L’apprenti approchait de la colonie de Dreshdae dont les lumières artificielles brillaient tel un phare dans l’obscurité nocturne. Les températures avaient chuté avec la venue de la nuit, faisant frissonner le jeune homme.

Il avait délaissé sa bure d’apprenti pour une tenue de voyage plus appropriée à cette mission. Une veste noire à manche courte – quoique trop large pour lui – abritait son sabre laser dans la poche intérieur, et masquait un petit pistolet blaser enfoncé dans son pantalon, noir lui aussi. L’une des ses fines mains, gantées de cuir, tenait la sangle de son sac à dos, dans lequel il avait rangé diverses affaires de rechange, un bloc de donnée et un medpack en cas de problèmes. Sa main gauche était plongée dans sa poche, tripotant anxieusement le communicateur donné par la jeune femme. Pour se prévenir des basses températures et des vents poussiéreux de Korriban, une écharpe pourpre était enroulée autour de son coup, et remontait jusqu’à son nez. Seules les bottes d’apprenti, qu’il appréciait pour leur confort, étaient encore fixées à ces pieds, foulant le sol métallique de la colonie.

La silhouette avançait d’un pas rapide et assuré dans la ville. Il connaissait bien le chemin pour aller jusqu'à la cantina qu’il jugeait la plus fameuse de la planète : le Drunk Side. Kell affectionnait particulièrement cet endroit pour plusieurs raisons. D’abords, c’était un endroit plein de vie qui contrastait agréablement avec l’ambiance meurtrière de l’académie. Et ce même si la plupart des clients étaient des crapules de la pire espèce. Mais ceci était la deuxième raison de son attrait pour ce lieu : il lui serait utile dans le futur de connaître des gens du monde du crime qui, bien que sans foi ni loi, n’en possédait pas moins un savoir faire efficace dans les sales besognes. Enfin, le nombre de pilotes et baroudeurs de la bordure extérieure qui s’arrêtaient ici étaient une source inépuisable de nouvelles sur l’évolution de la galaxie. Et il était toujours bon de se tenir informé, même des plus folles rumeurs.

Halaryn Kell entra dans la cantina comme il avait souvent fait. Lentement et souriant devant ce spectacle de débauche. Quoiqu’on ne put voir son sourire derrière son masque de tissu pourpre, qu’il se refusait d’enlever de peur de respirer trop de vapeurs d’épice. Il scruta la salle dans l’espoir d’apercevoir l’apprenti de Saclès.

*Où est-tu petite peste ?* Lança-t-il pour lui-même.

Ne la repérant pas dans l’assemblée, il projeta la Force dans l’espoir de sentir sa présence. Rien non plus. De toute manière, étant le bras droit de Saclès, la jeune femme devait posséder les capacités suffisantes pour dissimuler son potentiel. La foule présente n’aidait pas non plus. Kell commanda un bantha quick accompagné de deux jus de jumas, salua le barman, et se dirigea vers une alcôve proche de la scène d’où il pouvait observer l’orchestre et les affriolantes danseuses en tenues légères.

Tranquillement assis, il attendit sa commande, les yeux rivés sur le spectacle, la Force surveillant les mouvements autours de lui. Car même si ce lieu respirait la vie, il était très rapide de l’y perdre…

Les minutes s'égrainaient dans l'atmosphère de plus en plus chargée de la cantina où s'amassait une foule de plus dense. L'air s'était épaissi depuis l'arrivée de Kell, traversé par des flashs colorés et par des serveurs et des serveuses faisant montre d'une patience des plus admirables. L'une d'entre elles ne tarda pas à apporter au jeune homme sa commande sur un plateau métallique et rectangulaire :

« Deux jus de jumas, et un bantha quick... Voilà. » dut-elle brailler, avec un air des plus naturels possibles, pour se faire entendre.

« Bon appétit ! » hurla-t-elle dans un sourire.

