Ce matin-là, j’avais eu le bonheur de me réveiller dans les bras de Balian. Je ne savais pas vraiment s’il dormait ou s’il faisait en sorte d’être là à mon réveil… Ses insomnies m’inquiétaient mais je savais qu’elles étaient liées à son usage de la drogue. Mon inquiétude restait latente et au fil des jours, il était parvenu à me faire sortir de ma réserve, à atténuer peu à peu ma crainte de le voir recommencer à s’acharner sur moi. Je savourais chaque heure que je pouvais passer avec lui et je récupérais, lentement, des derniers évènements. J’étais encore régulièrement gelée, incapable de me réchauffer. Les blessures de mes bras s’étaient refermées. Je tâchais de garder les marques à l’abri des regards. Notamment celui de Balian qui culpabilisait encore.

Bref… Ce matin-là, je n’étais même pas encore levée que je me retrouvais nez à nez avec ma première tasse de café de la journée. Balian savait définitivement comment faire pour s’assurer que je sois de bonne humeur avant même d’avoir posé un pied au sol. Je lui dédiais un sourire lumineux en m’asseyant dans le lit après avoir retrouvé ses bras. Peu décidée à quitter rapidement ce nid douillet, je pris tout mon temps pour boire mon café. En fait… une gorgée, un baiser… Un petit jeu qui pouvait tout rendre beaucoup plus long. Il était néanmoins dit que je finirais par accepter de débuter ma journée. Nous avions rendez-vous… Enfin non… j’avais rendez-vous et j’avais convaincu mon désormais petit-ami, de venir avec moi.

Voilà pourquoi, moins de trois heures après mon réveil effectif, je me retrouvais dans l’ascenseur de la base militaire, ouvertement pelotonnée contre Balian. Quelques soldats entrèrent. Je les défiais visuellement de faire le moindre commentaire. Heureusement pour eux, ils se contentèrent du salut d’usage avant de se faire… le plus petit possible. Arrivés dehors, sur l’esplanade où une navette nous attendait, je me figeais. Un peu plus loin, une haute silhouette. Massive. De dos. Que je reconnus à la manière que l’homme avait de rouler des épaules pour remettre sa veste en place. Dans la seconde, je lâchais Balian pour partir en courant. L’homme se retourna pile au moment où je sautais. Des années de pratique lui permirent de me réceptionner au dernier moment. Je m’accrochais à lui alors qu’il me retenait contre lui.

Une autre silhouette se glissa à nos côtés. Elancée, presque aussi grande que la première. L’apercevant, je quittais les bras de l’un pour passer chez l’autre. La pratique vous dis-je. Derrière Balian, Tyberr’Hyus s’approcha, rajustant ses lunettes.

-J’espérais pouvoir lui faire la surprise… dit-il, amusé tout de même.

Il contempla notre frère s’avancer vers lui, accompagné de l’étrange duo formé par un autre frère et moi. Tyberr’Hyus serra la main de Ga’Hyus avant de reculer pour faire les présentations… puisque moi, j’étais un peu trop euphorique pour y songer.

-Balian… Voici Ga’Hyus et Yul’Hyus, respectivement le premier et le deuxième de la fratrie. Ga’Hyus, Yul’Hyus, voici le docteur Atraïde, mon référent.

Ga’Hyus contempla le Mirialan durant quelques instants avant de tendre la main pour la lui serrer fermement. Yul’Hyus l’imita en disant.

-Ainsi, c’est lui.

L’entendre parler ainsi me poussa à quitter ma cachette pour le fusiller des yeux.

-Je t’interdis de lui parler ainsi… Et de faire comme si c’était une plante verte.

Ga’Hyus eut un rire grave avant de retrouver son expression première. Yul’ me reposa au sol avant de frotter ma tête comme il en avait l’habitude. Je reculais pour échapper à sa prise, revenant près de Balian avec une fausse moue boudeuse.

-Elle mordrait presque, taquina Yul’

-Yul’Hyus.

Un simple nom qui sonna comme une mise en garde, légère. Notre aîné n’avait pas besoin de lever la voix pour que nous l’écoutions. Il hocha la tête vers Balian.

-C’est un plaisir de faire enfin votre connaissance, docteur. Tyberr’Hyus ne tarit pas d’éloges à votre encontre… tandis que ma sœur reste étrangement évasive lorsqu’il s’agit de vous.

J’eus la délicatesse de rougir sensiblement avant de lui tirer la langue. Oui, je perdais aisément quelques années d’âge mental en compagnie de mes frères aînés. Pour eux, de toute manière, je serais toujours la petite dernière, leur petit joyau… qui grandissait, ils ne pouvaient que le constater maintenant que je leur faisais face.

En fait, on ne pouvait pas ne pas voir que j’étais heureuse de retrouver mes frères aînés. J’irradiais de plaisir, même si je retombais presque en enfance. Il fallait dire que mes cinq frères représentaient vraiment ma famille. Ils ne m’avaient jamais laissé tomber au nom d’une intrigue ou quoique ce soit d’autre. Je leur étais précieuse… au même titre qu’eux l’étaient pour moi. Ce qui ne voulait pas dire que j’échappais aux taquineries… Ils ne m’épargnaient pas… et je leur rendais bien. En temps normal, j’aurais continué à me « battre » avec Yul’Hyus mais la présence de Balian rendait la rencontre un peu plus formelle. Chose que Ga’Hyus rappela avec un seul mot. Je laissais les hommes échanger quelques mots, revenant bientôt dans les bras de Balian. J’étais un peu crispée de le faire même si cela m’était naturel. Après tout, je ne le faisais pas devant n’importe qui.

Les prunelles claires de Ga’Hyus glissèrent de Balian jusqu’à moi. J’y décelais une étincelle chaleureuse, bien dissimulée derrière son détachement habituel. Je lui dédiais un sourire avant qu’il revienne au Mirialan.

-Son premier rapport était édifiant, souleva Yul’Hyus après un bref coup d’œil à Tyberr’Hyus qui ne broncha pas. Je crois me souvenir de quelques adjectifs évocateurs… devant lesquels tortionnaire et imbuvable font pâle figure.

Yul’Hyus ne s’attendait pas à faire réagir Tyberr’Hyus. Ce dernier ressemblait trop à leur aîné pour que ces simples taquineries le fassent sortir de ses gonds. La preuve, Tyb’ s’était contenté d’un regard neutre, le sourcil droit légèrement haussé sans chercher à se défendre. Je levais les yeux au ciel… c’était habituel de voir le second tenter d’enquiquiner le quatrième. Ga’Hyus laissa les deux se débrouiller pour se consacrer à Balian et moi… enfin surtout Balian.

-J’ai appris pour votre père, dit-il après s’être rapproché pour pouvoir parler sans trop élever la voix. Je suis profondément désolé. Si vous avez besoin de quoique ce soit… n’hésitez pas.

