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« Mesdames, messieurs, veuillez noter que le Royal Express va bientôt quitter l’hyperespace pour arriver en vue de Coruscant, le Joyau des Mondes du Noyau. Il y restera en orbite basse pour une durée de quarante-huit heures. Nous vous informons aussi que des navettes en partance pour les principaux sites touristiques de la capitale seront à votre entière disposition sur les quais d’embarquement C-1, C-2 et C-3. L’équipage du Royal Express vous souhaite d’ores et déjà un agréable séjour, et se tient à votre service pour toute information complémentaire. Merci de votre attention. »

La voix de velours se tût, laissant place, comme d’habitude, à quelques notes de musique aussi harmonieuses que passe-partout, le genre de mélodie agaçante qu’on retient sans le vouloir, et qu’on se surprend parfois à chantonner du bord des lèvres. C’est précisément ce qui venait de se produire, lorsque l’éternel guilleret Falk Meno – bras-droit de Noval à la Corporation Symbiosys, aux talents divers et variés – s’arrêta net de fredonner le jingle entêtant, croisant le regard exaspéré de l’arkanien. Il avait beau cherché dans ses souvenirs, ce dernier ne se rappelait ni de quand ni à quelle occasion remontait sa dernière venue sur le Pivot, preuve que cela ne devait pas dater d’hier. Plus ennuyeux, sa mémoire avait peut-être été affectée depuis Artorias… * Au diable, Artorias ! Inutile de ressasser cette satanée rengaine ! Il faut tourner la page, et le plus tôt sera le mieux ! * pesta-t-il secrètement, aigri de lui-même lorsque son esprit se braquait encore et toujours vers les mêmes souvenirs. Loin des mondanités, des petits fours et autres divertissements du même genre, Noval et Falk n’avaient pas quitté la cabine durant les quelques heures que dura le trajet, pour ainsi dire. Nonobstant le fait d’avoir embarqué à bord d’un paquebot de luxe, leur venue sur Coruscant n’avait rien à voir avec le voyage de plaisance dont jouissait la foule hétéroclite de touristes aisés et bruyants peuplant le Royal Express d’un bord à l’autre.

Dans un peu plus d’un mois, Arkania allait voir débarquer un contingent de comptables et de bureaucrates directement détaché du ministère de l’Economie et des Finances, et qui prendrait soin d’éplucher à la loupe les finances et les fluctuations de capitaux des sociétés biomédicales les plus importantes que compte cette planète. Lorsque l’information avait fuité, nombreux furent les hommes et les femmes politiques du gouvernement arkanien a protesté contre cette ingérence injustifiée, selon leurs dires. Narral Ortyss, membre fondateur de la Corporation Symbiosys, ne fut pas de ceux-là, bien au contraire. A ses yeux, cette politique interventionniste était pleinement justifiée, et le vieux briscard se frottait déjà les mains à l’idée d’abattre en secret la carte qui ferait chanceler durablement les bases de son principal concurrent, Adascorp. Depuis trop longtemps, ses offres de rachat étaient devenues de véritables provocations, ses émissaires, Silas Adasca en tête de liste, des fossoyeurs de mort qui ne se privaient pas de lui marcher dessus, le menaçant à l’envie de démanteler l’œuvre de sa vie si jamais il s’entêtait encore à ne pas coopérer. Le temps était venu d’en finir, définitivement. Les preuves à charge que Noval et son complice transportaient suffiraient à provoquer un marasme juridique et financier dont Adascorp mettrait probablement des décennies à se relever.

Pour l’heure, il s’agissait d’honorer un rendez-vous d’un type un peu particulier. L’avant-veille, le réseau interne de la Symbiosys avait déclenché le plus haut niveau d’alerte, subissant une série considérable de micro-attaques virales saturant les systèmes de pare-feux réputés inviolables. Dans le même temps, le databloc personnel de Noval fut piraté par un programme dénué de toute signature numérique, s’exécutant et délivrant quelques lignes de codes avant de charger un message sans qu’il ne puisse rien n’y faire. Un compteur de temps s’afficha par la même occasion, ainsi que des instructions, des coordonnées et pour finir, une date. Rien d’autre. Il ne fallait pas être particulièrement futé pour faire le rapprochement entre l’arrivée prochaine de la délégation du ministère de l’Economie, et cette intrusion de haut-vol survolant un système informatique aussi pointu en matière de sécurité. Ragda Rejliidic venait de prendre contact avec lui via son intermédiaire virtuel, le pirate qu’il avait lui-même appelé Fantôme. Les précieuses preuves incriminant certains haut-responsables d’Adascorp devaient être crypté selon un protocole bien précis, puis transférées sur un réseau virtuel spécialement conçu à ce seul effet, lequel disparaitrait dès que le téléchargement serait achevé. Et cette opération devait avoir lieu sur Coruscant, en plein cœur du district financier, situé à quelques encablures du Sénat Galactique. En termes de brouillage et de traçabilité des réseaux informatiques, il est clair que le magma d’informations constamment diffusées d’un bout à l’autre de la planète formerait à lui-seul une couverture idéale. Réussir à détecter et suivre un flux spécifique de données si ténu, dans une fenêtre de temps si étroite, relèverait d’un exploit purement extraordinaire, que même ce Fantôme ne pourrait probablement pas accomplir.

Tout se passa sans accroc. Noval et Falk s’étaient d'abord assurés que personne ne les avait pris en filature, en changeant plusieurs fois de taxis avant d’arriver à bon port. Resté en retrait, le Sith drapé d’invisibilité ne quitta pas des yeux Falk lorsqu’il approcha du point de chute, puis le rejoint. L’opération ne dura pas plus de cinq minutes, et ils repartirent comme ils étaient arrivés, en taxi, pour se fondre aussitôt dans la masse indénombrable d’engins se filant le train au travers des couloirs de circulation constamment bondés. Peu après, un ralentissement notable fut causé par un charivari colossal à proximité d’un édifice aux dimensions imposantes, lequel attisa la curiosité de Noval. Falk ne tarda pas à réagir au quart de tour, enfilant l’une de ses casquettes préférées, celle de guide touristique :

« C’est le site du futur Musée des Arts et Cultures, sans doute l’un des projets les plus ambitieux que Coruscant ait connu depuis des lustres ! C’est un certain…. Son nom m’échappe… » marmonna-t-il, avant de plonger le nez sur une sacoche de cuir, rabattant sa housse de protection, révélant l’écran tactile d’un databloc. « Ah oui voilà, le Lord Côme Janos, sénateur d’Aargau, est à l’initiative de cette entreprise titanesque ! Il semblerait que la construction ne soit pas complètement achevée, et je ne vois pas d’indications au sujet de l’ouverture au public… »

« Arrêtez-vous dans le secteur dès que vous le pourrez ! » ordonna Noval au chauffeur, qui ne se fit pas prier pour obéir à la consigne, l'engin minuscule changeant de trajectoire pour entamer brutalement un piqué.

« Vous… Je peux vous demander ce que vous faites, Monsieur Ortyss ? » bredouilla son bras droit, littéralement collé à son siège, la mine apeurée.

« Certainement pas, par contre, je vais vous dire ce que vous allez faire… Retournez à bord du Royal Express et prenez un peu de bon temps, vous l’avez bien mérité ! » répondit-il en lui tapant sur l'épaule, avant de descendre du véhicule qui venait de se stabiliser à hauteur d’une plate-forme voisine dudit site. L’expression éberluée de Falk valait son pesant d’épices, pour sûr ! C’était le bon gars, ce Falk, à la fois simplet et doté d’un QI à faire pâlir les plus réputés des scientifiques arkaniens. Au-delà de cette légèreté d’être qui caractérisait le bonhomme, il avait toujours fait montrer d’une dévotion sans faille envers la Maison Ortyss, et de compétences sans égal dans bien des domaines.

Noval espérait bien pouvoir s’offrir le privilège d’une visite en avant-première de ce musée, en faisant preuve de discrétion, bien évidemment. Le fait de se retrouver seul à seul face à certaines œuvres était un plaisir auquel il n’avait pas goûté depuis fort longtemps. Il vouait une admiration sans bornes aux arts dits classiques, notamment la sculpture, et vénérait certains artistes contemporains, comme Pollack Strillu ou Balto Molti qu’ils avaient eu la chance d’approcher à l’occasion d’une visite privée de leurs ateliers respectifs, sur Corellia. L’infiltration au sein de l’édifice fut d’une stupéfiante simplicité, si bien que Noval se demanda s’il n’aurait pas eu ses chances sans le Voile de Force qui dissimulait sa présence. En revanche, une fois à l’intérieur, il se retrouva confronté à un véritable dédale de couloirs et de salles où s’orienter paraissait une tâche insurmontable. Bon gré mal gré, il arpenta l’édifice sans chercher à savoir s’il existait un sens préétabli au cheminement des futurs visiteurs. Contemplant une collection de masques Tusken taillés à même des ossements d’animaux, l’arkanien sentit soudainement une aura de Force perturbée sa contemplation, exaltant tout autre chose que les habituels remous violents et saccadés qu’on rencontre chez les Sith avides de puissance. A vrai dire, Noval avait le plus grand mal à cerner la nature de ce qui l’avait troublé, fait qui l’inquiéta d’autant plus. Il s'agissait là d'une présence toute en retenue, mais d'une gravité si intense qu'il en déglutit de nervosité. A pas feutrés, il se terra contre une alcôve, attendant d’en savoir davantage sur la source de ce trouble si particulier...
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«Primitif, primitif... Je suis désolé : avec des concepts pareils, je ne sais pas ce que les visiteurs vont retenir de nos expositions.»

