Ondéron.

Lloyd descendit de la navette, sac à dos jeté sur l’épaule, la mine déconfite au milieu de la foule désordonnée qui se bousculait ça et là pour accueillir des proches et se dépêcher de monter à bord, tickets à la main et valises sous le bras. Ses yeux étaient cernés et ses cheveux n’avaient pas été coupés depuis plusieurs semaines. Quant à sa jambe blessée, il avait reçu les soins à bord de l’appareil de Darth Daevas récupéré par Darth Laduim. Son membre était sauvé mais une douleur désagréable persistait. Devait-il se plaindre ? Il avait peine à croire qu’il était en vie. Pendant quelques jours, il avait été si certain qu’on allait le livrer à l’Empire, et qu’il finirait dans une geôle de l’Académie de Korriban pour servir de souffre-douleur aux apprentis… Et finalement, c’était encore à cet étrange Twi’lek qu’il devait la vie.

Darth Laduim avait été clément. Voire même particulièrement conciliant. Il lui avait permis d’être soigné, et quand le Hapien avait trouvé le courage de formuler sa requête, il avait accepté avec une facilité qui avait déconcerté Lloyd. Ainsi donc, il avait pu descendre au spatioport le plus proche pour prendre une navette… direction Ondéron.

Il n’y avait qu’une seule personne pour qui il acceptait de revenir sur cette planète maudite : Mat’.

Plusieurs semaines déjà s’étaient écoulées depuis qu’il avait reçu l’énigmatique message de la Twi’lek. Elle ne donnait aucun indice, sinon qu’elle était persuadée de ne jamais pouvoir le revoir. Pourquoi ? Si elle avait envoyé un message, pourquoi ne pas lui avoir avoué ce qui était arrivé ? Il aurait fait n’importe quoi pour elle, elle aurait dû le savoir…
Mais aucune esquisse de réponse n’avait été suffisante, malgré des nuits entières passées à y réfléchir. Ainsi, il s’était tourné vers les seuls êtres qui pouvaient potentiellement en savoir plus que lui sur ce qu’était devenue Mat’ : les Jedi.

Lloyd traversa l’astroport d’Iziz, le pas vif, les visages défilant autour de lui comme des fantômes. Il utilisa une borne automatique pour débloquer un speeder de location. Il y jeta son sac à dos avant de s’installer derrière le volant, et démarra l’appareil sans réfléchir.

Il ne fallait pas qu’il réfléchisse de trop. Surtout pas. Il fallait qu’il aille droit au but, c’était sa seule chance de récupérer Mat’ un jour : ne pas perdre de temps et ne pas douter.

Pourtant, lorsqu’il gara le speeder à quelques mètres des hautes portes de l’entrée du Temple Jedi, il ne put s’empêcher de prendre quelques minutes pour calmer sa respiration. Les tours l’écrasaient de leur hauteur majestueuse, et les remparts formaient un écran menaçant. Il était si différent de la première fois où il avait mis les pieds sur Ondéron, et si semblable à la fois. Il était jeune alors, plein d’idées préconçues sur les Sith et les Jedi, et sur son propre avenir. C’était à l’intérieur de cet édifice que tout avait changé.

Lloyd glissa à terre et se dirigea vers l’entrée d’un pas lent. Son sabre laser était resté dans son sac, à bord du speeder, car il ne souhaitait pas alerter les Chevaliers qui gardaient le passage. Bien sûr, ils pourraient sentir une affinité avec la Force, mais pas développée comme un Sith ou un Jedi l’aurait eu, et pour cause : il ne se servait plus de la Force depuis bientôt une décennie. Il ne savait même plus quand il avait allumé son sabre pour la dernière fois. Quand à la colère et la frustration qui avaient nourri ses actes à l’académie, elles s’étaient muées en peur et en triste résignation. Très certainement, il n’avait rien de lumineux. Très certainement, il n’était plus non plus un adepte du côté obscur.

- Je voudrais demander à voir Maître Don, expliqua-t-il sans ambages. L’un de ses amis est en danger.
- Maître Don est absent.

Le Chevalier qui lui avait répondu était un Nautolan à la peau couleur de vase. Ses yeux brillaient de méfiance et de détermination à la fois. Le Jedi était empli de cette lumière énergique qui faisait que les Jedi se tenaient droit, et ne s’écrasait pas sous le poids de la vie, contrairement à lui. La réponse l’avait déçu, mais il s’y était attendu.

