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Tess se tenait droite comme un i, le visage inexpressif quoiqu’un peu morne. Elle avait les bras chargé d’un barda plutôt lourd – qu’est-ce qu’ils avaient foutu dans ce sac, ils lui offraient une armure complète au Maître des Forges ? – et ne quittait pas des yeux le bout du couloir. Mais pour le moment, seul s’était montré un grand dadet crétin qui n’avait pu s’empêcher de se moquer de la position inconfortable de Tess pour ce jour.

- Dégage, face de bantha, grinça-t-elle sans desserrer les dents.

N’empêche, il n’avait pas tout à fait tort : elle avait vraiment touché le gros lot aujourd’hui. Depuis cette histoire d’apprenti en fuite, elle s’était faite repérée par Darth Tarmon et ce dernier avait personnellement insisté pour que ce soit elle qui soit désignée au service du visiteur. Pourquoi elle en particulier ? Elle n’en savait rien. Elle avait bien remarqué que depuis la course folle dans l’Académie, Darth Tarmon avait cessé de l’ignorer lorsqu’il la croisait dans les couloirs. Par deux fois, il avait même posé sur son corps menu un regard lubrique, et elle s’était sentie comme mise à nue et terriblement vulnérable. Un sentiment fort désagréable. Tess avait pris soin, les jours suivants, d’emprunter des chemins tortueux mais moins susceptibles de les réunir à nouveau.

Mais pas moyen de refuser cet ordre de l’intendance de l’Académie. Puisque c’était sur ordre de Darth Tarmon… Autant ne pas faire de vague. Il lui avait été expliqué l’importance du personnage qu’elle devait recevoir : Darth Deinos, Maître des Forges, puissance impériale, responsabilités d’ordre capital…

- Bla, bla, bla, murmura Tess pour elle-même, ennuyée.

En attendant, on ne lui avait même pas indiqué l’heure exacte à laquelle il se pointerait et elle se tenait donc ici depuis l’aube. Ses jambes la tiraillaient et ses yeux peinaient à rester grand ouverts.
C’était qu’elle n’avait guère dormi la veille. Elle avait beau arborer un visage inexpressif, Tess ne s’en était pas moins inquiétée aux heures les plus sombres de la nuit : d’une part, pourquoi elle ? D’autre part, tout le monde savait ce qu’il arrivait parfois aux serviteurs des seigneurs sith lorsque quelque chose tournait mal. Il leur fallait bien quelqu’un sur qui passer leurs nerfs, même quand celui qui tenait le rôle de domestique n’y était pour rien. Or, elle ne tenait pas spécialement à mourir à cause d’un « éclair perdu » comme l’évoquaient certains apprentis devant ce genre de petits incidents.
Tess avait fini par décider que le choix le plus sûr était encore d’assurer ses fonctions de manière efficace et discrète.

Des bruits de pas déterminés se firent soudain entendre et Tess corrigea brusquement sa posture. Elle détourna le regard pour fixer le mur droit devant elle. Elle ornait une porte aussi bien qu’une statuette l’aurait fait, et nourrissait le secret désir de si bien l’imiter qu’on ne pût même la remarquer.

Deux personnes apparurent dans le couloir, à l’extrême droite du champ de vision de Tess. Elle ne cilla pas. Elle devina la grande taille de l’un d’eux, puis reconnut le souffle pressé de l’intendant de l’Académie. C’était un petit homme ventru qui attirait bien du mépris et dont les compétences étaient fort limitées dans la Force. Néanmoins, il survivait ici grâce à des connaissances étendues, beaucoup de ruse et bien sûr, des relations haut placées dans l’Empire Sith.

- Nous voilà arrivés, votre Excellence, haleta l’intendant d’une voix mielleuse qui fait se hérisser les poils de Tess sur sa nuque, tant il lui inspirait du dégoût. Mademoiselle Ghornwell sera à votre service le temps de votre séjour.

« Mademoiselle Ghornwell » ?! Tess coula un regard noir en direction du bonhomme, qui ne parut pas le remarquer. Pour quoi la prenait-il, au juste, une dame d’agrément ?

- Comme vous êtes à l’avance, n’hésitez pas à prendre du repos et visitez les lieux autant que vous le souhaitez, poursuivit l’intendant en s’arrêtant devant la porte.

Il tendit un bras vers le panneau de métal et tapa de ses doigts boudinés un code sur une commande lumineuse. #01562. Tess se l’était répétée toute la nuit pour être sûre de ne pas l’oublier. On entendit le « clac » du déverrouillage avant que ne coulissent les parois de métal blindé.

- Bon hé bien, je vous laisse, votre excellence. Je vous préviendrai de l’arrivée de Monsieur Usul dès que possible.

Le ventru s’autorisa une ultime révérence disgracieuse avant de s’éclipser d’une démarche sautillante. Seulement alors, Tess s’autorisa un regard en direction du fameux Darth Deinos, Maître des Forges.

