Lauren Aresu
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Une bête, sous terre, s’était réveillée. Elle grondait, elle trépignait d’impatience, tapait ses immenses membres, une succession de grondements arythmiques. Les murs en tremblaient, les pas devenaient malaisés et rien ne semblait pouvoir y résister. Inconsciente des dégâts colossaux qu’elle provoquait sur terre, la bête persistait dans sa tâche avec un certain plaisir dénué de culpabilité.


Sauf que cette bête ne provenait pas du sol, mais du ciel. Que sa prodigieuse carrure n’était pas faite de sang et de chair, mais de métal et d’énergie, d’immenses vaisseaux. La bête ne possédait pas non plus un cerveau limité aux seules capacités de sa survie, mais plusieurs cerveaux qui ne se repaissaient que de destruction. L’Empire. Cela ne faisait que quelques jours que les bombes avaient cessé de pleuvoir sur Makem Te, mais on peinait encore à imaginer l’étendue des dégâts. Tant de personnes étaient décédées. Les corps ne seraient peut-être jamais retrouvés. A quoi cela rimait-il de pleurer sur un cercueil désespérément vide ; vide d’une dépouille, vide des souvenirs que la peur avait insidieusement effacés, tant de fois vide d’une conclusion. Il était si difficile de se contraindre à un point final lorsque l’on ne savait pas qui de la mort ou de la distance avait emporté l’être cher.


Certains, toutefois, survécurent par chance. Lauren étaient de ceux-ci. C’était au milieu du chaos, face à l’iminence de la mort, que son affinité à la Force s’était révélée.


Elle se réveillait, héroïne engourdie, dans un lit d’hôpital. Les calmants et les anti-douleurs enrayaient ses pensées, elle fixait béatement le mur immaculé en face d’elle, absorbée dans un film qu’elle seule pouvait voir. Son expression se crispait parfois, réminiscence d’un souvenir ou d’un traumatisme, puis reprenait sa dérangeante neutralité. Deux fenêtres rectangulaires perçaient sa chambre. L’une donnait sur l’extérieur, mais des stores barraient la lumière qui se diffusait en quelques rayons épars. Cherchait-on à cacher le soleil ou l’horreur ? Depuis l’autre, on apercevait un couloir sombre et d’autres portes, fermées, en face de la sienne. Deux Jedi discutaient et dardaient parfois un coup d’oeil vers la jeune fille aux cheveux blancs salis par la poussière. Ils animaient leur conversation de petits gestes secs.


« Pauvre petite... A son âge, je me complaignais de l’ennui du Temple. A croire qu’on est tous un peu stupides tant qu’on n’a pas connu l’horreur.


— Ces paroles m’étonnent de toi, Alm, mais elles sont sages ! Cependant, sa mère l’a volontairement cachée à l’Ordre, elle ne peut s’en prendre qu’à elle. »


Le front du premier se fendit d’une ride, confus. L’humain avait encore des traits juvéniles, un duvet couvrait ses joues, un peu plus épais au niveau de sa moustache naissante. Il détourna son regard, absorbé par les cheveux cendrés de Lauren, et parla :


« Sa mère ? Qui était-elle ?


— Apparemment, c’était une chevalière Jedi, Reina Aresu. Elle a quitté l’Ordre, ça devait être pour sa naissance, dit-il d’un signe de tête. Je ne pensais même pas que l’Ordre puisse accepter que l’on s’en aille comme ça, mais il faut croire qu’on avait d’autres chats à fouetter à l’époque.

— L’Empire ? s’enquit le prénommé Alm.