- S’il vous plait, c’est très important. Permettez-moi au moins de lui laisser un message…

Le Nautolan eut une moue résignée avant de lui tendre un datapad, que Lloyd accepta avec gratitude. Mais qu’écrire ? Il allait taper son message lorsqu’une sensation désagréable le fit relever la tête. Dans l’entrée du Temple, une silhouette se découpait, qui le dévisageait avec insistance. Il lui fallut plusieurs minutes avant de réaliser qu’il reconnaissait ce visage, ces yeux vairons.

- Luke, chuchota-t-il avant de se mordre la lèvre inférieure.

Le Jedi se rapprocha, et sortit de l’ombre. Lloyd réalisa que ce que la Force lui avait rappelé, à savoir l’identité du padawan devenu grand, lui aurait été inaccessible sans cette intuition : de plus près, il reconnaissait seulement les yeux vairons et ce voile d’absence sur ses traits. Bien sûr qu’il ne le dévisageait pas : il était aveugle. Le Jedi avait simplement tourné vers lui son visage de poupon. Tout le reste, il était incapable de le reconnaître. Le corps de Luke avait comme muté ; des muscles, une taille haute, des cheveux longs. L’enfant était devenu adulte. Avait-il tant changé que cela, lui aussi, depuis qu’ils s’étaient vus pour la dernière fois ? Peut-être.

Pendant un bref instant, le Hapan sentit le désespoir s’emparer de lui pour l’emporter vers les tréfonds du doute et de la mélancolie. A quoi s’était-il attendu au juste ? Oui, les Jedi étaient bons et serviables, mais il avait causé la mort et la torture de certains d’entre eux. Avait-il vraiment cru être accueilli à bras ouvert ? Que le vieillard serait là en personne pour lui donner une tape dans le dos et le féliciter d’avoir choisi le bon chemin ? Lloyd serra le datapad entre ses mains, si fort que les jointures de ses doigts blanchirent.
Bien sûr que non. Il resterait pour toujours un paria pour ceux qui avaient eu la chance d’être recueilli par les Jedi dès leur plus jeune âge. Le reste du monde, ils s’en fichaient. Voilà la vérité, ils pensaient être supérieurs au reste du monde, mais ils avaient juste eu un coup de chance dans leur enfance. Celui-là ne faisait exception à la règle, quand bien même Lloyd reconnaissait qu’il avait dû faire preuve d’une certaine ténacité pour avoir survécu à son séjour sur Korriban. Mais tout le monde n’était pas comme lui, certains n’étaient pas si forts, n’étaient pas si bien préparés au côté obscur. Et tout le monde n’avait pas eu un maître pour venir le chercher lorsqu’il était en mauvaise posture à cet âge-là.
Lentement, la jalousie empoisonnait les veines du Hapan. Le Nautolan dût le sentir, car déjà il s’était rapproché, comme pour faire barrage entre lui et le Chevalier. Mais ce dernier se rapprochait, ne montrant plus une once de la peur qu’il avait vue dans son regard perdu lorsqu’il l’avait enlevé, des années plus tôt. Lloyd s’en sentait presque insulté.

Mais allait-il vraiment tout faire capoter par cette colère surgie du passé ? Allait-il condamner Mat’ parce que son amour-propre était blessé par les Jedi ? Il devait surmonter cela. Au moins le temps de la discussion, au moins le temps d’obtenir les informations dont il avait besoin. Il pourrait maudire les Jedi tout son soûl lorsqu’il aurait terminé ce qu’il avait à faire ici.
Tant bien que mal, il réfréna sa frustration en se concentrant sur son objectif. Il prit une grande inspiration avant de répondre au Jedi.

- De l’aide, dit-il avec simplicité.

Sa voix se voulait sans émotion, mais elle tremblait quelque peu de nervosité. Il s’enjoignit à s’exprimer avec clarté.

- Ce n’est pas pour moi, mais pour une connaissance de Maître Don. Mat’Aenna. C’est une Twi’lek à qui il a sauvé la mise il y a quelques années et avec qui il s’est lié d’amitié. Elle… Elle a disparu, et m’a laissé un message qui ne présage rien de bon.