C’était un homme d’une taille assez importante, aux épaules carrées et aux gestes assurés. Il portait une cape pourpre qui devait forcer l’admiration des autres Sith, supposa-t-elle, mais qui lui donnait plutôt l’impression qu’il avait rudement soigné son image. Le tissu avait l’air lourd et précieux. Quant à son visage… Tess n’osa le regarder dans les yeux que quelques brefs instants avant de baisser les siens et de le saluer d’un mouvement de tête.

Il portait un masque. Tess n’aimait pas ça du tout. S’il y avait bien une chose qu’elle savait faire un peu mieux que les autres apprentis, c’était en apprendre sur les gens. Elle n’était pas très douée dans l’usage de la Force et elle n’était pas une guerrière née, mais elle savait fort bien de quel métal était fait un homme lorsqu’elle voyait ce qui se tramait dans ses yeux et l’expression de son visage. D’emblée, elle eut la sensation que cela lui était refusé, un peu comme si Darth Deinos avait pu deviner ses intentions et s’était préparé en conséquence. Elle ressentit une forme de honte avant de repousser ce sentiment jugé stupide. Elle maîtrisa tant bien que mal son appréhension pour le précéder dans les appartements préparés pour lui.

- Voici vos quartiers, Maître des Forges, déclara-t-elle sobrement. Je vous ai apporté les présents de l’Académie dans ce paquet, j’espère qu’ils sauront vous satisfaire.

Joignant le geste à la parole, elle déposa le sac sur une table devant lui.

- Un repas a été préparé. Je peux vous le servir dès que vous le souhaitez et je resterai à votre service jusqu’à votre départ, Maître des Forges.

Voilà, elle avait dit ce qu’elle avait à dire. Elle referma la porte derrière Darth Deinos avant de reprendre une position rigide à un mètre de là, dos au mur. Elle se serait fondue dedans si elle avait pu, mais elle se contenta de contempler le bout de ses pieds en respirant lentement. Ne pas laisser de prise à la peur. Sinon le Maître des Forges la sentirait. L’homme avait l’air calme, se répétait-elle, elle n’avait certainement moins à craindre qu’on ne le lui avait laissé entendre. Mais on savait bien que ceux qui étaient les plus impassibles étaient aussi souvent les plus cruels et imprévisibles…
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Il n'était que dix-huit heures. Sire Kalmar s'abandonna à un gros soupir de soulagement : tout était fin prêt pour l'accueil de son hôte ; or celui-ci devait arriver vers dix-neuf heures à l'Académie Sith. Parfait... Voilà qui lui permettrait de se reposer quelque peu, car la venue d'un homme important n'était jamais une affaire de tout repos, surtout lorsque l'homme en question ne s'était jamais rendu sur Korriban.

D'ailleurs, à ce sujet, Kalmar devait bien reconnaître sa surprise. Obtenir le titre de Maître des Forges n'était pas la tâche la plus évidente qui fût. Pour ce faire, encore fallait-il gagner les bonnes grâces de la Dame Noire, louvoyer de droite et de gauche au sein des instances impériales... Or jamais il n'avait entendu parler de ce Darth Deinos. Bien entendu, il s'était renseigné à son sujet : le Seigneur était déjà passé par l'astroport de Korriban à une reprise seulement, un an plus tôt. Et c'était tout. Aucune trace dans les archives, rien. Qui pouvait être ce Sith qui, sorti de nulle part, s'était d'un coup retrouvé projeté au cœur du Conseil Noir ? Kalmar aurait bien voulu en apprendre davantage sur ce parcours inédit, d'autant qu'il fréquentait énormément les hautes sphères politiques de l'Empire, et que son influence ne reposait quasiment que sur de telles relations.

L'intendant de l'Académie songeait déjà à sympathiser avec ce fameux Darth Deinos, quel qu'il fût, quand une voix robotique l'arracha à ses pensées.


«Sire Kalmar ? Je tiens à vous informer que le Maître des Forges vient d'arriver dans l'Académie.»

Que... ? Comment ? Déjà arrivé ? Avec presque une heure d'avance ? Voilà qui était rare, très rare même, et qui ne laissait rien présager de bon...

Le petit homme ventru se leva d'un bond et alla au pas de course jusqu'à l'entrée de l'Académie, où il vit se dresser devant lui un grand homme recouvert d'une longue cape de pourpre et caché par un masque blanc. Kalmar se dirigea vers lui, le visage perlant de sueur, et s'inclina respectueusement.


«Seigneur Deinos, c'est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Sire Kalmar, l'intendant de l'Académie.»

«Tout le plaisir est pour moi, Sire.», répondit le Sith d'une voix avenante qui tranchait nettement avec son apparence martiale.

«Si vous voulez bien me suivre... Je vais vous mener à vos quartiers.»

Tout en dirigeant le Maître des Forges à travers les dédales de l'Académie, Kalmar songea nerveusement que ce masque ne l'aiderait pas à en savoir davantage sur son hôte. C'était bien dommage, car un visage peut en dire beaucoup sur la manière dont il faut appréhender un individu.