— Oui, les Sith même, mais nous ne le savions pas encore. Leur... dessein était aussi sombre qu’il n’était scrupuleusement calculé. Ils commettaient d’épouvantables exactions en notre nom et nous avons payé pour cela. »


A l’époque, Que’da était encore chevalier Jedi. Il ne devint maître que trois années plus tard, une fois l’âge et la sagesse requise. Sa couleur de peau de Nautolan, d’un vert olive très foncé, le camouflait presque dans la pénombre que la lumière, filtrant des fenêtres successives, ne parvenait pas à chasser. Ses deux lekkus pendaient sur ses épaules, ornées de mystérieux signes. Alm, à ce sujet, n’avait jamais osé demander la terminologie exacte alors, secrètement, il utilisait le terme approprié aux Twi’leks. Mieux valait en rire seul qu’énerver maître Que’da qui était devenu, avec le temps, plutôt vétilleux sur la politesse.


« Maître, on ne peut réprimander cette fille pour les décisions de sa mère, se désola Alm.

— Tu as raison, mais tu ne dois pas oublier que l’on ne mesure les conséquences d’un choix qu’une fois le tableau entier révélé. En voilà un exemple édifiant et... malheureux. Rassure-toi cependant, elle ne sera pas punie et rejoindra sans doute le Temple, en témoigne les capacités dont elle a fait preuve.


— Connaissons-nous son père ? »


Son interlocuteur demeura silencieux. Il se mit à faire quelques pas, décrivit un cercle, reprit sa position initiale et réitéra l’opération plusieurs fois, les mains sobrement croisées dans le dos comme à son habitude. Alm n’était que trop familier avec la pantomime de son maître. Elle trahissait usuellement le profond trouble dans lequel il se trouvait. Lorsqu’il était absorbé de la sorte, parler n’aurait eu pour conséquence qu’une remontrance cinglante. Alm reporta son attention sur Lauren. Là, allongée, le dos maintenu de deux épais oreillers, elle semblait si calme. Pourtant, il ressentait la tempête qui jouait avec les sentiments de la jeune fille. Il conjecturait de ses traits — l’immaculée de ses cheveux, de ses iris, la finesse de son visage — une ascendance echani ou arkanienne, mais n’aurait su préciser cela. Dans la Force, Lauren émettait inconsciemment des pulsations successives et chaotiques, noires de chagrin et acides de colère. Maître Que’da restait imperturbable, alors que ces vagues gonflaient l’empathie dont Alm faisait preuve à l’égard de Lauren.


Une tuméfaction jaunâtre barait sa joue droite, tandis qu’elle ne pouvait complètement ouvrir sa paupière gauche sans déclencher une grimace qui empirait la douleur. Son bras gauche était bandé, mis sous attèle, et reposait parallèle à son corps. Les médecins avaient confirmé au Nautolan et à son padawan que la jeune fille avait été retrouvée sous les décombres. « C’est une miraculée, vous savez ! Le bloc qui a pulvérisé son bras droit n’est tombé qu’à quelques dizaines de centimètres de son corps. Elle aurait pu subir de bien plus graves séquelles, si tant est qu’elle fut en vie. » Lauren n’était pas encore lucide, mais de son bras droit, il ne restait qu’un moignon coupé mi-bras, enveloppé de pansements marrons à l’odeur d’antiseptique.


« Fais attention à tes sentiments, mon padawan. »


Alm ne répondit pas.


« Ne te méprends pas, je m’attriste aussi de son sort. Je pense qu’aucun être vivant ne devrait avoir à vivre ça. (Il marqua une pause.) Mais les sentiments doivent rester au-dehors de l’équation. Ils perturberaient notre jugement.


— Vous n’avez pas répondu à ma question, maître, défia Alm en changeant de sujet. »

L’électroencéphalogramme qui jusqu’ici émettait ce « bip » sonore si régulier s’emballa soudain. Son rythme devint inquiétant. Maître Que’dac et Alm y assistaient impuissants. Un médecin, la blouse claquant derrière lui, se hâta à grandes enjambées, ouvrit la porte et s’absorba dans une suite de tâches qui, pour le béotien, semblaient nébuleuses. Les deux Jedi pénétrèrent silencieusement dans la chambre et prirent place au bas du lit. Le médecin conclut son intervention par une injection d’un liquide incolore.


« Tout va bien ? demanda Alm.


