Karm Torr
Karm Torr
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La nuit.
La Force.


Karm voyait des vaisseaux qui se faisaient face, et à côté d’eux une épave abandonnée, et une planète au-delà, et des lunes, et un soleil. Il voyait un navire ark-ni — du bric-à-brac qui tenait on ne savait trop comment — et un autre bâtiment, plus moderne, plus stylisé. Il y avait quelque chose dans l’espace entre eux. Quelque chose d’invisible. Quelque chose de difficile.


Le Chevalier fut réveillé en sursaut moins par les petits coups discrets qu’on frappait à sa porte que par la fin de sa Vision de Force.


Sa première.
La seule qu’il eût jamais eue.


En… entre…, lança-t-il, le cœur battant, d’une voix plus forte qu’à l’ordinaire, et l’esprit encore confus.


La Force tourbillonnait puissamment autour de lui, prise d’une agitation qui tranchait avec la sérénité lumineuse dont il était d’ordinaire le centre. Un frisson parcourut son corps, alors qu’il murmurait, d’un ton distrait :


Bonjour…


Son entraînement reprit vite le dessus et, alors qu’il se glissait hors du lit, vêtu — petit miracle — d’un boxer moulant que le jardinier du temple d’Ilum aurait payé cher pour pouvoir observer, son calme lui revint.


Son regard s’arrêta sur la surface imperturbable des liquides et il adressa un sourire à sa Padawane.


Félicitations, déclara-t-il simplement, en s’installant avec elle à la table, sans prendre la peine évidemment de s’habiller. Et merci.


Une Vision de Force.


Il n’aurait pas dû être surpris.


Ce n’était pas rarissime, pour un Jedi. Tout le monde n’en avait pas, mais c’était une possibilité bien réelle, à laquelle les instructeurs les préparaient depuis l’enfance. Mais en adepte de la Force Vivante, Karm s’y était supposé moins disposé qu’un autre, que quelqu’un qui se ferait une obligation de scruter attentivement le futur.


Mais l’heure n’était pas à sonder son propre esprit. Il aurait amplement le temps, pendant leur voyage de retour, de s’interroger sur ce qu’il avait vu et sur ce qu’il faudrait faire, si toutefois il fallait faire quelque chose.


Nous prendrons des provisions pour la nuit, même s’il est peu probable que l’on ait à camper. Par le fond du Temple, on gagnera les grottes. Elles sont aménagées, et prévues pour des Padawans, mais c’est quand même une marche fatigante, et selon où ton intuition nous guidera, il se peut qu’on s’aventure dans une partie moins fréquentée. C’est pas…


Karm s’interrompit pour être sûr de bien choisir ses mots.


Y a pas de compétition, OK ? C’est pas parce qu’on trouve son cristal en cinq secondes à l’entrée ou après dix heures au fond d’une grotte oubliée qu’on est mieux ou moins bien. Ça n’a pas à être forcément difficile, pour que ça ait de la valeur, et ça n’a pas à être forcément facile. Parfois c’est plaisant et doux, comme expérience, parfois très éprouvant. Tous les chemins ont de la valeur, tant qu’ils mènent au cristal qui te convient.


Sa Maître à lui l’avait forcé à se plonger dans les grottes les plus obscures, loin des sentiers battus, où elle l’avait laissé seul, pendant des heures, dans l’obscurité complète, sans vivre. Mais Karm n’avait aucune intention de soumettre sa Thann au même genre de torture.


Je serai là avec toi, mais parfois, il faudra que tu sois livrée à toi-même, même si c’est pénible. C’est aussi une quête intérieure et, dans ces circonstances, la solitude a du mérite.


Entre ses phrases, il était parvenu à expédier son sobre petit-déjeuner. Il se releva, posa une main sur l’épaule de son apprentie et murmura :


Je te retrouve à l’entrée des grottes. J’ai toute confiance en toi. Tu t’en sortiras à merveille.


Les préceptes pédagogiques jedis invitaient à complimenter son Padawan pour renforcer la confiance en soi et Karm ne s’en privait certes pas. Quelques secondes plus tard, il disparut dans la salle de bain et, en se lavant, il chassa pour de bon de son esprit la Vision de Force, remettant à plus tard son examen, pour se concentrer pleinement sur la tâche du jour.


L’aurore d’un jour qu’ils n’observeraient probablement pas ne s’était pas encore levée sur Ilum quand Thann et Karm se retrouvèrent à l’orée des galeries souterraines qui, depuis le temple, s’enfonçaient dans la montagne. L’entrée en était lourdement scellée.


Que la Force soit avec toi, murmura simplement Karm, en laissant à sa Padawane, comme le voulait la tradition, le soin d’ouvrir la voie des catacombes grâce à la Force.
Thann Sîdh
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Ce ne fut qu’après être sortie de son état de concentration intense – ce n’était pas rien que de manipuler tant de vaisselle et de pourtant parvenir à ne rien renverser, que Thann remarqua l’étrange trouble qu’agitait l’aura, d’habitude si paisible, de son Maître. A dire vrai, elle ne l’avait jamais surpris au saut du lit, encore moins réveillé. Chaque fois qu’elle s’était proposée ainsi de composer leur petit-déjeuner, elle l’avait trouvé déjà en pleine activité. Si elle ne manqua pas de s’interroger, le fait que son mentor n’aborda absolument pas le fait – dont il ne pouvait pas penser un instant qu’il lui échapperait – l’invita à ne pas aborder la question. Peut-être le ferait-il plus tard ? S’il avait voulu le faire si tôt, même laconiquement, il l’eût fait. La confiance infinie qu’elle avait en lui l’incita à ne pas s’inquiéter outre-mesure. Elle sourit aux éloges, répondit « de rien » d’un hochement de tête et entama son propre repas qui – c’était à présent une habitude – était bien plus conséquent que celui du jeune homme qui lui faisait face.

Obligée d’aller chercher le petit-déjeuner aux cuisines, Thann était habillée de la même tenue sobre que la veille, mais ne nota même plus la quasi-nudité de son aîné tant elle y était habituée. Pendant qu’elle engloutissait tartines, fruits en tous genres et lait chocolaté, elle écouta avec attention les explications de son Maître. Elle devrait s’en remettre à son instant, écouter la Force et ne pas douter de ses conseils. Croire en elle, en sa capacité à être un jour une bonne Jedi et tout à la fois se laisser guider. Les mots rassurants de son Maître l’enveloppèrent comme un manteau eût recouvert ses épaules bien qu’ils semblèrent, alors que son menton dégoulinait de son petit-déjeuner, assez peu appropriés.

Elle n’avait jamais eu l’occasion, au Temple, d’une pareille entreprise spéléologique. La nouveauté de l’exercice l’exaltait autant qu’elle l’assaillait de souci mais ainsi soutenue, elle parvint sans trop de mal à dompter ses inquiétudes. Tout irait bien, car il était là, et quand bien même elle serait seule, tout ce qu’il lui avait appris ainsi que la Force continuerait de l’accompagner.

Moins d’une heure plus tard, Thann s’était de nouveau glissée dans sa bure prévue pour le grand froid et rejoignait son Maître à l’endroit indiquer. Il l’attendait devant un mur. Sa perception, curieusement, n’alla pas au-delà. L’étrange pan, uniformément lisse et de glace, semblait cascader de Force et attendre que d’aucun l’ouvrît comme un rideau. L’adolescente posa son barda, respira profondément, posa sa main contre la paroi, joua avec les flux de la Force et soudain, alors qu’elle décollait sa main, l’uniformité du bloc de glace fut rompue et la porte des grottes révéla ses deux énormes battants qui, malgré leur taille démesurée, glissèrent avec douceur et sans peine sur leurs gonds. La Miraluka s’était attendu à un grincement sourd et profond, celui du métal contre le métal, mais en réalité le tout s’immobilisa sans le moindre bruit par quelque prodige. Au comble du ravissement, elle s’élança d’un pas décidé dans les galeries non sans avoir effleuré au préalable l’aura de son Maître, lui communiquant par-là sa détermination.

Qu’importe le chemin, il lui fallait l’emprunter et apprendre de lui. Comme remontant le fil d’un ruisseau dont elle n’avait d’abord perçu qu’un léger goutte-à-goutte, Thann percevait une variation étrange dans la Force que son cœur l’invitait à suivre. Elle ne remarqua pas que ses pas l’amenèrent rapidement en-dehors du réseau principal des grottes, toute concentrée qu’elle était, ni même que les réseaux de lampes avaient cessés de s’entrelacer au plafond en sorte que son mentor avait été, lui, obligé d’allumer son propre équipement pour y voir. Curieusement, le chemin ne semblait pas tortueux et, au contraire, descendait régulièrement, en longues courbes nettes, allant de droite et de gauche. Rapidement, elle avait perdu toute notion du temps.
Karm Torr
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Les caves d’Ilum étaient pleines de souvenirs terribles que Karm accueillit comme à son habitude avec une indifférence qui ne manquerait pas de le préoccuper, quelques jours plus tard. Quand il en sortit et qu’il considérerait le détachement qu’il avait opposé à ces épreuves du passé, il s’inquiéterait, comme il le faisait toujours, de n’ être pas assez sensible. Est-ce que c’était normal ? Est-ce que c’était normal de se revoir, petit, enfant, gelé jusqu’aux os, affamé, perdu dans le noir, abandonné là, tout seul, par une maître impitoyable, mais de ne pas avoir l’impression de replonger dans un violent traumatisme ?

Depuis, ses visites sur Ilum avaient été fréquentes — aussi fréquentes que le permettait le grand isolement de la planète — mais il ne s’était bien sûr jamais aventuré à nouveau dans les caves, qu’il considérait pour un lieu sacré, réservé au pèlerinage des Padawans.

Les galeries souterraines furent petit à petit plongées dans l’obscurité, alors que Karm suivait en silence, comme d’habitude facilement, la jeune fille qui allait d’un pas décidé. La lampe de l’Ark-Ni faisait miroiter tous les cristaux qui affleuraient dans la roche. C’était un spectacle d’une beauté rare. Les pierres attendaient là d’être trouvées par les centaines de Padawans encore à naître, par tout le futur que la Force réservait à leur Ordre, et elles attendaient depuis presque toujours.

Après sa vision de ce matin-là, les pensées de Karm allaient vers le passé et le futur.
Il lui faudrait prendre conseil auprès des Sages et des Voyants de l’Ordre.

Une heure plus tard, leur chemin fut barré par des éboulis qui barraient tout à fait la galerie. Sans rien dire, Karm décrocha la lampe à son épaule et balaya la voûte, à quelques centimètres au-dessus de sa tête, puis les parois des deux côtés. L’effondrement devait être ancien, parce que tout le reste de la structure paraissait solide : la montagne s’était tassée sur elle-même pour retrouver ses assises.

