Karm Torr
Karm Torr
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Marley était mort : voilà le début. Aucun doute possible sur la question. Le registre de sa sublimation gazeuse dans les vastes incinérateurs des Pompes Funèbres de la ville avait été signé par le révérend-père, l’employée de la mairie, le préposé à l’incinération et la représentante de la guilde des pleureuses. Scrooge avait signé le registre, et le nom de Scrooge, c’était bon comme les crédits, quand il décidait de s’en mêler. Le vieux Marley était mort comme un Neimoidien face à un déficit.

Conséquemment, les pompes funèbres, qui portaient bien leur nom, s’étaient mises à pomper, et funèbrement. Le corps du vieux Marley, par un miracle de la technologie qui valut à son inventeur, en 21 502, le professeur Zubratilius Elopilius Nicotoma (79 ans), taxidermiste renommé dans toute la Bordure, capable dans sa jeunesse, disait-on, d’empailler un bantha et de formoliser un rein de Hutt en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « miam », le Prix de l’Innovation Scientifique d’Apalaxia, le corps du vieux Marley, donc, par l’action d’une titanesque chaleur, avait été transformé en gaz et les gaz pompés par le fourneau, puis injectés dans des tubes à très haute pression, qui vinrent ensuite alimenter la propulsion cahotante du train anti-gravité reliant les villes de Cooueix et Lokatoan, de part et d’autre du désert.

On avait bu à sa santé, on s’était rappelé les moments les plus glorieux de son existence, c’est-à-dire qu’on les avait inventés, et puis la vie avait repris son cours, un cours imperturbable et laborieux, alors que Lokatoan plongeait chaque jour un peu plus dans cette obscurité froide et uniforme qui annonçait le solstice d’hiver.

Personne n’aurait cru que le vaisseau branlant qui s’était posé un matin d’hiver dans l’un des hangars de l’astroport, ni que la petite silhouette encapuchonnée qui en était sortie, allait troubler la quiétude industrieuse de Lokatoan, ni tirer de la nuit d’un oubli précoce le nom de Marley, depuis longtemps pulvérisé à bon escient par les moteurs de l’express pour Cooueix.

Personne, peut-être, sauf la Vieille Velue. Elle avait guetté le vaisseau tous les matins depuis trois jours, et quand la silhouette était sortie de l’aéroport, elle l’avait sifflé depuis le coin de la rue, entre les trois dents qui lui restaient en haut. Dans le brouillard des premières heures du jour, si toutefois on pouvait encore parler de jour en plein hiver, elle avait vu les yeux là-dessous briller d’une lumière singulière, et elle avait su qu’elle ne s’était pas trompée.

La silhouette s’était rapprochée d’elle, enveloppée par son aura de mystère, et elle avait murmuré ces mots fatidiques :

La vache, dis donc, ça schlingue encore plus que d’habitude.
C’est l’usine à Scrooge, répliqua la Vieille Velue de sa voix rauque, en désignant les grosses cheminées qui des hauts fourneaux qui s’élevaient au milieu des immeubles et que l’on apercevait, même à une dizaine de kilomètres de là. Elle a doublé sa production depuis qu’il a racheté le grand gisement du désert.
Hmm, fit avec sagacité la silhouette, ce qui prouve qu’elle était philosophe.
Par là, répliqua la Vieille Velue.

Elle le conduisit dans le dédale des rues du quartier ouvrier, indifférente à la crasse et à la commotion perpétuelle des gamins croûteux qui sortaient par tous les soupiraux, qui pour aller travailler à l’usine, qui pour soulager les bourgeois imprudents, dans les halles marchandes, de leurs crédits manifestement superflus.

Après une dizaine de minutes, la Vieille Velue enfonça une porte plutôt qu’elle ne l’ouvrit, en maugréant :

Satané système.
J’peux réparer ça pour toi, fit le capuchon et le reste de la silhouette avec.

La Vieille Velue agita sa large main.
La silhouette rejeta son capuchon en arrière et sous le capuchon — quelle surprise ! — il y avait une tête, qui appartenait à un Jedi.