En quelque sorte, Mat’ aussi avait eu une chance qu’il n’avait pas eu : elle avait été sauvée juste avant de commettre l’irréparable. Car elle aussi était sensible à la Force, même si sa connexion était légère et mal exploitée. Elle aussi avait été manipulée par les Sith, mais le vieux Jedi l’avait trouvé avant qu’elle n’utilise ses pouvoirs pour ôter la vie. En ce qui le concernait, le vieillard était arrivé beaucoup trop tard. Qui avait été échoué alors ? Lui ou les Jedi ?
De nouveau, il se concentra sur Mat’. C’était elle qui comptait plus que tout, désormais. N’aurait-il pas fait n’importe quoi pour elle ? Il pouvait donc bien surmonter son mépris des Jedi.
Il soupira en constatant le visage fermé du Chevalier. Il serait difficile à convaincre…

- Ecoute, je sais que je ne suis pas le bienvenu ici, mais j’ai tenu ma promesse envers ton Maître. Et il aimerait certainement être tenu au courant s’il arrivait quelque chose à Mat’. Elle…

Il hésita, cherchant ses mots en triturant le datapad entre ses mains.

- Je me suis dit qu’elle l’avait peut-être contacté aussi. Si on partageait nos informations, je suis sûr qu’on pourrait faire quelque chose pour elle. Avant que…

Avant que quoi ? Que les Sith ne remettent la main sur elle ? Avant qu’elle ne soit vendue comme esclave dans l’espace Hutt ? Plus il imaginait tous les scénarios qui pouvaient lui arriver et plus il sentait une fébrilité douloureuse s’emparait de lui. Mat’ ne pouvait pas mourir, elle était tout ce qu’il avait de précieux. Elle était la seule personne qui avait véritablement cru en lui, qui l’avait aimé comme le raté qu’il était, sans attendre quoique ce soit de plus. Il ne pouvait pas perdre ça, il n’y survivrait pas.

Lloyd retint son souffle. Cela avait été difficile d’exprimer clairement son problème, pour la simple et bonne raison qu’il ne s’était pas attendu à devoir l’exposer à un ancien ennemi. Pourtant, Luke Kayan était là, devant lui, et de lui dépendait désormais le succès de ses recherches. Avec tout ce qu’il s’était passé entre eux, pouvait-il seulement espérer n’être pas tout simplement éconduit ? Les préceptes des Jedi ne disaient-ils pas que les chevaliers devaient aider leur prochain, ou quelque chose d’approchant ?
En prononçant le nom de la Twi’lek et le sien, l’ancien padawan de Maître Don faisait durer le suspense. Probablement réfléchissait-il, aussi Lloyd s’efforça-t-il de rester patient, les mains toujours agrippées au datapad que le Nautolan lui avait confié, comme si l’objet pouvait l’aider à se raccrocher à un espoir tangible.

Et puis subitement, le Chevalier révéla ce qu’il savait. Lloyd n’en crut pas ses oreilles.

- Les geôles de la République ?! répéta-t-il, ahuri, ses yeux s’agrandissant d’effarement. Mais…

Il s’interrompit pour laisser le Jedi s’expliquer. Qu’avait fait Mat’ pour être arrêtée, cette fois ? Autant que possible, ils avaient tenté de rester dans la légalité. Les rares entorses à cette règle, imposée par Mat’ elle-même étaient constituées de simples transports de contrebande, qu’ils n’avaient même pas eux-mêmes fait passer les frontières : ils s’étaient contentés de fermer les yeux sur la provenance de la marchandise. Au pire, ils risquaient une grosse amende, la confiscation de leurs biens. Il y avait bien eu ce fameux échec sur la plateforme qui avait été troussée par l’armée républicaine, mais Mat’ n’était alors même pas là. A moins qu’ils aient considéré qu’elle était responsable, en tant que propriétaire de leur vaisseau ? Non, ça ne collait pas.

Mais bientôt, Lloyd cessa de réfléchir. Il avait reçu comme un poignard dans le cœur. Mat’ avait été momentanément libérée. Elle avait été libre de ses mouvements au Temple Jedi et ne l’avait pas même contacté. Il songea avec peine à l’éventualité que le message avait été faux, une manière plus facile pour la Twi’lek de sortir de sa vie. Mais non, elle n’aurait jamais laissé le Soleil Vert derrière elle avec autant de facilité. Elle l’avait payé, ce vaisseau dont il n’était que le mécano. Elle aurait plus facilement fait de le virer et de le débarquer sur un quai si elle avait voulu se débarrasser de lui. Mais pourquoi ne pas lui avoir dit où elle était et où elle allait, alors ? Avait-elle d’autres ennuis ? Pourquoi avait-elle pensé ne pas pouvoir se confier à lui ?

