de mon désir. Sa nudité n'y était pas pour rien.

J'avais peine à croire qu'Orme vive cela chaque jour. Il me faudrait être fort. Je devais revêtir l'armure, non pas de la froideur, mais celle du guerrier. Si son éveil réjouit mon moral, jusque là au plus bas, et plombé par une détresse rongeuse, je percevais à présent que le choc émotionnel était moindre. C'était Orme, qui nageait dans ces flots de sang. La scène était affreuse, mais, s'il était vrai que le fait que la personne affectée soit mon aimé, j'avais sur Hapès eu l'occasion d'assister à des événements plus choquants, et à assister à des douleurs plus infâmes. Et pour beaucoup d'entre eux, j'en étais le responsable.

Le Vice et la Justice, dans une valse langoureuse, s'étaient mêlés au théâtre de mes émotions. J'avais donné la mort de façon sanglante. Eux aussi vomissaient des flots d'hémoglobine. L'image de cet gardien suppliant se superposa au tendre visage d'Orme. Je secouai brièvement la tête de droite à gauche en clignant des yeux, comme pour me ressaisir. L'heure n'était pas à de dangereux sentiments de culpabilité, ni même de voir de façon sibylline en Orme une quelconque similitude avec mes victimes.

Conformément à ce qu'avait demandé mon amant, je le saisis par le torse, et le laissai s'agripper à moi, tout en le remettant sur pieds. Un instant marqua le poids de nos regards, mêlés l'un à l'autre. Je le serrai alors contre moi. Fort. Très fort. Je lui soufflai quelques mots précieux dans l'oreille.

-J'aime pas du tout quand ça t'arrive. Il faut que je m'y fasse.

Je le comprimai alors un peu plus fort dans mes bras. Si le phénix a coutume de renaître de ses cendres, l'ange émergeait visiblement de son propre sang, funeste fontaine de jouvence. Lui, pensait qu'il allait mourir à chacune de ses crises. Moi aussi. Mais je ne pouvais en aucun cas lui faire montre que je partageais ce sentiment. Il me fallait m'accoutumer à ces terribles expériences, jour après jour. Puis, comme s'il m'apparut nécessaire de réconforter Orme avec cela...

-Ça changera jamais rien entre nous. Là aussi, je suis là pour toi. Je peux pas dire que ça ne me fait pas peur, mais je vais lutter à tes côtés.

Je me séparai alors de son corps et, en luttant pour ne pas abaisser mon regard en-deçà de son visage, je fis volte-face, pour lui laisser l'intimité probablement désirée.

-Te prends pas la tête, le droïde nettoiera tout ça après. Prends ton temps maintenant. On a...

Ma gorge se nouait, peu à peu.

-... l'après-midi devant nous... Excuse-moi de pas être venu plus tôt.

Je faisais figure d'encaisser le choc sans broncher. Je m'étais révélé meilleur que la dernière fois, lorsque j'avais laissé Orme se rétablir de son malheur dans la froideur la plus infâme. Pourtant, les effluves amers de cet événement d'une grande violence avaient apposé une nouvelle marque sur mon esprit strié de cicatrices et de balafres. Je me faufilai alors dans la brèche que j'avais occasionné.

-J't'attends dans le salon.

Le timbre de ma voix s'était déchaussé de sa ligne de conduite habituelle. Je ramassai l'arme du jeune homme et marchai, tout en prenant conscience de la boule qui s'était formée dans ma gorge. Je m'assis alors sur mon fauteuil préféré, face à la vitre, une fois de plus. Je toisais l'horizon, et caressais machinalement le pommeau de l'arme du Jedi.

J'avais si peur de le perdre. Si peur.
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Orme forçait un sourire à travers le souvenir de sa douleur, à travers la faiblesse qui l'avait remplacé, le mal de tête, le goût du sang dans sa bouche. Il ne pouvait pas faire grand-chose de plus et il détestait trop les poses héroïques pour y céder. Sourire, puisque c'était tout ce qu'il avait à faire, il le ferait. Il plaisanterait. Il ne se laisserait pas atteindre. Tout ceci était négligeable ; il n'y avait rien de plus important en ce moment que d'être futile et léger.

Le jeune homme prit appui sur son compagnon pour se relever. Au fil des années, Orme avait appris à mettre de côté une fierté bien naturelle et à accepter l'aide quand elle se présentait et qu'il en avait vraiment besoin. Il avait essayé, parfois, de jouer les grands garçons et de s'occuper seul, absolument seul, de ses problèmes, et il s'était retrouvé dans des états beaucoup plus pitoyables que s'il se fût contenter de céder humblement aux instances altruistes. Depuis, il avait grandi.

Il se laissa aller dans les bras de son compagnon. Sans doute cette étreinte intime eût-elle réveillé ses ardeurs si la crise ne l'avait pas tant affaibli et, pour l'heure, il se contentait de goûter à cette douceur protectrice. Il savait parfaitement quel effet terrible ce spectacle avait sur Ulrich et il s'en voulait encore de le lui imposer ; mais il avait compris désormais qu'il eût été plus dangereux encore de le lui cacher, de prétendre que tout allait bien, de jouer de la comédie.

Et, durant ces quelques secondes qu'il passa dans les bras de son amant, il comprit combien cette sincérité lui était profitable. Il se sentait bien. Maladif, mais bien : en sécurité. Cette étreinte simple et affectueuse dissipait ses craintes irrationnelles. Quand Ulrich se détacha de lui, le Padawan lui adressa un sourire avant que son compagnon (et Orme lui en fût reconnaissant) ne lui tourna le dos pour ménager sa légendaire pudeur.

Orme entreprit de balayer les excuses d'Ulrich :

— C'pas grave. T'as été parfait. T'es parfait. J'vais juste... Me rendre plus présentable.

Puis, doucement, mais fermement, il poussa son ami vers la porte de la salle de bain — enfin ce qu'il en restait. Pour la première fois depuis son réveil, Orme s'interrogea sur la manière dont Ulrich était rentré dans la salle de bain. Ses yeux parcoururent les traces caractéristiques d'une découpe au sabre laser sur le métal de la porte puis atterrirent sur sa propre arme, qu'Ulrich tenait en main. Ce qui ne manqua pas d'éveiller une foule de questions que le Padawan rangea dans un coin de son esprit.

Une fois Ulrich partit, Orme s'empressa de se laver, pour de vrai cette fois, de se sécher et de se rhabiller. Arrivé à l'étape de reconstituer son haut labyrinthique, il considéra d'un air un peu découragé les mètres du ruban de tissu qui se présentait à lui. Il n'avait qu'une envie : rejoindre Ulrich. Et puis, s'ils allaient dans les bas-fonds de Coruscant cet après-midi là, il aurait encore à se changer pour mettre quelque chose de plus discret.

Conscient que puisque son compagnon l'avait secouru dans sa nudité il n'avait plus grand-chose à lui cacher (quoiqu'il continuât à espérer que les yeux du jeune homme ne se fussent pas trop égarés), Orme consentit à l'effort pour lui presque surhumain de rester torse nu et, les cheveux secs (et en bataille, bien entendu), répandant autour de lui le parfum du gel douche, il revint dans le salon, se glissa derrière le fauteuil d'Ulrich et l'observa en train de caresser son sabre.

— C't'une sorte de message que t'essayes de m'faire passer ?

Orme était très fier de lui : il était parvenu consciemment et volontairement à faire une allusion licencieuse. Décidément, ses progrès étaient considérables. Sans doute eût-il était plus convaincant dans son tout nouveau rôle d'homme libéré s'il n'avait pas rougi aussitôt. D'un petit geste de la main, il invita Ulrich à se caler dans un coin du fauteuil pour pouvoir venir se lover contre lui. Le jeune homme déposa sa tête sur l'épaule de son compagnon.

— J'ai l'impression que mon crâne va exploser.

Cela ne semblait guère le perturber pourtant, et il était vrai que c'était l'un des effets secondaires les plus courants de ses crises. Quand il aurait mangé, tout irait beaucoup mieux. Orme glissa sa main dans celle d'Ulrich et, pendant quelques secondes, regarda en silence, avec son ami, le ciel de Coruscant. Au bout d'un moment, il reprit la parole, de la voix un peu timide qu'il prenait toujours pour poser ses questions personnelles à Ulrich.

— Dis, euh... J'me demandais. C'pas un reproche, hein. Juste une question. Un étonnement. Ca se dit, étonnement ?

Oui, bon, il était un peu nerveux. Il avait l'impression de toucher un sujet sensible, essentiellement parce que c'était un domaine qui lui tenait à coeur, à lui.

— 'Fin, bref. J'ai vu que t'avais découpé la porte. D'ailleurs, j'suis désolé pour ta porte. Faudrait songer à installer une ouverture extérieure. Comme ça tu pourras...

Venir le retrouver dans sa douche ? Pendant un instant, les pensées d'Orme s'égarèrent sur de plaisants chemins, mais le Padawan reprit le fil de sa question confuse.

— Euh... Oui. Bon. Que t'avais découpé la porte. Avec mon sabre. Et euh... J'me demandais. Pourquoi t'as pas utilisé le tien ? T'as pas toujours ton sabre sur toi ? En fait, j'crois que j'ai jamais vu ton sabre. T'as pas d'sabre peut-être. Ou tu l'as perdu. Ou alors...


Orme prit conscience que, pour obtenir une réponse, il fallait qu'il se tût. Il se tût donc.
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Pour la toute première fois, Orme me désarçonna. M'apercevant du parcours de mes doigts sur la hampe de son sabre, j'étouffai un petit rire, et mes joues rosirent légèrement. Je relâchai son arme, et mes yeux s'abaissèrent. Assis à côté de moi, il m'invita à m'approcher de lui. Sa tête contre mon épaule, ma joue contre son crâne, nous observions cet horizon interdit aux résidents des strates inférieures.

Main dans la sienne, je soupirai de contentement. Le plus difficile était derrière nous, et l'épreuve que nous imposait le destin avait été surmontée. Mon pouce caressait le dos de sa main, comme pour le consoler de la migraine qui l'affectait. Avant de lui proposer un quelconque médicament, chargé d'apaiser son mal de crâne, il s'avança à me poser une question.

Il me parut que, gêné et timide, bien des efforts lui furent requis pour en arriver à terme. Mais enfin, elle fut posée. Qu'est-ce qui justifiait l'usage de son sabre, et non du mien ?

-Je l'ai plus. Tu penses bien qu'en prison, on évite de nous laisser les outils qui nous serviraient à sortir par nos propres moyens. De toute façon, il était nul. J'ai toujours eu un sabre d'apprenti. Le blanc, celui qui émet des chocs électriques.

Me vint alors le besoin de me justifier. Je ne pouvais pas valoir moins que lui. Égo et fierté me susurraient mon plaidoyer.

-J'étais plutôt doué, je crois. Je m'en sortais bien en salle d'entraînement. Mais mes maîtres ont jamais dû juger utile de m'emmener en fabriquer un.

Que cela fut de ma faute, par manque de rigueur et d'apprentissage, je me passai bien de le lui expliquer, et peut-être même de me l'expliquer à moi-même. Je repensai alors à la dernière fois que j'avais tenu mon arme dans les mains. C'était au Titan, dans ce nightclub, lieu de l'embuscade.

-J'ai assommé pas mal de gamorréens avant de me faire euh... Je sais pas. Assommer aussi, je pense. Il a dû rester sur Coruscant. Mais c'est pas grave. C'était vraiment pas une arme de destruction massive.

Un ancien padawan, qui pouvait se passer de l'usage d'un sabre. Était-ce bien cohérent ?

-J'attache peut-être pas autant d'importance à ça que toi. Et puis, j'ai pas vraiment le choix. Je vais pas me pointer au Temple et demander ce qu'ils ont en réserve, pour que je puisse les tuer si jamais ils venaient me chercher ici.

En effet, cela ne tenait pas. M'apparut alors le fait que j'avais employé le mot "tuer", à l'égard d'un membre de l'Ordre Jedi. Je m'inquiétai alors quelque peu de la réaction qu'aurait mon compagnon à cet égard. Perdu pour perdu, autant le forcer à clarifier ses soupçons. Mon pouce cessa de caresser sa main.

-Tu pensais à quoi ?

Je savais exactement à quoi il pensait. La sonnette de mon appartement retentit. Je me levai, coupant court à cette inconfortable discussion. Le piège était grossier. Je m'engouffrai alors dans le corridor, et ouvris la porte.

-Bonjour ! J'ai une commande pour M. Andersen.

-Oui, c'est moi.

-Alors... Deux menus classiques "Vaisseau de la Jungle." Vous avez prépayé, il me semble.

-C'est ça.

Il me tendit alors notre repas dans un sachet en papier.

-Merci, bonne journée.

Je retournai dans le séjour, et plaçai nos victuailles sur la table noire.

-Je connais pas encore bien tes goûts, mais j'ai cru comprendre que t'étais végétarien. J'ai pas eu trop d'inspiration pour commander, tu remarqueras.