Une fois qu'ils furent parvenus à un large couloir, l'intendant soupira légèrement mais se montra sous son jour le plus flatteur :


«Nous voilà arrivés, votre Excellence. Mademoiselle Ghornwell sera à votre service le temps de votre séjour.»

Sur ces mots, il désigna de la tête une jeune fille qui se tenait silencieusement à côté d'une haute porte ouvragée.

«Très bien.», se contenta de répondre le Sith de manière impersonnelle.

«Comme vous êtes à l’avance, n’hésitez pas à prendre du repos et visitez les lieux autant que vous le souhaitez.»

Sur ces mots, il ouvrit la porte à l'aide d'un digicode.

«Je vais plutôt rester dans mes quartiers. La route a été longue.»

De toute évidence, ce Darth Deinos n'avait pas l'air de vouloir étendre la conversation. Kalmar eut un rictus accablé qu'il s'empressa de transformer en un large sourire mielleux. Mieux valait renoncer à tout abordage du Maître des Forges, songea-t-il. Une autre fois, peut-être...

«Bon hé bien, je vous laisse, votre Excellence. Je vous préviendrai de l’arrivée de Monsieur Usul dès que possible.»

Après s'être incliné une nouvelle fois, l'intendant prit congé de son hôte.


* * *

Lord Janos ou Darth Deinos ? Il était très rare qu'il hésitât, adoptant toujours cette seconde identité lorsqu'il avait affaire à l'Empire. Ce n'était pas seulement une question de mot : derrière ce premier visage, se cachait une représentation éthique et politique de l'Ordre, quand le second reflétait plutôt une exploration métaphysique des pouvoirs de la Force. Mais cette fois, pour une raison difficilement compréhensible, la conscience d'être Janos avait pris le dessus, bien qu'il fût Darth Deinos aux yeux de tous. Peut-être fallait-il comprendre ce paradoxe par le caractère éminemment politique de la tâche qui lui incombait en ce jour : il lui fallait rencontrer Usul, l'intendant des industries cybernétiques de l'Empire ; or un tel office ressemblait vraiment aux fonctions qu'occupait Janos sur Aargau, quand il devait traiter avec des directeurs d'entreprise pour des projets de planification économique.

Tout occupé à se définir lui-même dans la situation présente (car l'Ordre exigeait une claire transparence quant à l'identité individuelle, sa fonction et son accomplissement dans le cercle social), Janos n'accorda que peu d'attention à la jeune fille que son hôte avait appelé "Mademoiselle Ghornwell". Il la suivit sans mot dire et la laissa prendre la parole en premier :


«Voici vos quartiers, Maître des Forges. Je vous ai apporté les présents de l’Académie dans ce paquet, j’espère qu’ils sauront vous satisfaire.»

«Je vous en remercie.», répondit-il hâtivement.

«Un repas a été préparé. Je peux vous le servir dès que vous le souhaitez et je resterai à votre service jusqu’à votre départ, Maître des Forges.»

Sur ces mots, ladite mademoiselle Ghornwell se posta servilement près d'un mur et resta à sa place sans bouger d'un pouce. 

Janos songea qu'il devait paraître effrayant pour une jeune fille comme celle-ci. Cette considération l'amena à déployer légèrement son aura de Force pour saisir le type de personne à qui il avait affaire ; c'était une habitude qu'il avait développée dans le monde politique de la République, et il ne s'en passait plus désormais, même auprès des êtres insignifiants - l'expérience lui avait d'ailleurs appris que l'insignifiance n'existait pas. Or il fut surpris de constater que mademoiselle Ghornwell était elle-même sensible à la Force... 

Était-ce à dire que l'Académie Sith employait les apprentis comme des serviteurs ? En vérité, Janos était lui-même novice dans ce lieu un peu trop sinistre à son goût, et il en savait peu sur les pratiques de ses confrères. Mais tout de même ! Si tel était le cas, quelle aberration ! Pourquoi ne pas utiliser de simples individus sans affinité avec la Force pour s'occuper du service, et plutôt laisser les apprentis s'initier aux mystères du Côté Obscur ? Si Janos avait été à la tête du système impérial, c'est évidemment ce qu'il aurait fait, dans un souci de rentabilité aussi bien que d'harmonisation.

Cette seule considération l'amena à se détacher des paquets que lui avait remis la jeune fille pour se concentrer davantage sur cette dernière. Il s'installa sur le premier siège venu et réclama son repas.


«Je vous en prie. Amenez-moi le plat qui m'a été préparé. Il serait stupide de le gâcher.»

Aussitôt dit, aussitôt fait. Moins de trois minutes plus tard, un plat fumant se tenait devant le Lord, qui à vrai dire avait une faim de loup : il avait été extrêmement difficile de quitter Aargau pour Korriban. La sécurité l'avait intercepté et, sans le génie de Darth Sicaë, sa double identité aurait presque pu en pâtir. Mais finalement, chose rare pour Janos, il était tout de même arrivé en avance.