Confus, Lloyd tâcha de se raccrocher aux explications du Jedi, plus ancrées dans la réalité. Il acquiesçait silencieusement, la mine décontenancée.

- Est-ce que cela veut dire que la République la recherche toujours ? demanda-t-il avec hésitation, ne comprenant pas bien cette histoire de tutelle et de période de probation, et espérant avidement que Mat’ n’avait pas aggravé ses ennuis en prenant la fuite.

Et puis, le Jedi posa ses conditions. Lloyd savait ne pas avoir le choix. Une partie de lui aurait préféré faire le voyage seul – que demanderait le Jedi en échange, en profiterait-il pour le surveiller ? – mais la vie de Mat’ était bien plus importante que son confort personnel. Le Hapan était prêt à accepter n’importe quelle aide, quand bien même cela piétinait son orgueil.

- D’accord, accepta-t-il à voix basse avant de rendre le datapad devenu inutile au Nautolan, qui le récupéra avec une vague expression de lassitude. J’accepte. Je suis venu en speeder, nous pouvons le prendre pour retourner à l’astroport, à moins que tu préfères prendre un vaisseau personnel. Comme tu veux.

Lloyd essayait de sortir de sa torpeur. Enoncer leur plan à voix haute l’aidait à le rendre réel et plausible à ses yeux. Pourtant, son désir brûlant de connaître le contenu du dossier de Mat’ au Temple Jedi distrayait son esprit fiévreux. Il se maudit intérieurement d’être si émotif et tâcha d’être pragmatique. Que lui fallait-il, maintenant ? Pendant que Luke s’absentait, il pouvait rassembler ses affaires dans son speeder, réfléchir par quel bout commencer son histoire. Il allait s’y mettre lorsqu’il se rendit compte qu’il omettait quelque chose. Quelque chose de difficile à formuler, mais qui avait une certaine importance, il le reconnaissait. Alors il leva les yeux vers le Chevalier qui monta les marches et prit son courage à deux mains.

- Hé… Luke ? appela-t-il, la mine contrite. Merci.

Pour ne pas avoir à supporter la pitié dans le regard de son interlocuteur, Lloyd tourna les talons et se dirigea vers son speeder.

Lloyd s’était réinstallé dans le speeder où il attendait en se triturant nerveusement les mains sous le regard suspicieux des deux Jedi postés en faction devant l’entrée du Temple. Du moins avaient-ils l’air de le surveiller de près. A moins que ce ne fût son imagination qui déraillait ? Ici, sur Ondéron, le Hapan se sentait observé de toute part. Il s’attendait presque à ce que Luke revînt avec une cohorte d’autres Jedi pour l’arrêter et lui faire définitivement payer ses torts envers l’Ordre. Pourtant, Lloyd avait conscience que ce n’était qu’une peur irrationnelle, et c’était pourquoi il avait eu le courage de s’aventurer jusqu’ici malgré les risques qu’il courait et la sensation désagréable de revenir sur un passé douloureux. Mais au plus tôt il aurait décampé, mieux ça vaudrait. Mais emmener Luke, c’était tout de même se torturer un peu, parce que cela leur ferait refaire un bout de chemin ensemble – si semblablement et si différemment qu’une dizaine d’années en arrière. La Force avait parfois de drôles de projet pour lui. Souvent, même, pour être honnête. Mais il avait cessé de remettre l’ordre du monde en question : seule comptait la possibilité qu’il avait de sauver Mat’, à tout prix.

Enfin, Luke revint. Lloyd fut surpris de sa tenue – soudain, le jeune garçon n’avait plus l’air d’un Jedi, juste d’un adolescent freluquet en transit, sac sur l’épaule et queue de cheval nouée à la va-vite. Lloyd devait avouer qu’ainsi, son visage de Hapan était encore plus évident que lorsqu’il était vêtu de sa bure, car le contraste entre la décontraction de sa tenue et la délicatesse de ses traits était frappante. Qu’allaient-ils inventer comme mensonge, si on leur posait des questions ? Les propos du Chevalier lui revinrent en mémoire – il ne voulait utiliser que des méthodes légales. Cela impliquait-il d’être honnête sur leur identité ? Lloyd espérait pouvoir négocier une identité factice relativement facilement : sinon, qui ferait confiance à… « un Jedi et un ex-Sith devenu mécano », au juste ?

