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Contrairement à une vision colportée bien souvent, les maîtres d’armes de l’Ordre ne passaient pas l’intégralité de leur temps dans la salle d’entraînement. Certes, il eut été mensonger de penser qu’ils n’y passaient pas une partie importante de leurs journées, mais après les cours et les quelques moments de perfectionnement personnel, tous occupaient leur temps libre différemment, et certains osaient même s’aventurer parfois dans les archives de la bibliothèque du Temple.

D’une certaine façon, il était même tout à fait logique que ceux chargés de transmettre aux nouvelles générations de l’Ordre le maniement d’armes mortelles soient imprégnés des connaissances théoriques pour le faire, mais également, et de manière plus générale, versés dans la compréhension plus générale de la raison pour laquelle le recours à la violence était parfois nécessaire. Apprendre du passé, engranger du savoir sur des sujets variés, voilà ce qui faisait la force et la compétence d’un vrai bretteur jedi. Le physique n’était rien sans l’esprit.
Alyria croyait fermement à ce principe, et l’étendait à des domaines que très peu de ses confrères appréciaient. De son enfance au Temple, elle avait en effet gardé une curiosité sans bornes pour les ouvrages reposant dans la bibliothèque de l’Ordre, et adorait s’y perdre quand elle en avait le temps, surtout dans les rayons du fond, rarement traversés par une bande de padawans turbulents. Ainsi, tranquillement installée, elle pouvait se laisser aller dans un calme apaisant à des réflexions toutes personnelles sur l’Ordre, la Force, voire la manière dont le monde s’organisait.

C’était cette partie-là qui l’intéressait aujourd’hui, et elle se trouvait à arpenter avec lenteur le rayon baptisé « philosophie du politique », nom aride s’il en est, mais qui recélait dans ses entrailles des trésors de réflexions et d’analyses. Par tradition autant que conviction, les jedis se mêlaient rarement de la politique républicaine, mais cela n’avait pas empêché certains penseurs de l’Ordre de coucher sur le papier leurs théories à son propos. Rarement abordées en raison de leur complexité, et de leur caractère analytique, elles n’en demeuraient pas moins fascinantes pour toute personne désireuse d’avoir un regard nouveau sur les arcanes du pouvoir.

Evidemment, parmi ces philosophes du politique, certains avaient des vues plus hétérodoxes que les pensées principales apprises au Temple par les padawans. Ironiquement, c’étaient ces auteurs qu’Alyria préférait, et ce non par esprit rebelle ou goût pour l’interdit, mais bel et bien par esprit de curiosité : elle voulait savoir en quoi leurs écrits différaient de la pensée habituelle, et s’était souvent rendue compte que ces philosophes étaient souvent plus intéressés par la description des rouages de la politique que par une réflexion sur le bien ou le mal de tel ou tel comportement. Analyse neutre donc, profondément dépassionnée, mais dangereuse si mal interprétée.

La maîtresse d’armes avait donc décidé, ayant son après-midi devant elle et voulant ne pas rester à répéter des enchaînements en solitaire, de venir continuer sa lecture d’un ouvrage qu’elle avait découvert récemment, intitulé « Au voleur, un traité de géopolitique démystifié » qui s’appliquait à expliquer et à contrer les mythes politiques les plus couramment usités et les erreurs trop souvent commises à ce sujet. Ouvrage certes général, mais qui au fil des chapitres passait en revu un certain nombre de sujets, partant du général pour aboutir à une analyse de plus en plus pointue. Bref, un sacré volume, mais tout à fait intéressant au demeurant.

De par son lignage, Alyria avait été au cœur du bain politique et diplomatique dès son plus jeune âge. La fascination que ce milieu exerçait sur la petite fille qu’elle était s’était mué avec l’âge et l’expérience en un intérêt toujours présent, mais bien éloigné de cet émerveillement de petite fille devant tous ces orateurs habillés soigneusement et aux manières souvent impeccables. En opérant de nombreuses missions de protection de personnalité, voir tout simplement au cours de certaines enquêtes, elle avait vu l’envers du décor, qui n’avait rien de particulièrement reluisant.
 

Cependant, ce qui différenciait Alyria de la plupart de ces confrères, c’était sa volonté de comprendre les motivations de ceux qu’elle était amenée à protéger, leurs programmes politiques, bref, les rouages de ce qu’elle était censée préserver. Et de point de vue-là, les choses s’étaient avérées nettement plus complexes. Idéaux et pragmatisme avaient souvent tendance à rentrer violemment en conflit, et parfois, deviner les ressorts de telle ou telle décision diplomatique révélait bien plus sur les relations intra-républicaines qu’un grand débat universitaire. La théorie et la pratique, en quelque sorte.

Enfin, le fait d’être en première ligne en cas de conflit amenait forcément à réfléchir sur les enjeux stratégiques cachés derrière telle ou telle décision d’employer la force. Alyria était persuadée que la loyauté à la République n’empêchait pas un minimum de réflexion sur l’emploi que cette dernière faisait de la force armée. Quand on avait le pouvoir de tuer, il fallait savoir pourquoi il était nécessaire de l’utiliser dans certains cas, et non foncer aveuglément. Réfléchir avant d’agir, savoir quand intervenir, telles étaient les vraies qualités de tout jedi. Ceux qui avaient consacré leur vie à l’art martial peut-être plus que d’autres, avaient besoin de réfléchir à ses questions, qui leur étaient souvent posées au cours de leur existence par les faits.

Poursuivant avec avidité sa lecture, Alyria ne vit pas le temps passer, et seul le manque de lumière extérieure lui donnait une idée de l’heure qu’il était : tard à n’en pas douter. Sans doute que le silence qui régnait à présent dans les lieux était un autre indice de cette avancée horaire : elle avait sans doute la bibliothèque pour elle toute seule, ou presque. Les quelques jedis restant malgré l’heure tardive était plus souvent des érudits trop passionnés par leurs recherches pour descendre dîner, ou alors des individus trop profondément plongés dans leur lecture pour s’interrompre, comme elle.

Cependant, elle finit par sentir une présence dans la Force près d’elle, qui ne paraissait pas bouger, et soudain, Alyria se rendit compte qu’elle était plantée en plein milieu de l’allée, empêchant à toute personne de passer pour trouver un livre dans ce rayonnage. Levant le nez de son livre, elle déclara d’une voix contrite :


« Navrée, je n’avais pas vu que je bloquais ainsi le passage. Rares sont ceux qui errent dans ces rayons à une heure pareille, et comme personne n’est passé, j’ai perdu la notion du temps… et de l’espace, apparemment. »
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Un sourire flottait dans les allées de la bibliothèque. Pas un sourire contrit, non, ni un sourire creux, encore moins un sourire large et extravagant. Non, il s'agissait d'un sourire simple, sincère, de ces petits sourires qui accompagnent un petit air sifflé avec juste ce qu'il faut de joie pour faire passer le bonheur du siffleur sans gêner outre mesure le reste de la galaxie. Le sourire s'était déplacé parmi les hautes étagères, suivant un chemin que lui seul comprenait, s'arrêtant ici, traversant là. pour le moment, il se tenait immobile, impassible, tel un roc au milieu d'une rivière. Bon, une rivière asséchée, si l'on voulait pousser la métaphore jusqu'au bout, la bibliothèque s'étant peu à peu vidée à mesure que le jour déclinait.