— Oui, répondit aussitôt le médecin. Tout va bien, son coeur n’est heureusement pas fragile comme pourrait le laisser penser l’électroencéphalogramme. Elle est simplement victime du fameux syndrome de stress post-traumatique. Le nom est non-équivoque, certains souvenirs ou... visions, la replacent au milieu de l’horreur. Et son corps essaie de se... défendre, comme il peut. Cela prend souvent la forme d’une crise de panique ou d’angoisse. On est au stade appelé « l’intrusion », elle revit littéralement ces moments traumatiques de manière aussi vive que notre présence dans cette pièce. »


Alm dodelina de la tête, remerciant silencieusement le docteur pour la profusion des détails. Il était à la fois soulagé et effrayé par ce que vivait la jeune fille. Comment pouvait-on s’en sortir miraculeusement et, en même temps, être condamné à vivre et revivre, et revivre, ces abominables moments ? Pire encore, à ce titre, que de ressentir à nouveau l’indicible saisissement de l’effroi et la sourde sensation de son imminente fin. Il frissonna.


« Alm, attention. Laissons là se reposer, sortons, ordonna maître Que’da. »


Le médecin rabattit la porte derrière eux et, les dépassant, conseilla :


« Vous devriez la laisser se reposer pour l’instant. Plus tard, lorsqu’elle aura repris des forces, vous pourrez poser vos questions. » Après qu’il eut pris congé, Que’da expliqua aussitôt, devançant les questions de son padawan :


« Tu sais, son père vivait avec elle sur cette planète. Les jours derniers, nous avons mené une rapide « enquête » (il mima les guillemets de ses doigts repliés). Il s’appelle Nathan, en poste dans une usine proche d’ici apparemment détruite durant les bombardements. »

Comme si elle les entendait, Lauren s’agita quelques secondes avant que la torpeur ne reprenne ses droits.


« A l’heure actuelle, nous pensons que Lauren croit son père disparu ou mort. Plusieurs témoins expliquent avoir vu les employés sortir de l’usine, ce jour-là, encadrés de soldats impériaux. A vrai dire, nous n’en savons guère plus. Cependant, comme tu t’en doutes, dès qu’elle sera à nouveau en état, elle viendra avec nous car nous avons été chargés de la ramener au Temple. Elle est sensible à la Force. Il est... »


Il s’interrompit, les paupières closes. Le fil d’un souvenir se déroula, puis s’estompa.

« Il est rare que des enfants si « vieux », si je peux me permettre l’expression, rejoignent le Temple et... si elle savait son père vivant, son éducation à la Force serait compromise.

— Mais... !


— Le Conseil et moi avons communiqué hier, la décision est irrévocable, jeune padawan ! Pour l’instant, nous laisserons la jeune Lauren croire à l’histoire qu’elle s’est fabriquée. Il vaut mieux qu’elle perde son père de vue afin que son arrivée au Temple — qui sera déjà difficile, ne te trompes pas ! — ne le soit pas plus. » Que’da intimait le silence d’une intonation sèche et mordante.


Alm sentait ses bras raides, le long de son corps. Il sentait ses poings se fermer, puis se serrer jusqu’à ce que ses ongles pénètrent sa chair. Le calme appelle le contrôle, la colère appelle le tourment, psalmodia-t-il, ponctuant chaque récitation d’une longue inspiration. « Bien » commenta Que’da, mais la colère d’Alm n’en demeurait pas moins cuisante.

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21 574 — TEMPLE JEDI D’ONDERON



On commence au bas de la ligne, on remonte lentement en décrivant un trait penché, à peine bombé — « comme un ventre à l’envers » —, on fait demi-tour — « pas un freinage serré, plutôt un tournant à l’épingle pris avec grâce » —, puis on redescend d’un trait droit et déterminé en prenant garde, durante toute l’opération, de ne pas trop appuyer car « il faut glisser sur les aspérités du papier, suivre le mouvement, pas les détruire sinon ton trait sera malaisé ».