Tu m’en dois une, déclara la Vieille Velue de but en blanc, comme si elle avait peur que n’importe quel délai employé à des amabilités mondaines, échangées là dans cette cuisine-salon-chambre à coucher, empuantie par les rejets des cheminées de Scrooge, ne délient celui qui se tenait devant elle.
Je sais.
Pour les ruines dans le désert.
’me souviens.
C’est moi qui t’ai montré.
Je sais, je te dis, puisque je suis venu.
Bon, fit la Vieille Velue d’une voix sourde, avec cet air de méfiance propre à celles qui ne sont pas habitués à ce qu’on leur tienne parole.

Elle était vieille, elle était pauvre, elle n’était pas tout à fait humaine, un sixième wookie, comme disait les gamins dans la rue, alors elle avait pris l’habitude à supporter toutes les petites trahisons du quotidien. Karm était le premier et le seul Jedi qu’elle rencontrerait jamais. Personne ne venait sur Apalaxia sans une bonne raison, alors on n’y rencontrait pas beaucoup de monde.

Je. Hm. J’avais un ami.

Elle avait dit ça à voix basse, avec le même air honteux que d’autres auraient mis à avouer une nuit d’orgie avec des Ewoks. Elle, la Vieille Velue, un ami ? C’était indécent, presque contre-nature.

S’appelait Marley. Un bon gars. Un artisan. C’est respectable, un artisan.

Elle darda ses yeux jaunâtres sur l’Ark-Ni, comme si elle attendait de lui une confirmation sociologique, en signe de bonne volonté.

Très respectable, renchérit opportunément Karm.
Bon. Mon ami, il avait une fabrique de jouets. Un atelier. NOEL. Nouvel Ouvroir de l’Émerveillement et de la Légèreté. Il en donnait à chaque solstice pour les gamins. C’est bientôt le solstice. Les gamins auront rien. C’est Scrooge qui a racheté l’atelier.
Celui des usines ?
Oui, confirma la Vieille Velue d’un air sombre.
Le mec se lance dans le jouet ?
Il veut raser l’atelier pour agrandir sa villa, à ce qu’on dit. Même qu’il aurait commandé des droïdes de terrassement à Coruscant. À Coruscant.

Elle avait insisté sur le nom de la planète, comme si le plus scandaleux, dans toute cette histoire, ce n’était pas la mort de Marley, le solstice ruiné des gamins des rues ou même l’opulence de Scrooge, mais le fait que qui que ce soit, sur Apalaxia, eût la prétention de commander des choses en provenance de Coruscant.

Et du coup ?
Marley a été tué.
Tué… ?
On l’a retrouvé pendu.
Ah.
Ils disent qu’il avait des dettes. Qu’il jouait. Marley ne jouait pas. C’était un gars tout ce qu’il y a de plus…

Elle mima un carré avec ses mains.

Carré, suggéra Karm ?
Voilà, confirma la Vieille Velue.

La Vieille Velue dut interpréter le flegme indéchiffrable de son interlocuteur pour une marque de scepticisme, parce qu’elle s’empressa de préciser :

J’ai des preuves.

Karm haussa un sourcil.
Quelques minutes plus tard, la Vieille Velue, après avoir administré une série de coups de poing réparateurs à un vieil holoprojecteur de salon, affichait l’image des derniers instants de Marley, c’est-à-dire le moment où deux hommes encagoulés lui étaient tombés dessus, dans son atelier, l’avait étranglé puis l’avait pendu aux barreaux de la galerie métallique de son atelier.

Après avoir regardé d’un air impassible la vidéo, le Jedi demanda :

La police… ?
Autant envoyer directement l’enregistrement à Scrooge.
Je vois.
Marley, il m’avait donné les codes de son atelier. Pour que je surveille quand il prenait le train pour livrer des jouets à Cooueix. C’est tout ce qu’il y a de plus authentique.

Pour donner du poids à ses paroles, la Vielle Velue jura comme on le faisait sur Apalaxia, c’est-à-dire en crachant par-dessus son épaule droite. Karm resta quelques instants abîmé dans sa réflexion, avant de déclarer d’un ton égal :

J’m’en occupe.

Un quart d’heure plus tard, il avait réintégré son vaisseau emprunté à l’ExploCorps. Théoriquement, la réglementation municipale interdisait de résider dans les vaisseaux à quai : c’était mauvais pour l’industrie hôtelière. Mais depuis le passage du décret, l’industrie hôtelière de Lokatoan s’était réduite à quelques maisons de passe des quartiers ouvriers et une certaine tolérance avait été consentie pour les voyageurs venus d’au-delà le secteur.