Autour du sourire, comme un ornement purement décoratif, se découpait un visage encadré par une capuche bleue. En regardant plus attentivement, on pouvait constater que la capuche était rattachée à une bure de la même couleur. Et en poussant la curiosité encore plus avant, on finissait même par s'apercevoir que ladite bure contenait un occupant qui, pour peu que l'on aie une certaine connaissance des espèces recensées de la galaxie, selon toute vraisemblance, et aussi étonnant que la situation puisse paraître, appartenait visiblement au genre humain.

Les néophytes et les ignorants de ces savoirs ancestraux autant qu'éminemment primordiaux pour des êtres dont le but ultime n'était rien moins que La Paix Dans La Galaxie, néophytes et ignorants qui constituaient donc près de 99% de ladite Galaxie, auraient quant à eux eut l'idée simple et, avouons-le, hautement imprécise de bêtement parler de "maître Berryl", révélant un manque d'application philosophico-scientifique flagrant malheureusement aussi commun que l'hydrogène.

Maître Berryl, puisqu'il convient à un moment d'appeler un tauntaun un tauntaun, maître Berryl donc, en était à ce stade de ses réflexions lorsque le second rocher métaphorique auquel il s'était heurté daigna relever les yeux.

"Navrée, je n’avais pas vu que je bloquais ainsi le passage", lança l'être que l'on pouvait décrire... restons pour les besoins de la narration au niveau des néophytes communs et parlons d'une femme. Là. "Rares sont ceux qui errent dans ces rayons à une heure pareille, et comme personne n’est passé, j’ai perdu la notion du temps… et de l’espace, apparemment."

L'important était de garder le sourire. Un sourire pouvait devenir n'importe quoi : au bon endroit, il devenait une alliance forte, ou bien un pain offert, ou encore un peu de réconfort un soir de pluie. En l'occurrence, le sourire devint surtout un air amusé.

"Inutile de vous excuser, la bibliothèque est à tous", répondit le Jedi avec calme et politesse, une sensation de paix émanant comme toujours de sa personne. "Et puis, il est toujours agréable de voir un nouveau visage en ces lieux. Au voleur, un traité de géopolitique démystifié... Etrange lecture pour une non-consulaire, ce n'est généralement pas un sujet très intéressant pour quiconque n'y baigne pas."

Le corellien tenait lui-même un livre, au titre légèrement différent : De l'Histoire de la Politique dans l'Aldérande Antique. Il avait trouvé d'étranges ressemblances entre des rites décrits dans des ruines sur une petite planète des bordures et les anciennes élections aldérandes, et cherchait un point commun ou un indice sur une possible colonie oubliée de cette civilisation. Voire, idée séduisante mais des plus improbables, sur les possibles origines des aldéraniens.
Berryl invita l'inconnue à avancer, la suivant dans l'allée tout juste assez large pour passer à deux de front du moment que l'un des deux ne se tenait pas en plein milieu. L'étiquette aurait préféré qu'il prenne la tête, mais le Jedi préférait parler à son interlocutrice plutôt qu'au vide.

"Permettez-moi de me présenter : je suis Berryl, Jedi de mon état comme vous vous en doutez certainement. Je ne crois pas vous avoir déjà vue ici, bien que j'avoue ne pas être très présent sur Ondéron ces derniers temps. Vous êtes maître Von, n'est-ce pas ? Votre intervention à l'assemblée des maîtres, il y a quelques temps, m'avait impressionné par sa pertinence, je n'ai pas peur de le dire." Le maître ponctua sa phrase d'un sourire un rien plus large et d'autant plus amical.

Autour d'eux, la bibliothèque était "vide". Un terme souvent utilisé par ceux qui ne venaient que la journée, mais on ne peut plus incorrect. Il y avait bien sûr le ronflement épisodique d'un érudit qui avait poussé un peu loin sa concentration - pour le bien de sa recherche du savoir, bien entendu - mais également les petits pas précipités des jeunes padawans dont les maîtres consulaires attendaient pour le lendemain, ou pour les plus malchanceux pour le soir même, des rapports précis et circonstanciés sur telle ou telle affaire. Des diplomates consultant d'anciennes minutes en vue d'une entrevue le lendemain produisaient de petits froufrous indistincts et réguliers. Quelques tables se remplissaient de petits groupes d'archéologues, de philosophes et d'historiens, en vue d'une nuit de discussions, d'argumentations et de débats sur les sujets les plus variés.

La vie nocturne de la bibliothèque commençait, une vie à laquelle Berryl avait par le passé participé avec un plaisir intense. Et d'autres noctambules allaient venir et s'en repartir au cours de la nuit, qui sur la pointe des pieds avec la crainte de déranger, qui d'un air assuré et affairé d'habitué.

"Pourtant, je m'interroge d'autant plus sur votre présence dans ce rayonnage, bien loin des traités martiaux de l'aile ouest, et à cette heure d'habitude boudée par les visiteurs. Serait-ce une affaire que les armes ne peuvent résoudre ? Je serais ravi de vous prêter assistance, si j'en ai les compétences."
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Maintenant qu’elle avait enfin décollé le nez de sa lecture du soir, Alyria pouvait mieux regarder l’autre visiteur tardif de la bibliothèque. Grand, plus qu’elle en tout cas, vêtu d’une bure bleue et le bas du visage mangé par une barbe noire soigneusement taillée, comme c’était le cas pour un certain nombre de ses confrères de sexe masculin, il arborait un large sourire. La bretteuse trouvait ce visage familier, ce qui était souvent le cas dans un Temple où se cotoyaient pendant des années des dizaines d’individus. A force, on finissait par se souvenir des visages, mais évidemment, pour mettre un nom sur ces traits, c’était tout de suite plus difficile.

Ses sourcils se haussèrent quand elle entendit le nouveau venu commenter son choix d’ouvrage. Il était amusant de constater que certains préjugés sur les gardiens avaient la vie dure. Or, pour être honnête, la maîtresse d’armes avait trouvé particulièrement ironique le fait de penser que ces derniers ne s’intéressaient pas à la politique galactique alors qu’ils étaient souvent amenés à escorter des personnalités républicaines de premier plan. Et dans ces cas-là, il valait mieux savoir précisément les identités de chacune des personnes rencontrées, leur relation avec l’individu escorté… Bref, de quoi être baigner, véritablement, dans la diplomatie galactique. En tout cas, c’était comme cela qu’elle avait toujours préparé et mené ce genre de missions.