Le Gardien jeta un coup d’oeil à sa Padawane.
Il lui semblait qu’elle était déterminée à aller plus loin.
Il ne lui posa pas la question : leur direction, c’était son affaire à elle.

Karm vint se poster à côté de Thann et posa une main sur son épaule. À ce moment précis, il se rendit qu’il n’avait jamais cru, jadis, qu’il remettrait les pieds dans les cavernes d’Ilum, parce qu’il n’avait jamais pensé qu’il aurait à y guider quelqu’un. C’était beaucoup de responsabilité et beaucoup de joie. Il se sentit reconnaissant envers la Force, envers l’Ordre et envers Luke, qui l’avait tant poussé à sauter le pas.

Le Jedi tendit la main vers les rochers entassés. Une vague de Force en jaillit pour ébranler leur équilibre et le rendre plus précaire. Contribution modeste à la tâche qui attendait sa Padawane, de les déblayer par elle-même, grâce à la Force, grâce à ses mains peut-être. Des mottes de terre gelées roulèrent à leurs pieds et l’amoncellement était évidemment plus fragile.

Karm se recula de quelques pas, les mains enfoncées dans les poches, pour observer le travail de l’adolescent. Comme les cristaux, son regard reflétait dans la pénombre la lumière de la lampe fixée à son épaule.

Quand le passage fut ouvert, ils reprirent la marche, mais elle devint plus ardue. Le sol était inégal. La galerie se rétrécissait tant parfois qu’ils étaient obligés de se courber, puis de ramper, et, à plus d’une occasion, l’explorateur interrompit leur progression, pour sonder les grottes à travers la Force et s’assurer qu’ils ne couraient pas, au retour comme à l’aller, de dangers considérables.

Ils s’étaient engagés dans les profondeurs de la montagne depuis plusieurs heures déjà quand ils débouchèrent dans une vaste grotte dont la voûte se perdait à plusieurs mètres de hauteur et qui était occupée presque entier par un petit lac souterrain, en fait le vaste bassin d’une source chaude, semblable à celles qui infiltraient les murs du Temple pour le prémunir des glaces. Le lac était plein de vie, mais d’une vie minuscule, microscopique, qui s’agitait là par myriades, loin des formes gigantesques que le monde prenait à l’air libre.

Des galeries s’enfonçaient de tous les côtés et, en plus de celle dont ils venaient de sortir, Karm en compta une demi-douzaine, qui formaient un véritable labyrinthe dans la roche, probablement en partie bouché. Le jeune homme ne s’inquiéta guère de se perdre dans la succession des souterrains : des années d’exploration avaient développé en lui un sens de l’orientation presque à toute épreuve, et puis le temple saurait les rappeler à lui, lumineux à travers la Force.
Thann Sîdh
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Le filet d’eau, au fil des pas, c’était mué en ruisseau dont Thann parcourait la berge sans oser en troubler l’eau. Elle allait bon train dans les dédales, sûre de poursuivre la bonne route, et soudain la voilà qui se heurtait à un mur. Toute surprise, elle tourna la tête de droite et de gauche, se tourna vers son maître, comme ne réalisant qu’à présent qu’elle n’avait cessé d’avancer depuis l’ouverture de la porte. La porte… Combien de temps ? Combien de lieues ? Focalisée tout entière sur la fin, elle n’avait aucune idée du moyen qu’elle avait emprunté jusqu’ici. Un instant, un soupçon de panique commença à poindre aussitôt chassé par la main rassurante de son Maître. Il respira profondément, le sentit jouer dans le courant de la Force et ébrécher le rempart qui s’était dressé devant elle. Sous lui, le ruisseau. Elle n’avait aucun doute sur la nécessité de le traverser, et d’en trouver le moyen seule.

Elle étendit sa perception, la glissa entre les entrailles de pierre, filant tout le long des joints mal comblés de l’obstacle, ne parvint pas à établir avec certitude l’épaisseur de l’ensemble. Elle s’écarta, se concentra, caressa la Force, altéra son courant, sculptant sa lame et abattant la vague. Le sol trembla sous le choc, la pierre frissonna, la poussière vint lui caresser le nez mais toute sa puissance n’amena qu’à une explosion tonitruante qui se répercuta loin dans les galeries : celui de l’éternuement le plus mignon de tous les temps. La roche avait souffert sa démonstration de puissance sans crainte et continuait de la toiser, altière et solide. Elle ne tenta pas une seconde fois de trancher dans le vif du minerai et se posa, en tailleur, pour méditer sur la question. Sa conscience avait beau courir le long des fissures et des entailles, elle ne parvenait pas à trouver la faiblesse. Dans son esprit, les plans les plus complexes s’échafaudaient, les calculs les plus fous, et soudain tout se délitait, se perdait en milles réflexions parasites, en cent empêchements qui ruinaient le tout. Elle se sentait… Elle se sentait comme en haut de cette pente. A chercher avant tout la compréhension d’un ensemble trop vaste alors qu’il s’agissait de sentir, dans son corps, le mouvement naturel des choses.

L’adolescente se leva et, de nouveau, s’intéressa à la Force. Elle plongea profondément dedans, comme se baignant dans le ruisseau qui coulait entre ses pieds, et de-là, se mit à danser dans ces invisibles eaux lustrales, suivant leur mouvement, vivant leur courbe, prolongeant leur travail d’usure et de sape plutôt que de rediriger leur cours. Petit à petit, alors qu’elle virevoltait doucement en silence, un grondement commença de s’élever, des grattements, des craquements. La colline s’effondra sur elle-même, comme brisée de l’intérieur. Son équilibre avait été rompue et à présent, une travée la coupait en deux, quoique pas bien large, ils purent l’emprunter et aller de l’avant, le sourire aux lèvres et non sans éternuer encore pour Thann.

L’écho de leurs pas résonnèrent encore longtemps à l’étroit dans les tunnels avant de subitement s’élevaient bien plus haut alors qu’ils pénétraient dans une grotte jumelle de celle du Temple. La jeune Miraluka scruta avec attention l’endroit. Son ruisseau y était rejoint par des centaines d’autres, chacun provenant d’un couloir différent, perlant du plafond même et, finalement, elle ne savait plus si elle avait été jusque-là en aval ou en amont. Au cœur de l’endroit, l’eau fumante, bien tangible celle-ci et non pas une simple métaphore, et sinon, rien. Elle s’approcha de la berge, ne sachant plus que faire, que suivre, se tourna vers son Maître qui, sans un mot, lui fit comprendre qu’il n’était pas là pour répondre à cette question. Il lui fallait persévérer, trouver la clef de cette étrange énigme seule. Devait-elle choisir un couloir ? Si oui, lequel ? Elle s’éloigna, s’approcha de quelques arches. Rien. Elle avait perdu le fil ou du moins trop d’entre eux se présentaient à elle et la voilà qui ne savait plus lequel suivre… Ou bien fallait-il les suivre tous ? Elle s’approcha de nouveau du centre de l’étrange pièce et dirigea toute son attention vers le bassin. Elle ignorait pourquoi, mais elle avait le sentiment d’avoir trouvé quelque chose. C’était parfaitement impossible et pourtant… Sans un mot, obnubilait par cette réponse qu’elle ne pouvait concevoir, elle se débarrassa de ses vêtements pour ne plus porter que son body. Bien qu’il ne fît pas froid, un frisson la parcourut. Elle s’apprêtait à céder à ce qui, selon toutes les apparences, était pour elle la folie. Son sac, ses affaires, elle abandonna tout et, lentement, pénétra dans le bassin. Une fois au centre, elle se résolut. Elle calma le rythme de son cœur, prit une grande inspiration, pria intérieurement la Force, tira de l’aura chaleureuse de son Maître les derniers soupçons de courage qui lui manquaient et plongea.

La descente fut longue, même pour un métabolisme soutenu par la Force. Autour d’elle, elle ne percevait plus rien que les ruisseaux de Force qui, à présent, s’alliaient en torrents impétueux. L’eau, que pourtant elle sentait contre sa peau, lui parut de moins en moins tangible tandis que la puissance ancestrale qui régissait à l’Harmonie du monde gagnait en vigueur autour d’elle. Un instant, l’idée qu’elle ne pouvait plus faire demi-tour, qu’elle avait passé le seuil au-delà duquel elle aurait pu encore reculer et retrouver l’air de la grotte, lui effleura l’esprit. Curieusement, dans la chaleur des eaux et de la Force, elle ne s’en émut pas. Son Cœur, non plus sa Raison, lui murmurait qu’elle était dans le vrai. Soudain, alors que chaque alvéole de ses poumons hurlaient à l’oxygénation, son visage creva une surface et la voilà qui chutait, littéralement, du plafond. Epuisée, la tête qui tournait encore du fait de l’apnée prolongée qu’elle s’était imposée, elle se laissa tomber, incapable de réagir, mais sa stupeur ne fut que plus intense lorsqu’elle entendit, sous elle, le bruissement d’arbustes qui retirent sa chute. Plutôt que de se briser les os sur le sol, ils la déposèrent sur une mousse glissante et étrange qui tapissait l’endroit. Elle resta un moment, allongée sur le dos, au milieu de cette antre irréel. Au plafond, un tourbillon de Force naturel empêchait l’eau de s’écouler. Le bassin, taillé en étrange entonnoir, était une impossibilité naturelle que pourtant elle admirait. Tout ce lieu, en réalité, échappait à l’entendement. Elle finit par se relever, encore un peu tremblante, son Maître ne semblait pas vouloir la suivre. C’était son épreuve.

Elle tenta un instant d’étendre sa perception jusqu’à lui mais les phénomènes brouillaient trop sa vue pour qu’elle y parvînt. Elle se souvint alors qu’elle n’était pas ici pour regarder en arrière mais bien pour trouver sa voie et se mit à explorer les lieux. Bien vite, ceux-ci se révélèrent grouillants de vie. Rien de bien impressionnant, un équilibre subtil de petites créatures, certaines prédatrices, d’autres charognardes, d’aucun de mignons petits herbivores. Au cœur de la planète, la Force semblait avoir préservé une vie verdoyante, laquelle était impossible à la surface. Un rien aurait suffi à la réduire à néant et la Padawane s’assura qu’elle ne serait pas ce rien. Dans un recoin de la grotte, comme sur un piédestal, un être vivant dominait tous les autres. Un arbre majestueux dont les feuilles se perdaient dans les volutes de Force qui dansaient au plafond. Irrémédiablement attirée par lui, elle s’avança avec prudence, jusqu’à poser la main sur son écorce. Elle ne s’attendait pas à une vague si puissante.