Un bout de langue perçait entre les lèvres pincées de Lauren. Ses yeux étaient réduits à deux fentes qui fixaient la feuille de papier avec intensité. L’une de ses mains tenait un stylo à encre dôté d’une belle mine en acier argenté, l’autre reposait sur le bureau, en arc de cercle autour de sa tête. Avant de commencer, Lauren avait pris garde de reculer le petit, très petit, encrier afin qu’un moment d’inattention, d’excitation ou d’irritation ne l’amenât pas involontairement à terre.


Elle releva la tête, la langue demeurait piégée, les yeux plissés. Elle dodelina, émit un souffle et posa le stylo. Elle venait de terminer le quatrième L, en écriture cursive, une longue boucle étirée. Un peu barbante, son activité de l’après-midi consistait à écrire et réécrire toutes les lettres de l’alphabet, sur une ou deux lignes, pour qu’elles soient parfaitement maîtrisées. Elle avait obtenu ce papier, ce stylo et cette encre, mais aussi tous ces enseignements, d’un maître-archiviste du Temple passionné. La pratique de la calligraphie était assez rare pour être remarquée et maître Harali connu pour ça.


Lauren trouvait la calligraphie harmonieuse, loin de la récalcitrante image primitive souvent dépeinte. Tout n’était aujourd’hui que datapads translucides, disques durs, écrans bleutés ; le papier avait ce quelque chose d’ancien et vénérable, cet accrochage organique au passé et ce côté artistique un peu désuet. Qu’il fut blanc ou jauni, craquelé ou parfaitement lisse, que la plume fut disciplinée ou chancelante, le papier portait les marques du temps, des vies et des histoires là où le datapad ne donnait qu’à voir ses finitions artificielles et l’insensibilité de son écran. Dans la vie quotidienne, personne ne pouvait cependant se soustraire à l’utilisation d’un datapad ; celui de Lauren reposait d’ailleurs sur sa table de chevet, éteint. La calligraphie était pour elle un échappatoire hebdomadaire le temps de quelques heures.


L’après-midi était ensoleillée, obligeant Lauren à régler le store pour qu’il ne laissât passer qu’une infime partie de tout cet éclat, ce qui plongeait la pièce dans une pénombre uniquement dérangée par la lumière artificielle d’une lampe pointée sur son bureau. Elle reprit le stylo. Ses doigts étaient endoloris de l’effort constant de précision qu’elle leur imposait, ses jointures blanchies. Interrompue dans son élan par un son étouffé provenant de la porte, elle replaça le stylo dans l’encrier. Cela ressemblait au son de quelqu’un qui frappait, avec timidité, malgré la présence d’une petite sonnette que l’on actionnait normalement.


« Oui ? »


La porte coulissa dans un chuintement discret et, une fois l’arrivant à l’intérieur, se referma dans le même mouvement. C’était un humain, le teint bronzé, qui la fixait de ses yeux marrons figés dans une expression heureuse et triste à la fois. Le sourire qu’il lui adressait était partiellement dissimulé par un bouc qui englobait depuis sa lèvre supérieure et descendait de son menton. Le reste de ses joues était soigneusement rasé comme ses cheveux, coupés très courts. Il ne portait pas la tresse des padawans et était habillé de la bure des chevaliers.


« Oh, chevalier ! Ça faisait longtemps !


— Psst, tu peux toujours m’appeler Alm, même si je suis chevalier, dit-il fièrement.


— D’accord, Alm. Félicitations ! »


Il s’enserrèrent dans leurs bras, un geste fraternel et amical pendant quelques secondes, puis s’éloignèrent.


« Alors, cette nouvelle vie de chevalier ? De nouvelles aventures ? La liberté ?


— La liberté ? Attends, on parle de l’Ordre Jedi, ma vieille !