Je m'assis alors sur l'une des chaises, pour inviter Orme à se joindre à moi. Et si je n'étais pas de ceux qui fuient une conversation, je ne revins pas dessus, curieux de savoir si mon compagnon allait en parler de nouveau.

-Bon app'.
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Oui, parce qu'un sabre, c'était tout de même... Tout de même... Un sabre ! C'était la seule possession à laquelle Orme accordât de l'importance, son petit joyau, sa merveille, la chose la plus belle du monde, la plus efficace, il sentait bon, il était léger, et sympathique, et... Disons simplement qu'Orme avait une relation très fusionnelle avec son sabre laser et il fallait que ce fût Ulrich qui le manipulât à sa place pour qu'il ne se sentît pas crispé. Son sabre, c'était son sabre ; Ulrich, c'était son Ulrich : jusque là, tout allait bien.

L'indifférence de son compagnon à l'égard de la perte de sa propre arme froissa un peu les conceptions du Padawan. Un Jedi, membre de l'Ordre ou non, sans sabre, c'était un peu comme une Ville sans speeder. Orme avait beau savoir que les Consulaires Jedis n'étaient pas rares qui considéraient cette arme superflue et même contraire aux préceptes de l'Ordre, que des Jedis de l'Histoire fort célèbres s'en étaient totalement passés, il n'était pas prêt à faire bon marché de ce en quoi il excellait.

Il allait proposer à Ulrich de l'aider à forger un nouveau sabre. Justement, il avait une dizaine de schémas qu'il mourrait d'envie d'essayer — le hasard était bien fait ! Et puis, ils s'entraineraient ensemble ! Ils se battraient jusqu'à être couverts de sueur et alors ils tomberaient dans les bras l'un de l'autre. Oui, décidément, c'était un projet très séduisant. Mais les dernières paroles de son compagnon rompirent tous ses beaux rêves.

Tuer. Des membres de l'Ordre. Il le trouvait bien prompt à envisager cette désagréable éventualité. L'Obscurité qu'il avait ressentie en son amant à leur réveil commun lui revint aussitôt en mémoire et cette sensation, qu'il avait tenté d'enterrer dans un coin de son esprit, recommença à le préoccuper. Etait-il possible que le meurtre fût une réaction naturelle, spontanée d'Ulrich ? Etait-il si éloigné des préceptes de l'Ordre ?

Orme n'avait guère envie de poursuivre la conversation. Par lâcheté, il ne désirait pas explorer plus avant ces terres trop dangereuses à son goût. Tout ce qu'il avait souhaité, c'était de passer un après-midi, sinon paisible, du moins agréable. Désormais, il sentait seulement le sang battre dans ses tempes et un découragement immense l'envahir. Il fut reconnaissant au livreur de l'exempter de réponse.

Pendant que son compagnon s'occupait de réceptionner le repas pour lequel Orme n'éprouvait plus désormais qu'un intérêt très limité, le Padawan continua à observer le ciel de sa planète natale en faisant tourner entre ses mains son arme. Devait-il vraiment reprocher à Ulrich une chose qu'il avait faite tant et tant de fois ? Il n'était pas un saint : il était un combattant, un combattant efficace — avec du sang sur les mains.

Pourquoi y aurait-il la moindre différence entre les membres de l'Ordre et les criminels qu'il avait été contraint de tuer ? Avait-il seulement été contraint ? Une vie n'en valait-elle pas mieux une autre ? Mais Ulrich serait-il contraint ? Il pouvait se rendre. Aucun Jedi ne le tuerait sans chercher à le capturer. Il se rendrait et il serait jugé par l'Ordre et sans doute l'Ordre le trouverait innocent — puisqu'il l'était. Mais peut-être Ulrich n'avait-il tout simplement pas envie de revenir. Peut-être avait-il envie de tuer des Jedis. D'exprimer sa haine trop longtemps contenue.

Un peu à contrecoeur, Orme abandonna son fauteuil pour s'approcher de la table. Comme à chaque fois qu'une parole malheureuse ternissait leur relation, le Coruscantien en ressentait l'effet dans son propre corps et la résolution courageuse qui l'avait conduit à ne pas s'habiller complètement lui parut soudain d'une coupable témérité et il avait l'impression tout à fait irrationnelle que son torse nu l'exposait à de nouvelles craintes et de nouvelles déceptions. Il jeta un coup d'oeil aux sandwichs et d'une voix guère concernée répondit :

— C'est très bien. Merci.

Il s'assit à une chaise, près d'Ulrich, attrapa son sandwich et se mit à le tourner pensivement entre ses doigts. Car l'une des nombreuses raisons pour lesquelles Orme Aryssie était l'un des pires diplomates de tout l'Ordre Jedi, c'était qu'il n'était pas très doué pour la comédie. Quelque résolu qu'il fût à ne pas aborder à nouveau le sujet qui avait refroidi l'atmosphère quelques minutes plus tôt, le Padawan ne pouvait s'empêcher de diffuser ses préoccupations autour de lui.

Il croqua dans son sandwich et commença à mâchonner avec autant d'enthousiasme que s'il consommait l'une des affreuses rations de survie de la République. Et entre chaque bouchée, naturellement, il marquait une pause pour ruminer ses noires pensées.
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Quelle froideur. Je jetais quelques œillades à mon compagnon, tout en profitant vaguement de mon repas. Il s'était fait bien plus distant, et ses lèvres ne s'entrouvraient que pour le laisser ingérer son sandwich. Pas un mot ne fusait, dans le silence de mon appartement. Je n'aimais pas ça. Je me prêtai alors à mon jeu favori. À quoi pouvait bien penser Orme ?

"T'as pas d'sabre peut-être. Ou tu l'as perdu. Ou alors..."

Ou alors. Sans doute imaginait-il que je lui dissimulais une nouvelle arme, de nature plus impie que la précédente. Il était vrai qu'il était dans mes projets de manier de nouveau le sabre laser, mais la symbolique était importante. Ce ne serait pas un Jedi qui m'aiderait à le conception de celui-ci. Non, cela ne se pouvait pas. Un oligarque du Temple de l'obscurantisme ne pouvait me guider vers cet acte si représentatif de l'allégement que l'on prête.

À l'évidence, sa prise de distance était la cause de mes propres paroles. Peut-être qu'après tout, sa réaction provenait de ces quelques mots qui avaient glissés de mes lèvres. Tuer. J'observai alors mon compagnon avec insistance. Oui, c'était cela. Aucun doute. Il me fallait tempérer la situation, en rassurant Orme, tout en restant fidèle à ma propre intégrité.

-Tu sais, Orme...

Un temps. J'observais droit devant moi, les mains croisées sur la table.

-Je disais ça d'un ton léger. Mais si un envoyé de l'Ordre Jedi vient pour me capturer, j'userai de ma légitime défense, parce que me renvoyer au Temple, en soi, c'est illégitime. Et écoute. Si je ne peux le raisonner par la parole, je le ferai par les armes.

C'était dit. J'étais du parti, lorsque les liens avec une personne tierce devenaient plus flous, et que la relation risquait de prendre un virage bancal, de tenter le tout pour le tout. Je n'allais pas m'en tenir là, mais lui expliciter ma pensée, qu'elle lui plaise ou non.

-Maintenant, j'suis seul. Je dois bien me protéger. Comprends bien que si je suis livré à l'Ordre, je suis aussi livré à la République. Et en l'état actuel des choses, ni l'un ni l'autre n'est profitable pour moi. La vie est la chose la plus importante, et peut-être la plus belle, dans cet univers. Mais la réalité du terrain est toute autre. Je crois qu'il est bon pour moi de rester libre. Du moins, de conserver le peu de liberté qu'il me reste.

J'assénais ma rhétorique de façon pragmatique, d'une voix neutre, démontrant à mon compagnon que l'idée de tuer ne me ravissait aucunement.

-Je n'en peux plus, de ces donneurs de leçons à la morale flexible et au pouvoir supra-républicain. Je pense que l'institution Jedi est mauvaise. Nous en avions déjà parlés. Si demain, une organisation porte atteinte sur ta propre personne, tu feras quoi ? Tu te défendras. Parce que tu penses que tu mérites ta liberté, et que les idéaux de tes adversaires sont mauvais. Je pense la même chose de l'Ordre. Je me suis forgé mes opinions de mon propre chef. Je ne tuerai que si cela est nécessaire. Maintenant, je me bats pour mes convictions. J'ai été victime d'une profonde injustice, Orme. L'Ordre a laissé faire, quand les choses ont dégénéré au cours de ma mission. L'Ordre a laissé faire, lorsque je me suis fait capturer. L'Ordre n'est pas venu me chercher. C'est ça, la vérité. Alors qu'ils ne viennent pas me rapatrier en me voyant comme un traître. Ce sont eux, qui trahissent leurs propres idéaux.

Le coude sur la table, je déposai ma main contre mon front, et toisais les reflets lumineux sur la table noire. L'heure n'était ni à l'humour, ni à la légèreté. Seule la réponse d'Orme important, à présent. J'avais misé la transparence. Il était d'importance cruciale qu'elle paye. À défaut de partager mes opinions, l'ange devait me comprendre.

-On vit une époque troublée.
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Orme imaginait les Jedis qu'il connaissait, qu'il appréciait, se présenter à la porte de l'appartement pour arrêter Ulrich. Si Gamaliel venait, en bonne Sentinelle, le sabre à la main, Ulrich essayerait-il de le tuer ? Sans chercher à se défendre d'une autre manière ? Il avait dit cela en passant, comme si c'était une chose évidente, facile à comprendre, aisé à entreprendre. Et cette noirceur, au réveil, était-elle vraiment le signe de cela : que son compagnon n'avait plus rien d'un Jedi ?

Un peu malgré lui, Orme songeait que, peut-être, il ne savait rien d'Ulrich. Après tout, c'était le deuxième jour qu'il le voyait, la deuxième fois qu'il le rencontrait. Que pouvait-il comprendre ? Comment s'assurer que la douceur et la fragilité que son amant avait fait paraître étaient les parties les plus importantes de sa personnalité, que sa froideur et sa noirceur étaient, elles, négligeables ? Puisque tout, dès les premiers mots, les avait opposés, quel espoir pouvait-il avoir de le comprendre ?

Ces questions-là ne survivaient pas dans son esprit. Poussé par les sentiments et par la Force, malgré tous ses doutes, Orme continuait de cultiver une confiance lucide mais inébranlable en son avenir avec Ulrich. Il avait pour elle la même foi mystique que pour la Voie du Jedi, qui s'accompagnait de la même indifférence pour les institutions et la société. C'était cette certitude profonde, informulable, inintelligible, qui le maintenait à flots depuis qu'il avait rencontré son compagnon.

Son esprit n'en revenait pas moins à la sinistre résolution du fugitif. Un nouvel aspect du problème apparut brusquement à Orme. Ulrich pouvait bien se résoudre à tuer les Chevaliers qui se présenteraient à lui, il n'y avait pas grande apparence qu'il y parvînt. Orme connaissait bien les Sentinelles chargées de poursuivre les Jedis soupçonnés d'avoir basculés et, avec toute son assurance de guerriers, il ne les eût certes pas provoquées en combat.

Au premier mot de son compagnon, il posa son sandwich pour l'écouter. Silencieusement, il prêta son attention. Ce que lui exposait son ami ne le surprenait pas : il s'agissait des conséquences logiques de ce qu'il lui avait dit déjà. Orme n'était pas convaincu. Il ne l'avait pas été trois semaines plus tôt au bord de l'étang, il ne l'était pas par les développements. A nouveau, il sentait la distance immense qui séparait son idéologie de celle d'Ulrich — leurs points de départ étaient pourtant proches.

Orme resta longtemps silencieux après qu'Ulrich eut fini. Une partie de ses craintes était apaisée, d'une certaine façon. Il voyait dans l'argumentaire de son compagnon de la logique et de la raison plutôt que de la rage et de la noirceur. Le jeune homme arracha machinalement un peu de la croute de son sandwich. Il n'avait pas vraiment envie d'argumenter. Il eût voulu se lover dans les bras d'Ulrich et faire toute autre chose — parler, pour une fois, de sujets frivoles et indifférents.

Mais l'heure n'était pas venue. Au fond de lui, il craignait qu'elle ne vînt jamais. Que leurs rencontres fussent toujours agitées par les querelles et les débats, que leurs journées fussent toujours ombragées par des menaces indéfinies. C'était un poids invisible qui pesait sur ses épaules. Mais Orme n'était pas homme à se défaire aisément de ses responsabilités.

— La semaine prochaine, l'Ordre va changer son fournisseur de bacta.

Il faisait tous les efforts possibles pour ne pas laisser la tristesse et le découragement poindre dans sa voix, mais la fatigue de la crise ne l'aidait guère à donner le change.

— C'est pas vraiment important. C'est juste une question de route commerciale, je crois. Il a fallu quand même six mois de discussions internes pour parvenir à une décision. Il a fallu consulter les Guérisseurs, les Gardiens, les Consulaires, les relations extérieures, les Maîtres, etc. C'est un peu comme ça tout le temps. Ca fait, j'sais pas... Cent, deux cents personnes pour décider d'un truc aussi bateau.