Un pan entier de son masque se rétracta sur lui-même, découvrant la partie basse de son visage, les lèvres et le menton. Mais sous la peau semi-artificielle, plusieurs entailles s'étaient de nouveau formées au cours du voyage, lors du saut en hyper-espace, de sorte que l'on pût voir sous sa chair le tissu de métal et ses reflets bleutés aux couleurs synthétiques. Un nouveau masque de métal sous le visage masqué...

Janos ne prêta pas attention à ce détail et continua de concentrer son attention sur la jeune fille. Sa curiosité le poussa à aller au delà des convenances.


«Je vous en prie, mademoiselle Ghornwell. Prenez place en face de moi. Nous avons encore quarante-trois minutes avant l'arrivée d'Usul : vous risquez d'attraper des crampes si vous demeurez ainsi.»

Comme celle-ci hésitait, Janos insista.

«Ce n'est pas une plaisanterie. Asseyez-vous.»

Le Maître des Forges croisa les jambes et inclina légèrement la tête sur le côté, tout en s'accoudant de son bras droit.

«Dites-moi tout, mademoiselle Ghornwell... Êtes-vous une apprentie ? Vivez-vous en ce lieu ?»

Après tout, si cette jeune fille était sensible à la Force, tous les deux pouvaient être mis sur le même plan, la seule différence se trouvant dans leur parcours accompli. Voilà qui, par conséquent, ne gênait en rien la grammaire sociale de l'Ordre, et qui permettrait surtout au Lord d'en connaître davantage sur les pratiques de l'Académie Sith...
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C’était bien la première fois depuis un sacré bout de temps qu’on la remerciait. Et surtout aussi poliment. C’en était si surprenant pour elle que Tess crut qu’il s’agissait d’une ruse quelconque. Pourtant, le Maître des Forges avait l’air de ne guère s’occuper de sa présence en dehors de son utilité. Au premier abord tout du moins…

La Lorrdienne quitta son poste vivement pour aller chercher le repas du Seigneur. Ses gestes d’habitude assurés tremblaient parfois un peu, et elle ne put s’empêcher de froncer le nez lorsqu’elle se rendit compte que cette faiblesse pourrait être remarquée. Elle qui s’en sortait toujours en filoutant, elle savait que cette fois, son intelligence ne serait pas suffisante. Elle gardait le cap, néanmoins, pour suivre le plan qu’elle avait établi cette nuit. Elle continuerait donc à exécuter ses tâches et ne répondrait guère que par des gestes et des mots de soumission si jamais on la réprimandait.

Là encore, le Seigneur la surprit. Au contraire, il sembla satisfait de son service – du moins, il n’émit aucun commentaire désagréable, ce que Tess prit pour un contentement minimal – et la jeune fille nourrissait l’espoir que toute sa journée pût se poursuivre ainsi.

Elle avait été brièvement fascinée par le masque rétractable sur le visage du Maître des Forges. L’électronique la bottait bien, et il était évident que cet ornement devait valoir une fortune, car rien n’indique au premier abord que le masque put être ainsi rétractable. En plus, elle n’avait même pas vu le Sith appuyer sur un bouton quelque part – se pouvait-il qu’il l’activât avec la Force ?

Elle fut interrompue dans ses pensées par l’invitation du Maître des Forges à sa table. Elle oublia un instant son attitude de soumission pour lever le regard et croiser ses yeux. Elle ressentit le même malaise qu’auparavant sur son impossibilité à lire exactement ce qui s’y passait, mais cela ajoutait au Sith une aura de mystère qui inquiétait autant qu’elle attisait la curiosité de Tess. Finalement, elle se coula silencieusement en face de lui tandis qu’il mangeait son plat fumant. L’odeur lui faisait envie, car rarement les apprentis n’avaient à leur disposition des mets aussi raffinés. En fait, elle n’avait même jamais réalisé que les Seigneur de leur Ordre avaient une vie tout à fait différente que celles qu’ils avaient, eux autres apprentis. Atteindrait-elle ce grade elle aussi, un jour ? Peu importait, en réalité, car elle ne se verrait pas croupir à l’Académie de toutes façons. Elle aspirait à l’indépendance, à être par monts et par vaux comme une ombre fugace dans l’Empire.

Tess sentit sa gorge s’assécher. Il posait des questions. Un peu personnelle. Elle ne pouvait pas échapper à sa politesse, mais elle était méfiante quant à ses propos : révèlerait-elle une faiblesse dont il se servirait ? Il n’avait certainement pas besoin qu’elle le lui raconte, ceci dit. Certains de ses aînés, à l’Académie, disaient que certains Seigneurs lisaient dans les pensées des autres. Qu’ils pouvaient même amener les gens à penser volontairement à leurs secrets les plus intimes juste pour les connaître.
Tess sentit ses poils se dresser sur sa nuque et elle se hâta de répondre pour ne pas se laisser aller à songer à tout ce qu’elle ne souhaitait pas révéler, et par la même l’offrir au Sith sur un plateau de phryk.

- Je suis une apprentie, oui, approuva-t-elle de sa voix fluette, mais sans hésitation particulière. Je vis à l’Académie depuis presque quatre ans. J’occupe une cellule dans les dortoirs, comme les autres.