— Oups, dit-elle dans un rire partagé. Désolé, j’ai que le lit, tu peux t’asseoir si tu veux. »

Il s’assit et Lauren s’installa sur sa chaise de bureau, face à Alm. Aussi heureuse que fut Lauren de sa visite, elle pressentait quelque chose, mais elle n’aurait su mettre les mots desus. Tout deux se regardèrent en silence, avant qu’il ne le brisât d’un ton empreint de nostalgie, détonnant de sa précédente attitude :


« Le temps file, hein. Un jour, on est padawan, l’autre on est chevalier. Et nous voilà partis.

— Oui... Dis moi, t’as une peine de coeur aujourd’hui ? Tu sembles pensif.


— Moui...


— Comment va maître Que’da ? reprit-elle aussitôt pour souffler sur ce nuage noir qu’il s’amoncellait au-dessus d’Alm, sans qu’elle n’en comprît la cause. »


Le visage d’Alm s’assombrit plus encore.


« Lauren... »


Elle sut que, quel que soit la raison qui troublât Alm à ce point, ce ne serait pas une bonne nouvelle. Pire encore, elle sentait que cela la concernait directement, de cette sensation que quelque chose nous épiait depuis un lieu invisible à nos yeux, cette sensation à la fois si faible et si oppressante de présence invisible, mauvaise. Elle décroisa ses pieds, plia la feuille pour la ranger dans un coin de son bureau tout en reculant le petit encrier ; le silence emplissait toute la pièce de sa criante présence. Elle gagnait du temps, sans savoir pourquoi.


« Lauren, répéta-t-il.


— Alm, dis moi.


— Je me suis longtemps, très longtemps, demandé si je devais te parler de ça ou non. Ça m’est normalement interdit. Je me suis dit que ça ne servirait qu’à te blesser, qu’à éveiller un espoir enfoui et, sans doute, vain. »


Il baissa les yeux, réalisant que son introduction était alarmiste, pathétique au mieux. Elle comprit.


« Alm, dis moi. »


« Tu te souviens, reprit-il, après que nous t’ayons rencontré pour la première fois dans cet hôpital sur Makem Te ? (Elle hocha à peine la tête.) J’étais encore le padawan de maître Que’da. Tu es restée longtemps assoupie, je ne sais pas si c’est vraiment l’état dans lequel tu étais. Je ne sais même pas si tu étais consciente à ce moment, durant les premiers jours. »


Entre le traumatisme provoqué par les événements et les drogues plus ou moins fortes qu’on lui avait administré, elle ne gardait souvenir que du mur blanc, désespérément blanc. Et du « bip » anxiogène. Le mur, le bip. Elle ne se rappelait d’aucune différence entre l’éveil et l’endormissement.


« Tu fixais ce mur...


— Je sais ce que je fixais, mentit-elle. Dis moi.


— Je sais que je signe peut-être la fin de notre amitié, mais...


— Tu as commencé, Alm. Arrête de te défiler. »


En cet instant, qu’importe qu’elle parlât à un padawan, un chevalier ou un maître, à son ami ou son ennemi, elle ne se formalisait plus des formules de politesse. Elle s’impatientait de la manie qu’avait Alm de tourner autour du pot au point d’en devenir irritant. Il parut surpris et se ravisa :

« Ton père a peut-être été enlevé par l’Empire. Des témoins nous expliquèrent avoir vu sortir de nombreux ouvriers de l’usine, ce jour-, où travaillait ton père, escortés par des soldats. (Il pesa le poids de son regard.) Je ne peux pas répondre à la question qui te brûle les lèvres, personne ici ne le peut. Ça ne servirait à rien, je te promets. »


Il faisait trop sombre. Lauren pivota sur sa chaise, commanda l’ouverture du store. Lorsque la lumière inonda la pièce, drûe comme la vérité, cela l’accabla au point qu’elle le referma aussitôt. Elle se tortillait d’inconfort, glissant ses mains sous ses cuisses pour calmer les tremblements. Une vibration naquit dans ses oreilles, oscillant entre les gravers et les aigus, troublant le fil entre la réalité et l’infini vide dans lequelle elle chutait. Elle fixait un point distant et imprécis.

