Absalom Thorn
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Absalom.
Mère.

Le speeder du Seigneur Sith s’était posé en douceur le long de l’allée du domaine Thorn et, ensemble, côte à côte, sa mère et lui suivaient le chemin bien entretenu qui longeait le lac privatif sur lequel donnait le manoir familial. Il n’y avait rien de chaleureux, ni dans leur regard, ni dans leur conversation. Cala Thorn n’avait pas élevé son fils, mais elle avait conçu, avec son corps et son intelligence : elle en avait assemblé les gènes elle-même. Elle éprouvait de la fierté en le considérant, et même de l’affection, mais chez les Thorn l’affection ne touchait jamais à l’effusion. Avant d’être une famille, ils étaient d’un personnage, et chacun devait tenir son rang.

Ton père est malade.
Je sais.

Elle le sonda du regard. Absalom conserva la même expression impassible. Il n’avait aucune intention de mettre ses talents ésotériques au service de la santé de son père. Il ne nourrissait aucune animosité à son égard, mais sa mort le rapprocherait un peu plus d’un héritage précieux. L’argent lui importait : c’était le cercle des relations de ses parents et le prestige attaché au domaine familial dont Absalom voulait être le dernier dépositaire.

La situation sécuritaire ne s’améliore guère.

Le Seigneur adressa un regard coin de l’oeil à sa mère. Perçant. Cada Thorn n’avait pas d’ambitions politiques personnelles — la science avait toujours été sa préoccupation première, presque exclusive — mais elle était de ces femmes qui comptaient dans la société matriarcale d’Hapès, et son influence sur les événements n’était pas indifférente. Comme son fils l’avait fait à l’instant cependant, la savante se contenta d’un geste de la tête, sans signification précise, et d’un long silence.

Je reçois une visite, bientôt. Évadné Publius.
Cadezia ?
C’est cela, mais sa mère était hapienne.
Je l’ignorais.
L’objet d’une expérience de l’un de nos départements de recherche et développement, pour le génie biologique des armées.
Inoculations ou augmentations ?
Augmentations.
Et la mère est… ?
Morte.

Du point de vue de Cala Thorn, l’expérience avait été un échec : en bonne généticienne, elle considérait que le décès prématuré d’un sujet représentait un gaspillage de ressources. Les gènes s’étudiaient dans le temps. L’un de ses principaux regrets demeurait ainsi que son fils se refuse apparemment à avoir une descendance. Quelles regrettables préférences sexuelles que celles d’Absalom. Si seulement elle avait été plus vigilante sur ce point-là…

Quoi qu’il en soit, elle est devenue politicienne, je crois… Assez, en tout cas, pour se laisser convaincre par une visite chez nous. Sur Hapès, j’entends. J’aimerais avoir une occasion d’observer de près ce qui s’est transmis par sa mère.
Et vous supposez qu’elle s’y prêtera volontairement ?

Absalom connaissait assez sa mère pour savoir qu’elle n’employait jamais la contrainte. Cala n’était pas une femme sentimentale et son interprétation des codes de déontologie était parfois si littérale qu’elle lui laissait les coudées franches pour bien des expériences que d’autres scientifiques auraient réprouvées, mais elle n’était pas du genre à attacher une jeune femme innocente à une chaise médicale pour lui ponctionner de la moelle osseuse.

Peut-être pas à la première visite, non.
J’imagine qu’il y a d’autres raisons à son invitation, dans ce cas.

Et d’autres raisons à ce qu’elle lui en parle : aucune conversation entre eux n’était aussi longue sans qu’elle tende à un échange de bons procédés.

Comme tu l’as dit, la situation sur Hapès devient de semaine en semaine plus délicate et je ne voudrais pas que des troubles plus conséquents ne viennent troubler mes recherches. Je songe à renforcer les partenariats scientifiques de mon institut avec d’autres établissements de recherche, en République et dans les mondes indépendants, et peut-être pourquoi pas de transporter une partie de nos expériences dans des endroits plus sûrs. Temporairement.
Et madame Publius… ?
… est, de ce que j’ai compris, une scientifique elle-même. Ou tout du moins médecin.

Absalom hocha lentement la tête.

Voulez-vous dire que vous aimeriez accéder à mes complexes scientifiques ?

Cala eut un mince sourire.

Je ne doute pas de la qualité de tes installations mais je crains que les comités de rédaction des revues de génétique ne se montrent frileux devant des données produites dans des laboratoires secrets cachés sur des planètes hostiles.
Certes.

Le Seigneur Sith, pour sa part, ne chercha pas à publier les résultats des travaux entrepris par les scientifiques qui lui étaient restés fidèles : ce genre de considérations ne l’affectait donc guère.

J’ai en revanche besoin de conseils pour combler mon ignorance politique.

C’était, de l’avis d’Absalom, l’un des traits les plus remarquables et les plus admirables de sa mère : que cette scientifique brillante, qui dirigeait un institut de recherche de premier plan, avec plus d’une centaine de personnes sous ses ordres, dont les travaux étaient des références reconnues dans toute la Galaxie, avoue toujours si volontiers ses faiblesses, poussée par sa lucidité critique et la détermination à les combler.

Vous voulez organiser un dîner en son honneur ?
Rien de trop formel.
Je vois.
Peut-être pourrais-tu, par exemple, lui faire visiter la capitale. En signe de notre hospitalité et afin de créer une relation de bienveillance mutuelle.
Naturellement.
Je t’en remercie.

Silence.

Mère ?

Le regard de Cala se détacha du lac.

Souhaiteriez-vous que l’hospitalité que je lui témoigne aille au-delà de la simple cordialité ? Je suis, vous savez, capable de dépasser mes inclinations personnelles pour le bien de la science.

Cala ne répondit rien.
Malgré toute la force de son objectivité scientifique, il y avait encore quelques sujets avec lesquels elle n’était pas à l’aise.


*


La délégation scientifique de Cadezia avait été reçue par l’Académie des sciences d’Hapès avec la sobriété qui convenait aux honneurs académiques. Cala Thorn était suffisamment sûre de l’excellence de ses recherches et de ses laboratoires pour ne pas chercher à impressionner ses invités avec des fastes inutiles. La rectrice de l’Académie, une physicienne aux portes de la mort, avait chevroté un discours plein de dignité et, après une visite du bâtiment, l’une des merveilles architecturales de la capitale, avec ses immenses planétariums holographiques qui décoraient les voûtes des salles de débat, ils avaient pris trois speeders en direction de l’Institut de Biotechnologies Évolutives.

L’IBE occupait une partie du campus des sciences de l’université. Un bâtiment de trois étages, qui s’étendait en triskèle sur une vaste pelouse impeccablement entretenue, l’IBE abritait les départements de neurophysiologie, de génétique, de prosthétique et de bioinformatique, qui comptaient parmi les plus productifs de l’université. Cala Thorn avait agrégé autour d’elle bien des talents prometteurs au fil des années, en appliquant un principe simple : reconnaître généreusement toutes les contributions, même les plus modestes, pour cultiver tout à la fois l’esprit de groupe et les ambitions personnelles.

D’autres académiciens s’étaient chargés d’autres membres de la délégation planétaire de Cadezia, en fonction des intérêts de ceux-ci, qui pour aller découvrir les laboratoires d’astronautiques, qui pour visiter les arboretums et les serres de la faculté de botanique. Cala, elle, avait invité Évadné Publius à la suivre pour découvrir quelques exemples des progrès médicaux qui se méditaient dans les salles aseptisées de l’IBE.

Elle l’avait observée patiemment, depuis l’arrivée de la délégation ce matin-là à l’Académie, de ce même regard inquisiteur, perçant, qu’elle avait légué — après l’avoir amélioré — à son fils. Cala Thorn regardait tout le monde de la même manière. Les objets et les êtres semblaient toujours pour elle des problèmes à décomposer et à résoudre. Même si, au fond, elle ne pensait rien trouver de remarquable en Évadné par la seule vertu d’une observation aussi superficielle. Elle aurait eu besoin d’examens beaucoup plus approfondis.

Elle lui avait parlé de ce ton poli, pas tout à fait chaleureux mais cordial, et de la façon calme, précise et néanmoins pédagogique d’une scientifique qui maîtrisait complètement son sujet et était habituée à l’exposer à toutes sortes de personnes. Toute dans son attitude trahissait qu’avec d’être un esprit brillant, elle était née avec tous les avantages de la bonne société, dans laquelle elle n’avait cessé d’évoluer depuis. Elle avait l’assurance jamais tapageuse de ceux qui possèdent, qui savent et qui gouvernent depuis si longtemps qu’ils n’éprouvent plus le besoin de le démontrer brutalement.

Ce soir, nous organisons dans le domaine familial une soirée pour quelques-unes de nos connaissances, fit-il alors qu’elles sortaient toutes les deux d’une pièce où des ingénieures et des obstétriciennes étaient en train de développer le prototype d’une nouvelle génération d’incubateurs pour les maternités, vous pourriez vous joindre à nous, si votre soirée est encore libre. Ce serait l’occasion pour vous de découvrir d’autres profils de la société hapienne.

Cala Thorn était, après tout, marié à l’un des poètes contemporains les plus célébrés de la littérature hapienne, et les artistes se mêlaient aux scientifiques dans les salons de la famille.

Nous tiendrions votre présence pour un honneur, déclara-t-elle, en croisant un instant le regard de la jeune femme, comme pour lui assurer silencieusement que c’était une invitation qui ne se refusait pas.
Evadné Publius
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    Dans la barge de transport spécialement affrétée par la diplomatie cadézienne, Evadné admirait les premiers contours de Hapès se détacher dans l’océan noir de l’espace. La planète semblait irradier d’un jour éternel. Un endroit où l’obscurité n’avait jamais connu de règne, remarqua-t-elle, pensive. Sur les sièges alentours, plusieurs scientifiques de Cadezia échangeaient des banalités au sujet de ce voyage. La délégation représentait une trentaine d’ingénieurs, de biologistes et d’autres spécialistes en divers domaine de sciences. Elle ne les connaissait pas tous, mais le long trajet depuis Cadezia avait suffi aux présentations. Le ratio hommes-femmes n’était pas des plus pertinents pour leur destination. Le groupe d’études ne comportait qu’un faible pourcentage d’espèce féminine, parmi lequel une Chiss spécialisée dans la cyberchirurgie réparatrice.


    -N’êtes-vous pas semi-Hapienne, docteur Publius ? lui demanda-t-elle en venant s’asseoir près d’elle.


    -Je le suis, affirma-t-elle à demi-mot, un peu gênée par la question.


    Toutes deux s’attachèrent pour mieux envisager l’entrée prochaine dans l’atmosphère de Hapès et le futur atterrissage qui en résulterait. La Chiss eut un sourire fugace à l’attention de sa collègue et poursuivit banalement :


    -Connaissez-vous bien Hapès ? Je dois avouer que c’est la première fois que j’y mets les pieds. Je suis un peu nerveuse.


    -A vrai dire…débuta Evadné. Je n’ai que de vagues souvenirs d’enfance. Je ne saurais vous dire avec précision ce qui nous attend.


    -Oh, je vois.

    La délégation scientifique fut accueillie modestement, mais avec tous les honneurs protocolaires. Ce retour au sein du Consortium de Hapès mettait la jeune politicienne mal à l’aise parce qu’il évoquait la mémoire de sa mère. A tort, on considérait la toute blonde comme une hapienne à part entière. Les gènes de sa génitrice ayant primé sur pratiquement tout le reste. Pourtant, elle connaissait peu les coutumes, la culture et la planète de ses origines. Et elle avait longuement hésité à accepter l’invitation. L’opportunité scientifique et politique d’un tel voyage l’avait toutefois décidé à embarquer.


    Contrairement à ses appréhensions, ses premiers pas sur Hapès furent agréables. La visite de l’Académie des sciences, des plus intéressantes. Elle n’avait jamais autant été dans son élément qu’à écouter la vieille physicienne égrener péniblement les mots de son discours. La délégation cadézienne se félicitait, dans son ensemble, de l’hospitalité très cordiale de leurs pairs.


    Le summum de la visite ne fut seulement atteint qu’à l’IBE. Et à la descente du speeder, mirant le bâtiment à l’architecture magnifique, Evadné comprit qu’elle serait impressionnée. Les installations sur Cadezia se vantaient d’être à la pointe de ce qui se faisait de mieux. Pourtant, leur aspect sobres et tranchés était loin d’égaler la maîtrise architecturale hapienne. Et elle fut honorée d’être introduite dans le département médical de l’Institut par Cala Thorn dont l’aura percutait son esprit. Et si ses yeux curieux s’étaient dépêchés d’inspecter les salles aseptisées et ce qu’elles proposaient, elle ne put s’empêcher d’être intimidée par le regard de la scientifique – au demeurant très polie.


    Afin d’aborder la visite avec tout le confort et l’élégance possible, Publius avait opté pour un ensemble fleuri qui soulignait sa taille, mais possédait des coupes assez larges pour ne pas rendre la vision d’ensemble ostentatoire. Elle n’avait jamais vraiment compté sur son physique pour faire bonne impression bien que ses gènes hapiens eurent décrété que même vêtue de la plus misérable des robes, sa beauté ne serait entachée. C’était un fardeau pour elle qui n’aspirait qu’à la discrétion. Cependant, son éducation fortunée l’avait rompue à l’exercice de l’image et son père n’aurait jamais accepté qu’un seul de ses cheveux rebique.


    Alors qu’elle était encore en train de poser ses réflexions sur les prototypes qu’elle avait aperçu en salle de développement obstétrique et pédiatrique, la voix calme de Cala lui parvint. Elle s’apprêtait à refuser, par politesse. Elle ne souhaitait guère imposer sa présence lors d’un souper familial, aussi mondain s’annonçait-il. L’œillade subtile de son hôtesse l’amena toutefois à répondre :


    -Je ne souhaiterai pas abuser de votre hospitalité, Madame Thorn. Si cela ne porte pas préjudice à votre organisation, alors ce serait avec plaisir et avec un honneur partagé.


    Elle avait grandi dans un milieu où les apparences étaient légions. Evadné reconnaissait pertinemment les signes d’une invitation qui ne pouvait se décliner au risque de froisser son dépositaire. Il y avait des faux-semblants et des codes à respecter dans la haute-société et bien que familiarisée avec ces derniers…certains arrivaient tout de même à lui échapper. Elle conclut sa réponse d’un sourire élégant, promesse de sa présence.





    -Vous ne vous joignez pas à nous pour tester le restaurant qu’on nous a recommandé ?


    La cybernéticienne à la peau bleue avait passé son minois dans l’encadrement des portes qui délimitaient la chambre d’Evadné. Toute la délégation cadézienne était prête et se rassemblait dans le hall de leur hôtel afin de partir inspecter des horizons nouveaux pour la soirée- loin des considérations sérieuses et habituelles. Ce serait également l’occasion d’un débriefing autour d’un verre et d’un bon plat au sujet de leur visite. La toute blonde eut un sourire gêné, ne sachant que répondre, mais la chiss la devança :


    -Oh pardon. Vous allez peut-être en profiter pour voir votre famille maternelle. Bonnes retrouvailles.


    Et elle disparut. Publius émit un léger soupir et se détourna vers un miroir pour admirer son reflet. Elle n’avait pas prévu de tenue mondaine, mais se disait que cette robe ferait bien l’affaire. Elle dénudait ses épaules et recouvrait ses bras fins d’une mousseline légère et transparente. Le corset était raffiné, la traîne ni trop longue, ni trop courte. On pourrait peut-être lui reprocher un décolleté en demi-teinte. Elle espérait que ça ne fasse guère trop, ni trop peu. Enfin, elle avait banni le noir de sa garde-robe depuis les remarques fracassantes de la Sénatrice Méridan. Le tissu coûteux qui composait sa robe avait la couleur d’une nuit d’été, mettant en valeur la lumière de sa chevelure blonde qu’elle avait laissé libre. Une manière comme une autre de se démarquer des étiquettes et d’affirmer tout en élégance un côté rebelle. Ses doigts fins s’emparèrent d’une couronne de fleurs d’Inisia qu’elle déposa délicatement dans ses cheveux. Elle vérifia son maquillage une dernière fois : un peu de blush pour colorer discrètement ses joues habituellement pâles, un fard rosé pour souligner la charnure de ses lèvres et du mascara noir qui avait permis d’agrandir davantage son regard bleuté. Elle se dépêcha d’attacher ses longues boucles d’oreille en cristaux, pestant à demi-mots lorsqu’elles s’emmêlèrent dans ses mèches.



    Le speeder la déposa à une heure convenue et convenable au domaine familial des Thorn. Le pilote se dépêcha de descendre afin d’aider la demoiselle à débarquer du véhicule sans abîmer ses atouts. Elle le remercia d’un simple sourire avant de contempler le paysage. On parlait de soirée mais le jour brillait encore, mettant en valeur l’irréprochable entretien du domaine. Son attention avisa l’allée bien entretenue, le lac privatif et le manoir plus loin dont s’échappaient déjà quelques notes raffinées de musique. Et puis, il y avait ce parfum dans l’air qui émanait des plantes disciplinées de la nature domptée des alentours.


    -C’est…magnifique, remarqua-t-elle à voix haute.


    Prise de nostalgie à la vue de ce tableau, elle repensa à la remarque de sa collègue. Sa famille maternelle. Elle n’était pas sûre que ses grands-parents l’accueilleraient si simplement après autant d’années hors du Consortium. A l’occasion de ses anniversaires, son grand-père lui témoignait poliment ses félicitations via message holographique. Tous deux étaient issues des hautes-sphères de l’armée hapienne et n’avaient jamais vraiment accepté l’union de leur unique et prometteuse fille avec un humain. Les non-dits et les rancoeurs s’étaient solidement ancrés dans l’histoire familiale de la métisse. Ainsi, Evadné n’avait pas jugé opportun de les prévenir de son arrivée sur Hapès.






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Le manoir s’étendait en demi-cercle face à un lac naturel, qui était devenu la propriété de la famille Thorn bien des générations auparavant. Derrière le bâtiment principal, deux rangées de dépendance se faisaient face, encadrant la terrasse à la fontaine, qui permettait de descendre par degré au jardin de promenade lui-même et, au-delà, à une forêt privative dont la famille ne faisait jamais qu’un usage limité, parce qu’elle tenait la violence de la chasse comme un signe de mauvais goût.