Tout son esprit éclata, mais non avec violence, davantage comme si ses limites venaient de soudainement s’envoler. Elle était dix milles ans d’Histoire, elle était les feuilles, la mousse, l’eau qui ruisselait encore de ses cheveux et le long de ses jambes, les ramures qui tutoyaient la voûte, les insectes, le vivant. Elle était Karm et les autres Jedis, ses confrères, perdus dans les hauteurs. Elle était elle, elle était l’arbre, elle était tout, au cœur de la Force. Elle était la mort qui s’abattait sur le malheureux lapin des neiges, elle était la vie que gagnait le corps de l’aiglon dans son œuf, elle était le minéral, le végétal. Elle était. Sous sa main, l’écorce céda en douceur et soudain, elle serra une orbe chaude et doucement lumineuse à son esprit.

Aussitôt, elle sut qu’elle avait trouvé ce pour quoi elle était venue. Des larmes coulaient déjà des ses joues. Le bonheur se mêlait à trop de sentiments pour qu’elle put les retenir. Tout lui semblait si fou. L’instant se gravait profondément dans sa mémoire et elle tenta d’en frapper chaque fragment du seau de l’éternité. Doucement, comme à regret, elle s’éloigna de l’arbre qui déjà ne portait plus trace de ce don sur son écorce. Tout s’était refermé, comme si elle l’avait rêvé. Elle regagna le centre de la grotte, pris son élan, puisa dans les courants de Force environnant et effectua le plus grand saut de sa vie, pénétrant à nouveau dans l’eau suspendue, battant puissamment des jambes et des bras pour regagner la surface.

Là, son Maître l’attendait assis au bord de l’eau. Elle regagna la berge, elle ne cessait de pleurer, de rire tout à la fois. Les gerbes d’eau qu’elle produisait semblait s’accorder avec son hilarité cristalline. Le bassin, en deçà de lui, était encore trop profond pour qu’elle sortit de l’eau autrement qu’en se hissant hors d’elle. Elle n’y songea pas, elle s’arrêta près de lui, à moins d’une longueur de bras, et lui tendit, au creux de sa paume, pas plus grand qu’un œuf de caille, l’étrange être minéral qu’elle avait déjà baptisé Endalda , le « Cœur de l’Arbre » dans la langue de son peuple.
Karm Torr
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Est-ce qu’il venait de noyer sa Padawane ?
C’eût été fâcheux.
On trouverait probablement le moyen de le lui reprocher.


Les bras croisés, Karm ne considérait pas le lac avec toute la tranquillité d’esprit souhaitable. Il avait dû se faire violence pour ne pas s’élancer à la suite de Thann dans cette curieuse cure thermale, mais il lui avait expliqué lui-même que ce périple était d’abord le sien, et qu’il impliquait des épreuves et un certain isolement.


Les Padawans ne mourraient généralement pas dans d’atroces souffrances quand ils partaient chercheur leur cristal. C’est sur cette pensée réconfortante que Karm choisit de se concentrer, en s’installant en tailleur au bord de la rive, les yeux bientôt fermés, et l’esprit bientôt plongé dans la Force, si claire et si vive dans ces grottes exceptionnelles.


Le bruit des ruisseaux innombrables qui affluaient dans le lac guida sa méditation et, en quelques minutes, il parvint à retrouver une quiétude d’esprit digne d’un Jedi. Ses pensées s’égarèrent un instant vers Soruan, son éphémère Padawane de quelques semaines, une Miraluka elle aussi, mais trop éprouvée par le guerre et le Côté Obscur, elle avait nécessité l’intervention de plus spécialistes que lui.


La Force avait ainsi conspiré, par des détours et de faux-départs, à les réunir, Thann et lui. Un instant, l’Ark-Ni, hanté par son rêve de la nuit peut-être, laissa ses pensées percer contre son habitude les voiles du futur. Il n’y perçut rien de clair — l’exercice lui était si étranger —, sauf la présence de Thann à ses côtés, pour bien des années encore. C’était suffisant. Il revint au moment présent, et à la Force Vivante, avec toutes ses implications.


Confusément, ses sens percevaient le monde que découvrait Thann sous la grotte et sous le lac : pour lui, c’était comme une symphonie cachée. Il y avait là des tourbillons et des sursauts bien différents de ce qu’il avait éprouvé, lui, des années plutôt, en cherchant son cristal. Ses souvenirs lui revenaient. La peur, la faim, le froid, dans la solitude de l’obscurité. Ses bruits qui résonnaient dans les cavernes. Les mains et les genoux en sang, écorchés par la roche et la glace. Comme pris au piège, et peut-être celui de la mort.


Et puis soudain, il l’avait trouvé. Dans un recoin oublié d’un couloir que plus personne ne traversait depuis des décennies. Son cristal, son bleu pur et parfait. Tout à coup, il avait éprouvé une quiétude parfaite et souveraine. Cette force immuable qui se cachait dans son corps fragile. Le cristal concentra ses pensées. Pendant plusieurs mois, il avait échangé son sabre avec celui de Luke, selon une vieille tradition jedi. Désormais, la présence de l’Hapien, si différente de la sienne, était aussi imprégnée là.


Karm comprit.
Ou tout du moins il crut comprendre.
Là-bas, en dessous, Thann riait et pleurait, elle virevoltait et s’agitait.
Lui, il était la roche, le glacier, le plateau dont elle prendrait son envol.


Elle était les ruisseaux qui affluaient et il était le lac.
Elle verserait en lui ses craintes et ses espoirs, ses idées et ses doutes, et il serait le réservoir de son courage.


La voix de la jeune fille se distingua petit à petit dans la vaste mélodie de la Force qu’écoutaient ses pensées.
Bientôt, Thann émergeait.
Karm rouvrit les yeux.
Il reflétait comme les cristaux la lampe posée à côté de lui.


Délicatement, ses doigts refermèrent ceux de Thann sur sa trouvaille et il garda un moment la main de son apprentie dans la sienne, sans rien dire, mais son approbation, dans la Force, se passait de commentaire.


Ils restèrent un moment ainsi en silence, pour que Thann puisse se calmer et, surtout, sécher. Karm observait le lac, occupé à transmuer la fierté qu’il avait éprouvée en la voyant victorieuse en plus de tranquillité. Plus tard, il pourrait réfléchir posément aux implications nouvelles. À l’arme que la jeune fille forgerait et au programme d’entraînement approprié.


Ça va bientôt se refroidir, on ferait mieux de rentrer, finit par murmurer Karm d’une voix rauque qui parvint à peine à l’emporter sur le murmure des ruisseaux.


Lui n’avait pas perdu la notion du temps.
La faute aux jours interminables passés, à son entrée dans l’ExploCorps, des années plus tôt, sous la houlette de formateurs qui avaient insisté pour que, soleil ou non, étoiles ou non, il sache toujours l’heure qu’il était.
Expérience peu palpitante, il est vrai, mais dont il ne pouvait pas nier l’utilité.


Les deux Jedis se relevèrent et, cette fois-ci, Karm ouvrit la voie. Thann était peut-être très affaiblie, et il trouvait plus sage de s’assurer lui-même que le chemin était encore praticable. Il empruntait galerie sur galerie et traversait les bifurcations sans la moindre hésitation, retraçant leurs pas comme s’il avait connu le chemin depuis toujours, en bon explorateur.


La progression fut plus malaisée qu’à l’aller. Avec le froid de la nuit qui tombait, et qui se propageait petit à petit, à travers les roches, à l’ensemble du massif, certains couloirs se couvraient de glace. Plus d’une fois, le vrombissement d’un sabre laser bleu vint troubler la quiétude des souterrains pour ménager un nouveau passage là où les ruissellements s’étaient solidifiés.


C’était le moment où l’esprit des Padawans pouvaient se relâcher, sur le chemin du retour, et où la fatigue des corps apaisait la tension des sens. Il avait fallu être constamment attentif, plongé dans la Force, pour trouver le cristal et, en regagnant le Temple, on descendait des sommets mystiques jusqu’aux profondeurs de son propre corps, avec ses muscles et ses nerfs pour qui le futur sabre serait un instrument.


C’était le soir tout à fait quand les deux Jedis traversèrent la cascade de glace et les portes du vaste réseau de galerie, pour rejoindre le temple, fatigués, affamés, mais victorieux.
Thann Sîdh
Thann Sîdh
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L’infinie délicatesse du Maître qui referma sa main émut la Padawane aux larmes. Ou bien était-ce toutes les émotions de ces derniers jours ? Ou peut-être ce soulagement immense qui l’inondait enfin. Malgré les noirceurs de Columex, elle tenait dans sa main un éclat vivant de Force. Elle l’avait saluée, par-là, comme l’une de ses championnes. Aux perles souffrées du lac s’ajoutèrent les siennes, salines. Entre le rire et les larmes, elle parvint à se hisser hors de l’eau, à la Force de ses bras, mais ne se redressa pas immédiatement, roula plutôt sur le côté, s’arrêta sur le dos, pleura et rit toutes les larmes de son corps, Endalda serré sur sa poitrine. Elle terminait la saignée émotive qu’elle avait commencé d’opérer aux côtés du Chevalier Kayan et, à la façon d’un étrange baptême, se purifiait durablement du mal et de l’angoisse profonde qui l’avaient rongée.

Quand elle eut fini de trembler, tant à cause de la fatigue que de l’émotion, elle se redressa enfin. Elle était pratiquement sèche mais, surtout à cause des températures qui chutaient perceptiblement, on accéléra le processus en approchant de sa peau la chaude puissance plasmatique d’une lame. Le bourdonnement sembla danser autour d’elle, les dernières gouttes frémirent et se sublimèrent, enfin, elle pouvait se glisser à nouveau dans sa bure des grands-froids et activer les petites batteries qui lui permettrait de se maintenir à une température tout à fait acceptable.

Elle enfouit son cristal dans une petite poche intérieur, proche de son cœur, se saisit de son sac – non sans en avoir tiré de quoi mastiquer sur le chemin du retour – et emboita le pas de son Maître. Elle eut immédiatement conscience de l’horrible situation dans laquelle elle se fût retrouvée sans lui. Sitôt immergée dans l’eau, elle avait totalement perdu la notion de l’espace, en plus de celle du temps qu’elle avait déjà égaré dans le dédale des couloirs, si bien que sans cette élégante boussole qu’était son mentor, elle eût eu tout le loisir de paniquer et de s’inquiéter de la direction à prendre. Par ailleurs, elle s’en rendit compte rapidement, sa charge dans les entrailles d’Ilum l’avait portée loin et vite, la fatigue l’accablait à présent. Pourtant, elle ne fut pas suffisamment puissante pour altérer la joie tranquille qu’inondait tout son être. S’il lui arriva de tituber plus d’une fois sur une plaque de givre ou un caillou malheureux, elle ne baissa ni la tête ni les épaules et tint le rythme adapté de son maître.