«Bon ! Et vous proposez quoi, à la place, alors ?»

«Je ne sais pas, moi. Mais pas primitif ! Primitif, ça donne un petit côté préhistorique, naïf, grossier... C'est très idéologique, comme concept.»

«Oh, avec vous, tout est idéologique ! Les expos thématiques et trans-culturelles sont idéologiques, les choix d'objet sont idéologiques... Mais il faut bien qu'on trouve une manière de présenter les choses au grand public, tout de même !»

«Ah, nous y voilà ! Le grand public ! Toujours le grand public ! Non, mais attendez un peu : ce n'est pas parce qu'on se lance dans de la vulgarisation qu'il faut tout le temps tout niveler par le bas ! Laissez-moi vous dire : non seulement vous voulez toujours enfermer chaque expo, chaque objet dans un concept-clef, et totalement réducteur...»

«Ah non ! C'est faux ! Je...»

«Oh, laissez-moi finir, hein ! Je disais : non seulement vous êtes affreusement réductrice, mais en plus on peut décemment vous taxer de...»

«De technocentrisme, oui, je sais, vous me le dites tout le temps.»

Voilà maintenant plus de vingt minutes que les deux individus se disputaient sur cette question de terminologie. À droite, Klaud'Leh Vischtross, un vieux Twi'lek extrêmement célèbre pour ses recherches anthropologiques sur les peuples de culture pré-technologique - et vulgairement appelés "primitifs". À gauche, Helena Arshley, une Zabrak d'une élégance rare, manager émérite en communication dont le nombre de diplômes en disait long sur la compétence. Au centre, immobile et silencieux, les jambes croisées, le visage légèrement incliné sur le côté, Lord Janos, sénateur d'Aargau, sous-secrétaire général du Rassemblement Républicain et fondateur de ce Musée des Arts et Cultures dont on parlait tant dans la Capitale. Le politicien écoutait sans mot dire, quoiqu'avec un intérêt réel, ce choc des cultures, cette lutte à mort entre deux représentations antagonistes : à droite, la rigueur d'un universitaire passionné par son sujet ; à gauche, la vivacité d'un esprit désireux de respecter les sacro-saintes lois de buzz publicitaire.

«Mais vous, sénateur, qu'en dites-vous ?»

La jeune femme s'était tournée vers leur employeur, plongeant ses grands yeux vifs dans le regard rigide du Lord. Devant ce recours à un arbitre, l'anthropologue acquiesça et en attendit la réponse, alerte.

«Je pense que ce débat pourrait être sans fin.», répondit Janos en tâchant de conserver une impartialité totale. «Sans fin, oui. Vos séries d'arguments respectives tiennent toutes deux. En fait, tout dépend de l'objectif auquel nous voulons répondre...»

«Le savoir, bien sûr ! Le savoir et l'érudition !»

«La vulgarisation. Nous devons tout miser sur la transmission et la simplification.»

Pour mener à bien son projet de Musée, Janos avait engagé les personnages les plus compétents de la Galaxie - du moins, ceux qui avaient accepté sa proposition - et s'était entouré d'un petit groupe composite, où exerçaient pèle-mêle conservateurs, archéologues, anthropologues, ethnologues, managers de toute sorte, économistes, sociologues, artistes... Cette espèce de technocratie appelée à diriger une structure aussi complexe que ce centre culturel savait faire preuve d'une efficacité déroutante, chacun dans son domaine. Mais il arrivait aussi qu'un trop-plein de compétences pût handicaper certains aspects : ainsi, quand une manager douée dans les questions publicitaires proposait la notion d' "arts primitifs" pour un département réservé aux ethnies de culture pré-technologique, le spécialiste desdites ethnies pouvait crier au scandale pendant des heures. C'est dans ce genre de situation que la présence d'un diplomate peut être appréciable...

«Tentons de nous mettre d'accord, voulez-vous ?», répondit Janos d'une voix qu'il rendit la plus douce possible. «Je comprends très bien vos scrupules, mon cher Vischtross. Et de ce point de vue, vous n'avez pas tort : le terme "primitif" a une claire connotation péjorative. Je pense qu'il faut l'exclure.»

«Ah !», s'exclama le vieux Twi'lek d'un ton presque revanchard à l'attention de sa jeune collègue.

«Cependant», reprit posément le sénateur «cependant, nous devons également rendre le contenu de nos expositions accessible au grand public. Et, sans rien remettre en doute de vos compétences extraordinaires, si nous intitulons ce département "Section des ethnies de culture pré-technologique", nous ne risquons pas de remuer les foules. C'est un fait.»

«Évidemment !», s'écria la jeune Zabrak, en position de défense.

Janos leva poliment les mains pour les inciter à demeurer silencieux et à ne pas l'interrompre.


«Je suis politicien : faire comprendre au commun des sujets auxquels ils n'entendent absolument rien, voilà l'une de mes principales activités. On appelle cet art : la rhétorique.», ajouta-t-il en adressant à ses interlocuteurs un petit sourire courtois, quoique teinté d'un doux cynisme. «Pour ma part, je vous proposerais une synthèse entre vos deux ambitions : le respect des recherches universitaires, mais le tout dans un souci d'accessibilité - préférons d'ailleurs la notion d'accessibilité à celle de vulgarisation, que je trouve légèrement condescendante.»

«Mouais. Et qu'est-ce que vous proposez, alors ?»

«Oui. J'attends de voir ça.»

D'un coup, Janos sentit que son rôle d'arbitre pouvait à tout instant générer une coalition des deux partis contre lui. Son esprit envisagea à toute vitesse les possibilités qui s'offraient à lui, quand la formulation adéquate surgit enfin.

«Que diriez-vous du "Département des Arts Anciens" ? "Ancien" est moins idéologique et surtout moins péjoratif que "primitif", mais le terme reste tout aussi explicite. Si l'on se place du point de vue d'un visiteur lambda qui se rendrait dans notre Musée par curiosité, bien sûr...»

Évident, pourtant. C'était tout bonnement évident. Mais aucun des deux spécialistes n'y avait pensé. Ni le Lord, d'ailleurs. Du moins pas immédiatement.

Après quelques secondes d'une irritation embarrassée, la jeune Zabrak hocha vivement la tête.


«Ancien ? Oui, j'adhère. Ancien, ça a un côté vénérable, digne d'admiration. J'y avais pensé, d'ailleurs. Mais comme mon collègue m'a interrompu, vous savez, l'idée a filé, et pas moyen de la retrouver...»

Le sénateur d'Aargau n'était pas dupe, mais il décida d'acquiescer avec bienséance et courtoisie. Sans les mensonges, cette harmonie déjà fébrile que l'on tente de tisser entre les individus s'effondrerait en un instant.

Le vieil ethnologue ne put, pour sa part, s'empêcher un commentaire critique.


«Hem-hem... Si je puis me permettre, sénateur Janos, je voudrais tout de même vous signifier qu'au sens strict, "ancien" n'est pas très adéquat non plus. Certes, les peuples dont nous parlons sont de culture et de mœurs pré-technologiques, mais ils ne sont pas anciens au sens où ils vivent bel et bien de notre temps. Ces ethnies nous sont contemporaines. Seule une vision idéalisante et très idéologique du progrès techno-scientifique nous amène à les placer dans une chronologie antérieure, et, en tant qu'universitaire, je...»

Cette fois encore, le Lord leva la main, faisant taire le sieur Vischtross.

«J'en ai tout à fait conscience. Mais entre nous, tous les objets exposés dans ce département ont au minimum trois siècles d'existence. Trois siècles... Compte tenu de l'espérance de vie d'un humanoïde standard, trois siècles suffisent à mériter l'appellation d' "ancien".»

Le Twi'lek eut envie de rétorquer que c'était faux, que le masque Tusken CF-325 n'avait que deux cent quatre-vingts-trois ans, mais il se ravisa.

«Certes.», se résigna-t-il à répondre.