Je connaissais assez mes frères pour savoir qu’ils étaient parfaitement au courant pour Balian… mais qu’ils préféraient faire comme si tout allait pour le mieux compte tenu de la situation. Si Balian n’avait pas été avec moi, Ga’Hyus n’aurait pas été aussi prévenant… Etant désormais mon compagnon, le Mirialan était traité comme un autre membre de la fratrie. Une exception… parce que je savais que les épouses de mes frères n’avaient pas exactement droit au même traitement. Peut-être était-ce parce qu’en plus d’être mon compagnon, Balian était aussi un militaire… Plusieurs hypothèses que je ne pourrais vérifier qu’au fil du temps.

-Max nous attend, indiqua Tyb.

Ga’Hyus hocha de la tête. Yul’Hyus rouvrit la navette.

-Vous saviez tous… soufflais-je après que nous soyons tous, par miracle, rentrés.

Normalement, mon rendez-vous, c’était justement avec Max. Ce dernier avait trouvé un appartement qui pouvait nous servir de logement. Nous étions lassés de l’hôtel et voulions un « chez nous ». Je devais le retrouver pour visiter les lieux avant de donner – ou non – mon accord.

-Oui. Mais Ga’Hyus a décidé de te retrouver ici directement. Il était inquiet.

Le dit Ga’Hyus n’exprima aucun agacement. Il se contentait juste de me regarder avec attention alors que j’étais assise dans les bras de Balian.

-Je suis étonnée que tu aies délaissé ton unité pour venir me voir, lançais-je à Yul’Hyus.

-Qui te dit qu’elle n’est pas venue avec moi ?

C’était tout lui ça. Il était capable de se trimballer partout avec une douzaine d’hommes triés sur le volet… sans qu’on les remarque. C’était leur job après tout.

-Yul’Hyus est lieutenant dans une unité d’élite, expliquais-je à Balian. Il ne se déplace jamais avec moins de trois de ses hommes dans les parages.

-J’espère que le petit con a prévu le petit déjeuner… J’ai faim, annonça Yul’Hyus en s’étirant.

-Yul’Hyus. Deux fois.

L’interpellé se redressa et ne dit plus rien. Ga’Hyus revint à Balian.

-J’espérais qu’Halex parvienne à vous convaincre de l’accompagner… même si elle ne savait pas que nous serions là. J’avais hâte de rencontrer celui qui a su gagner notre sœur.

Tout comme quand Tyb’ s’exprimait, il était compliqué de savoir sur quel pied danser avec Ga’Hyus… mais comme je l’avais dit à Balian, les deux ne prononçaient jamais un mot inutile. Jamais.

En définitive, il ne me manquait que deux personnes pour que mon bonheur soit complet : les deux grands absents de la fratrie. Max n’était pas loin… quant à Luss’Hyus, ses affaires devaient le retenir… Sinon, il serait avec nous. Yul’Hyus eut un sourire amusé à la réponse de Balian tandis que Tyb’ se contentait de remonter ses lunettes sur son nez non sans offrir un sourire en coin à son référent. J’avais l’impression que l’époque où ils ne se supportaient pas datait de bien plus longtemps qu’elle ne l’était en réalité. Yul hocha doucement de la tête.

-Il n’y a qu’un flegmatique pour supporter ça… Mais… A son sourire, je sus qu’il allait sortir une nouvelle bêtise. Comment ça se fait que vous ne vous êtes toujours pas entretué avec Halex ? Parce que question caractère…

Je le fusillais des yeux, entraînant un rire provocateur.

-Je fournis régulièrement Halex en assiettes à envoyer valser, mentionna Tyb’.

-Je te reconnais bien là, cara mia, me félicita Yul’Hyus.

Je fis claquer ma langue contre mon palais, les négligeant pour m’intéresser à Ga’Hyus qui s’approchait pour s’entretenir avec Balian. La réponse de ce dernier provoqua un sourire doux qui m’était destiné. Il tendit la main pour attraper l’une de mes boucles claires et l’enrouler autour de son index. Une habitude qui ne le quittait jamais vraiment, sauf quand nous étions hors du cadre privé.

-N’hésitez pas, murmura-t-il en reculant. Tu as maigrit.

Ca c’était pour moi. En trois mots, il venait de provoquer une moue. Je savais que j’avais perdu du poids et j’étais déjà bien suffisamment agacée par cela. Je ne décrochais plus un mot jusqu’à être lovée contre Balian, consciente du regard de Ga’Hyus posé sur moi. Je précisais ce que faisait Yul’ dans la vie, n’étant pas certaine de l’avoir un jour expliqué. En revanche, quand Balian indiqua qu’il était aise que je sois parvenue à le convaincre, j’étouffais un rire. Bientôt suivie par Tyb’ à l’expression « plaisir de rencontrer ».

-J’avoue que ce n’était pas prévu aussi rapidement… Mais je devais éclaircir certains points avec vous.

Voilà qui était propice à réfréner mon enthousiasme. Je me pelotonnais un peu plus contre Balian… Comme s’il pouvait me protéger contre mon frère… dans les faits, j’étais celle qui pouvait nous protéger contre lui. Je nouais mes doigts à ceux du Mirialan et passais la fin du trajet à me demander ce qui allait nous arriver. A l’arrivée, Max nous attendait avec le sourire. Il salua tout le monde et nous guida sans atteindre jusqu’à ce qu’il avait décrit comme une merveille. Je m’attendais à ce qu’il nous fasse la visite mais apparemment, Ga’Hyus avait déjà donné ses consignes. Voilà pourquoi nous nous retrouvâmes à table. Je devais avouer que c’était incongru… Que je sache, aucun papier n’avait été signé. Nous n’étions pas chez nous. Voyant mon air incertain, Yul’Hyus précisa.

-J’ai signé le bail ce matin.

Ouais en gros, ils avaient prévus de me piéger… ou nous piéger. Je ne savais pas vraiment sur quel pied danser. Max déposa une tasse de café épicé et me jeta un regard comme pour me demander pardon. J’enroulais mes doigts autour de la tasse alors qu’il faisait le service pour tout le monde. Je négligeais ma pâtisserie préférée… Etrangement, je n’avais pas faim. Je me sentais presque comme une proie en face d’au minimum quatre chasseurs.

-Manges, m’ordonna Ga’Hyus.

-Pas faim.

-Elle mangera pas tant que tu ne diras pas pourquoi on est tous là.

Ga’Hyus leva les yeux vers moi et me contempla un moment.

-Je suis là à propos des Vestales, dit-il. Pour le « reste », tant que tu ne nous demandes pas d’aide, je n’en parlerais pas.

Mouais… Pourquoi j’avais l’impression qu’il en parlerait quand même mais seul à seul avec Balian ?

-Je crois que je ne suis pas le seul responsable du bazar qu’est ton appartement… lâcha Tyb’, l’air de ne pas y toucher.

Je vis Yul’ hausser un sourcil et un micromouvement de la part de Ga’Hyus. Il fallait que je pense à remercier Tyb’ pour cette annonce… J’adorais mes frères, hein… Mais disons que parfois, ils n’étaient pas compatibles avec discrétion… Je fusillais Tyb’ des yeux, me promettant de lui expliquer que ma vie sexuelle n’avait pas à être étalée comme ça. Déjà que toute la base était informée, j’avais pas besoin de cinq frères en plus. Enfin… C’était trop tard, clairement.