Lorsque les deux battants se scindèrent à nouveau pour les laisser sortir, elle eut la surprise de découvrir, derrière, les deux confrères de la veille : le Maître Jedi Scan et la Chevalière June Metalepse. Chacun des deux souriait à sa façon et ce fut la Nautalane qui parla la première :

« Et bien ! J’ai cru que nous allions avoir attendu pour rien ! Je me doute à vos mines réjouis des résultats, montrez-moi ! »

L’enthousiasme pétillant de sa consoeur lui alla droit au cœur et revigora, la Force sait seule comment, l’adolescente qui alla délicatement chercher le cristal dans les plis de son habit. Dans ses deux mains en coupe, elle le présenta aux deux Jedis. La Maître de la Forge ne cacha pas sa surprise.

« Et bien… C’est un bien étrange cristal que vous avez trouvé là et pourtant… Je ne doute pas qu’il fonctionnera. Pourtant… Je n’ai jamais vu pareil fragment sortir de nos grottes. Maître Scan ? Vous êtes plus ancien ici que moi. »

Le Whipid resta silencieux de longs instants, admirant l’objet avec intensité.

« Où l’avez-vous trouvé, jeune fille ?

– A vrai dire, je ne saurais dire. L’endroit était tout à fait curieux. Caché sous un bassin, un nexus de Force s’y était formé. C’était une grotte pleine de verdure, pleine de vie. Un semblant de forêt sous-terraine que la Force seule nourrissait faute de soleil. Il y a là un arbre, gigantesque, qui semblait soutenir toute la grotte. Je l’ai touché… Je me suis sentie… Voyager. Et puis voilà que ma main passait l’écorce et trouvait l’objet. Je l’ai appelé Endalda, le « cœur de l’arbre » en Miralukese. C’était… Fantastique !

– Un arbre dites-vous ? Voilà un bien étrange prodige…

Le Whipid gronda étrangement et, ayant attirait l’attention de tous, partagea sa pensée : « C’était difficile de dire si cela faisait partie de la légende ou non… Je n’étais pas né, c’était aux tous débuts de l’installation de ce Temple. On dit que l’un des Maîtres fondateurs du lieu, un Neti du nom de Fan Gaurn, s’est un jour éclipsé dans les grottes pour ne plus jamais en ressortir. Il n’avait laissé derrière lui qu’un manuscrit, des récits à peine compréhensibles de visions qu'il avait eues. « Un lieu à purifier, un appel dans les ténèbres », des mots qui revenaient souvent dans ces écrits. Je crois… Je crois, mademoiselle, que vous avez fait sa rencontre et, puisque vous revenez avec ce cristal, qu’il est heureux de vous compter parmi les héritières de l’Ordre Jedi. »

Thann ne savait que dire. Elle porta toute son attention sur le Cœur, puis, sans trop réfléchir, la tourna ensuite toute entière vers la montagne et son réseau de grotte avant de lancer, par une onde télépathique un peu maladroite, tout la reconnaissance qu’elle pouvait témoigner en direction du lac dont, curieusement, elle pouvait indiquer la direction, même parvenue au seuil. Le plus étonnant, et à vrai dire, elle douta d’avoir imaginé tout ça, fut la réponse qui lui parvint du fond des temps alors que le petit groupe commençait de s’éloigner pour aller trouver un repas bien mérité. Quelques mots, effleurant son esprit, si rapides et si légers, « La Force est avec vous, maintenant et à jamais… »
Karm Torr
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Les voûtes immenses du Temple Jedi accueillirent l’enthousiasme de ceux qui s’étaient rassemblés autour de la jeune Padawane, pour la congratuler de son bon succès. D’une oreille attentive, mais avec son expression égale qui lui était ordinaire, Karm écouta la légende qui donnait du sens à l’expérience de la jeune fille. Son regard erra vers la chute de glace, qui se reconstituait déjà derrière eux, et les portes, et les vastes galeries. Qui d’autre veillait là sur eux depuis les profondeurs de la montagne ?

Les deux spéléologues du jour eurent le droit à leur petite escorte jusqu’à la salle du dîner, où la chaleur des plats fut la bienvenue, après les rations de survie de la journée. Karm se replia volontiers dans son silence habituelle, pour laisser sa Padawane faire plusieurs fois encore le récit de ses exploits du jour. Pendant que Thann parlait, il la fixait, pensif, ignorant s’il y avait quelque chose à conclure des circonstances particulières qui avaient entouré la découverte de son cristal ou s’il convenait simplement de laisser le destin suivre son cours.

Ils furent en tout cas dispensés l’un et l’autre des conversations qui suivaient d’ordinaire le dîner, pour pouvoir rejoindre leurs quartiers, leurs douches et leurs lits. Bientôt, le sommeil tomba sur le temple, troublé seulement par les mugissements du vent au dehors, qui bouleversait le manteau de neige de la montagne. Sous eux, derrière eux, dans la roche, des tunnels s’effondraient et d’autres se créaient, au hasard des révolutions silencieuses de la pierre.

Dans les rêves de Karm, il y avait une Padawane riante, du ski et des serres botaniques. Plus tard, dans la nuit, le visage de Luke, et puis le reste du corps de Luke, ce qui n’était pas désagréable — pas désagréable du tout. Et plus tard encore, un rêve étrange, un rêve clair et pressant, comme la veille : une espèce de vaste parking, dans une ville immense, le bruit des sabres lasers entre les speeders, une présence familière et, soudain, une lame violette qui transperçait son ventre, lui brûlait les entrailles et le laissait mort sur le bitume.

Karm se réveilla en sursaut.
Le soleil n’était pas encore levé.
Il tendit l’oreille.
Thann dormait.

Machinalement, l’Ark-Ni porta une main sur son ventre, nu et intact. Mais la douleur était encore là. L’impression de vérité aussi. Il se tira de son lit et, après un détour par la salle de bain, gagna les couloirs déserts du Temple. Son esprit lui jouait-il des tours ? La perspective de voir ce jour-là Thann forger son sabre rendait aussi plus concrète celle des batailles où la jeune fille, peut-être, perdrait la vie. Et si lui venait à mourir ? Qu’adviendrait-il de Thann alors ?

Debout les mains dans les poches, devant une vaste baie qui dominait la vallée en contrebas, il observait les vagues de neige et de glace, qu’on voyait nettement sous la clarté des étoiles, maintenant que la tempête s’était calmée. Un cristal doré. Sur la voie des Sentinelles, il y aurait toute sorte de choses qu’il ne pourrait pas enseigner à Thann. Suffirait-il à la conduire jusqu’aux épreuves de la chevalerie ?

Déjà debout ?

Si l’Ark-Ni n’avait pas été aussi flegmatique, il aurait sursauté. L’Auxiliaire s’était glissé à côté de lui dans un silence complet et il observait à présent la vallée.

Toi aussi.
Je mène une expérience sur la réaction de nos plantes au cycle lunaire de la planète.
Et ça marche ?

Igur haussa les épaules.

Et toi ?
Écrasé par le poids des responsabilités, déclara Karm d’un ton égal.

Le botaniste lui jeta un regard en biais. Il n’aurait jamais imaginé que Karm puisse être écrasé par quoi que ce soit, si ce n’était son sex appeal (chacun ses problèmes).

Alors comme ça, Thann a trouvé un cristal super cool.
Oui.

Faire la conversation à Karm revenait parfois à tenter de dérider un butoir de porte.

Elle a un maître super cool, du coup, ça tombe bien.

Pour toute réponse, l’Ark-Ni s’abîmait dans la contemplation un brin mélancolique des étendues gelées.

Bon, euh… J’retourne à mes plantes, moi, hein…, murmura l’Auxiliaire après ce succès tout relatif.

Karm hocha vaguement la tête et le jeune homme s’éclipsa.
(Non sans se retourner une ou deux fois pour reluquer le Chevalier éclairé par la Lune.)

Deux ou trois heures plus tard, c’était au tour de Thann de se réveiller avec un intrus dans sa chambre.

Tu ronfles, mentit éhontément son maître, assis en tailleur par terre.

Depuis combien de temps était-il là, plongé dans une immobile méditation, à attendre que la jeune fille émerge ?

Mais comme j’suis du genre conciliant, j’t’ai apporté à manger.

D’un geste de la tête, il désigna le plateau chauffant qui reposait sur le petit bureau de la chambre. Lui-même avait englouti son petit-déjeuner il y a plus d’une heure, dans un tête-à-tête captivant avec les relevés de la nuit transmis par les stations météorologiques automatisées qui surveillaient la surface d’Ilum pour le compte des Jedis.

Prends des forces, parce que y a des chances que tu te fais électrocuter cinq ou six fois avant d’arriver à finir ta lance.

Humour.
(Probablement…?)

Contrairement à la veille, la présence de Karm à travers la Force, ce matin-là, était calme et posée, comme il était ordinaire. Le jeune Gardien avait consacré les dernières heures de sa nuit à dresser une liste soigneuse de toutes les Sentinelles qui connaissaient et dont il espérait qu’elles accepteraient de prodiguer d’utiles conseils à sa Padawane et cette précaution l’avait réconforté quant à l’avenir de Thann.

Qui serait brillant.
C’était décidé.
Thann Sîdh
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Combien de fois reprit-elle l’histoire merveilleuse de sa découverte ? Dire qu’elle ne saurait en tenir le compte eût été mentir. Elle savait pertinemment qu’à sept reprises lui fut demandé de faire ce récit. Celui de la genèse d’Endalda. Contrairement à la veille, ce soir-là, ce fut elle qui parvint à capter l’attention d’Igur, le talentueux botaniste : il faut dire, une grotte verdoyante dans les tréfonds de la montagne ? Un néti plusieurs fois millénaires ? Quoi de plus incroyables à ses oreilles. Avec toute l’exactitude dont elle était capable, et sa mémoire extraordinaire l’aidait beaucoup à s’épancher, elle détailla la faune et la flore de la grotte, l’arbre-vivant autour duquel tout se déployait, le vortex de Force, phénomène rarissime, qui protégeait l’ensemble de la submersion. Les théories allèrent bon train, chacun chercha à lui soutirer les arguments qui lui eût permis de l’emporter sur l’autre, mais bientôt ses bâillements incessants la trahirent et l’obligèrent à battre en retraite pour aller trouver le confort infini du sommeil ; qu’elle ne trouva qu’après avoir raconté l’ensemble de son épopée, une huitième fois, à Bouteboute, nécessairement, à qui elle ordonna immédiatement d’envoyer un message à Seïid, restée sur Ondéron.