Orme fronça légèrement les sourcils. La migraine s'apaisait, mais un peu trop lentement à son goût. Il fouilla dans le sac en papier à la recherche de la boisson qui accompagnait le menu, en espérant qu'elle fût sucrée, ouvrit la canette découverte et avala une gorgée.

— On est des milliers de Jedis. Ca fait des milliers de personnes avec des idées différentes. Qui interprètent chacune à leur façon. L'Ordre Jedi, ça n'existe pas. La plupart des Chevaliers sont jamais là, toujours en mission. Il est jamais nulle part l'Ordre Jedi. C'est bien ça le problème. Les gens sont jamais là assez longtemps au même endroit pour réfléchir à ce dont ils ont hérité. Aux manières de faire. Aux préceptes.

L'Ordre est pas venu te chercher. Il y a des dizaines de Jedis qui disparaissent chaque mois. On va pas les chercher. On peut pas. On sait pas. C'est bête, c'est horrible, mais c'est comme ça. L'Ordre laissa pas faire parce qu'il a envie de laisser faire. L'Ordre laissa faire parce que c'est un gros animal vieux à la peau épaisse qui ne sent pas ce qui se passe autour de lui.


Voilà bien des choses qu'il ne dirait jamais à son Maître, sous peine de se faire sans doute étriper sur le champ, ou condamner à la corvée de vidange perpétuelle.

— J'dis pas ça pour le défendre. Pour dire que ce qui t'est arrivé, c'est normal. Ca l'est pas. Ca devrait pas arriver. Ca arrive tout le temps. Juste... Les gens qui viendront te chercher, les Sentinelles. Il y en aura des fanatiques, c'est sûr. Mais il y en aura juste qui ne savent pas. Qui font ce qu'ils ont toujours fait. Pas parce qu'ils sont stupides. Parce que dix fois, vingt fois dans leur vie, ça marche. Parce que jusque là c'était juste. Parce qu'ils n'ont pas le temps ou la force de s'arrêter pour réfléchir à ça.

Orme s'arrêta. Il n'était pas sûr de savoir précisément où il voulait en venir. S'il avait quelque chose de précis à démontrer. Il craignait jusque que l'Ordre fût pour Ulrich un ennemi monolithique sans âme ni conscience, plutôt que l'assemblée d'êtres vivants et conscients qu'il était, plutôt qu'un monde fluide, malléable et prisonnier de sa propre inertie. Le jeune homme reprit son sandwich entre les mains.

— Je t'aiderai à forger un nouveau sabre, si tu veux. Un vrai sabre. Et on s'entraînera ensemble.Tu peux pas continuer à te balader avec un blaster comme un... comme un... Péquenaud.

En matière de conclusion conciliatrice, il pouvait difficilement faire mieux.
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Le réquisitoire d'Orme allait jusque là dans mon sens, mais pourtant, je restais alerte. Paraître des plus conciliants, pour enfin s'immiscer par la faille de la rhétorique adverse relevait de mon domaine. Je ne connaissais que trop cette arme, pour me laisser prendre de court. J'écoutai alors attentivement ce flot de parole, qui allait jusque là dans mon sens, et étayait même mes idées. Il annonça alors de façon brutale une caractéristique de l'Ordre, qu'il dictait avec le pragmatisme de la Sentinelle. C’était inéluctable, les Jedi ne pouvaient pas être partout.

Il poursuivit alors sa tirade, en justifiant habilement les agissements du Temple, tout en prétendant ne pas les justifier. Il énonçait des faits, c'était chose vraie. Je me laissai d'ailleurs quelque peu surprendre, de façon invisible, par la cohérence de son discours. C'était une certitude ; l'Ordre était son bébé, et il était bien risqué de se hasarder à y toucher, de quelque façon que cela fusse.

Mon regard balaya la table et glissa sur son visage, de sorte à ce que je puisse contempler le chérubin, qui avait revêtu son armure d'or, et arboré le glaive de la justice.

-Ouais. On sera pas d'accords à la finalité, de toute façon. On sait tous les deux ce qu'il en est. La seule différence entre nous, c'est que ton niveau d’exigence sur une théorique manne supra-républicaine diffère du mien. Si leurs agissements, la façon dont ils mettent en œuvre leurs pratiques, et leur flexible morale te conviennent, ça marque l'opposition entre toi et moi, Orme. Y a rien d'autre.

De mon esprit, émergea une forme d'intelligence plus pragmatique, qui terrassa mon instinct contradictoire. L'heure n'était pas à la division. Les différences entre lui et moi, elles étaient là, et on ne pouvait pas les éviter. Je ne pouvais pas laisser une divergence idéologique m'écarter de mon Orme. Le mien. Le seul maître qui n'appartenait qu'à son esclave.

Ma main se posa sur la sienne. Je la percevais. De tout son être, je percevais cette aura lumineuse, cette force éclatante. Je ne pouvais comprendre comment ne pas se faire aveugler par une telle intensité. Vivre sous ce poids chargé de chaleur, et laisser la rétine de ses yeux se consumer. L'obscurantisme naissait de la Lumière.

C'était bien là, la première fois que je pu ressentir la différence entre lui et moi. Nous n'étions pas faits du même matériau. Je faisais trop souvent l'erreur de ne pas user de mes prédispositions. De ne pas me servir de la Force, à des instants étrangers du combat. Une forme d'éthique, de morale, ou d'exigence sur mon propre développement personnel. Mais cette vague d'or avait aspergé ma main, lorsque mes doigts étaient entrés en contact avec sa peau. Dans le microcosme humain le plus invisible de mon être, s'était opéré cet Armageddon.

À l'idée de constater cette sinistre différence, je perçus des remous nauséeux, suintants d'un vice conquérant et suicidaire, gagner les territoires jusque là défendus de mon être. Je jetai ma main en arrière, en reculant brusquement avec la chaise. Mes orbites se crispèrent, mes paupières s'abattirent l'une contre l'autre dans ce qui me parut être un fracas cyclonique, et je vis monter en moi une chaleur ardente, qui dévorait mon corps à mesure qu'elle se propageait et s'intensifiait, par battements. J'avais la sensation d'être en feu. La Force marquait au fer rouge la moindre cellule de mon corps, et mes organes cuisaient dans un ventre déchiré par la douleur. Mes os me semblaient s'éclater comme une roche se fondait en sable, et se reconstituaient l'instant d'après, dans des spasmes vifs et répétés. Des griffes creusaient mes oreilles, déchiraient mes tympans, tailladaient mon cerveau, alors même que mon œsophage se resserrait.

Trois secondes. En réalité, pas plus de trois secondes ne s'étaient écoulées, laps de temps durant lequel j'avais éprouvé toutes les infamies du purgatoire. S'il était vrai que la douleur s'était instantanément dissipée, elle n'en avait pas moins fait l'effet d'une bombe. Le choc primaire avait impacté sur la totalité de mon être. C'est alors que les dommages collatéraux se révélèrent. Pris de vertiges et de nausées, je tentai de me lever de ma chaise, mais mes jambes, trop fragiles, les murs de cette pièce valsant autour de moi, le pan de la baie vitrée laissant apparaître les milliers de vaisseaux qui eux-mêmes tourbillonnaient, en tout sens, et la noirceur des yeux d'Orme qui m'étouffait, je m'effondrai. Toute la régularité, toute la droiture et toute la symétrique du monde avaient cédé leur place à l'anarchie.

Mes pieds se dérobèrent, et je chutai au sol, retenant mon atterrissage par mon coude, mon avant-bras et mon genou. N'ayant pas un instant eu le temps de songer à la douleur de l'impact, mon estomac se contracta, et un goût acide jaillit depuis mes entrailles, enflammant ma gorge et lacérant ma langue. Le liquide abjecte se déversa au sol, et mon corps chavira du côté opposé, de sorte à ce qu'Orme se trouve dos à moi. Les yeux plissés, je toussais quelques gouttes de vomis, qui se répandaient sinistrement sur le sol.

Mon corps commença à trembler, et s'il était vrai que cet effet fut d'ordre physiologique, je n'en étais pas moins terrorisé. Pourquoi ce sursaut ? Ce gouffre lumineux avait-il engendré un tel chaos en moi ? La bête. Celle qui sommeillait en moi, celle qui, par sursaut, animait de folles tempêtes en mon âme. Je l'entendais rire. Je ne savais de quoi elle se réjouissait. Son cadavre s'était animé, et avait brisé les chaînes acérées de la raison. Souffrant le martyr, sa rage et l'intensité de sa funeste vocifération marquaient sa victoire.

Ô créature impie, valkyrie des ténèbres. Pourquoi tes ailes sont-elles si funèbres ? Pourquoi cachent-elles le soleil ? Pourquoi ta beauté est si envoûtante ? Emporte-moi sur ton destrier maudit, et fais-moi découvrir les terres fabuleuses d'où tu es venue, en dissipant la lumière dans ton sillage.
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Orme fit tous les efforts du monde pour ne pas ressentir trop vivement ce que lui répondit Ulrich, mais quelque volonté qu'il eût de prêter à son compagnon les meilleures intentions du monde et quelque désir qu'il eût de balayé une dispute qui ne pouvait que tenir les projets plus doux qu'il avait eus pour le reste de la journée, il ne pouvait s'empêcher de sentir insulté, méprisé et incompris par des réflexions qui lui paraissaient si éloignées de son caractère et ce qu'il en avait fait paraître.

Quand il songeait qu'Ulrich n'avait peut-être pas songé à le blesser, comme au contraire il l'avait fait à de nombreuses reprises, et que la colère, cette fois-ci, ne le poussait pas être méchant, il voyait combien plus grave était en cette occasion leur différence et il ne lui paraissait plus aussi aisé de la surmonter. Avaient-ils seulement passé une heure de douceur continuée depuis qu'ils se connaissaient ?

Son premier mouvement eût été sans doute de retirer sa main de celle d'Ulrich, avec le sentiment qu'il serait trop facile de susciter son indulgence par une douceur qui suivait de si près la violence d'une réponse adressée à des propos qui n'avaient eux tenté que de pacifier les choses, mais les sens de Jedi d'Orme, et son entraînement commencé de Sentinelle, le rendaient bien trop sensibles aux choses qui se passaient chez son compagnon pour qu'il ne les remarquât pas.

Cette main avait touché la sienne et il lui semblait que deux mondes entraient en collision. Ce qu'il était, Orme ne l'ignorait pas. Il avait toujours avancé avec la même force et la même détermination, et toujours opposé aux reproches la même indifférence souveraine. Jamais il n'avait compris que c'était cette Lumière précisément, cette solidité brûlante, et aveuglante, qui suscitait chez certains Maîtres la vague inquiétude de le voir basculer du Côté Obscur, non par goût des ombres, mais par orgueil ou intolérance.

La crainte était injustifiée, mais le Coruscantien n'en était pas moins l'un de ces êtres dont la pureté parfois obsède et détruit, parce qu'elle parait ne jamais pouvoir se mélanger, se fléchir ou se mêler de quelque humanité. A l'image de son sabre, Orme était une lumière d'or, séduisante et élégante peut-être, mais mortelle, qui protégeait ou tuait, et suscitait alternativement l'inquiétude ou la tranquillité.

Qu'y avait-il de plus opposé à cette aura sans mélange que les tourments qui s'enroulaient comme un lien parasite sur l'âme de son compagnon ? Y avait-il la moindre consolation, pour cette noirceur composée de douleur, de colère et d'incertitudes, dans la compagnie de ce qui lui serait à jamais si étranger ? Se pouvait-il que l'univers trouvât à leur confrontation un autre équilibre que le désert silencieux d'une mutuelle destruction ?

Le monde d'Orme s'était effondré à la première, à la deuxième, à la troisième seconde. Sur l'Obscurité qu'il avait perçue à leur réveil, il ne pouvait plus concevoir de doutes. Impossible d'enterrer dans un coin de son esprit cette sensation alarmante pour n'y plus penser. Toutes les paroles d'Ulrich lui paraissaient désormais comme des rejets plus complets et plus violents qu'il ne l'avait d'abord envisagé.

Et cependant, alors qu'il ne lui restait aucune consolation ni aucune douceur, aucun espoir clairement formé, quand Ulrich s'effondra au sol, Orme n'eut pas d'autres mouvements que de se porter à lui. Il ne lui avait jamais clairement dit ses sentiments ; il ne cessait de les lui démontrer, et ce nouveau sacrifice dont il lui paraissait qu'il n'avait rien à espérer en était la preuve la plus solide et la plus douloureuse.

Que pouvait-il faire ? Ce n'était pas une maladie du corps, il le comprenait bien. Il savait que certains Maîtres Jedis pouvaient apaiser le Côté Obscur, mais ce pouvoir était bien au-delà de ses capacités et toute la force que lui inspirait la détresse d'Ulrich ne suffirait pas à passer si loin de ses propres limites. A genoux près d'Ulrich, Orme ignorait même s'il devait le toucher ou si un tel geste serait l'occasion d'une nouvelle crise.