Il s’agirait de ne pas trop effrayer le bourgeois.

Chevalier Karm.

La voix de la Maître dont le buste se détachait au-dessus de son holoprojecteur était nasale, mais c’était probablement parce qu’elle avait nez qui faisait deux fois la taille de sa tête (cornes temporales non comprises). En quelques mots, Karm résuma sa situation.

Ainsi, c’est à elle que nous devons la redécouverte du Médaillon de Maître Alava Kom J’Tepousse.
Un artefact inestimable.
En effet, murmura la Jedi, en caressant pensivement son spectaculaire appendice nasal. Et vous souhaitez donc… ?
Qu’on m’adjoigne une Sentinelle. Les enquêtes, c’est pas ma spécialité, forcément, et la situation locale a l’air… Tendue.
Je ne suis pas sûre que nous ayons des enquêteurs sous la main, mais une Sentinelle, peut-être… peut-être bien…

Il y eut un silence alors qu’elle consultait les données de la console en face d’elle.

Ah, fit-elle, d’un ton un peu réticent.
Mais encore ?
Il y aurait bien quelqu’un de disponible.
Mais… ?
Mais je crois qu’il serait préférable que vous interrogiez vous-même d’éventuels témoins.
Parce que… ?
Vous connaissez peut-être la Chevalier H'phedia Kith'Araquia… ?
Araquia, répéta l’Ark-Ni
Voilà.

Karm haussa les épaules.

Ce sera parfait, répondit-il d’un ton tranquille.

Huit pattes de plus ne seraient pas de trop pour sauver NOEL.
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Il était vrai que la vie d'un Jedi comptait ses moments de solitude, ou de retraite méditative comme on disait. Mais l'Ordre restait une collectivité, ainsi il n'était pas rare que des missions soient menées à plusieurs ou qu'un chevalier vienne en aide à un autre, comme c'était actuellement le cas. La jeune araignée avait en effet été appelée pour porter assistance au Chevalier Karm Torr, ce dernier était un membre éminent de l'Explocorp et s'était distingué à de très nombreuses reprises au fil des années. Cependant, l'objet de sa mission n'avait aucun rapport avec la découverte d'un monde inconnu ou quelque chose de ce genre. Il s'agissait d'une affaire de meurtre, ce qui effectivement sortait du domaine de compétence de celui qu'on surnommait « Le Chevalier au Slip » dans les couloirs du Temple. Comment exactement l'Ark-Ni s'était-il retrouvé mêlé à ça, elle n'en était pas certaine, toujours était-il qu'un crime avait été commis et qu'il ne saurait rester impunis. Le dossier de l'affaire qu'elle avait reçu était à la fois complet et incomplet : On savait qui était la victime, mais son corps avait été incinéré. L'on disposait cependant d'un holo-enregistrement montrant le crime littéralement en train d'être commis, sans pour autant que les coupables puissent être identifiés. Sans compter que tout cela avait l'allure d'un acte commandité. Oui, un travail d'enquête était nécessaire.

Un autre problème vient alors se poser, la planète où elle devait se rendre, Apalaxia, était l'archétype même de ce qu'on appelait un « Trou Paumé ». Il lui fallut s'y prendre à deux fois, voire trois, pour parvenir à la trouver, et presque autant pour parvenir jusqu'à elle, ce qui entraîna un léger délai entre l'appel et son arrivée effective.

Lorsqu'elle posa enfin son chasseur, spécialement conçu pour sa morphologie, dans ce qui tenait lieu de Spatioport à Lokatoan, la ville où le Chevalier Torr l'attendait, H'phedia reconnut instantanément la touche « Bordure Extérieur » du lieu. Un monde à demi-conquis lors d'une lointaine vague de colonisation et à demi-oublié depuis, où ne demeuraient que ceux qui ne pouvaient pas partir et celui qui était parvenu à sécuriser pour lui les seules richesses disponibles, régnant sur les autres comme un roi. Pourtant, ce monde faisait encore partie de la république, et il avait grand besoin de la visite d'un Jedi.