Il se mêlait là des fortunes personnelles et familiales, l’accumulation patiente, décennie après décennie, des efforts des Thorn et de ceux qu’elles avaient épousé. Comme souvent au sein du Consortium, et en particulier sur son monde capital, la réussite du clan avait été tenue comme la priorité suprême, poursuivie avec un intérêt presque névrotique. On avait calculé, intrigué, travaillé pour atteindre cet objectif sans cesse repoussé et le domaine familial était une manifestation de puissance. Un signe.

Un majordome attendait sur le perron monumental, en face du lac, pour accueillir les invités. Pas de droïde protocolaire : ça aussi, c’était de mauvais goût. La mécanique était une passion vulgaire. Il y avait bien des choses que les Thorn tenaient pour de mauvais goût, bien des nuances subtiles, inhérentes à toute classe soucieuse de se distinguer des autres, et largement implicites, qui réglaient leurs propos et leurs habitudes.

La scientifique fut conduite jusqu’au hall principal, presque vide, à part une tapisserie à motif galactique qui représentait les mondes du Consortium. Avec un sens aigu de la sobriété, les Thorn considéraient naturellement que le plus sûr des luxes était l’espace. Inutile d’exhiber ses richesses : il suffisait de prouver qu’on avait les moyens de payer du vide. Un valet de pied présenta à Évadné un plateau où s’alignaient les coupes d’un vin léger qu’on cultivait à quelques encâblures de là, sur les coteaux d’une petite propriété viticole artisanale. Le domaine était ancré dans son terroir : c’était une manière de prouver son ancienneté.

Ah, docteur Publius.

Alertée probablement par l’un de ses domestiques, Cala Thorn avait émergé d’un salon d’où montait la rumeur des conversations.

Quelle heureuse coïncidence, j’allais à la rencontrer de mon fils et voilà que je vous croise dans le vestibule.

La scientifique inclina légèrement la tête. Elle était vêtue d’une robe émeraude, qui tombait en un drapée lourd et sobre, et ne portait pour bijoux que deux perles discrètes, révélées par ses cheveux blonds relevés en un chignon simple. Malgré son âge, et elle devait avoir plus de soixante ans, sa beauté demeurait frappante : elle avait perdu peut-être de la sensualité innée des jeunes Hapiennes, pour se muer en une majesté de femme de caractère.

Venez, je vais vous présenter.

Sa main alla comme pour se poser sur le dos d’Évadné, sans le toucher néanmoins — c’eût été, bien entendu, de mauvais goût —, et elle l’entraîna en haut du perron, où le majordome inclina la tête.

Professeure.

Elle lui répondit par un sourire. Un speeder arrivait, berline sombre. Le majordome descendit les marches du perron pour en ouvrir la portière et le fils de la brillante généticienne, sa création, sa conception avant même que l’embryon ne soit formée, descendit de voiture.

Sa beauté était surprenante, même pour un Hapien. Elle se mariait à un charme insaisissable, presque dangereux, une sensualité secrète et comme interdite. La beauté était le fruit des manipulations génétiques de Cala Thorn et le charme de sa propre sorcellerie. Quel âge pouvait-il avoir ? Son regard trahissait l’expérience, son physique la jeunesse. En tout cas, il n’avait pas cette réserve naturelle aux mâles hapiens, même les mieux nés, que leur société avait contraints à se mettre en retrait. Tout au contraire, il dégageait une assurance spontanée.

Mère.
Absalom.

Il y avait beaucoup plus de politesse que de chaleur dans leurs salutations.

Docteur Publius, je vous présente mon fils, le docteur Absalom Thorn.

C’était assurément la présentation la plus étrange du monde. Absalom Thorn avait été l’un des visages impériaux les plus médiatisés des derniers mois, à l’occasion du sommet pour la paix. Et face à un homme qui répondait aussi au nom de Darth Noctis, auréolé le plus souvent de la réputation sulfureuse qui allait avec le titre de Seigneur Sith, l’évocation incidente de son doctorat en économie paraissait presque incongrue.

Docteur Publius, c’est un honneur de vous rencontrer, déclara Absalom en s’inclinant légèrement, sans tendre la main, ni prétendre à un baisemain, parce qu’aucun mâle, sur Hapès, n’aurait invité de lui-même une femme au moindre contact physique. J’ai cru comprendre que vous aviez visité l’Institut avec tout l’intérêt d’une personne du métier, j’espère que cette découverte vous aura plu.

Darth Noctis était à peu près tout le contraire des images d’Épinal du Seigneur Sith que l’on trouvait dans les holofilms. Doux, souriant, affable. Tout à fait à son aise dans les banalités d’une conversation mondaine.

Bonjour, Wai-Jin, fit-il au majordome.
Seigneur.

Les lèvres de Cala Thorn se pincèrent légèrement. Elle préférait infiniment présenter son fils comme un intellectuel, que comme un Sith. Mais au sein du Consortium, si farouchement anti-jedi, le rang de Seigneur Sith n’avait pas la valeur d’anathème qui était la sienne dans les mondes de la République, bien au contraire. Après tout, la culture impériale et la culture de la haute société hapienne avaient bien des parentés.

Absalom, tu voudras saluer ton père ? Docteur Publius, si vous voulez bien, je vous présenterai.

Ils pénétrèrent tous les trois dans le salon de réception, où conversaient une trentaine de personnes. Des Hapiens. Tous. On rechignait à se mélanger à d’autres races, presque universellement considérées comme inférieures. Des regards dérobés furent adressés au Seigneur Sith. Parfois avec une appréhension instinctive, parfois avec une fascination presque malsaine. Noctis paraissait indifférent à cette curiosité. Habitué, selon toutes probabilités.

Un homme d’une soixantaine d’années, à la beauté douce et distinguée, se détacha d’un groupe de convives pour venir à la rencontre des trois arrivants. Cala lui tendit la main, qu’il prit dans la sienne, une seconde à peine, avant de croiser les mains dans le dos ;

Mon époux, le poète-lauréat Balor Thorn.
Madame, fit-il en inclinant la tête et, comme il convenait à son statut d’artiste, sans employer les titres académiques.
Père.
Absalom.

Balor avait le même sourire bienveillant et affable que son fils.

Si vous voulez bien nous excuser, reprit la généticienne, nous devons accueillir l’ambassadrice et son épouse.

Une nouvelle fois Balor inclina la tête et les deux hôtes s’éclipsèrent. D’un regard, Absalom balaya l’assemblée, en réalité assez indifférent à l’identité des convives, puis il se tourna vers celle qui seule justifiait sa présence.

J’imagine que se retrouver jetée dans son premier soir dans la fosse aux lions d’un dîner mondain de la bonne société hapienne n’est pas exactement propice à une soirée de détente.

Il eut un sourire entendu.

Pour tout vous dire, je ne me suis moi-même jamais senti très à l’aise dans ce genre de réceptions.

Il avait pourtant l’air d’un poisson dans l’eau.

Fort heureusement, la moitié des dîneurs a trop peur de moi pour me parler, et l’autre moitié est trop occupée à médire de la première pour venir troubler ma solitude contemplative. Mais puis-je avoir l’audace d’espérer, madame, que vous n’apparteniez ni à l’une, ni l’autre ?
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    Captivée par la tapisserie, elle refusa poliment le vin. Elle ne buvait jamais et risquer une goutte ne serait pas prudent dans un environnement qu’elle jugeait potentiellement hostile. Les faux-pas s’enchaînaient rapidement au cours des évènements mondains et bien qu’elle soignait son port altier, elle n’était plus sûre de pouvoir naviguer dans les eaux troubles de cette soirée.


    -Madame Thorn, salua-t-elle dans une subtile et hâtive révérence. De celles qu’on lui avait apprise à faire, mais qui ne se pratiquaient jamais en dehors de cas rarissimes.


    Et puisque prudence était mère de sûreté, elle laissa volontiers Cala Thorn mener la valse des présentations. Soucieuse de faire bonne figure, elle conservait un magnifique sourire. Bien qu’elle avait l’impression d’être un pâle fantôme à côté de la beauté mature et du charisme raffiné de la maîtresse des lieux.


    Elle sut étouffer son étonnement avec brio dès l’instant où elle reconnut celui que certains média avaient surnommé « le doux visage de l’empire. » Et pour cause, il possédait un faciès à la beauté indécente. Elle aurait aimé dire qu’elle mirait en lui son exact reflet, en proportion masculine, mais il dégageait une pureté qu’elle ne pourrait égaler. Comment avait-elle pu passer à côté de cette connexion évidente ? Darth Noctis…pensa-t-elle en se remémorant le débat au sommet qu’elle avait suivi avec une assiduité presque maladive. Son sourire s’élargit alors qu’elle s’inclinait avec grâce pour répondre à ses hommages.


    -L’honneur est partagé. La découverte eut de quoi ravir ma curiosité scientifique ainsi que l’intérêt de mes collègues cadéziens. La professeure Thorn et les équipes de l’Institut ont été d’une efficacité et d’une hospitalité sans commune mesure.


    En invitée parfaite, elle ignora avec superbe et aisance le « Seigneur. » qu’employa le majordome envers Absalom. Feindre la normalité en toutes circonstances, même les plus embarrassantes, paraissait être une attitude louable bien qu’hypocrite et elle déplora cet aspect-là de la stratégie.
    Et le ballet des présentations se poursuivit jusqu’au père, qu’elle salua avec les mêmes égards que le reste de la famille. Le départ de Cala lui occasionna quelques craintes. La matriarche Thorn s’était érigée en mentor dans cette soirée hapienne et l’idée d’être livrée à elle-même dans un océan inconnu provoqua une légère angoisse que la voix du Sith se chargea de chasser.


    -Je ne vous crains pas, répondit-elle avec sa douceur habituelle. Et je considère la médisance comme un fléau chronophage et contre-productif. Que gagnent les personnes qui arrosent le ciel, si ce n’est de la pluie et les pieds dans la boue ensuite ?


    Elle prit le temps de replacer une de ses mèches ondulées, marquant un temps nécessaire à la réflexion. Ses prunelles avisaient avec attention le reste des convives, la soirée en général. Ce qu’elle craignait, c’était ce petit comité qui s’adonnait à une valse dont elle ignorait encore les pas.


    -Pour être honnête.


    Mondanités ou non, elle n’escomptait de toute manière pas mentir. Une qualité que beaucoup de ses pairs estimaient rédhibitoire en politique.


    -Je ne pensais guère avoir l’opportunité de vous rencontrer ici. La décence politique m’interdit de le dire, mais votre intervention lors du sommet m’a enseigné davantage que deux années passées aux côtés de la Sénatrice de Cadezia.


    Elle avait volontairement évincé tout vocable qui aurait pu rappeler les allégeances premières d’Absalom. En tant que républicaine, elle ne pouvait convenablement pas reconnaître qu’un émissaire impérial avait brillé face aux représentants de la République. En surface, elle venait simplement de lui adresser un compliment sur ses compétences à gérer des problèmes diplomatiques aussi épineux. Ce qui était tout à fait correct.


    Bien qu’ils gardaient une distance sociale très convenable, elle ne put s’empêcher de déceler des œillades curieuses vers le duo qu’ils formaient. Des coups d’œil aussi subtils que les messes basses pouvaient être prononcées. Elle accepta volontiers un verre de jus qu’on lui présenta sur un plateau impeccable. Une courte gorgée, précieusement portée à ses lèvres, lui permit de reprendre contenance.


    Quant à la réputation sulfureuse lui prêtant le sinistre sobriquet de « Boucher de Kanos IV », elle se référa à la stratégie gagnante du statu quo - saupoudrée d’un peu naïveté qui menait au déni. Elle partait du simple postulat que la caricature ne représentait jamais un état de fait réel.


    -Votre mère, la professeure Thorn, est une scientifique admirable, souleva-t-elle afin de dévier la conversation vers un sujet qu’elle jugeait moins ennuyeux pour lui. Quelles sont vos domaines de compétences en matière de sciences…

    Elle marqua une hésitation voulue. Plusieurs choix s’offraient à elle sur la conclusion d’un titre. Elle opta finalement pour celui qu’on lui avait présenté :

    -Docteur Thorn ?


    Ses tentatives de ne pas le dévisager étaient louables, mais vaines. C’était la première fois qu’elle était confrontée de si près à un Seigneur sith et les conditions d’une telle rencontre s’avéraient pour le moins inédites. Une curiosité coupable la poussait à le détailler pour s’imprégner de cette première expérience in visu qu’elle avait de l’Empire. Toutefois, s’ils s’appliquaient à traiter exclusivement de sciences, le clivage entre deux factions pourrait être dépassé. Et loin de l’absurdité des clichés, elle ne percevait ni méchanceté, ni danger provenant d’Absalom. Il n’était pas bien différent des riches héritiers qu’elle avait l’habitude de côtoyer, si ce n’était un physique bien au-delà de la norme esthétique et une aura admirable qui émergeait considérablement du lot.


    Véragan Publius l’aurait adoré – si l’on mettait de côté les revendications pacifistes du fils Thorn. Evadné ne doutait point que le dirigeant de Cadezia aurait souhaité bénéficier d'une descendance de la trempe d’Absalom. Un mâle à l’image parfaite et aux convictions endurcies. Le hasard de la conception naturelle lui avait offert une fille et il le déplorait. Au regard de cette réflexion la toute blonde eut un pincement au cœur et arriva à détourner ses yeux du hapien.
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Absalom Thorn
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Absalom esquissa un sourire quand son interlocutrice avoua à demi-mots sa surprise de le trouver dans un endroit aussi paisible.

Hé oui, que voulez-vous, certains soirs, j’abandonne ma cape sombre et ma tour inquiétante pour venir me mêler au beau monde, plutôt de ricaner d’inquiétante façon au-dessus de mon chaudron bouillonnant.

De seconde en seconde, les regard que l’on posait sur eux devenaient de plus en plus insistants, et l’Hapien n’ignorait nullement le sujet qui commençait à alimenter les conversations. La bonne société de sa planète était constamment préoccupée de généalogie et de descendance. Sans rien ne changeait, la lignée Thorn mourrait avec lui, et quoique Darth Noctis recherchât avec ardeur la jeunesse éternelle, les invités de ses parents s’intéressaient plutôt à son éventuel descendance.

Cala Thorn prévoyait-il de marier son fils avec cette étrangère, la fille d’un politicien d’une planète arriérée — pour les Hapiens, toutes les planètes étaient des planètes arriérées —, afin d’étendre son influence vers d’autres secteurs de la Galaxie ? Certains jugeaient la chose évidemment grotesque, de meilleurs partis existants sur leur propre monde, à la rigueur ailleurs au sein du Consortium, d’autres au contraire se demandaient s’ils devaient en tirer des conclusions préoccupantes et si l’instabilité du trône aurait dû les pousser, eux aussi, à diversifier leurs intérêts.

Le Sénat n’est pas nécessairement l’endroit le plus instructif en matière de politique et de diplomatie, à moins d’être dans les bonnes commissions, mais c’est là où l’on noue d’utiles relations. Je ne vous apprends rien, au demeurant, vous aurez su voir que les séances publiques étaient infiniment moins utiles et moins constructives que les dîners aux portes closes. Pour ma part, pour être honnête, j’ai toujours préféré le grand air des bordures aux parfums artificiels des beaux salons.

S’il se tirait sans peine des mondanités, sa carrière prouvait au demeurant qu’Absalom avait d’abord l’âme d’un aventurier : Padawan et Chevalier, il avait sillonné la Bordure républicaine pour y assurer la paix comme Consulaire Jedi, recherchant avidement les savoirs ésotériques que ces contrées oubliées pouvaient receler, loin des archives policées du Temple, et au sein de l’Empire, il s’était tourné tout entier vers ces mondes ruraux à peine intégrés, qui n’offraient pas les mêmes satisfactions que les planètes industrielles et prospères sur lesquelles ses confrères jetaient plus volontiers leur dévolu.

Un serveur passa à nouveau près d’eux et, comme depuis qu’il avait pénétré dans le salon, Absalom s’abstint de toucher aux boissons ou aux canapés. Du coin de l’oeil, il sentit sur lui le regard d’une femme d’une quarantaine d’années, une exportatrice d’électronique qui faisait commerce avec l’Empire. Un instant, il laissa son regard errer jusqu’à elle. Elle inclina la tête, il fit de même et, sans rien dire, le rendez-vous d’affaire fut pris, dont les détails seraient remis à plus tard.

Je me rends compte que dans mon impolitesse, je ne vous ai pas montré le parc, qui est pourtant l’un des charmes de notre demeure. Ma mère, je le crains, ne me pardonnerait pas si je refusais à ma famille l’honneur de vous le montrer.

Et, d’un geste, il invita Évadné à le suivre sur la terrasse, par laquelle on accédait par de larges portes fenêtres et où quatre ou cinq invités profitaient du jour perpétuel d’Hapès. La fontaine qui ornait la terrasse était sobre, non figurative : un vaste bassin circulaire, une sculpture moderne, de l’eau qui tombait souplement pour faire frémir l’onde. Plus loin, le parc lui-même offrait un paysage tout en arbres et en buissons, avec quelques rares fleurs sauvages, et l’on y entretenait soigneusement l’illusion mélancolique d’une nature livrée à elle-même.

Aucune, répondit-il négligemment, quand la jeune fille l’interrogea sur ses talents scientifiques. Et je vous en prie, appelez-moi Absalom.

Un vent très léger faisait frémir les arbres. Absalom leva les yeux vers le ciel. Depuis le sommet de la paix, il goûtait plus encore que jadis le plaisir simple de la nature, fût-elle si soigneusement contrôlée.

Ma mère est une sommité des sciences de la vie, mon père des humanités, disons que j’ai pris le juste milieu, avec l’économie. La macroéconomie des secteurs en développement, pour être précis.

C’était une étrange manière de présenter la chose : comme s’il avait été élevé par ses parents plutôt que par l’Ordre Jedi et comme s’il avait pris cette décision fort de ses acquis familiaux, plutôt que guidé par les opportunités identifiées lors de son apprentissage au sein de l’Ordre. Pour la plus grande partie de sa vie, il avait été un Jedi, plus longtemps encore qu’un Sith, mais il tendait souvent à présenter cette expérience comme un aspect périphérique.