Un peu timidement, Orme posa sa main sur le dos d'Ulrich et ferma les yeux. La persuasion de Force. Cela, peut-être, serait encore dans ses capacités. Il n'était pas très talentueux, sans doute, mais il y était parvenu sur Mustafar, avec Ellana, il pouvait y parvenir encore. Alors le Padawan entreprit de verser dans l'esprit d'Ulrich ses propres émotions sans en cacher l'origine — ces sentiments préciséments que le fugitif lui inspirait, indépendamment de leurs luttes et leurs déchirements, cette douceur tranquille, cette tendresse, cette inquiétude vive, ce désir impatient, cette timidité craintive, cette assurance, naïve peut-être, ébranlée parfois, mais toujours présente, que le gouffre qui existait entre eux serait toujours et perpétuellement franchi.
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Spoiler:


Orme s'était immédiatement précipité auprès de moi. Les orages d'un chaos immanent planaient sur mon âme, et les répercussions de cette douleur intense retombaient sur mon corps affaibli. Sa main se déposa sur mon dos, et une marée salvatrice s'abattait contre les défenses de cette citadelle noire, sortie des terres les plus obscures de mon cœur. Je me crispai alors en position fœtale, genoux contre coudes, mains pliées sur mes tempes.

La compassion, le désir, l'appréhension, la peur, mais aussi l'amour, firent céder les solides portes du krak maudit. La spiritualité de mon compagnon s'était immiscée en moi. Quelque chose sembla se débloquer dans mon œsophage. Mes poumons se gonflèrent dans une atroce conflagration, mes yeux s'écarquillèrent, et je toussai de nouveau. Ma gorge me brûlait. Deux armées antagonistes menaient sur les terres de mon âme un combat acharné. La lumière fendait les ténèbres, tandis que les ombres dévoraient l'éclat.

Orme. Ce que je ressentais pour lui était-il à mêler à la Force ? De façon évidente, les choses s'étaient opérées naturellement, à l'égard de nos volontés. Un sursaut d'une énergie noire, celle-ci même que j'avais ressenti sur Hapès, avait dû m'envahir sans crier gare. On ne pactise pas avec un tel pouvoir, sans en subir les conséquences.

Pendant un court instant, je fus secoué de spasmes mais la guerre qui s'était opéré en moi s'apaisa rapidement. Le jour et la nuit s'étaient mêlés en une irréelle homogénéisation, mais cette harmonie, je le savais, n'avait qu'une durée limitée. Était-ce le fait d'avoir établi un contact physique avec la jeune sentinelle, alors même que nous opposions nos points de vues sur l'Ordre Jedi, qui avait causé tant de troubles en ma personne ?

Le Temple. Ce n'était pas rien. J'avais passé la moitié de ma vie dans ce lieu sordide. Et pourtant, j'avais su l'apprécier, dans les débuts. Mais ma pensée à l'égard de ce qui s'y passait avait évolué au fil des années, jusqu'à imposer à mon esprit cette idéologie radicale. Mais j'y avais des souvenirs. Et s'il était vrai que je n'estimais pas m'être construit là-bas, il était indéniable qu'une partie non négligeable de mon existence avait été d'endurer les calomnies des faux prophètes qui y régnaient.

Les armes gisaient au sol, les bannières brûlaient, les murs s'effritaient, et les survivants pleuraient toutes les larmes de l'univers. La Force était bien davantage liée à moi que je ne l'imaginais auparavant, mais mes prédispositions étaient plus sombres que celles auxquelles m'avait jusqu'alors dédié mon apprentissage. Celui-ci était voué à la destruction, celle dont j'userai pour porter ma vindicte.

Quelques pensées plus rationnelles me gagnèrent. Orme était là, auprès de moi, à s'inquiéter. Et moi, est-ce que j'allais feindre l'indifférence ? En avais-je la force ? Je tentai de me relever. Mes bras étaient faibles. Mes jambes me redressèrent un bref instant mais, trop fébriles, je vacillai sur le côté, et mon bras avorta ma chute contre le mur, à côté du frigidaire. J'entrepris de me laisser glisser contre lui, une jambe pliée, et une main sur le front. Les nausées m'avaient quitté. La douleur s'était dissipée. Mes idées étaient plus claires.

Je levai alors courageusement -car il en fallait, mon regard en direction d'Orme. Un regard... coupable. Coupable et victime, dans le même temps. Il avait apaisé mes tourments en infiltrant ses sentiments bienfaiteurs en moi. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à le remercier. Et pour cause, la situation était trop confuse pour que je ne le fisse. L'ombre d'un instant, j'avais été l'égérie de tout ce en quoi se battait l'apprenti Jedi. Et pourtant, là où ma théorique infamie aurait pu le révulser, il m'avait porté secours. Mes yeux tombèrent aux pieds de la table.

-Dis rien. J't'en supplie, me dis rien.

Une voix cassée, dans les aigus. Celle-ci même que j'arborais involontairement, là où j'étais le plus désemparé. Orme l'avait déjà entendue lorsque j'étais le plus à mal. Mais cette fois-ci, c'était une peine sans larmes qui m'étreignait. J'avais le sentiment d'avoir révélé le plus infâme aspect de mon être et, il me parut qu'assassiner une pauvresse innocente ne m'eût suscité plus important remord. Honte, Faiblesse, Dissension, mères impies du sentiment qui m'affectait.
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Orme regrettait les combats simples et violents, de blasters et de sabre laser, où l'on cherchait à survivre et à défaire plutôt qu'à sauver et ce qui s'opposait à lui n'était pas ce qu'il chérissait le plus. Il tentait à chaque seconde de trouver la force de soutenir des sentiments dont il ne sentait que trop clairement qu'ils étaient menacés, non par les circonstances, non par le hasard des idéologies personnelles construites au fil de l'existence, mais par quelque chose de plus profond et de peut-être inaliénable, par cette Obscurité qu'il avait sentie et dont il devinait désormais qu'elle n'avait pas été suscitée en son compagnon par les heures sinistres qu'il avait vécues, parce que ces heures n'avaient fait qu'exprimer une disposition longtemps enfouie.

En mêlant l'aveuglement à l'abnégation, Orme imaginait que jamais cette Obscurité ne se retournait vers lui et que jamais la haine et le rejet d'Ulrich ne l'envelopperaient. Au fond de lui cependant, il savait que le mal déjà progressait et que, en haïssant l'Ordre, les enseignements du Temple et la Voie du Jedi, c'était une partie de lui que le fugitif haïssait. N'était-ce pas après tout son contact, sa présence, qui avait suscité un si profond dégoût qu'Ulrich était maintenant prostré sur le sol ?

Cette pensée ébranla les forces du jeune homme. Il songeait à nouveau à cette main qui s'était posé sur la sienne et à la réaction qu'elle avait provoquée. Il ne parvenait pas à concevoir la profondeur de la révulsion qu'il inspirait à Ulrich pour le plonger dans un tel désespoir. Il supposait désormais que, quand son compagnon l'avait presque jeté hors du lit quelques heures plus tôt, la chose avait été volontaire, l'expression d'une répulsion profonde, plutôt que l'erreur d'un esprit embrumé de mauvais rêves.

Il en fallait beaucoup moins pour qu'Orme retrouvât sa native fragilité, et ses doutes, et ses inquiétudes. Jusqu'à ces minutes fatidiques, Ulrich, malgré les turbulences de leur relation, avait été une consolation perpétuelle et dans le regard que le jeune homme avait posé sur lui, Orme s'était toujours senti précieux et merveilleux. Mais ce regard pouvait-il tenir une seule seconde face à ce qui venait de se passer ?

Semblable à la Walkyrie qui quitte le monde des Dieux, et les serments, et les règles, pour secourir celui qu'on lui eût demandé d'abandonner à son destin, et qui l'avait fait avec joie d'abord, avec de lumineux chants de bataille, Orme se sentait à présent rejeté et il n'y avait plus d'apparence qu'on vînt jamais le délivrer d'une montagne enflammée. Orme laissa Ulrich se relever, puis se redressa à son tour.

Les paroles de son compagnon s'enfoncèrent rudement dans son coeur. Pas une seule seconde Orme n'envisageait que ce qu'Ulrich redoutait, c'était qu'il formulât, plus ou moins clairement, un jugement, une condamnation ou que, dans la pitié même dont il eût pu faire preuve, dans ses paroles de compréhension et de consolation, il y eût quelque chose comme l'accusation d'une faiblesse. Abusé par sa propre douleur, Orme ne voyait qu'une chose : qu'Ulrich ne voulait pas qu'il parlât parce qu'Ulrich le haïssait.

Orme était jeté au bas de son piédestal de héros et, les lèvres tremblantes, il sentait les larmes monter aux yeux, qu'il avait aussi tristes que ceux de n'importe quel adolescent. Sans doute sa présence incommodait-elle Ulrich. N'était-ce pas cela la conclusion évidente de ce qui venait de se passer ? Pouvait-il en comprendre autre chose et y avait-il quelque part où il pût tourner ses yeux pour ne pas voir cette vérité supposée ?

Il le rejetait — il le méprisait — il voulait le tuer, peut-être, comme le reste de l'Ordre. N'avait-il pas commencé par insulter sa morale, sa famille, ses propos, ses pratiques ? Ne l'avait-il pas ensuite repousser, encore une fois, avec un dégoût si violent qu'il en était presque maladif ? Ne s'était-il pas comporté de manière semblable en d'autres occasions ? Les larmes du guerrier Jedi commencèrent à couler.

Ulrich ne voulait pas voir. A cette évidence, Orme tourna les talons et partit se réfugier dans la chambre. Il n'avait pas encore tout à fait le courage de prendre ses affaires et de partir. Sa pensée n'allait pas si avant dans les entreprises et le futur et, l'intelligence abaissée par sa simple douleur, il ne voyait pas au-delà de cette simple impulsion : se cacher quelque part pour lécher ses plaies.

Il s'assit dans le lit d'Ulrich, les jambes relevées, attrapa l'oreiller de son compagnon et le serra contre lui — mais c'était décidément un piètre substitut. Fort heureusement, personne n'était là pour le voir pleurer à grosses larmes maintenant, renifler, sangloter, et offrir le plus pitoyable spectacle dont il était malgré lui capable.
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Orme s'en était allé. J'étais seul. Seul dans cette pièce vide. Vide comme mon esprit. Les battements de mon cœur se firent plus marqués, plus intenses, mais la cause n'était en rien liée à cette étrange crise qui m'avait ravagé. Non. Il était parti, et un creux infâme s'était formé dans ma poitrine. Néant.

Toujours au sol, dos au mur, je resserrai mes genoux contre mon torse, et mes bras enlacèrent mes jambes. Mon menton s'était établi sur ce nid de fortune, et j'observais le sol. C'était vrai. Comme je lui avais demandé, il n'avait rien dit. Pas un reproche. Pas une attaque... Pas un mot doux, ni une consolation. Mon regard balayait le sol, à l'endroit même qu'occupait précédemment la sentinelle. Rien. Personne.

Il m'avait porté son aide, et avait toujours fait preuve de toute sa bonne volonté pour me réconforter. Il était à croire que quelques secondes auparavant, j'avais franchi, bien malgré moi, l'absolue limite à sa compassion. Sans doute indigné, il avait quitté la pièce. Valeureux, il m'avait porté secours une ultime fois, pour apaiser la douleur qui me rongeait. Mais après, plus rien.

Je restai de longues minutes, prostré en boule contre ce mur. L'infect goût de l'acide régurgitation me piquait la gorge, mais son odeur n'en était pas plus amère que celle de la défaite. L'espiègle droïde ménager apparut alors depuis le couloir, et entreprit de laver les salissures répandues au sol. Alors, je me relevai, et partis en direction de la salle de bain pour purifier ma bouche et me laver les dents.

Ceci étant fait, je ne parvins à quitter immédiatement les lieux. Je toisais ce jeune homme tourmenté, face à moi, dans cette vitre semi-arrondie. Ses traits étaient tirés, et son regard inspirait la fatalité la plus angoissante. Je détournai alors mon regard du miroir, et observais la douche dans laquelle j'avais découvert Orme, en sang. Tout avait été nettoyé. Pourtant, je conservais le souvenir de ce corps fragile et dénudé, qui n'aspirait qu'à ce que je lui prête mon aide. Mon esprit vaqua alors à nos tendresses licencieuses, dans mon lit -ce même lit dans lequel, à mon insu, régnait toute la tristesse du monde. Je chassai de mon esprit ces agréables pensées, car la réalité était toute autre. Rien n'était plus pareil.

Je me situais dans la profonde angoisse qui succède un moment de crise entre deux personnes, mais qui précède celui de la réponse quant à l'état de la relation. L'apaisement ? La séparation ? J'errais en terre inconnue. Ce destin muet m'était insupportable. Et pourtant, je ne pouvais me résoudre à le rejoindre. Je lui avais fait du mal. J'avais révélé une nature infiniment abjecte à ses yeux. La Force avait séparé les lumières des ténèbres, marquant définitivement l'opposition qui nous caractérisait. Mais après cela, il avait pris la décision de partir.