«Va pour "Département des Arts Anciens", donc. Bien. Passons à la suite, maintenant. Je vous rappelle que nous avons mis une demi-heure à décider du nom d'un seul département, et il nous en reste encore trente-neuf autres à qualifier.»

Janos aurait voulu ajouter qu'à ce rythme-là, on y serait encore une semaine plus tard, mais il jugea la remarque impolie et s'en abstint. De toutes façons, un nouveau débat venait de commencer...

«Au sujet de l'art moderne...»

«Ah ! Nous y voilà ! Alors, laissez-moi vous arrêtez immédiatement, mademoiselle...»

«Permettez-moi au moins de finir ma phrase, avant de me couper à tout bout de champ !»

«Non, non, non ! Je vous vois venir avec vos gros sabots, mais nous devons à tout prix distinguer l'art moderne de l'art contemporain ! Les deux domaines n'ont absolument rien à voir, et une férue de mass-media comme vous n'y comprendrait rien !»

«Une férue de... Non, mais, un peu de respect, quand même !»

Ce fut à cet instant précis que l'esprit de Janos décrocha de la querelle. Non pas que la distinction entre art moderne et art contemporain ne l'intéressât guère. Bien au contraire, même. Mais il eut soudain une bonne raison de perdre le fil de ces débats sans fin.

À cet instant, un manipulateur de la Force s'introduisit dans le Musée. L'intuition le lui dicta : aucun doute là-dessus. Mais qui ? Aucun rendez-vous n'avait été prévu avec un membre du Temple, cet après-midi. Et de toutes façons, cette conscience froide, assez sinistre, qui dégageait une aura peu encline au Côté Lumineux, ne pouvait être celle d'un Jedi. Non. Un Sith, peut-être ? Pas un Sith comme des Darth Ynnitach ou autres Anetherion : aucun sens de la cruauté, aucune inclination au sadisme, aucune prétention à un pouvoir destructeur. Non, une aura infiniment plus rationnelle, infiniment plus calculatrice.


«Pardonnez-moi, je dois vous laisser un instant. Une discussion holographique me retient, et je ne peux la manquer. Mais rassurez-vous, mes amis : elle ne sera pas longue.»

Le débat était si enflammé entre les deux technocrates que le Lord aurait pu les insulter sans que leur réaction en fût changée. Le sénateur se leva donc, laissant ses interlocuteurs à leur querelle, et s'éclipsa discrètement.

De là, il n'y eut plus qu'à suivre l'aura jusqu'à ce qu'elle se fît plus forte, plus prenante. La chose demeurait assez aisée, car la manipulation des esprits et la sensibilité à la Force faisait partie des domaines les mieux maîtrisés de Janos - contrairement aux combats de sabre, par exemple, où il n'avait jamais remporté aucune victoire, sinon par la ruse. Le cyborg se faufilait tel une ombre à travers les couloirs déserts du Musée, l'esprit en alerte. Parfois, son chemin rencontrait celui de quelque droïde ou autre agent d'entretien ; on lui adressait alors un
«bonjour, sénateur» auquel il répondait à la hâte, bien trop préoccupé par son objet.

Cette pérégrination le mena justement dans cette section que l'on venait de nommer "Département des Arts Anciens". Face à un masque Tusken, depuis une alcôve, l'aura dégageait désormais une puissance immense. La marque d'une présence, d'une entité. Alerte, Janos s'approcha lentement, prêt à dégainer ce sabre dont il ne s'était pas servi depuis deux ans. Mais, pour faire venir à lui cet individu, il ne décida pas de s'en remettre aux aléas de la force physique. Il existe d'autres expédients infiniment plus raffinés...


«Désirez-vous une visite guidée, monsieur ?», lança-t-il à l'attention de l'alcôve.

Sa main se crispa. Ses sens furent prêts déployer un éclair de Force. Droit au milieu du couloir, les sourcils froncés, il attendit que quelqu'un parût. Et ce sans, aller le débusquer.
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Impassible, l’arkanien s’était comme statufié sur place, les bras le long du corps, les yeux rivés vers les fresques murales situées en hauteur qu’il parvenait à peine à distinguer, avant d’observer plus spécifiquement une œuvre d’art contemporain exposée à un niveau supérieur du musée. Celle-ci était composée d’une multitude d’éclats de verre minuscules scintillants et semblait léviter dans les airs, l’ensemble composant une structure pyramidale inversée, crut-il percevoir de l’endroit où il se blottissait. En enfilade de la série de masques cérémoniels sculptés qui trônaient à quelques pas de lui, dévisageant férocement le visiteur impromptu, Araya se contenta de rester silencieux, terré dans l’ombre d’un renfoncement mural, une bien piètre cachette à vrai dire, attendant de voir quelle tournure allait prendre les choses. Malgré cette posture inconfortable au possible, il parvint à remarquer que les lieux avoisinants fourmillaient de détails architecturaux, associant différents styles et époques avec un brio certain. Décidément, il était fort regrettable que sa visite eut été passablement écourtée de la sorte, compte tenu des splendeurs qui lui restaient à contempler de son œil d’amateur éclairé.

Le fait est que, s’il faisait montre d’une certaine prudence en temps normal, dans le cas présent, ce genre de précaution n'avait servi à rien, ou presque. Dès qu'il eût franchi les dispositifs de sécurité, sa présence avait été détectée par une personne endurée à la Force, un seigneur Sith très probablement, mais d’une toute autre trempe que ceux qu’il avait pu croiser jusqu’ici, s’incluant dans le lot. L’espace d’une seconde, l’idée farfelue d’apercevoir son ancien maitre, Darth Ryst, lui avait effleuré l’esprit, perspective qu’Araya chassa aussitôt. * Que viendra-t-il faire ici, sombre idiot ?! * pensa-t-il en raillant cette éventualité absurde. Ce fut à ce moment précis qu’il se remémora ce que Falk lui avait dit, plus tôt : * Ah oui voilà, le Lord Côme Janos, sénateur d’Aargau, est à l’initiative de cette entreprise titanesque ! * Ce nom, l’arkanien l’avait déjà entendu plus d’une fois prononcé sur certains réseaux d’informations de l’Holonet. Si c’était bien de lui qu’il s’agissait, peut-être n’apprécierait-il pas qu’un parfait inconnu s’invite sur ses plates-bandes sans y avoir été invité. C’est ainsi que lui-même réagirait en tous cas ! Sauf, bien sûr, qu’il n’était pas à sa place…

C’est bien connu, rien de tel pour appréhender une situation des plus compromettantes que de garder son sang-froid pour prendre le recul nécessaire et analyser sereinement les circonstances qui vous ont amené à y faire face, ainsi que les options qui s’offrent à vous. Pour parler franchement, Araya aurait bien sifflé un verre d’alcool bien tassé, peu importe lequel, pourvu qu’il soit costaud ! A bien y réfléchir, le hasard n’avait rien à faire dans cette histoire. Celui qui s’approchait inexorablement de lui laissait dans son sillage une empreinte de Force si dense, si monolithique qu’aucune fluctuation ni effluve, pas le moindre état d’âme ne transpirait de cet être, à aucun moment. D’habitude, ce genre de résonance se perçoit chez les personnes s’adonnant à l’art de la méditation, mais là, l’explication ne tenait pas la route. A contrario, l’aura de l’arkanien était striée de reflux incessants, semblable au halo d’un feu sans cesse balloté au gré de ses réflexions et de ses craintes, tantôt vacillant à l’image d’une flammèche en passe de se consumer, tantôt ravivé brusquement par un appétit démesuré, à jamais inassouvi, de découvertes et de savoirs. Si la vision de Force est un atout considérable afin de déterminer à qui on a affaire, elle peut aussi être un révélateur précieux pour qui l’utilise sur lui-même…

Quoi qu’il en soit, une rencontre aussi inévitable qu’imminente aurait bientôt lieu entre les deux protagonistes. Araya n’avait plus qu’à trouver les mots justes pour expliquer la raison de sa présence, si tant est qu’il puisse en formuler une de valable aux yeux de celui qui ferait irruption incessamment sous peu, et dont les pas cadencés résonnaient à présent à ses oreilles, martelant le temps et l’espace d’une sonorité inquiétante à la rythmique martiale. Il arrive que certains félins, lorsqu’ils se tiennent sur la défensive face à une menace imminente, hérissent le poil pour paraitre plus imposant qu’ils ne le sont réellement. Dans une mimèsis parfaite, l’arkanien laissa libre court à ses instincts les plus sombres et néfastes afin de surcharger soudainement l’atmosphère d’une pure négativité, comme s’il chercha à délimiter un périmètre de sécurité au-delà duquel le pire pouvait arriver à tout moment.