Mais naturellement, la plupart de mes réflexions et de mes recherches se concentrent sur la Force. L’économie est un moyen, disons… de me rendre utile.

Et de se protéger. Quelle meilleure discipline pour nouer des relations avec celles et ceux qui exerçaient une influence considérable sur la Galaxie ?

En un sens, et je vous prie de bien vouloir excuser mon outrecuidance, mais nous nous ressemblons un, docteur Publius. J’imagine que la médecine est pour vous une vocation, une passion même, et que la politique est… un moyen, peut-être, de servir votre planète ? Et pour moi, la Force est ma passion et l’économie, un instrument que j’essaie d’employer pour le bien commun.

Ils s’étaient arrêtés au bord de la fontaine, désormais à plusieurs mètres de tout autre convive, et Absalom observait la forêt dont l’orée se dessinait à quelques centaines de mètres devant eux.

Si vous me permettez… Comment parvenez-vous à concilier ce qui doit être pour vous, malgré tout, comme deux existences séparées ? Celle des politiques publiques, d’un côté, et celle de la médecine, de l’autre. Vous devez avoir une énergie remarquable pour les poursuivre toutes les deux de front.
Evadné Publius
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    Comme elle s’y attendait, la plupart des œillades qui la ciblaient ne versait pas dans la bienveillance. Elle savait pertinemment que sa position à Hapès était fragilisée par son métissage et son éducation principalement humaine. Sa grand-mère le lui avait répété de trop nombreuses fois, lors de rares échanges. Elle serra discrètement le poing contre le tissu satiné de sa robe pour canaliser ce sentiment d’injustice naissant. Qu’ils le souhaitent ou non, une grande partie de son génome était hapien. La génétique ne mentait pas sur une partie de ses ascendances. C’était l’unique héritage qu’elle conservait de sa mère et elle comptait bien en défendre le moindre brin, la moindre hélice. Et c’était bel et bien parce qu’elle affichait le nom de son paternel que ces regards se faisaient délétères et méprisants. A son matronyme, ils n’auraient sans doute pas usé d’un jugement si sévère.


    Aussi, elle suivit Absalom avec plaisir – trop heureuse d’échapper à cette tension de fond sur sa présence aux côtés de l’héritier des Thorn. L’air frais la réconcilierait avec des pensées plus détendues. En grande amatrice de botanique, elle apprécia particulièrement être introduite dans la nature agréable du domaine. Du coin de l’œil, elle reconnaissait certaines plantes – exerçant mémoires et connaissances. Souriant quand un nom lui revenait, abordant une moue déçue lorsqu’un autre lui échappait. Et enfin, c’était le plaisir de découvrir de nouvelles herbacées propres à la faune hapienne : leur esthétique, leur senteur…


    Elle observa scrupuleusement la manière dont l’architecte du parc et ses paysagistes avaient soigné l’illusion d’une nature indomptée. Faire pousser des plantes et les entretenir dans l’environnement contrôlé d’une serre était une chose. En revanche, veilleur à leur développement en plein air selon un cahier des charges contraignant était une autre paire de manches. Rien n’était plus difficile que singer le monde sauvage. Elle salua donc la compétence des personnes chargées du parc. Visiblement, la famille Thorn aimait s’entourer de gens qualifiés.


    Et Evadné rejoignait son interlocuteur sur un point : l’appel de l’aventure était semblable au chant des sirènes. Pour y avoir succombé quelques mois auparavant ; elle en était déjà nostalgique. Le Sith n’en paraissait que plus admirable. Elle aurait aimé le presser de questions sur son parcours, ses expériences passées aux Bordures…ce qu’il avait pu en tirer comme enseignement ou comme regrets. Elle se rendit compte que la politesse ne tolérait pas ce genre d’empressement dans l’immédiat. Elle baissa les yeux vers le sol. Elle aurait bien trop peur de passer pour une fillette que l’inexpérience étouffait.


    -La Force…répéta-t-elle dans un sourire contrit.


    A quoi s’attendait-elle d’autre de la part d’un ancien Jedi et de surcroît désormais seigneur sith. Une nouvelle gorgée de son jus l’aida à faire passer la pilule du sujet qui fâche. Ce n’est qu’une forme d’injustice pour ceux qui la subissent, pensa-t-elle avec amertume.


    Le bruit de l’eau paisible qui alimentait la fontaine fut agréable et elle trouva le moment fort étrange. A la lumière du discours d’Absalom, il était pertinent de justifier une comparaison entre elle et lui. Nonobstant leur blondeur, la clarté de leurs yeux, la beauté hapienne de leurs traits…il y avait ce choix d’une vie duale. Cette satisfaction voulue ou subie de danser d’un pied sur l’autre, de brandir un intérêt et de le protéger derrière un bouclier, peut-être.


    La dernière question la prit au dépourvu parce qu’on ne s’était jamais soucié de comprendre comment elle fonctionnait entre ces deux existences. Personne n’avait pris la peine, même polie, de s’intéresser aux sacrifices probables que cela devait impliquer.


    -J’ai sacrifié ma vie sociale, offrit-elle comme début de réponse. J’ai dû me couper de tout et assumer de puiser dans mes réserves physiques et mentales. Ce ne fut pas toujours une réussite. Et quand je vois ce que la politique peut faire de la santé publique, l’ingérence improbable des calculs de certains ministres dans la manière de prévenir, soigner et sauver des vies…je me dis qu’il n’est pas tout à fait inutile qu’un médecin puisse monter à l’assaut des murailles du Sénat. La santé – et en outre la médecine, est un vaste domaine dont les nervures affectent toutes les couches vivantes de la Galaxie. Mais pas seulement vivantes. D’ailleurs ne parle-t-on pas de santé dans tous les domaines ? Santé de l’économie, santé des finances, etc. C’est une déformation de langage qui porte tout son sens.


    Elle prit une inspiration discrète. Sans être particulièrement sûre que sa réponse soit pertinente. Admirant le liquide pourpre dans son verre, elle réfléchit aux nombres de fois où elle avait frôlé le burn-out, à ses pleurs d’adolescente qui ne voyait dans ses ambitions qu’une montagne infranchissable. Dire qu’elle avait à peine débuter l’ascension et était loin d’être la première de cordée.


    -Mon père m’a poussé sur la scène politique. Je vois dans la politique un simple devoir familial.


    Pas si simple, rectifia-t-elle en silence. Elle ne saurait s’en débarrasser comme d’une banale corvée de courses. La pression paternelle était encore trop forte et ses propres peurs trop grandes. Sa figure dévia vers les portes fenêtres et l’intérieur bouillant de mondanités. La musique diffusée à un volume qui ne dérangeait pas les échanges mais voilait opportunément les messes basses. Sa déception lui revint. Face à elle, l’immensité tentatrice de la forêt du domaine. Elle aurait aimé se débarrasser de ses bottines élégantes et se presser au cœur de la verdure inerte et indifférente. Cependant, ce souhait demeurerait à jamais une pensée éphémère et impraticable.


    -Je ne voudrais pas vous paraître cavalière, Docteur Thorn et…


    Il était impensable qu’elle réussisse à l’appeler par son prénom dans un contexte aussi officiel.


    - Loin de moi l’idée de vous prêter des pensées offensantes, mais…méprisez-vous mon métissage ? Ne parais-je pas assez hapienne pour voir ma chair dévorée par les regards suffisants de certains convives ?


    C’était là qu’il pouvait toucher aux limites de la jeune politicienne. Si elle avait préservé un timbre de voix doucereux et sans animosité, l’expression trop de sincère de ses émotions la comparait à un diamant brut. Il était encore si évident de déceler sa fragilité et de lire en elle. Elle avait conscience de cette faille, mais polir un diamant demandait de la patience – surtout quand il s’avérait être sa propre personnalité. Elle regretta immédiatement sa question. Ses lèvres recherchèrent fébrilement une nouvelle gorgée de son jus, mais elle découvrit que son verre était vide. Tant pis. Elle n’aurait jamais dû venir. Mais tant pis. Ce qui était fait ne pouvait être défait.
    Quand on avait sauté du bord de la falaise, on ne pouvait espérer retourner à son sommet. Il fallait juste envisager la chute rude sur le plancher des banthas et être prête à entendre le bruit de ses os se fracassant. L’image était un brin exagérée, mais elle la trouvait parfaite.
Absalom Thorn
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Ah, mais docteur, je suis pas sûr que vous saisissiez précisément la raison pour laquelle ils vous regardent avec autant d’hostilité. Venez, je vous fais visiter le parc.

De toute évidence, il ne se sentait pas contraint d’honorer de sa présence la réception de sa mère, mais c’était précisément parce que celle-ci lui avait donné pour mission de s’occuper d’Évadné Publius. C’était un contrat passé entre Cala Thorn et lui — Absalom l’accomplissait en suivant les voies qui s’ouvraient spontanément. Du reste, cette jeune femme était plus exotique, plus intéressante, plus distrayante que les conversations mille fois entendues de ses congénères.

Vous voyez, s’ils vous jugeaient simplement impurs, ils ne vous regarderaient pas, poursuivit le Sith en descendant les quelques marches de pierre qui conduisaient aux allées presque invisibles du parc, comme ceux qui ont de l’argent dans les poches ne regardent pas les nécessiteux qui mendient dans la rue. Leur hostilité ne naît pas du mépris, mais d’une crainte calculatrice. Votre hostilité naît de la pureté de votre beauté, docteur, de la carrière politique qui s’ouvre à vous, de l’invitation que vous avez reçue à vous trouver ici ce soir, manifestement pour les qualités de votre personne, tandis qu’eux ne pensent devoir la leur qu’aux nécessités de leur classe sociale.

Au loin, à l’orée de la forêt, la silhouette d’un quadrupède se dessina quelques secondes, avant qu’en entendant les sons de la soirée, la créature ne frémisse et ne bondisse à nouveau sous le couvert des bois.

Tout cela, en soi, n’aurait peut-être pas suffi à vous attirer autre chose que du mépris, mais en vous voyant converser avec moi, ils ont été contraints d’imaginer que vous pourriez avoir été conviée à la soirée pour m’être présenté et que de cette présentation puisse naître une union. Or, cette union, certaines des femmes ici auraient pu la désirer pour elles-mêmes, ou pour leurs sœurs, ou pour leurs filles. Vous voyez, s’ils vous sont hostiles, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas assez Hapienne, mais parce que vous l’êtes beaucoup trop pour ne pas leur faire concurrence.

Noctis emprunta un chemin de traverse, entre des buissons de ronces savamment séparés pour ne pas entraver la marche tranquille des promeneurs, et dont les fleurs blanches comme le lait s’épanouissaient sous le soleil sans repos d’Hapès.

Naturellement, les intentions de ma mère étaient sensiblement différentes. Elle apprécie les jeunes scientifiques prometteuses, tout simplement, particulièrement quand elles sont proches de son domaine, et elle aime savoir comment les autres planètes envisagent leurs recherches. Une curiosité épistémologique, disons. Mais le réflexe des Hapiens de bonne société est d’abord de penser aux familles, aux descendances, à la subtile tactique de la généalogie. C’est une ironie féroce de notre société que d’être si puissamment matriarcale et, en même temps, de réduire si spontanément, en bien des circonstances, les femmes à leur fonction procréatrice.

Ce n’était pas son genre.
(Principalement parce qu’il préférerait éviter de procréer avec une femme, certes.)

Quant à mes propres pensées, docteur, elles sont, pour vous, loin d’être offensantes, je puis vous l’assurer. Vous êtes pour moi l’occasion salvatrice de suivre la monotonie de ces réceptions, dont je comprends certes la nécessité sociale pour mes parents, mais qui me sont une obligation, bien plutôt qu’un plaisir. Songez du reste, si vous doutez encore, que je suis né ici, mais que j’ai grandi sur Ondéron, au Temple, que j’ai été formé par mon Maître dans les mondes de la Bordure et que j’ai fini mon éducation à l’université de Coruscant : mon expérience de la vie et de sa diversité est singulièrement différente de celle des autres Hapiens, qui ne connaissent jamais par eux-mêmes cet extérieur qu’à l’aune de l’exotisme touristique.

En marchant, ils étaient en train de longer le manoir, pour revenir du côté du lac, en contournant l’aile ouest du bâtiment, et la terrasse, avec sa fontaine, comme les portes-fenêtres, avaient déjà disparues derrière l’architecture de pierre. Les invités étaient tous arrivés, aucun speeder ne surgissait plus au loin et ils étaient comme seuls dans le domaine, sauf la rumeur désormais confuse de la musique classique hapienne qui se faisait encore entendre.

Ne vous souciez pas de ce que pensent les autres. Vous avez fait forte impression sur ma mère, et c’est le seul avis qui compte ; vous faites forte impression sur moi, quoique mon avis ne compte pour rien.

Il lui adressa un sourire tranquille.
Lumineux.
(On peut être génocidaire et chaleureux !)

Vous savez, poursuivit-il en tournant un regard mélancolique vers le lac qui brillait sous la lumière du jour, le sacrifice d’une vie personnelle semble parfois une nécessité, et trop souvent ceux qui nous élèvent nous l’imposent de l’extérieur. Et puis l’on se rend compte, plus tard, que sans vie à soi, on s’assèche petit à petit, que non seulement il nous manque le repos, mais aussi nos expériences propres. La maturité existentielle ne s’acquiert pas dans l’héroïsme des arènes, qu’elles soient celles de la guerre ou de la politique, mais dans l’infinité des petites choses du quotidien.

Quel âge pouvait-il avoir réellement, pour s’être formé ainsi son avis sur les nécessités de l’existence ? Son regard trahissait plus de sagesse que ne le suggéraient la jeunesse de ses traits, et peut-être plus qu’il n’en avait réellement.

C’est l’une des innombrables raisons pour lesquelles j’ai quitté l’Ordre Jedi, à vrai dire. Ce sectarisme dangereux qui nous poussait à nous couper du monde. Qui nous refusait les réalités de l’existence. Qui nous désincarnait, petit à petit, comme si l’on pouvait vraiment se préoccuper des autres, les comprendre et les aider, sans partager leur vie, leurs craintes et leurs aspirations. Personnellement, je trouvais que c’était un carcan insupportable et intellectuellement, une idéologie délétère.

Ses yeux quittèrent un instant le lac pour sonder le profil d’Évadné. Absalom avait très tôt compris que pour exercer une emprise sur les autres, il fallait savoir donner de soi-même, et avec le plus de sincérité possible, de la même manière qu’une attaque efficace, au combat, exigeait de s’exposer et de se rendre plus vulnérable. Les auras de mystère n’étaient bonnes que pour les négoces superficiels : les vraies entreprises de l’âme exigeaient un tribu personnel.

Mais j’imagine que je ne devrais pas parler aussi rudement de l’Ordre Jedi face à une parlementaire républicaine. Je vous prie de m’excuser, mon dessein n’était pas de vous mettre mal à l’aise, ni de vous entraîner sur le terrain de la controverse.
Evadné Publius
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    Ses lèves s’étaient entrouvertes un peu plus à chaque mot de la réponse du Sith. Prenant conscience de ressembler à un poisson hors de l’eau, elle se dépêcha de les clore, digérant la bienveillance pédagogique qu’il avait bien voulu lui offrir. C’était la première fois qu’une personnalité de la trempe d’Absalom prenait le temps de lui rappeler un défaut d’analyse avec autant de patience. Les souvenirs de ses stages au Sénat où personne n’avait le temps de lui apprendre, de lui expliquer mais où personne ne ratait une minute pour lui rappeler son amateurisme ressurgirent amèrement. Et à cela se rajoutait, les caractères rêches et froids de politiciens comme Camina Ashford ou Angelina Treven’s (élue pire vieille peau de la Galaxie)


    Son regard s’était posé sur la végétation qu’elle avait désormais le loisir d’observer de plus près, voire d’effleurer. Il lui aurait suffi de tendre le bout de ses doigts pâles. Cependant, elle n’avait plus la tête à potasser ses connaissances en botanique. Au blush de ses pommettes s’était subsisté la teinte de l’embarras. Une union ? Un moyen comme un autre de cultiver son capital social chez les familles des hautes-sociétés galactiques, mais elle était à des lieues d’imaginer qu’on aurait pu lui prêter ce genre d’ambition.


    Son soulagement fut interrompu par la silhouette fugace du quadrupède qui fuyait leur approche. Elle ne savait trop si Absalom faisait preuve de sincérité dans l’éloge qu’il dressait d’elle ou si ce n’était là que la politesse superficielle qui régissait les rapports sociaux de leur classe. Cela avait-il une importance ? Au creux des traits parfaits de l’hapien commençaient à se dessiner les contours d’un allié (à tout le monde, d’une personne non-hostile) et c’était tout ce qui importait.


    -Sauf votre respect, Docteur Thorn, votre avis compte. Je suis plutôt flattée de pouvoir partager avec les scientifiques hapiens une collaboration dont tout le monde pourrait sortir grandi. En particulier le jeune médecin que je suis.


    Il était établi que la délégation cadézienne avait plus à prendre qu’à donner, mais elle donnerait volontiers. Après tout, les conférences et colloques au travers de la Galaxie permettaient également des avancées – moins rapides à cause du protocole, des débats, des échanges. Bien qu’il existait une branche de recherche et développement sur Cadezia moins prompte à s’encombrer d’éthique et de diplomatie pour tenter des percées dans les mystères de la science.


    Le lac lui fit aussi forte impression que le sourire lumineux du Seigneur. Non vraiment, elle ne percevait aucune raison de se méfier de lui, bien au contraire. Le charisme qu’il dégageait forçait plutôt l’admiration, elle devait l’admettre. Il semblait gagner en ascendance sur elle. En tous les cas, elle se sentait bien plus détendue en sa présence qu’au milieu des requins hapiens.


    -Vous n’avez pas tort, débuta-t-elle.


    N’avait-il pas tort concernant le fait qu’il était déplace de parler devant elle de l’Ordre Jedi en des termes si durs ? Après une courte seconde à explorer du regard la surface calme du lac, elle reprit.


    -Je n’irai pas aussi loin que vous, ce que vous pourrez aisément comprendre. Mais l’Ordre Jedi demeure une institution assez opaque, avec ses codifications ésotériques propres. Bien que leurs missions soient louables et salutaires à la République. Cette dernière devrait apprendre à se passer d’eux pour des raisons qui me paraissent évidentes.