Tout en avançant, l’homme finit par résoudre son interrogation patronymique, et soudain, alors qu’il lui révélait son nom, l’évidence percuta Alyria avec force. Mais bon sang, comment ne l’avait-elle pas reconnu plus tôt ! Maître Berryl, puisque était son identité, venait d’être nommé au Conseil, en même temps que son ami Gabriel. Surtout qu’effectivement, maintenant qu’il y faisait allusion, elle se souvenait effectivement l’avoir vu lors de la grande réunion des maîtres quelques mois plus tôt. Il était étonnant de voir à quel point un événement aussi proche dans le temps pouvait lui sembler aussi lointain, d’ailleurs.

Finalement, Alyria finit par répondre, plongeant son regard émeraude dans les yeux de son interlocuteur :

« En effet, je suis bien Maître Von, et je m’excuse de ne pas vous avoir reconnu plus tôt Maître Berryl. Il faut croire que la lecture atténue singulièrement mes réflexes. Félicitations pour votre nomination au Conseil, si je puis me permettre. »

Puis elle ajouta à propos de son intervention lors de l’assemblée des maîtres :

« Je vous remercie. A vrai dire, il me semblait important de ramener la discussion à des sphères plus pragmatiques. Les idées ne doivent que rarement être déconnectées des faits, sans cela, même les plus ingénieuses sont vouées à l’échec. 

Je me souviens que c’est lors de cette réunion que votre projet de reconstruction du Temple de Coruscant avait germé. Comment les choses avancent-elles ? J’avoue avoir pensé dans un premier temps vous rejoindre là-bas, mais quand j’ai su qu’un autre maître d’armes serait présent, il m’a paru plus judicieux de rester sur Ondéron. Du moins pour le moment. »

Inutile de préciser que le fait que ledit maître d’armes soit Lorn l’avait largement convaincue de l’excellence du futur entraînement des jeunes padawans qui seraient installés sur Coruscant. Elle savait parfaitement que sous sa conduite, les nouvelles générations seraient plus que correctement formées.

Alyria enchaîna après cela :

« Pour revenir sur ce que vous avez dit plus tôt : à vrai dire, je viens souvent ici, mais à des heures où il n’y a guère de monde, comme le midi ou le matin de très bonne heure. C’est une manière agréable de commencer sa journée.

 Du reste, les missions de protection de personnalités publiques que j’ai pu mener m’ont pleinement immergé dans la géopolitique galactique, d’où ma présence parmi ces rayons. Même si, en règle générale, ces questions sont de toute façon très intéressantes. Surtout en ce moment… »

A l’heure où un empire sith ressurgissait, où les élections pour la chancellerie approchaient, il était vital de se tenir au courant des derniers événements, mais aussi de réfléchir théoriquement à ce se passait. Conjuguer théorie pure et empirisme pour avoir une vision large, complète, voilà ce qui motivait Alyria. Souvent elle regrettait que ses confrères se basent uniquement sur l’une ou l’autre. Or, en matière de politique ou de diplomatie, les idées n’allaient pas sans les faits, ce qu’elle avait rappelé lors de la réunion à laquelle Berryl et elle-même avaient assisté.

En entendant le consulaire lui faire remarquer que les traités martiaux étaient dans une autre aile, Alyria s’arrêta de marcher, afin de prendre le temps de réprimer un soupir. Il était bien dommage de réduire les gardiens, ou les maîtres d’armes, à des individus uniquement motivés par leurs sabres lasers. Alors, certes, son intérêt pour les mots était assez rare chez ses pairs, elle en convenait, elle était même la première à le regretter. Pourtant, nombre d’entre eux avaient d’autres centres d’intérêt, qu’ils étudiaient simplement pour le plaisir.

Avec un léger sourire en coin, Alyria répliqua :

« Eh bien, si, après une journée à enseigner le maniement du sabre, je venais lire un ouvrage… Sur le maniement du sabre, cela ferait un peu monomaniaque, ne trouvez-vous pas Maître Berryl ?

Pas de problème à résoudre, donc, non, juste un goût personnel. C’est un sujet suffisamment vaste et vital en ce moment pour y consacrer quelques heures, du reste. »
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Le Corellien accueillit les compliments de son interlocutrice avec - ô surprise - un sourire aimable. Depuis sa nomination, c'était fou le nombre de Jedi qui le reconnaissaient. Parfois, le maître trouvait même cela lassant, lui qui appréciait de rester en arrière-plan, d'être une silhouette anonyme et inoffensive jusqu'à ce qu'il en décide autrement.
Allons, c'était ce qu'il avait été, et à l'époque il n'aurait jamais accepté un poste aussi voyant qu'au Conseil, aussi honorifique soit-il. Mais à l'époque, il n'aurait jamais rien fait qui le rende éligible au Conseil. Plus question d'être une silhouette indistincte désormais - ou bien peut-être l'avait-il été suffisamment aux yeux de la galaxie pour en décider désormais autrement. Le changement dans la continuité ?
Autant de réflexions intéressantes sur lui-même venant d'un simple "bravo pour votre nomination". Ah, la vie, il n'y avait que ça de vrai !

"Il est vrai que nous confondons parfois recul et passivité, et l'univers est trop rude pour que nous nous passions d'un peu de pragmatisme quand le besoin s'en fait sentir. Il est bon de voir des Jedis qui s'en souviennent, tels que vous."

Le temple de Coruscant, l'autre grand sujet qui venait à l'esprit quand on reconnaissait le maître. Tant mieux, plus tôt les esprits seraient marqués, plus vite les choses bougeraient.

"Le temple bourdonne à nouveau d'activité, je vous remercie de vous en soucier. Maître Lorn est dur à la tâche, mais ses élèves n'en progressent que mieux. Souriant à la remarque de la jeune femme, il ajouta : Bien entendu, nous restons ouvert à tous, nous ne sommes pas un second Ordre miniature. Si vous passez à l'occasion sur Coruscant, nous serions honorés de vous avoir comme maître d'armes le temps de quelques leçons. Mon but en réhabilitant le temple a toujours été d'étendre l'Ordre, et l'échange de savoir comme de personnes est essentiel. Surtout en ces temps intéressants."

Intéressants, le mot était faible. Pour autant, le Corellien n'avait pas volé de se faire remonter les bretelles par la gardienne irritée. Là, au moins, on ne risquait pas de trouver du mielleux et de la sournoiserie nappés de condescendance polie : Alyria Von était directe et franche. Dangereux en politique, indispensable dans l'univers. Non qu'il doutait qu'elle puisse se montrer beaucoup moins directe quand il le fallait.