Araya avait vu juste : il s’agissait bien du visage de Côme Janos qui venait de se profiler lentement non loin de lui, l’intransigeance et l’impartialité marquant chacun de ses traits creusés, laissant apparaitre une expression sévère sur le regard d’acier qu’il lança en direction de la planque devenue désuète. Se tenant sur ses gardes, une main sur son sabre, l’invite qu’il adressa sur un ton quasi monacal à l’étranger, en desserrant à peine la mâchoire, ne fut pas sans surprendre ce dernier, se sentant pris au dépourvu par ce témoignage de cordialité. L’ambiance pesante s’évanouit en un éclair, à l’instar de la nervosité ressentie par l’arkanien. Certes, il aurait très bien pu s’agir d’une ruse pour faire sortir le gibier de son trou, et après, il n’allait pas y prendre racine tout de même ?! Sortant lentement de l’obscurité, il se dévoila au regard inquisiteur du sénateur, affichant une mine conciliante avec pour seul indice tangible sur ses intentions, un sourire, puis lui répondit :

« Veuillez pardonner cette intrusion cavalière, je dois confesser une curiosité maladive quand il est question d’art. Je suis conscient d’avoir enfreint bien des règles en me glissant ici sans autorisation, à commencer par celles de la bienséance. J’aurai dû me conformer au respect des voies hiérarchiques, réclamer une audience auprès de qui de droit pour enfin me voir délivrer un laissez-passer, tout ceci sans la moindre difficulté… Maintenant que j’en sais un peu plus, gageons que cette démarche n’aurait sûrement pas été très concluante… ».

La voix pierreuse d’Araya sembla s’évaporer d’elle-même sur cette supposition déguisée en insinuation, avant de reprendre avec davantage de ferveur.

« J’espère que vous ne vous moquiez pas, monsieur, en me faisant une pareille offre ! Si tel est le cas, j’accepte volontiers votre proposition ! » s’empressa-t-il d’ajouter en joignant ses mains tout en comblant la distance qui les sépara jusqu’à lors, avant de s’incliner de manière subreptice, remarquant l’œil cybernétique de son interlocuteur, à qui il ne laissa pas l’opportunité de rétorquer à pareille effusion.

« Permettez-moi de me présenter, Noval Ortyss, ambassadeur de la Corporation Symbiosys, pour vous servir ! » scanda-t-il en insistant sur cette dernière assertion, dût-elle avoir une quelconque incidence sur la suite de l’entrevue.

« Et vous êtes ? » demanda-t-il faussement, les yeux dans les yeux.
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Un piège. Ce fut la première pensée qui traversa l'esprit du Lord. Un piège... Mais tendu par qui ? Et dans quelle intention ? Au terme de son parcours, Janos avait multiplié un nombre incroyable d'ennemis aux quatre coins de la Galaxie ; plus le temps passait, plus il se tenait sur ses gardes. Il interprétait le moindre événement injustifié comme l'occasion de sa déchéance, le présage d'une inexorable chute.

Dans tous les cas, il fallait gagner du temps. Et en la matière, un peu de loquacité ne fait jamais de mal...


«Enchanté, Monsieur Ortyss. Je suis Côme Janos.», déclara le sénateur en prenant soin de respecter les codes de la politesse. «Sénateur d'Aargau, sous-secrétaire général du Rassemblement Républicain et fondateur de ce Musée des Arts et Cultures. Mais je vous en prie, faites comme tout le monde ; appelez-moi : Lord Janos.»

Tout en parlant, il chercha à saisir la raison d'être de cette intrusion. Avec la vivacité d'une intelligence artificielle, son esprit envisagea toutes les possibilités qui s'offraient à lui. 

D'emblée, l'hypothèse de l'espionnage semblait exclue : qu'y avait-il à espionner dans ce Musée des Arts et Culture ?

Un assassin, donc. Cet homme était un assassin... Ou un voleur. Un voleur sith, désireux de s'accaparer quelque objet Jedi, dans l'exposition située aux derniers étages. Mais non, peu probable : le Temple n'avait pas accepté de prêter ses pièces les plus précieuses. Il n'avait offert au Musée que les représentations holographiques d'holocrons et autres reliques dignes d'être présentées au grand public. Et rien qui relevât du secret, de surcroît... Le genre d'exposition qui ne pouvait nullement intéresser un Sith, tant elle demeurait au ras de pâquerettes. En l'occurrence, la notion de "vulgarisation" semblait adéquate.

Oui, un assassin. Et il était possible que l'assassin en question eût été envoyé par un ennemi républicain. Très probable, même : statistiquement, c'est au sein de la République que Janos comptait le plus grand nombre d'opposants prêts à causer sa perte. Ou peut-être l'Empire ? Moins crédible : à proprement parler, Darth Deinos n'avait irrité personne ; il s'était contenté d'appliquer mécaniquement les impératifs liés à sa fonction. Le temps viendrait peut-être où ses collègues impériaux désireraient s'en prendre à sa personne, mais il n'en était pas là. Pas encore.


«En tout cas, sachez que votre curiosité vous honore. Je ne suis point étonné que vous ayez su vous immiscer dans le bâtiment. Avec tous ces travaux, on y rentre comme dans un moulin.»

Un ennemi républicain, donc. Mais qui ? Qui, parmi les membres de la République, pouvait lui envoyer un assassin sith, et manipulateur de la Force, de surcroît ? Ce scélérat de Rejliidic ? Est-ce que Rejliidic fréquentait les Sith ? Janos savait que le Hutt entretenait certaines relations douteuses avec des membres de l'Empire - Darth Ynnitach l'avait plus que sous-entendu, lors des événements de Flydon Maxima. Mais ce n'était guère suffisant... Ou encore, ce sournois de Bresancion ? Un membre de la L.M.P., en tout cas. Un membre de la L.M.P., un membre de la L.M.P... Encore fallait-il que ce mouvement fût suffisamment retors pour commanditer des assassinats. Et puis, cette étrange histoire de Corporation Symbiosys... Quel rapport avec la L.M.P ? Oh, à bien y réfléchir, on pouvait en trouver, car Rejliidic s'était déjà mêlé à l'économie arkanienne : le fait ne relevait pas de la notoriété publique, mais il est des choses que l'on se dit dans les couloirs de la Rotonde et qu'il est bon de retenir... Se pourrait-il que... ?

«Du reste, j'ai beaucoup de considération pour les recherches arkaniennes. Je dois ma vie aux lumières de votre peuple, Monsieur Ortyss, et je ne lui témoignerai jamais assez ma gratitude pour m'avoir épargné une mort certaine. Je n'ai jamais coopéré avec Corporation Symbiosis, mais je suis un familier du jeune Nian qui a pu bénéficier de mon mécénat, avant les évènements de Flydon Maxima. Si ce nom vous est familier...»

Mais non. Non, tout ceci était ridicule. Janos avait beau retourner la situation dans tous les sens, l'envisager sous toutes ses coutures, appliquer les rigueurs d'un algorithme sur les différentes possibilités qui pouvaient s'offrir à lui, il ne parvenait pas à démêler la logique de cette apparition impromptue. Rien à faire : la chose échappait à l'entendement.

«Bref, à mes yeux, tout Arkanien représente un hôte que je m'empresse d'accueillir avec zèle. Votre personne n'échappe bien évidemment pas à cette règle que je m'impose comme un commandement moral. Un véritable impératif catégorique.»

Mais alors ? Peut-être que cet homme disait vrai, en fait. Peut-être que sa présence n'était pas liée à une combine politique, espionnage, assassinat ou autre... Le Lord se surprit à devenir totalement paranoïaque. Ses adversaires et lui maniaient tellement la duplicité qu'il ne savait même plus accepter un fait tel quel, dans son évanescence et sa brutalité, avec son lot d'incohérences et d'étrangetés. Paradoxalement, la réalité elle-même ne paraissait pas toujours réaliste...

Janos se ravisa donc. Il décida de jouer le jeu de cet individu pénétré par effraction dans un lieu où le sénateur n'avait rien à cacher. Si, à l'issue de cette entrevue toute particulière, ce dernier en venait à éprouver des doutes quant à la bonne foi de cet Arkanien, il aurait la présence d'esprit de réagir comme la situation l'exigerait.


«Ceci étant posé, gageons également que ma proposition ne relevait pas de la moquerie.»

Ainsi cette première vague d'inquiétude, parfaitement maîtrisée par les rigueurs d'un esprit calculateur, laissa-t-elle place à un élan de curiosité bien plus difficile à contrôler. Janos savait que son attrait pour la nouveauté pourrait causer sa perte si jamais il se montrait imprudent, mais à ce jour il n'en avait tiré que des bienfaits.