Ses rêves, d’abord, furent faits de l’eau chaude qui vous berce, de l’étrange sensation de n’être rien d’autre qu’une bulle, flottant dans l’infini de la douceur du monde. Ce furent ensuite mille allers-retours entre mille étoiles, au-delà de toute vitesse. Un cœur pur, palpitant, ovoïde, au creux d’elle-même. Une voix, sortie du fond des âges, pour l’encourager mais aussi, soudain, un éclair mauve, une esplanade de béton et d’acier, son Maître en danger. La peur, la douleur. Un nouveau déluge de douceur, pourtant, s’en vint avec Seïid, son sourire, l’odeur délicate de sa peau, ses mains.

« Je sais très bien que je ne ronfle pas… J’ai un jour eu un doute, à cause de Seïid qui se moquait, et j’ai demandé à Bouteboute de me filmer… J’ai les preuves. »

Se défendit-elle en sortant péniblement des limbes. A vrai dire, elle se souvenait trop bien de son dernier rêve pour être tout à fait à l’aise à l’idée que son Maître avait été « là » pour y assister.

« C’est avec Endalda que j’ai aussi gagné le service ? »

Elle rit, tout à fait réveillée, se fit craquer le corps en tout sens avant de se précipiter hors de ses couvertures, impudiquement en body, et se jetta pour dévorer tous ceux qui pouvaient passer dans sa bouche et se trouver comestible.

« J’ai pas peur des coups d’jus. Ce ne seront pas mes premiers. J’ai déjà eu le bras engourdi pendant pratiquement dix heures le jour où j’ai fabriqué mon premier bouclier portatif. J’avoue, une décharge qui vous colle au plafond, ça m’a collé une sacrée frayeur ! Mais ça va ! C’est passé ! » Elle accompagna son récit d’un geste tortueux du bras en question, soulignant le caractère presque bénin de l’accident.

Alors qu’elle s’attachait à se remplir la panse, obligeais de se taire pour avaler, ses pensées dérivèrent à nouveau vers ses rêves de la nuit, plus que vers les heures à venir, car un étrange sentiment lui était resté. Lorsqu’enfin elle eut fini de tout engloutir, s’étalant de tout son long sur son lit en jurant ne rien pouvoir plus avaler – pour les heures à venir seulement – elle ajouta, alors que son maître semblait sur le point de s’éclipser.

« J’ai eu… Un drôle de rêve, Maître, cette nuit. C’était… C’était comme si il n’était pas de moi. Comme si… Il était venu de l’extérieur. Il était vrai. Terriblement vrai et à la fois très confus. J’ai… Maître, tout va bien ? Je veux dire… J’ai eu le sentiment que vous étiez en danger mais, visiblement, c’est pas trop le cas, hein ? »
Karm Torr
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Ça m’paraît évident que Bouteboute a truqué les enregistrements pour préserver ta sensibilité. Brave robot.


Karm avait le souvenir douloureux de quelques semaines passées à l’infirmerie, quand, terrassé par une maladie exotique comme il arrivait parfois aux explorateurs revenant de mission, il avait subi les explications fleuves d’un Guérisseur octogénaire qui s’était fait une spécialité de l’étude systématique et comparée des systèmes nasaux de la Galaxie, ainsi que des mécanismes du ronflement.


Rien de plus normal qu’il cherchât à se venger un peu de son traumatisme sur Thann.


Le jeune Chevalier se releva souplement alors que sa Padawane se jetait comme un rancor en furie sur son petit-déjeuner. D’un ton nonchalant, il répondit à l’anecdote du bouclier :


Ouais, une fois, j’ai eu le réflexe un peu lent pendant une bataille…


(Tout arrive.)


… et j’ai pas réussi à dévier des éclairs de Force à temps, c’était déconcertant.


Par déconcertant, il voulait dire qu’il avait été projeté contre la façade d’un immeuble et sévèrement grillé, pour ne devoir la vie sauve qu’à l’intervention d’un commando de soldats républicains, qui avait pris le Sith à revers. C’était un incident dont le Gardien cultivait le souvenir avec soin, pour se rappeler qu’il n’était pas, et loin de là, invulnérable.


À nouveau debout devant une fenêtre, et en train de contempler la vallée, qui apparemment était un inépuisable motif de méditation, il murmura, moitié pour lui-même :


… mais y a probablement des moyens de manier l’électricité à travers la Force qui n’exige pas le Côté Obscure et en demandant à des Jedis qui…


Le reste se perdit dans ses propres réflexions. Demander à des Jedis qui appartenaient à une espèce employant naturellement l’électricité comment ils percevaient leurs aptitudes à travers la Force. Absorbé par ses pensées, Karm était à deux doigts trois orteils de regagner sa chambre pour coucher par écrit un protocole susceptible d’explorer cette question, quand il fut arrêté par d’autres questions, autrement plus douloureuses.


Oh.


Le Jedi considéra sa Padawane échouée sur le lit.
Elle était grande, maintenant.
Elle avait son cristal, dans quelques heures, ou quelques jours, elle aurait sa propre lame.
Lui mentir était hors de question, lui cacher les vérités douloureuses de l’existence, impossible.


Debout au milieu de la pièce, Karm avait l’impression de devoir étendre une ombre sur son innocence.


Moins un rêve, je le crains, qu’une vision, finit-il par dire simplement, parce que prendre des pincettes n’était pas sa grande spécialité. Venir ici sur Ilum, près des caves, de tous ces cristaux, avec toi, et tout ce que ça représente, je crois que ça a…


Ouvert ses chakras.


… poussé mon esprit dans le futur. Pas mon genre, mais on se contrôle pas toujours.


Karm vint s’asseoir au bord du lit de la jeune fille.


Quant à savoir ce que ça veut dire… Je crois que c’est pas super mystérieux. Tu sais que celle qui m’a éduqué, quand j’étais un Padawan, Maître Tavaï, est désormais… J’imagine que ça dépend des points de vue. Une intégriste. Une terroriste. Une héroïne, pour ceux qui ont une vision très particulière de la Galaxie. Quelqu’un qui pense que la République trahit les peuples, parce qu’elle ne s’engage pas totalement dans une guerre d’annihilation contre l’Empire. Quelqu’un qui pense qu’un Sith doit être massacré à vue. Bref… J’imagine qu’un jour, nos chemins se recroiseront, à elle et moi. Et pour l’heure, si c’est le cas, et si ça dégénère, je donne pas cher de ma peau. Elle est très, très, très douée.


L’Ark-Ni passa une main dans ses cheveux argentés.


Quand j’avais une dizaine d’années, environ, elle m’a emmené ici. Et lâché, dans les grottes, sans nourriture, sans eau, sans lumière, pour chercher mon cristal. C’est sa manière à elle de tenir à moi. Ça m’a un peu travaillé, hier, dans les grottes, alors ça a dû provoquer le rêve.


En tout cas, en adepte de la Force Vivante, Karm avait du mal à se pencher tout à fait sur ce futur qui, de ce point de vue, n’existait pas, ou pas entièrement. Que son rêve fût prémonitoire, il l’admettait, mais les implications lui en échappaient largement. Tous les rêves de Force se réalisaient-ils ? Si c’était le cas, quel intérêt ?


’Fin bref. J’suis pas exactement un as de la prophétie, alors aussi bien je me fais des idées. Désolé que ça t’ait perturbé, en tout cas. Promis, Miss Gloutonnette, de mon côté, je projette pas de liquider ma Padawane sur un parking sordide.


Une bien maigre consolation, sans doute.
Thann Sîdh
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L’idée était trop… trop. Simplement trop. Elle la refusait, en bloc, comme certains, dans des âges obscurs, avaient pu refuser l’évidence de la rotondité des astres. Ce n’était pas tant une question de le vouloir, c’était avant tout une impossibilité, pour elle, de le concevoir. Non. C’était trop. Son Maître ne pouvait, dans un futur quelconque, la quitter. Ce n’était pas envisageable, ce n’était pas possible. C’était trop. Comme pour encourager son esprit à refuser la réalité, elle se concentra sur la platitude infinie et tout à fait triste du plafond, refusant de devenir, sur le visage de son mentor, la moindre expression qui eût pu donner une once de consistance, le moindre brin de réalité à cette vision qu’elle s’efforçait de ne pas admettre pour prophétique.

« Même avant cela, si elle était comme vous le dites, elle n’a jamais été du côté de la lumière. On n’endurcit pas quelqu’un dans la violence et la maltraitance, on lui imprime juste, jusqu’au fond de l’âme, des névroses, et au creux des os, des traumatismes. Défendre la lumière, c’est avant tout aimer son prochain plus que soi. On ne torture pas ceux que l’on aime. La Force est du côté des justes. Elle vous protègera face à cette… Face à cette vieille folle. Nous sommes les gardiens de la galaxie, nous n’en sommes pas les bourreaux et encore moins les tyrans. Ne désirer que l’anéantissement de l’autre, refuser toute pensée hétérodoxe… Cela va tant à l’encontre de nos codes, du bon sens même qu’il faut avoir totalement perdu pied avec la réalité pour le désirer.

Et puis… Et puis c’est avant tout la peur qui guide notre désir de mort. La peur qu’autrui recommence à mal œuvrer. Comment la peur peut-elle être le principal moteur du Jedi ? C’est… De la folie, oui. Désolée, Maître, mais votre… C’était une folle hier et elle n’est pas mieux aujourd’hui. »


La condamnation n’était pas le genre de la Miraluka qui, clairement, réagissait alors avec excès. La réalité était pourtant simple. Elle aussi avait peur. Peur de perdre son guide. Peur de se retrouver seule à nouveau. Mais pas de façon purement égoïste. Elle repensait à l’enclave, à ses discours, à ses idées qui germaient seulement et qu’il n’avait pas encore eu le temps d’encoder dans un ouvrage qui marquerait à jamais la pensée critique de l’Ordre Jedi. C’était la galaxie qui risquait de perdre un être précieux. Elle ne pouvait le concevoir.

« Il est hors de question qu’il vous arrive quoi que ce soit. De toute façon, je ne vous lâcherai pas. Pas un instant. Ensemble, elle ne pourra nous vaincre. Je l’interdis. La Force nous protègera et… »

Elle ne fit pas sa phrase. Elle n’avait guère plus à dire que son refus. Son cortex préfrontal peinait à se faire entendre dans la spirale des émotions contradictoires qui l’envahissait. Les mantras de l’Ordre, l’idée de Paix tentaient de se frayer un chemin à travers la peine, la colère et la peur mais c’était une véritable débâcle. L’adolescence. L’adolescente. On lui avait enseigné qu’il lui fallait à présent écouter son cœur et son corps. L’un et l’autre s’insurgeaient avec véhémence contre ce futur de ténèbres et de tristesse qu’on leur laissait entrevoir.
Karm Torr
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Karm, ça ne surprendra personne, abordait la question avec beaucoup plus de flegme.