Il leva les mains en signe de reddition, acquiesçant en masquant l'amusement qui pointait dans son esprit. Il aimait la direction que prenait cet échange impromptu.

"Je vous présente mes plus sincères excuses, maître. Il y a toujours des gardiens, et pas uniquement parmi les novices, qui sourient quand je vais m'entraîner au sabre. Je suis devenu quelque peu taquin en retour. Mais je trouve votre implication et votre soif de connaissance admirables, je tiens à le dire."

C'était sincère. Le consulaire ne pouvait pas décemment reprocher à quelqu'un d'apprécier la lecture. Ce serait comme reprocher à un enfant d'être sage.

"Pour me faire pardonner, permettez-moi de vous prêter un peu de mon expérience en la matière. Cela fait longtemps que je n'ai pas discuté de politique avec quelqu'un qui n'y soit pas déjà mêlé d'une façon ou d'une autre, ce sera une bonne occasion d'explorer un point de vue un peu moins poussiéreux."

Le sourire chaleureux du Corellien n'était que politesse tandis qu'il dirigeait maître Von à travers l'une des salles de la bibliothèque, vers une petite table commune et sans différence avec ses consœurs. L'avantage majeur de discourir avec les gens externes au milieu diplomatique était bien qu'ils parlaient rarement de politique telle qu'elle était, mais telle qu'ils la voyaient. Une différence subtile mais qui apportait son lot de surprises.
Pourtant, Berryl pressentait qu'il allait en être autrement dans le cas présent. Il invita sa collègue à s'assoir avant de prendre place à son tour, posant son livre de côté. Les mains jointes devant lui, il observa un instant maître Von : son air à la fois malicieux et sérieux, ses mouvements précis et martiaux, sa position droite et comme prête à bondir. Oui, tout cela allait être un peu différent.

"Donc, je vois que vous vous intéressez à la realpolitik galactique, commença-t-il en désignant d'un geste le tome que son interlocutrice tenait. Ou du moins, aux raisons qui poussent certains hommes et femmes d'état à agir tels des couards, des traîtres ou des sauvages aux yeux de leurs électeurs. Avez-vous trouvé les explications convaincantes jusque-là ? Il n'est pas facile d'admettre qu'il faille parfois gifler de la main droite en offrant un gâteau de la main gauche, mais je pressens que ce n'est pas ce genre de trivialités qui vous poseraient problème."

Ce qui rend votre opinion d'autant plus intéressante, ajouta le Jedi in petto. Mais malgré sa longue décennie d'absence, il n'avait pas perdu son flair diplomatique : percer les illusions avait toujours été son talent et sa marotte, après tout. Et son flair lui soufflait que cette soirée allait persister dans ses souvenirs pour une raison ou pour une autre. Et tout commençait avec cette première énigme : avait-il une gardienne férue de diplomatie devant lui, ou bien une consulaire amatrice d'arts martiaux ? La même question que nombre de politiciens s'étaient posé par le passé, lorsqu'ils faisaient face à un jeune padawan bleu et à peine barbu...

Ah ! Temps, suspend ton vol. L'espace d'un soir, oublier les étiquettes, les titres, les fonctions, les âges, et ne garder que l'aspect le plus intéressant des gens : leurs pensées. Voilà à quoi jouaient tous ces grands Jedi en se réunissant dans la bibliothèque de nuit. Car la nuit, tous les nerfs ne sont-ils pas gris ?
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La remarque concernant Lorn arracha un large sourire à la gardienne. La description convenait parfaitement à son plus vieil ami, enfin ou autre chose mais ce n’était pas le moment d’y penser, tant elle n’avait guère de problèmes à l’imaginer en train de trimer jusqu’à pas d’heures pour enseigner à ses nouveaux élèves. Non, décidément, le Temple de Coruscant était entre de bonnes mains, elle aurait été relativement superflue. Pour le moment, sa place était sur Ondéron, et après… Eh bien, seul l’avenir le dirait.

Ne pouvant s’empêcher de rire, elle finit par dire, après son petit accès d’hilarité :

« Excusez-moi maître Berryl, mais disons que je connais suffisamment Lorn pour l’imaginer sans peine en train de faire répéter un enchaînement de son cru à nos chères têtes blondes. Pour dire la vérité, quand j’ai su qu’il s’était porté volontaire pour vous accompagner nous en avons discuté entre nous et conclut que je serais plus utile ici. Après tout, hormis pour des élèves au niveau très avancé dans certaines formes particulières requérant un suivi particulier, nos enseignements se valent parfaitement.

Nous nous connaissons depuis notre arrivée au Temple, quasiment… Ce qui commence donc à dater quelque peu, comme vous devez vous en douter. J’ai entièrement confiance en lui pour vous épauler, maître Berryl. »

Après tout, ce n’était un secret pour personne que les deux maîtres d’armes étaient ce qu’on pourrait qualifier aisément de meilleurs amis, tout comme un certain nombre des personnes de leur âge savaient que l’un des nouveaux membres du Conseil, en la personne de Gabriel, était aussi un vieil ami d’enfance d’Alyria. Après tout, il était normal que les jedis forment des liens amicaux durant leur noviciat : la vie en groupe favorisait clairement ce genre de choses, et avec les années et les goûts qui se transformaient, certaines de ces fraternités d’enfance se transformaient en de solides amitiés d’adultes… voir plus apparemment. Mais ce n’était vraiment pas le moment d’y penser.

Néanmoins elle ajouta tout de même :

« Si je passe par Coruscant, cela ne me dérangera pas de faire un saut au Temple pour donner quelques cours sur le Makashi et l’Ataru, en complément des enseignements déjà prodigués, comme vous l’avez suggéré. »

Cependant son sourire manqua se changer en grimace suite à la remarque du consulaire. Parfois, elle devait reconnaître que les petites taquineries dont faisaient preuves les gardiens envers leurs pairs à lame verte, et vice-versa, avaient une légère tendance à l’agacer. Cela induisait un sentiment de cloisonnement entre les différentes voies des jedis.

« Il est dommageable que les plus jeunes de l’Ordre, y compris les chevaliers parfois, ne voient pas que les voies jedis ne sont pas reliées entre elles, et que tout savoir est nécessaire à un moment donné. 