Elle ne voyait pas très bien, en réalité, ce qu’elle pouvait lui raconter d’intéressant. La vie des apprentis n’avait rien de très palpitant à son goût. Elle était loin de partager l’enthousiasme de ses camarades pour le sang et la douleur. Néanmoins, elle se pensait à sa place, ici, car elle était plutôt de ceux qui savent repérer et tourner avantage les manigances. Quant aux objectifs des Sith, bien qu’ils demeurassent flous dans son esprit juvénile, lui semblait s’accorder ne pas aller à l’encontre des siens propres.
Elle haussa les épaules pour signifier qu’il n’y avait rien de bien particulier à dire sur les dortoirs. Elle songeait pourtant que si le Maître des Forges l’avait invitée à sa table, c’était pour lui tenir compagnie. Or, on ne posait pas de questions à un personnage important comme celui-ci… Elle allait devoir trouver un sujet sur lequel déblatérer.

- On m’a donné ce travail aujourd’hui, parce qu’il paraît que je suis discrète et silencieuse,
dit-elle sur le même ton légèrement nonchalant. Mais d’habitude, je m’entraîne et j’étudie, Maître des Forges.

Elle eut un bref instant un froncement de sourcils, comme si quelque chose la gênait dans ce qu’elle venait de dire, puis elle ajouta un peu précipitamment :

- Je veux pas dire que vous bouleversez mes plans. C’est une forme d’étude, de pouvoir rencontrez des gens comme vous.


Elle s’était demandé, la nuit précédente, si elle assisterait aux négociations qui se joueraient. Oh, elle n’y comprendrait certainement rien, la technicité de ces dossiers n’étaient pas de son âge. Par contre, elle avait toujours soif d’observer comment les plus avisés des grands de ce monde manipulaient leur entourage : par la peur et la menace comme beaucoup de Sith, par l’émotion comme les politiciens, par les discours et les arguments comme les Jedi… Et puis toutes ces petites façons d’orienter la conversation, de soutirer des informations l’air de rien… Bref, il était vrai que Darth Deinos pouvait être un sujet d’étude passionnant, même s’il y avait peu de chance d’être en sa compagnie toute la journée.

Néanmoins, sous le regard impassible du Sith, elle se sentait plutôt un cobaye qu’une chercheuse. Elle baissa les yeux et sombra dans la contemplation de la table de métal devant laquelle ils étaient tous deux installés, en se demandant si elle n’avait pas été trop loin dans sa petite intervention.
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Malgré la réserve qu'elle affichait, la jeune fille que Janos avait face à lui était une personne de caractère, voilà qui ne faisait aucun doute. Sans avoir à la sonder davantage, l'aura qu'elle dégageait exhibait pleinement sa détermination, assortie peut-être d'une certaine distance critique sur l'univers qui l'entourait. Bref, le type d'individu que Janos appréciait : les êtres entreprenants, sans parfois le savoir, étaient les véritables moteurs de la Galaxie dans sa dynamique positive et son énergie créatrice. Voilà pourquoi, en tant que sénateur, il avait toujours favorisé et stimulé les étudiants ambitieux aussi bien que les entrepreneurs, quitte à les engager dans une véritable rivalité. Et en tant que Maître des Forges, il comptait en faire autant : le plan qu'il prévoyait pour l'industrie impériale reposait essentiellement sur une concurrence tempérée par le pouvoir central.

Quoiqu'il en fût, la réponse de Tess Ghornwell n'était pas sans intérêt, même si elle ne permettait pas à Janos d'en savoir davantage sur le statut qu'assumait la jeune fille : l'Empire Sith utilisait-il les apprentis comme majordomes afin de combler un manque de personnel, ou pour initier les moins aguerris aux négociations menées par les plus grands ? Si la chose ne s'en était tenue qu'à lui, c'est pour la seconde solution que le Maître des Forges aurait opté. Mais connaissant les instances impériales, il savait désormais que la rentabilité y était bien souvent occultée par un passéisme stérile. Dans tous les cas, même si toute cette mascarade diplomatique correspondait à un protocole fixé par la tradition, Janos comptait bien rentabiliser la chose...


«Lorsque ma planète d'origine était encore soumise à un système féodal - il y a bien longtemps -, les futurs chevaliers servaient de pages aux seigneurs et pouvaient ainsi les observer lors de palabres et autres négociations. Je vous propose de perpétuer cette noble tradition et de ne pas perdre votre journée. Personne ne m'a donné d'ordre à votre sujet : si vous n'y voyez aucune objection, participez aux négociations à mes côtés. Vous y apprendrez comment utiliser les pouvoirs de la Force sur les pauvres d'esprit. Et si notre homme est coriace, comment venir à bout des plus réfractaires...»

