Le vieux cargo léger, se conformant aux instructions du pilotage automatique, décéléra jusqu’à achever son saut hyper-spatial. Il se mit dès lors à voguer tranquillement, loin de tout. Une poussière dans l’immensité picotée d’étoiles. Une poussière qui, depuis plusieurs semaines, était le lieu de vie d’une autre poussière.

Etiam grogna puis roula sur le flanc. Pris dans les limbes du sommeil, son esprit voyageait tout autant que le vaisseau, si ce n’était plus encore. Rien de tel que la solitude pour réfléchir. Se couper du monde pour mieux y revenir. Rompre avec les habitudes pour tout redécouvrir, tout réapprécier. Tel était son projet. Il était partit, comme cela, sur un coup de tête. Il en avait éprouvé le besoin. Partir pour nulle part. Nulle part n’étant pas une notion très appréciée des ordinateurs de bord, il avait bien fallu choisir quelque part. Pourquoi pas le Secteur Anoat ? C’était loin des mondes du noyau, au confins de la galaxie, idéal pour avoir ce sentiment d’isolement recherché par le Jedi Gris.

Celui-ci dût percevoir le changement de vitesse car il ouvrit les yeux. Le noir de sa cabine n’était diluée que par une veilleuse, très discrète, au plafond. Il baya, s’étira et demeura allongé sur sa confortable couchette. Il avait investi pas mal de crédits juste pour conférer à son cargo le statut de coquet logis. Rien d’excentrique, le vaisseau devait rester fonctionnel, mais assez pour ne plus se sentir pris au piège dans une boîte de conserve. Le Drall porta machinalement une main à sa gorge. Sous le pelage, il décelait les traces laissées par ses propres griffes alors que Darth Carnevock l’étouffait avec la Force. Ce moment, il n’était pas prêt de l’oublier. Il revenait le hanter, insidieusement. Une cuisante leçon. De petits coups frappés à la porte l’extirpèrent de ses réflexions vaseuses. Sans attendre de réponse, le droïde entra. La clarté de la coursive envahit la pièce.

« Voici votre petit déjeuné, Etiam. Je vous informe également que nous venons de sortir de la vitesse lumière.
- Merci Co. »

Co, de son vrai nom CO-3B37, avait une apparence d’humanoïde cuivré haut d’un mètre cinquante. Le Jedi Gris avait jugé excessif de se passer de son aide sous prétexte de vouloir être seul. Le robot déposa le plateau sur la couchette, alluma la lumière de la cabine, puis sortit. Après un nouveau bayement, le Drall s’arracha à la tiédeur de ses couvertures, s’assit en tailleur, puis commença à manger tout en replongeant dans les méandres de ses réflexions. Il n’eut guère le temps de les développer car déjà Co réapparaissait par l’embrasure.

« Etiam, nous venons tout juste de capté un message.
- J’arrive. »

Un message ? Ici ? De qui ? À quel fin ? Il fallait savoir. Sait-on jamais, il y avait peut-être danger. Le Drall quitta sa couchette et, tout en transportant son plateau d’une main, gagna le cockpit. Il pressa un bouton qui clignotait, signalant ainsi qu’effectivement, une réception avait eut lieu. Une voix brouillée se fit entendre.

« Ici vaisseau d'exp******* de *****sse Choka TX*****31, demandons assista***** en o***ite de Bespin. Je répète, ici vaiss****u d'explora****n de classe Choka TXB-331, dem****ns assistance en orbite de ****pin. Nous av*****subi des gro**** pert****ions causées par des ***** non iden****ées et ... »

Un SOS... ? Provenant de Bespin... Etiam écouta de nouveau le message, pour bien l’assimiler, avant de se laisser tomber sur le siège du pilote, son plateau toujours en main.

« Alors... que dit la carte spatiale... On est là, Bespin est là. Ho, c’est pas trop loin.
- Je calcule approximativement huit heures de trajet à vitesse standard. Mais ne vouliez-vous pas rester seul ?
- Les chances qu’on intercepte ce message étaient statistiquement nulle.
- Objection. Il manque des paramètres pour établir de façon fiable les probabilités de réception dans le présent contexte.
- Co !
- Pardon.
- On avait très peu de chance de tomber sur ce SOS. Il faut peut-être y voir un signe. Et puis, je n’ai encore jamais fait de tourisme dans une géante gazeuse. C’est l’occasion. D’une façon ou d’une autre, j’en tirerai quelque chose. »

Etiam modifia la trajectoire du vaisseau. Direction Bespin.

« Co, si les scanners localisent un autre appareil, tu me le dis.
- Oui Etiam. »

Le Drall s’en retourna dans sa cabine où il put tranquillement achever son petit déjeuné. Puis il s’habilla en prévision d’éventuelles péripéties. Il était curieux de découvrir ce que le destin lui réservait. Allait-il s’improviser sauveur providentiel ? Tout dépendait de ce qu’il trouverait sur place.