En surveillant l'entrée des clients dans l'établissement, Kell ne put que constater que la petite peste, qui devait être d'une dizaine d'années son ainée au moins, était soit très en avance et cachée quelque part dans la foule, soit très en retard. L'idée qu'elle ait pu partir sans lui ne pouvait manquer de traverser l'esprit du jeune homme.

Dans la grande salle chaque personne installée semblait décidée à ne pas laisser vacante sa place, sans doute par peur de se la faire prendre pendant son absence par l'un ou l'autre des clients fraichement arrivés. Le jus de jumas n'était pas mauvais, quant au reste, il valait simplement son prix.

« Meuh nannnn j'te dis... ! Allez ! Par ici y'en a... » Braillait un type qui empoignait un rodien par la manche, l'attirant vers la table de Kell.

Il s'agissait probablement de deux fripouilles. Mal rasé et débraillé, l'humain d'une trentaine d'années qui tirait à lui un rodien, bien plus jeune mais aussi mal léché que son compatriote, se posta au contact de la table pour saluer son unique occupant :

« Ahem. Ces places sont disponibles hein ? J'y vois personne, alors... » annonça-t-il avant de s'installer avec son compatriote sans trop prêter attention à la réponse que lui donnait ou non le jeune homme.

Le rodien, à présent assis à côté de Kell, paraissait absorbé par la musique, son corps ondulait littéralement, il avait le rythme dans la peau celui-là ! L'autre, installé face au rodien, se frottait énergiquement les mains :

« Ouah ! » gueula-t-il, satisfait d'on ne sait trop quoi.

Il se mit à remuer la tête en rythme lui aussi avant de reprendre à l'attention de l'homme à l'écharpe :

« Ben ça c'est pas croyable. Pour une fois qu'il pleut sur Korriban...! C'est pas trop tôt, c'est sûr ! Vous savez ce qu'on est, moi et mon collègue ? Je parie que non ! »

Il se tourna brusquement vers son pote qui se tortillait toujours avec les yeux à demi clos, persuadé d'ainsi mieux capter les ondes :

« Hein je parie qu'il ne sais pas ce qu'on fait là !
_ Nonon il nnnn nnne sait pppas c'est c'est c'est c'est sûr ! » bégaya l'autre sans pour autant casser le mouvement...

L'humain revint à Kell, visiblement passionné par le moignon de discussion qu'il avait initié :

« Nous on se casse de ce caillou merdique ce soir. Fini ! On a eu notre eau, c'est ok ! Eh ouais on est comme ça nous ! Ouais ! Nous... On est des scientifiques de l'eau ! On est des... aqualogistes... Eh ouais ! On prélève de l'eau partout dans la galaxie et on l'analyse.
_ L'eau c'est c'est c'est c'est c'est la vie... Hmmmhmmm hmmmm
_ C'est la vie ouais ! Et c'est notre gagne pain ! On est les seuls à faire ça , c'est sûr ! On va devenir riche, oh oui très riche ! »

Il tira d'une de ses poches crasseuses une fiole remarquablement propre compte tenu de l'état de celui qui la brandissait fièrement :

« L'eau de Korriban, Hé ! Qu'est-ce que tu dis de ça l'jeune !? Ca t'en bouche un coin hein ! »

Le quartet composé de trois biths et d'un nikto était toujours en transe, infatigable sur sa scène. Les danseuses, elles, s'étaient déjà relayées une fois depuis l'arrivée de Kell. A bien y réfléchir il était peu probable que l'assistante de Saclès soit partie sans lui, après avoir pris la peine de lui donner un communicateur.

Le besalisk dans la salle se mit a chanter avec une voix puissante, mais pratiquement recouverte par le bruit ambiant. Sa bouche charnue vibrait en exhalant les nuées légères qu'il tirait de son curieux calumet. Les types qui battaient les cartes autour de lui avaient terminé leur partie et quitté sa table, avec une dent en moins, pour avoir été désobligeant avec le chanteur aux bras multiples.