- Ici, grimpe, lui lança Lloyd pour que Luke pût se guider à sa voix.

Il hésita une seconde, indécis sur la marche à suivre : Luke allait-il avoir besoin d’aide à cause de sa cécité ? Allait-il devoir l’assister partout ? Il ne s’était pas embarrassé de telles questions, quand c’était un enfant. Il avait d’autres choses plus importantes à penser alors, et la cécité du garçon l’avait bien arrangé. Pourquoi était-il alors empli de scrupules aujourd’hui ? Il se maudit intérieurement tandis que Luke, s’aidant de ses mains, parvint seul à trouver le chemin du siège passager à s’y installer. Bien sûr, le Chevalier devait avoir l’habitude, peut-être même s’aidait-il de la Force pour y voir comme tout un chacun. Subitement, Lloyd se demandait ce que Luke était capable de percevoir en lui. Hanté par la possibilité que toutes ses émotions pussent être découvertes, il prit soin de se concentrer pour enfermer soigneusement et profondément toutes ses inquiétudes et ses malaises en lui-même.

Il démarra l’appareil et prit soin de manœuvrer lentement pour faire demi-tour. En jetant de nouveau un regard sur la jungle menaçante et sur les Jedi qui le toisaient de loin, Lloyd aurait presque envié la cécité de Luke afin d’échapper à ces regards réels et imaginés. Mais non, bien sûr, mieux valait voir : avec son imagination débordante, plongé dans le noir, il aurait imaginé pire encore que ce que ses sens étaient capables de percevoir.

Lorsqu’ils furent à quelques dizaines de mètres de l’entrée, il accéléra et écouta patiemment la question du Chevalier. Un instant, il faillit vouloir attraper son sac à dos pour lui montrer le message de Mat’aenna, avant de se rendre compte que Luke ne pourrait pas le lire. Et puis, que cela signifierait-il, pour lui ? Elle n’y disait rien, et c’était cela le plus inquiétant. Mais pour le comprendre, il fallait replacer tout cela dans un contexte… Lloyd soupira. Il allait devoir avouer des choses, s’ouvrir à un quasi-inconnu.

- Bon. Mat’ et moi nous sommes rencontrés il y a plusieurs années, par hasard, pendant que je bossais sur Coruscant. Mais il y a quatre ans, elle a… Comme qui dirait, trouvé une grosse somme d’argent. Elle a acheté un vaisseau avec, et elle avait besoin d’un mécano. Elle m’a donc engagé.

Où avait-elle trouvé cet argent ? C’était une autre histoire, que Lloyd ne connaissait guère.

- On a bossé pendant quatre ans, parfois pour des courses privées, parfois pour la République. Mais on s’est jamais frottés à l’Empire ! précisa-t-il rapidement, comme pour balayer les soupçons de Luke. On n’a jamais traité qu’avec des républicains… Et parfois un peu avec l’Espace Hutt, c’est vrai.

Ils avaient surtout travaillés comme passeurs de marchandises, fut un temps, et certaines d’entre elles n’étaient pas forcément très légales. C’était comme ça qu’il s’était fait pincé par ce petit con de Caporal, d’ailleurs. Encore une belle histoire qu’il ne serait pas prêt d’oublier, pour sûr.

- Et puis, elle a commencé à faire des petites missions de son côté, expliqua-t-il, se rendant compte de ce que son histoire pouvait avoir d’étrange. On a soudain eu plus de contrats qu’avant. Faut dire qu’à cause de l’Empire, le commerce a pris une autre tournure, puis quelques petits barons locaux ont eu besoin d’informations et de protection. Donc on a… Comme qui dirait étendu nos missions. Et parfois donc, on se séparait de temps en temps, avec un point de rendez-vous pour plus tard au Soleil Vert. Notre vaisseau.

Vert comme la peau de Mat’, l’astre qui les avait réchauffés tous les deux.

- Puis un jour, elle est pas venue au rendez-vous. J’ai attendu à bord du vaisseau longtemps, jusqu’à recevoir un message. C’était il y a trois semaines à peu près.