Cela dit, je vous remercie pour ce compliment. »

La suite l’amusa grandement : qui n’avait pas de rapport à la politique… Vraiment ? Penser cela était pour le moins ironique, eu égard à ses états de service, y compris les plus récents, comme en témoignait sa rencontre avec Valérion Scalia. Oh certes, l’entrevue n’avait a priori rien de politique, simplement une remise de décoration pour services rendus … Et pourtant, la demande du sénateur et candidat à la chancellerie n’avait forcément rien de parfaitement innocent. Mais même sans cela, Alyria aurait presque pu dire que toutes les actions des jedis, surtout haut placés, pouvaient avoir des répercussions politiques. A vrai dire, avec une pointe de cynisme, elle aurait presque pu ajouter que au fond, les différents courants qui traversaient l’Ordre étaient, en quelques sortes, des sortes de proto-partis qui rivalisaient d’influence pour tenter d’orienter les jedis dans ce que qu’ils croyaient être la bonne direction. Le nier eut été un manque cruel de réalisme, même si évidemment, cela n’avait rien à voir avec la politique réelle. Cependant, le noter n’était pas foncièrement inintéressant.

« Je crains que les récents événements aient plus ou moins plongés tous les jedis dans la politique. Rien que décider de soutenir ou non le plan de paix du chancelier et tenter de nous organiser pour faire face à la renaissance officielle de l’Empire pourrait être lu de cette manière. Sans compter les démêlés que nous avons pu avoir il y a quelques années avec les officiels républicains…

A vrai dire, j’ai plus que souvent eu ma part de conversations aux abords de la rotonde. Je crains donc de décevoir votre envie de discuter de cela avec une personne étrangère à la politique galactique. »

Suivant son vis-à-vis dans les allées de la bibliothèque après cette légère mise au point, et le duo s’arrêta finalement devant une table. Comprenant à l’invitation du maître conseiller qu’il était temps de s’asseoir, Alyria prit donc place, le dos parfaitement droit sur sa chaise, ses mains gantées de blanc croisées sur la table, dans une attitude à la fois similaire et différente de celle de son interlocuteur. 

Sa question était suffisamment vaste pour en faire un traité à elle seule, aussi Alyria répondit avec un infime sourire en coin :

« Je pourrais parler sans m’arrêter pendant des moins sans avoir effleuré ne serait-ce que le début d’une réponse à une telle interrogation, Maître Berryl. Résumer le comportement et la psychologie des acteurs majeurs de notre galaxie… Une gageure. 

Néanmoins, si je tentais de résumer à grands traits, et d’une manière pour le moins grossière, je dirais qu’au final, ce qui pousse n’importe quel homme ou femme politique à agir peut se subdiviser en trois catégories. Les premières sont aisées : l’idéal ou l’ambition. La troisième, qui est en réalité celle qui est presque toujours en vigueur, mélange ces deux choses. Hormis les êtres dotés d’une corruption extrême ou d’une éthique particulièrement vigoureuse, rares sont ceux qui ne mêlent pas ces deux idées, qui, si elles apparaissent contraires, sont en réalité bien plus intimement liées qu’on ne le croit.

L’immense majorité désire s’élever pour servir un projet, une vision qu’elle se fait de la société, de l’ordre de la galaxie. Mais cette idée soit est portée par une ambition personnelle, soit sert finalement de justificatif à une volonté farouche de s’élever. Là encore, nous avons deux positions, souvent très imbriquées. 
 
Par conséquent, ce qui motivera un politique à agir, ce sera de savoir si tel ou tel mouvement servira son idéal, son ambition, ou les deux. Ce qui est évidemment la position la plus souhaitable. Et après, suivant laquelle de ces deux idées vous placer en premier, vous obtenez les cas où l’on va privilégier l’un ou l’autre. Sans forcément que cela signifie un abandon premier de l’argument manquant, même si cela peut être le cas.

Et au milieu de cela, vous obtenez quelques êtres, qui, par leur envie résolue de servir uniquement l’une ou l’autre de ces idées doivent sans cesse ruser pour s’y tenir. Et évidemment, se tenir à l’idéal est souvent plus complexe, je vous l’accorde.

Cependant, on oublie trop facilement, et c’est une tendance dommageable, l’intérêt de jouer avec tous les moyens à sa disposition, sans tomber dans les magouilles de bas-étages, comme les appellent non sans raison le peuple. Je ne ferais pas un développement sur le parti pris uniquement éthique, ce serait vous faire un affront. Mais, si j’avais une vision purement cynique, je dirais aussi qu’en terme d’image, cela peut être très intéressant…

Au fond, je crois qu’il ne faut pas imaginer la réussite politique uniquement comme un jeu de dupes, car l’exploitation des ressources, et surtout une bonne dose de finesse et de pragmatisme servent souvent plus. Avoir un coup d’avance, anticiper, voilà la véritable clé. Le reste est affaire de tempérament, de valeurs que l’on place au centre de nos préoccupations, et bien sûr, de capacité à la compromission. »
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Le maître en bure bleue écouta son interlocutrice avec attention. Non, décidément, impossible de sous-estimer la femme en face de lui, quand bien même il aurait décidé d'essayer. Consulaire ou gardienne importait toujours un peu moins à mesure que les grandes explications se déroulaient entre les deux Jedi.
Pour autant, le débat ne faisait que commencer. Se frottant le bouc, le Corellien décortiquait les propos de maître Von, comme il le faisait si souvent avec de nombreuses personnes. Les questions habituelles se pressaient sous son crâne : la pertinence des exemples, la justesse des explications, la véracité des mots. Et, bien évidemment, la confrontation avec les idées de Berryl. Dans quelle mesure adhérait-il - ou pas - à ce que la jeune femme racontait ?

"Vous parlez d'ambition et d'idéal mêlés, et je ne peux nier leur importance respective. Il est vrai en effet qu'un personnage politique sans ambition ne va guère loin dans sa carrière, tandis que sans idéaux, il n'aura pas le charisme nécessaire pour fédérer et guider ses partisans.
Pour autant, l'ambition n'est pas toujours vue comme une qualité, pas plus que les idéaux. On confond souvent le premier avec la soif de pouvoir, et les seconds sont souvent considérés comme naïfs et utopiques. D'où sans doute l'impression que vous décrivez que les deux sont inconciliables voire contraires : comment un être avide pourrait-il être naïf, et vice-versa ? Et par là même, découle tout naturellement la vision du commun que tous les politiques - terme générique s'il en est - sont des monstres affamés ou de doux rêveurs coupés des réalités.

Mais si vous me permettez, est-ce que le sujet s'arrête vraiment là ?
continua le Jedi en changeant de position dans son siège. L'ambition se caractérise par une volonté d'atteindre un but fixé, un but élevé voire hors de portée. Un idéal est une réalité imaginée, un rêve qui nécessite de se donner les moyens pour le concrétiser. Au fond tous deux sont identiques : il s'agit d'objectifs lointains qui font appel à une détermination et un dévouement sans faille. Parfois au point d'en effrayer les gens autour de soi.