La scène autour de la table à laquelle l'abominable weekay terminait son plat de laz'agnes, non moins abominables, n'avait pratiquement pas bougé. La femme avait vidé son verre et, la cigarette au bec, elle basculait lascivement sa tête en arrière sur son siège auquel était suspendu sa veste de cuir, en étirant ses jambes couvertes par une sorte de collant sombre ceinturé par une sorte de pagne vert asymétrique.

Plus loin, les types tirés à quatre épingles avaient invité à leur table une espèce de trandoshan drogué à qui ils fichaient tous des baffes à tour de rôle en lui faisant manifestement de violents reproches. Le trandoshan semblait réellement minable, et ne faisait pas un geste pour éviter les mains qui s'écrasaient invariablement sur sa tronche décomposée par le cocktail de la peur mêlé à celui qu'il s'était injecté dans les veines quelques heures plus tôt.

Les pilotes éméchés se tenaient à présent affalés sur leur table, tandis que leurs voisins de l'académie se foutaient de leur poire dans un multitude d'injures et de vannes plus médiocres les unes que les autres. L'un des Sith tenait sur ses genoux une serveuse à qui il racontait on ne sait trop quoi pour la faire rougir. Finalement peut-être n'était-ce pas là des Sith mais des guignols déguisés en Sith...

Le gamorréen dansant avait quant à lui fini par tomber, victime d'une malheureuse crise cardiaque, ou d'un comma éthylique, peut-être des deux. Il avait été évacué par les créatures hilares qui l'avaient encouragé à poursuivre son déhanché. L'aqualish n'était toujours pas ressorti des chambres mystérieuses, ni sa compagne d'un soir.

Quant au comptoir, enfin, il ne cessait de s'orner de nouveaux visages défilant comme défilaient les notes endiablées des musiciens. Kell put apercevoir du coin de l'oeil le droïde serveur rouler en direction de sa table, apportant probablement les plats commandés par ses adorables voisins. Sharann n'avait toujours pas donné signe de vie par le biais du communicateur et peut-être valut-il mieux qu'elle n'ait pas à le faire...

Quelques orifices au sol libérèrent à nouveau le gaz parfumé en sifflant, soulevant une nouvelle fois le brouillard acidulé prenant des teintes fluorescente passant du jade à l'azur aveuglant.

Et toujours, toujours, cet orchestre enfiévré qui se démenait sur la petite scène...

A l’arrivée de sa commande, Kell retira son écharpe et retourna son sourire à la serveuse. Un remerciement silencieux en somme. Ses yeux la déshabillaient toujours de la tête aux pieds, même lorsqu’elle se tourna vers un autre client... peut être plus même. Il commença son repas, reportant son regard sur la scène et la pièce. Toujours aucun signe de sa camarade. Aurait-elle osé partir sans lui ? Cette interrogation le troubla, et, couplé à sa contemplation de la salle, il ne sentit que trop tard les deux individus qui eurent tôt fait de s’installer à sa table. Si leurs intentions avaient été hostiles, il serait mort…

Le jeune homme se maudit intérieurement pour cet état de vulnérabilité passagère. La colère commençait à le gagner, et l’attitude irritable de ces deux êtres inférieurs entamait sa patience… surtout celui qui avait engagé la conversation, et qui malheureusement la continuait. Cependant, il ne souhaitait pas casser l’ambiance de débauche de la cantina en sortant son sabre et en décapitant les deux individus. Le patron et les serveuses ne seraient plus aussi agréables avec lui s’il leur faisait de la mauvaise publicité.

Kell posa ses couverts et fit appel à la Force. Le rodien serait sans doute trop saoul ou trop drogué avant de s’apercevoir que sa gorge se comprimait. La main droite de l’apprenti, posée à côté de son assiette, tendit deux doigts discrets vers l’extraterrestre, alors que son avant bras gauche se redressait, perpendiculaire à la table, la paume déployée vers la petite fiole que tenait l’humain. Le but était simple : étouffer le rodien jusqu’à l’inconscience, récupérer la fiole et faire dégager ces deux idiots. Le tout dans la plus grande discrétion, sans attirer l’attention.