Lloyd réprima un frisson tandis que les portes d’Iziz apparaissaient à quelques centaines de mètres. Bientôt, ils seraient en vue de l’astroport. Pendant un bref instant, le Hapan fronça les sourcils : d’où le message avait-il été émis ? Bon sang, il n’avait même pas pensé à la possibilité de tracer le datapad qu’elle avait utilisé ! Etait-il si bête ?! Aussitôt, ses méninges s’activèrent : ses talents en matière d’informatique ne seraient pas suffisants, il allait falloir qu’il se trouve un logiciel pirate pour parvenir à retrouver la trace du message et donc du datapad de Mat’. Pourquoi n’avait-il jamais pensé à le tracer avant ? Mais Luke n’allait pas être d’accord pour la piste du hacking, ce n’était pas légal, non ?

- Elle ne disait rien dans son message, et c’est surtout pour ça que j’ai compris qu’elle avait des ennuis. Elle a dit qu’elle avait des ennuis, qu’elle pourrait pas revenir, qu’il fallait que je m’occupe bien du vaisseau, qu’elle était désolée.

Il lui apparut brusquement que si elle avait voulu le plaquer, elle ne s’y serait pas prise autrement. Et s’il s’était tout simplement fait plaquer ? Non, il l’avait sentie en danger. Mais peut-être que Luke, lui, conclurait qu’elle avait simplement pu vouloir prendre la poudre d’escampette, comme elle l’avait fait au Temple. Pourquoi ne lui avait-elle pas dit qu’elle avait été arrêtée ?

- Depuis, j’ai été dans un paquet d’endroits qu’on avait visité, elle et moi, mais personne ne l’a vue nulle part. J’ai recontacté nos principaux employeurs, pour voir si elle avait pas passé de nouveaux contrats de son côté, mais rien.

Mat’aenna avait purement et simplement disparu de la situation. Avec ce qu’on entendait sur l’Empire, Lloyd en avait froid dans le dos. Mais il était aussi tout à fait possible que quelqu’un ait commandité quelque chose contre elle depuis l’Espace Hutt, bien sûr. Quelqu’un qui n’aurait pas aimé qu’ils acceptent un contrat, ou qui l’aurait trouvée trop à son goût…

Lloyd ralentit le speeder lorsqu’ils passèrent sous une arche qui les introduisit dans la ville d’Iziz. Elle grouillait de monde, en particulier aux abords de l’astroport, d’où ils partiraient eux-mêmes. Pour aller où ?

- Si on doit fouiller la galaxie… Une idée de par quel bout commencer ? lança-t-il à son compagnon, la voie dépitée quelque peu masquée par la brise sur leur visage et le brouhaha des conversations alentours.

Lloyd fit mine de ne pas avoir remarqué que son compagnon de fortune venait de manquer de s’effondrer en descendant de leur speeder. Ce n’était pas difficile avec un aveugle, il suffisait de ne rien dire. Malgré tout, l’impression de fragilité qui émanait du Chevalier le mettait quelque peu mal à l’aise. L’enfant inoffensif avait fait place à un adulte, s’était-il dit en le voyant quelques minutes plus tôt. Mais dans ces mouvements maladroits et ce regard égaré, il revoyait la fragilité du gamin qu’il avait bousculé dans sa formation. A quel point devait-il se sentir responsable de l’infirmité de Luke ?

Lloyd descendit à son tour, garant l’appareil sur le parking où il l’avait loué.

- Pas depuis qu’on travaille ensemble, répondit-il en haussant les épaules.

Elle avait toujours pris bien soin d’instaurer entre eux ainsi qu’avec Jake une communication active, histoire qu’il n’y ait pas de malentendu dans l’équipe. Un tel message d’adieu suivi d’un long silence ne pouvait signifier qu’une seule chose : elle avait eu la certitude de ne plus jamais pouvoir le revoir. Mais Lloyd n’arrêterait jamais ses recherches, dusse-t-il tomber un jour sur le cadavre de la Twi’lek.

Lloyd regarda autour de lui, comme si cela pouvait l’aider à réfléchir. La vérité, c’était qu’il avait évité Ondéron le plus possible durant ces dernières années. Il n’avait jamais accompagné Mat’ dans Iziz. Jake, lui, avait une amie visiblement haut placé dans la noblesse ondéronienne, aussi se chargeait-il généralement d’escorter Mat’ tandis que Lloyd était resté veiller sur le Soleil Vert à chacune de leurs visites sur Ondéron.