Oui, cette mondanité teintée d'un doux cynisme n'était pas celle de Darth Deinos, mais celle de Lord Janos. Somme toute, que l'on exerçât une fonction sénatoriale dans la République ou que l'on officiât comme Maître des Forges dans l'Empire, la coupe de la politique avait toujours la même âpreté. À quoi bon jouer au méchant Sith tel qu'il était présenté dans les holo-séries B, quand l'essence-même du pouvoir et l'attitude qui y correspondaient demeuraient identiques entre elles ? Tous ces Seigneurs Noirs devaient avoir beaucoup de complaisance à jouer leur rôle sinistre et cruel. Décidément, entre les scènes de torture à bord de l'Atramentar et les esclaves qu'on lui livrait tout cuit sur Aargau, Janos était maintenant persuadé que l'Empire Sith n'était qu'une mascarade plus ridicule et plus caricaturale encore que la République elle-même. En un mot, il était grand temps de purifier la Galaxie de tous ses miasmes. Et ils étaient nombreux...

Le Maître des Forges se demandait d'ailleurs si cette considération n'était propre qu'à son sens critique, ou si d'autres membres de l'Empire pouvaient envisager les choses de la même manière. Bien sûr, des Darth Ynnitach et des Darth Anetherion étaient bien trop aveuglés par leurs propres ambitions et leur traditionalisme borné pour disposer d'une once de distance. Mais qu'en était-il d'un apprenti encore innocent ?


«Une simple question, mademoiselle Ghornwell... Vous constaterez, lorsque je rencontrerai le sieur Usul, que je souhaite rénover l'Empire Sith de fond en comble d'un point de vue économique et industriel. Cependant, je crains que mes vues ne suscitent une vague de répulsions de la part de nos confrères impériaux. Vous qui passez votre quotidien à l'Académie, croyez-vous qu'il serait possible, et même souhaitable, que nous en finissions avec ce passéisme qui caractérise notre cher Empire ?»

Janos avait conscience que la question pouvait soulever bien des problèmes pour une simple apprentie. En gros, c'était lui demander son opinion sur la gestion du régime impérial. De quoi faire frémir même le plus audacieux...

«Parlez sans retenue, mademoiselle Ghornwell. Je ne mords pas. Quand on gravite dans les sphères politiques, on a toujours besoin de l'opinion d'autrui. Et la vôtre m'intéresse...»
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Les yeux de Tess s’arrondirent malgré elle. Elle s’entraînait pourtant bien à ne rien laisser paraître – ce n’était pas prudent – mais cette expression lui avait échappée et le sentiment de danger qu’elle côtoyait chaque jour s’était estompé en présence du Maître des Forges. Voilà qui était bien paradoxal. Mais ce qui la surprenait réellement, c’était sa proposition d’assister aux entretiens pour lesquelles il était présent. Elle cacha rapidement le sourire qui lui était venu au coin des lèvres en baissant le regard.

- Ce sera pour moi un honneur,
bafouilla-t-elle sur un ton maladroit.

Oh la la ! Elle allait faire des jaloux ! Si Gasp, son dévaronien de voisin de cellule, apprenait qu’elle passait la journée non pas à changer les draps du Maître des Forges mais à l’assister dans ses négociations, il serait vert d’envie ! Bien sûr, cela impliquait qu’on parlerait un peu d’elle. Peut-être. Mais c’était un risque à prendre, et en Tess la jubilation prenait à cet instant le pas sur ses habitudes prudentes.
Elle ne parvenait pas non plus à croire que le Maître des Forges se montrât si volubile avec elle. Elle buvait littéralement ses paroles, ayant relevé le menton et le dévisageant de ses yeux avides de savoir. Elle fronça néanmoins les sourcils lorsqu’il posa sa question.

Elle, parler d’économie ? Elle n’y connaissait rien du tout. Mais la façon dont il l’interrogeait faisait écho à ses réflexions lorsqu’elle jouait aux holo-échecs quand elle était plus jeune. Il y avait une odeur de tactique, d’anticipation des coups à jouer par l’adversaire et par soi-même… Etait-ce donc cela, finalement, la politique ? Derrière les longs discours ennuyeux, y avait-il ce genre de jeu au ralenti ? Si oui, Tess aurait pu aspirer à être politicienne elle-même. Sauf qu’elle n’était vraiment pas douée pour les relations humaines et qu’elle n’avait pas la patience d’écouter les doléances d’imbéciles à longueur de journée.

Elle prit le temps de se concentrer quelques minutes pour répondre au Maître des Forges. L’ennui, c’était qu’à son âge, elle ne comprenait pas bien le mot passéisme. Est-ce que ça voulait dire que l’Empire était passif, sans initiative, ou qu’il vivait dans le passé ? Dans tous les cas, sa réponse serait un peu la même. C’est juste qu’elle était difficile à formuler.

Tess posa à plat ses deux mains sur la table, comme si cela l’aidait à commencer quelque part.

- Moi, je dirais que notre Empire est basé sur des illusions,
formula-t-elle finalement. Les anciens Sith inspiraient beaucoup de terreur, alors… C’est bien pratique, pour faire face aux ennemis, d’entretenir tout ça. Du moins au début. Mais je crois pas que ça soit suffisant.