*Aqualogiste, pensa-t-il, hum… on en entend vraiment des marantes dans le coin.*

Il mis son plan à exécution, avec un sourire qui n’avait rien d’agréable pour cette fois.

Les yeux du rodien menaçaient de sortir de leur rondes orbites alors qu'il commençait à paniquer sous la force invisible et surnaturelle qui l'assaillait, sous l'oeil inquiet de son compagnon qui suspendit son discours. Les petites mains du rodien s'agitaient frénétiquement au dessus de la table pendant qu'il tentait en vain de déglutir. L'autre, absorbé par le phénomène amorça le rangement de sa fiole pour venir en aide à son compère mais ladite fiole lui échappa de la main pour venir se loger dans celle de son souriant voisin de table. Que diantre se passait-il ? Le regard égaré de « l'aqualogiste » en disait long sur sa surprise et son effroi. Le rodien vit la couleur de sa langue et de sa peau virer imperceptiblement au vert sombre, ce qui restait en bonne harmonie avec l'atmosphère de l'établissement.

L'un des biths entama un solo remarquable alors que ses collègues donnaient en rythme des petits mouvements de tête. Un sourire vint à apparaitre sur les visages des clients les plus attentifs au petit groupe musical.
A la table de Kell, le rodien était secoué comme un panier à salade par son compagnon qui cherchait à lui venir en aide en jetant régulièrement un regard de détresse à celui qui tenait en main la fiole.

« Fais quelque chose toi, tu vois pas qu'il s'étrangle ?! » beugla-t-il, visiblement peu au fait de ce dont un adepte de la Force était capable.

Le droïde de service qui approchait tranquillement termina sa course à la table du rodien qui se débattait, menaçant de renverser le plateau qui lui était apporté. La gesticulation du rodien passait aisément pour une forme de danse avant gardiste et n'éveilla pas l'attention du serveur mécanique. Un idiot attablé non loin se mit même à applaudir l'involontaire performance du pauvre type.

« Allez mon vieux r'prends toi hé ! Arrête tes conneries ! » hurlait l'humain fort inquiet qui tendi une main à Kell.

« Et toi rends moi ça, c'est not' travail ça, not' gagn' pain. Alors joue pas avec ça ! » intima-t-il fermement à son insoupçonné bourreau, en gardant un oeil sur le rodien qui semblait mâcher sa salive pour pouvoir mieux l'avaler.

La petite scène n'avait pas tellement troublé l'ambiance de cet endroit où rixes et accidents étaient relativement fréquents. Kell put sans doute remarquer qu'avoir fait usage de la force avait vaguement attiré l'attention du groupe en uniforme Sith, qui lui adressèrent un regard bref et distrait avant de reprendre leur beuverie. La femme attablée face au weekay s'était elle aussi détournée, affichant des traits que Kell put reconnaître comme ceux de celle qu'il devait retrouver.

« Ho j'te parle gamin ! » beugla le type mal rasé qui tendait encore une main insistante vers sa fiole détenue par Kell.

Le solo du bith venait de prendre fin dans les applaudissements. Sharann, car c'était bien elle, applaudissait aussi, lentement et en fixant du regard le jeune homme, quelque chose suggérait à Kell que son geste n'était peut-être pas destiné au musicien... Sans la capuche d'une bure Sith sur la tête, elle avait une toute autre allure, évidemment. Ses cheveux mi-long et vaguement humides tombaient sur les tatouages de ses épaules. Elle l'observait sans bouger, un bras passé sur le dossier de son siège, bras au bout duquel achevait de se consumer la cigarette qu'elle avait au bec auparavant. Elle n'affichait à priori aucun signe de colère, mais peut-être une pointe d'impatience mêlée à de la curiosité. Ses yeux noisette surlignés au crayon noir semblaient attendre la suite de la scène qui se jouait à la table du jeune homme. Le weekay dépressif finit à son tour par regarder en direction de Kell, intrigué par ce qui retenait ainsi l'attention de celle qui lui faisait face.