Moins d’une heure plus tard, j’étais attablée avec la désagréable impression d’être un lapin prit au piège dans son terrier. En prime, j’avais même entraîné Balian avec moi. Je serrais doucement ses doigts pour lui demander pardon silencieusement. J’avais été trop naïve, en fin de compte. Je refusais de manger tant que je n’avais pas la réponse à ma question principale. Lorsque le mot tomba, je me sentis pâlir avant de frissonner. J’avais peine à croire qu’ils étaient venus pour ça… Et qu’ils étaient allés jusqu’à me piéger pour savoir… Remarquez, c’était la meilleure solution. J’étais capable d’être très efficace pour parler sans rien dire. Mêler Balian à la conversation, c’était aussi un moyen de ne pas me laisser le choix.

Parce que si j’étais capable d’attendrir les quatre hommes qui me servaient de frère… Balian, c’était une toute autre affaire. Il était au moins aussi borné que moi et était capable de ne pas lâcher le morceau quitte à ce que je lui balance ma tasse à la tronche. J’ignorais pourtant la question de ce dernier pour lâcher.

-Vous êtes quand même de sacrés manipulateurs de merde.

Intérieurement, je rageais, me retenant à grand peine de balancer ma tasse à la tronche du premier qui me répondrait. Au lieu de cela, je vis Ga’Hyus se lever et sans même demander, prendre la place de Max à côté de moi. Délicatement, il retira ma tasse de mes doigts et chercha mon regard que je lui refusais.

-Halex…S’il te plaît… Je ne te demande pas cela parce que ça me fait plaisir de te faire peur.

Il caressa doucement mes cheveux.

-C’est parce que je sais qu’elles t’ont fait du mal que je veux savoir…

-J’ai tâché d’en apprendre plus, intervint Max’. Mais les femmes n’ont pas parlé… Et je ne pouvais pas trop en faire sans éveiller les soupçons.

Je finis par accepter de regarder Ga’Hyus dans les yeux. J’étais de nouveau glacée. Je lisais l’inquiétude dans ses prunelles claires… L’inquiétude et la colère. Je savais qu’à peine j’aurais parlé, il agirait. Il lui faudrait sans doute du temps mais il atteindrait son but. Finalement, je soupirais et répondis enfin à Balian.

-Les Vestales… C’est là où j’étais en « retraite ». C’est… un lieu dirigé par des vierges, les Vestales. Elles… accueillent mensuellement toutes les femmes à partir de leur puberté. Elles veillent à la pureté de leurs semblables…

-Les hommes sont interdits là-bas. En vérité, ce qu’il se passe là-bas nous est inconnu. Le seul moment où l’on peut parler à une Vestale c’est lors de la naissance d’un enfant.

Je soupirais doucement et fermais les yeux pour commencer.

-J’y suis allée parce qu’Angelina m’y a amenée elle-même. J’avais espéré qu’être sur Coruscant m’en dispense… J’ai su qu’il y avait un problème lorsque dans la première loge, père m’attendait.

-Père ?! s’exclama Max. Je pensais qu’il avait communiqué par courrier comme c’est…

Un regard de Ga’Hyus le fit taire. Autant ne pas m’interrompre maintenant que j’avais enfin commencé. Je soupirais.

-J’ai été… examinée. Je ne savais même pas que ça avait cours… Et… lorsque Père a su… on lui a demandé s’il donnait son accord pour une purification. Il a dit oui.

Je levais les yeux vers mon frère, dévoilant toute ma douleur d’avoir été jetée en pâture par un père que j’idéalisais encore à l’époque. Ga’Hyus caressa ma joue et je soufflais.

-Il a dit oui, Ga’Hyus ! Il m’a laissé là-bas en demandant seulement à ce que je ne sois pas irrémédiablement blessée. Il était derrière le rideau quand elles m’ont craché dessus et insulté.

Mon souffle s’était accéléré, légèrement sifflant. Ga’Hyus m’attira contre lui et me serra avec délicatesse. Son regard s’était fermé et posé sur Yul’Hyus qui, comme les autres, avait cessé de sourire. Il caressa mon dos.

-Ca va aller, prends ton temps… Je suis désolé de te faire ça, ma chérie.

Il n’était pas vraiment commun d’entendre Tyb’ oser ce genre de remarque… Bien que faite avec son flegme habituel, elle avait provoqué une étincelle amusée dans les prunelles de mon frère. Il savait ce qu’il faisait, nous ne pouvions pas en douter. Il s’attendait à une vengeance et ne la craignait pas vraiment. Je soupirais et bientôt, les quelques mots fraternels parurent totalement insignifiants par rapport au piège qui venait de se refermer sur Balian et moi. Balian que j’avais naïvement entraîné. Mes frères savaient que je leur faisais une confiance aveugle… Ils jouaient dessus… Heureusement pour eux, comme pour moi, c’était rare. Voilà pourquoi je me faisais encore avoir.

Même si j’étais la première à passer, j’osais encore espérer qu’ils ne feraient pas la même chose à Balian. Je venais juste de le retrouver, le spectre d’une dispute ne cessait de me hanter. Voilà pourquoi je tâchais de lui demander pardon par mes gestes alors que Ga’Hyus venait près de moi. Il fit preuve d’une douceur dont j’étais la seule à bénéficier. Sa femme ne pouvait en espérer autant. Et entre frères… la douceur n’était pas vraiment une habitude. Mais moi… Il m’avait toujours considéré ainsi, tranchant nettement avec l’attitude de notre géniteur. Surtout à partir du moment où j’avais perdu « ma valeur » à… mes seize ans.

Et puis finalement, je parlais sans pouvoir contempler quiconque. Sans même regarder Balian, je savais qu’il mesurait sans peine ce que j’avais subis… et j’en voulais à mes frères de me forcer à lui raconter tout cela, à lui aussi. Il n’avait pas besoin de culpabiliser plus qu’il ne le faisait déjà. Bientôt, me retrouvant dans les bras fraternels, je me tournais pourtant vers le Mirialan… comme si j’avais perçu sa colère.

-Même si j’avais su ce qui risquait de m’arriver, je l’aurais tout de même fait, tu m’entends ?

A la différence que je ne me serais pas laissée avoir… La connaissance changeait tout. Yul’Hyus finit par se lever pour poser sa main sur l’épaule de Balian.

-Venez avec moi, invita-t-il.

Dans son ton, il y avait une nuance ferme. Il attendit que Balian se lève pour le guider dans une autre pièce dont il referma la porte. Il s’appuya contre le panneau, croisant les bras.

-Allez-y, explosez… Faites-le ici, plutôt que là-bas… dit-il, visiblement habitué à faire face à des caractères explosifs. Elle a besoin de notre soutien autant que notre colère. Mais si nous pouvons lui montrer le premier, la seconde ne lui sera utile que plus tard.