- On est venus ici avec Mat’ uniquement pour qu’elle rende visite à quelques personnes du Temple, deux ou trois fois. C’est pas vraiment ici qu’on a eu des ennuis… expliqua Lloyd avec un haussement d’épaules. Si tu veux, on peut faire le tour de la ville, mais je vois pas trop ce qu’on pourrait y trouver.

A la limite, Luke était peut-être mieux informé que lui sur les connaissances de Mat’ sur Ondéron. Lloyd, lui, n’avait jamais entendu parler d’une connaissance de Mat’ ici, dans Iziz… Excepté des Jedi, bien sûr. Et si elle avait d’autres amis Jedi, Luke était mieux placé qu’elle pour le savoir et faire appel à ces personnes.

- Non, en réalité, on ne s’est pas fait beaucoup d’ennemis, soupira-t-il devant les sous-entendus du Jedi. On était réglos ! On gagnait notre pain aussi légalement qu’on le pouvait… La plupart du temps. Mat’ n’avait contracté aucune dette pour le vaisseau, on payait tout comptant pour éviter les ennuis. Elle a évoqué un certain Korgan Kessel avec qui elle devait aller sur Byss, ça te dit quelque chose ? Avant ça, les plus gros pépins qu’on a eu, en réalité, c’est grâce à…

Lloyd écarquilla les yeux. Maintenant, il se souvenait contre qui ils avaient dû se battre.

- Artorias, murmura-t-il. Nous avons pris part à la bataille aux côtés de la République. On s’est battus là-bas, contre des Impériaux. Il y avait des Sith, Mat’ a failli y rester. On s’est échappés, mais vraiment de justesse.

Déstabilisé, le jeune Hapan chercha du soutien auprès du speeder, qui grinça sous le poids de l’appui. Ses mains tremblaient, et il dût se faire violence pour reprendre une contenance. Maintenant, il se souvenait du récit de Mat’, ce qui lui était arrivé sur cette planète.

- Elle s’est battue contre un assassin à la solde de l’Empire. Une Nautolan, je crois, qui avait réussi à lui injecter un poison si puissant que j’ai vraiment cru qu’elle allait y rester. Nous avons mis plusieurs semaines à la soigner. Je suis sûr que le poison était censé la tuer, mais que ça n’a pas fonctionné. Tu crois qu’il serait possible que cette impériale s’en soit rendu compte ? Et ait tenté de terminer le travail ?

Comment le savoir ? Il leur était impossible d’aller visiter cette planète, maintenant qu’elle était à l’intérieur des frontières de l’Empire. Ah ! Il leur avait bien dit à l’époque, que c’était une très mauvaise idée ! Lloyd fila un coup de pied rageur au speeder à côté du sien.

- Merde ! Si elle est dans l’Empire, j’ai aucune chance de…

Mais il s’interrompit. Si, il y avait un moyen. Certes beaucoup trop risqué pour emmener un Jedi avec lui… Peut-être devaient-ils alors commencer par retrouver ce Korgan Kessel ?

Spoiler:

Contre toute attente, le Jedi connaissait Korgan Kessel, qui n’était pour Lloyd qu’un nom parmi des milliards d’autres qui peuplaient la galaxie. Bien sûr, en tant que citoyen anonyme, il n’avait aucune chance que l’Armée Républicaine lui ouvrit ses portes et encore moins son système d’information pour avoir accès à un individu en particulier. En revanche, les Jedi étaient plus que jamais proches de l’Armée avec la situation du Sénat où l’Ordre séculaire avait acquis une position de force en quelques mois. Avec Luke à ses côtés, il avait donc un espoir d’accéder à ce Korgan Kessel… En espérant qu’il ne fût pas aussi con que le dernier militaire que Lloyd avait rencontré quelques mois plus tôt.

Comme lui, Luke, privilégiait donc la piste de Kessel et proposait judicieusement de commencer leur enquête de ce côté-là. Ce qui signifiait se rendre sur Coruscant et espérer pouvoir y obtenir la dernière affectation du militaire pour le retrouver. Coruscant… Là où Jake séjournait temporairement. Il enverrait bien sûr un message à son ami pour lui donner des nouvelles et lui demander, éventuellement, de participer à la recherche de Mat’. S’il acceptait, il faudrait présenter le mercenaire à Luke… En espérant qu’ils s’accommodassent l’un de l’autre relativement facilement. Bah, c’étaient des problèmes annexes et Lloyd les mit de côté sans scrupule.