Il s’était réveillé en sursaut, c’était déjà beaucoup, et puis promené dans les couloirs, drapé de l’attitude pensive du noctambule, et c’était là toute l’exubérance qu’il était capable d’investir dans la situation.

Il n’avait pas peur de mourir.
Un bon Jedi, et en particulier un Gardien qui courait les batailles, affrontait cette perspective avec une sérénité apprise.
Tout ce qu’il craignait, c’était, précisément, que d’autres en fissent les frais.
Luke et Thann.

La colère et la peur de l’adolescente eurent le champ libre pour s’exprimer. L’Ark-Ni n’était pas un grand expert des émotions fortes, mais après avoir lu et beaucoup réfléchi à la question, il jugeait qu’il était préférable de les laisser s’exprimer, pour les avoir en dehors de soi, en quelque sorte, et mieux les examiner ensuite. Si on ne faisait que feindre la sérénité, on se préparait des éruptions intérieures qui étaient pour un Jedi beaucoup plus terribles que n’importe quel mouvement d’humeur.

Bien sûr que la Force nous protégera, finit-il par dire d’un ton tranquille, quand la voix de Thann resta suspendue dans le silence.

De ça, il était convaincu.
Cette protection, ce serait peut-être celle du linceul de la mort, un drap froid sur sa face froide, et son esprit enfin dispersé dans l’immensité dont il procédait. N’être pas grand-chose, dans le vaste ordre de la Galaxie, et puis n’être rien, c’était si peu différent, au fond.

Cette pensée sobre apaisa Karm.
Ce dont il témoigna en donnant une pichenette sur la cheville de sa Padawane.

Allez, du nerf. Tu pourras pas héroïquement me sauver la vie sans lance et maintenant que t’as hypé tout le monde au dîner, faut que tu sois à la hauteur des attentes collectives. Puis j’ai une réputation de mec cool à conserver, moi, hors de question que ma Padawane se balade avec une arme de seconde zone.

L’heure n’était probablement pas à la philosophie et le Chevalier préférait attendre que sa Padawane se fût habituée à l’idée de l’épreuve terrible qui les attendait peut-être pour méditer avec elle sur les dangers qu’ils couraient toujours, sur le destin et les prophéties, et sur la mort, enfin.

J’t’attends à la forge avec June, conclut-il, soucieux de laisser à sa Padawane un peu de solitude, au cas où elle aurait eu besoin de s’abandonner quelques instants aux larmes.

Le Gardien quitta la chambre de la jeune fille et, ayant pris la direction de la forge, il rencontra, dès le tournant du couloir, June Métalepse, qui manqua de faire mentir sa prédiction en précipitant sa mort à coup de collisions.

Oh la la, t’es tellement petit que je ne t’avais pas vu, s’exclama-t-elle, avec un sourire en coin !
Et bonjour à toi aussi, la bulldozer des couloirs.
Je marche d’un pas décidé, nuance.
Et gracieux.
Toujours.

June tendit le coup, comme si son confrère avait dissimulé sa Padawane derrière lui.

J’allais vous chercher, la petite et toi, pour se mettre au travail.
Ah ouais, donc tout le monde est petit.
Dans son cas, c’est une expression, dans le tien, une rude réalité.
C’qui est petit est mignon, d’abord.
Oui, pouffa June, Ça a l’air d’être l’avis d’Igur…
Hein ?
Non, rien, oublie. Elle dort toujours, ta grrrrande Padawane ?
Non. Presque prête. Elle nous rejoindra à la forge.

Les deux Jedis tournèrent donc les talons pour gagner l’atelier où officiait la Nautalane.

Alors, content du cristal qu’elle a trouvé ?
Évidemment. Ça se voit pas ?
Karm, tu as la même expression qu’on t’écrase le doigt de pied ou qu’on te fasse un cadeau.
J’suis zen.
C’est une façon de voir les choses.

D’un geste de la tête, l’artisane désigna les deux shotos accrochés à la hanche de l’Ark-Ni.

Alors comme ça on fait dans la fantaisie, maintenant ?
Tu désapprouves ?

Cette fois-ci, ce n’était pas du badinage, mais une question sincère, quoique le ton de Karm ne permît guère de faire la différence. June secoua lentement la tête.

Tu connais mon avis. Chacun doit trouver sa voix. Chaque arme doit répondre à une personne et ses besoins. Les traditions sont précises, les règles nous guident, mais la règle d’or est que le Jedi forge son sabre. Et c’est une forge autant intellectuelle que physique. Mystique que technique. S’en tenir aux habitudes, ce n’est pas forger, c’est fabriquer.
Je ne suis pas sûr que ton avis soit si populaire que ça auprès des Maîtres.
Chacun ses affaires, je ne leur donne pas de conseils quant à la manière de gérer l’Ordre, moi.

June avait une conception antique, pour ainsi dire corporatiste de l’Ordre Jedi. Il était fait de spécialités. Chaque spécialiste était maître en sa demeure. On devait déférer aux avis de la forgeronne en matière de forge, fût-on un vénérable membre du Conseil. C’était, à ses yeux, le sens d’une communauté : admettre que l’on était incomplet sans le savoir des autres.

Les portes automatiques de la forge s’ouvrirent devant eux. De vastes baies vitrées jetaient la claire lumière du jour sur une série d’établis dont on pouvait croire d’abord qu’ils étaient désordonnés, parce qu’ils étaient envahis par les pièces détachés, mais où un examen attentif révélait un ordre soigneusement pensé : ici, on choisissait les différents composants, là, on les altérait pour répondre aux besoins particulières du dessin général. Ici la taille du cristal, là la soudure.

June effleura un interrupteur près de la porte et les murs se couvrirent d’hologrammes explicatifs, pour l’heure tous dédiés aux sabres les plus classiques. La forgeronne savait que son rôle était à géométrie variable : certains Padawans avaient besoin d’être constamment assistés, d’autres au contraire profitaient d’une relative solitude, que les instructions patiemment compilées par la maîtresse des lieux venaient éclairer. Et puis, naturellement, il y avait les Jedis aguerris, qui voulaient le silence le plus complet ou au contraire une conversation philosophique.

Absorbée par son datapad, June commença à charger les dossiers relatifs aux lances laser, un choix peu commun, mais que les riches traditions de leur Ordre millénaire permettaient malgré tout d’éclairer.
Thann Sîdh
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La foule confuse de ses sentiments fut terriblement secouée par la pichenette puissante qui, depuis sa malléole jusqu’au sommet de son crâne, propagea une déferlante de vibrations intérieures. Les dominos s’effondrèrent, les uns sur les autres, la montagne de passions s’effondra sur elle-même, la tour de la colère se fracassa sur le sol du désespoir et le fendit si parfaitement que les armées de la peur s’en trouvèrent englouties dans un formidable épisode géologique aux accents grandioses, au paroxysme grandiloquent. Alors que la poussière de ses excès d’humeur retombait autour d’elle en volutes superfétatoires, elle décida de se retrancher derrière le dernier rempart de l’adolescence : la bouderie. Elle écouta son maître sortir de la chambre sans répondre autre chose qu’un « Mmhh… » tout à fait Ark-niesque.

Lorsque la porte se fut refermée, la Miraluka roula sur elle-même pour aller enfouir son visage dans l’oreiller le plus proche. Un instant, elle se tâta à y hurler toute sa frustration mais, l’instant d’après, elle souvint de sa qualité de membre du Temple Jedi et, lentement, la raison infusa dans son esprit. Le pic émotionnel était passé. Son système limbique cessa, pour l’heure, de la tourmenter.

Son sabre. Son sabre revint au centre de son attention si bien qu’au bout d’une dizaine de minutes, elle émergea de sa chambre, propre et concentrée, dans sa tenue de l’avant-veille, la capuche relevée (elle n’avait pas tout à fait fini de bouder, finalement). Au-dessus de son épaule, un peu en retrait, Bouteboute flottait tranquillement, s’adaptant à la démarche vive de sa maîtresse. Il avait, avec une attention toute particulière, compilé l’ensemble des informations et plans qu’elle lui avait confiés, depuis le premier concept de garde jusqu’au dernier. La forge n’était pas la porte à côté, si bien qu’en réponse au stress, la Padawane demanda à son assistant de tenter d’établir une connexion avec Ondéron qui, par chance, se trouvait dans son soir quand Ilum n’en était qu’aux prémices de son matin.

« Aaaahhh ! Il est superbe ! J’attendais que tu m’appelles, je n’y tenais plus ! J’ai bien eu ton message, c’est génial ! La réaction immédiate et pétulante de son amie l’obligea immédiatement à sourire et l’angoisse éclata en mille fragments de rire.

– J’avoue, je suis de ton avis ! Je suis trop heureuse ! Et puis, c’était… C’était fou ! J’ai vu un Nexus, Seïid ! Un vrai ! C’était… Aaaahhh ! A cet instant, les deux voix se mêlèrent en un même cri enthousiaste. Le Temple n’avait plus connu pareille gaieté depuis bien des années et leurs joies mêlées se propagèrent loin dans les couloirs, suggérant le sourire à tous les habitués qui venaient à l’entendre.

« Et tu vas forger ton sabre, là ?

– Oui ! Je suis un peu anxieuse, c’est pour ça que je t’appelle. J’avais besoin de t’entendre.

– Ah nan, hein ! Tu arrêtes tout de suite, tu sais que tu es la meilleure : d’autant plus dans ce domaine ! Alors tu oublies tout de suite ton stress, tout ça, tout ça, tu me fais ton beau sourire de petite génie et tu vas me faire cette foutue lance dont tu me rabats les oreilles depuis trois ans ! »

Les deux rires de bon cœur. Il est vrai qu’elle avait beaucoup parlé, elle ne pouvait que le concéder. Un silence attendrie s’installa puis, comme la Forge approchait :

« Je te laisse, Puce, je pense fort à toi.

– Moi aussi. Tu vas tout déchiré, p’tit chat, t’es la meilleure. »

Un dernier sourire et la connexion fut interrompue. Thann n’eut qu’à effleurer le verrou de la porte pour que celle-ci s’ouvrît, lui dévoilant du même coup la Forge d’Ilum. Vaste, ouverte sur l’extérieur par les immenses parois de verre qui l’entouraient, le nombre des établis, des râteliers et des droïdes qu’occupaient la pièce en disait long sur l’activité qui, jadis, avait régné dans la pièce. Aujourd’hui tout était calme et il n’y avait que deux Jedis pour l’accueillir. Tous deux s’étaient tus en la voyant franchir la porte et tous deux lui souriaient, à leur manière.