Pendant ce temps, je n’avais pas quitté les bras de Ga’Hyus. Il me caressait doucement le dos tandis que Tyb’ avait ramené mon inhalateur, au cas où. Je soupirais doucement, un peu tremblante encore. Max posa vivement sa tasse.

-Comment il a fait pour entrer là-bas ? Même moi j’ai pas dépassé le seuil.

-Tu oublies sa place, Maxym’Hyus, rappela Ga’Hyus. La Maxima est la sœur cadette du triumvir Crass’ïus.

En somme, elle faisait partie de la vieille génération pour qui les règles n’avaient de but que de casser la génération suivante pour qu’elle perpétue le système. Tyb’ me tendit mon café et j’acceptais, enfin, d’en boire un peu.

-Tu veux attendre qu’ils reviennent ? me demanda Ga’Hyus.

J’acquiesçais. Quitte à parler, autant ne le faire qu’une seule fois.

Que Balian ne me réponde pas, lorsque je lui dis que même en sachant ce que je risquais, je n’aurais pas hésité à lui demander de « m’apprendre » fut une information en elle-même. Comprendre : il était tellement furieux qu’il ne savait même pas quoi me dire. Je frissonnais dans les bras de mon frère pendant qu’un autre emmenait le Mirialan dans une autre pièce. Oh, je ne doutais pas qu’il n’allait pas l’engueuler… simplement lui offrir l’occasion… d’évacuer.

Appuyé contre la porte, Yul’Hyus contemplait Balian. Une habitude, pour lui, de prendre en charge les cas explosifs. Son unité était un groupe de caractères volcaniques. Alors, les bras croisés, il attendait… Non sans observer Balian avec toute l’attention possible. Au cas où. Enfin, le déluge débuta… Enfin, il eut un aperçu du rancor mal léché décrit par Tyberr’Hyus…et d’autres soldats… Avec une tournée, les langues se déliaient, non ? Sans broncher, ni même montrer un signe de révolte quant au ton que Balian employait, Yul’Hyus laissa ce dernier évacuer. Alors que moi, dans le salon, je cherchais à me cacher un peu plus. Non pas parce que j’avais peur de cette colère – après tout, elle ne m’était pas destinée – mais parce que je savais ses conséquences.

Je ne voulais pas que Balian culpabilise pour ça… j’avais peur qu’il replonge, comme lorsque j’étais revenue… Un moyen de se punir de ne pas avoir… été là… Mais s’il avait été présent, qu’aurait-il bien pu faire ? Ga’Hyus caressa mes cheveux.

-Chut… calmes-toi. Fais confiance à Yul’Hyus…

-Tu es au courant.

Inutile de dire le sujet.

-Nous le savons tous, me confirma-t-il avant d’ajouter. Nous avons beau comprendre… Il s’agit de toi… Nous voulions savoir de quel bois était-il fait… Et s’il t’aimait vraiment.

Je me redressais, ne pouvant m’empêcher de le fusiller des yeux.

-Vous avez monté tout cela dans le but de me faire parler… en tâchant qu’il soit là pour examiner sa réaction ?

Mon frère, par bonheur, ne chercha même pas à me cacher ce fait. Je laissais échapper une bordée de jurons qui le fit sourire. Visiblement, il jugeait que ma colère était un bon signe… Elle chassait ma peur… Temporairement tout du moins.

Dans la pièce, la vague de colère semblait s’apaiser pour laisser libre cours à quelque chose de plus sombre. Yul’Hyus n’avait pas bougé ni même parlé pendant les quelques minutes. Lorsque Balian se détourna, il quitta enfin son immobilisme pour se rapprocher et poser sa main sur son épaule. Un geste à la fois fraternel et destiné à faire tourner le Mirialan vers lui.

-Vous étiez défoncé et furieux, dit-il sans détour. Vous n’étiez pas en état de le voir… Oui. Passons le fait d’être défoncé… Pour votre colère, cette dernière était légitime. Vous aviez le droit d’être en colère, vous en avez toujours le droit. Pour votre père. Parce qu’elle n’était pas là malgré ses justifications compréhensibles. Parce que vous avez replongé…

Il ne lâchait pas Balian des yeux, tâchant de bien se faire comprendre.

-Vous comme nous, nous ne pouvons retourner en arrière pour la protéger. Même lorsqu’elle est revenue, il était trop tard. Notre colère ne lui sert à rien, actuellement. Elle a besoin de nous pour l’écouter, l’entendre, la comprendre… pour ne pas détourner les yeux ou la regarder avec pitié. Notre sentiment de culpabilité n’est qu’un nouveau fardeau que l’on ajoute sur ses épaules.

Il se rapprocha encore un peu.

-Est-ce-que vous comprenez ? Ce qu’elle va nous dire sera probablement dur à entendre, dur à imaginer… mais ce ne sera rien par rapport à elle qui l’a vécu et le revit pour nous en parler. Quand elle aura finit, on lui montrera notre présence. Ce soir, nous boirons tous pour oublier… Et demain, nous commencerons les représailles.

Nul ne pouvait douter de sa détermination à venger la sœur qu’il aimait tant taquiner. Lentement, il lâcha Balian et recula.

-Est-ce-que ça va mieux ? demanda-t-il.

Yul’Hyus s’était exprimé comme il le faisait avec ses frères… exception faite de cette nuance profonde d’affection. Ne serait-ce que parce qu’il ne connaissait pas l’homme que sa sœur avait choisi… Pas personnellement tout du moins. On pouvait lui reprocher beaucoup de choses, il était du genre impitoyable… Seulement avec ceux extérieurs à son cercle. En aimant Halex, Balian entrait de facto à l’intérieur. Qu’il reste tenait seulement du Mirialan.

-Ce n’est pas Tyberr’Hyus qui nous a tout dit. Je le soupçonne même d’avoir amoindrit la crise entre Halex et vous pour vous protéger tous les deux.

Il n’y avait pas la moindre rancune dans sa voix. Il comprenait son frère même s’il n’approuvait pas. Ils ne tarderaient sans doute pas à en parler. Comment protéger tout le monde si les informations n’étaient pas correctes ?

-Balian… Tous ici sommes au courant de ce que vous traversez, dit-il. Que nous, les frères, approuvons ou pas votre addiction n’est pas la question… Je suis bien placé pour savoir qu’il ne tient qu’à vous de décider à faire le chemin inverse…Enfin… à condition que ce soit avant de devenir une épave irrécupérable… Mais je ne pense pas qu’Halex vous laissera faire… Tout comme elle ne m’aurait jamais laissé faire si elle avait su.

Il passa une main dans ses cheveux.

-Elle était gamine mais elle était déjà sacrément bornée. Il soupira, revenant à l’instant. Je vous suggère donc d’intégrer dès maintenant une réalité : parce qu’elle vous aime, vous faites partie de notre… « tribu ». De fait, quand je dis « nous nous vengerons », cela vous inclue.