«Serviteur, Monsieur Ortyss.»
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Face à face, Lord Janos et Noval Ortyss ne se lâchèrent pas du regard, sans qu’aucune animosité ni esprit de défiance ne viennent gâter les prémisses de cette entrevue, à commencer par une amabilité mutuelle qui plaça ce tête-à-tête sous les meilleurs auspices. Bien sûr, les bonnes manières ne font pas les bonne intentions, pourra-t-on rétorquer. Cependant, l’un comme l’autre venaient de se présenter en bonne et due forme, s’exprimant à l’aide de formules respectueuses de bon aloi, au vu des circonstances assez singulières de leur rencontre. Passablement rassuré par la tournure des événements, le corps et le visage de l’arkanien avaient abandonné leur rigidité lasse et cadavérique au profit d‘une attitude bien plus détendue, pour ne pas dire décontractée. De son côté, le sénateur d’Aargau se garda bien de mentionner, parmi ses nombreux titres, celui d’éminence Sith, une facette latente de sa personne qu’il préféra garder sous couvert, pour le moment. Seul un fou ou un idiot aurait vu dans cet oubli l’effet d’une négligence passagère. Lord Janos avait décidé d’éluder ce sujet en toute connaissance de cause, soit, alors autant exaucer son souhait et faire silence à propos de cette profonde affiliation avec la Force qui était la sienne. Si flagrante fut-elle aux yeux de Noval, peut-être tenait-il à la conserver secrète par simple habitude, comme il le faisait sûrement au jour le jour, eu égard à son statut de politicien dont la vie publique, et même privée, faisait de lui une cible médiatique de choix. Pourtant, nombreuses étaient les questions que l’arkanien aurait souhaité lui poser, à commencer par son degré d’implication dans l’émergence récente d’un nouvel Empire Sith, fraichement sorti de l’oubli. Chaque chose en son temps : un principe de base au cœur des relations nouvellement nouées, à honorer si l’on veut faire perdurer ces dernières. D’autant plus que cet homme n’était en rien tenu de lui répondre, bien au contraire, il aurait été en droit de juger de telles allégations, étayées sur des courants d’air, comme une offense ! Sauf qu’en l’occurrence, il aurait mieux fallu parler de courants de Force…

L’autre chose qui frappa aussi Araya chez ce personnage fut sa façon de ne jamais voir le visiteur importun qu’il était en tant qu’intrus. Ainsi, Lord Janos le traita sur un pied d’égalité, sans chercher à l’acculer de quelques façons que ce soit. Après tout, il avait sous sa poigne un individu coupable d’effraction et de tentative de cambriolage, bien assez pour le prendre de haut et menacer de le dénoncer dans la seconde. Sauf qu’il n’esquissa rien de tout cela, bien au contraire, il accueillit l’arkanien à bras ouverts, pour ainsi dire, à deux doigts qu’il était de lui souhaiter la bienvenue par une accolade ! Une attitude forte avenante, au demeurant, mais aussi curieuse, soit dite en passant. Que fallait-il déceler de camouflé derrière cette bonhomie de façade ? Que redoutait-il, au juste, pour se prémunir de toute forme d’hostilité de la sorte ? Jouait-il la carte de l’apaisement, pour mieux donner l’impression de baisser sa garde afin de tomber le masque plus aisément ? Une sacrée gageure, que de voir clair dans son manège auquel l’arkanien souscrivit sans rechigner, et sans jamais ralentir la cadence.

Une explication possible vint peu après. Le politicien lui confia qu’il vouait une profonde admiration à son peuple et aux progrès considérables de l’ingénierie médicale développée au fil des siècles par la communauté scientifique arkanienne. C’est un regard surpris que ce dernier lança vers le Lord lorsqu’il lui avoua à demi-mots avoir échappé de peu à la mort grâce à ces avancées biomédicales. Il ne pouvait s’agir seulement de l’implant oculaire aperçu peu avant, le sénateur avait l’air d’évoquer une intervention d’une tout autre ampleur, bien plus lourde qu’une simple greffe d’organe. A l’instar de Noval, son corps était-il, dans une large mesure, cybernétique ? Là encore, il hésita à aller plus avant dans cette discussion, ignorant quelle latitude son interlocuteur lui aurait laissée pour discourir sur un sujet aussi sensible. Cherchant en vain dans ses souvenirs, le nom de Nian lui était bel et bien inconnu, répondant donc par la négative d’un bref mouvement rotatif de la tête, carence qu’il prendrait soin de combler dès son retour sur Arkania, pour la forme.

« Lord Janos, je vous prie de croire que je n’oublierai pas de sitôt votre accueil courtois. Face à une telle démonstration de savoir-vivre, c’est moi qui me tient pour votre débiteur, soyez-en assuré… » lui répondit-il, avec l’accent le plus sincère que sa voix puisse faire sonner. « N’y voyez là aucune ironie de ma part, mais je dois vous avouer que n’avons pas que le goût des arts en commun… J’ai moi-même dû subir une intervention chirurgicale d'une ampleur telle que oui, je sais ô comment il est parfois difficile de supporter un tel traumatisme… » songea Noval à voix basse, chassant ses idées noires, le temps d’une longue inspiration. « Vous et moi sommes des survivants, si je comprends bien ! » s’enthousiasma l’arkanien. « Rien de tel pour forger les caractères les plus trempés, les plus endurants aussi… » lança-t-il posément, avant de reprendre, plus durement encore : « Mais dites-moi, j’imagine qu’il y a une vision politique qui a motivé un projet si ambitieux… Prônez-vous une sorte d’universalisme des peuples et des idées, comme vous semblez vouloir le montrer par le biais des arts, si divers soient-ils ? » demanda-t-il en faisant quelques pas, les premiers d’une longue série, espérait-il, accompagné de la pièce maitresse de ce musée, toute exposition confondue : Côme Janos en personne !
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Deux explications logiques, donc. Soit il s'agissait bel et bien d'un piège, ainsi que Janos l'avait supposé d'après sa première impression, et cet hôte tout particulier tenait son rôle à merveille. Soit cette rencontre suivait une sorte de hasard improbable, si tant était que l'on crût au hasard. Or Lord Janos ne croyait pas au hasard. L'Ordre était le principe universel qui régissait la Galaxie, et si ses voies étaient aussi impénétrables que celles que l'on prêtait anciennement aux dieux antiques, la Destinée de chaque individu suivait une logique imparable que rien ne pouvait démentir. Le fait est que l'on comprend très souvent l'étrangeté de ce cours une fois qu'il est parvenu à son terme.


Une bonne raison de mener cette conversation jusqu'à ce terme, donc... Le sénateur d'Aargau décida de jouer la carte de la courtoisie jusqu'au bout et s'inclina respectueusement lorsque ce Noval Ortyss engagea une relation amicale. La question posée par ce dernier inspira au Lord un petit sourire teinté d'une soudaine complicité.

«Une forme d'universalisme, dites-vous... Effectivement, ce fabuleux projet correspond à un idéal métaphysique que je me suis fixé depuis maintenant de nombreuses années. En tout cas, laissez-moi vous féliciter pour votre acuité : rares sont les visiteurs à aller plus loin que le bout de leur nez et à envisager ce Musée comme l'incarnation d'une philosophie... Mais je vous en prie, suivez-moi...»

D'un geste cordial, le sénateur engagea son invité improvisé à le suivre.

«Nous voici dans le Département des Arts Anciens.», expliqua-t-il en songeant de nouveau au débat qui avait donné lieu à cette appellation. «C'est ici que nous avons rassemblé les objets de culture pré-technologique, vulgairement nommés primitive. Vous pouvez contempler derrière vous une superbe statue Massassi ; elle nous a été prêtée par l'administration du système de Yavin.»

La salle, en forme de pyramide, offrait un éclairage propre à mettre en valeur chaque objet comme il le méritait. Ici, la lumière était totalement artificielle : certaines œuvres risquaient d'être abîmées par le soleil si on les exposait trop. Les parois de cet espace gigantesque pouvaient éblouir par leur blancheur, mais elles faisaient ressortir à merveille les statues, fresques et mosaïques en tout genre. À la fois, en choisissant cette structure pyramidale, Janos leur avait accordé un cadre presque sacré ; et il n'était pas peu fier de cette idée, à vrai dire.

«De fait, comme nous le disions, pour m'amuser à collecter tous ces objets, à les rendre accessibles à tout visiteur, encore faut-il que je sois animé par certaines ambitions... Pas des ambitions politiques, rassurez-vous. Certes, j'ai tout à fait conscience qu'en faisant ériger ce Musée, ma renommée ne peut qu'en sortir embellie. Mais je ne crois plus en la gratuité depuis bien longtemps, de toute manière.

Non, en réalité, je suis intimement persuadé que l'Ordre est le principe régulateur de la Galaxie. Voyez-vous, je considère l'Ordre comme une stabilité retrouvée à travers l'Univers, une stabilité où intervient la Force comme entité créatrice, et qui se caractérise par l'entente cordiale entre les différents membres du tout auquel ils appartiennent, une cohésion mutuellement bénéfique, un rassemblement unanime que rien ne peut venir troubler.»