Ainsi la jeune femme avait été présente dans la cantina depuis le début. Bien avant son arrivé en fait. Faisant glisser la fiole entre le pouce et l’orbiculaire de sa main pour s’assurer que l’humain ne tenterait rien de stupide, Kell scruta sa consœur quelques instants, une légère lueur de désapprobation dans le regard adoucie par le fait qu’elle dévoilait un certain charme sans sa tenue de croque mort. Son attitude arrogante n’en était cependant pas moins diminuée, ces applaudissements lents et ce regard si fixe pouvaient très bien féliciter un gungan décérébré d’avoir enfin réussi à la remarquer.

Kell relâcha son emprise sur le rodien qui eut tôt fait de s’écrouler dans le plat que venait de déposer le droïde, tentant de rependre tant bien que mal sa respiration. Le jeune apprenti posa ses couverts et les deux vers de jus de jumas dans son assiette déjà entamé, puis rangea la petite fiole nouvellement acquise dans la poche intérieure de sa veste, dévoilant furtivement son sabre laser.

"Je vais garder cela pour le dérangement, déclara-t-il en se relevant à l’attention du vieux crasseux. Si tu veux la récupérer, je te donne rendez vous ici même dans une semaine. Apportes moi quelque chose qui a autant de valeur à tes yeux, et je te la rendrais. Ah… je te déconseille de tenter de la récupérer par la force, tu pourrais y perdre plus que ton gagne pain."

Récupérant son assiette et son sac, Kell se dirigea vers la table de l’étrange couple. Il avait songé à jeter la fiole à travers la pièce, comme on jette un os à un chien Kuath. L’humain aurait probablement essayé de sauver son trésor, bousculant plusieurs clients peu commode sur son passage et, peut être, déclenchant ainsi une bagarre générale. Mais même si ceci aurait été plaisant, il ne voulait pas se faire remarquer d’avantage ou retarder l’expédition de ce soir. Et puis s’il pouvait en retirer quelque chose… il verrait bien.

Bien qu’il leur ait tourné le dos, Kell ne relâcha pas ses pouvoirs, surveillant les deux éléments perturbateurs. Après tout, dans une vaine tentative de vengeance, l’un deux aurait pu sortir un blaster. Mais aucune menace ne semblait provenir de ses arrières, et au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans la foule, il fini par se détendre, adressant à nouveau un radieux sourire à la disciple de Saclès et son étrange compère.

"Pardonnez mon retard, dit-il en déposant son assiette à côté du plat de laz’agnes et le verre de jus plein devant la jeune femme. Un instant, j’ai cru que vous étiez partis sans moi."

Kell s’assit face au mur, tournant le dos à la salle, son sourire contrastant avec la mine renfrogné du weequay. L’esprit toujours alerte à ce qui pouvait se passer derrière lui, le jeune apprenti repris la conversation.

"Au fait chère amie je ne connais toujours pas votre nom."

« Sharann Nassad » répondit l'acolyte de Saclès, en tirant sur sa cigarette, à celui qui prenait place à table.

Elle jeta un oeil rapide sur le verre qui lui était présenté, avant de le faire glisser du bout des doigts, d'un geste délicat, vers le weekay qui posa dessus un regard vitreux et se l'enfila d'une traite.

Les amis « aqualogistes » de Kell affichaient de bien tristes mines. Le mal rasé n'avait pas osé s'opposer à ce vol odieux, suite à la vue de la poignée du sabre dont il savait les Sith équipés. Pour sûr qu'il serait là une semaine plus tard, et avec quelques amis sans doute. En attendant, la fiole était bien au chaud dans la veste du jeune Sith.

« Partir sans toi... » fit Sharann, pensive, avant de se laisser aller à un léger rire moqueur.