    Elle ne développa pas davantage parce que la prudence lui recommandait toutefois d’éviter d’apporter de l’eau au moulin d’un impérial. Plus important encore, il avait entrouvert une porte sur un vécu qui avait nourri la curiosité d’Evadné. Et elle déplorait que ces années passées au Temple lui aient laissé un goût si âpre en mémoire, mais entendait son argumentaire.


    -Là où vous avez jugé le carcan insupportable, d’autres le supportent et le maintiennent. Il est vrai que tout reste une question de point de vue et de vécu. Mais chacun devrait être libre de choisir et je suis heureuse que vous ayez eu l’opportunité d’appliquer votre libre-arbitre afin de quitter une communauté qui ne vous seyait plus. Après tout, je suis intimement convaincue que la « Force » ne s’encombre pas de codes, ni d’idéologie spirituelle. Mais c’est là un sujet qui, vous m’excuserez, échappe totalement à mon domaine d’expertise. Je ne voudrais guère passer pour une vaniteuse.


    Une brise légère fit frémir les pétales des fleurs qui composaient l’accessoire de sa coiffe. Elle détailla avec nostalgie les reflets scintillant du soleil invaincu d’Hapès sur l’eau. De nouveau, elle prit une profonde inspiration, se délectant du parfum de la nature.


    -Hapès possède beaucoup de qualités. La perpétuité de ses jours, l’architecture merveilleuse de ses cités, la liberté dont dispose les femmes.


    Son regard ne se lassait pas de ce paysage ravissant.


    -Et aucun Jedi à l’horizon, conclut-elle avec un message subliminal en demi-teinte.La stratégie d’Absalom semblait avoir fonctionné. Evadné s’était ouvert à ce sujet davantage que la décence n’aurait su le tolérer. Si les républicains l’entendaient, certains trouveraient cela aussi scandaleux que si elle avait décidé de paraître entièrement nue à la Rotonde.


    Puis, elle ajusta avec élégance un pli de sa robe bleutée.


    -J’ai pris le parti de réussir ce défi de concilier deux vies professionnelles. Nous nous entendons sur un point : j’aurais aimé goûter davantage aux petites choses de la vie, trouver des satisfactions dans des plaisirs simples. Une partie de ma jeunesse s’en est déjà allée. Aussi, je me dis qu’il est sans doute trop tard pour envisager d’inverser la vapeur. En fait, je présume que mon premier adversaire est moi-même. Ici, les décisions paraissent si simples lorsqu’on est une femme. A Cadezia règne encore un patriarcat moribond et les grandes familles comptent sur la primogéniture mâle pour asseoir leur continuité.



    Autant dire que son père ne comptait pas l’unir au premier venu. L’héritage selon les lois cadéziennes avantageaient l’homme qu’il fût le fils ou le beau-fils.


    -Me détourner du chemin que m’a tracé mon père serait souffler les dernières lueurs de vie du clan Publius.


    Et peut-être succomberait-elle peut-être un jour à l’idée de faire table-rase de l’héritage paternel. Mais elle n’en était pas encore à envisager cet extrême. Elle pouvait encore tenir deux fronts et espérer les concilier.


    -Et puis, je tiens à la République.


    Ah, enfin. On aurait pu douter.


    -Mais…si on me posait la question sur ce qu’il faudrait changer au sein de cette dernière. Je répondrai : « tout ». Le tout n’étant pas une réforme ou deux, sur un temps de mandat. Mais un changement structurel dans la continuité. J’ai bien peur qu’en l’état, le système risque un jour d’être dépassé. Tout change et s’adapte dans cet univers sur des centaines d’années : la technologie, les sciences, les êtres biologiques et peut-être même la Force.. Alors pourquoi feindre que les décisions politiques actuelles ou le manque de décisions n'altérera pas les situations des années à venir. D’aucun dirait que je verse dans l’idéalisme, n’est-ce pas ? Je manque d’expérience, mais j’ai encore des instants de vie à sacrifier afin de palier à cela.
Absalom Thorn
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La vie est dangereuse sur Hapès lorsque l’on est une femme, expliqua Darth Noctis d’un ton tranquille. Le consortium n’est pas une société égalitaire et, comme vous le savez sans aucun doute, il n’est pas non plus une société pacifiée. La conquête du pouvoir y est un jeu infiniment plus féroce qu’en terres républicaines, et en un sens plus incertain qu’au sein de l’Empire lui-même, parce que celles qui ont le pouvoir ont des moyens plus limités pour le consolider.

Envisager d’assassiner une reine-mère était assurément une démarche audacieuse, mais sensiblement moins suicidaire que de prévoir le meurtre de n’importe quel Seigneur Sith, sans parler même de la conquête du trône impérial. Au sein de l’Empire, il fallait parvenir à se défaire des gardes, pour pouvoir affronter le danger plus grand encore dont ils protégeaient l’accès.

Toute société extrêmement genrée, peu importe son orientation, impose ses normes sur l’un et l’autre genre, et quand ces inégalités soient associées inextricablement à l’exercice de pouvoirs instables, alors le genre le plus favorisé est aussi celui qui est le plus exposé aux attaques les plus diverses, celui dont la vie personnelle est constamment contrainte par les perspectives d’avancement sociales et la nécessité d’assurer sa propre sécurité.

Si Cala Thorn elle-même se passait (apparemment… ?) de gardes lors de sa soirée, c’était uniquement parce qu’elle y avait invité un Seigneur Sith dont elle jugeait la fidélité à son endroit au-dessus de tout soupçon, une marque de confiance maternelle d’ailleurs peu courante au sein de son espèce.

Nombreux sont les mâles hapiens à se plaindre de la condition qui leur est faite, et ils n’ont probablement pas tout à fait tort, mais c’est ignorer le privilège qu’il y a parfois à laisser les autres indifférents, à vivre sa vie dans un anonymat relatif, particulièrement quand toute une galaxie de sociétés plus masculines s’offre aux plus ambitieux au-delà des frontières du Consortium.

Mais Absalom avait-il jamais fait l’expérience de ce qu’était l’indifférence des autres ? Se souvenait-il encore de ce que représentait un profond sentiment d’enfermement et d’impuissance ?

Tout cela n’est certes pas pour dire que les femmes de votre planète devraient trouver des motifs de consolation dans la situation qui leur est faite. L’oppression d’une société patriarcale est toujours une attitude regrettable, et contre-productive, qui doit être déconstruite dès qu’il est possible.

Remarque sincère au demeurant : Absalom était viscéralement opposé à tout ce qui était susceptible de brider l’émergence de talents brillants. En élitiste forcené, il considérait que le rôle d’une société était d’offrir toutes les conditions pour que les génies et les virtuoses émergent, peu importe leurs conditions de départ. Et puis, en homosexuel affiché, qui avait été contraint d’évoluer dans bien des milieux conservateurs, martiaux ou autoritaires, il n’était pas le plus mal placé pour mesurer les ravages du patriarcat.

Qui de mieux placé qu’une jeune femme comme vous pour le faire ? Pas seule, certes, nulle n’est tenue à des tâches surhumaines. J’ai bien conscience, croyez-moi, qu’aujourd’hui, le chemin qu’on vous a tracé puisse vous paraître le seul à suivre, mais l’influence de ceux qui nous éduquent n’est pas éternelle, et vous êtes libre désormais de sillonner la Galaxie, pour y nouer les relations et y acquérir les savoirs que vous donneront le pouvoir de changer votre destin.

Le Sith eut un rire léger et chaleureux.
(En voilà un qui ne faisait décidément aucun effort pour entretenir sa réputation de Seigneur maléfique.)

Navré, je vous parle comme un holofilm plein de sagesse populaire, mais que voulez-vous, parfois les bons sentiments sont fondés sur des intuitions solides et des vérités simples et indépassables. Mais tout cela vous paraîtrait sans aucun doute moins insurmontable vous le considériez petit à petit, morceau par morceau si j’ose dire. Vous voulez tout réformer, très bien : le tout commence par ses parties. Quelle mesure, pour votre planète, vous paraît essentielle ? Immédiatement essentielle. Difficile à conquérir, admettons, mais peut-être pas absolument hors de portée.

Cette fois-ci, le regard du Sith se détacha de la nature qui les entourait pour se plonger dans celui de la jeune politicienne. Il était proche d’elle, sans doute plus que la stricte convenance hapienne ne l’autorisait, sans se montrer étouffant. D’un ton un peu plus bas, il dit encore :

N’ayez pas peur de vos ambitions. Ne vous sentez pas ridicule, ou vaniteuse, ou impuissante. Choisissez la mesure qui vous vient spontanément, sans fausse pudeur. Ayez toute l’audace que la situation de votre peuple exige.
Evadné Publius
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    Le regard qu’il portait sur la société hapienne était cruel mais véridique. Son père lui avait souvent répété qu’il n’avait fait que la préserver en la coupant de toute culture hapienne : la préserver du venin des vipères, entre autres. Elle n’ignorait pas la situation politique instable dans laquelle se trouvait le Consortium. La longue tradition d’assassinat et de coup d’Etat à Hapès ne trouvait effectivement sa source qu’à un problème structurel. L’établissement d’un matriarcat conséquent d’une histoire de violence. Les schémas étaient faits pour se répéter. Si sa mère n’avait eu qu’un seul époux, sa grand-mère pouvait se vanter d’avoir eu des compagnons divers et variés. Elle n’avait pourtant enfanté qu’avec un seul d’entre eux : le plus acceptable en termes de beauté, de force et d’intelligence. Celui qui avait mérité ses faveurs autant que ses grâces. Evadné eut un frisson désagréable, ne sachant si son origine était cette légère brise persistante ou les paroles pertinentes d’Absalom.


    Et quand elle croisa les prunelles du sith, elle tenta de les sonder. On disait des yeux qu’ils étaient le miroir de l’âme, mais la toute blonde avait un autre avis sur ce lieu-commun. Tant que les masques ne tombaient pas, tout le monde avait les mêmes yeux. Bien qu’elle serait de mauvaise foi à nier la singulière beauté du regard d’Absalom. Elle ne se rendit pas compte de leur proximité jusqu’à ce que la voix basse de son interlocuteur lui parvienne.


    Elle se sentit tendue face à la question. Parce qu’elle n’y avait jamais vraiment réfléchi ou parce qu’elle avait l’impression – à tort, que sa réponse déterminerait l’avenir de Cadezia. Elle demeura silencieuse un moment, conservant son port altier et ses pupilles dardées dans celles de l’hapien. Les battements de son propre cœur bourdonnaient désagréablement à ses tempes. Elle finit par céder et son regard azuré se fit fuyant :


    -Le problème avec Cadezia..


    Elle battit des cils, l’air pensive.


    -Le problème, répéta-t-elle parce que sa première tentative fut prononcée si bas qu’elle en était inaudible, c’est que l’on s’y bat pour savoir qui aura le plus gros morceau de viande après la chasse et l'accès prioritaire à l'étendue d'eau. Pour le droit de se reproduire. De décider en quels dieux nous devons croire, et qui aura le plus de crédits. Ceux qui sont en bas tentent d’atteindre ceux qui sont en haut, dans des actes délirants qu’ils n’auraient jamais faits s’ils avaient bien réfléchi avant d’agir. Et ceux d’en haut se complaisent dans un sentiment d'invulnérabilité, d'immortalité. Ils ont cette conviction inébranlable que pour eux les choses seraient différentes. Que les lois de la physique les épargneraient, que les tirs de blaster ne les frapperaient jamais et que l'air ne s'échapperait jamais en sifflant pour ne laisser que le néant.


    Ce n’était qu’une image. Si en comparaison de Hapès, Cadezia connaissait un retard certain, la population n’en était pas à se promener en peau de bête et à pratiquer des razzias avec assiduité, non. Mais ce n’en était que plus déplorable. Imaginer qu’une planète du niveau de technologie et d’industrialisation comme Cadezia puisse souffrir de problématiques aussi triviales.


    Ses pensées furent accaparées par l’image de Camina Ashford et les autres représentants de la masse cadézienne. De cette force de travail qui souhaitait que les fruits de son labeur lui reviennent en premier. La plupart des scientifiques de la délégation cadézienne en étaient issus d’ailleurs. Rares étaient les profils innovateurs qui provenaient de la couche sociale supérieure. Cette dernière cultivait son goût pour la politique et la coercition mais n’entendait strictement rien aux génies dont les travaux avaient soutenu à bout de bras l’économie de Cadezia.


    Pourtant, les derniers mots d’Absalom étaient tentateurs. Elle était la seule à avoir érigé des barrières et s’être confinée entre. Les barrières de la pudeur, de l’incertitude, de la fragilité…autant de murs qui l’empêchaient d’explorer des possibilités aussi vastes qu’elle n’en distinguerait pas l’horizon. Personne ne l’avait jamais poussé aussi franchement sur cette voie.



    Un bruit de brisure dérangea la symphonie paisible de la nature environnante. La métisse venait de laisser échapper son verre. Il avait glissé de ses doigts trop fébriles. Extrêmement gênée par sa maladresse, elle s’agenouilla avec élégance aux pieds du sith, récoltant les bris coupants.


    -Oh, je suis tellement désolée, Docteur Thorn, je…quelle maladroite. J’espère que vous n’avez pas reçu d’éclat.


    Elle tressaillit quand un bout de verre lui entailla le doigt. Plusieurs gouttes vermeilles se pressèrent à la surface de sa peau coupée. Quelle malchance. Et à voir les morceaux de verre éparpillés au sol, reluisant comme des cristaux à la surface du sol, elle trouva une vague ressemblance avec l’état actuel de son âme.


    Si un peintre avait décidé d’immortaliser la scène et d’exposer son tableau ensuite, hors d’un contexte établi…les visiteurs curieux et férus d’art auraient pu apprécier un esthétisme émouvant. D'observer cette jeune fille à la beauté innocente aux pieds d’un homme au charisme sulfureux, noyés dans une nature sauvage et un jeu de lumière éternel. C’était romantique, non pas dans le sens idyllique du terme, mais dans cette expression entre la mélancolie et le cauchemar. Parce que l'oeuvre pourrait susciter chez l'amateur un sentiment de fond dérangeant. Peut-être était-ce cette flore qui prenait les trois quarts du tableau et semblait engloutir les sujets de l’artiste. Peut-être était-ce autre chose.

    Evadné se redressa en examinant sa petite plaie bénigne au saignement impressionnant.


    -Vraiment…je suis navrée, réitéra-t-elle. Ce doit être le long voyage. Le décalage avec ce jour permanent…


    Son minois portait les traces d’un embarras sincère. Ces justifications légères occultaient avec insuffisance l’influence qu’Absalom pouvait déjà avoir sur elle.




Absalom Thorn
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Je ne doute pas qu’une généticienne ait dans ses placards deux ou trois pansements.

La faiblesse soudaine d’Évadné réveillait les instincts protecteurs solidement ancrés d’Absalom. Sans la détermination dont la jeune femme avait fait preuve, sans la fougue qu’elle avait eue à parler de sa planète, et la détermination qu’elle mettait à s’engager pleinement dans des existences difficiles et parfois contradictoires, il eût sans aucun doute éprouvé de l’agacement devant sa maladresse. Mais puisqu’elle lui avait fait entrapercevoir sa valeur, la métisse avait été propulsée dans la catégorie des talents qu’une société inique bridait et qu’il était de son devoir, à lui, d’aider à fleurir. Sa maladresse en devenait touchante, sa confusion attendrissante.

Pour l’heure…

Le Sith tira le carré de tissu qui ornait la poche de sa veste et, faisant fi des règles austères de la bonne société hapienne, prit délicatement le poignet de la jeune politicienne entre ses doigts, pour couvrir attirer sa main à lui et couvrir soigneusement la coupure de son mouchoir.

Venez, regagnons le manoir.

Demi-tour, donc, pour laisser derrière eux le lac et remonter l’allée de gravier fin qui menait jusqu’au perron monumental emprunté moins d’une heure plus tôt par Évnadé, à son arrivée au domaine. Tous les invités étant arrivés, le majordome avait disparu de la circulation, pour se consacrer à l’intérieur à d’autres tâches, et le hall était désert quand ils parvinrent.

Sans jeter le moindre regard au salon où se poursuivaient les conversations interminables et sans surprises qui auraient pu être interrompues et reprises à n’importe quel moment, l’Hapien conduisit son invitée le long d’un couloir. Un petit guéridon supportait une sculpture abstraite qui évoquait sans la représenter tout à fait la structure d’un ADN hapien.

Voyons voir, murmura Absalom pour lui-même. Par ici, je suppose.

Il ouvrit une porte sur une petite salle de bain destinée aux invités : une vasque de roche sobre, dont la finesse constituait une prouesse de conception, dominait une pièce dépouillée dont le miroir, instrument central de toute existence hapienne, occupait un pan entier. Là, chaque invité pouvait se rassurer sur sa beauté et veiller à ce qu’aucun désordre dans son apparence, fût-il minime, ne vînt mettre en péril son statut au sein de la société.

Absalom suivit de l’index une arabesque dorée incrustée dans le mur, qui formait un dessin végétal. Il y eut un déclic, comme un soupir, et une partie du marbre mural coulissa pour révéler une armoire à pharmacie, soigneusement rangée et étiquetée, et destinée à parer aux nécessités ordinaires de l’existence.

Fort heureusement, commença le Sith en parcourant du regard les petites boîtes alignées les unes à côté des autres sur les étagères transparentes, votre condition n’excède pas mes maigres connaissances médicales et je devrais parvenir à m’en sortir.

Il adressa un sourire réconfortant à la Cadézienne. Jadis, il eût été capable de guérir une plaie aussi infime à travers la Force, mais il s’était avancé désormais beaucoup trop loin dans le Côté Obscur pour guérir qui que ce fût d’autres que lui-même.

Ah, voilà.

L’homme tira une petite boite sobrement intitulée « Pansements ».

Spécialité du Consortium, vous allez vous rendre compte qu’ils répondent à une préoccupation toute hapienne.