Vous dites qu'ambition et idéaux se mélangent ; je dis qu'ils ne sont que deux facettes d'une même chose. La question qui se pose alors est de savoir ce qu'est cette chose exactement. Pourrait-il s'agir d'une émotion ? D'un sentiment ? Peut-être de quelque chose de plus primaire, une sorte d'instinct ancré en certains d'entre-nous, un "gène du leader" qui marquerait les élus ? Ou au contraire quelque chose de plus raffiné, un besoin créé par une société en manque perpétuel de personnes décisionnaires ?
En y regardant de plus près, on peut voir d'autres choses qui ont ces mêmes caractéristiques : l'obsession, par exemple, mais aussi la dévotion, qui tendent tous deux à atteindre un certain but par tous les moyens. Pourtant, ce qui sonne parfaitement bien avec le second a un timbre plus funeste avec le premier. Et la question demeure : si ce sont les symptômes, quelle en est la cause ?
"

Berryl parlait tranquillement, presque nonchalamment. Il ne s'agissait après tout que de grandes théories jetées en pâture à la conversation, histoire de voir ce qu'il allait advenir d'elles. Les jeux intellectuels du cirque, en y repensant. Finalement tout n'était qu'histoire de recommencement. Lui-même n'avait-il pas déjà tenu cette discussion, de l'autre côté de la table ?

"Bien sûr, je ne parles là que des intentions pures. Une ambition ou un idéal peuvent tout autant être perverti, se corrompre et se transformer souvent sans même que leur propriétaire ne s'en rende compte. Le plus souvent, un élément extérieur en est la cause. Pour ma part, je serais tenté de dire qu'il s'agit de la réalité : confrontés à la dure réalité des faits et des moyens en leur possession, nombre de gens, politiques ou non, adaptent d'eux-mêmes leur ambition ou leur idéal pour y inclure les nouveaux obstacles jusque-là insoupçonnés qui se dressent devant eux.
Cela va souvent jusqu'à accepter de devoir composer avec ce qui semblait jusque-là inacceptable. Ce sont ces moments dont vous avez fait mention, où l'ambition sert l'idéal, et l'idéal justifie l'ambition. Un savant dosage bien délicat à faire car propre à chaque situation, et dont d'autres vont participer plus ou moins secrètement à la réalisation. Tout cela, toujours dans cette optique obsessionnelle de se dévouer à un unique but placé au-delà du déraisonnable. Et ainsi nous en arrivons à l'une des phrases les plus honnies et mal utilisées de ce quadrant de la galaxie : la fin justifie les moyens. Car une fois que l'on en arrive là, tout est dit.

Peut-être avez-vous compris où je veux en venir, mon amie
, lança le Corellien en fouillant dans une poche intérieure pour en ramener un petit cube avec lequel il se mit à jouer, le faisant tourner doucement entre ses doigts. Ou plus probablement vous ais-je perdue quelque part le long de mes élucubrations. Pourtant tout ceci n'a fait que tourner en rond autour d'un même point. Permettez-moi de reformuler ma question, qui vous a semblé si simpliste, si... "grossière".

Il est établi qu'il est parfois nécessaire d'agir différemment de ce qu'il était prévu, d'user des moyens à sa disposition comme vous avez dit, pour pouvoir atteindre cet objectif fixé - une vision très pragmatique de la chose, qui ne m'étonnes pas de vous, je peux bien vous l'avouer. Que pensez-vous alors de la manière dont les personnalités politiques placent la limite entre les moyens acceptables, et les "magouilles de bas étage" ?
Je ne parle pas là de résumer le sujet ou de le réduire à quelques grands traits vagues. Je vous demande votre ressenti sur la chose, votre propre limite pourrait-on dire. Car nous parlons d'idéaux, or l'idéal qui rêve le monde tel qu'il devrait être est par nature incompatible avec le pragmatisme qui voit ce même monde pour ce qu'il est.
"

Rêves éveillés et réalité crue. Grands espoirs soufflant contre des montagnes de scepticisme. Les fondements même de la diplomatie. Et parce que le sujet était vaste, il était nécessaire de ne pas s'arrêter là, de pousser encore un peu plus son interlocutrice. Le maître était certain que sa confrère n'aurait aucun mal à tenir la route, donc autant s'amuser un peu au passage.

"Puisque nous en sommes à l'idée d'image, ajoutons-la à l'équation. Vous préconisez la finesse et le pragmatisme pour avoir un coup d'avance, pour anticiper, et sur ce point je ne peux qu'exprimer mon accord avec vous. Cependant, n'est-ce pas là la source même du jeu de dupes que vous mettez pourtant de côté ? Lors d'une négociation, par exemple, avoir un coup d'avance signifie posséder un atout dans sa manche, une information ou un contact de valeur qu'il sied de garder pour soi jusqu'au moment de l'utiliser. Autrement dit, duper le monde afin de garder un coup d'avance.

Mettons que nous devions négocier, vous et moi. Rien que nous deux, sans troisième partie, sans fauteur de trouble, sans assistant. Pour ceci, disons.
Berryl souleva le livre près de lui pour le montrer à maître Von. Bien entendu, nous allons vite avoir une aimable conversation où vous m'expliquerez avoir besoin ou envie de consulter cet opus pour une quelconque raison. Moi, je répondrai que n'ayant pas encore terminé sa lecture, je préférerais le conserver encore un peu.
C'est là que la négociation démarre. Et pour me convaincre que votre raison est plus importante que mon désir de finir la lecture, il faudra que l'un de nous aie un coup d'avance sur l'autre.

Je peux, par exemple, deviner un idéal d'importance pour vous, au vu de votre insistance et de votre impatience. Cette information en tête, il me sera alors facile de vous échanger le livre contre un service quelconque de votre part, au lieu de simplement vous le céder. Voire de vous soutirer plus d'informations sur un sujet a priori sans rapport et sans risque pour vous, mais qui me seront, à moi, de la plus grande utilité. Je passe sur les possibilités d'un chantage ou autre malversation, restons pour le moment courtois.

Mais peut-être est-ce vous qui percerez mes intentions, me poussant à avouer que je lis moins cet ouvrage par plaisir que pour satisfaire mon ambition. Dès lors, vous pourriez montrer patte blanche en m'offrant innocemment un autre livre ou quelque renseignement sans valeur pour vous. Et bien entendu, reste également la possibilité d'augmenter la mise en me demandant un service s'il s'avère que ce second livre me rapproche encore davantage de mon but.