S’extrayant de son vaisseau la jeune araignée fut assaillie par la saleté ambiante, tout, des murs jusqu'à l'air qu'elle respirait était saturée de suie. L'immense complexe industriel qu'elle avait aperçu en arrivant ne devait pas y être étranger. Le Jedi Explorateur l'attendait dans son propre vaisseau, mieux valait ne pas parler de ce genre de chose là où on pourrait les entendre. H'phedia était polie, aussi frappa-t-elle à la porte du vaisseau avant d'entrer, avec quelques difficultés, le sas n'étant pas tout à fait à sa taille, l'ark-ni étant lui-même d'assez petite taille par rapport à un standard, ce malgré qu'il soit un adulte.

« Salutation... Chevalier Torr. » S'annonça-t-elle. « Je suis la Sentinelle H'phedia Kith'Araquia... mais vous pouvez juste m'appeler H'phedia... c'est plus court... Je suis celle qui a été envoyée pour vous assister dans cette enquête... J'ai bien reçu le dossier qui vous m'avez envoyé et j'en ai déjà tiré quelques conclusions...

« La victime s'appelait Marley... Son meurtre a été maquillé en suicide... Son corps incinéré pour effacer toute trace... Cependant un témoin... Une certaine... Vieille Velue ?... Avait un holo-enregistrement montrant le crime être perpétré... Les coupables sont deux humanoïdes qu'il ne nous ait cependant pas possible d'identifier à partir de ce dernier... Au vu de son témoignage... Tout semble indiquer que ce meurtre aurait été commandité par un certain Scrooge... industriel local... dans le but de s'emparer de sa boutique de jouets pour agrandir sa résidence... un motif des plus égoïstes...

« Cependant... Nous n'avons pour l'instant que des preuves indirectes... Retrouver les deux assassins est donc notre priorité car eux seuls pourrait nous permettre de remonter jusqu'à Scrooge... Cependant... Même si nous parvenons à prouver sa culpabilité... Il semble avoir la mainmise sur le système judiciaire d'au moins cette ville... Si nous voulons qu'il soit jugé il nous faudra l'emmener hors-monde après l'avoir arrêté... Et l'arrêter ne sera pas nous plus facile... Outre ses éventuelles tentatives d'attenter à notre vie au cours de notre enquête s'il se rend compte que nous sommes sur sa piste... Son argent lui permet sûrement de se payer une force de sécurité personnelle...

« Mais nous verrons cela en temps voulu... Avant tout autre chose il nous faut examiner la scène de crime... Afin de voir s'il reste des indices qui nous conduirons aux assassins... Vous semblez avoir une certaine connaissance de cette planète... Pouvez-vous me guider jusque-là ? »
Karm Torr
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Il avait fallu attendre, et Karm en avait profité pour se plonger dans les gazettes locales. C’était à peu près tout ce qui existait comme source d’informations sur Scrooge, à moins de se rendre aux archives municipales, ce qui n’eût pas manqué d’attirer l’attention. Les journaux du cru, dont les gros titres défilaient sur le terminal de lecture de son vaisseau, tandis que le synthétiseur vocal lisait à haute voix les articles, l’Ark-Ni étant par ailleurs occupé à ses exercices, étaient universellement dithyrambiques. Nul doute que Scrooge en possédait une partie et qu’il graissait la patte du reste des journalistes.

C’était un triste spectacle de la Bordure Extérieure, mais un spectacle commun. Il suffisait de venir s’installer avec un peu plus de patrimoine que les autres et, dans les conditions difficiles qu’offraient des planètes peu développées, on pouvait s’accaparer intelligemment les rares ressources essentielles puis régner comme un maître. De ce que Karm en comprenait, Scrooge raffinait les minerais extraits du désert, avant de les envoyer par aérotrains vers la capitale de la planète, des centaines de kilomètres au sud, où on les chargeait dans les vastes cargos en partance pour le noyau.

Sur Scrooge lui-même, les informations étaient rares, ou en tout cas peu fiables : les journaux le dépeignaient comme un inventeur brillant, qui avait révolutionné l’extraction minière et inventé toutes sortes de machines pour ses usines, un homme qui, en somme, ne devait sa fortune qu’à l’étendue de son génie. Il y avait peut-être du vrai là-dedans, songea Karm, mais sans aucun doute Scrooge avait une histoire plus complexe et moins héroïque que ne le suggéraient les journées.

