Un seul mot. Il n’avait fallu que quatre lettres à son maître pour répondre à la logorrhée verbale du padawan, pour exprimer autant son approbation que son souhait de continuer, de corser l’exercice. Yun n’avait jamais eu besoin de longs discours, d’approbations marquées ou de compliments. En cela, et comme pour tout le reste de son entraînement, il était résolument autonome. A son âge, cela paraissait évident, et il savait parfaitement que c’était l’une des raisons quelque peu pragmatiques qui avaient guidé le choix de Maître Don au moment de choisir son nouvel apprenti. L’épicanthix était capable de rester seul, d’arpenter une voie qu’il s’était assignée, fixée, sans en dévier. Ses doutes, il les exprimait quand c’était nécessaire, et n’éprouvait ni le besoin ni l’envie d’être sans cesse rassuré. Une fois qu’il avait un oui … Il enregistrait la chose. Cela ne voulait pas dire que le processus se faisait sans mal : après tout, l’ancien sith était une véritable machine à questions, une sorte de labyrinthe intellectuel qui le conduisait à tout remettre en cause. Finalement, c’était peut-être pour cela que le colosse se moquait des encouragements à profusion : son credo était de n’avoir aucune certitude, y compris sur lui-même. Impossible de le convaincre qu’il était doué ou bon. Ce qui comptait à ses yeux, c’était simplement qu’on lui signifie qu’il pouvait continuer à avancer, calmement, sereinement … A sa façon.

Peut-être que le vieillard ne se rendait pas compte du plaisir qu’il faisait à son apprenti en l’adouvant ainsi, en ne rejetant pas sa théorie, aussi risquée soit-elle. Il ne remettait pas en cause son ressenti dans les abysses de Lorrd, exprimait sa confiance … Et cela en seulement quatre lettres. Comme quoi, il en fallait peu pour satisfaire un esprit jeune et avide de connaissances, déterminé à faire ses preuves et à progresser sur la voie des jedis. Certes, celle de Yun était plus sinueuse que la moyenne, et les récents événements menaçaient de ne pas faciliter son existence au sein de l’Ordre, lui qui prenait le risque de rendre les rumeurs sur son hétérodoxie supposée fondées. Cependant, il n’en avait que faire à cet instant précis. Il avait l’absolution de son maître. Que lui importait le reste, les murmures qui viendraient avec le temps ? Pour le temps, il pouvait se concentrer sur l’instant présent, profiter de sa précence chaleureuse et apprendre encore un peu plus sur lui-même et sur la Force.

La facilité avec laquelle le Bouclier de Force était soudainement apparu le laissait sans voix, comme abasourdi par cette aisance soudaine qui s’était presque toujours refusée à lui quand il était question de l’entité mystique. Etait-ce réellement un prodige dû à sa nouvelle manière de l’utiliser, de la canaliser, ou bien le produit d’une concentration plus élevée ? Yun avait l’impression de suivre les méthodes habituelles de l’Ordre, à savoir se vider l’esprit pour appeler la Force, seulement au lieu de se concentrer sur ce qu’il désirait faire passer comme message à sa bienfaitrice intangible, il exsudait mentalement l’envie de se mettre au service d’un idéal supérieur, acceptant aussi bien l’échec que la réussite. En quelque sorte, il se soumettait pleinement, entièrement à son jugement, il devenait sa chose, sa marionnette, sa manière d’accéder à la sphère physique durablement. C’était une sensation très étrange, de s’abandonner ainsi tout entier, de lâcher complètement prise, comme si le monde extérieur n’était plus rien, ou alors un vaste réseau d’énergies qui perdureraient longtemps après lui et avait tellement plus de profondeur, d’ancienneté … Loin de faire corps avec son univers, Yun se fondait en lui, le colorait d’une teinte particulière, inoxydable, inchangée. Ces émotions étaient bloquées, comme lointaines … Tellement sans importance, sans intérêt. Futiles. Ses propres aspirations n’étaient rien face à la grandeur de la Force, de l’espace-temps. Il n’était qu’un fétu de paille demandant humblement une aide qu’on pouvait lui enlever à tout moment. Il était le féal de la Force, et elle était sa muse.