Dans les deux cas, maître Von, l'un de nous sera dupé par l'autre précisément parce que l'autre se retrouve avec un coup d'avance. Le tout sera fait avec finesse, de manière à ce que cela ne nuise pas à l'image publique du dupeur, voire pour en améliorer la réputation. Et nous ne parlons pas encore des cas où nous nous découvrons des objectifs concurrents ou au contraire semblables, qui pèseraient eux aussi dans la balance de nos choix. Qu'en dites-vous, mon amie ? Voyez-vous cette négociation se dérouler autrement ?
"

Le Jedi en bleu se rencogna dans son fauteuil, souriant doucement tandis que le petit cube dansait entre ses mains. Peut-être avait-il trop parlé - sans doute, même. Mais voilà, au bout d'un certain temps il était difficile de changer de caractère. "On ne se refait pas", comme le disait le proverbe, petite pépite de sagesse populaire parmi tant d'autres. Et puis, les deux maîtres étaient là pour parler, après tout. Autant faire bon usage de cette conversation des plus intéressantes pour le Corellien.
Invité
Anonymous
Si quelqu’un avait encore un doute sur la nomination de Maître Berryl au Conseil, cette personne pouvait venir voir Alyria et elle se ferait un plaisir de la rassurer. Elle n’avait pas connu pareille stimulation intellectuelle depuis… Eh bien, depuis très longtemps. Non pas que ses conversations habituelles soient vides ou peu intéressantes, loin de là même, mais il fallait être honnête : elle venait de basculer vers un tout autre niveau. A vrai dire, la gardienne se rendit rapidement compte qu’elle avait intérêt à être parfaitement concentrée et à mobiliser chaque rouage de son cerveau pour suivre le fil de la pensée de l’homme en face d’elle.

Une pensée touffue, pleine de ramifications, qui faisaient des va-et-vient vers son idée centrale, digressait à un moment, pour mieux se rapprocher en réalité de son but… Bref, une intelligence acérée, fine, et qui savait manier les mots avec une facilité rare : tout ce qu’il fallait pour siéger au Conseil, en résumé. Un excellent choix donc, même si la trentenaire n’en avait pas douté. Après tout, la proposition du consulaire de réhabiliter le Temple de Coruscant l’avait presque immédiatement enthousiasmée. Et son instinct lui disait qu’à la fin de ce petit entretien, son avis n’en serait que conforté.

Cependant, c’était maintenant à elle de jouer. D’emblée, Alyria ne voyait qu’une façon de répondre à l’humain : jouer la carte du syncrétisme. Une de ses spécialités, en somme : après tout, si un mot pouvait assez bien schématiser sa propres pensée sur un certain nombre de chose, c’était bien celui-là.

Avec un léger sourire, elle prit donc à tour la parole, et ouvrant les bras dans un geste oratoire typique de celui qui veut apaiser la foule, ou bien tenter de trouver une sortie, elle déclara :

« Peut-être pourrions-nous tenter d’établir une synthèse de nos deux propres, qu’en dites-vous ? Nous pourrions très bien imaginer que plutôt que deux facettes d’une même pièce, ou deux notions se rencontrant, nous devrions en effet, comme vous le développez, nous intéresser à la source du phénomène.

Le désir de s’élever peut correspondre à un idéal ou une ambition. Cependant, à mon sens, la politique a cela de particulier que pour parvenir aux plus hautes instances, vous ne devez pas travailler vos propres capacités : vous devez composer avec les autres, car ce sont eux qui vous porteront au pouvoir.

C’est sans doute une différence fondamentale avec d’autres champs de réflexion, ou d’autres professions : vous ne pouvez pas compter que sur vous-même, sur votre expérience, vos qualités intrinsèques. A un moment, vous devrez convaincre les autres que ce que vous défendez leur apportera quelque chose.

A ce moment, est-ce une affaire d’ambition ou d’idéal ? Eh bien, vous devez croire en vous pour penser être capable de fédérer de cette manière une foule. L’ambition, donc. Mais en même temps, fédérer autour de sa seule personne ne marche pas. Le charisme aide, il ne peut pas tout. Même de façon sommaire, il faut tracer un avenir attirant, tout du moins pour une partie de la société. L’idéal, alors ?

En fait, nous avons tous deux raisons : les deux se mélangent car il forme un tout, les deux facettes de ce tout. Je dirais que l’ambition constitue le moyen, qui peut parfois se transformer en fin quand la foi en ses capacités devient l’aveuglement, et l’idéal la fin, qui souvent, constitue un moyen d’avancer. 

Cela dit, je joue sans doute un peu sur les mots, je vous l’accorde. Mais ce n’est pas sans raison. En effet, avancer ce point me permet de rebondir sur cette question de l’obsession et de la dévotion. Et je dirais que chacun est en quelque sorte un dérivé des deux premiers, à savoir l’obsession résulte d’une ambition devenant une fin, et la dévotion d’un idéal qui se transforme en moyen.

Cependant, une fois que nous en sommes arrivés là, reste alors à trancher cette ultime question. Comment expliquer ces phénomènes ? Et surtout, leur évolution ?

J’apporterais une réponse unique pour ces deux interrogations, qui hélas ne résoudra guère l’étendue du problème : la psychologie de la personne visée, et ce qui a forgé ses convictions. On peut être infiniment brillant et sans volonté politique, médiocre et avec une ambition chevillée au corps. Pourquoi ? Je ne crois pas à ce gène du leader. On pourrait prendre deux personnes identiques, et pourtant, à un moment, l’une va faire le choix de s’engager, et pas l’autre.

Donc, qu’est-ce qui détermine cette volonté, ce choix ? Le caractère ? Le passé ? Les qualités propres ? L’entourage ? Les convictions ? Tout cela, sans doute, dans un cocktail qui au fil des années s’arrange peu à peu pour former un tout plus ou moins cohérent, mais qui se tient suffisamment pour faire avancer notre politicien. »

Alyria s’arrêta le temps de reprendre son souffle après ce monologue, puis, décidant de battre le fer pendant qu’il était encore chaud, elle réattaqua d’emblée, reprenant le fil logique de son explication :

« Et c’est justement là où cette réalité dont vous parlez entre en jeu. A vrai dire, j’émettrais un léger désaccord avec votre analyse dans le sens c’est cette première confrontation avec les vrais enjeux sous-jacents qui forge définitivement une ambition, un idéal, plutôt qu’il ne le ternit. Sans cette confrontation, tout reste du domaine du théorique, du projet, de l’intention… Bref, de la pensée vague, mal formulée. 

Confronté avec la réalité des moyens à sa disposition, le politicien en herbe adapte son ambition personnelle, la rabaisse de quelques crans éventuellement, et apprend à, non pas à accepter l’inacceptable, mais à se définitivement trier, choisir, ce qu’il accepte ou n’accepte pas de faire pour servir son ambition.