Bip bip, intervint son droïde, quand il détecta l’arrivée d’un autre chasseur portant des codes d’identification de l’Ordre Jedi.
Dirige-la vers notre position.

Le Chevalier disparut un instant dans sa cabine exiguë pour une douche express et, une fois rhabillé, il attendit sa consœur pour l’accueillir. L’apparence de l’Araquia ne lui arracha pas la moindre réaction, d’abord parce qu’il avait l’habitude de toute la diversité de la Galaxie, explorateur qu’il était, et ensuite parce qu’il s’y était préparé.

J’pense qu’on peut accéder à l’atelier de Marley sans trop de problème, la Vieille m’a refilé les codes d’accès, répondit-il, après l’exposé de la Sentinelle. Va peut-être falloir faire deux ou trois détours, pour éviter d’attirer l’attention. C’est pas la ville la plus passante de la planète et la majorité de la population est humaine.

Karm n’avait pas pris de détour pour évoquer l’apparence singulière de sa coéquipière du jour. Selon lui, entre Jedis, mieux valait se dire les choses sobrement et directement, plutôt que de tenter d’enrober la vérité : c’était une question d’honnêteté tout autant que d’efficacité.

Heureusement, avec la solstice…

Les données astronomiques d’Apalaxia n’étaient pas encourageantes pour l’hémisphère sur lequel ils se trouvaient : en entrant dans sa longue saison hivernale, cette partie de la planète serait plongée dans une demi-obscurité presque permanente, en ne jouissant que de trois ou quatre heures quotidiennes d’un soleil froid et blafard. Mais pour les deux Jedis, cette nuit quasi perpétuelle pouvait s’avérer un avantage.

Karm enfila un manteau dont il rabattit la capuche bordée de fourrure synthétique sur sa tête. Tout humanoïde qu’il fût, il n’adoptait pas la bure des Jedis et c’était probablement préférable pour leur mission du jour. Les deux Jedis s’engagèrent dans une série de ruelles crasseuses, en quittant l’astroport. Presque à tous les coins de rue, par-dessus les immeubles, on voyait s’élever les panaches sombres qui quittaient les cheminées des grands fourneaux de l’usine Scrooge, et l’air avait quelque chose d’acre et d’oppressant.

Karm passa son index sur la façade d’un bâtiment et le tendit à la Sentinelle, pour qu’elle puisse constater la couche de suie sombre qui couvrait les murs.

’Zont des problèmes respiratoires en cascade, murmura-t-il, en poursuivant son chemin, et l’hôpital le plus proche est à une bonne heure de train anti-grav’, de l’autre côté du désert. Pas de sécurité sociale publique, la majorité de la population est employée chez Scrooge, qu’a une espèce de contrat minimal avec une société d’assurance médicale privée.

Même si l’Ark-Ni n’était pas très expressif, comme d’habitude, sa désapprobation se devinait facilement dans sa voix.

Un quart d’heure plus tard, il avait atteint un petit bâtiment qui ressemblait à une ancienne manufacture, avec son toit en dents de scie. L’atelier du défunt Marley était presque adossé à un haut mur qui paraissait comme trancher la ville.

L’domaine de Scrooge, expliqua Karm.

De l’autre côté, à ce qu’on racontait, se trouvait le seul espace vert de la ville et un luxueux manoir, mais en vérité, le Jedi n’avait jamais rencontré personne qui y eût été invité.

Pour l’heure, il composa les codes fournis par la Vieille Velue sur le cadran extérieur et le verrou magnétique de la porte fit entendre un vrombissement, avant que l’Ark-Ni ne pût la pousser. De l’autre côté, l’atelier à proprement parler occupait la majorité de la superficie des lieux : trois longs établis étaient disposés en parallèle et, au plafond, au-dessus de chacun d’eux, des rails couraient, sur lesquels on avait fixé des bras robotiques qui assistaient ordinairement le travail. Sur les établis eux-mêmes, on trouvait des jouets plus ou moins décomposés, ou plutôt en train d’être composés, de petits speeders, des automates animaliers ou des modèles de l’aérotrain.