« Ah ! Voici mon ingénieure en puissance. Bien, Padawane Sîdh, vous remarquerez, sur ces murs, l’ensemble des données dont je dispose en rapport avec le projet dont vous m’avez fait part tantôt. Par ailleurs, comme promis, j’ai effectivement procédé à l’inventaire de notre Forge et je confirme que vous disposez de toutes les pièces nécessaires à la réalisation de votre projet. Cependant, il vous faudra les trouver par vous-mêmes. Je reste à votre entière disposition si vous aviez la moindre interrogation. Profitez de cette première, elle restera à jamais graver dans votre mémoire. Son premier sabre, pour un Jedi, c’est… quelque chose. »

June sourit largement. Elle n’était pas une consulaire, encore moins une érudite, et les envolées lyriques n’étaient pas son domaine de prédilection. Pourtant, Thann nota la délicate attention de son interlocutrice. Tous les hologrammes avaient été chargés électriquement afin qu’elle pût les percevoir. Le faux-départ de la matinée avait été oublié, ne restait plus que ce défi : la forge.

Puisque son maître l’y invité, elle se mit immédiatement à l’ouvrage. Bouteboute projeta ses propres plans, elle les passa en revue, tels qu’ils avaient été corrigés par la Maître des Forges, elle les compara longuement aux modèles qui avaient préexisté et apporta quelques nouvelles modifications, subtiles, que June approuva avec un sourire étrange. La Miraluka, trop concentrée sur son ouvrage, n’y prêta que peu d’attention et retourna aussitôt dans son nuage holographique. Au bout d’un certain temps, cependant, elle finit par prendre du recul sur ce qu’elle faisait. Un élément la troublait.

« Maître ? J’aurais besoin de votre avis sur les mesures : la taille de la garde, de la lame, le diamètre… J’ai du mal à visualiser ce que cela donnera une fois en main. Après quoi, je pense que je pourrai commencer à réaliser l’assemblage après avoir réuni les pièces adéquates. »
Karm Torr
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L’ambiance, au sein de la forge, était studieuse : Thann était penchée sur ses plans, June surveillait l’opération sans s’interposer, Bouteboute bouteboutait et Karm, pour sa part, bidouillait dans son coin l’une de ces insultes que les Ark-Ni aimaient jeter à la face des principes de rigueur de l’ingénierie moderne. C’était un plaisir rare mais qui ne le quittait pas : dépatouiller des fils, trifouiller des composants, emberlificoter des câbles.


Ses plus anciens souvenirs, les rares qu’il eût conservé précisément des improbables vaisseaux à bord desquels les siens traversaient l’espace intersidéral, touchaient à des après-midis passés avant l’un de ses frères, ou de ses oncles, il n’était plus trop sûr, à fouiller dans les entrailles d’un générateur de gravité, pour repérer un dysfonctionnement. À l’époque, il s’était contenté, avec ses petites mains d’enfant, de séparer les câbles par couleur, comme on le lui avait indiqué.


Elle se débrouille bien, murmura June, en revenant près de lui.


Karm releva les yeux vers sa Padawane et approuva d’un hochement de tête.


Très… absorbée.


Cette fois-ci, la Nautalane eut le droit à un regard interrogateur. Y avait-il une pointe de désapprobation dans sa remarque ? Est-ce que Thann était trop absorbée ? Qu’est-ce que ça voulait dire d’être trop absorbée ? Karm considéra la jeune fille. Et haussa les épaules. Ce fut le terme de la brûlante conversation et la Chevalière Métalepse repartit superviser de loin la tâche de l’adolescente.


Une bonne heure plus tard, Karm fut tiré de l’important travail auquel il avait consacré toute son attention professionnelle. Empochant le fruit de ses nobles efforts, il s’approcha de l’établi occupé par sa Padawane et écouta avec attention ses questions. Tout cela ressemblait fort à des doutes qui procédaient moins de la raison que du trac, au moment de franchir les dernières étapes. Karm ne doutait pas que la jeune fille, qui préparait son projet, à ce qu’il en avait compris, depuis de nombreuses années, avait déjà médité bien des fois et la garde, et la lame, et le diamètre.


June s’était retirée de l’autre côté de la forge et faisait mine de s’occuper à quelque réparation sur l’un des droïdes de service, pour laisser au duo toute son intimité. Karm tira son propre projet du jour de sa poche et le posa sur la table en face de la Padawane.


C’était un petit automate.
(Certains Jedis ont décidément bien du temps à perdre.)


Une sorte de palmipède bipède très haut sur pattes, soudé à partir de pièces disparates, qui lui donnaient un air bien pataud. Karm tapota de l’index sur son étrange queue en éventail et la créature mécanique se mit à parcourir l’établi en se dandinant. Dépourvu de programme, l’automate allait au petit bonheur la chance. Quand il se prenait les pieds dans un obstacle, il tombait à la renverse, ses pattes pivotaient jusqu’à trouver un nouvel appui et il se redressait de façon grotesque.


J’espère que t’as conscience que mon envie de me la jouer maître vénérable et mystérieux en te laissant avec sa seule réponse énigmatique…
Croin croin croin, fit l’automate d’une voix à peine audible, qui tenait toute entière à un petit jeu de mécanismes mal huilés.
… est dévorante, mais que je suis un mec cool adepte de la pédagogie bienveillante. June ?
Oui, lui répondit la voix de la Jedi de l’autre côté de la pièce ?
Fais péter les patrons.
C’est si joliment demandé.
Toujours eu l’âme d’un poète.


La forgeronne ouvrit un vaste placard dont les portes avaient dû être automatiques jadis, mais dont le système avait été démonté pour servir à des réparations dans un secteur plus critique du Temple et jamais remplacé depuis. À l’intérieur du placard s’alignaient des barres de fer soigneusement pucées et les puces indiquaient au datapad leur longueur et leur poids et la répartition de leur masse. Force giratoire du laser mise à part, les patrons servaient de bonnes approximations pour qui doutait de ses calculs.


Karm lut à haute voix les dimensions originellement prescrites par les schémas de Thann et June lui lança une barre de fer depuis l’autre bout de la pièce, attrapée au vol par l’Ark-Ni. Il la fit tournoyer avec une aisance qui trahissait que le maniement de la lance ou du bâton de combat était loin de lui être étranger, mais le contraire eût été étonnant de la part d’un Gardien.


Thann, dit-il d’un ton solennel. Je te confie cette tringle à rideaux.
C’est une ancienne sonde glaciaire, corrigea machinalement June.
Mais je crains qu’en la matière, poursuivit Karm plus sérieusement, mon conseil ne soit qu’un vieux poncif : la réponse est au fond de toi depuis longtemps.


L’Ark-Ni posa une main sur l’épaule de sa protégée.


Tu as bien travaillé. Tu as beaucoup réfléchi. Tu as traversé les épreuves du cristal. June a calculé. Bouteboute a calculé. Tu as calculé. Maintenant, il faut sauter le pas. J’ai confiance en toi. Aie confiance en toi-même.
Crrrooin, croooin, crooin.
Thann Sîdh
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Crrrooin croooin crooin

« Maître, si je m’inquiète, c’est parce que vous me formez depuis un an et que vous êtes aussi l’auteur de ce canard mécanique. Si je tiens de vous, je suis sur le point de fabriquer un ascenseur orbital en lieu et place d’une lance laser. »

La Padawane sourit largement en saisissant l’étalon qui lui était tendu. Elle était taquine mais, en réalité, elle admirait beaucoup cet étrange génie Ark-ni qui voulait que tout fut composant potentiel et toute loi électronique une simple formalité à improviser nouvellement. Elle s’en inspirait beaucoup et, d’ailleurs, si jamais le Gardien venait à se pencher sur le détail des plans envisagés par son Apprentie, il pourrait y voir quelques écarts à l’orthodoxe ingénierie digne de lui.

Elle s’écarta des fantômes numériques de ses idées pour gagner le centre de la pièce et effectuer une dernière fois les longs katas qui lui avaient été enseignés. Soucieux de l’encourager dans son originalité, son mentor l’avait aidé à se tailler un style propre, vif, élégant, cacophonique toute la fois. Lorsqu’après une dernière envolée elle retomba au sol, légèrement essoufflée, ses mèches retombant sur son visage, la longue hampe fermement calée dans son dos. June la regardait sans un mot, ses grands yeux ne cillant pas. Impossible de devenir ne serait-ce que le début d’une pensée. Son Maître, lui, était retourné à son établi, visiblement bien décidé à fabriquer compagnon à son premier Croin croin qui continuait de déambuler cliquetement.

« Bon… La question de ma croissance sera de toute façon régler par l’adaptabilité de la hampe et de la lame. Il semble qu’effectivement, je n’ai plus qu’à oser ce pas. »

Elle n’avait pas vraiment l’habitude de se parler ainsi mais le regard inquisiteur de la maître des lieux la mettait un peu mal à l’aise.

« Les étagères d’éléments sont de ce côté. Ne retire pas tes gants pour les manipuler, l’acidité de t peau peut suffire à altérer certains d’entre eux, surtout les lentilles.

– D’accord, soyez assuré que je traiterai le matériel avec toute la précaution nécessaire. »

Crrrrroooiiinnn

Précaution, qu’à l’évidence, son maître n’avait pas tout à fait en tête.

De nouveau pleinement focalisée sur son objectif, l’adolescente permit à l’antenne de réintégrer son armoire désautomatisée avant de se diriger, d’un pas décidé, vers les très hautes armoires. A s’y méprendre, on eût pu se croire dans une pharmacie. Les immenses tiroirs s’ouvraient d’une simple caresse de leur façade et alors dévoilaient les centaines de composants, tous accueillis délicatement dans la feutre, qu’ils renfermaient. Bouteboute planait à sa hauteur et, avec tout le sérieux de l’assistant zélé, lisait chaque étiquette qui, autrement, seraient restées pour Thann lettres mortes. Une petite plate-forme antigrav rendait accessible même les points les plus élevés et un petit plateau, doté de la même technologie, permettait à la constructrice de récolter tranquillement les pièces sans avoir besoin de multiplier les allers-retours.

Lorsqu’enfin elle émergea d’entre les hautes parois laquées, elle était en réalité suivie par trois plateaux tant son projet demandait d’éléments. Crroiin. Elle saisit délicatement l’automate pour le déposer sur une table voisine où il entreprit de poursuivre sa marche chaotique avant de se concentrer de nouveau tout à fait sur sa tâche.