« L'idée est séduisante mais je doute que mon maître l'approuve. »

Elle tira à nouveau sur sa cigarette alors que weekay prenait la parole :

« Bon je vous laisse à vos affaires alors... A moins que vous ayez besoin d... » commença-t-il avant que la fumeuse ne lui fasse signe de dégager, suite à quoi il quitta effectivement la table, non sans adresser à Kell un geste bref de remerciement pour la boisson.

La femme se redressa sur son siège et s'accouda sur la table, laissant à Kell tout le loisir de se sustenter tranquillement :

« Nous embarquerons avec le besalisk installé derrière toi, il dit posséder un cargo rapide à destination de Nar Shaddaa près à décoller dans la nuit... »

En terminant sa phrase elle fit signe à la massive créature qui quitta sa place pour se poster derrière le siège vide. Ses quatre puissants bras se croisèrent sur sa poitrine et, sans laisser choir son long calumet, il parla avec une voix dotée d'un timbre extrêmement grave :

« Si on est prêt on décolle ma p'tite dame. Le reste de l'équipage nous attend à bord du Wild Note et... Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »

Sharann observait le besalisk en arborant un demi sourire moqueur que Kell commençait à reconnaître :

« C'est quoi ce nom ringard ? » S'esclaffa doucement la jeune femme.

L'autre, passablement vexé, souleva de l'une de ses grosses paluches ses lunettes noires stylées pour regarder dans les yeux Sharann qui souriait encore et jetait un coup d'oeil amusé à Kell :

« Tu plaisantes ma p'tite dame, ce nom ne te dit vraiment rien ? C'est un bijou de technologie, une pièce unique. Tu en connais beaucoup des cargos équipés d'un hyperdrive de classe 2 et d'un canon à ion ?
_ Hum.. »

Sans attendre de réponse, il se tourna alors vers Kell :

« Un gars comme toi à forcément entendu parler du Wild Note non ? Les jeunes savaient ces choses là de mon temps... Bon c'est pas grave, c'est sûr qu'on n'est pas du genre à faire de la pub partout comme certains. La p'tite dame ne t'a pas encore parlé de moi hein ? » lança-t-il en cherchant une esquisse de répons, en vain, dans le regard de la jeune femme affichant encore cet air hautain et amusé.

Il reprit donc ciller à l'intention du jeune homme :

« Je suis Jeffanth Avi, appelle moi juste Jeff, ça baigne ? » fit-il en remettant en place ses minces lunettes noires.

« Bon... » murmura Sharann, avant d'enfiler rapidement sa veste de cuir et de fermer un sac à dos rudimentaire qu'elle lança sur ses genoux, croisant finalement les bras dessus et lançant un regard faussement patient à Kell.

Le weekay était peut-être dépressif, mais au moins il avait fait preuve de savoir vivre en remerciant Kell pour sa boisson. Sharann avait-elle pensé que le verre était empoisonné ? C’était stupide, il avait besoin d’elle pour le moment. Ou alors, elle n’aimait tout simplement pas le jus de juma. Le jeune homme décida de ne pas s’en formaliser, comme de la réplique désobligeante qu’elle lui avait lancée quelques instants plus tôt. Il se contenta de continuer son repas qu’il ne put finir tant l’assiette était garnie. Il déposa ses couverts et reporta son regard vers la femme, l’écoutant exposée sa planification du départ.

A son signe de main, l’énorme créature que personne ne pouvait manquer de voir dans la cantina les rejoignit.

*Aucune diplomatie, pensa-t-il quand elle eut qualifié le nom du vaisseau.*

Il soupira un discrètement pendant que le besalisk ventait les mérites de son bien qui, selon Kell, devait être le plus précieux. Les baroudeurs comme lui affectionnaient particulièrement leurs vaisseaux, mieux valait ne pas se le mettre à dos en critiquant son petit bijou.