Au fond, une porte menait sur la réserve de matériaux, où des caisses soigneusement étiquetées s’alignaient en bon ordre sur des étagères. Il y avait un escalier métallique dans la pièce principale, qui montait à une galerie supérieure, où l’on devinait un lit et une petite cuisine : Marley vivait où il travaillait et il avait trouvé la mort dans cet endroit qui faisait à peu près tout son monde.

Ça a l’air d’être celle-là, fit Karm, en désignant la rambarde de la galerie supérieure, dont la disposition correspondait en effet à celle où les deux Jedis avaient vu Marley pendu, sur l’enregistrement holographique.
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La voix du chevalier était comme un murmure, peu de mots et d’inflexions, pas de superflu ou de figure de style, juste ce qui était nécessaire. Ainsi, accéder à l’atelier en lui-même ne serait pas un problème, mais y parvenir demanderait un peu de discrétion, elle ne faisait pas très couleur locale après tout. Elle comprenait, c'est d'ailleurs ce qu'elle lui dit.

« Je comprends... Cela ne sera pas un problème... Malgré ce que ma taille et mon apparence laisserait penser... la discrétion est l'une de mes spécialités... »

Ce qui était vrai, elle descendait d'une espèce de prédateur après tout, faire profile bas, rester silencieuse et se jeter sur sa proie au dernier moment, tout ça c'était dans ses gènes. Et il y avait la Force qui venait s'ajouter à tout cela, lui permettant de se dissimuler avec une grande efficacité.

Ainsi donc s'engagèrent-il tous les deux dans les ruelles tortueuses de la ville, avantagée qu'ils étaient par la configuration astronomique de la planète qui plongeait l'endroit dans une pénombre quasi perpétuelle. À défaut d'un manteau à capuche épaisse, la jeune araignée s'enveloppa d'un voile née de la Force, se rendant ainsi quasi invisible. C'était un petit tour qui marchait assez bien tant qu'elle s'abstenait de faire des mouvements trop brusques ou des actions sortant trop de l'ordinaire. Elle ne cacha pas sa présence dans le Force, cependant, pour que son partenaire puisse toujours la repérer mais aussi parce qu'elle doutait qu'un sensitif soit impliqué dans cette affaire.

Au cours de leur trajet elle fut à nouveau frappé par la crasse abjecte qui semblait imprégner tout et toute chose, la conséquence d'avoir bâti une ville d'autour d'une usine qui n'avait pas semble-t-il pas la moindre considération sanitaire et environnementale. La conception, « civilisé » disons, de la chose était de séparer habitation et fabriques, surtout pour ceux qui n'y travaillaient pas, allant même parfois jusqu'à délocaliser l'industrie sur orbite, mais ce n'était pas le cas ici. Le chevalier Torr lui expliqua que les conséquences étaient loin d'être purement esthétiques.

« Ça les tue à petit feu. » Fut sa seule réponse.

Un petit quart d'heure de détour plus tard, ils arrivèrent enfin à l'atelier, ce dernier quasiment mitoyen à l'imposant domaine de Scrooge, ce qui rendait le mobile de l'extension de plus en plus plausible. H'phedia ne put s’empêcher de comparer le complexe à une tique démesurée, aspirant lentement la substance de ce monde. Elle se dit ensuite qu'elle ne savait pas ce qui était le pire, que la situation serait peut-être encore moins reluisante sans Scrooge ou que si ça n'avait pas été lui ça aurait été un autre.

L'enquête commença au moment même où l'Ak-Ni entra les codes d'accès, en fait, les codes eux-mêmes en faisaient partie.

« Intéressant, dit la jeune araignée en regardant le digicode, je ne vois aucune trace d'effraction... Cela peut signifier plusieurs choses... soit les meurtriers sont entrés par un autre endroit... soit Marley ne verrouillait pas son atelier quand il l'occupait... soit il a invité ses assassins à entrer en ignorant ce qu'il attendait... »

Ça faisait beaucoup de « soit », et elle n'avait pas encore terminé.