Elle fronça de nouveau les sourcils. Il lui avait dit qu’elle pouvait s’exprimer sans crainte, mais ce n’était pas si simple. Elle ne voulait pas être manipulée trop aisément, au cas où il s’agirait d’un piège.

- Je veux dire, les Sith sont toujours aussi puissants pour faire la guerre. La guerre avec les vaisseaux et les armes. Mais alors si on parle d’économie et d’industrie… Enfin, je suis pas vraiment spécialiste,
fit-elle sur un ton d’excuse, mais je crois qu’à ce jeu-là, la République a un peu plus d’expérience que nous. La flotte de notre Impératrice, bien sûr, est magnifique ! Et efficace. Mais je crois qu’il y a des Sith… Certains Sith, pas tous, qui se reposent un peu trop sur le fait qu’on est bons pour faire peur et pour faire mal.

Elle haussa les épaules. Il lui était difficile d’exprimer des critiques à l’encontre de l’Empire. Elle se fichait totalement d’être en accord ou non avec l’Impératrice, mais elle avait peur de représailles. Et ici plus que partout ailleurs, les murs avaient des oreilles, parfois même quand un Seigneur Sith vous affirmait le contraire.

- Après, je suis sûre que parmi d’autres Sith, parmi ceux qui sont moins occupés à montrer les dents pour impressionner les autres, il y a des gens intelligents. Qui vont faire évoluer les choses. Comme vous, non ? Les Sith doivent changer, c’est sûr, s’ils veulent survivre. Et il y a que des gens comme vous qui puissiez le faire, à mon avis.

Elle ne s’expliquait pas spécialement le respect qu’elle ressentait pour lui. Il avait l’air intelligent, c’était tout. C’était la principale qualité qu’elle appréciait chez les gens. Elle avait hâte de le voir en action, hâte de voir s’il était à la hauteur de ce qu’il en avait l’air. Il était rare que l’un de ses aînés, pour la plupart sanguinaires et inutilement bruyants, provoquât en elle cette étrange curiosité.

- Mais ici, c’est la tradition qui prime, vous savez. C’est une vieille école, alors ils aiment pas spécialement le changement. Ce serait quand même dommage de laisser tomber avant d’avoir essayé, ceci dit.


Jusqu’ici, ce qu’elle prenait pour un exercice improvisé lui plaisait bien. Finalement, cette journée tant redoutée allait peut-être devenir très intéressante. Tess aimait bien les gens qui trompaient ses préjugés… Surtout qu’ils étaient rarissimes.

Elle se trouva soudain intéressée par l’une des pupilles de son interlocuteur et le fixa longuement tandis qu’il reprenait la parole. Elle n’arrivait pas à dire ce qui l’intriguait autant dans cet iris froid.
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Pour sûr, la jeune Tess Ghornwell devait en penser plus qu'elle ne le laissait transparaître. Comme tout le monde, dira-t-on. Mais Janos sentait en elle une véritable ébullition, une dynamique proprement positive quoique refoulée. Ce diagnostic prudent en disait beaucoup sur l'acuité dont la jeune apprentie savait faire preuve.

«La peur, oui... Vous avez raison : c'est le principal atout de l'Empire Sith. Il suffit de voir comme le Sénat s'agite face à nos déploiements de force. Les républicains n'ont plus qu'une pensée : sauver leur misérable vie.»

Janos savait bien de quoi il parlait. Ce sinistre portrait n'était rien moins que celui auquel il se confrontait au quotidien. Dès qu'il se promenait dans les couloirs de la Rotonde ou d'autres institutions, le vent de la peur soufflait partout ; il s'était répandu inexorablement, faisait frissonner les plus audacieux, avait empli de son souffle moribond chaque parcelle de la République. On aurait dit un troupeau de moutons pourchassé par un méchant loup. Ou mieux qu'un troupeau : un poulailler. Un poulailler dans lequel se serait introduit un renard ; le renard est seul quand les poules sont innombrables, mais la panique est telle que le prédateur peut en venir à bout d'un simple croc. Oui, un poulailler et tous ses attributs, avec le caquettement stupide et la vanité mal placée...

L'image suscita un très léger sourire sur les lèvres du Maître des Forges. Il conserva cependant cette comparaison en mémoire : elle pourrait garnir l'un de ses prochains discours. Un petit peu virulent, certes, mais en parfait accord avec la ligne directrice du Rassemblement Républicain.


«Cependant, la République dispose d'un appareil administratif, juridique et militaire hors du commun. Une véritable machinerie que plus rien n'arrête une fois lancée. Et la peur ne dure qu'un temps : si un individu ou un événement quelconques en venaient à insuffler un tant soit peu de courage à nos ennemis, notre Empire pourrait tout à coup paraître bien misérable devant une telle puissance.»

Janos n'avait aucun scrupule à parler si ouvertement de la République. Ses propos demeuraient suffisamment généraux pour qu'il n'eût pas à trahir sa double identité. De toutes façons, les séances sénatoriales étaient publiques ; on le rediffusait sur toutes les holo-chaînes de la Galaxie versées dans la politique. Du reste, il suffisait de lire la Constitution du régime pour en saisir les ressorts.