Il ne demanda même pas à Balian s’il acceptait, partant du principe que les sentiments de ce dernier étaient suffisamment forts pour qu’il veuille prendre sa part. Il recula pour laisser Balian terminer de s’apaiser et lorsque celui-ci lui indiqua être calme, Yul’Hyus eut un bref sourire ressemblant à ceux que ses frères et sœur pouvaient avoir. Il rouvrit la porte et murmura.

-Préparez-vous à la réceptionner.

En effet, à peine avais-je entendu la porte s’ouvrir, j’avais bondit pour se précipiter dans les bras du Mirialan, m’accrochant à lui comme un koala galactique.

-Je suis désolée, chuchotais-je contre sa peau.

Un peu plus loin, les quatre autres hommes détournèrent les yeux, trouvant leur petit déjeuner particulièrement intéressant d’un coup. Je me redressais pour contempler Balian, l’air à la fois inquiet et soulagé. Je caressais sa joue et posais mon front contre le sien, comme j’en avais parfois l’habitude.

-Ca va aller.

Ce n’était même pas une question. Je lui souris tendrement. Ga’Hyus tapota doucement la chaise pour me rappeler à eux. Je me tournais pour lui sourire, en obtenant un de sa part. Revenue à ma place, je soupirais. Il ne fallut pas longtemps pour que mon auditoire m’offre de nouveau toute son attention. J’inspirais et fermes les yeux. Non pas parce que je craignais un quelconque jugement mais parce que je devais puiser loin pour arriver à parler.

-Ca a duré… longtemps. Elles m’ont… mis dans de l’eau glacée jusqu’à l’aube. Elles m’ont frotté avec du sel avant de me faire réciter les Leges Virginum à l’ancienne… Je levais brièvement les yeux. Comprendre à genoux, un coup pour une erreur. Deux pour deux… etc. Habituellement c’est le fouet mais parce que Père a demandé à ce qu’il n’y ait pas de traces, c’était la badine… Le reste de la journée, je devais servir la Maxima. Le soir, ça recommençait.

Je frissonnais, frottant mes bras par réflexe, espérant presque me réchauffer. C’était vain, je le savais.

-Elles… elles m’ont privé de mon traitement et de mon inhalateur… Elles… m’insultaient quand j’étouffais.

Je retins une quinte de toux, pur réflexe. J’inspirais profondément.

-J’ai essayé de m’échapper. J’ai été repérée et… à partir de là, j’ai été attachée. Celle qui me « gardait » me rouait de coups pour que je sois incapable de broncher. Je ne sais pas pourquoi elles m’ont relâché.

-Parce que j’ai décimé quelque peu leur réseau, lâcha Yul’Hyus dont la mâchoire serrée indiquait clairement son état. J’ai mis du temps à tout retracer. Mais trouver un cadavre démembré devant le Temple chaque matin… Je suis désolé, je pensais que le message serait compris bien plus rapidement.

Ga’Hyus me tendit une tasse chaude et enveloppa mes mains des siennes pour m’assurer de sa présence et me réchauffer.

-Père savait ? Angelina ?

Il ne me posait pas la question par doute mais plus pour réaliser pleinement les choses.

-Père… était tenu informé de mes « progrès »… Angelina… Je ne sais pas… Je ne sais pas dans quelle mesure elle savait.

Evidemment que Balian fit le lien entre ce que Yul’Hyus avait indiqué à demi-mot et le passé de ce dernier. A l’interrogation du Mirialan, le Metellien eut un léger sourire en coin, à la fois maussade et approbateur.

-Je crois que l’on ne cesse jamais d’avoir des soucis lorsque l’on a commencé une fois, dit-il. J’étais jeune… Et père… bien plus cruel que maintenant.

Difficile à croire s’il en était. Surtout lorsque, quelques minutes plus tard, j’avais repris mon récit. En ce qui me concernait, mon enfance avait été bercée par l’amour paternel. Jusqu’à mon adolescence, Père avait été un héro à mes yeux. Puis… j’avais grandi mais pas comme il l’avait escompté. L’incident avec mon unité avait mit fin à ses espoirs d’un pion utile dans ses machinations. Depuis, nos relations allaient de mal en pis. Dire que désormais je le méprisais était un euphémisme gigantesque. Je terminais mon récit en étant glacée au point que mes dents claquaient presque. Max m’apporta sa veste qu’il déposa sur mes épaules avec un baiser sur mon front. Je soupirais encore. Tyb lança un regard à Balan pour lui demander de me prendre dans ses bras pendant qu’il allait échanger avec Yul’Hyus.

Tyb et Max restaient silencieux. Finalement, le second revint vers moi.

-Je suis désolé… Je savais où tu étais mais je… n’imaginais pas cela.

Je caressais sa joue pour l’apaiser.

[color=purple] -Ca va aller, Max. Tout ne peut qu’aller de mieux en mieux. On ne peut pas revenir en arrière… Par contre… on peut essayer de faire en sorte qu’elles ne puissent recommencer.

Il acquiesça et je pus voir les rouages de son esprit se mettre en marche. Il se leva pour rejoindre Ga’Hyus. Tyb me contempla, me sourit avant de nous tourner le dos. J’avais saisit le message. Je me tortillais pour pouvoir regarder Balian, cherchant dans ses prunelles le moindre signe de culpabilité ou de regret vis-à-vis de nous. Je caressais sa joue de mes doigts gelés, incapable de ne pas le toucher.

-Ne regrette pas ce que nous avons fait, murmurais-je. Je ne veux pas les laisser gagner. Je ne veux pas avoir honte de ce que je partage avec toi.

J’eus un petit sourire timide qui en disait long. J’avais intensément besoin qu’il me rassure, qu’il me serre contre lui. Le reste attendrait que l’on soit seuls. Parce que même si mes frères s’attachaient à ne pas nous regarder, je savais qu’une partie de leur attention nous était dédiée. Je mêlais mes doigts à ceux de Balian, les portant à mes lèvres.

-Je… suis désolée. Pour tout ça… Pour te donner de nouvelles raisons de t’inquiéter, d’être en colère… de culpabiliser.

Non loin, Yul’Hyus se tourna vers moi… dans le but avoué de me détromper. Ga’Hyus posa sa main sur son bras pour le retenir, désignant Balian d’un regard rapide. L’instruction était claire : c’était au Mirialan de me répondre pas à eux. Nous avions tous déjà eut ce genre de conversation. Lorsque j’étais sortie de l’hôpital… Nous nous étions promis, tous les six, de ne pas culpabiliser pour les choses sur lesquelles nous n’avions aucun pouvoir. La colère de l’un était celle des autres et nous partagions tous nos inquiétudes. En réalité, chaque « coup dur » ne faisait que nous renforcer.