« Sans compter qu'ils aient pu obtenir le code par un autre moyen... Ou simplement faire disjoncter le verrou avec l'outil adéquat... Ce n'est pas vraiment ce que j’appellerais de la haute-sécurité... Beaucoup de possibilités... Voyons si nous pouvons les réduire... »

Et sur cela ils entrèrent enfin dans l'atelier en lui-même. Depuis le palier la sentinelle commença à balayer l'endroit du regard. Les fenêtres, placées presque au niveau du plafond, captaient tant bien que mal la lumière du soleil hivernal, baignant l'endroit dans une lueur blafarde. Tout était à l'abandon, mais pas depuis suffisamment longtemps pour que l'entropie puisse avoir fait son œuvre, aussi on aurait dit que son occupant s'était simplement absenté précipitamment, mais il ne reviendrait jamais. C'était une tombe, aussi calme et paisible qu'une tombe puisse l'être, une tombe vide. Difficile de croire qu'il y avait eu un meurtre ici, et pourtant.

« Maintenant que j'y pense... Nous sommes les troisièmes à passer ici... D'abord les meurtriers... ensuite ceux qui ont découvert le corps et ont dû le décrocher pour les funérailles... et enfin nous... Je me demande à quel point ils ont couvert leur trace et s'il reste quoi que ce soit à découvrir ici... Je me demande aussi si le moindre travail de police à été effectué... Et... le cas échéant... si les preuves dorment dans le coffre d'un ripou pour lui servir d'assurance... Une autre chose qu'il faudra vérifier... »

Karm lui montra alors la galerie supérieure, le lieu de vie définitivement, et la rambarde. Ils avaient tous deux vu l'holo, alors ils savaient, ils savaient que c'était là que c'était arrivé. En réalité, l'angle était si parfait, leur position si idéale, que s'ils lançait l'enregistrement à ce moment là l'image se superposerait parfaitement sur le décor. Cela n'échappa pas à la jeune araignée, deux de ses six yeux lui permettaient d'observer le cadre de l'entrée sans avoir se retourner, elle cherchait quelque chose, l'origine. Les holo-enregistrements n'apparaissaient pas spontanément, quelqu'un, ou quelque chose, devait avoir pris ces images, maintenant qu'elle était sur place, en ayant le bon angle, elle arriverait à identifier d'où les images avaient été prises.

Là, elle avait vu quelque chose, un peu au-dessus de l'encadrement de la porte. Elle fit finalement volte-face, grimpant sur le mur pour atteindre le petit objet qu'elle avait entraperçu, une holo-caméra.

« Ces images... Depuis la première fois que je les ai vus... Je n'ai cessé de me demander comment elles avaient été prises... et comment cette vielle velue avait-elle pu les obtenir... Ceci... » Elle montra le dispositif à son collègue. « Y répond en partie... Vu que cette personne ne me semble pas le genre à se promener en permanence avec une caméra sur elle... Il devait donc y avoir un appareil sur place... Elle avait les codes pour entrer... Elle l'a bien assez répété... donc elle a dù venir ici pour récupérer l'enregistrement... La question est donc... Quand ?... Juste avant nous ou juste après les meurtriers ?... En fonction de cela elle aura peut-être vu des choses qui ne sont plus là désormais... Cela me permettra aussi de déterminer... au vu de ce que je trouverais dans la mémoire de la caméra... si les meurtriers... ou leur complice... étaient au courant de sa présence ou non... Ce qui nous donnerait une idée de leur compétence... »

Elle voulait savoir s'il y avait plus que ce que la vielle velue leur avait montré. Cela lui semblait peu plausible que l'holo-caméra se soit spécifiquement lancée au moment du meurtre, peut-être avait-elle enregistré des choses ayant eu lieu avant ou après, des indices sur comment les assassins étaient arrivés ou partis par exemple.

Loin de redescendre, H'phedia continua au contraire de monter jusqu'à atteindre le plafond, de là elle aurait une vision d'ensemble de l'atelier et plus particulièrement de la scène de crime, ou des scènes de crimes plus exactement. Car le vieux fabricant de jouets avait d'abord été tué en bas, pris par surprise alors qu'il s'affairait sur l'un de ses établis, ensuite seulement son corps avait été conduit à la galerie pour y être pendu. Tout cela, l'holo le montrait parfaitement, ce qu'il ne montrait pas c'était ce que faisaient les meurtriers quand ils sortaient du champ.