En revanche, la proposition de Luke lui fit hausser les sourcils. L’enlever de nouveau, pour le donner aux Sith en cadeau ? Ce type-là était pas net. Il avait la nostalgie du passé ou quoi ?

- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, fit Lloyd avec embarras. Honnêtement, ils seront contents de t’avoir, et ensuite ils me buteront. Faut pas chercher à être honnête avec ces gens-là, Luke. Ils ne tiennent aucun marché, ils ne connaissent pas le donnant-donnant. Je ne leur suis d’aucune utilité…

A la limite, un moyen de rester en vie au sein de l’Empire aurait été de promettre d’amener Luke un jour ou l’autre. Là il avait une chance qu’on le laissât vivre. Il y avait aussi un autre moyen, qui consistait à accepter de suivre Darth Laduim sur Korriban. En chasse gardée du Seigneur Sith, on ne dirait peut-être rien à sa réintégration à l’Académie. Sauf qu’il ne retournerait là-bas pour rien au monde… Sauf Mat’.

Lloyd serra les dents, se remémorant que le rôle de l’Empire dans la disparition de la Twi’lek n’était que supposé. Etablir un plan pour passer la frontière était prématuré. La priorité, c’était de retrouver le militaire et de lui faire cracher le morceau.

- Beaucoup trop risqué, conclut Lloyd pour ne pas que Luke pût penser qu’il pouvait être tenté par un nouvel enlèvement, comme autrefois. En plus, si je faisais ça, on peut être sûr que ton vieux maître me retrouvera pour m’étriper en personne.

Il sourit avec un brin d’amertume. C’était peut-être aussi bien qu’il n’eût pas vu le vieux Don aujourd’hui. Le grand-père lui aurait certainement renvoyé l’image d’un raté. Et puis, Lloyd n’était pas prêt à ce qu’un plan soit établi en concertation avec le Conseil. La proposition de Luke en ce sens lui avait fait l’effet d’une douche froide, et il priait maintenant pour que la piste de Kessel leur apportât des éléments qui ne seraient pas en lien avec l’Empire.

Lloyd remit son sac sur l’épaule, dans lequel son datapad tinta contre le métal de son sabre-laser, avant de s’orienter vers l’astroport. Agir était le meilleur moyen d’éviter de trop réfléchir, donc d’angoisser inutilement. Ils avaient un plan d’actions et des pistes, ce qui avait considérablement fait avancer Lloyd dans ses recherches. Il sentit son pas un peu plus léger et l’espoir lui revenir progressivement. Si Mat’ avait rendu l’âme, la Force lui aurait transmis une désagréable sensation, non ?

- J’ai un vaisseau, fit Lloyd en hâtant le pas. Le vaisseau de Mat’, d’ailleurs, et dont je suis le principal équipage. Si nous partons maintenant, nous arriverons à Coruscant avant demain matin.

La foule s’intensifia et les deux jeunes Hapans durent se resserrer pour ne pas se perdre dans la mêlée qui se constituait aux portes de l’astroport. Lloyd haussa la voix pour poursuivre ses explications.

- Je connais un ami qui est en escale sur Coruscant en ce moment et qui devrait pouvoir nous avoir une autorisation d’atterrissage relativement facilement, dans le quartier du Sénat. Ça nous permettra sûrement de gagner du temps pour atteindre le département de la Défense…

Et ça là que le Chevalier Kayan entrerait en jeu en usant de ses prérogatives de Jedi pour prendre contact avec Korgan Kessel, en espérant que le militaire n’avait pas été envoyé en mission top secrète à l’autre bout de la galaxie. Pas sûr que Jake allait apprécier la petite visite, puisqu’il avait déjà laissé entendre avoir quelques petits soucis avec la justice républicaine… Bah, il ne serait pas obligé de les accompagner, bien sûr.

Au bout de quelques bifurcations, Lloyd parvint enfin à un hangar un peu moins bondé que les autres : des vaisseaux personnels s’entassaient là, enchevêtrement de carlingues grises ou noires, parfois roussies par des tirs. Un seul appareil était éblouissant de couleur : une petite corvette au vert flashy, d’une peinture flambant neuve.

- Voilà, j’te présente le Soleil Vert, fit Lloyd en se plantant devant le vaisseau, une pointe de fierté dans la voix. Après toi.