Sur cet argument marketing fort mystérieux, le médecin improvisé reprit à nouveau, avec la même douceur, le poignet d’Évadné, puis dénoua le carré de tissu et tira un petit pansement de la boîte, avant de l’appliquer avec soin sur le doigt coupé. Il y eut une sensation de chaleur presque charnelle, alors que le pansement fondait sur la peau de la jeune femme, pour couvrir la blessure, jusqu’à en devenir quasi invisible. Pour préserver, bien entendu, la beauté des mains.

Préoccupation toute hapienne.

Vous voilà saine et sauve, plaisanta-t-il, j’ose espérer que vous vanterez désormais mon héroïsme chevaleresque partout où vous irez.

La boîte fut promptement rangée et le carré de tissu abandonné dans la petite panière à linge de roseaux tressés posée près de la vasque. Au même moment, les pensées de Darth Noctis commencèrent à s’insinuer dans celles de sa mère et Cala Thorn put entendre dans son seul esprit la voix de son fils si secourable :

Mère, si vous cherchez des échantillons du sang de votre sujet d’étude, vous en trouverez sur un carré de tissu dans le panier à linge de la salle de bain des invités.

Il ne prit pas la peine de préciser qu’il n’avait pas violenté leur cobaye pour l’obtenir : Cala Thorn le connaissait assez pour ne pas douter de la douceur de ses méthodes.

Voulez-vous, madame, fit-il en plongeant une nouvelle fois son regard dans celui de la politicienne, que je vous raccompagne jusqu’à votre hôtel ? Je vis moi-même au centre-ville, nous pourrions achever notre conversation dans le speeder et, en médecin traitant que je vous suis devenu, je ne peux que vous recommander votre repos. Je suis sûr que nous pouvons trouver ma mère pour que vous puissiez vous excuser et je ne doute pas que vous aurez désormais encore souvent à l’avenir l’occasion d’échanger avec elle. Je crois même ne m’avancer guère en suggérant qu’elle recevrait avec plaisir une invitation à venir vous rendre votre visite, sur Cadézia.
Evadné Publius
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    Elle avait observé le carré de soie avec étonnement et s’était apprêté à minimiser la chose – qui au demeurant, n’était pas bien grave. L’attention porté à son doigt blessé l’embarrassait grandement mais elle se résolut à le suivre après des remerciements sincères quoiqu’un peu confus. Elle le laissa mener la danse et la guider à nouveau dans les entrailles majestueuses du manoir familial.


    Son ouïe capta de nouveau la musique raffinée et les éclats de voix des convives. Et sa vue fut rapidement accaparée par la sculpture qu’elle détailla avec curiosité. Son émerveillement pour l’art hapien connaissait décidément un début prometteur.


    Evadné rit timidement à la plaisanterie, réceptive à son humour.


    -Je risquerai sans doute une révocation pour trahison d’Etat si je vantais les mérites chevaleresques d’un Seigneur sith. L’injustice gagne encore…souffla-t-elle sur le même ton amusé avant de rougir. Prenant conscience d’être tombée dans le piège qu’elle souhaitait éviter : exprimer à voix haute les allégeances de l’hapien. Elle aurait aimé s’excuser mais se trouva assez pathétique comme ça. Inutile de s’enfoncer davantage.


    -Vous feriez un excellent médecin, le complimenta-t-elle dans un sourire fugace qui s’éteignit à la proposition.


    Elle n’était pas contre retrouvé le confort et la solitude de sa chambre d’hôte. Etrangement, elle avait l’impression d’avoir couru un marathon depuis son arrivée sur Hapès et la ligne d’arrivée lui semblait encore loin alors que quelques mètres seulement les séparaient. La faute au trouble qu’Absalom avait jeté dans les méandres de son esprit.


    -Si cela ne perturbe pas votre emploi du temps, ce serait avec plaisir que je ferai le trajet en votre compagnie, accepta-t-elle tout en inspectant son doigt intact. Les préoccupations hapiennes, se répéta-t-elle intérieurement, pensive. Ce genre de technologie médicale était aussi rare que coûteuse.


    Evadné réitéra ses excuses auprès de la très talentueuse généticienne et ne manqua pas de la remercier pour son hospitalité et sa bienveillance.


    -J’espère, Professeure Thorn que vous nous ferez l’honneur, un jour, de votre présence exceptionnelle sur Cadezia. Nous serions ravis, et encore une fois honorés, d’avoir votre expertise sur nos balbutiements en matière de génétique. La politique cadézienne se refuse à allouer des fonds pour la recherche en génétique. Un orgueil mal placé serait responsable de ce manque d’engouement. La génétique est un domaine que les cadéziens préfèrent laisser aux arkaniens. Mais j’ai grands espoirs que votre génie et votre prestance délieront les esprits étriqués de quelques décideurs sur Cadezia. Après tout, vos succès et vos talents ne peuvent que forcer l’admiration. Mais bien loin de moi l’idée de vous imposer cette invitation. Je reste à votre entière disposition.


    Elle adressa une révérence parfaite, si ce n’était ses mains toujours fébriles et légèrement tremblantes. Elle renoua volontiers avec l’air frais lorsqu’ils avaient remonté l’allée pour regagner le speeder du Seigneur sith. L’engin sombre impressionnant par ses lignes épurées mais élégantes. Elle effleura discrètement son poignet juste là où les doigts délicats d’Absalom avaient laissé leur empreinte. Un domestique l’aida à embarquer dans le véhicule et elle s’y installa avec grâce. Dès que son hôte la rejoignit, elle engagea de nouveau la discussion :


    -J’aurais aimé avoir l’opportunité de participer aux négociations de paix avec l’Empire, ne serait-ce qu’en contribuant aussi modestement qu’aider aux retranscriptions. Ou assister l’un ou l’autre des émissaires. C’était…(Elle rectifia doucement.) c’est encore un moment charnier. Une occasion de bâtir une collaboration ou aucune personnalité belliqueuse n’aurait les cartes en main pour relancer une vindicte. La guerre est un gâchis…elle sacrifie des générations entières qui pensent naïvement avoir le privilège de vivre des moments héroïques. Elles ne se doutent pas qu’elles ne s’en remettront jamais et qu’on leur vole simplement leur jeunesse.


    Ses mains douces décrochèrent la couronne de fleurs de sa chevelure magnifique et elle admira les fleurs d’inisia dont le parfum agréable imprégnait désormais l’intérieur du speeder.


    -Les domaines de coopération entre l’Empire et la République pourraient être tellement nombreux. La médecine pourrait en faire partie. Mais je présume qu’il se fait un peu tard pour vous embêtez avec mes états d’âme. Votre patience est déjà légendaire, Absalom.


    Elle cacha un petit sourire en déviant ses prunelles vers la vitre pour contempler l’horizon urbain qui se dessinait. Ses doigts continuaient de jouer avec les fleurs de son diadème végétal. Elle avait un léger sentiment de fierté à l’idée d’avoir réussi à l’appeler par son prénom. C’était ridicule, mais dans l’espace restreint et sécuritaire du speeder, loin des convives médisants, elle se sentait plus à l’aise, moins tendue.


    -Aussi, conclut-elle, si cela ne vous dérange pas. Vous pouvez m’appeler Evadné.


    Ce ciel bleu à jamais et son immensité. Elle tendit la main vers, prenant garde à ne pas toucher la vitre, subjuguée. Elle n’avait jamais aussi bien vu de toute sa courte existence. La lumière, sur Hapès, était étincelante et infaillible. Elle avait envie de faire une promesse à elle-même, prenant le soleil hapien pour témoin. Celle de ne plus se sentir vaniteuse, honteuse ou impuissante. C’était décidé, elle n’avait plus peur. Tout changement réclamait du temps. Elle offrit de nouveau son regard à Absalom.


Absalom Thorn
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Le speeder filait dans la campagne hapienne, à quelques centimètres au-dessus du sol, et déjà on devinait les silhouettes à l’architecture épurée de la capitale hapienne, sous les mille soleils étincelants au coeur du Consortium. Après les ciels nuageux pleins de tempêtes de Dromund Kaas, où il avait dû établir longtemps ses quartiers généraux pour consolider sa position au sein de l’Empire, Absalom avait l’impression de respirer à nouveau, presque de ressusciter.

Assis sur la banquette arrière, avec Évadné, alors qu’une jeune femme au visage fermé, qui l’avait salué du titre de Seigneur, pilotait l’engin, le Sith hocha lentement la tête. Le Sommet de la Paix avait été une opportunité hors du commun, et à son sens largement gâché, parce qu’elle avait bâti sur du sable une paix d’argile.

Le principal obstacle que nous rencontrons est que la guerre crée des héros, tandis que la paix ne crée que du labeur. Personne n’émerge glorieux d’une véritable négociation diplomatique, de la minutie fastidieuse des traités, des discussions interminables sur ce qui fait réellement le quotidien des gens, la pêche à tel endroit, les normes sanitaires de telle secteur, la dépollution spatiale là. Il faut des États solides pour signer des paix durables, parce que dans les États solides, la marche des affaires peut s’abstraire des ambitions personnelles démesurées.

C’était une attaque précise, mais très cryptique, contre un certain nombre d’acteurs de la mascarade d’Ossus, d’un côté et de l’autre. Absalom ne connaissait pas encore assez Évadné pour rendre sa pensée avec plus de détails. Son regard quitta un instant le paysage, pour se poser sur le profil de la jeune femme, comme s’il cherchait à percer au clair ses pensées, sans pour autant s’immiscer en elles grâce à ses pouvoirs.

Si je puis avoir la prétention de vous donner un conseil, Évadné…

Il avait prononcé son prénom avec une chaleur discrète, mais particulière, puis son regard s’était à nouveau détourné, alors que le speeder était engagé désormais dans les avenues dégagées où fleurissaient les arbres, témoignages bien domestiqués de cette puissante nature hapienne, qu’un jour perpétuel rendait si vigoureuse.

… il ne faut pas se laisser abuser par les ors de la République ni la pourpre impériale. Les grands sommets ont le prestige des rencontres hologéniques, ils nourrissent l’excitation médiatique, mais les paix véritables sont le fruit des consolidations locales. Vous connaissez sans doute la théorie qui veut que les grands ensembles territoriaux s’effondrent toujours par leurs marges et que ce sont les périphéries, si souvent ignorées, qui sont les indicateurs les plus sûrs de la santé d’un État. Ce sont des réalités que les politiciens, une fois transportés dans leur capitale, tendent à perdre de vue.

La berline ralentit, pour s’engager sous l’arche de l’hôtel.

Songez à une toile d’Araquia. Un État fédéral, étendu, complexe, comme le sont l’Empire ou la République, sont semblables à des toiles. Sans aucun doute, le centre de la toile est l’endroit où les fils sont les plus denses et les plus solides, l’endroit où se concentre les regards, où toutes la complexité et l’ingéniosité s’expriment le mien, où ceux qui gouvernent la toile peuvent se tenir pour la surveiller toute entière, mais la toile tient aux arbres par les fils espacés qui forment ses extrémités et quand quelques-uns de ces fils sont rompus, aussi merveilleux que soit le centre, c’est toute la toile qui s’effondre. Merci, Ébanaya.
Seigneur, murmura seulement la pilote du speeder, un inclinant la tête.

Absalom sortit de l’appareil, qu’il contourna promptement, pour ouvrir la porte d’Évadné. Ensemble, ils gagnèrent le turboélévateur qui conduisait à la réception, située au milieu du bâtiment, près de la plateforme d’accès des aérospeeders, un mode de transport que Darth Noctis évitait autant que possible : un aérospeeder saboté, c’était une chute de plusieurs mètres, peut-être mortelle, tandis qu’on se sauvait plus facilement des avaries d’un landspeeder.

Une musique indifférente rythmait l’ascension de la cabine.

Tout cela pour vous dire, et j’espère que vous me pardonnerez ce long détour, tout cela pour vous dire que vous pouvez faire beaucoup pour la diplomatie entre nos deux États, en vous penchant sur le sort des planètes périphériques, en traitant des problèmes locaux, puis en fédérant ses problèmes locaux, avec d’autres spécialistes, et petit à petit, au lieu de descendre du général au particulier, remonter du particulier au général. Songez que c’est presque toujours le sort de telle ou telle planète qui a fait basculer le cours de la guerre ces dernières années, tandis que les puissants s’obstinent à penser la paix en termes de vastes généralités. Le monde a besoin d’esprits nouveaux.

Les portes de la cabine, qui s’était stabilisée sans un frisson, s’ouvrirent sur le hall de l’hôtel, invariablement bourdonnant d’activité. Nuit et jour n’avaient guère de sens sur Hapès et tout fonctionnait en permanence, le repos et le travail s’organisant selon des logiques plus particulières que sur d’autres planètes celles dictées à tous par l’invariabilité des rythmes astronomiques.
Evadné Publius
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    Elle descendit du speeder avec l’écho du discours d’Absalom résonnant dans sa tête. Les considérations locales ne pouvaient que lui être d’intérêt. Cadezia appartenait à la Bordure Extérieur et pourtant, elle se targuait d’appartenir à la République. Cependant, loin des préoccupations et des attentions du Noyau, la majorité de ses habitants restaient indifférents aux idéaux républicains. Pour eux, République et Empire étaient facilement interchangeables – leur quotidien n’en serait pas plus vivable. Combien de fois Cadezia avait échappé à la guerre civile à cause de cette fracture profonde entre le haut et le bas ? La dualité politique entre l’Empire et la République ne représentait qu’une fracture de plus pour ce peuple déjà fracassé par les fossés que creusait la société cadézienne.


    Evadné chercha discrètement du regard ses collègues, mais aucun visage familier à l’horizon. Sans doute profitaient-ils encore de spécialités culinaires locales…quoiqu’à cette heure avancée de la soirée, on pouvait sûrement parler des spécialités alcooliques. Un sourire amusé naquit au bout de ses lèvres à cette hypothèse.


    Ils se rapprochèrent du comptoir de réception et elle lui fit face avec toute la grâce naturelle qui la caractérisait.


    -Remonter du particulier au général. C’est ainsi que les plus grandes découvertes scientifiques ont vu le jour par ailleurs. C’est un principe qui pourrait tout à fait s’appliquer à la politique. Vous êtes finalement vraiment comme un vieux holofilm à la morale pleine de sagesse, finit-elle par plaisanter avant de lever son doigt anciennement blessé pour le mettre en valeur.


    -Je vous remercie pour le sauvetage héroïque de mon annulaire dans une préoccupation toute hapienne. Si l’envie vous prend un jour d’entreprendre une reconversion professionnelle et de vous mettre au vert, sachez que j’examinerai avec sérieux et objectivité votre candidature au poste d’infirmier.


    Le rire léger qui s’ensuivit souleva quelques mèches frondeuses qui lui barraient le visage. Et cette chevelure libre était semblable en tout point au parc verdoyant du domaine des Thorn : sauvage, mais contrôlée. Son sourire s’atténua alors qu’elle reprit une mine plus sérieuse.


    -Il existe dans les climats des planètes de la Bordure Extérieure une espèce de pin. Et elle ne germine pas sans feu : la résine contenue dans ses cônes attise les flammes, même si cela signifie la mort de l'arbre parental. Pour que tout aille mieux, il fallait que tout aille plus mal. Pour survivre, cette espèce végétale doit étreindre ce à quoi elle ne peut survivre. Les botanistes la nomment l’arbre du Phénix, en toute simplicité. Mais je trouve que cette espèce offre au vivant une belle leçon de philosophie.


    Sur un petit rictus mystérieux, elle lui accorda sa plus belle révérence. Une œillade ou deux auraient fusé vers le duo, portées par la curiosité de voir une femme s’incliner devant un mâle. Evadné gardait le regard bas tout en déclamant avec politesse :


    -Je ne me permettrai pas d’accaparer davantage votre temps, Absalom. Avec tous mes remerciements pour votre tempérance et votre compagnie ô combien enrichissante. J’espère avoir l’occasion d’en bénéficier à nouveau, si votre emploi du temps le permet, bien évidemment. Il me semble que pour rentabiliser un voyage si long, notre délégation a pris le parti de demeurer quelques jours sur Hapès.


    En se redressant, elle avisa la vie bouillonnante du hall de réception et les incessantes allées et venues. Personne ne semblait faire attention à eux désormais, accaparés par d’autres préoccupations. C’en était presque agréable. Nouvelle révérence, plus courte et elle le salua une dernière fois avec tous les hommages dus. Et lorsqu’elle se dirigea vers les turboélévateurs menant aux chambres.


    Et dès que les portes de la cabine se refermèrent laissant place à sa solitude et à la musique linéaire, elle sentit une tension quitter sa nuque qui demeura si raide tout le long de la soirée. Elle soupira un relatif soulagement. Si elle avait su qu’elle rencontrerait une personnalité aussi importante qu’Absalom Thorn, elle aurait clairement opté pour une autre tenue et attaché ses maudits cheveux.



    Elle retrouva le confort de sa chambre dans la continuité de ce soulagement. Elle n’avait pas menti. La fatigue s’accumulait dans ses muscles et son esprit. Face à la coiffeuse sophistiquée, elle se débarrassa de ses bijoux et rejeta sa couronne fleurie. Ce fut ensuite au tour de ses bottines d’échouer sur la rive désolée du dallage de sa chambre. Ce ne fut que lorsque le sommeil l’emportant, quelques minutes plus tard, au creux d’une literie confortable que son ventre réclama pitance. Elle n’avait pas soupé. Tant pis, pensa-t-elle, le besoin de repos surpassait l’incommodité d’avoir l’estomac vide. Tandis que ses paupières se faisaient de plus en plus lourde, elle se demanda si elle aurait l’occasion de revoir le Seigneur.




Absalom Thorn
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Tu es rentré ?
Je ne voulais pas te réveiller.


Le jeune homme traversa le salon sans faire un bruit, ses pas étouffés par le tapis tressé dont les couleurs changeaient à chacune de ses empreintes, souvenir d’une planète lointaine et mystérieuse, pour lui tout du moins, dont il ne parvenait jamais à se rappeler le nom. Quelques mètres plus loin, il se laissait tomber à la renverse sur le canapé et posait la tête sur les cuisses de Darth Noctis, impitoyable Seigneur Sith, sorcier du Côté Obscur, avec l’aisance familière d’un félin qui retrouve son humain de compagnie.