Soudain, Maître Don passa à l’attaque, démontrant une célérité étonnante pour son âge, mais normale pour un jedi de sa qualité. Après tout, quand le physique ne suivait plus forcément, les sensitifs avaient toujours un moyen de se reposer sur la Force pour combler leurs lacunes. L’échange commença à un rythme relativement aisé à suivre, et la lame rouge écarta avec vivacité l’arme bleutée. Néanmoins, le vieillard continua à mener la danse, obligeant son élève à déployer toute sa prescience pour discerner dans les mouvements de son adversaire le moment fatidique où il se fendrait pour tenter de porter l’estocade. Après tout, après ses capacités offensives, nul doute que le maître jedi voudrait tester la défense particulièrement réputée de son élève. Aussi Yun adopta en quelques instants une posture classique de la forme III, celle qu’il n’avait jamais cessé d’utiliser depuis son arrivée au Temple, et qu’il continuait à préférer avec l’affection du converti pour sa première réelle acquisition dans sa nouvelle vie. Et à aucun moment la lame bleue ne parvint à trouver la faille lors de ses premières passes d’armes. L’épicanthix tenait bon, fermement arc-bouté sur ses appuis, calculant ses mouvements avec une précision d’horloger, repoussant les assauts les uns après les autres sans qu’un muscle de son visage ne bouge pour trahir une quelconque émotion. Comme en transe, il construisait une véritable barrière en plus de celle qui le protégeait déjà, tissée autour de lui, à la hauteur de ses talents. Il n’avait pas failli.

Puis vint l’attaque tant attendue, exploitant un retard dans son replacement. Vif comme l’éclair, le padawan abattit sa lame presque à la perpendiculaire, en un geste fruste mais efficace, qui comptait sur le poids de son détenteur pour bloquer le sabre adverse suffisamment longtemps pour empêcher un nouvel assaut et mettre un terme à l’échange selon les conditions dictées par le défenseur. Il n’en fut pourtant rien. La pression à peine dégagée, le vieillard se dégagea du corps-à-corps, reprenant à nouveau de la distance et commençant une lente ronde autour de l’épicanthix, comme l’oiseau de proie attendant le bon moment pour fondre sur sa cible. Auparavant, Yun aurait simplement attendu, se retranchant derrière sa science défensive, se reposant sur cette dernière, obnubilé par l’idéal qu’il tenait pour absolu du Code. Mais il avait changé. Il avait obtenu une autorisation d’une des plus hautes autorités de l’Ordre. Il fallait qu’il montre qu’il pouvait surprendre Maître Don. Qu’il donne l’illusion de jeter toutes ses forces dans la bataille pour entretenir, l’espace de quelques pauvres secondes, l’espérance d’une victoire, quand bien même cette dernière n’était qu’une chimère ridicule qu’il acceptait comme telle. Alors le jeune homme prit une profonde inspiration, braqua son regard grisâtre sur son professeur … Et étendit sa main gauche. Immédiatement, une gerbe verte sortit de ses doigts, serpentant vers sa cible mouvante.

L’utilisation des éclairs de Force n’était pas sans conséquence. Immédiatement après avoir déchaîné cette tempête verdâtre sur son maître, Yun se sentit soudain vidé de ses forces, aussi physiques que psychiques. Il était épuisé, et tituba légèrement, sa main étant prise de tremblements étranges. La fois précédente, dans l’abysse de Lorrd, il s’était évanoui, et avait failli consumer toute son énergie vitale dans sa folle entreprise. Persuadé qu’il allait mourir, il avait déchaîné toute son envie de justice sans penser un instant à lui. Avec le recul, peut-être était-cela qui avait fait la différence, cet abandon complet dans la Force, le fait de s’être remis entièrement à sa décision, sans peur ni reproche ni haine, avec simplement cette rage de voir les sacrifices de tous ces morts inconnus honorés, de leur rendre honneur.