Ce développement, combien de fois l'avait-il répété, au juste ? Janos le connaissait par cœur : il savait le restituer quasiment mot pour mot. Mais rien n'y faisait : jamais il n'aurait pu se lasser de ressasser encore et encore ce qu'était l'Ordre.


«En ce sens, l'Ordre n'est pas réductible à un bête idéal. Il s'agit d'une véritable philosophie de vie... Un principe totalisant, applicable à toute chose.

Tout d'abord, d'un point de vue logique, je suis intimement persuadé que l'Ordre est la manière dont un être vivant structure sa représentation du monde : l'instinct chez les animaux et à la raison chez les êtres intelligents. L'instinct et la raison sont effectivement les paramètres cérébraux qui poussent tout être à se développer dans son environnement, à réagir face à une situation donnée et à survivre en cas de danger. D'ailleurs, les œuvres contenues dans ce Musée sont le produit esthétique et esthétisé de ces constructions mentales. Toute œuvre d'art est création d'un univers, si vous me suivez...»


Ce détour par l'art ne figurait pas dans la définition initiale, mais le Lord jugea opportun de l'y ajouter subrepticement.


«D'un point de vue éthique, je crois qu'il faut distinguer deux incarnations de l'Ordre. En termes politiques, l'Ordre s'identifie à la stabilité sociale, à l'harmonie entre dirigeants et dirigés. D'où mon goût pour un exécutif fort qui me semble le seul système propre à garantir une telle harmonie à la communauté des races intelligentes... D'un point de vue plus strictement moral, l'Ordre guide une existence particulière en lui offrant une dynamique continue, un objectif unique. C'est pourquoi je blâme la vie toute chaotique qui est celle des êtres corrompus et entièrement tournés vers l'assouvissement de leurs désirs individuels. Dès lors, l'Ordre politique est à la vie en société ce que l'Ordre moral est à l'existence du particulier. Mais concrètement, leur application demeure identique : se faire violence individuellement revient à imposer des lois drastiques à la communauté civique.


Enfin, d'un point de vue physique – et je peux vous en parler : vous maîtriser vous-même la Force – je crois que l'activité continue des midicloriens correspond très strictement à l'Ordre qui paramètre la Galaxie. L'activité insensible de ces micro-éléments offre à la totalité du réel son principe régulateur. C'est cet Ordre qui œuvre en permanence au sein du vivant, au plus profond de nos gènes, au cœur-même de notre être. De là, j'en suis venu à croire que l'équilibre dans la Force ne serait possible que si une harmonie se tissait entre le Côté Lumineux et le Côté Obscur, même si j'ai conscience qu'une telle représentation n'emporte pas l'adhésion de tous, loin s'en faut... L'Ordre est totalité : de l'union des contraires, peut naître la seule victoire possible sur le chaos.»


Quel plaisir de trouver un nouvel interlocuteur pour parler de cet idéal si noble et si beau ! De manière assez commune, on croyait Janos psychorigide, et il l'était à bien des égards, mais cette apparente froideur cachait une véritable poésie de la vie. Et c'est de cette poésie qu'il tirait encore, à de très rares occasions, quelques bribes d'un plaisir qu'il ne goûtait plus depuis des années...



Spoiler:
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C’était plus fort que lui… Araya ne parvenait pas à se départir d’un sentiment assez insolite dès les premiers instants de cette entrevue improvisée. On aurait dit qu’au-delà du caractère fortuit de celle-ci, une main invisible était en train de dicter sa loi, à la manière d’un chef d’orchestre qui, du bout de sa baguette, imprime un certain tempo aux musiciens. Sauf que le duo d’acteurs venant de surgir des coulisses ignorait tout de la mélodie en passe d’être jouée, si bien que personne, eux les premiers, n’aurait su dire quelle serait la finalité de cet étrange huis-clos. Autrement dit, les choses n’auraient pas pu se passer différemment, eu égard aux rôles interprétés et au soin apporté à leurs répliques respectives. Dès l’instant où Lord Janos eut senti sa présence, et vice versa, les dés furent jetés. Bien malin celui qui irait jusqu’à affirmer que la Force elle-même fusse à l’origine de ce lancer, mais quoi qu’il en soit, ce geste entraina aussitôt une suite de cause à effet conduisant les deux Sith à entrer dans la peau de leurs personnages. Non pas en se mettant à nu, bien au contraire, mais en se parant de carapaces endurcies et lissées par des rhétoriques diverses et variées, discutées çà et là, au gré des circonstances et des intervenants. Le contexte s’immisça naturellement, celui d’une entente de fait, pour mieux se cerner et être à même de jauger à qui chacun avait à faire. Qu’à cela ne tienne, une fois que la curiosité de l’arkanien se voit piquée au vif, il est très difficile de lui faire faire machine arrière !

Très honnêtement, il lui aura fallu un effort de concentration considérable pour suivre à la lettre les explications et les raisonnements exposés par Lord Janos. Non pas que son intervention eut été absconse ou vague, bien au contraire, il prit la peine de formuler avec une rigueur méticuleuse les éclaircissements relatifs à la question innocemment posée par le visiteur impromptu, lequel ne s’était absolument pas préparé à une réponse de ce calibre, intellectuellement parlant. En prenant soin de ne pas l’interrompre donc, Araya prit grand soin d’écouter chaque argument exposé, même si son attention fut partiellement retenue par la contemplation d’un vestige exceptionnel, une statue Massassi partiellement recouverte de symboles pour la plupart effacés, mortuaires probablement, extrapolation qu’Araya fit sans en être pleinement convaincu. A dire vrai, il commençait à éprouver une espèce de jalousie lancinante à l’égard de ce projet titanesque, du moins regrettait-il de ne pas en avoir eu l’initiative avant. Si le peuple arkanien n’a jamais été réputé pour son penchant ni ses productions artistiques, pareille entreprise aurait sans doute permis de faire évoluer un tant soit peu les mentalités vis-à-vis de cette culture souvent décriée comme ethnocentrique, à raison, il est vrai, et ne sachant que porter au nues les accomplissements scientifiques, au détriment de toute création artistique.

Excepté ce manque d’attention passager, l’ambassadeur de la Corporation Symbiosys resta pendu aux lèvres du sénateur d’Aargau, buvant chacune de ses paroles pour mieux les absorber, détectant ici et là les points-clés susceptibles d’être mis en exergue afin de laisser filer l’échange intellectuel de haut-vol vers des hauteurs et des prises de vue insoupçonnées. Pas besoin d’être un génie pour se rendre compte que le concept d’ordre prôné par ses soins était la clé de voûte de ses plus intimes convictions, et que cette notion, sujette à interprétation depuis des lustres, serait centrale dans la discussion à venir. Le plus surprenant, compte tenu de la teneur de telles allégations, quelque peu péremptoires par moment, était de se dire qu’elles sortaient de la bouche d’un Sith doublé d’un homme politique de renom, ou inversement. Certes, sa maitrise de l’art oratoire était suffisamment poussée pour induire Noval en erreur, et le duper avec un speech prémâché, prêchant le faux pour savoir le vrai, autrement dit, la façon de voir et de comprendre de l’arkanien en général. Quoi qu’il en soit, ce dernier se ferait une joie de partager avec lui ses opinions sur la chose, si différentes soient-elles.

Inutile d’avoir recours à des dons de divination pour prédire que rares seront les occasions où l’arkanien sera amené à côtoyer des hommes politiques capables de vues philosophiques, à même de livrer sur commande les préceptes servant de prémisses à une vision globale des tenants et des aboutissants de l’univers… Excusez du peu ! D’autant les talents de conférencier du sénateur n’avaient pas à pâlir devant ceux d’universitaires rôdés aux vastes auditoires, pour preuve, les intonations charismatique savamment dosées imprimées par sa voix ne manquaient pas d’aplomb, surtout lorsqu’il s’employa à formuler d’un seul tenant l’analyse quelque peu idéologique qu’il fit de l’existence, englobant sans la moindre réticence une dimension éthique, sociale et même ontologique. Selon Janos, l’Ordre est Un : il représente un principe présent et agissant partout, dans tout. Il est la Matrice qui structure la réalité à son image, en tendant à unir les contraires à l’infini. Une telle vision, aussi extatique soit-elle, avait quelque chose d’effrayant…

« Je vois… Le mieux, c’est de vous livrer à chaud mes premières impressions. Si je ne m’abuse, il s’agit là d’une vision assez unilatérale, et somme toute assez figée des choses que vous venez de décrire, et je n’aurai pas ni la prétention de la critiquer, ni celle de la soutenir derechef. N’allez surtout pas voir dans cette indécision un refus masqué de me prononcer sur la valeur et la pertinence de vos propos ! Bien au contraire ! En fait, j’ai pour règle de retranscrire mentalement leur sens pour mieux en saisir la portée, et je vous avoue que je suis un peu confus sur certains points que vous avez soulevés. Dans le fond, je vous rejoins sur le fait qu’il y a un besoin d’ordre inhérent à toute forme d’existence : la vie du moindre animal en est un exemple fragrant, a fortiori, quand une intelligence réflexive caractérise cette forme de vivant. N’importe quel mammifère, de ce point de vue, est bien plus ordonné qu’une étoile se contentant de consumer son énergie jusqu’à son extinction. Pour moi, l’aboutissement ultime du vivant, de son évolution, c’est la question du sens. Notre besoin de connaitre les choses va de pair avec la volonté de les ordonner, de faire en sorte non pas qu’elles aient un sens intrinsèque, mais qu’elles font sens les unes en rapport avec les autres » articula-t-il à la volée, pour signifier qu’il ne s’agissait là que de palabres.