Je n'avais pas entendu le coulissement typique de la porte du corridor, mais bien celui de celle de ma chambre. Si j'habitais ces lieux depuis peu, j'étais au fait des glapissements qui régnaient dans l'estomac de ma geôle, me digérant chaque jour un peu plus. Et sans Orme, j'étais fini. Sans lui, le combat serait vain, et inutile. Ce même combat, qui était orienté contre l'institution dont il était partie intégrante. Ces paradoxes s'entrechoquaient brutalement dans mon esprit confus.

Je quittai alors la salle de bains, pour me diriger où mes pas me mèneraient. Le corridor ? Trop oppressant. Autour de la table noire ? Chargée de mauvais souvenirs. Le fauteuil ? Trop facile. Je m'immisçai alors dans le couloir qui menait à la porte blindée, et à ma chambre. La porte était ouverte. Silencieusement, je m'y introduis. Un petit animal blessé mouillait mon oreiller, secoué par de violents sanglots. Les ailes de l'ange étaient tombées. Peut-être étaient-elles trop lourdes. Peut-être se montrer à son meilleur jour avec moi lui était-il trop insupportable. Il me parut que les effluves obscurs qu'il avait perçu en moi l'avaient conduits à cet état. Ses espoirs étaient brisés. Il pensait sans doute que j'étais devenu une chose monstrueuse, un porteur de l'étendard noir contre lequel il avait appris à lutter. Si cette éventualité était véritable, la pensée n'était pas tout à fait erronée.

Trois possibles chemins se présentèrent à moi. Le plus simple m'apparut en premier. Fuir. Quitter ce lieu terrible, fruit de la dissension, où mon aimé pleurait notre différence. Le plus attirant m'apparut en second. Me diriger vers cette fenêtre, et enfumer ces sombres événements dans la commotion d'une cigarette. Le plus évident m'apparut en dernier. La raison me poussa à le suivre, pour mieux observer jusqu'à quel territoire sibyllin celui-ci me conduirait.

Je m'assis sur le lit, à côté d'Orme. Des larmes. Des larmes. Encore des larmes. Des reniflements, des sanglots et des spasmes. Cette douleur du cœur était communicative. Un flot de chagrin monta alors en moi. Je tentai de lui faire face, par un immense barrage. Pourtant celui-ce ne tarda pas à être submergé par cet océan de mélancolie. Sa souffrance m'était insupportable. Ma gorge se serra, et mes yeux s'embrumèrent d'une eau salée.

Toute l'horreur de cette funeste pièce de ma vie me montait à la tête. Je voulais ne plus exister. Retourner dans le passé, parcourir l'avenir, peut-être même mourir, tout, pour ne pas affronter cet instant abominable. L'ange de toutes les vertus était à l'agonie, et c'était moi qui l'avais abattu. Il me parut alors que les tortures vécues sur Hapès étaient plus enviables que d'assister à celle de mon amant. Je ne l'avais jamais vu en pareil état. Et tout ça, c'était exclusivement de ma faute.

Je me laissai alors chavirer en arrière, les yeux embués de larme. Ce lit avait décidément connu les moments les plus extrêmes. Tout cela me dépassait. Aucun son ne sortait de ma bouche. Il me paraissait que la moindre de mes actions eût entrouvert la sinistre boîte de Pandore, dont les afflictions sommeillaient en moi. J'aurais aimé lui parler. Le rassurer. Mais il n'y avait rien à dire. Strictement rien à dire.
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Orme ne pleurait pas comme dans les fictions de l'holonet : les larmes ne descendaient pas silencieuses comme des majestés le long de ses joues, avec l'élégance de la plus poétique mélancolique, et il ne pouvait pas relever le menton pour opposer aux circonstances douloureuses du sort la noble indifférence d'un coeur supérieur à toutes les épreuves. Il avait les yeux rouges et il sanglotait, bêtement, comme la petite chose brisée qu'il était.

Peu à peu, les raisons de son désespoir se divisaient pour se présenter successivement à son esprit, avec plus de clarté, sans que sa douleur en fût pour autant moins considérable. Il voyait qu'il était malheureux parce qu'Ulrich sombrait dans le Côté Obscur, si toutefois il en avait jamais été séparé, qu'il était malheureux parce qu'ils ne connaissaient pas une journée de parfaite quiétude, qu'il était malheureux, encore, parce que son compagnon l'avait rejeté.

Et quelque vertueux que fût Orme, l'Obscurité de son compagnon lui importait moins en ce moment que la conviction qu'il ne voulait plus de lui. C'était cela, surtout, qui le dévastait : cette main qui n'avait pu toucher sereinement la sienne, sa voix qui lui avait imposé le silence et, lui avait-il semblé alors, une sorte d'exil. Ce n'était que parce que l'Obscurité l'éloignait d'Ulrich qu'il la regardait en cet instant comme une chose détestable.

D'ordinaire, il eût trouvé des raisons de se conforter. Il eût songé aux nombreux exemples de l'histoire des Jedis dans lesquels un Chevalier plus disposé à l'Obscurité qu'à la Lumière avait vécu une existence parfaitement conforme aux préceptes de l'Ordre, il eût songé aux Jedis Gris qui n'étaient pas des tueurs sanguinaires, il se fût représenté que lui-même n'était pas l'exemple de l'innocence et du pacifisme, et ces réflexions, qui pour être bienvenues n'en étaient pas moins exactes, eussent apporté un apaisement à ses tourments.

Mais en cet instant, il ne pouvait songer qu'à deux choses : qu'Ulrich ne voulait pas qu'il le touchât et qu'Ulrich ne voulait pas qu'il lui parlât. Ces deux pensées simples tournaient encore et encore dans son esprit dépeuplé, y faisait naître de nouveaux sanglots et la tristesse s'entretenait elle-même. Peu habitué à céder à ses émotions, Orme en était d'autant moins capable de les contrôler et ainsi ne pouvait-il que se contenter de se sentir misérable.

Il avait perdu toute impression du temps et, quand Ulrich se présenta dans la chambre, il lui semblât qu'une éternité s'était passée. D'abord, Orme songea que c'était par erreur que son compagnon venait dans cette pièce. Puis il supposa qu'il venait faire ses valises, ou bien lui demander de partir. Ou bien encore qu'il se contenterait de fumer une cigarette. Comme tout esprit malheureux, celui du Padawan était prompt à trouver dans les choses les moins probables de nouvelles raisons de se lamenter.

Mais Ulrich s'assit à côté de lui. Voilà qui déjouait ses pronostics ! Emporté par ses propres sanglots, Orme continua à pleurer encore un peu, puis la nouveauté de la situation ayant fait enfin impression sur son âme, ses larmes s'étouffèrent et le jeune homme resta un peu interdit. Cette chose imprévue, son esprit dévasté peinait à s'en saisir et à la manipuler. Au bout d'un long moment de silence, la voix d'ordinaire douce du Coruscantien s'éleva un peu rauque dans le silence et interrogea craintivement :

— Tu m'aimes ?

Il était trop triste pour se sentir gêné ou ridicule en posant une semblable question. Mais, sans laisser à Ulrich le temps de répondre et ne songeant plus que son compagnon lui avait interdit de parler, pressé par l'angoisse qui l'agitait, Orme reprit aussitôt :

— Parce que... Parce que... J'peux pas. J'peux pas rester sans toi. J'ai plus personne — mon maître est mort et — et y a plus que toi et — et j'croyais que, qu'on était bien, ensemble, tous les deux, que ce serait compliqué, mais qu'on était bien, toi et moi et — j'voulais qu'on passe un bon après-midi, et que ce soir tu sois contre moi, et qu'au moins ces quelques heures, elles soient séparées de tout le reste, et puis, et puis...

Orme sentit les larmes lui revenir aux yeux. Il prit une profonde inspiration pour se calmer autant que possible et tenta de conclure :

— Mais toi, tu m'insultes et tu me pousses hors du lit et tu veux pas que je te touche, et tu veux pas que je te parle. Et ça se trouve, je te dégoûte, et tu me trouves nul, et tu regrettes que je sois là, et, je sais pas, au début je pensais que c'était le reste, mais là, je me dis que c'est moi, c'est moi, je fais pas les choses comme il faut, ou... ou... je suis pas la personne que tu voudrais, tu t'étais dit que si peut-être, mais tu me connaissais pas bien, et maintenant tu te rends compte que non, alors du coup tu regrettes, et...

Bon. Ce n'était pas très probant, mais il avait dit ce qu'il éprouvait le besoin de dire. Prenant brusquement conscience que ses paroles risquaient comme son esprit de ressasser indéfiniment ses malheurs, il s'interrompit brusquement et se recroquevilla encore un peu plus contre le montant du lit, comme s'il avait nourri l'espoir de se fondre dans le mur.
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L'amour est chose aussi difficile que délicate. Orme s'était exprimé, dans un premier temps, par une question. Question à laquelle j'avais déjà répondu au matin. J'avais éprouvé, dès sa venue, le besoin de lui expliciter mes sentiments, chose peut-être trop hâtive, mais que je n'étais parvenu à contenir. J'avais pourtant toujours tenu en horreur les hommes et les femmes qui, après quelques jours d'une relation légère -là même où celle nouée avec Orme avait été presque inexistante en terme de durée, déclaraient leur flamme.

Pourtant, je n'avais su me contrôler, et lui avais dévoilé mon sentiment le plus intime. Cette incontrôlée précipitation m'avait-elle à ses yeux décrédibilisée ? Orme était lancé. Il poursuivit ses explications, en me faisant part de ses espoirs, et en prononçant ses attentes quant à notre union. Il souhaitait ces avancées de façon légitime. C'était un fait, nous n'avions passé plus de deux heures consécutives totalement apaisées qu'à de rares moments. À l'opéra d'Iziz, dans doutes. Puis, à nos instants de sommeil. Mais lorsque nous agissions, tout était prétexte pour mener au cataclysme. Le navire qui symbolisait notre couple se verrait bien dans l'incapacité d'avancer, si quelques vents ne déployaient pas ses voiles. Pourtant, de trop imposantes tempêtes sont dangereuses, et nous avions très exactement occasionné un cataclysme, peut-être le plus violent connu jusqu'alors.

Alors que je ne pouvais jusque là qu'être d'accord avec ce qui venait d'être déclaré, il m'accusa alors de l'avoir poussé du lit volontairement. De l'avoir repoussé. D'avoir refusé d'engager la conversation. Une aiguille fuselée jugula la récente progression des espérances que je plaçais encore en nous. Mes yeux humides laissèrent une, puis deux larmes se frayer un chemin. Je devais rester fort, solide, dresser une muraille dense comme l'acier, et ancrer ma protection de manière indéracinable. Je me dirigeai alors en direction de la fenêtre, et allumai la cigarette qui m'avait tout à l'heure taraudé l'esprit. Après une bouffée de l'impur objet de mes addictions, je lançai quelques mots effrontés, malgré la faiblesse de ma voix, qui naissait d'une gorge nouée.

-J'ai jamais entendu un tel flot de conneries.

Il m'avait disgracié. Car de façon sous-jacente, son esprit m'avait envisagé comme un calomniateur.

-T'as l'impression qu'à un seul moment, je t'ai menti ?

Je ne pouvais pas perdre. Il en allait de mon honneur, et de ma dignité. Mais s'il était théoriquement possible de trouver du plaisir à mener toute joute orale, je ne me contentais cette fois-ci qu'à dissimuler la tristesse, dont les bras enserrait mon cœur.

-J'peux pas croire que tu sois sérieusement en train de dire ça. Que tu souffres d'une sacrée carence de confiance en toi, je veux bien le croire. Mais là, tu fais vraiment fausse route. Alors, c'est comme ça que tu me voies, en fait ? Un manipulateur ? L'espace d'un instant, t'as pas réfléchi au fait que tu pouvais avoir mal compris la chose ? Non. Apparemment, j'suis rien d'autre qu'un mec qui abuse de toi, qui vise rien d'autre que de t'avoir au pieu, à la limite, et au pire, de te virer rapidement de chez lui.

Voilà ce qui s'appelait communément, se braquer. Ma voix, progressivement, s'était modifiée. Mon armure de glace s'était reconstituée. De nouveau, j'étais le Ulrich froid, condescendant, et impétueux qu'Orme avait rencontré. La cause était simple. Si mon amant était parvenu à me désarmer, il le devait uniquement aux vérités qu'il énonçait, ne m'en déplaise. Mais, dépourvu de ces armes désarmantes, il se montrait incisif de façon injuste. Sa clairvoyance avait disparu, emportant dans son départ les sœurs sagesse et vertu.

-T'es médiocre. T'agis de façon médiocre. J'peux pas te laisser penser des choses pareilles.

Premier signe de faiblesse. Je ne pouvais pas le laisser penser des choses pareilles, parce que ça me faisait mal. Il doutait de moi. Comment idolâtrer quelqu'un qui n'a lui-même pas foi aveugle en vous ?

-J'ai confiance en toi, moi.