Faire appel à cet instinct bouillonnant qui sommeillait en lui le drainait de ses forces. Contrairement au pendant sith de ce pouvoir, il ne projetait pas sur un autre ses émotions. Il s’exposait littéralement à la Force, avec le contrecoup qu’un tel geste impliquait, surtout émotionnellement. Aussi, s’il entendit le compliment de son professeur, ce fut comme s’il avait été prononcé de manière très lointaine, comme s’ils étaient à des kilomètres l’un de l’autre, alors que quelques seulement les séparaient. Brusquement, l’épicanthix se sentait fatigué, lui qui pouvait pourtant soulever des montagnes, dont la détermination ne faiblissait jamais. Il serra les dents, tentant de remettre de l’ordre dans son esprit fragilisé … Trop tard. Dans un tel combat, même d’entraînement, aucune faille, même minuscule, ne pouvait être tolérée. Celle-ci allait lui coûter cher.

Soudain, le sabre bleu de Maître Don jaillit vers lui, et seul un réflexe de dernière seconde empêcha ce dernier de le heurter de plein fouet. Immédiatement, le jeune homme se jeta à terre, roulant devant lui alors qu’il sentait son bouclier exploser sous la violence de cet assaut télékinésique. Sa pauvre protection n’avait pas tenue face à cette attaque encaissée de plein fouet. Pis, n’étant pas assez rapide, il ne put que sentir la lame lui heurter le dos de son plasma, lui arrachant un grognement de souffrance alors que la brûlure bénigne caressait sa chair de sa langueur bleutée.

Soufflant, ahanant, il se redressa, son roulé-boulé ayant douloureusement accentué la plaie. Cependant, le mouvement avait eu pour avantage de le porter au-devant du Maître jedi, ce qui constituait à vrai dire son unique espoir, dans une situation comme celle-ci : rester au loin l’exposerait aux assauts répétés du vieillard à distance, et il ne pouvait réutiliser les éclairs pour le moment, trop affaibli pour retenter l’expérience avant un petit moment. Il devait donc rester au contact, jusqu’à ce que son maître juge l’exercice fini. En attendant, le garçon faisait face, son sabre rougeâtre à nouveau ramassé contre son corps, dans une posture classique de défense haute typique de ce Soresu qu’il affectionnait tant, et qu’il ne se résolvait pas à abandonner.

« C’était une augmentation … exponentielle, Maître. »

Il avait failli à cette épreuve-là. Cela devait advenir, en même temps. Impossible pour un padawan de tenir tête à un Maître jedi, surtout de cette trempe et avec cette expérience. Et du reste, Yun n’avait jamais fait mystère de ses difficultés à contrôler la Force. S’il était parvenu à des améliorations récentes dans le domaine offensif, se protéger des attaques fomentées à l’aide de l’entité mystique avait toujours été complexe pour lui. Généralement, il privilégiait l’emploi du Bouclier, comme présentement, mais ce dernier n’était pas encore assez développé pour contenir le pouvoir déployé par un Sai Don. Son dos était là pour le lui rappeler, bien qu’il n’en conçoive aucune amertume. Que le vieil homme décidât d’élever ainsi le niveau de ce combat prouvait qu’il prenait très au sérieux son élève, et qu’il entendait ne pas se retenir. C’était une oppportunité unique qu’il lui offrait … Et une preuve de confiance. L’épicanthix n’était pas ignorer qu’il était fort probable qu’au vu de la situation galactique, sa présence sur le terrain ne soit rapidement requise. Et à ce moment-là, il devrait combattre du mieux qu’il le pouvait. Pas question donc de demander de souffler. Un véritable adversaire ne l’aurait pas fait.
Silencieusement, il attendait donc la salve suivante, attentif au moindre mouvement, prêt à tenter de trouver une faille pour un dernier mouvement.