Sur l’écran du datapad défilait, au rythme de la silencieuse lecture du Drall, une œuvre littéraire ô combien renommé à Coruscant. Intitulée "Les Intrépides du Vide", il s’agissait d’un roman d’aventure épique mettant en scène des super-justiciers traquant le crime aux quatre coins de la galaxie. Etiam, après en avoir entendu parlé, avait tenté l’expérience. Il lisait de tout, des ouvrages les plus sérieux aux plus farfelus, alors pourquoi pas celui-ci ? Son avis, pour l’instant, était mitigé. Le texte, sur la forme, était plutôt convainquant. Rédaction fluide, énergique, efficace, quelques tournures habiles... rien à redire. Sur le fond, c’était un autre constat. L’écrivain avait certes beaucoup d’imagination, mais il n’avait probablement jamais vraiment voyagé. Nombre des événements qu’il tentait de faire vivre manquait d’authenticité, parfois même de crédibilité. Le plus dérangeant, c’était le peu de soin apporté au caractère des protagonistes. Manichéen à souhait, son monde n’était peuplé que de héros irréprochables et de méchants irrécupérables. Difficile de développer de l’empathie pour ce genre d’individus simplistes. Non, vraiment, le Jedi Gris n’était pas conquis. Qui plus est, les aventures, il les vivait en vrai. Sa soif d’évasion, il pouvait l’abreuver au quotidien contrairement à nombre de citadins de la ville monde. Parvenant à la fin d’un chapitre, il ferma le fichier. Il le poursuivrait plus tard, sans doute. Son regard se tourna vers le hublot et il se perdit un instant dans la contemplation des astres. L’espace était une source intarissable de fascination pour qui savait l’apprécier.

Depuis la coursive, les pas du droïde se firent entendre. CO-3B37 faisait visiblement un peu de ménage. Il était un rien maniaque. Etiam n’allait pas s’en plaindre. Avec CO à bord, le cargo était toujours d’une propreté irréprochable. Le Drall se leva et gagna le cockpit où il prit la place du pilote. Bespin envahissait peu à peu le champ de vision, droit devant. D’ici quelques dizaines de minutes, le vaisseau atteindrait sa zone gravitationnelle. Le Jedi Gris passa en commande manuelle, désireux d’achever l’approche avec prudence. Les faux S.O.S. envoyés par des pirates, ils connaissaient. Les scanners demeurait silencieux. Aucun appareil dans les parages. Mais la planète était si énorme... Il devait être facile de se dissimuler derrière la géante gazeuse ou dans son atmosphère nuageuses.

« CO !
- Oui Etiam ?
- Le ménage, tu le feras plus tard. Déploie les scanners à leur maximum et tu observes le moindre parasites qu’on capte.
- Bien compris.
- Hum, un instant, tu as encore le temps d’aller me chercher une bière. Rien de telle qu’une bonne bière Corelliènne avant de se lancer dans une aventure !
- Tout de suite. »

Sa bière en main, le Drall guida son cargo en orbite haute. Puisant dans les informations de la carte spatiale, il en apprit un peu plus sur cette planète. À quoi devait-il s’attendre s’il y pénétrait ? Apparemment, la faune était plutôt impressionnante. Le vaisseau de classe Choka avait peut-être eu une fâcheuse rencontre avec celle-ci, si le S.O.S. était véridique. En tout cas, aucune espèce intelligente n’était répertoriée. Bespin servait-elle de repaire à des gens peu fréquentable ? Le Drall connaissait mal le secteur. L’avarie semblait à exclure, le message mentionnant des choses non identifiées. Collision ? Agression ? Tant de scénarios possibles.

« CO, que dit le scanner ?
- On ne capte rien Etiam.
- Sans signal de détresse, c’est peine perdu. Peux-tu calculer le point d’émission du message à partir de la réception ? L’ordinateur de bord fournit peut-être assez de paramètres.
- Je le consulte. En admettant que l’atmosphère de Bespin fasse écran, le point d’émission devait se trouver sur une face de la planète orientée vers nous, sans quoi on n’aurait rien reçu. En prenant en compte la révolution et l’orbite de Bespin autour de son étoile, ainsi que le temps que nous avons mis à arriver, je devrais pouvoir calculer une zone probable d’émition. Mais elle restera très large. Et le calcul en lui-même sera d’une fiabilité relative.
- Ce sera mieux que rien. »

Etiam s’apprêta à éteindre les réacteurs du cargo afin de se laisser dériver sur le champ gravitationnel, mais ce fut à ce moment que le scanner se manifesta. Il décelait désormais une série de bip qui ne pouvait provenir que d’une balise de détresse. Le signal était faible et en proie à de nombreux parasites.

« Bon et bien plus la peine de calculer. CO, tu restes concentré sur les scanners. Je veux me trouver pile au-dessus de la balise avant d’entrer dans l’atmosphère. »

La Lame d’Or avait eu de la chance. Le hasard l’avait mis sur la bonne voie. Il ignorait cependant qu’il n’était pas le seul dans les parages. Son cargo ne faisant rien pour demeurer cacher, il devait être facile de le détecter.