D’où quatre configurations : aveuglé par l’ambition, notre débutant était déjà prêt à tout, donc cela ne lui pose aucun problème. Désireux d’instaurer ses vues, il est prêt à faire des concessions et emploie donc cette fameuse expression que nous connaissons tous. Même si à mon sens, tout n’est pas dit une fois arrivé là. Mais restons sur une seule chose pour le moment. J’en viens donc à ma troisième configuration, la plus rare, et souvent le fait de personnes qui entrent très ponctuellement en politique, pour servir dans un temps limité, pas pour y faire carrière : désireux de sauvegarder ses premières convictions, il se résigne à ne pas livrer jeu égal, mais ne décide pas de faire les compromis qui pourraient s’imposer dans certains cas, quitte à trahir ses idéaux. Et enfin, dégoûté, choqué, ou tout simplement désireux de se tenir à l’écart, il renonce et ne désire pas aller plus loin.»

Alyria laissa un instant ses paroles résonner, comme pour les faire infuser, puis reprit :

« Je pense que vous aurez parfaitement compris dans quelle catégorie je me place moi-même : la troisième. Les idéaux ne sont pas forcément incompatibles avec le pragmatisme, à partir du moment où on a conscience de travailler à la réalisation de ce que l’on pense juste, nécessaire, moral, suivant le cas. Le pragmatisme permet d’avoir conscience que tout ne changera pas en un claquement de doigt ou en le voulant très fort, et est généralement une manière de conserver un pied dans la réalité, au détriment de la seule pensée. C’est donc un lien nécessaire entre le rêve et la vie réellement vécue, en quelque sorte, la capacité à ne pas se laisser dégoûter par les aspects plus brutaux de cette dernière, et de continuer quand même à avancer.

Quand à mes limites, je présume qu’elles seraient semblables à celles de tous jedis concernés. Même avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut pas tordre à l’infini les valeurs transmises par l’Ordre, et auxquelles j’adhère. Après, évidemment, tout dépend de la situation, on peut rarement tirer des choses plus précises que poser un certain code de conduite et aviser ensuite pour savoir si tel ou tel acte y est conforme. »

Ecoutant la petite simulation que Berryl proposa, la trentenaire ne put s’empêcher d’apprécier la finesse d’esprit de son interlocuteur, et d’ailleurs, c’était vrai que présenté ainsi, il n’y avait guère d’autres possibilités… Mais comme toute fiction, on pouvait en tordre les contours pour servir son propre intérêt… Et en l’occurrence ici, sa propre démonstration. Alyria, reine de l’esquive ? Eh bien, c’était sa façon de combattre après tout, alors forcément, ses démonstrations verbales avaient tendance à suivre le même chemin : on ne chassait pas le naturel.

« En effet, je vois d’autres façons pour ce petit échange. Un très simple tout d’abord : puisque je suis si intéressée par cet ouvrage, je présume que je l’ai longtemps cherché. Constatant votre envie manifeste d’en terminer la lecture, je peux battre en retraite et attendre tranquillement que vous en ayez fini la consultation. Après tout, si je l’ai tant cherché, je pourrais sans doute attendre encore un peu. 

Mais ce serait presque trop facile, n’est-ce pas ? »

La maîtresse d’armes ménagea une petite pause, avant de reprendre :

« Finalement, la véritable question, dans cette petite simulation, tient en une phrase : Sommes-nous Maître Berryl et Maître Von, deux maître jedis de l’Ordre, ou bien Berryl et Von, deux individus types ? Les enjeux ne sont tout d’un coup plus les mêmes du tout.

Prenons Berryl et Von, deux personnes dont nous ne savons pas grand-chose. On peut donc supposer à partir de là, dans une négociation, une foule de cheminements différents, car nous ignorons leurs motivations profondes, leurs valeurs, leurs idées et leur passé. On peut donc supposer que je vais vouloir à tout prix cet ouvrage, aboutissant à une négociation musclée, pour ainsi dire. Ou bien que je tente sur vous une… persuasion plus subtile, si vous voyez ce que je veux dire… 

Et ainsi de suite. Tout est possible et imaginable, dans ce cas de figure.

Maintenant, prenons Maître Berryl et Maître Von, deux maîtres jedis de l’Ordre. Ayant suivi peu ou prou les mêmes enseignements de base, on peut supposer donc qu’ils partagent plus ou moins les mêmes valeurs, qui ont tendance à rejeter l’exploitation de la détresse d’autrui, par exemple. Je pense que vous voyez parfaitement où je désire en venir. Avec un système de valeur commun, un passif semblable, bien que différent, nous allons sans doute arriver à une conclusion qui ressemblera fortement à quelques exemples que nous avons cité : je pourrais vous laisser continuer votre lecture et revenir plus tard, vous pourriez me céder l’ouvrage une fois que je vous aurais convaincu de l’urgence de mes recherches… Bref, logiquement, la négociation se passerait sans fard… Car nous savons que nous partageons un même univers, nous avons de nombreux dénominateurs communs. En un mot, mais d’une importance capitale en de pareils cas, nous nous faisons confiance. »

Désormais, Alyria tenait sa démonstration, aussi elle la déroula tranquillement à partir de là :

« Voilà la clé explicative des rapports de pouvoir, à n’en pas douter : la confiance, cette denrée rare et précieuse. De tous les politiques que j’ai pu être amené à escorter, tous ont dit la même chose à un moment ou à un autre : dans la conquête du pouvoir, on n’a pas d’amis, seulement des alliés, et encore, dont il faut continuellement se méfier, à la recherche d’un éventuel changement d’allégeance.

Amusant d’ailleurs comme le terme amitié politique résume bien le caractère terni de cette amitié qui n’en est pas une… Mais je m’égare.

Le fait est qu’à partir du moment où un rapport clair n’est pas établi, tous les jeux de dupes sont permis. Et en un sens, en écartant tout aspect moral, ils sont compréhensibles : les marches suprêmes du pouvoir se grimpent seules.

Alors que faire dans notre cas, en tant que jedi, puisque c’est cela, votre véritable interrogation ? En fait, nous en revenons à la troisième configuration que j’ai énoncée il y a quelques instants. Participer sans être naïf, mais ponctuellement, pour une tâche précise, sans en faire sa vie. Là est sans doute la différence inhérente à la participation ponctuelle et qui s’accepte comme telle : partir quand vos limites sont franchies vous fait simplement regagner votre place précédente, vous ne perdez pas les fondations d’une vie complète. Rester dans son champ de compétences, dans ce pourquoi on vous a appelé, ne pas se préoccuper des autres querelles… Voilà la clé. De là à dire que c’est aisé, il y a un pas que je ne franchirais pas. 

Bref, cela me permet de conclure donc fort à propos sur mes limites, et de répondre aux questions précédentes. Pratique, n’est-ce pas ? »

Puis, Alyria ajouta :

« Peut-être qu’après les élections, le chancelier Arnor nous donnera l’occasion de vérifier en direct la véracité de toutes ces thèses. Après tout, il a accédé aux plus hautes fonctions de l’Etat républicain en tant que jedi… Une synthèse délicate, mais qui prouve une possibilité, ou tout du moins une ouverture du champ des possibles.»
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