J'aurais pu lui dire que moi non plus, je ne comprenais pas. Je n'avais aucune idée de ce qui s'était passé, lorsque le contact de sa main avait suscité une réaction si intense. Malheureusement pour lui, il s'était avancé sur un terrain qui ruinait mon ego. Et plus probablement, qui mettait en danger notre relation. Ma réaction n'avait rien de pragmatique. Sous couvert d'une distance évidente et d'un ton arrogant, les émotions parlaient. Il était impensable que je fléchisse. Je ne pouvais pas me contenter d'être le faible petit Ulrich, remuant son infortune, déblatérant des paroles acides sur ses ennemis, mais se terrant comme le pleutre qu'il était devenu. Non. En cet instant, je n'étais rien d'autre qu'un garçon parmi tant d'autres, amoureux et blessé.

-T'insulter... Te jeter du lit...

Je ruminais avec aigreur ce qui avait été dit à mon encontre. Ma cigarette était à semi-consumée, disparue dans l'air de Coruscant. En revanche, l'opprobre dressée à mon égard avait causé en moi une plaie d'orgueil béante, qui contenait une tristesse, à l'image de mes convictions concernant la République de Kuat, solide, intègre, une et indivisible. Le garçon m'avait humilié. Il avait bafoué cette confiance mutuelle, dogme muet qui avait consolidé le pont qui reliait mon âme à la sienne, distantes de quelques dizaines de galaxies.
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Orme ne pleurait plus : il regardait fixement le lit, devant lui, sans vraiment le voir, et son souffle, soulevant lentement sa cage thoracique, l'hypnotisait presque. Comme souvent les grandes émotions, sa douleur avait éteint en lui pour quelques secondes la faculté de penser et, immobile comme une plante ou un rocher, il se contentait de vivre, seule activité élémentaire dont il fût encore tout à fait capable.

Il lui semblait qu'il pouvait demeurer ainsi, que cela c'était possible, cette chose, cette seule chose (rester assis, respirer, regarder dans le vide), était encore dans la mesure de ses moyens, elle n'était pas plaisante, certes, mais enfin, elle n'était pas désagréable, surtout elle n'impliquait aucune modification, elle était la même, précisément la même, une seconde après l'autre, par conséquent aucune déception nouvelle, aucune augmentation de sa douleur, simplement ça, là, pour toujours, oui, sans doute, c'était possible.

Naturellement, la première syllabe prononcée par Ulrich le tira de cet abattement, concentra les forces de son esprit et les enjoignit de partir à la recherche d'un réconfort — puisqu'il devait y en avoir un, il fallait qu'il y en eût un. Le ton incisif de son compagnon brisa aussitôt ces espoirs cultivés au fond de la détresse, comme une ressource secrète et cachée, mais engagée trop tôt pour pouvoir longtemps servir.

Orme s'en rendait compte désormais, il avait songé que, peut-être, il y aurait une petite chance pour qu'Ulrich lui présentât des excuses, pour qu'il expliquât les choses, pour qu'il se défît de son orgueil de grand fauve blessé, juste assez longtemps pour le prendre dans ses bras et le rassurer. N'était-ce pas comme cela que les choses étaient censées se passer, se passaient normalement ? Il n'en était pas certain — mais il croyait pourtant — il avait cru comprendre — que c'était comme cela.

Mais l'âme du Padawan n'était pas assez ductile pour être longtemps façonnée par la tristesse. L'injustice vivement ressentie des propos de son ami éveillait en lui le désir de résister, de se battre, de ne pas se laisser jeter de droite et de gauche par des humeurs qui lui demeuraient hermétiques et dont il lui semblait que jamais il ne pourrait tout à fait saisir le sens. Un instinct de survie à toute épreuve empêchait Orme de se laisser longtemps abattre.

— Incroyable.

Orme rejeta le coussin, se leva du lit et posa son regard sur le dos d'Ulrich.

— Moi, j'ai pas envisagé que j'avais mal compris les choses ? Quand tu m'réveilles en m'jetant par terre et que j'te prends dans mes bras, c'est parce que j'crois que t'es un salaud ? Quand tu dis que tu songes à tuer mes amis, que ma morale et mon honneur sont flexibles, que tu me touches et que ça fait vomir, et que moi j'essaye de te calmer, c'est parce que j'crois que t'es un salaud ?

C'que j'ai dit, c'est pas des conneries. Ces choses-là, tu les as faites. Je les ai pas interprétées. J'ai juste dit qu'elles me faisaient peur. J'suis désolé de pas être un super grand sage et toujours raisonnable, et d'encaisser coup après coup en me disant que ça a rien à voir avec moi. Désolé d'être médiocre. Tu sais quoi ? Tu m'aurais pas bien fait sentir que ton niveau d'exigence, ta morale et ton honneur étaient tellement supérieurs aux miens que j'aurais sans doute continuer à serrer les dents en me disant que c'était pas moi ton problème.

Alors tu vois, j'dois être un peu égocentrique et tout de temps en temps, mais quand on me dit ce genre de choses, j'ai tendance à les prendre pour moi. Et puis toi, t'arrives, et tu joues les victimes. Tu dis que je te traite de manipulateur ou de séducteur. Mais c'pas ça la question. C'pas ce que j'ai dit. Mes peurs, elles sont là pour t'offrir un nouveau rôle à jouer.

Et ça, c'est c'que tu fais à chaque fois que ça s'passe mal. J'te parle pas de la République, ou de Hapès, ou de quoi que ce soit dans cette affaire. C'était avant ça. C'est toujours comme ça. Tu t'empresses de te choisir un personnage et tu t'enfermes. J'ai jamais pensé que t'étais un manipulateur, j'l'ai jamais dit, j'ai jamais rien fait qui pouvait le laisser croire, ni que tu voulais juste m'avoir au pieu comme tu dis, même si j'espère bien que si.

Bon, ce n'était pas tout à fait la manière dont il avait songé à conclure son discours, mais à vrai dire, Orme n'avait pas beaucoup médité la structure de son argumentation. La gorge sèche et la voix un peu rauque, il faillit laisser le silence s'installer puis, d'une voix beaucoup plus douce, beaucoup plus calme, et presque timide, il glissa :

— J'voulais juste que tu me prennes contre toi et que tu me dises que ce n'était rien et que j'étais toujours le garçon le plus mignon de la Galaxie... Ou de Coruscant... Ou de l'immeuble.
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J'encaissais les attaques incisives de mon compagnon, un sourcil froncé -le gauche, un sourcil arqué -le droit, tout en ponctionnant sur le filtre de cette cigarette. Je devais paraître invulnérable, inaliénable, ubique, en somme. Pourtant, un désordre probant germait dans mon esprit. Il se défendait, chose normale. C'était un guerrier. J'avais usé d'armes trop violentes pour que celui-ci ne me rétorque purement par la diplomatie. À l'heure où les discussions s'échauffent, la remise en question et la pacification ne pouvaient être au rendez-vous.

Son flot de paroles se mêlait aux centaines de vaisseaux qui bourdonnaient dans les couloirs aériens de Coruscant, en dessous, au-dessus, et plus loin, à des kilomètres. Mes doigts se crispaient sur ma cigarette. Alors, je lui faisais ressentir que ma morale et mon honneur était infiniment plus hauts que la sienne ? Je m'étais établi au-dessus de lui, condescendant et supérieur ? Impensable. J'avais fait preuve d'humilité, depuis l'instant où il avait pénétré dans cet appartement. Comment pouvait-il me dire ça ? Je mordillai ma lèvre inférieure, essuyant ses offensives brutales.

Orme acheva son réquisitoire, et virevolta sur un apaisement qui n'avait nullement sa place. Décidément, tout cela était...

-Trop facile.

J'écrasai ma cigarette dans le cendrier, tout en réfléchissant à ce que j'allais rétorquer à Orme. Son discours était abrupt, mais il y avait une part de vérité. Cela dit, il avait continué un certain nombre d'attaques déplaisantes, qui ne pouvaient être enfouies sous quelques mots doucereux. Mon côté pragmatique émergeait. Je ne pouvais rester dans des attitudes purement émotionnelles. Il fallait régler ça, tout simplement, par la voie de la raison. J'entrepris alors de m'asseoir sur le lit, en tailleur, les coudes sur les genoux, en toisant les yeux rougis de mon compagnon. Les miens étaient neutres, comme à chaque fois qu'il m'était nécessaire de me protéger.

-J'te prendrai pas dans mes bras, non. Pas avant qu'on ait réglé ça. À l'évidence, on a un soucis à régler, le fuir me paraît pas être une bonne idée.

Je laissai quelques secondes de silence s'installer entre nous, imposées par une mine blafarde, exprimant à Orme que la situation était grave.

-Alors, non, j'estime pas m'être placé au-dessus de toi. Ni par ma morale, ni par mon honneur. T'as des valeurs, je l'ai toujours reconnu, et même si certaines diffèrent des miennes, c'est pas un problème en soi. On a des divergences, c'est certain. Pourtant, toi et moi, on a soufferts de notre séparation, en toute conscience qu'une galaxie séparait nos idéaux. Pour te répondre, oui, je t'aime. Et je te l'ai déjà dit. C'est pas parce qu'on se gueule dessus que ça change quelque chose.

Première étape de ma rhétorique, validée.

-Mais voilà. Si on se prend la tête, c'est parce que tu penses que tu me dégoûtes. La vérité, elle est pas là, Orme. J'ai pas compris ce qui s'est passé tout à l'heure. Tout à l'heure, quand on était dans ce lit, j'pense t'avoir prouvé que t'es pas du genre à me faire vomir. Si tu me plaisais pas, je me forcerais pas. Ouais, je m'enferme, vois-le comme ça si tu veux. Si tu penses qu'être vexé par tout ce que tu m'as dit, ça se traduit par ça, à l'évidence, même si on n'est pas d'accords sur le sens du mot "enfermement", en tout cas, oui, j'agis sur la défensive. Parce que je peux pas laisser passer tout ce que tu me dis. T'oses dire que je regrette que tu sois là. Et ça, ça me fait mal. Parce que ta venue, je l'ai espérée de tout mon cœur, et maintenant, j'ai qu'une chose en tête, même si c'est mal. T'empêcher de partir. Alors prétendre que je suis déçu que tu sois à mes côtés, c'est me prendre pour un menteur, quand je te dis que je t'aime, quand je t'embrasse, et puis... et puis voilà.

Je pris une grande inspiration, pour marquer une pause. Mes yeux s'étaient rivés sur les draps froissés de ce lit, davantage pour éviter son regard quelques instants que pour toiser les détails du matelas. Mon regard glissa alors sur son corps, pour s'amarrer de nouveau dans ses iris.

-Ouais, j'ai vomi. Et j'sais pas pourquoi. Mais ça avait rien à voir avec toi. Enfin... J'sais pas. C'est un truc qui me dépasse. Tu me séduis, tu m'attires, c'est indéniable. Mais y avait autre chose. Un paramètre qu'on a jamais pris en compte. On a grandi, arme à la main, avec des prédispositions que n'ont pas la plupart des êtres de cette galaxie. On a été éduqués au Temple, c'est pas anodin. On a du talent, Orme. Tous les deux, on a du potentiel. Toi, t'en as, je suis certain. Je pensais pas vraiment en avoir dans ce domaine, jusqu'à deux ou trois semaines en arrière. J'utilise pas la Force de la même façon que toi. Je peux pas. C'est dans ma nature vindicative. Je l'ai compris. Mais maintenant, je sais que j'ai des possibilités. Des possibilités énormes. Et j'entends bien les exploiter.

Cette référence aux arts noirs était en droit de faire frémir Orme. Mais les faits étaient là, et il fallait à présent les expliciter. Si nous ne passions pas par cette étape, aussi âpre fût-elle, nous ne pouvions résoudre l'écueil qui s'était posé à l'avancée de notre relation.

-Quand je t'ai touché, j'ai senti un truc que j'avais encore jamais perçu avec toi. On n'est pas faits du même matériau. Et y a un truc qui s'est emballé en moi. Ça m'a fait mal. Physiquement, je veux dire. C'est comme si... Comme si un truc énorme s'était produit. Ça relevait pas de ton ressort, ni du mien. C'était lié à nos prédispositions, à notre usage de la Force. La Force, c'est quelque chose d'universel. Tout le monde a un caractère. Y a des débiles, des pleurnichards, des gens intelligents, des gens lâches, des personnes cupides, des personnes généreuses. Pour ce qui est de la Force, ça doit être pareil. Tout le monde n'a pas la même maîtrise que ne l'impose le Temple. Je suis pas superstitieux. J'irai pas dire que le destin m'a offert quelque chose, et que je dois m'en servir, par reconnaissance. Non, je suis juste pragmatique. J'ai des choses à accomplir, je suis dans un moment difficile de ma vie, et pour me relever, j'ai besoin de ça. J'ai pas l'ambition d'avoir une existence médiocre. Et médiocre, tu l'es pas non plus. J'étais énervé.

Je plaçai alors mon regard se posa alors sur la gauche d'Orme, du côté du mur.