Suspendu à l'un de ses fils de soie, elle se laissa descendre au niveau des établis, s'arrêtant à quelques centimètres seulement du sol. Elle cherchait si quelque chose avait pu glisser sous l'un des plans de travail ou si Marley, en se débattant, avait pu arracher quelque chose à ses agresseurs. Ce n'était visiblement pas le cas, le fabricant de jouets n'avait rien d'un combattant, il n'était pas non plus dans la force de l'âge et ses assassins n'en étaient pas à leur premier tour de piste. Cela fut très vite terminé sans qu'il n'ait pu opposer de véritable résistance, d'où l'état quasi impeccable de l'atelier.

Vint alors le tour de la galerie d'être examinée, elle remarqua la légère déformation de la rambarde là où le corps avait été pendu, mais cela ne lui était d'aucune utilité. L'examen du lit et de la cuisine ne donna guère plus de résultat. Dans un monde idéal, non, dans un monde idéal rien de tout ceci ne serait arrivé. Dans un monde semi-idéal, disons, il y aurait des empreintes ou autre indice des plus évidents pour leur permettre de remonter la piste avant la fin de la journée, mais rien n'était jamais aussi simple.

Cela dit, comparer les événements de l'enregistrement avec la disposition de l'atelier, plus particulièrement l'angle par lequel les tueurs étaient arrivés, lui avait permis de déterminer qu'il était très peu probable qu'ils soient entrés par la grande porte. C'est pour cela que la jeune araignée commença à inspecter les différentes fenêtres de l'endroit, elles étaient situées bien trop en hauteur pour qu'un humain puisse les atteindre sans équipements, mais sait-on jamais.

Il s'avéra que son intuition était la bonne, une fenêtre en particulier, situé sur la façade mitoyenne au domaine de Scrooge et surplombant la galerie supérieure, était différente des autres. D'étranges marques apparaissaient sur le bas de son cadre et quand elle voulut la touche pour l'examiner de plus près, elle lui vint littéralement dans les pattes. Visiblement, elle avait été délogée de son emplacement pour ensuite être superficiellement remise en place, une opération transparente tant que personne ne venait y toucher.

« Karm... Je pense avoir trouvé par où nos assassins sont entrés... et sûrement ressorti... Depuis le mur de Scrooge il est aisé de l'atteindre... surtout avec un outil comme un grappin... ensuite ils ont littéralement démonté la fenêtre de son cadre... la hauteur entre cette dernière et la galerie supérieure est minimale... avec une bonne corde ils sont descendus... et remontés... sans problème... Marley était affairé sur ses établis... le bruit à couvert leur arrivée... la suite nous la connaissons... Ils sont repartis par où ils sont arrivés... remettant la fenêtre en place... plus ou moins... »

Ceci étant déterminé, elle se dit que c'était le bon moment pour examiner l'Holo-caméra qu'elle avait récupéré. Hélas, sa mémoire avait été vidée, non pas que ce soit une grande surprise pour elle. Cependant, elle pratiqua un examen plus poussé des systèmes de la caméra et découvrit l'existence d'une seconde mémoire, un simple historique des opérations passées qui devait exister à des fins de débug et qui n'avait été purgé ; soit parce qu'il n'avait été découvert, soit parce qu'il avait été jugé trop peu compromettant pour qu'on se donne cette peine. Le registre révéla donc quand la caméra avait commencé à filmer, et quand elle avait arrêté, le moment où la mémoire avait été purgée, mais aussi, bien plus important, qu'entre ces deux événements il y eut deux accès à sa mémoire. L'un d'entre eux devant être la vielle velue, l'autre, sûrement celui qui a ensuite effacé les images. Il n'y avait aucune donnée nominative, mais elle ne pu s’empêcher de s'inquiéter pour celle qui fut l'amie de Marley.

« Je viens aussi d'examiner l'holo-caméra... Sa mémoire a été effacée... Mais j'ai pu récupérer un registre des opérations... Deux personnes ont accédé aux images... La vielle velue et quelqu'un d'autre... Sûrement celui qui est venu faire le grand nettoyage... Il n'y a pas de données nominatives... et j'ignore si d'autres l'on consulté à part moi... Mais je m'inquiète pour elle... La crémation du corps... Le rachat... et la démolition future... de l'atelier... on essaye d'effacer toute trace du crime... Si quelqu'un vient à apprendre... ou à supposer... qu'elle sait quelque chose... elle risque elle aussi de se « Suicider ». Et vous... avez-vous trouvé quoique ce soit d’intéressant de votre côté. »
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