A vrai dire, en temps normal, j’aurais peut-être eut un peu de pudeur… Et ne me serais pas retrouvée sur les genoux de Balian. Peut-être aurais-je été simplement tactile… Mais là, plus qu’une envie, c’était un besoin…. Exacerbé par des jours à attendre qu’il me serre contre lui pour que je puisse me reposer un peu… Oh, on s’était enlacé durant les derniers jours…. Nous nous retrouvions. Là, c’était « simplement » ce qui aurait du se passer à mon retour, ce qui m’avait permit – entre autre – de tenir pendant ces si longues semaines. Je l’avais vu tressaillir à la température de mon corps. Pourtant, il n’hésita pas à me serrer contre lui. Je soupirais, me cachant dans son cou alors qu’il me parlait. Ses mots me firent sourire légèrement. Je reconnaissais la « patte » de Yul’Hyus… Non pas que je doutais de la sincérité de Balian… Surtout pas. Néanmoins, je connaissais assez mon frère pour avoir rappelé au Mirialan ce qui importait. Et je leur en étais reconnaissante.

-Je sais…

J’avais simplement murmuré, lui seul m’entendit. Je ne doutais pas que tous allaient m’aider à leur manière. En vérité, je savais que je venais d’accomplir les premiers pas qui me mèneraient vers le sommet de cette énième pente. Au final, je pouvais maudire mes frères pour ce piège, je pouvais aussi leur être reconnaissante. Sans cela, je n’aurais jamais parlé… Et cet « incident » aurait rejoint l’autre, celui de mes seize ans. A l’époque, je n’avais rien dit. Désormais, j’en étais incapable.

Je me retrouvais bientôt à me noyer dans l’obscurité des pupilles de Balian. Ce qu’il ajouta me fit sourire et tomber un peu plus amoureuse de lui, si c’était encore possible. J’acquiesçais lentement, lui laissant voir que je ne doutais pas de lui et que je serais là pour l’aider. C’était cela un couple, non ? Avant de retourner me lover dans sa chaleur, je lui volais un court baiser, bien trop court à mon goût.

Non loin, mes frères nous observaient du coin de l’œil seulement. Ils avaient laissé Balian me rassurer, conscient que lui seul pouvait le faire en ces instants. Parce qu’il n’avait pas grandit dans le même monde que nous. Il n’était pas habitué à ces horreurs, à ces bruits de couloirs qui reposaient tous sur un fond plus ou moins épais de vérité. Alors la colère du Mirialan paraissait comme une sorte de bénédiction… tant qu’elle restait sous contrôle.

Ils revinrent à table. Tyb s’installa près de Balian et moi pour permettre au premier de regarder un datapad. Ga’Hyus termina sa tasse de café.

-On ne peut décemment pas s’en prendre au Temple principal de front, commença-t-il. En revanche, les antennes mineures sont parfaitement accessibles. Plus elles sont éloignées, plus elles sont… plus souples, dirons-nous.

-Il y en a une dans les bas-fonds, annonça Max en préparant encore du café. Elles doivent être plus nombreuses et toutes en contact…

-Je l’ai notée… Elle était sous la protection d’un baron de la drogue dont l’entrepôt principal a explosé et l’a tué, il y a…

Il se tut, conscient de ce qu’il allait ajouter. Il préféra garder le silence pour ne pas remuer le couteau dans la plaie.

-Nous allons pouvoir demander à Luss’Hyus si dans ces contacts, il n’a pas quelqu’un qui accepterait de nous « rendre ce service », ajouta Ga’Hyus.

Par rendre ce service, il entendait quelqu’un de suffisamment soumit pour que le troisième frère puisse exercer un chantage subtil afin de l’amener dans la bonne direction. Je finis par me redresser doucement.

-Je peux m’y rendre… Sous prétexte de prier, suggérais-je doucement.

Je ne voulais pas rester à l’arrière. Les Vestales n’étaient pas rien. Elles étaient l’un des piliers de notre culture. Je n’espérais pas les faire tomber… Simplement leur infliger un coup dont elles ne se relèveraient jamais. Si pour atteindre le temple principal, la Maxima et ses favorites, il fallait commencer en bas de la pyramide, je le ferais sans ciller.

En réalité, je n’étais pas certaine d’un jour m’accoutumer aux étreintes de Balian. Elles avaient le don de m’apaiser, de me faire me sentir en sécurité… Je retrouvais cela aussi chez mes frères mais c’était différent. Balian était l’homme que le destin semblait m’avoir « octroyé ». Quelque chose nous avait lié l’un à l’autre et l’avoir enfin admit rendait les choses plus simples. Pour lui aussi, si j’en croyais ce que je pouvais lire dans ses orbes brûlants. Il m’aimait, je ne pouvais que le constater à travers tout ce qu’il me montrait.

J’embrassais Balian. Trop peu de temps à mon goût. Nous avions des spectateurs et je doutais qu’ils apprécient vraiment le spectacle de leur sœur embrassant à pleine bouche son compagnon. J’offris un sourire au Mirialan, retournant respirer son odeur et grappiller quelques degrés de chaleur corporelle en plus. J’écoutais les échanges tout en étant bercée par les battements du cœur de Balian. Il semblait calme. Bien plus que je ne l’imaginais en fait. Non pas que cela me décevait… non… juste étonnée. En revanche, je perçus sa… son irritation à l’information de Yul’.

-Un lien… c’est vite dit. Disons que pour pouvoir survivre dans les Bas Fonds, il leur a fallu trouver un protecteur. Après, je n’ai pas encore réussi à déterminer quels étaient les fondements de cette protection. L’incendie de l’entrepôt a détruit beaucoup de données.

Il avait tâché de s’exprimer de la manière la plus détachée possible afin de ne pas retourner le couteau dans une plaie encore ouverte.

-Mais je présume qu’en allant chercher du côté du Sénateur, nous devrions trouver un peu plus….

Ga’Hyus acquiesça avant de saisir la question silencieuse de Balian.

-De prime abord, Luss’Hyus est le parfait troisième fils. C’est sur lui qu’actuellement se portent les espoirs de notre géniteur. C’est un étudiant qui préfère travailler dans l’entreprise de notre oncle plutôt qu’étudier le droit.

Max étouffa un rire.

-Ouais… il préfère courir les jolies filles plutôt qu’étudier…

Ga’Hyus secoua doucement la tête.

-Il fait pas mal de choses pour entretenir son image de « fils parfait ». Pendant que notre géniteur le regarde comme la dernière merveille du monde, il ne contemple pas son cher fils prendre peu à peu pied dans des réseaux illégaux.

Ouais, j’avais des frères dont les fonctions se complétaient plutôt bien. En réalité, seuls Max et moi étions encore assez inutiles… Enfin, surtout moi. Dans une société comme celle de Metellos, je n’avais guère le choix de faire un bon mariage pour obtenir une liberté d’action que je ne pourrais jamais avoir autrement. Balian se proposa pour m’accompagner et je savais quelles étaient ses bonnes raisons. Comme nous tous d’ailleurs.

-Ce ne sera pas pour maintenant. On doit d’abord récolter le maximum d’informations autour pour pouvoir garantir votre sécurité à tous les deux.

Là-dessus, je savais mes frères intraitables. Je me redressais.