-Excuse-moi. T'es quelqu'un de bien, je le pense vraiment.
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Orme manqua de fondre à nouveau en larmes quand son compagnon refusa de le prendre dans ses bras. Il avait l'impression que l'existence lui avait offert quelque chose pour le lui retirer quelques secondes après et que les fugaces instants de douceur passés auprès d'Ulrich n'avaient été destinés qu'à susciter en lui une douloureuse frustration. Comme il lui semblait qu'il ne pouvait rien — absolument rien faire, une sensation toute nouvelle s'imposait à lui : l'impuissance.

Le Padawan n'avait jamais vécu une relation humaine à peu près normale — ni avec ses parents, ni avec ses amis, ni avec un compagnon. Pour ses parents, il avait été l'enfant malade que l'on regardait avec une peur mêlée de pitié, une sorte de malêtre presque religieux pour cette chose inconcevable : la vie qui se formait déjà mourante. Pour ses amis, si toutefois il en avait vraiment, il était un camarade lunatique, tantôt imposant, tantôt fuyant.

Il ne savait pas ce que c'était qu'une dispute fructueuse, il ne concevait pas qu'après des mots rudes et de vives douleurs, il venait des explications, que la tempête était nécessaire à la floraison. A ses yeux, il n'y avait là qu'un désastre sans lendemain et nulle part aucun horizon pour que le soleil se levât à nouveau. Alors quand Ulrich déclara que ce qu'ils avaient, ce n'était pas une apocalypse, mais un souci, que ce souci pouvait se régler et qu'il se règlerait non en changeant le monde mais en discutant, quelque volonté qu'Orme eût d'afficher un regard déterminé devant sa détresse, il ne put empêcher ses yeux de peindre son incompréhension.

Comme un enfant pris en faute, il écouta le discours d'Ulrich, les yeux rivés sur ses orteils. Il lui semblait peu à peu que sa colère et son violent désespoir laissaient la place à une tristesse plus calme et mieux disposée ; il entendait les raisons de son compagnon et devinait la manière de mieux exprimer les siennes — et cette discussion qui suivait une violente dispute était sans doute la leçon de diplomatie la plus productive qui lui eût jamais été donnée.

Quand Ulrich eut fini de parler, Orme resta un instant debout, silencieux et songeur, puis à son tour il s'assit en tailleur sur le lit, en face de son compagnon. Timidement, il tendit une main pour prendre celle du jeune homme.

— Je suis désolé.


Du bout des doigts, il caressait la paume d'Ulrich.

— J'ai peur, c'est tout. Je ne sais pas trop comment l'expliquer. C'est juste que la première fois qu'on s'est vu, je ne t'ai donné à voir qu'une petite partie de mon caractère. Orme posé, Orme réfléchi, Orme végétarien et pacifique. Toi, tu t'es livré, mais moi, c'est un peu comme si je n'avais été que de profil. Et c'est avec cette image de moi que tu es parti. C'est cette image que tu avais à l'esprit quand tu m'as appelé ici. Mais comme je ne peux pas être tout le temps comme ça, pas entièrement, j'ai peur que ce que tu découvres de plus, de différent, que ça te déplaise, que ça te déçoive.


Lentement, ses doigts remontaient le long du bras d'Ulrich, pour descendre à nouveau vers sa main, et Orme, n'osant pas lever les yeux vers ceux de son ami, suivait du regard cette danse légère.

— Ce n'est pas une question de politique ou même de religion. Je ne devrais pas te dire ça sans doute, mais la Force... La manière dont nous y sommes, toi et moi, eh bien... Je ne sais pas. C'est inquiétant sans doute. Je m'inquiète pour toi. Mais je ne suis pas orthodoxe, ça, tu le sais, et ce sont les actes qui comptent. Ce qui me fait vraiment peur, ce sont les conséquences par rapport à moi. Qu'on soit si différents, j'ai peur que ça ne te convienne pas.


Orme esquissa un sourire un peu triste, pour lui-même.

— Je sais que je ne suis pas le mieux placé pour juger de moi-même. De toute évidence. Mais il me semble que je suis moins... Moins intelligent que toi sans doute. Moins cultivé, certainement. Moins élégant.

D'un geste de tête, il désigna le chandail resté à terre.

— Quand tu me prêtes des vêtements, j'ai un peu l'impression de mettre un masque. Pas très confortable. Bref. Quand tu dis qu'on est différents et quand tu exprimes les choses de manière un peu... brutales... J'ai toujours peur que ce soit parce que tu t'es rendu compte que je suis en-dessous de toi. C'est pas très rationnel, je sais. Et... Et pas très juste. Et je suis désolé. Mais pour l'instant, j'arrive pas à faire autrement.

Finalement, les yeux du Coruscantien se relevèrent vers ceux de son interlocuteur.

— Tu sais qu'en vérité, je suis pas calme du tout. J'ai un sale caractère et des sautes d'humeur. Mais je ferai des efforts. Beaucoup d'efforts. C'est promis.
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Spoiler:


Le climat était apaisé. Nous étions parvenus à dompter cette rage bouillonnante, ces avalanches destructrices, qui se seraient brisées l'une contre l'autre, si l'on n'avait mis terme à leur route. Sa main se posa sur la mienne. Cillement de paupières. Mon regard se radoucit, dans une expression propre à une tendresse un peu distante. À mi-chemin de la tirade de mon compagnon, ma main libre se posa sur son genou, que je caressais doucement avec mon pouce.

Orme avait conscience de cette énergie obscure qui me parcourait. Il ne me fuyait pas, ne m'insultait pas, ne tentait pas de me raisonner. Une certaine sérénité se forma en moi. Le tabou avait été brisé. J'étais destiné à un apprentissage de loin différent du sien, et il ne tenterait pas d'interférer en cela.

-Ouais... Je sais que tu m'as pas tout dévoilé la première fois. J'étais pas dupe. C'est ce qui rend la chose intéressante. Ce serait nul, si je savais tout sur toi dès le début.

J'esquissai un léger sourire en coin. Le premier, depuis beaucoup trop longtemps. Les tourments s'effaçaient, pour laisser place à une relation plus digne, à la hauteur de ce que nous étions, et ce, malgré nos divergences.

-Les seuls efforts que t'as à faire, c'est tout simplement de me faire confiance. Je peux pas l'expliquer, mais je sais que t'es le bon. J'dis pas qu'à 60 piges, on sera toujours main dans la main. Mais pas à un seul instant, depuis que tu es ici, je n'ai regretté que tu sois venu. Et je peux te jurer que quand je t'ai poussé du lit, c'était à cause d'un sale rêve.

Les choses s'amélioraient. Des cendres de la guerre, naissait une harmonie plus forte, encore. Des non-dits avaient volé en éclat, je retrouvais mon Orme, et il retrouvait son Ulrich.

-Moi aussi, j'ai sûrement des efforts à faire. J'te fais peut-être sentir que je contrôle tout, que je sais toujours ce que je fais... Parce que je pense que c'est une bonne chose de se mettre dans la tête une chose pareille. Mais des fois, j'suis vraiment pris au dépourvu et... puis j'ai pas toujours raison. Et c'est bien que tu me le dises.

Je retirai alors mes mains des siennes, pour mieux me lover contre lui. Ma tête s'invita sur son ventre, et j'expirai de satisfaction. Les tumultes de la haine avaient été congédiés, et une douce quiétude me parut nous embaumer tous deux. Je retrouvais ce lien tendre qui nous unissait.

-Je pense que si on s'est tant pris la tête... C'est justement parce que... On sait que... Enfin nan, c'est débile.

Voyons. J'intimais à Orme d'avoir plus de confiance en lui, et de ne pas se disgracier. L'imiter n'était pas lui faire bon exemple. J'entrepris donc de poursuivre le développement de ma pensée, aussi maladroit qu'il fût.

-J'veux dire. On s'est pas vus depuis super longtemps, mais pourtant, chacun de notre côté, on voulait absolument se revoir. Il s'est passé un truc, c'est stupide de le nier. Tu sais que t'as besoin de moi, je sais que j'ai besoin de toi. Mais on se connaît pas encore assez. Du coup... Le moindre truc qui pourrait nous éloigner nous effraye, et puis, on sait pas toujours comment s'y prendre l'un avec l'autre. Enfin, je sais pas si tu comprends ce que je veux dire, mais j'suis sûr que ça joue. On se connaît pas assez bien sur la forme, mais on est déjà ancrés l'un à l'autre.

Quelle confusion. Peu importait, je l'avais dit, c'était tout ce qui importait. Blotti contre son torse dénudé, tout le reste était futile et dépourvu d'intérêt.

-Je crois que je te l'ai jamais dit, mais je te respecte vraiment beaucoup, Orme. J'peux pas me passer de toi, c'est une chose. Mais objectivement, y a pas plus combattif et courageux que toi. Tu peux être fier de ce que t'es.
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C'était donc à cela que servaient les disputes — certaines disputes. Orme était toujours convaincu que, la prochaine fois qu'il se disputerait avec un Chevalier du Temple (donc, la prochaine fois qu'il se rendrait au Temple), il n'en tirerait aucune satisfaction d'aucune sorte et que certaines choses étaient vouées à demeurer de permanents conflits, mais il comprenait à présent qu'il y avait d'autres sortes de discussions un peu vives dont l'on ressortait grandi.

Il fallait à l'avenir avoir confiance en Ulrich mais, surtout, confiance en lui-même, en sa capacité à garder près de lui un être qu'il trouvait précieux. Orme abandonna sa position de tailleur pour s'allonger sur le lit alors que son compagnon venait se blottir contre lui et glissa une main dans les cheveux du jeune homme, en observant le plafond de la chambre d'un air un peu songeur.

Il se sentait bien — soulagé — rassuré. Il avait la même sensation qu'il éprouvait en retrouvant les jardins du Temple, en rentrant d'une mission périlleuse, qui avait été pleine de difficultés, mais qu'il était parvenu à mener à bien. Les douleurs et les doutes nés des obstacles se dissipaient et il ne restait que la certitude d'avoir progressé, d'avoir fait finalement au mieux.

Il était content surtout qu'Ulrich eût compris ce qu'il cherchait à dire, maladroitement, comme à son habitude. C'était exactement cela : ils s'étaient rapprochés si vite qu'ils n'avaient pas pris le temps de se connaître. Ils s'étaient fiés à leur intuition, comme souvent les Jedis, mais la décision qu'ils avaient prises ne les engageait pas pour les quelques secondes d'un combat — elle était plus importante et plus complexe.

Glissant sa main libre derrière sa nuque, laissant l'autre vagabonder dans les cheveux de son amant, Orme laissa échapper un long soupir satisfait. Cette fois-ci, son silence n'était pas une fuite et son laconisme ne naissait pas de son inconfort : il était parfaitement d'accord, parfaitement apaisé. Pendant de longues minutes, il resta ainsi, gardant Ulrich contre lui dans une étreinte protectrice. Mais il avait compris que pour mieux se connaître, il devait se livrer plus aisément, ne pas attendre que son compagnon vînt lui extirper quelques rares mots à interpréter. Comme à son ordinaire, Orme était déterminé à accomplir les efforts qu'il avait projetés.

— Je ne le suis pas.

Se rendant compte que les minutes qui séparaient sa réponse des dernières paroles d'Ulrich ne favorisaient pas leur compréhension, il s'empressa de préciser :

— Fier de moi : je ne le suis pas. Je fais ce qui me semble juste. On ne devrait pas être fier de ça, ça devrait être juste normal. Et puis... Parfois, j'aimerais régler les choses un peu moins violemment. Négocier, tout ça. Ca doit être aussi pour ça que j'me trouve bête. Parce que je suis pas assez doué avec les mots.


Sa main était descendue le long du dos de son compagnon pour se glisser sous le haut du fugitif et retrouver cette peau qui lui était si plaisante.

— La vérité, c'est que j'aime bien me battre. J'devrais sans doute pas. Mais c'est juste... Je sais pas. Avec un sabre laser, je sais que je maîtrise. C'est un peu grisant. Et puis c'est la seule chose sur laquelle tout le monde s'accorde pour me faire des compliments. Le reste du temps, je suis le Padawan colérique... ou taciturne... ou dangereux.


C'était bien la première fois de son existence qu'Orme se livrait ainsi, sans chercher à distinguer dans ses propres les choses importantes des détails anodins, sans s'interroger sur l'intérêt que pouvait porter son interlocuteur à des éléments aussi insignifiants de son existence. D'un nouveau soupir, il balaya ces considérations un peu lointaines cependant, pour en revenir à leurs projets présents.

— Bref ! Où est-ce que tu veux aller, cet après-midi ? J'te ferais bien visiter mon appartement pendant que mes parents sont au travail, mais à vrai dire, vu les dimensions, ça nous prendra pas plus d'une minute.