Ni le pilotage, ni la mécanique n’intéressaient particulièrement l’apprenti sith, mais il tendait une oreille particulière aux avancées de la technologie. Bien qu’il se moqua de l’armement spatial en général, la mention du canon à ions et de l’hyperpropulseur de classe 2 montrait deux choses : la première semblait indiquer que Jeff était un pirate, les canons à ions n’endommageant que les composants électroniques, ils étaient parfait pour bloquer un vaisseau et faire main basse sur la cargaison. La deuxième, un modèle hyperpropulseur plutôt récent, prouvait qu’il avait les moyens, et donc qu’il était efficace.

Lorsque le besalisk se tourna vers lui, le jeune homme l’accueillit avec un sourire. Malheureusement, il n’avait jamais entendu parler du Wild Note. Et non, bien sur, Jeff ne devait pas souvent faire de pub pour son travail. Ce serait embarrassant que la personne pour laquelle il voudrait travailler se rende compte se rende compte qu’il lui avait sifflé une cargaison d’épice, d’armes ou tout autre marchandise de valeur.

Kell commençait à apprécier le caractère de dure à cuire de l’extraterrestre, qui devait aimer jouer les aventuriers revenus de tout. Devant la mine impatiente de Sharaan, il se leva récupérant son sac et prêt à suivre le mouvement, mais ne put s’empêcher de prolonger un peu la conversation.

"Je m’appelle Halaryn Kell, annonça-t-il dans un sourire à Jeff. Vu ce que vous avez monté sur votre appareil, je ne devrais pas avoir à m’en faire. Que transportez-vous sur Nar Shaddaa ? Si ce n’est pas trop indiscret, bien sûr."

Quelque fut la réponse du besalisk, Kell hocha simplement la tête sans vraiment l’écouter. L’image du weekay dépressif était revenue en lui. S’agissait-il simplement d’un soupirant en manque d’amour qui s’était heurté à une femme de glace ? Ou alors d’un individu peu content de ce que lui et Sharann avaient parlé ? Et dans ce cas, cela avait-il un lien avec leur mission ?

« Ah ah ah ah...! »

A la question du Sith, le besalisk avait éclaté d'un rire grave et franc, posant par habitude deux de ses énormes doigts sur ses lunettes pour ne pas qu'elles ne glissent sous les secousses qui agitaient l'extraordinaire carcasse de la bestiole.

« Ce que je transporte... commença-t-il de sa voix de basse encore voilée par le rire, je me l'demande des fois... La plupart du temps c'est les deux types un peu bizarres avec qui je voyage... » fit-il en tapotant de l'index sur sa tempe.

Le trio s'éloignait tranquillement de la table autour de laquelle ils s'étaient rassemblés. Jeff fermait la marche en trainant un peu le pas, s'imprégnant encore un peu de la musique des lieux et de l'ondulation envoûtante des silhouettes tranchant dans un nuage verdâtre de gaz parfumé.

Une fois dehors, le choc fut rude, et frais. Prenant la tête du trio pour le mener jusqu'au vaisseau stationné dans l'astroport, Jeff fit un brin de discussion avec ses futurs passager pour passer le temps. Il rangea ses lunettes et fit vibre sa voix basse :

« Vous avez de la chance vous savez, on ne vient presque jamais sur Korriban d'ordinaire. Un type avec une belle prime sur sa tête est venu se planquer ici. Ce gars est complètement ravagé, mais il ne vous dérangera pas, on l'a isolé. C'est pas croyable ce qu'on trouve... »

Le gros continuait à parler en marchant et faisant des mouvements de temps à autre avec ses grandes mains pour appuyer ses propos. La femme, elle, suivait en silence, le sac sur l'épaule et les écouteurs vissés dans les oreilles. Ils pénétrèrent finalement dans l'enceinte de l'astroport où s'amassaient de nombreux vaisseaux éclairés par les projecteurs perçant les froides ténèbres nocturnes, et bientôt, devant eux, se dressait un petit mastodonte de trente et un mètres et demi de longueur : le Wild Note...