Il s’est passé quelque chose, demanda-t-il, alors qu’Absalom glissait une main dans ses cheveux bruns, bouclés, qui auraient fait son charme sur tout autre monde, mais qui l’avaient fait comme paria sur Hapès ?
Non, mon ange, répondit Absalom avec une douceur infinie que les proches éplorés des innombrables victimes de Kano-IV ne lui auraient jamais soupçonnée.
Hmm…


Noctis eut un sourire triste, avant de relever les yeux pour contempler la cité étincelante, de l’autre côté de la vaste baie vitrée.


De sa main libre, il se mit à tracer des arabesques rêveuses sur le torse nu de son compagnon.


Tu connais l’histoire de l’arbre qui se consume pour mieux régénérer ?
Non.
Moi non plus.


Le Seigneur Sith avait répondu à Évadné, quelques heures plus tard, avec toute la courtoisie qui s’imposait et puis ils s’étaient séparés dans le hall dans l’hôtel, après avoir convenu d’un rendez-vous pour le lendemain. Sur le chemin du retour vers le duplex qu’il occupait au coeur de la capitale hapienne, Absalom avait été hanté par la métaphore botanique de la jeune femme. Son esprit de Sith et de Hapien lui avait aussitôt donné un sens presque littéral : il était le cône qui pouvait consumer l’arbre parental pour renaître de ses cendres.


Assassiner les membres de sa famille n’était pas rare, dans les hautes sphères hapiennes. Certaines reines s’étaient fait une spécialité de l’élagage drastique de leur arbre généalogique. Leurs sœurs, leurs gendres, leurs propres filles parfois. En revenant s’installer sur son monde natal, Noctis y avait songé lui-même. Ses parents y avaient songé aussi, probablement. Et puis chacun s’était accommodé d’un équilibre différent, moins brutal.


Mais les semaines passaient et les pensées du Sith allaient tantôt vers la République, tantôt vers l’Empire, tantôt vers Empire. Il avait besoin de consolider ses ressources, d’étendre son influence, pour être certain de mener ses recherches en paix. Hériter entièrement de la fortune, du réseau et de la position sociale de ses parents ne serait certes pas un médiocre secours. Et n’était-il pas justice, et même dans l’ordre naturel des choses, que les vieux laissent la place aux jeunes et que l’arbre se sacrifie pour ses graines ?


Est-ce que tu regrettes, parfois… ? Tes parents, je veux dire.


Le jeune homme se redressa puis, avec souplesse, il vint s’asseoir à cheval sur les cuisses de son amant, pour poser son front contre le sien.


Jamais. J’espère que si tu devais encore les tuer, tu le referais.
Pour toi, mon ange, mille fois.


Il s’était réveillé quelques heures plus tard, son corps nu lové contre le sien. Ils s’étaient lavés ensemble, ils avaient fait l’amour, ils s’étaient lavés encore et ils avaient petit-déjeuner en regardant la ville. Pour parler de tout et de rien. C’était l’ordinaire insoupçonnable dans la vie d’un homme dont l’esprit était constamment agité par l’exceptionnel.


Portez une tenue confortable. Et de bonnes chaussures. A.

C’était le message cryptique qu’il avait envoyé à Évadné ce matin-là, poussé par une inspiration subite. Il avait enfilé lui-même un pantalon de treillis noir et un tee-shirt, et des bottes renforcées. Le regard de son compagnon avait quitté les schémas tridimensionnels d’hyperdrive qui flottaient au-dessus de l’holoprojecteur du bureau pour caresser sa silhouette.


Et on s’étonne que j’aie du mal à me concentrer sur mes études avec tout ça ?
Par chance pour ton diplôme, répliqua l’intéressé avec un sourire amusé, je m’en vais soustraire toutes ces tentations à ton regard.
Provisoirement, j’espère.
Provisoirement, confirma le Sith.


Une heure plus tard, il accueillait Évadné dans le hall de l’hôtel.


J’espère que vous n’avez rien contre un peu d’exercice, déclara-t-il de but en blanc, parce qu’il savait pertinemment qu’en de certaines circonstances, faire l’économie des politesses d’usage, c’était aussi créer une familiarité. Telle était aussi la raison de leurs tenues, de l’expédition qu’il prévoyait et qui les justifiaient : sortir du cadre un peu protocolaire dans lequel ils s’étaient concentrés et plonger de plus en plus dans des conversations personnelles, si opportunément engagées la veille. J’ai une surprise pour vous qui, je pense, satisfera votre curiosité professionnelle.


Dehors, le jour était fidèle à lui-même. Les Hapiens percevaient peut-être les nuances d’une lumière qui rythmait leurs journées, mais pour des visiteurs extérieurs, les heures se confondaient toutes les unes avec les autres. La berline noire les attendait et elle s’engagea bientôt dans la longue rampe qui conduisait vers la rue elle-même, tandis que les aérospeeders parcouraient les couloirs aériens au-dessus d’eux.


Je me suis entretenu avec ma mère, ce matin, et j’ai cru comprendre qu’elle avait été très touchée par l’invitation que vous lui avez faite de se rendre sur Cadezia. Je crois même pouvoir dire qu’elle l’acceptera bientôt volontiers, dès qu’elle aura consulté plus en détail son agenda des mois à venir. À vrai dire…


Comme la veille, son regard se détacha du paysage pour se poser sur le profil de la politicienne.


… j’éprouve moi-même à vous écouter une curiosité sans cesse plus grande de visiter votre monde, mais il serait probablement imprudent de ma part de m’y rendre sans une mission précise de la Couronne hapienne ou sans une invitation officielle de votre gouvernement. Quelque trêve qui puisse apaiser les relations entre la République et l’Empire, et quelque réputation dont je jouisse de l’autre côté de la frontière, l’irruption impromptue d’un Seigneur Sith, même à la Bordure républicaine, risquerait de provoquer des inquiétudes infondées, mais bien réelles.


Au demeurant, on pouvait à bon droit supposer que pour quelqu’un comme lui, il ne serait pas difficile de susciter une mission officielle de la part du Consortium. Assurer la protection d’une délégation scientifique de premier plan eût été un prétexte suffisant. Mais le moyen et même la destination importaient moins à Noctis que la volonté éventuelle d’Évadné de favoriser sa venue. C’était dans la vie de la jeune politicienne, qu’il voulait être convié, plutôt que sur Cadezia elle-même.


Ne vous inquiétez pas, dit-il en passant du coq à l’âne, avec un geste pour les bâtiments bien moins raffinés qu’ils longeaient désormais, je vous emmène certes techniquement, je veux dire, topologiquement dans les bas-fonds de la ville, mais c’est avec les meilleures attentions du monde et à mes côtés, vous ne craignez rien.


La sagesse populaire suggérait plutôt l’inverse quant aux Seigneurs Siths, mais il fallait bien avouer qu’Absalom n’avait pas l’air franchement menaçant.


Comme vous le savez sans doute, certains hommes frustrés par leur situation sociale au sein du Consortium et, disons-le sobrement, assez peu imaginatifs, ont constitué des colonies de pirates qui infectent hélas certaines de nos voies commerciales. Il est arrivé dans l’histoire du Consortium qu’à la faveur de la démographie, ou d’un capitaine charismatique, ou d’une faiblesse de l’armée royale, ces bandes de pirates se fédèrent et représentent des menaces véritables, quoique temporaires et toujours dominées, pour la société hapienne.


Le speeder ralentit pour s’arrêter au pied d’un vaste bâtiment cylindrique en pierre, au-dessus duquel s’élevait un immeuble plus ordinaire, dont les derniers étages se perdaient dans l’éclat des soleils de la planète.


La capitale hapienne porte la trace architecturale de certaines des mesures qui furent prises à l’époque pour se préparer à une attaque éventuelle. Nous sommes arrivés.


Comme la veille, il sortit du speeder le premier, pour ouvrir la porte à Évadné.


À l’origine, et je veux dire il y a plusieurs siècles de cela, ce bâtiment était un château d’eau, puis on l’a désaffecté et consolidé, afin de servir de base à l’immeuble que vous voyez bâti au-dessus. Mais ce n’est pas l’immeuble qui nous intéresse. Par ici.


L’Hapien se dirigea vers l’ancien château d’eau, tandis que la chauffeuse du speeder, la même que la veille, restait adossée contre le véhicule, les yeux fixés sur le Seigneur Sith, avec une ferveur brûlante dans le regard.


Parmi les mesures fut le réaménagement de certaines installations désaffectées, notamment en bunkers ou bien en entrepôts de munitions.


Arrivés devant la porte, Absalom composa un code apparemment interminable sur le clavier numérique. Avoir pour mère une généticienne dont les liens avec l’armée étaient de longue droite fort étroits présentait bien des avantages. Au treizième symbole, un chuintement se fit entendre et l’épaisse porte blindée pivota sur ses gonds pour laisser entrer les deux visiteurs.


Et d’autres, enfin, comme vous le constatez…


Le guide improvisé abaissa un gros levier à côté de la porte et une série de néons s’activèrent pour jeter une lumière blafarde sur l’immense espace qui avait accueilli jadis des réserves d’eau et qui abritait désormais des appareils et du mobilier protégés par des bâches en plastique. Un droïde d’entretien logistique parcourait lentement les allées entre les masses indécises, qu’il scannait à intervalles réguliers.


… en hôpitaux militaires. Quelques-uns d’entre eux sont conservés plus ou moins en l’état, avec des droïdes comme celui-ci chargés de s’assurer que le matériel ne soit pas pillé, même si plus personne ne viendrait probablement voler de l’équipement médical qui a parfois plus d’un siècle. Au bout du compte, avec le passage du temps, faute d’utilisation, nous avons affaire moins à un hôpital qu’à un musée de la médecine hapienne.
Evadné Publius
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    La sollicitation de son comlink la tira d’un sommeil encore profond. Avec toutes les difficultés du monde, elle s’était extraite des draps soyeux de son lit pour attraper le petit communicateur et répondre d’une voix douce mais ensommeillée


    -Oui ?
    -(…)
    -Bonjour professeur Okoye, souffla-t-elle contre le micro alors qu’elle effleurait la commande pour que change la teinte des vitres de la pièce. Les lumières s’éteignirent automatiquement pour laisser place aux puissants rayons du soleils qui l’éblouirent un moment.
    -(…)
    -Aucun souci, je comprends parfaitement. Je vous souhaite une bonne visite de la ville, nous nous retrouverons sans doute plus tard. Prenez soin de notre délégation.
    -(…)


    La communication fut coupée et elle put prétendre à une douche méritée. Elle s’appliquait de la crème hydratante sur le minois quand la voix désincarnée d’un petit droïde protocolaire dérangea son rituel beauté. « Un message pour la chambre R0456, merci de bien vouloir consulter le terminal situé près de votre lit. Un message pour la chambre R0456 merci de bien… » Les doigts encore oints de lotion, elle se dépêcha vers le terminal holographique et afin de ne pas abîmer l’écran de ce dernier, se démena avec ses coudes pour afficher le message qu’elle comprit immédiatement.


    Une heure plus tard, elle se présentait à la réception de l’hôtel après avoir englouti, c’était bien le mot, un petit-déjeuner monstrueux. Beaucoup s’était demandé comme une jeune femme aussi grâcieuse pouvait manger autant. La chevelure domptée, cette fois, en un chignon professionnel et impeccable, elle arborait une combinaison de soie blanche aux motifs végétaux pastels. Les manches et jambes étaient évasés, permettant un confort dans les mouvements et une bonne aération de son corps.


    Après les salutations d’usage, elle avait écoute Absalom avec une attention sincère. Lorsqu’il évoqua les difficultés pour un seigneur impérial de se rendre sur Cadezia, elle le vit automatiquement comme un défi à relever. Evadné ne souhaitait pas qu’un prétexte aussi trivial qu’une mission pour Hapès conduisent les pas de Thorn sur ses terres natales. Elle préférait qu’il puisse être accueilli sur son invitation seule et elle n’avait pas l’intention de rendre des comptes là-dessus. Pas même à son père ou à S’orn. Et elle serait ravie de tisser des facilités afin de pouvoir jouir de la présence du Sith à la Bordure Extérieure.


    Elle n’éluda pas la surprise de son expression faciale alors qu’ils s’engageaient dans la « basse-ville ». Ses yeux inspectèrent les bâtiments obsolètes pour en détailler les particularités. Leur destination agita sa curiosité. A la descente du land speeder, elle remercia son guide et mit sa main en visière pour mieux visualiser l’immeuble trônant au-dessus de la structure cylindrique. Elle s’empressa de suivre l’impérial tandis que ses pensées mettaient de l’ordre dans le laïus historique qu’il lui avait exposé.


    Tout fut plus clair quand elle découvrit ce muséum secret, vestige d’un passé presqu’éteint. Elle se permit quelques pas, allant d’une bâche transparente à l’autre pour en inspecter visuellement les dessous. Telle une abeille, elle butinait avec admiration un nouveau champ de fleurs.


    -Attendez c’est…tout simplement incroyable.


    Evadné lui fit face avec un large sourire aux lèvres. Avec élégance, elle agita sa main dans l’air pour rebondir sur le dernier propos de l’héritier.


    -Il n’y a de nouveau que ce qui est oublié. Les anciennes technologies ont beaucoup à nous apprendre et je regrette le peu d’intérêt qu’ont les peuples pour la rétro-ingénierie. A l’université de Coruscant, j’étais en retard lorsqu’ils ont attribué le droïdes médicaux. J’ai eu droit à ce qui restait : un vieux modèle. Aujourd’hui, je m’estime chanceuse d’avoir pu forger une partie de mon apprentissage grâce à cette vieille carcasse qui aurait pu avoir sa place ici, aux vues de son âge vénérable.


    Elle revint près d’Absalom pour atteindre un nouveau point d’intérêt non loin de l’entrée. Son parfum frais et fleuri dénotait avec l’atmosphère renfermée des lieux. Elle se pencha pour décrire ce qui ressemblait à une machine, bâchée également.


    -La médecine hapienne est décidément pleine de surprises.


    Et en guise de rappel, elle leva son doigt guéri avec un air malicieux collé à ses traits délicats.


    -Le lieu-commun exige que l’exploration du passé soit une tâche volontiers qualifiée de laborieuse. Quel intérêt à explorer ce qui a déjà été pensé et découvert. Il est de meilleurs tons de découvrir l’inconnu et d’arpenter un futur ou tout reste à accomplir en matière de prouesses.


    Elle se redressa et contempla son guide. Le sourire angélique d’Evadné ne faiblissait pas. Ses maigres appréhensions quant à leur destination finale n’étaient désormais qu’une lointaine inquiétude remplacée par l’excitation du moment. La républicaine semblait parfaitement à l’aise dans cet environnement qu’elle parcourait pour la première fois. Peut-être était-ce la garantie sécuritaire d’avoir un homme de l’acabit de Darth Noctis à ses côtés pour affronter ce qu’elle ne connaissait pas ? Peut-être était-ce simplement l’étincelle qui animait chaque scientifique lorsqu’on le plongeait dans son domaine de prédilection ? Sans aucun doute, c’était un mélange de tout cela.


    -Cependant, le futur n’est rien d’autre que ce qui ne nous est pas encore parvenu du passé, n’est-ce pas ?


    En sa présence, loin des mondanités hapiennes, elle semblait plus à l’aise. Une complicité chaleureuse transcendait sa voix agréable lorsqu’elle s’adressait à lui. Elle approcha innocemment sa main de la bâche, mais le mouvement parut faire réagir le droïde et elle se ravisa.


    -A voir votre maîtrise de la culture et l’histoire hapienne, je pense avoir de quoi rougir. Mais je suis ravie de pouvoir profiter de vos connaissances en la matière, surtout quand elles mènent à ce genre de grotte aux trésors.





Absalom Thorn
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Rougir ? Allons, aussi charmante que soit cette perspective, vous le feriez sans raison : j’en sais probablement moins sur mon monde que la plupart de ceux qui l’habitent, puisque j’en ai été arraché dès mon enfance.

Et dans quelles circonstances, précisément ? Après tout, le Consortium ne faisait pas partie de la République et si Absalom avait rejoint les Jedis, c’était nécessairement que ses parents y avaient consenti. Un choix curieux, pour un couple d’intellectuels hapiens, qui, même dans l’hypothèse où ils n’auraient pas partagé les réserves de leur nation à l’égard de l’Ordre Jedi, auraient dû s’inquiéter de leur réputation.

Je la redécouvre moi-même par morceaux, petit à petit, depuis mon adolescence, et des endroits comme ceux-ci… Ma foi, ce sont surtout les explications de ma mère qui m’ont mis sur la voie de leurs trésors. J’ai toujours eu un intérêt prononcé pour la médecine et les sciences de la vie, sans jamais les avoir étudiées moi-même. Et je partage avec vous le sentiment que dans toute discipline, l’histoire est riche d’instructions, tant que l’on n’a pas la superstition d’en forger des traditions trop contraignantes.

La vérité était sensiblement moins innocente : arrivant sur Hapès, Absalom avait recherché le moyen d’y installer l’un des centres recherches sur lesquels il fondait son étude du Côté Obscur et qui réunissait scientifiques et sorciers siths pour percer les mystères de la vie et les tordre à sa volonté. Il avait prospecté les régions isolées de la planète, avant que son attention ne soit pas attirée par les anciens hôpitaux d’urgence désaffectés, éparpillés dans la capitale, et qu’il ne décide d’investir l’un d’entre eux.

Attendez, je suis sûr qu’il y a un moyen de se défaire de ce droïde, ma mère m’a transmis des…

Le Sith tira un datapad de sa poche et se mit à pianoter sur l’écran.

… informations en ce sens, mais les fichiers de l’armée hapienne ne sont pas nécessairement les mieux organisés qui soit, surtout quand ils sont vieux de plus d’un siècle. Voyons… Entretien des locaux… Non… Service des commandes… Non… Procédure de remplacement des détecteurs de fumée intégrés… On s’en passera… Ah, voilà. Unité SHASP !

Absalom se pencha vers Évadné pour préciser :

Service Hospitalier des Armées pour le Soutien aux Populations. On a le sens de l’acronyme par ici.

Le droïde fit pivoter sa tête circulaire et plate à 180° degrés pour fixer Absalom et, après avoir brièvement considéré la situation, fit marche arrière pour se traîner sur ses trois petites chenilles jusqu’à l’Hapien.

Accès commandes, déclara celui-ci en se fiant aux instructions sur son datapad.