Ce changement de sujet trahissait malgré tout que l'embarras qu'Orme éprouvait à se dévoiler n'était pas tout à fait dissipé. Parler, c'était une chose, mais laisser s'installer le silence pendant lequel il savait que ses propos tourneraient dans l'esprit de son compagnon était encore une étape un peu difficile pour ses faibles moyens.
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Le calme, après la tempête. Auprès de mon aimé, j'appréciais le goût de la victoire. La guerre est, en amour, chose très étrange. Elle est la seule à, lorsqu'elle oppose deux personnes, n'aboutir que sur une défaite, ou une victoire commune aux deux belligérants. Nous avions vaincu le spectre de la dissension, et nous reposions après cette âpre bataille.

Le padawan évoqua alors ce pourquoi il n'avait pas confiance en lui. Il se savait doué à la lutte, mais se considérait plus mauvais dans les autres domaines. Peut-être qu'après tout, s'il aimait tant se battre, cela était uniquement lié au fait qu'il ne pouvait s'amuser que là où il excellait le plus. Mon visage glissa de son ventre, et se nicha contre son torse. Joue contre cœur, je posai ma main sur sa hanche.

-Je vois ce que tu veux dire. C'est normal. On a tous besoin de reconnaissance. Du coup, tu ne tires du plaisir qu'à l'escrime, parce que tu sais que tu y excelles. Les autres te disent que t'es bon à ça, et tu es flatté, donc tu as envie de te battre, toujours plus, pour être aimé de tous. Du moins, être reconnu, et imposer le respect. C'est humain. Mais vu le nombre d'hololivres qui trainaient dans ta chambre, je suis sûr que t'es pas si bête que tu tentes de me le faire croire.

J'avais achevé ma phrase sur une voix un peu amusée. Définitivement, le fruit de la discorde avait été écarté. Je pensais alors à sa dernière proposition. Je ne parvenais à savoir s'il était sérieux ou non. Mais si tel était le cas, j'allais avoir l'honneur d'aller chez Orme. Pas dans son dortoir au Temple, non. Chez lui. Là où il était probablement né, là où, probablement, il avait grandi, et là où, sans doute, il avait passé une enfance morbide. Ses paroles quant aux guérisseurs Jedi, bien plus positifs que les médecins qu'il consultait plus jeune, me revinrent en mémoire. À quoi pouvait bien ressembler la vie d'un petit garçon, que l'on déclarait condamné ? Je serrai un peu plus mon compagnon contre moi.

-Si c'était sérieux, je suis d'accord pour aller chez toi. Et si ça l'état pas, bah... Je serais déçu.

Il y avait en cette expédition évoquée quelque chose qui me faisait peur, comme si de tragiques souvenirs étaient maintenus prisonniers dans les murs de son foyer. Et pourtant, découvrir le lieu qui avait accueilli sa croissance, à une époque où il m'était encore totalement inconnu.

-Je pensais pas que tu voyais encore tes parents. C'est pas accepté dans les mœurs, au Temple.

Finalement, je ne savais rien des parents de mon amant. Je ne savais rien de sa famille. Comment l'aidaient-ils à vivre sa maladie ? Étaient-ils heureux, que les guérisseurs du Temple offrent à Orme une vie dont il ne devait pas bénéficier ? Souhaitaient-ils son retour ? Le voyaient-ils souvent ? Une myriade de questions m'apparut. La réponse était là, à quelques centimètres de moi. Le cœur d'Orme battait contre mon oreille. Rythmé sur la cadence de sa vie, j'étais là, blotti contre son torse nu, fragile et invincible à la fois. Alors que j'avais su me montrer amère et incisif quelques minutes plus tôt, j'étais devenu doux et inoffensif.

Mon regard se promena alors sur ses les vallons de ses abdominaux, au creux de son nombril, puis sur son bas-ventre, dissimulé par son pantalon. L'idée même de le lui retirer, passé caresses et baisers, anima de nouveau en moi ce désir charnel, qui venait s'ajouter aux sentiments que je lui vouais. Qu'est-ce qu'il était beau, mon ange.
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Le Jedi esquissa une moue songeuse à la réponse de son ami. Ce n'était pas le genre de raisonnements auquel il s'adonnât volontiers et, en réalité, il ne trouvait aucun réconfort en la pensée que son comportement était humain. On lui avait trop souvent reproché son orgueil, tout du moins le lui avait-on assez représenté comme un danger, pour que quelque chose de ces reproches ne fût pas imprimé dans son esprit.

Mais en réalité, ces scrupules n'étaient pas assez considérables pour le retenir dans ses actions et il s'entraînait avec une ardeur toujours plus grande, explorait les arcanes de cet art compliqué, de la construction du sabre aux mouvements les plus complexes, des bases les plus assurées, qu'il remettait en question pour mieux les comprendre, en raffinements les plus évanescents. Si séduction il y avait, elle était trop puissante pour tenir longtemps contre ses habitudes.

Comme sa diversion avait porté ses fruits cependant et qu'il ne souhaitait pas s'étendre sur un sujet dont il n'était pas certain qu'il offrît de toute façon beaucoup de matière à explorer, Orme ne songea pas à développer ces considérations et se rabattit sur la question de ses parents.

— Bien sûr que c'était sérieux. Et puis, encore une fois, ça ne nous occupera pas longtemps.

Ce serait un peu comme fort le tour du salon d'Ulrich — en plus petit, peut-être. En réalité, Orme avait grandi beaucoup plus dans les hôpitaux de la capitale que dans cet appartement et il n'était pas certain que l'avoir jamais considéré comme un foyer. Longtemps, quand il y avait songé, il avait évoqué les souvenirs douloureux de son enfance, mais le temps en avait amoindri l'effet et, désormais, il n'y pensait plus que comme une curiosité de son propre passé.

— Et je ne vois pas mes parents. Je sais juste qu'ils n'ont pas déménagé. Et qu'ils travaillent toujours. De toute façon...


Il ne savait pas trop. Ses parents avaient été présents pour lui, sans aucun doute, mais la sensation d'avoir été longtemps pour eux une cruelle déception, l'évidence qu'ils avaient longtemps désiré un enfant bien différent de ce qu'il avait été, ces sensations-là avaient été trop sensibles pour des attachements profonds et véritables se fussent noués. Malgré tout, et ans se rendre compte que cette enfance était loin d'être étrangère à la naissance de bien de ses doutes, Orme ne concevait consciemment aucune rancune à l'endroit du couple.

Il n'acheva pas sa phrase et se mit à réfléchir à ce qu'il ferait après une visite qui serait nécessairement brève. Il connaissait bien Coruscant mais il se rendait compte, petit à petit, en fouillant dans sa mémoire, qu'il ne savait pas comment on pouvait s'y distraire, que même il ignorait totalement une distraction qui n'impliquât ni étude, ni entraînement, et il se rendit compte de ce que ses habitudes, jusque là, avaient eu d'austère.

Ce n'était pas un effet de son éducation au Temple. Les Padawans n'étaient pas les derniers pour trouver à s'amuser et sans doute Orme lui-même, quelques années plus tôt, avait fait des bêtises pour le plaisir de la transgression. Mais depuis qu'il avait commencé à enchaîner les missions à l'extérieur, quelque chose avait changé en lui ; une inquiétude grandissante de la mort et de la solitude avait rejeté loin de lui des plaisirs dont il eût craint la disparition trop précoce.

Cela, il n'en prenait pas encore tout à fait conscience et il fallait dire que la main posée sur sa hanche, le souffle de son compagnon sur son torse, et la peau du jeune homme qu'il sentait sous ses doigts, n'aidaient guère son esprit de jeune homme à se concentrer sur tout avenir qui impliquât de rester habillé. Sa main s'attardait inconsciemment à la lisière du pantalon d'Ulrich, tout en bas de son dos.

— Hmmm...

Orme rougit en se rendant compte que son gémissement trahissait moins une réflexion concentrée qu'un désir renaissant.

— Euh. Il faudra se changer. Mettre quelque chose de moins... De moins chic. Histoire de ne pas se faire trop, trop remarqué. Tu as ça dans ta garde robe ? Sinon je sortirai trouver un truc.

Ce disant, son coeur commençait à battre plus vite — une cadence qui, cette fois-ci, n'avait rien à voir avec une quelconque maladie. Machinalement, Orme jeta un coup d'oeil au réveil. Il était quatorze heures passées et, techniquement, ils n'avaient même pas fini de déjeuner. Mais le Padawan n'avait curieusement aucune envie de beaucoup se presser.
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Contre son corps, mes sens se mirent en émulsion. D'une oreille attentive, j'écoutais ses explications quant au fait qu'il ne voyait plus ses parents. De l'autre... Je me focalisais sur les battements de son cœur. Alors, c'était ainsi. Il passait parfois dans son appartement, sans vraiment prendre le temps de voir son père, et sa mère. Tout cela me ramena à mes propres géniteurs. Je pensais à cette femme, morte dans la folie et la douleur, qui m'avait enfanté. Sans doute me faudrait-il un jour passer sur sa tombe, et y déposer une gerbe de fleurs. Un soupçon de mélancolie, mêlé d'une pincée de remords s'infusèrent dans mon âme grisonnante.

Et mon paternel, lui... Cet être infâme. J'avais à l'évidence certains points de détails à régler avec lui. Ce sombre personnage m'avait bafoué, humilié, et renié. Il ne méritait aucune complaisance. Il fallait que je retourne sur Kuat. Je ne pouvais plus me terrer dans ce bunker luxueux, gémissant sur mon sort. L'heure était à l'action. Trop attendre ne me ferait pas oublier des autorités... Cela ne ferait que ruiner ma réputation à mon retour. Je passerais pour un lâche, un pleutre. Pourtant, j'étais d'une toute autre trempe. Je le savais.

La main de mon compagnon se promena un peu plus bas, et son soupir de plaisir n'arrangea en rien ce que nous nous étions fixés. Attendre au soir... Mon cœur s'emballait, petit à petit. Ma main glissa alors le long de son torse, et je plaçai ma jambe entre les siennes, tout en rehaussant mon visage à proximité du sien. Je fermai les yeux, et mes lèvres glissèrent sur leurs jumelles.

Je sentais le duvet de ma nuque se hérisser, mon sang circuler plus vivement dans mes veines, ma respiration s'accélérer. Ma main caressait les cheveux de mon héros aux cheveux bruns. Je détachai alors mon visage du sien, dans un instant de lucidité, et lui soufflais quelques mots à l'oreille.

-T'as raison... On va sortir. On aura tout le temps pour ça ce soir...

Je me levai alors du lit, et remarquai que mon tee-shirt et mon pantalon étaient souillés du sang de mon compagnon. Peu m'importait l'état de mes vêtements. Je me rendais compte que, peut-être, j'avais été trop dur avec Orme. Je lui avais parlé crument, sans le ménager, alors qu'il était la créature la plus attachante de l'univers.

-Je vais voir ce que je peux trouver comme fringues.

Je me dirigeai alors dans ma penderie, et fouillai dans tout ce qui pouvait ne pas attirer l’œil. Mes doigts caressaient le textile de mes smokings, tandis que je progressais au fond de mon dressing, du côté de mes tenues plus décontractées. J'étais toujours parti du principe que les vêtements avaient un pouvoir immense, sur les esprits. La première impression que l'on fait à quelqu'un est toujours la plus importante, particulièrement lorsque l'enjeu est de convaincre. Et puisqu'il est dans la nature de la plupart des créatures intelligentes de cette galaxie de se fier, en premier lieu, à sa vision, j'aimais à émettre l'impression désirée par l'apparat.

Je me saisis d'un jogging gris foncé uni, d'un sweater à capuche épais, de la même couleur, et d'un tee-shirt blanc, à col en V. Je me changeai rapidement, et revêtais ces vêtements plus décontractés. J'aimais cette agréable impression de confort. Les vêtements étaient amples, et j'avais la plaisante sensation d'y nager. Je sortais alors de la pièce, qui devait faire une bonne dizaine de mètres carrés, regroupant tous mes achats hauts de gamme et haute couture. Je faisais glisser la porte en bois, et apparut à Orme, dans un style qu'il ne m'avait sans doute jamais vu. Comme pour anticiper l'éventuel étonnement dont il saurait peut-être faire preuve, j'entrepris de me justifier ironiquement.

-Bah ouais, je suis hors-la-loi. 'faut bien que je m'habille comme tel, non ?

Pour autant, j'étais un hors-la-loi qui aimait les belles choses. Et si un œil non avisé ne faisait pas la différence entre ma tenue achetée chez Dzu Jaliano d'une autre plus basique, la douceur des matières, ainsi que le prix pour la porter, m'en tiraient pleinement satisfaction. Et puis le logo du créateur, un D entremêlé d'un J, permettrait aux éventuelles rencontres très propres sur elles de constater que j'étais, classiquement, une personne fortunée en tenue du dimanche.

-Allez, va choisir ta tenue.

Je me dirigeai alors vers ma table de chevet, ouvris un tiroir, et me saisis d'un pistolet blaster ouvragé, mais petit, et léger, et donc maniable, que j'enfournai dans la poche de mon jogging.

-Tu verras dans ma penderie que je ne m'habille pas comme un cliché, comme ça.

Pas comme un cliché gay ? Probable. Pas comme un cliché bourgeois ? Cela l'était beaucoup moins.
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