Il y eut comme un frémissement dans la Force, ce qui interpela Etiam. La Force, pour un initié, il l’écoutait relativement rarement, en temps ordinaire. Il lui arrivait certes de méditer, mais pour voyager dans ses pensées et s’imprégner de ses sens. Cinq sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le touché, le goût... cela faisait déjà beaucoup. Cinq sens pour appréhender le moment présent. Si peu de monde savait profiter du présent. Le moment semblait toutefois mal choisi pour ce genre de considération. Etiam ouvrit son esprit à la Force, perçut une présence, pas bien loin. Et voilà que son droïde réagissait car une diode s’était mise à clignoter sur le tableau de bord.

« Etiam, un message entrant.
- Ça vient d’où ? De la planète ?
- Non. Un point en orbite apparemment. »

Le Drall n’en fut pas étonné. Cela coïncidait avec ce qu’il avait ressenti. Quelques rapides pressions sur les commandes des scanners réorientèrent ceux-ci. Immédiatement, il y eu un écho, celui d’un autre vaisseau. Voilà qui illustrait une leçon de son second mentor. À force de se focaliser sur quelque chose, on devient aveugle à tout le reste. Il aurait dû repérer ce vaisseau plus tôt, à moins qu’il ne vienne juste d’arriver ou que la géante gazeuse le dissimulait.

« Le message, Etiam. Que fait-on ?
- Diffuse Co. »

Une voix sèche envahit le cockpit, celle d’un certain Kerin, chevalier Jedi de son état. Etiam eut une moue contrariée. Il s’était toujours tenu à l’écart de l’ordre et de ses ramifications depuis qu’il avait déserté, presque vingt ans plus tôt. Et ce chevalier avait probablement senti en lui la Force. C’était fâcheux. Il aurait dû se méfier, se camoufler comme il savait si bien le faire sur Coruscant. Il réfléchit un instant, soupira puis répondit au message.

« Salutation chevalier. Je n’ai jamais côtoyé ceux de l’Explocorps Jedi. Il parait que vous êtes des gens intéressants. Ici la Lame d’Or, aux commandes du Baladin. J’ai intercepté le SOS du vaisseau de classe Choka TXB-331 et suis donc venu sur place pour voir ce que je pouvais faire. Je capte apparemment leur balise de détresse. »

Il s’était exprimé de manière affable. Pour autant, le Chevalier allait peut-être le prendre pour une menace. Les chances d’intercepter par hasard un message dans ce coin perdu de l’espace étaient minces. Et puis, il y avait la Force... Kerin devait se douter qu’il n’avait pas à faire à un confrère. Or, si la Lame d’Or n’était pas un Jedi, il pouvait être un Sith. Un Sith présent comme par hasard sur le lieu d’un accident.

« Co ?
- Oui Etiam.
- Enclenche les boucliers déflecteurs. J’aimerais éviter une mauvaise surprise. »

Une collaboration était-elle possible ? Etiam se posa sérieusement la question. Autant se lancer seul dans cette opération de sauvetage pouvait l’enthousiasmer, autant le faire avec un Jedi l’ennuyait. Il ne pourrait agir comme il l’entendait sans risquer de fâcheuses conséquences. C’était le genre de contrainte qu’il avait du mal à supporter. Et puis non, décidément, côtoyer un Jedi, ses confrères de jadis, il ne s’y sentait pas prêt. Il n’y avait qu’à voir les précautions qu’il prenait pour une simple prise de contact. Cette expérience ne lui serait pas profitable. Les secondes s’écoulaient et il ne répondait rien. Au poste de pilotage, le silence devenait pesant. Les bips des consoles et le bourdonnement de la ventilation ne parvenaient pas à combler le vide de l’indécision. Le drôide, hermétique à ce genre de pression, continuait de surveiller religieusement les informations transmises par le Baladin. La Lame d’Or noya son regard dans la géante gazeuse qui envahissait le champ visuel. Ha, bon sang, comment apprécier le spectacle de ces couleurs fantasmagoriques en pareille situation ? Le Drall soupira et porta son attention sur le signal vacillant de la balise de détresse puis sur ceux, plus nets, du vaisseau de l’l’Explocorps. Ses doigts tapotèrent impatiemment les accoudoirs puis, brusquement, il pressa le bouton d’émission.

« Je vais vous transmettre les coordonnés approximatives du signal de détresse telles que je peux les calculer depuis ma position. Je vous souhaite bonne chance, Chevalier, dans votre mission. »

Fin du message. Etiam se tourna vers son assistant.

« Co, transmets ce qu’on a.
- Bien Etiam. »

La transmission effectuée, le cargo attisa ses moteurs et manœuvra afin de s’extraire de la gravité de Bespin. Il s’éloigna de la planète puis, peu après, disparut dans un flash, étant passé en vitesse lumière. Yashaan Kerin ne connaîtrait jamais les intentions de la Lame d’Or et c’était mieux ainsi. Le Drall, quant à lui, renonçait non sans un certain regret à découvrir les raisons de l’incident. Avec un peu de chance, Holonet consacrerait un article à cette histoire si le Chevalier réussissait sa mission. Ce qui importait surtout à Etiam, c’était de demeurer tranquille. S’il s’était isolé dans ce secteur, c’était pour avoir la paix après tout. Cette paix, il allait la chercher ailleurs puisqu’ici on la lui refusait.