Le droïde pivota pour lui tourner le dos et un panneau métallique coulissa pour révéler un petit clavier, sur lequel Absalom rentra le code fourni. Le robot frémit et puis, après un bref vrombissement électrique, se désactiva. Absalom fit disparaître le datapad dans sa poche, avant de partir tirer la bâche qui recouvrait l’une des machines à avoir attiré l’attention d’Évadné.

Hé bien manifestement, voyez vous, c’est un… hm…

Le Seigneur Sith fit lentement le tour de la machine tubulaire flanquée d’un pavé translucide de cinquante centimètres cubes, que l’on appelait jadis une micro-perfuseuse totale : des milliers d’infimes aiguilles, invisibles à l’oeil nu, y pénétrait le corps du patient, pour y injecter le produit contenu dans la cuve, afin de communiquer tout le médicament en même temps à l’ensemble de l’organisme, et faire ainsi l’économie du temps précieux de la diffusion. On s’en était servi dans le temps pour traiter différentes pathologies soudaines et foudroyantes, notamment liées aux radiations et aux armes chimiques, avant que les progrès de la médecine ne permettent des méthodes moins spectaculaires, et surtout moins coûteuses.

Vu de l’extérieur, cela dit, c’était un vrai mystère.

Une sorte de four à pain vraiment très singulier, suggéra-t-il avec un sourire amusé et en relevant un regard pétillant vers la médecin qui l’accompagnait ?

Il haussa les épaules avec un air d’enfant innocent.

Il fallait bien nourrir les malades !

Son regard se porta néanmoins à l’autre bout de la pièce, où une autre porte attendait.

Mais plus probablement, je vous le concède, il doit y avoir un mess plus loin, des chambres de soins moins intensifs, probablement des dortoirs pour le personnel. Je n’ai qu’un plan générique qui préconise l’installation idéale pour l’ensemble des hôpitaux de ce type, mais la mise en œuvre particulière de celui-ci, mais si vous ne craignez pas de vous égarer avec moi dans les méandres de l’architecture médicale hapienne, nous pouvons pousser plus loin notre exploration. Et vous pourriez en profiter pour m’en dire plus sur l’université de Coruscant, cela me rappellera avec une douce nostalgie l’époque où j’en fréquentais les couloirs, à défaut de pouvoir désormais aller la revoir de moi-même.
Evadné Publius
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    Décidément, Absalom ne cessait de la surprendre en brandissant des ressources insoupçonnées. Et s’ils étaient bel et bien dans un hôpital militaire, elle venait à se demander quel genre de passe-droits un seigneur sith pouvait avoir auprès des autorités du Consortium pour accéder à des endroits si sensibles ? La professeure Thorn, visiblement aux faits de certains codes, servirait-elle d’intermédiaire ? Il était à la fois fascinant et inquiétant pour Evadné de constater qu’un impérial pouvait se fondre si aisément dans les rouages d’un Etat « neutre ». Aussi héritière qu’elle était, son père n’avait jamais cru nécessaire de partager avec elle des données délicates concernant les infrastructures militaires cadéziennes. Non pas qu’il se méfiait d’elle, mais de tous les autres…qui pourraient éventuellement se servir de la douce et naïve jeune femme qu’elle représentait.


    D’ailleurs, elle n’aurait pas cru qu’un sith puisse faire démonstration d’autant d’humour et d’innocence. Elle porta un index à ses propres lèvres, geste instinctif quand elle se mettait à analyser une situation. En l’occurrence celle de cette antique machine à « pain ». Puis elle conclut la théorie qui lui vint à l’esprit d’un sourire incertain.


    -Ce devait être douloureux, non pas à cause des micro-aiguilles, mais du type de substances médicales injectées constata-t-elle pour elle-même à voix haute, avant de secouer la tête.


    -Quand aux malades, renchérit-elle sur le même ton plaisantin, s’ils avaient encore leurs dents ou leurs pleines capacités mandibulaires, votre théorie se tient !


    Elle se pinça les lippes pour réprimer un léger rire parce qu’elle s’imaginait le ridicule de la situation si l’on arrivait à faire du pain avec ce genre de technologie.


    -Je me sens l’âme aventureuse aujourd’hui, approuva-t-elle. Toutefois…


    Alors qu’ils atteignaient la porte menant vers le reste du complexe, elle s’arrêta pour exprimer ses craintes.


    -Vous…


    Elle abaissa ses prunelles vers le sol, incertaine. Devait-elle se couvrir de ridicule et exposer sa faiblesse ? D’un autre côté, mieux valait connaître les risques. Il ne serait pas prudent de se laisser surprendre par ce genre de défaillance. Lentement, ses yeux remontèrent vers Darth Noctis et elle arriva à poursuivre :


    -Pensez-vous que l’éclairage tiendra le coup ?


    C’était un vieux complexe militaire, comme lui-même l’avait défini. Ses appréhensions quant au noir lui laissaient entrouvrir les probabilités que le réseau électrique ne soit pas plus adapté et que par conséquent, il saute. Sa supputation était sans doute absurde, mais c’était obsession chez elle. Elle ne pouvait s’empêcher de penser : et s’il faisait noir ? Inutile que toutes les lumières s’éteignent pour cela. Il suffirait de la mise hors service de la moitié des néons pour révéler son handicap visuel.


    -Oh…oubliez ça, finit-elle par se rétracter, la figure contrainte par un légère honte.


    Il avait déjà été si patient. Elle ne souhaitait pas le contrarier avec des futilités aussi inconséquentes pour lui qu’un néon qui rendait l’âme. Véragan Publius le lui avait de trop nombreuses fois répétées : le Galaxie entière ne pouvait s’adapter à cette déficience génétique. C’était à elle de prendre le pas et de s’endurcir. Elle ferma les yeux pour se ressaisir, chassant de son esprit les souvenirs éprouvant d’un père qui la confrontait volontairement au noir pour « soigner » sa phobie. Elle prit une bonne inspiration et arbora ce sourire de façade, celui qui sauvait toutes les apparences, prête à suivre Absalom.


    -Vous avez étudié à l’université de Coruscant, reprit-elle sur un ton léger, la voix encore un peu fébrile. Puis-je me permettre l’impolitesse de demander votre âge ? En vous voyant, j’ai l’impression que nous partageons la même année de naissance, mais votre sagesse semble s’être bâtie sur des décennies. La contradiction est troublante, mais non moins élogieuse, je vous rassure.


    Une manière toute élégante de lui indiquer qu’il ne faisait peut-être pas son âge. Si c’était le cas, sans doute pourrait-elle espérer lui demander les références de sa crème anti-rides, dans une préoccupation toute hapienne.


    -Mes professeurs ne comprenaient pas très bien mon obligation de faire de la politique. Et lors de ma première opération, j’ai failli paralyser une adolescente arkanienne pour le restant de ses jours. Cependant, noyée dans l’activité incessante de la ville-monde, l’Université offre encore de quoi surprendre. Son centre de soins médical universitaire m’a donné la possibilité de poursuivre une spécialité. Avez-vous un souvenir plus marquant que l’autre ? Je présume, peut-être à tort, que vous y avez étudié l’économie ?


    Les questions pressantes qu’elle souhaitait éviter la veille s’étaient toutes pressées à ses lèvres et elle ne sut toutes les réprimer. Elle lui renvoya un regard désolé tout en espérant qu’il ne prenne pas sa curiosité sincère pour une espèce de voyeurisme maladif.


Absalom Thorn
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Vous êtes sur Hapès, Évadné, répondit Noctis d’un ton rassurant, si le droïde fonctionne et quelqu’un a pris la peine de changer les bâches en plastique, vous pouvez être sûre que les lumières sont en état de marche. Nous ne sommes pas précisément connus pour supporter l’obscurité.

Ce qui rendait le choix de son nom de Seigneur Sith d’autant plus ironique. Quoi qu’il en fût, il tira une nouvelle fois le datapad de sa poche, pour récupérer le code de la porte intermédiaire et ils s’engagèrent bientôt dans un couloir d’une propreté impeccable, signe que l’unité SHASP qu’ils venaient de croiser ne devait pas être le seul droïde à assurer l’entretien du complexe.

Les portes se succédaient, avec des inscriptions hapiennes, si différentes du basic. Elles s’activaient cette fois-ci d’une simple pression sur le panneau de contrôle, pour révéler des chambres médicalisées somme toute fort ordinaires. Pour Absalom, c’était l’occasion de jauger la qualité des infrastructures et, relativement satisfait, il se promit de revenir avec l’un ou l’autre de ses scientifiques, plus compétent que lui pour juger de l’opportunité d’y installer l’un de ses laboratoires.

Mon âge ?

L’Hapien esquissa un sourire amusé, en refermant une nouvelle porte, qui avait donné sur la dixième chambre identique, alors qu’ils aboutissaient dans une nouvelle pièce plus vaste, mais entièrement dépouillée de mobilier, qui avait dû servir de salle commune à l’origine, ou peut-être de bureaux ouverts.

Vous ne manquez pas de courage en posant ce genre de questions interdites à un Hapien.

Dans un monde où la beauté régnait maîtresse, vieillir était une perspective plus terrifiante qu’ailleurs. La beauté digne et altière d’un âge qui s’assumait, comme celle de Cala Thorn, était un privilège de femmes de pouvoir ou de savoir, que leur statut social prémunissait du jugement de leurs pairs, mais pour le reste de la population, les rides et les tâches sur la peau étaient traquées avec une frénésie pathologique, qui faisait la fortune des laboratoires de cosmétiques et des cliniques du rajeunissement.

Une nouvelle fois, le Sith adressa un sourire rassurant à son invitée.

Heureusement, j’ai été élevé ailleurs. Trente-six ans. J’ai trente-six ans. Bientôt trente-sept.

C’était presque incroyable, même pour un Hapien. Sans doute Absalom jouissait des avantages combinés de la fortune, qui préservait toutes les délicatesses en leur épargnant les rudesses d’une vie de travail, de son espèce et, on pouvait le supposer, des efforts génétiques de sa mère. Mais trente-six ans ? Comment cet homme pouvait-il approcher de la quarantaine ?

L’âge de Darth Noctis était ordinairement soumis à bien des spéculations. Son dossier de Jedi avait été scellé par les Ombres de l’Ordre, dès sa trahison, pour en prémunir les informations qui servaient à établir son profil. Son acte de naissance sur Hapès était naturellement protégé par le droit à la vie privée des sujets de la reine. Quant à l’administration impériale, elle n’avait pas pour habitude de diffuser volontiers les informations personnelles de ses personnes les plus en vues.

Le Seigneur savait pertinemment de quelle aura d’étrangeté l’enveloppait sa jeunesse apparente, sans commune mesure ni avec ce que l’on savait par ailleurs de son parcours, ni avec ses attitudes : c’était sa cape sombre à lui, sa version de l’armure inquiétante et sinistre, sa déclinaison de la mise en scène de soi dont tous les Siths étaient friands, et qui constituait même une nécessité pour exister au sein de l’Empire.

Coruscant est riche en souvenirs pour tous ceux qui y passent, je crois. Certains heureux, d’autres… Pour ma part…

Ils étaient arrivés à un ascenseur. Celui qui s’était improvisé guide dans cet hôpital désert le considéra avec circonspection, avant de juger :

Vous allez peut-être me trouver inutilement prudent, mais je crois que je préfère que nous prenions les escaliers. Nous montons d’un étage, pour accéder aux parties récréatives. Si l’on peut dire.

Absalom avait toujours eu un rapport compliqué avec les machines.

J’ai étudié l’économie sur Coruscant, oui, reprit-il alors qu’ils s’engageaient dans les escaliers. Plus ou moins sur Coruscant, à vrai dire, car il n’était pas rare que des missions m’aient entraîné vers la Bordure, pour des négociations. C’était à l’époque, voyez-vous, où j’étais déjà Chevalier, une époque un peu étrange. Quand vous êtes Padawane, vous vivez au rythme de votre Maître, et il se passe souvent beaucoup de choses, et dans les premières années où vous prenez votre indépendance, comme vous manquez d’expérience, tout se ralentit brusquement.

L’expérience n’était pas très différente de tous ces étudiants qui, après avoir réfléchi sur des sujets complexes pendant des années, se retrouvaient à entrer dans la vie active dans des emplois bien ordinaires, qui leur donnaient l’impression d’avoir régressé tout à coup.

C’est un moment que nombre de Chevaliers choisissent pour se spécialiser davantage, et notamment faire des études plus traditionnelles, comme ce fut mon cas, en partie dans les locaux de l’université, et en partie par correspondance.

Une porte activée plus tard et ils débouchaient dans le mess. Les droïdes de service y avaient été démantelés, mais les tables métalliques boulonnées sur le sol restaient alignées là, bien parallèles, à attendre des convives qui ne viendraient probablement jamais. Faute de fenêtres dans la façade opaque de l’ancien château d’eau, on avait installé des holoécrans ce jour-là tous éteints, mais qui avaient été destinés à l’époque à diffuser des images rassurantes et familières des merveilles naturelles d’Hapès.

Et ce qui m’a fasciné, je crois, à l’université, ce furent les associations d’étudiants. Cette… diversité d’intérêts, de solidarités, de préoccupations. Cette liberté d’exprimer ses opinions en dehors des cadres rigides d’une tradition sectaire. Pour moi, c’était une révélation. Naturellement, je savais que la vie en dehors du Temple était infiniment plus variée et plus nuancée, mais ce sont deux choses très différentes que d’observer de loin et de faire soudainement partie.

Ils longeaient désormais à pas lents les rangées de table, dans cette atmosphère fantomatique.

Je crois que ce fut l’une de ces petites choses qui contribuèrent à m’éloigner de l’Ordre Jedi. À me faire désirer autre chose. La liberté. Un engagement qui me soit personnel, individuel, singulier, plutôt qu’une adhérence aveugle à des codes décidés depuis trop longtemps et par des personnes trop étrangères à moi-même pour jamais me permettre l’accomplissement que j’estimais être en droit de rechercher. Que j’estime tout le monde être en droit de rechercher, à vrai dire.

Avec tout ce que sa vie pouvait comporter de calcul, de dissimulation et de trahison, d’obscurité et de danger, Darth Noctis avait conservé la spontanéité des idéologues, de celles et ceux qui, comme lui, attachés à des principes solides qu’ils mettent au-dessus de tout, en parlent toujours avec une ferveur sincère.

Ce n’est pas trop glorieux, ce que je vous raconte là, n’est-ce pas, conclut-il en pressant du pouce le contrôle d’une ultime porte, qui dévoila la salle de sport du personnel, avec sa petite dizaine d’engins de fitness d’un autre âge, que l’obsession hapienne pour la forme et la ligne, et les innovations sportives constantes qu’elle entraînait, avait rendus obsolètes depuis bien longtemps, mais je crains fort que mes motivations pour quitter l’Ordre Jedi n’aient été à l’origine bien égoïstes, et que ce n’ait été que plus tard, une fois à l’extérieur, et libre de le considérer en toute lucidité, que j’aie commencé à en analyser les funestes conséquences sociales.
Evadné Publius
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    Oui, c’était totalement stupide de sa part. A sa décharge, elle n’avait pas l’habitude des facilités permises par Hapès. Evadné n’avait jamais connu le confort de partager son environnement, sa vie, ses faiblesses avec des gens semblables à elles. Elle lui avait simplement opposé un sourire désolé.


    Trente-six années se répétait-elle intérieurement pour mieux digérer sa surprise. Elle en oublia presque la nouvelle pièce qu’ils arpentaient. Trente-six ans. Un âge éloigné de ses suppositions. Si elle l’avait volontiers présumé plus âgé, elle n’aurait guère osé lui accorder davantage que la trentaine. Etaient-ce les miracles de la cosmétique hapienne ? Ou, en tant que Sith, avait-il conclu un pacte comprenant la totalité de son âme en échange d’une jeunesse éternelle ? Ce serait presque le pitch parfait pour un holofilm d’horreur. Une partie d’elle réprimanda cette moquerie mesquine qui puisait dans les pires clichés, ceux qu’elle s‘était toujours refusé de cautionner.


    -Oh bien sûr, avait-elle souligné pour le choix des escaliers.


    Elle n’était pas particulièrement sportive, mais un étage ne la tuerait pas. Heureusement, la génétique l’avait muni d’un métabolisme favorisant l’esthétisme corporel. La jeune fille le suivait avec déférence et ils ressemblaient à ce duo parfait que présentait les holoséries dont les adolescentes étaient friandes : celles où le patron beau, riche, jeune, intelligent, froid et parfait traînait sa secrétaire – magnifique, intelligente, efficace, polie et naïve dans toutes sortes d’aventures cocasses. Dans l’épisode qui se jouait, il était question de la visite d’un ancien hôpital pour en estimer le reémploi dans une optique de rentabilité.


    Evadné ne pouvait réprimer un pincement au cœur quand il lui exprima de nouveau les difficultés qu’il avait rencontrées au sein de l’Ordre. Il avait beau qualifié sa décision de purement égoïste, il n’aurait sans doute pas eu à la prendre si les Jedis avaient fonctionné autrement qu’une secte claire-obscure. Elle s’était intéressée au mess, impressionnée par la propreté impeccable des lieux malgré une inactivité presque séculaire si ce n’était multiséculaire. Cette plongée rétrospective dans la vie hapienne à un instant T lui plaisait étrangement.


    -Je ne suis pas la meilleure personne pour vous contredire à ce sujet. Je n’ai aucun grief contre les Jedis, mais ils me mettent mal à l’aise.


    Au Temple d’Ondéron, elle avait fait de belles rencontres comme cet éminent botaniste Jedi qui lui avait volontiers prêté quelques conseils pour entretenir sa serre alors qu’elle patientait entre deux entretiens. Se remémorer cette sinistre période fit courir une discrète chair de poule le long de sa colonne vertébrale jusque dans sa nuque délicate. Avec tout le tact et la gentillesse dont ils avaient fait preuve, elle ne s’était jamais vraiment remise de l’usage de la Force sur sa mémoire.