« Vous savez, je ne suis pas moi-même un homme de science, mais compte tenu de ma position, je dois m’intéresser de très près aux progrès réalisés en matière de génétique et de génie biomédical. Et s’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que l’ordre et le désordre sont des notions épousant une simplicité et une complexité d’approche intimement liées, pas seulement aux yeux de la science d’ailleurs. En mettant le concept d’Ordre en avant comme un principe d’immanence quasi absolu, j’ai l’impression que vous agissez un peu comme le faisaient certains intellectuels à une époque : voir la nature et la création toute entière comme dissimulant une finalité secrète, cachée au plus grand nombre ; l’œuvre d’une puissance inhérente à la vie elle-même, la façonnant selon un impératif ancré au plus profond de chaque être, celui d’être selon une forme, un ordre donné, préétabli. Peut-être qu’il existe un tel plan, peut-être que les choses, peut-être que nous avons un dessein… Le Chaos n’a rien du néant de sens tel qu’on l'imagine, ni la pure affirmation d’une contingence démiurge au cœur même de l’Être, mais une nouvelle facette du vivant, au-delà de toute approche méthodique et rationnelle. Mais je ne fais que parler de connaissance et de théorie… D’un point de vue pratique, il va sans dire que l’ordre est toujours préférable au désordre. Mais selon vous qui occupez une charge politique de haut rang, ne croyez-vous pas qu’on se doit de générer parfois un peu du second pour mieux imposer le premier, et ainsi, préférer l’évolution graduelle à la révolution structurelle ? »

Sans le vouloir, Araya avait fait fi de ne pas relever la remarque de Lord Janos concernant leur sensibilité respective à la Force. Peut-être y viendraient-ils par la suite... De toute façon, autant garder ce sujet sous le coude pour le moment, et le ressortir éventuellement à un moment plus opportun. Pour l'arkanien, les idées concernant la chose politique du Lord était un sujet bien plus intéressant...
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Tout décodage est un autre encodage. Où diable Janos avait-il lu cette phrase ? Avec son dernier lavage de mémoire, beaucoup de données avaient été sacrifiées, et il devait désormais, avec horreur, se reposer sur ses neurones bien plus qu'auparavant. Avec horreur, car le biologique était infiniment moins fiable, moins efficace et moins rigoureux que l'artificiel. Cette part vivante qui était la sienne lui inspirait parfois une répulsion difficile à décrire : l'organique lui paraissait terriblement plus chaotique que la précision toute informatique de ses programmes.

Tout décodage est un autre encodage. S'il ne savait plus d'où lui venait cette phrase, le Lord la voyait en pratique au quotidien : quand ses concitoyens écoutaient ses discours, quand d'autres sénateurs tentaient de comprendre sa logique... Et ici, encore, en voyant cet hôte improvisé reformuler avec ses mots une théorie que Janos avait mis près de vingt années à formuler clairement et à retenir scrupuleusement, cette sentence structuraliste trouvait une application concrète.

Mais cette fois-ci, l'encodage eut un effet très différent de d'habitude. Peut-être parce que d'habitude, la théorie de l'Ordre n'avait jamais eu l'occasion véritable de se trouver encodée. Chaque fois que le Lord avait tenté de faire connaître son idéal, il s'était heurté aux deux mêmes attitudes : l'acceptation aveugle ou le refus borné. Acceptation aveugle de la part de ses apprenties comme Gabrÿelle Evans ou Kalya Rahel, des êtres dont la consistance ontologique était tellement minimale qu'on aurait pu leur inculquer tout et n'importe quoi. Refus borné de la part d'autres Sith, comme Darth Anetherion, qui entretenaient une telle complaisance avec la dimension chaotique du Côté Obscur qu'ils en devenaient frileux à toute notion d'ordre et d'organisation.

Pour sa part, l'invité du Lord n'appartenait à aucune de ces deux catégories. Il avait tout l'esprit nécessaire pour se montrer critique, et toute la lucidité pour ne pas se contenter de rejeter en bloc une théorie qui lui était étrangère. Chose rare, donc : pour une fois, Janos n'apparaissait ni comme une figure d'autorité toute puissante, ni comme un illuminé de première catégorie, mais comme un interlocuteur avec qui l'on pouvait discuter métaphysique. Il songea un instant à ses deux employés, là haut, qui devaient encore débattre du sujet sur lequel il les avait quittés, et se dit qu'il avait bien plus intérêt à rester auprès de ce Monsieur Ortyss.


«Bien sûr, je ne vous ai donné qu'une définition générale de ma pensée, sans rentrer dans certains détails techniques et autres distinctions ésotériques. De votre point de vue, je pourrais vous avoir donné l'impression de cristalliser l'antagonisme Ordre / chaos. Mais il n'en est rien. Effectivement, comme vous le dites, je crois qu'il y a complémentarité, interpénétration entre ces deux réalités - car ce sont bien des réalités, et non de bêtes idéaux sans consistance.

C'est un élément que j'ai théorisé assez récemment, pour tout vous dire. Je parlerais de ce phénomène en termes de dialectique. Le recours au chaos, qui, de fait, n'a rien du néant, est nécessaire pour aboutir à l'Ordre. Tels sont les ressorts de cette Dialectique Universelle à l'œuvre dans la Galaxie. Ordre et chaos sont deus principes positifs et créateurs : tous deux façonnent le monde, le transforment, lui donnent un chemin peut-être tortueux quand on ne prend pas la peine de le regarder, mais dont la direction n'en est pas moins tracée. Ne vous méprenez pas : je ne crois pas que l'Ordre soit transcendant, même s'il nous transcende individuellement. Bien plus, il me semble qu'il est immanent à toute chose et à tout être. Dès lors, chaque particule est responsable de cet idéal si puissant et si fragile à la fois. Nous devons tous mettre fin au chaos qui habite en nous pour laisser place à l'Ordre dans le sein de notre essence. C'est une lutte quotidienne, et si certains individus ne s'imposent pas comme les guides, les prophètes de cette philosophie, personne ne prendra réellement conscience du risque que nous encourons à préférer notre part chaotique. En tant que politicien, je tente justement de m'assumer comme ce berger : une loi, un décret, une réforme... autant de moyens de transformer les hommes au plus profond de leur être. À mes yeux, la politique est le chemin le plus à même d'imposer l'Ordre aux ignorants, sans qu'ils aient l'impression d'être soumis à trop de contraintes.

Du reste, ne croyez pas non plus que ma représentation est tout à fait linéaire. Je peux vous donner le sentiment de penser que le chaos cède naturellement place à l'Ordre, suivant la dialectique que je vous ai décrite. Mais il me semble que cette dialectique soit prise dans un schéma cyclique, dans un cercle. Au terme de ce processus, l'Ordre repasse au chaos, et du chaos l'Ordre advient de nouveau. C'est un cycle que rien ne peut entraver, que rien ne peut modifier. Et nous, à notre échelle individuelle, nous devons tenter de faire vivre l'Ordre, car l'Ordre est meilleur, mais nous ne pouvons rien contre le chaos, parce que sans le chaos, l'Ordre n'existerait tout simplement pas. Il en est de même de la lumière : sans ombre, vous n'auriez pas de lumière, car c'est la lumière qui crée l'ombre.»