L’opération allait lui demander de nombreuses étapes : plusieurs dizaines de fabrications, assemblages, soudures et finalement, l’ultime étape de montage – à l’aide la Force – qui viendrait conclure l’épreuve. Elle avait décidé de ne pas retailler le Endalda. Ce n’était pas un hasard si son drôle d’œuf s’était retrouvé si aisé à sertir dans la garde qu’elle avait imaginée.

Le travail minutieux et la concentration furent si exigeant que plusieurs fois il lui fallut laisser de côté son ouvrage pour aller se délasser les membres et éviter les étourderies. Elle discuta avec June, de tout et de rien, observa la famille du canard s’agrandir, posa son front contre l’une des immenses baies vitrées afin d’embrasser tout le monde du dehors dans sa pensée.

Le moment le plus délicat arriva finalement. Sa hampe fonctionnait, ne restait plus qu’à assembler l’ensemble des composants qui formerait le cœur de son arme, la lame proprement dite. Elle trouva dans l’aura apaisante de son maître le reste de sérénité qui lui manquait et, spontanément, tendit aussi son esprit vers les cavernes. Avait-elle entendu un grondement ? En tous cas une pensée résonnait « Vous savez comment faire, allez-y ». Elle inspira alors profondément, posa les mains à plats sur sa surface de travail, invita les courants de la Force à s’agiter, étudia les flux, les dirigea doucement, ce qui était multiple forma l’unité. Lorsqu’elle relâcha son souffle, dont pourtant elle n’avait pas le souvenir de l’avoir retenu, dans sa main, son projet était assemblé. Elle n’avait pas besoin de l’activer pour savoir qu’elle était en parfait état de fonctionnement, elle avait besoin de l’activer pour entendre le bourdonnement, concrétiser davantage encore ce nouveau pas franchi. Elle gagna le centre de la pièce. Cette fois, elle avait l’attention des deux personnages présentes, et effectua de nouveau sa danse, non sans avoir au préalable activé l’ensemble de l’arme qui se télescopa dans un sifflement en même temps que la lame se mettait à chanter. La Miraluka, alors qu’elle multipliait les moulinets et les enchaînements, exultait de joie. Son aura lumineuse et joyeuse emplissait toute la pièce et faisait frémir la Force alentours. Alors qu’elle dansait, elle riait, nymphe insouciante du bord des rivières.

Croin. Cruuuuiiikkk. Tapaclap.
Karm Torr
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De longues heures se succédèrent les unes aux autres, pendant lesquelles Karm parut se désintéresser totalement du travail de sa Padawane, après y avoir contribué de son conseil à la profondeur toute relative. De son point de vue, la conception et la fabrication d’un sabre était un exercice tout à fait intime, où sa présence, comme celle de June, ne devait avoir pour but que de tranquilliser une Padawane un peu fébrile. Il fallait se faire aussi discret que possible, pour que le jeune esprit en train de créer ne fût pas tenté d’interpréter le moindre haussement de sourcil, le plus infime frémissement des doigts, comme une critique ou une approbation.


Alors il s’était consacré à la fabrication d’automates. À la concentration infaillible dont il se mit à témoigner pour une curieuse tâche, June comprit rapidement qu’il était en réalité plongé dans une méditation. Artisane elle-même, elle savait que le travail manuel consistait pour de nombreux Jedis une occasion privilégiée de se plonger dans la Force. Quelques tâches simples, parfois répétitives, permettaient de se défaire du flot incessant des pensées, pour se rendre plus disponibles à la puissance qui gouvernait leurs existences.


Depuis longtemps, Karm admirait la manière dont certains Maîtres de l’AgriCorps délaissaient les machines de labour pour bêcher eux-mêmes des champs, pendant des heures, parfois sous des soleils ardents, et entrer ainsi dans une profonde communion avec la nature. Plus récemment, il avait développé une certaine curiosité pour l’art méconnu des cuisiniers jedis. Bien loin des champs de bataille et des salles de bal des ambassades où brillaient Gardiens et Consulaires respectivement, il y avait là des trésors de spiritualité et de beauté insoupçonnés.


C’était la raison pour laquelle il encourageait sa jeune Padawane dans ses travaux de couture et c’était aussi pour cela que, tout à ses automates, il trouvait une sérénité particulière dans le silence studieux de la Forge. Après s’être assurée que Thann était bien autonome, comme elle l’avait déjà soupçonné, June s’était elle-même consacrée à quelques travaux urgents. Au Temple, il y avait toujours des machines à repérer et, ce matin puis cet après-midi là, comme à l’ordinaire, ses établis servaient de tables de chirurgie ou de dissection pour mécanismes malades.


Karm ne chercha pas à sonder son avenir, à interpréter ses rêves ni à percer ce qui attendrait sa Padawane. Le travail minutieux des automates lui offrait un moyen salutaire de se concentrer sur le moment présent et, avec lui, sur la Force vivante. Ce fut la Force vivante qui l’aida donc à enfanter de toute une série de palmipèdes grotesques : certains se déplaçaient en ramant avec leurs ailes, d’autres bondissaient sur leurs croupions habilement montés avec des ressorts et d’autres encore faisaient tourner leurs palmes comme les aubes d’un moulin et crapahutaient de la sorte.


Le Jedi ne releva les yeux que lorsque son apprentie eut fini. Pivotant sur son tabouret, comme June, il fixa les katas. Son expression était impassible, comme souvent, mais sa joie, elle, était facile à deviner à travers la Force, alors que l’arme se déployait et que sa lame jouait sous les exclamations enthousiastes (ou possiblement décorrélées) de l’assemblée des automates.


Elle est douée, la petite, commenta June quand Thann acheva ses katas.
Lui dis pas ça, elle va prendre la grosse tête.


La forgeronne s’approcha de Thann et tendit la main pour pouvoir examiner de près la lance laser. Karm la rejoignit et les deux Jedis se penchèrent silencieusement sur la création de la jeune fille, la Nautolane témoignant de son appréciation par quelques hmm hmm et très bien de circonstance, l’Ark-Ni gardant ses observations pour lui-même.


L’arme fut restituée à Thann. Karm se pencha à l’oreille de la jeune fille pour murmurer simplement :


’Suis fier de toi.


Avant de se redresser.


Parce que c’était bien joli de fabriquer des canards et des lances laser, mais ensuite, il fallait ranger. Sous la houlette vigilante de la maîtresse des lieux, le duo fit donc preuve d’un zèle exemplaire pour remettre la forge en ordre. Karm empocha le canard original et voulut confier le reste de sa basse-cour à June.


L’intéressée secoua la tête.


Tu devrais donner ça à Igur.
Ah bon, fit Karm naïvement, pourquoi ?


La Chevalière haussa évasivement les épaules.


Les volatiles, c’est pour les basses-cours, non ?
Pas faux, concéda l’Ark-Ni.


Les bras chargés de sa nouvelle famille, Karm partit attendre sa Padawane à la sortie de la forge, au cas où la jeune fille eût besoin d’un moment à part pour remercier June. Quand ils furent à nouveau tous les deux, Karm suggéra :


Un petit entraînement à la lance au milieu neigeux ? Pour étreindre ta nouvelle création.


Et achever de l’épuiser, sans doute.
(Thann parviendra-t-elle à sortir vivante d’Ilum ?)


Ou alors…
Croooin.
Chut.

Ou alors, on fait de la luge.
Thann Sîdh
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Son dernier mouvement accomplit, la petite Miraluka désactiva son arme pour aussitôt bondir de gaieté, rejoignant par-là l’étrange ballet des automates dans une titubance tout à fait chaotique qui forçait le sourire. A travers la Force, elle sentit toute la joie partagée de son Maître et s’approcha de lui en courant, toute sacralité s’était évaporée, le temps était à la réjouissance. Elle tendit le résultat de ses efforts. Une fois replié, l’objet avait une drôle d’allure, plus grand qu’un sabre traditionnel et pourtant plus petit qu’un sabre-laser à double-lame, il ne se voulait être ni l’un, ni l’autre : un entre-deux qui semblait être finalement le lieu le plus complet de l’épanouissement de sa créatrice.

En observant la garde de plus près, son maître pourrait remarquer les détails de la garde. Simple, en alliage de phryyk griffé, un grippe dont elle ignorait qu’il était d’un beige très claire, elle n’avait pour seule singularité que les mantras qu’elle avait soigneusement gravé à même la garde. Ils étaient ceux de l’Ordre Jedi, évidemment, mais ils étaient aussi des phrases, ici et là, qu’elle avait pu glaner dans la bouche de chacun des Maîtres qui l’avaient formée et, bien évidemment, nombreuses étaient celles hérités de l’actuel. Toutes les langues que la petite polyglotte connaissaient étaient représentées, y compris l’Ark-ni dont elle avait secrètement débuté l’apprentissage, et, c’était évident, un vide immense s’étendait en deçà de ces écrits finement ciselés : il lui restait beaucoup à apprendre à écrire.

« ‘Suis fier de toi. »

La conclusion la ravit. Elle continua de gambader gaiement, même pour ranger, négocia tout de même pour garder l’un des automates – celui avec les petites palmes tournant comme de grandes aubes l’avait particulièrement intriguée – et quand ils reçurent la bénédiction de la Maître de la Forge pour quitter les lieux, une alternative s’offrît à elle : se confronter dans la neige, faire de la luge, se confronter dans la neige, faire de la luge…

« On peut peut-être commencer par s’entraîner au sabre puis voir si je suis meilleure à la luge qu’en skis ? »

Son sourire en disait long sur l’enthousiasme qui ne la quitterait plus. Les rêves de la nuit étaient loin, refoulés derrière ce bonheur qui l’avait pleinement conquise. C’est en courant qu’elle partit enfiler la tenue adaptée, c’est en courant qu’elle retrouva son Maître à la sortie, c’est en courant devant lui qu’elle parcourut le chemin jusqu’au plateau neigeux, c’est grisé par la joie qu’elle effectua tous ses passes d’armes, qu’elle se retrouva la truffe dans la neige, qu’elle parvint presque à effleurer la cuisse de son Maître – elle avait bien entendu réguler la puissance de sa lame, moins par peur de le blesser que par prévention de l’accident bête, c’est en courant (moins vite avec la fatigue) qu’elle se rendit jusqu’à la forge où elle trouva de quoi bricoler une luge, c’est en courant qu’elle alla supplier June de se joindre à eux. Qui l’eût cru ? Bientôt, ce furent toute une ligne de Chevaliers et même de Maîtres Jedi qui s’élança du haut de la pente : leur séjour sur Ilum s’était changé en parenthèse féérique de vie et d’effervescence tel que le Temple n’en avait plus connu depuis des décennies. La guerre, pour l’heure, n’était plus qu’une lointaine et diaphane pensée.
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