    -Mais je comprends que votre laïus sur l’Ordre dessert une image plus générale. Peut-être n’était-ce pas le cas en sciences économiques, mais l’université possède un carcan tout aussi dogmatique. Et les étudiants ne souhaitant pas vraiment envisager une carrière dans la recherche universitaire peuvent en réchapper. Mais cela veut dire accepter de s’y plier si l’on souhaite connaître la ligne d’arrivée. Bien que je ne nie pas que les coups d’éclats de certains esprits peuvent briser le cadre établi. J’ai débuté mes premières années de médecine à Trulalis et elles furent les plus marquantes, les plus immersives, les plus choquantes. A chaque cours pratique, je ressortais avec l’estomac vide et le cœur retourné. Les professeurs y étaient moins prudes. Ils avaient cette étincelle de folie qui anime chaque talent de ce monde. La méthodologie coruscante considère la théorie comme mère de toutes les pratiques, sur Trulalis baigner ses mains dans le sang est obligatoire si l’on veut que sa thèse soit crédible. C’est le prestige de la Bordure Extérieure.


    C’était ce temps béni, avant l’intervention de son père pour la muter à Coruscant. En sus, la diversité des étudiants de Trulalis – par son rayonnement et son prestige, ne souffrait d’aucune limite. Poussée par la curiosité, elle emboîta le pas dans cette ultime pièce.


    -A Coruscant les problèmes d’éthique ne se posaient pas. Sur Trulalis, c’était un combat permanent pour ne pas violer la déontologie. Il y avait une sorte de glorification à flirter avec les limites.


    Sa main vagabonda délicatement sur l’une des machines de fitness, amusée par la vétusté de l’appareil.


    -On accuse souvent à tort les médecins-chercheurs de fous. La loi les scrute, c’est vrai et modère leur geste tout en établissant les limites. La plupart du temps, ces mêmes limites sont décidées par des docteurs bureaucrates qui ont déserté les salles d’opération depuis des lustres. Mais la question que peu se posent est : Jusqu’où un patient est-il prêt à aller pour guérir ?


    Elle se permit de s’asseoir sur un banc, croisant ses mains sur ses genoux collés sagement l’un à l’autre. Ses prunelles photographièrent la silhouette d’Absalom dans cet endroit atypique. Il était tel un voyageur du futur conquérant les vestiges d'un passé encore intact. Son attention se refixa au sol.


    -Un professeur m’avait expliqué : pour que des milliers de patients vivent, il fallait un certain ratio de patients qui meurent lors des premières tentatives. On espère toujours que ce ratio tende vers 0, mais c’est un impossible. C’est la nécessité absolue du moindre mal. Quand on compose avec le vivant, on doit composer avec son pendant qu’est la mort. C’est difficile à accepter au début. J’évite lâchement la recherche. Je me contente de prendre ce que d’autres ont découvert – parfois au prix du sang, et de le maîtriser à la perfection. Cela me donne l’illusion d’avoir les mains propres et j’élude la question des cobayes qui ont servi à l’aboutissement de telle ou telle méthode. En fait, nous sommes beaucoup d’étudiants à avoir choisi ce chemin-là : par facilité ou pour s’acheter une bonne conscience.


    Après son petit monologue dégueulant d’états d’âme, elle donna une légère impulsion sur ses pieds pour se redresser.



Absalom Thorn
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Une société est organisme, répondit-il, alors que la jeune femme se relevait du banc, c’est peut-être la plus vieille métaphore politique du monde. Comme tout organisme, elle est composite et ses parties ont des fonctions différentes. Vous dites que vous vous contentez de reprendre ce que les autres ont développé, comme si c’était une vocation inférieure, mais sans vous, leur recherche ne prendrait pas tout son sens, parce qu’elle serait privée de son application sociale. Et quel chercheur accepterait de se plier à l’urgence et aux fragiles vérités des cabinets médicaux, lui qui a d’ordinaire le luxe du temps long et des problèmes soigneusement circonscrits ?

Après un dernier regard circulaire, il reprit le chemin en sens inverse. L’hôpital militaire n’offrait pas des trésors infinis de découverte et ils venaient d’achever le tour de son théâtre mélancolique.

Entendons-nous bien, j’ai un respect infini pour les chercheurs et je partage largement ce que vous dites de la liberté qu’offre la Bordure, et de manière générale toutes les périphéries, pour conduire les expériences audacieuses qui sont nécessaires au progrès de l’esprit. La règle, par nature, est un outil conservateur, tandis que la découverte est une énergie transformatrice, parfois destructrice. La déontologie est le résultat d’un compromis entre deux injonctions contradictoires, un compromis nécessaire, sans doute, mais qui ne saurait être jamais qu’une manière de tituber vers son but, plutôt que d’y courir.

Combien de scientifiques étaient venus le trouver pour profiter des libertés inouïes que son sens de la morale pour le moins minimaliste leur laissait dans ses laboratoires ? Noctis était loin de les considérer comme des fous ou des psychopathes : il reconnaissait presque toujours en eux non le plaisir sadique d’infliger la souffrance, mais la passion sincère pour des découvertes que les règles ordinaires les auraient toujours empêchés de faire.

Mais je crois que c’est un débat qui ne saurait exister dans l’abstraction et qu’en la matière, la philosophie des sciences ne peut pas se concentrer d’être une sorte d’épistémologie analytique. Je crois que vous aurez remarqué comme moi, en comparant ce qui se pratique sur Coruscant et ce qui se passe sur la Bordure, que la déontologie, comme tout système de règles, est aussi l’instrument des rapports de pouvoir. Seules les organisations les plus complexes et les plus fortunées sont en mesure de satisfaire aux exigences d’une bureaucratie qui cherche à réguler, et qui régule souvent à leur demande explicite ou officieuse, tandis que ceux qui n’ont pas les moyens de financer des comités d’éthique, des audits extérieurs, des contrôles pour ceci et pour cela, se voient pour ainsi dire justifier leur pauvreté et leur isolement, sous le prétexte de leur barbarie. On trouve rarement de déontologues plus fervents que ceux qui ont les moyens de l’être.

Ils remontaient à présent le couloir du rez-de-chaussée, avec ses chambres toutes identiques, qui n’avaient finalement jamais accueilli de patients, témoins presque oubliés d’un principe de précaution dont le luxe suggérait toute la puissance économique du Consortium d’Hapès.

Et du reste, peut-on réellement croire qu’il existe des principes suffisamment universels pour que les règles de déontologie qui s’élaborent sur Coruscant puissent ne pas faire l’effet d’un colonialisme moral sur telle ou telle planète de la Bordure Extérieure ? On peut ne pas sombrer dans le plus stérile des relativismes moraux tout en jugeant que ce genre de choses doit se décider localement.

Absalom avait toujours été un fédéraliste profondément convaincu, pour la République comme pour l’Empire, effet, à n’en pas douter, d’un éveil à la vie politique commencé lors des missions diplomatiques de son Maître sur les planètes les plus éloignées et les moins intégrées.

De retour dans la première salle qu’ils avaient visité, l’Hapien entreprit de recouvrir les quelques machines dénudées de leur bâche en plastique, avant de réactiver l’unité SHASP. Une nouvelle fois, il dut se reporter aux instructions sur son datapad, preuve que la manipulation des droïdes était loin de constituer son passe-temps favori.

Bientôt, la porte de l’ancien château d’eau se refermait derrière eux et le soleil hapien les inondait à nouveau. À peine furent-ils sortis que la jeune femme qui conduisait le speeder du Sith, la même que la veille, s’approcha de lui pour murmurer quelque chose à son oreille, longuement. Absalom lui prêta une oreille attentive, avant de demander :

Et nos amis sont mécontents ?
Pas au courant, semblerait-il, Seigneur.
Hé bien, espérons que cela continue.

La jeune hocha lentement la tête, avant de rejoindre le speeder, auquel Absalom conduisait également Évadné.

Mais pour répondre à votre question, oui, l’économie a aussi ses carcans. Je ne crois pas que j’aurais pu continuer dans cette discipline, être un véritable chercheur, mes propres observations ne convergeaient pas nécessairement avec la doxa très libérale et intégrationniste qui domine à l’université de Coruscant, où le département est pour l’essentiel un relai théorique des décisions pratiques prises dans les ministères néo-libéraux.
Evadné Publius
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Elle en venait à se demander où Absalom puisait toute cette bienveillance. Il ne l’avait jamais contredit de front, ni ne l’avait rabaissé. En remontant l’itinéraire inverse, Evadné reconnut qu’il aurait fait un excellent professeur. Et cette pensée qui revenait toujours au local séduisait de plus en plus la toute blonde et bouleversait les dogmes établis sur sa maigre expérience de vie. L’odeur de réfrigérants et de produits d’entretiens définissaient encore l’activité fantôme qui persistait en ces lieux : celle de s’assurer que tout reste en l’état, ni plus, ni moins.


L’étoile solaire d’Hapès la couvrit de sa bénédiction dès qu’elle émergea du château d’eau. Galvanisée par sa chaleur, elle ressentit un regain d’énergie. Elle avait l’impression d’avoir mué et d’avoir abandonné son ancienne peau dans les vestiges de ce passé hapien. Elle ne s’était pas sentie aussi petite depuis son entrée à l’université de Trulalis.


-Pourtant, je pressens que vous auriez de bien meilleures qualités en tant que Ministre de l’économie que ce cher Ozmac, plaisanta-t-elle. Vous savez, je peine encore à saisir que j’ai une figure impériale devant moi.


Elle grimpa avec élégance dans le véhicule, attendant qu’il la rejoigne pour poursuivre sur le même ton détendu :


-Vous n’avez ni crocs sanguinolents, ni rire vindicatif déformé. Vous ne m’avez pas appâté dans l’un de vos repaires sinistres pour me torturer.


Un rire clair échappa à ses lèvres et s’exprima jusque dans son regard expressif. Elle n’aurait jamais cru qu’il était possible de partager des moments de joie relative avec un Sith. Cependant, la jeune politicienne se sentait en confiance. Le paysage hapien était des plus intéressants et la présence d’Absalom la mettait à l’aise. C’était là toute l’étendue de sa naïveté.


-Cacheriez-vous un double maléfique ou devrais-je me faire à l’idée que vous resterez d’une compagnie agréable ?


Le land speeder sombre traversait la cité en toute discrétion et l’hôtel fut atteint bien trop vite au goût de Publius. Elle patienta que la dame en charge du transport ouvre la portière et descendit en la remerciant. Sans surprise, il faisait aussi jour qu’à leur départ. L’agitation du centre urbain n’avait pas faibli. Elle regretta presque de devoir quitter Hapès aussitôt le lendemain. Evadné s’était sentie reconnectée à une partie d’elle depuis son arrivée dans le Consortium. Elle avait l’impression que ses gènes répondaient favorablement à l’environnement hapienne, que son corps et ses capacités s’y épanouissaient volontiers. Il n’y avait plus cette crainte d’arriver dans une ruelle frappée par une panne de courant ou de vérifier dix fois par jour que les systèmes de secours tiendraient le coup en cas de défaillance générale. Non, ces questions ne se posaient pas et libéraient donc son esprit d’un complexe pesant.


Vint le temps des adieux lorsqu’ils accédèrent au grand hall de réception. Elle prit un moment pour regarder aux alentours, temporisant leur séparation puis sourit vers Absalom.


-Vous remercierez une nouvelle fois votre mère pour son accueil des plus parfaits. Qu’elle sache bien que toute l’hospitalité lui sera rendue sur Cadezia.


Elle marqua une hésitation et reprit en pesant ses mots :


-Je serai ravie de vous y voir également un jour. Je ne doute pas que vous apprécieriez la vue de Mariner Valley dans les canyons pourpres. Et je connais bons nombres de personnalités cadéziennes qui seraient enchantées de vous rencontrer. Il me semble qu’une partie de la couche populaire ai soutenu votre intervention lors du Sommet Galactique pour la Paix retransmis depuis Ossus. Les hautes-sphères du pouvoir ont peu apprécié la verve de votre pacifisme, mais de là être rédhibitoire. Et si je ne m’abuse, ni ne me permets trop d’illusions, je serai heureuse de vous compter au tristement petit nombre de mes amis.


C’était d’un pathétique. Qui pouvait bien se vanter d’avoir peu de succès en société ? Décidément, elle devait avoir une sorte de fétichisme à exposer ainsi tous ses flancs. C’était un appel au coup de taille. Mais après tout, ne lui avait-elle pas avoué la veille avoir sacrifié tout lien social afin de réussir à mener deux fronts professionnels ? Au loin, dans la foule de la clientèle, la voix d’une Chiss cria le nom de la toute blonde, faisant de grands signes pour attirer son attention :


-Docteur Publius, nous sommes là !


Evadné eut une mimique embarrassée.


-Je crois que le reste de la délégation m’attend.


Elle s’inclina dans une révérence hâtive dont la gestuelle porta à la fois des excuses et des aurevoirs. Puis elle se détourna vers l’immensité du hall, fendant ses occupants pour rejoindre la bruyante professeure Okoye qui ne cessa d’héler son nom que lorsqu’elle fut à un moins d’un mètre. Quand elle se détourna pour espérer apercevoir la chevelure blonde d’Absalom, elle ne vit que l’anonymat de l’affluence et des visages préoccupés. Sa collègue au derme bleu rattrapa son attention en lui présentant un sac rempli de cadeaux-souvenirs.


-J’ai pensé à vous prendre deux-trois petits trucs aussi.


-C’est…bien aimable, la remercia Evadné avant de saluer le reste du groupe.


Ensemble ils se dirigèrent vers le restaurant de l’hôtel pour profiter de leur dernier repas sur Hapès.


Absalom Thorn
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Évidemment que non, répondit le Seigneur Sith quand la jeune politicienne évoqua ses crocs peu sanguinolents, je suis végétarien.

Et les animaux qui périrent par millions lorsqu’il draina avec ses acolytes l’énergie de tout un continent de Kano-IV le remercièrent sans doute de cette délicatesse.

Les portes du speeder se refermèrent sur eux et la berline s’éleva de quelques centimètres du sol, avant de s’engager dans les rues, en direction de l’une des rampes d’accès aux voies supérieures qui s’enroulaient autour de certains bâtiments. En quelques minutes à peine, ils eurent laissé derrière eux les profondeurs de la ville, où l’ancien hôpital avait recommencé à dormir dans son demi-secret.

Ceci étant dit, tous les impériaux, et tous les Siths, loin de là, ne partagent pas nécessairement ni mes opinions, ni mes attitudes. S’il est indubitable que la vision que l’on en nourrit au sein de la République est déformée pour des raisons bien compréhensibles qui tiennent à la fois à la guerre et à l’influence de la secte jedi dans les plus hautes instances du pouvoir exécutif, il n’y a pas de laser sans blaster, comme dit le diction populaire.

Absalom ne savait pas lui-même si cette mise en garde naissait d’un souci sincère de préserver Évadné des mauvaises surprises que la politique galactique était susceptible de lui réserver ou s’il opérait par souci d’offrir une image d’autant plus crédible qu’elle serait nuancée.

Mais j’ose espérer que nous aurons bien des occasions de nous revoir et je vous propose de réserver à d’autres jours ces sobres considérations sur l’Empire. C’est, après tout, pour une politicienne telle que vous, un sujet d’intérêt à la fois inévitable et bien compréhensible, et la paix entre nos deux nations ne pourra jamais être durable, tant qu’elle ne se fondera pas sur une connaissance mutuelle qui aille au-delà des matériaux de propagande.

Qu’il avait largement contribué à concevoir, certes.

Je vous laisse en tout cas copier mes coordonnées personnelles, si jamais vous deviez avoir besoin de me joindre, et vous me feriez honneur si vous me contactiez précisément sans en avoir besoin, dit-il en déposant son datapad entre eux, sur la banquette arrière, tandis que le speeder s’engouffrait sous les arches du garage de l’hôtel.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient dans le même hall que la veille, où régnait la même agitation, et Darth Noctis recevait ce qui tenait presque lieu d’invitation officielle.

Évadné, je vous l’ai dit, et je vous en assure, ce serait un plaisir pour moi de visiter votre planète. La trêve et la création de l’Alliance sont des conditions favorables à ma présence, mais il vous appartiendra, je le crains, et croyez bien que je regrette de faire peser sur vous une tâche aussi fastidieuse, de vous assurer que ce voyage ne mettrait pas en péril de fragiles négociations. Je ne doute pas au demeurant que vous saurez raisonner vos interlocuteurs et leur montrer que les paix sont d’autant plus durables que des liens se nouent à l’échelle locale, secteur par secteur, entre les planètes des deux côtés de la frontière. Et quand malgré tout vous ne parviendriez pas à me recevoir comme impérial…

L’ambition de la jeune femme, et surtout son désir de faire la démonstration de ses aptitudes à ceux qui avaient plus d’expérience et qu’elle admirait, n’avaient certes pas échappé au Seigneur Sith, qui évoquait ainsi la possibilité de son échec que pour mieux l’engager à dévouer toute son énergie à la réussite. Darth Noctis savait pertinemment que les frontières étaient toujours poreuses, et souples : plus des planètes républicains le conviaient sur leur sol, plus il était difficile au gouvernement central de prétendre le bannir de manière générale.

… vous pourriez toujours vous rabattre sur ma qualité de citoyen hapien. Sur ce…

On venait d’appeler Évadné et Absalom jugeait de toute façon que ce défi avec lequel il la laissait constituait une excellente conclusion. Il la salua en s’inclinant légèrement, comme il en était l’usage et, après l’avoir suivi du regard quelques instants, rejoignit celle qui le conduisait et qui patientait près du turbolift.

Rien de particulier, demanda-t-il, quand les portes de l’ascenseur se furent refermées sur eux ?
Non, Seigneur, répondit la jeune femme. Autant que nous puissions en juger, elle est très exactement ce qu’elle dit être. Médecin. Politicienne en formation. Un père influent. Un prétendant sur Cadézia. Moitié timide, moitié déterminée. Mais nous pouvons poussons les investigations plus loin, si vous soupçonnez quelque chose…

Darth Noctis secoua légèrement la tête. Ses ressources étaient limitées et il ne comptait les employer à détromper des intuitions personnelles qui recoupaient les premières conclusions de ses Acolytes. Il fallait savoir se fier à son instinct.

Dites à Darth Memoria de me compiler un rapport sur Cadézia. Une approche généraliste, puis un angle particulier sur la situation de la classe populaire.
Bien, Seigneur.

Sa mère ne pourrait décidément pas lui reprocher de manquer de zèle.
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