-Nous ne bougerons pas avant que vous nous le disiez. Je leur lançais un regard. Mais vous ne nous cachez rien.

Ga’Hyus m’observa avant d’acquiescer.

-Si cela nous garantie ta tranquillité. Alors d’accord.

Avoir arraché cette promesse tenait du miracle. Généralement mes frères me tenaient écartées de leurs actions. Mon implication, cette fois-ci était probablement dû au fait que j’étais clairement concernée… Ou peut-être estimaient-ils enfin qu’il était temps… Ou les deux. Je ne leur posais pas la question, préférant voler une gorgée de café à Balian.

-Autre sujet… Tes rendez-vous arrangés, Halex.

J’eus une grimace.

-Tu dois t’y rendre, je suis désolé. Je sais très bien que tu as mieux à faire… Mais ne lui donne pas d’autres raisons de vouloir te faire plier.

-La dernière fois que j’y suis allée, j’ai retrouvé ce connard dans un restaurant. Il m’a insulté et il pensait que l’affaire était déjà faite.

-Je sais… Maxym’Hyus nous en a parlé. Ce n’est plus qu’une question de semaines… La liste s’amenuise lentement mais sûrement.

Je me tortillais contre Balian. J’étais gênée que mes fiançailles soient évoquées alors qu’il était là. Oh, je ne doutais pas que mon frère agissait dans le but de faire réagir le Mirialan, de lui faire comprendre de se décider ou d’accepter que je me marie… mais pas à lui.

A la question de Balian, les frères restèrent silencieux. Ce fut Halex qui se fit entendre.

-Pour certaines cérémonies… Après, je ne suis pas dans les cercles les plus « éveillés ».

En somme, je ne faisais pas partie des adeptes les plus zélées. Désormais, je ne serais jamais admise plus loin et, quand bien même, je ne l’avais jamais cherché. Dès mes premiers pas au sein du temps, lors de mes premières règles, j’avais eu une méfiance instinctive pour les Vestales. Quand bien même, le zèle aveugle ne me ressemblait pas. Comment avait dit la Maxima déjà ? Ah oui « tu es bien trop insoumise, bien trop indépendante pour être une femme accomplie… » Le reste ne méritait pas que je m’y attarde. A part ces quelques mots, tout ce qu’elle avait pu me dire était déjà parti aux orties.

Je retournais à ma cachette chaleureuse, écoutant Ga’Hyus tracer un portrait rapide du seul frère absent pour notre petite réunion. De tous mes frères, Luss’ était celui dont j’étais le moins proche. Notre affection était indéniable mais il y avait une certaine retenue entre nous. Retenue que je ne m’expliquais pas. Un jour, peut-être, poserais-je la question à Ga’Hyus ou Yul’… Pour l’instant, ce n’était pas encore bien problématique. Je le notais néanmoins dans mes projets proches.

En entendant Balian dire à Yul’Hyus qu’il n’allait pas le contredire fit hausser un sourire à Tyberr’Hyus qui se permit une petite remarque après avoir reposé sa tasse.

-Cette réunion vaut le coup rien que pour entendre ça.

Max laissa échapper un rire amusé. Moi-même je retins le mien, l’étouffant à travers un baiser sur la mandibule du Mirialan. Ga’Hyus et Yul’ ne firent aucun commentaire. Le premier préféra embrayer sur un autre thème que je n’aurais pas voulu aborder en présence de Balian. J’aurais dû me douter que Ga’Hyus allait m’épingler pour mon absence récurrente aux rendez-vous arrangés. Une manière pour moi de me « venger » de notre géniteur et, surtout, parce que je refusais d’y aller pour ne pas blesser Balian. Alors oui, nous savions tous deux que je devais me marier. Cette épée flottait au-dessus de nous de manière constante.

Nous n’avions pas vraiment parlé de notre situation encore. Je me pelotonnais contre Balian, à la fois gênée et perturbée par cette conversation que je n’avais pas vue venir.

-Oui, ce type-là, confirma Ga’Hyus. Halex ne s’est rendue à aucun rendez-vous depuis son retour. C’est pourtant l’une des conditions de sa présence ici… Sinon la principale.

Je savais qu’il n’approuvait pas le marché auquel notre géniteur m’avait contraint. Le fait que je refuse de remplir ma part de contrat me mettait dans une situation dangereuse. Notre père avait récemment prouvé qu’il n’hésiterait pas à être cruel avec moi. Mon soupir fut clairement audible, manquant d’enthousiasme. Je me redressais, prête à intervenir quand Balian demanda à être mon prochain rendez-vous arrangé. Pour le coup, mon regard lui traduisit toute ma surprise. Est-ce-qu’il mesurait l’ampleur de ce qu’il venait de demander ? Mon cœur avait accéléré. Je me sentais incrédule. On parlait bien de l’homme qui clamait qu’il ne voulait pas entendre parler de mariage ? Derrière moi, Yul’Hyus avait haussé un sourcil. Voilà qui était surprenant et carrément imprévu. Les rapports étaient clairs : l’homme était contre le mariage. Alors pourquoi demander ça ? Ga’Hyus n’avait pas bronché, soutenant le regard du Mirialan avec flegme.

-Est-ce-que vous mesurez ce que cela veut dire, Balian ? Ces rendez-vous arrangés se font dans le but de trouver un mari à Halex. Si je ne me trompe pas, vous avez un avis très tranché sur la question.

Je me décalais pour pouvoir regarder les deux hommes. Je serrais la main de Balian pour le soutenir même si je ne savais pas ce qu’il désirait vraiment. Et je n’osais croire qu’il envisageait de m’épouser. Néanmoins, je le soutenais.

-Personnellement, je suis plus curieux de savoir ce que vous pourriez « mettre sur la table » pour nous convaincre.

Yul’Hyus avait posé la question même s’il connaissait déjà les réponses. Dans les faits, il venait juste de montrer que lui, au moins, était prêt à envisager la « candidature » de Balian et lui laissait ainsi, la possibilité de donner son avis, de s’exprimer. De mon côté, j’avais la désagréable impression d’être un bout de viande pour le coup.

-Tu crois ? demanda Tyberr’Hyus à propos de Vhagar. Quand je vois ce qu’il te prépare pour ton retour, je ne suis pas sûr que l’adjectif « ramolli » lui convienne.

Un petit raclement de gorge de Ga’Hyus rappela Tyb’ à l’instant. Contrairement à ce qu’il laissait penser, Ga’Hyus aimait plaisanter… mais quand tout était terminé. Et là, à son sens, la conversation ne l’était pas. Surtout que le second sujet à aborder n’était pas des moindres… et des plus gênants. Tant pour moi que pour Balian. Bon sang, nous venions à peine de commencer à nous retrouver et voilà que le sujet de mon mariage revenait sur le tapis. C’était logique, au vu de son importance. Ce qui ne l’empêchait pas non plus d’être agaçant.