« Je ne peux pas y répondre, Lauren, dit-il. Ce sont juste des témoignages, c’est une juste un bout de la réalité. Je veux dire, on peut pas conjecturer dessus.


— Conjecturer ? Conjecturer ?! Mais pourquoi tu me le dis si tu veux pas que je conjecture ? »

Il baissa les yeux.


« Je ne voulais pas, je suis désolée..., dit-elle. Je sais que tu fais bien et que... (Elle déglutit, mais la boule bloquée dans sa gorge était toujours présente.) Et que tu veux le faire bien, mais je dois réfléchir comme ça. Je dois penser comme ça, Alm. Tu ne peux pas me dire « oublie ce que je viens de te dire parce que ça n’amène à rien » alors que tu m’apprends quelque chose sur mon père. Enfin, depuis tant d’années. »


Lauren perçut un changement. Le regard mélancolique d’Alm, à son arrivée, avait d’abord cédé la place à une expression coupable — elle l’avait lue dans ses traits —, mais cette culpabilité s’était évanouie. C’était dorénavant du regret.


« Tu regrettes ?


— Quoi ?


— Tu regrettes de me l’avoir dit ?


— Non. Je regrette de ne pas te l’avoir dit plus tôt. »


Elle ne tremblait plus, mais les larmes avaient creusé deux sillons brillants sur ses joues rougies. Elle ne comprenait pas pourquoi l’apaisement gagnait sur le reste, une libération inattendue. D’un mouvement lent, elle s’approcha d’Alm et le prit à nouveau dans ses bras. Elle sentait le souffle chaud et saccadé du chevalier se répandre dans le creux de son cou et son bouc qui la chatouillait. Elle sentait qu’à ce moment — celui où elle se sentait... mieux —, il traversait tout un panel d’émotions : tristesse, colère, regret, culpabilité, mais aussi, comme elle le percevait à travers la Force, un soulagement. Celui d’un poids qui lestait son existence, invisible, mais si lourd, même quand il n’y pensait pas.


« Je te remercie Alm. J’ai besoin d’être un peu seule, ça te dérange pas ?


— Non, non, d’accord. Tu... (Il marqua une longue pause.)


— Je ?


— Tu n’hésites pas au cas où t’aies besoin de quelque chose ?


— Promis. »


Alm se releva du lit, réajusta la couverture d’un geste simple, mais révélateur de l’égard qu’il portait à la jeune padawan. La porte coulissa et juste avant qu’elle ne se refermât, il dit :


« Dis, ça t’embête pas de garder ça pour toi ? Je serais... mal, sinon.


— Je dirai rien ! »


Il semblait que le poids dont il s’était libéré n’accablait plus ses épaules et que, d’une démarche lente, il s’éloignait en meilleur état qu’il n’était arrivé. Lauren réouvrit le store pour ne laisser filtrer que quelques fines lamelles de lumières qui zébraient la pièce. Aujourd’hui, elle redécouvrait le monde, elle redécouvrait les choses sous un angle nouveau : son père n’était peut-être pas mort. Des conséquences de sa possible capture, elle n’y pensait pas, ce n’était pas le moment.


Elle comprit alors ce qui l’apaisait : elle n’en voulait pas à l’Ordre, elle n’en voulait à personne, ni à Alm, ni à maître Que’da, ni au Conseil. Elle obtenait enfin une forme de conclusion tant espérée, qu’elle soit illusoire ou non. Son père était peut-être en vie, son père n’attendait peut-être que son arrivée pour le libérer de ses geôliers, son père avait peut-être refait sa vie. Une seule information demeurait intangible, il était peut-être vivant. Plus que tout, cela fournissait enfin à Lauren un but dans sa vie, en tant que fille et en tant que Jedi.

Elle fit glisser la feuille de papier sur son bureau, agita de haut en bas la plume argentée dans l’encrier. Dans un coin de la feuille, retournée, elle écrivit de la plus belle écriture qu’elle n’ait jamais produite : « je te retrouverai papa ».

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