Janos s'était laissé aller au fil de sa pensée. À vrai dire, jamais il n'avait atteint ce degré de précision dans ses explications. Et même si cette théorie lui était plus que familière, il lui sembla qu'à lui-même il s'était offert un jour nouveau sur l'idéal de l'Ordre et la complexité de ses ressorts. Comme quoi, au détour d'une conversation improvisée, l'explicitation de ses propres idées pouvait garantir une maïeutique inespérée... Décidément, y a-t-il des hasards ?
Invité
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S’attelant à suivre le fil de l’exposé du sénateur Janos, l’exercice ne fut pas si malaisé qu’on aurait pu le croire, ne rebutant que les étroits d’esprit et les frileux du ciboulot, tant cet homme savait choisir ses mots avec une méticulosité d’orfèvre pour formuler des raisonnements argumentés de manière pertinente, s’articulant à la perfection, tels les engrenages complexes d’une mécanique de précision. Si bien que dire à propos de ce personnage au phrasé rigoureux qu’il était passé maitre dans l’art du verbe aurait relevé d’un euphémisme grossier. Par certains côtés, cet homme lui rappelait un peu la figure sévère de son père, lui qui arborait les approximations, les confusions de sens et l’impolitesse des retardataires. Noval en était convaincu, il n’avait pas à faire à l’un de ces politiciens carriéristes scandant et caquetant, au gré de leurs humeurs, des vérités tronquées et des opinions préconçues à l’emporte-pièce, s’alignant sans aucun scrupule sur une ligne de front idéologique faisant l’unanimité parmi les ténors d’un quelconque parti. Non, Côme Janos était de ceux qui impulsent le mouvement, s’évitant la peine de le subir, et décident du quand et du comment, réservant le pourquoi à la faveur de ses plus proches conseillers, voire ses intimes.

Au fur et à mesure, des bribes d’informations lui revenaient en mémoire, du temps où il était cloué sur Arkania, en convalescence, suivant l’actualité politique et économique au quotidien, s’imaginant qu’un jour, le titre de sénateur en bandoulière, il embraserait cette fonction représentative avec un intérêt certain, désireux de mettre un pied à l’étrier dans les affaires de la vie publique galactique, et de tisser un réseau de contacts susceptibles de lui servir, à plus d’un titre. Ainsi, non content d’avoir réussi à occuper une place de première importance sous la Rotonde, le sénateur d’Aargau était aussi l’initiateur d’un mouvement politique de vaste ampleur, connu sous l’appellation de Rassemblement Républicain, regroupant en son sein bon nombre de représentants élus et de haut-fonctionnaires, jouissant tous d’une certaine notoriété. Il va de soi que lorsque l’arkanien réussirait prochainement, espérait-il, à se faire nommer sénateur par le Haut-Conseil du Dominion, il serait bien inspiré de se rapprocher de la sphère d’influences de cet orateur de talent, aux vues philosophiques si élaborées.

Parlons-en d’ailleurs, de cette conception de l’ordre des choses, dont son futur homologue paraissait si enclin à partager ! Noval, de manière fortuite, avait sous-entendu un lien de connivence étroite entre, d’une part, le projet brillant de porter au-devant de la scène publique un espace culturel à nul autre pareil, rendant hommage à la pluralité des arts et des valeurs esthétiques colportées par les peuples des quatre coins la galaxie, au fil des siècles. Et d’autre part, faire résonner cette ambition en accord avec une vision universaliste de la politique, cherchant à rallier les peuples sous une même bannière, pérennisant un corpus de valeurs et d’impératifs dictés par un souci d’ordre et de rigueur. Il n’en fallut pas plus à Lord Janos pour épandre ses idées avec une telle conviction, et d’une façon si professorale qu’on eut dit que son regard dur et perçant récitait par cœur et à voix haute le texte d’une intervention écrit à l’avance, défilant sur un prompteur imaginaire. A vrai dire, Noval n’aurait pas tenu la cadence, s’il se retrouvait confronté à un débatteur aussi aguerri, peu importe le sujet abordé. Son discours ne comportait pas la moindre faille de sens, ni de moments où il aurait accusé un léger doute ou une hésitation passagère. Mais non, rien de cela. Impressionné, l’arkanien l’était, à plus d’un titre. Et intrigué, aussi.

La notion d’Éternel Retour dont s’inspirait sa théorie en disait long sur les lectures de l’homme, peut-être même sur ses fréquentations passées. En effet, bien souvent, on rencontre ce courant de pensée sous la plume de certains Jedi, auteurs de thèses philosophiques concernant l’histoire, et développant l’idée que la nature de la Force, en tant que puissance universelle, est d’être un Perpetuum mobile, décrivant une boucle temporelle s’étirant à l’infini, se contractant ici pour mieux se délier là, dans les grandes lignes. Or, tout seigneur Sith – convaincu qu’il ne pouvait en être autrement – qu’il était désormais, Noval n’aurait pas été étonné outre mesure d’apprendre que le Lord d’Aargau fut autrefois un proche de cet Ordre spirituel. Cette appréciation spéculative valant ce qu’elle vaut, jamais depuis la disparition subite de son mentor et maitre, il n’avait éprouvé un tel sentiment d’identification, se surprenant lui-même à projeter son avenir sur celui de cet homme, dont il venait à peine de faire la connaissance.

La métaphore du berger fit sourire Noval, tellement il l’a trouvait juste. Surveiller le troupeau pour se prémunir d’éventuels égarements, guetter les dangers menaçant la survie du groupe, regarder au loin de façon à tracer la meilleure voie à suivre pour mener ses ouailles à bon port, tout dans cette comparaison tombait fort à propos. A ses yeux, chaque époque se devait de compter des leaders charismatiques influençant le cours global des événements, de manière à transformer la vie du plus grand nombre, guidant ces existences vers une destinée supérieure, et des accomplissements susceptibles de marquer positivement les générations à venir. Oui, Lord Janos était de ceux-là, et oui encore, Noval voulait faire partie de cette élite d’élus de droit naturel.

« Je vous entends, Messire Janos, et je dois bien admettre qu’à titre personnel, je ne trouve pas d’objections à vous soumettre quant aux vues métaphysiques que vous décrivez avec tant de brio, et auxquelles j’aurai tendance à acquiescer pleinement. Mais je peux toujours me faire l’avocat du diable, si j’ose dire, en me mettant à la place de ceux qui vous rétorqueraient, face à un tel déterminisme englobant la totalité du réel, qu’on ne peut pas faire fi de la liberté fondamentale, dont tout un chacun dispose, de décider de ses propres règles de vie, même si je pense que ce qu’on appelle pompeusement " libre-arbitre " n’est jamais que l’effet d’une suite de causes et d’effets dépassant généralement l’entendement commun. » Certes, Noval aurait apprécié voir davantage de reliques et d’œuvres exposée, mais la conversation filant bon train valait, elle aussi, son pesant d’or. Et jamais il ne serait permis d’offusquer le Lord par des propos ou des manières déplacées. Une question de politesse élémentaire…

« Il existe indéniablement une certaine propension à l’équilibre, à l’ordre et à l’auto-préservation dans la nature. Et je me fais souvent la remarque que nous aussi, du haut de nos civilisations si avancées, demeurons des êtres de la nature, et qu’en dépit de la somme considérable d’intérêts privés qui cohabitent un peu partout dans la galaxie, il est étonnant de constater que les conflits et les guerres ne se produisent pas plus fréquemment que cela. Tenez, par exemple, le dernier en date, Artorias… Les Sith ont cru bon de faire couler le sang, certes… Mais sans cela, est-ce qu’un traité ratifiant les conditions d’une paix, si fragile soit-elle, aurait été seulement concevable, d’un côté comme de l’autre ? Rien n’est moins sûr, mais je peux me tromper, je ne suis qu’un observateur essayant de me faire une idée juste concernant des enjeux qui me dépassent. L’un de ceux qui étaient là-bas aussi… Même si mon statut reste moins émérite que le vôtre, compte tenu de votre position, et de ce qu’il m’est donné de voir ici… Peut-être aurons-nous l’occasion de débattre de sujets d’actualité prochainement, les occasions de nous croiser ne manqueront pas, lorsque j’aurai été nommé en charge du poste de sénateur d’Arkania… » lança Noval d’une voix feutrée, inclinant légèrement la tête de côté, comme pour illustrer, un tant soit peu, l’intérêt qu’il éprouvait envers cet homme au regard bleu acier, reflétant une fascinante froideur d’être.

Ponctuant de manière inopinée la prise de parole du sénateur Janos, le communicateur qu’il portait à sa ceinture émit un signal sonore caractéristique d’un appel entrant. Alors qu’il s’excusa du bord des lèvres pour cette interruption, Noval fit de même en balbutiant d’une traite quelque chose comme « je vous en prie » avant d’imiter son interlocuteur, s’éloignant de quelques pas pour faire mine de se concentrer sur une œuvre quelconque, histoire de ne pas rester bêtement sur place à attendre le retour du directeur. Malencontreusement, l’arrivée imminente d’une délégation diplomatique allait devoir écourtée la visite d’ordre privé à laquelle l’arkanien se livrait depuis une petite heure. Pour des raisons évidentes de sécurité, aucune présence étrangère autre que le personnel rattaché au musée ne saurait être tolérée. Et Noval de ne pas se faire prier pour retrouver le chemin de la sortie, en remerciant et saluant Côme Janos avec le respect qui convint à un homme de son rang, jurant de revenir comme n’importe quel amateur d’art !
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