A dire vrai, je m’attendais à devoir discuter avec Ga’Hyus, essayer de négocier des soirées de libres pour pouvoir les passer avec Balian au lieu de le rejoindre au milieu de la nuit. C’était sans compter le Mirialan qui fit part de sa volonté d’être inscrit sur la liste de mes prétendants. La première seconde, je crus avoir mal entendu… ou avoir rêvé. Mon cœur avait raté un battement avant de repartir dans une course folle. Non, je n’avais pas rêvé : Balian venait vraiment de faire cette demande. J’avais définitivement raté un passage.

Ga’Hyus, lui, ne perdait pas vraiment le nord, cherchant à savoir si Balian avait vraiment conscience de ce qu’il venait de faire. Demander un rendez-vous, pourquoi pas – encore que j’étais la principale concernée – mais on parlait précisément d’un potentiel mariage. Non, loin Max avait écarquillé les yeux et Tyb’ se demandait si son référent n’était pas malade… ou en pleine crise d’il ne savait quoi encore. Il n’y avait que ça pour expliquer son comportement. Comportement que le Mirialan eut tôt fait de confirmer qu’il comprenait vraiment l’implication de sa requête.

Il serrait ma main avec force, probablement pour me montrer combien il était déterminé et sûr de lui. Intérieurement, j’oscillais entre la joie et la peur. Les autres, je savais pourquoi ils voulaient m’épouser. Pour Balian… Je craignais que ma seule liberté soit une raison qui finirait trop faible s’il en venait à regretter. A quelque part, j’avais l’impression de lui imposer ces préludes. Cependant, je me gardais d’intervenir et laissais l’échange se dérouler sans me donner l’impression que j’avais mon mot à dire.

La question de Yul’Hyus aurait pu passer pour une insulte, un sous-entendu clamant que Balian n’aurait jamais ce qu’il fallait pour m’avoir. En réalité, elle était posée à chaque fois. Je le savais : Luss’ me faisait passer les enregistrements de ces entretiens avec les aînés S’Trasza. Un moyen pour moi de me faire une idée avant la rencontre. Mes frères écoutèrent Balian avec attention, sans laisser filtrer la moindre indication quant à leurs pensées. Un vrai tribunal. Moi, j’observais Balian en essayant de comprendre vraiment ce qu’il voulait. Me « sauver » c’était une chose… Mais de là à passer une vie avec moi… J’eus un sourire timide au regard qu’il posa sur moi et serrais ses doigts pour témoigner de ma présence autant que de mon soutien.

Yul’ haussa un sourcil en entendant le nom complet de Balian. L’ombre d’un sourire passa sur ses lèvres. Et avant que Ga’Hyus ne puisse dire un mot, je leur jetais un regard.

-Est-ce-que vous pouvez nous donner quelques minutes seul à seule, s’il vous plaît ?

Au sourire de Ga’Hyus, je devinais qu’il avait attendu que j’intervienne. Il acquiesça et se leva en emportant son café. Les autres le suivirent et une fois seule avec Balian, je me décalais pour pouvoir le regarder avec tout le sérieux du monde, saupoudré d’inquiétude.

-Balian…Je… connais ton avis sur le mariage. Je sais que ce n’est qu’un rendez-vous arrangé qui n’engage à rien mais… Si tu le fais, je vais espérer que tu m’épouses, je le sais. Et… Je baissais la tête. Je ne veux ni t’imposer ça, ni même espérer pour rien. Si tu veux vraiment le faire, je tiens à ce que ce soit parce que tu le veux vraiment. Pour toi. Pas uniquement pour moi. Tu comprends ?

Je n’avais jamais vraiment douté de la capacité de Balian à surprendre mais je devais avouer que je n’aurais jamais été capable d’imaginer qu’il demande à faire partie de mes prétendants. En le faisant, il répondait à un désir que je n’avais pas osé émettre tout en craignant qu’il le fasse. J’avais peur qu’il se sente forcé, pris au piège d’un mariage qu’il regretterait finalement. Voilà pourquoi je demandais à ce que mes frères nous laissent seuls pour que je puisse discuter avec Balian. Je fis part à ce dernier de mes inquiétudes, essayant de lui faire comprendre mes craintes autant que ce que je voulais pour nous.

Et il me fit taire d’une manière qui m’arracha des frissons qui n’était pas de froid mais d’une envie qu’il était le seul à créer chez moi. Je répondis avec une fougue équivalente à la sienne, mes doigts déjà perdu dans ses cheveux. Je me pelotonnais contre lui, d’ores et déjà perdue. Il y arrivait si bien ! Je manifestais mon dépit de le voir reculer et briser notre échange. Certes, il aurait probablement dérivé jusqu’à nous mettre dans une situation potentiellement gênante et problématique. Je mordillais ma lèvre comme pour goûter un peu plus la saveur de ses lèvres. Je fermais à demi les paupières à sa caresse, me demandant vaguement si j’allais m’en lasser un jour…

Je l’écoutais, me remémorant les mots qu’il avait prononcés après ce que j’avais pudiquement appelé « la crise ». Le discours actuel y faisait écho et je pouvais lire dans ses yeux combien il le pensait, combien il était sérieux et sincère. J’acquiesçais. Bien sûr que je me souvenais.

-Je n’ai jamais imaginé nous cacher, murmurais-je, montrant par là que j’avais plus réfléchi à notre situation que je ne laissais penser. Mais… Je n’aurais jamais osé imaginer que tu serais prêt à…ça.

Sa caresse me fit sourire avec tendresse. Mon regard dévoilait l’intensité des sentiments que je lui portais. Par ce simple contact, il parvint à chasser la douleur simplement provoquée par l’idée de rompre avec lui. Je ne me souvenais que trop bien de la souffrance engendrée par ses rejets. La suite… chassa tout cela. Comment ne pouvais-je ne pas être touchée par ce qu’il me disait ? Je sentis une larme rouler sur ma joue. Elle traduisait combien j’acceptais ce qu’il m’avouait. Mes prunelles claires luisaient d’émotions et d’amour. Je gardais le silence jusqu’à ce qu’il vienne encore m’embrasser.

-Tu me le montres très régulièrement, non ? murmurais-je avant de lui voler un nouveau baiser pour répondre, tout à fait sérieusement cette fois-ci : d’accord... autant de fois que tu le voudras.

Comment aurais-je pu répondre autre chose ? J’accompagnais ma réponse d’un sourire doux avant que je revienne me cacher contre lui. Encore plus qu’avant, j’avais envie de me retrouver seule, vraiment seule avec lui. Je voulais pouvoir me perdre dans ce cocon de tendresse qu’il était parvenu à créer en quelques phrases sincères. Mes frères revinrent, comme s’ils avaient écouté notre échange et avaient attendus le silence pour surgir. Ga’Hyus nous regarda, se permettant un petit sourire.

-Je crois que nous pouvons comprendre qu’Halex accepte de rencontrer son prochain prétendant…, lâcha Yul’Hyus.

Je pouvais percevoir l’affection dans sa voix. Il était heureux pour moi.

-Je refuserais tous les autres.

Je venais de l’annoncer sans broncher. Je n’en voulais qu’un.