«Bien misérable, oui. Nous sommes donc d'accord, mademoiselle Ghornwell. Comme vous les dites, les Sith doivent changer. Mais alors, à votre avis, quel visage prendront ces nouveaux Sith, ce nouvel Empire ? À supposer qu'il voie le jour...»

Un petit sourire se dessina sur les lèvres du Maître des Forges. Si la question n'était pas tout à fait innocente (mais y a-t-il des questions qui soient innocentes ?), elle avait le mérite d'être ouverte. Janos désirait mettre en place un Ordre nouveau, mais il n'avais pas encore une idée claire et précise de la forme sous laquelle cet Ordre pourrait advenir. Et en la matière, l'avis d'autrui ne laissait pas de l'intéresser...

Cependant, le Sith n'offrit pas à son interlocutrice l'occasion de répondre dans la minute, décidant d'expliciter son interrogation un tant soit peu.


«Quelles en seraient les implications institutionnelles ? Par exemple, un tel Empire prendrait-il pied dans un système moins autocratique, moins sujet aux caprices d'une seule ?»

La formulation frisait la sédition. "Une seule"... Janos aurait dit "Darth Ynnitach" que le contenu n'en eût guère été modifié.

«Devons-nous accélérer l'institutionnalisation de notre régime ? En faire une véritable bureaucratie ? Dans une Galaxie néo-libérale, soumise aux lois de la compétitivité, des crises économiques et des aléas boursiers, devons-nous maintenir une autorité traditionnelle, ou s'engager dans les voies tortueuses et élitistes de la technocratie ?»

Le sourire s'élargit.

«En un mot, si l'Empire désire survivre et s'adapter, ne doit-il pas, tout simplement, imiter la République ? Je vous le demande, mademoiselle Ghornwell...»
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Il était quand même rudement difficile de ne pas jubiler ouvertement quand le Maître des Forges en personne concédait que vous eussiez raison. Tess avait retiré ses bras de la table et les avait placés de part et d’autre de son corps, les mains coincées sous ses cuisses. Au moins cette position l’empêchait-elle de gigoter comme une gamine impatiente. Elle se força néanmoins à conserver une expression neutre, et sa concentration sur les propos du Sith l’aidait à ne pas se laisser distraire par les compliments.

Tess enregistrait méthodiquement les propos du Maître des Forges. Elle avait toujours travaillé sa mémoire ; à défaut d’être forte physiquement ni de savoir manipuler idéalement la Force, elle affûtait toutes les dimensions de l’esprit. En cela, il lui semblait qu’au plus elle contiendrait d’informations, au plus elle avait de chances de se sortir d’une situation épineuse un jour. Jusqu’ici, sa stratégie ne lui avait que rarement fait défaut.

La peur ne dure qu’un temps. Voilà qui était à la fois philosophique, élégant et simple à retenir. Son aîné avait-il préparé des formules toutes prêtes ou était-il une sorte de poète d’un Empire moderne ?

De nouveau, il lui posait une question. Elle était plus difficile que la précédente. Alors qu’avant il lui avait seulement fallu orienter le Maître des Forges sur son opinion générale, il fallait maintenant qu’elle réfléchît à des solutions. Tess fronça les sourcils en se creusant la tête. Un changement en amenait souvent d’autres, parfois indésirables. Aussi fallait-il choisir avec prudence quel genre de nouveauté on pouvait espérer avoir les effets escomptés. Ce n’était pas simple, mais c’était un défi intellectuel intéressant.
Elle baissa les yeux une nouvelle fois pour réfléchir, car l’étrange masque l’intimidait et la déconcentrait. Heureusement, le Sith avait décidé d’étoffer sa question par de nouvelles interrogations. Il lui donnait du temps.

Implications institutionnelles ? Beuârk, songea-t-il en tâchant de ne pas grimacer. Cela lui rappelait les politiciens et leurs discours sans queue ni tête, si bien que lorsqu’on leur posait une question, en plus de n’y pas répondre, vous vous retrouviez avec des interrogations supplémentaires. Autocratique, institutionnalisation… Et dire que d’ordinaire, elle se plaignait qu’on la prenait pour une enfant à cause de son apparence chétive ! Cette fois, c’était le contraire : elle ne connaissait pas bien tous ces mots mais il s’adressait à elle comme à une adulte et il était rare qu’on lui donnât cette chance. Il faudrait donc se montrer à la hauteur. Heureusement, sa dernière question aida Tess à remettre de l’ordre dans ses idées. Cette fois-ci, elle ne put s’empêcher de faire la moue.

- C’est que si c’est pour devenir une République qui existe déjà, ça sert pas à grand-chose,
rétorqua-t-elle avec un air d’excuse. Moi je crois que les Sith peuvent s’en sortir autrement. Ce n’est pas parce que la République est arrivée à un résultat que les Sith, pour obtenir ce même résultat, doit passer par le même chemin.

Par chemin, elle entendait surtout le plan de la morale et des moyens employés, qui étaient tout de même largement différents dans l’idéologie républicaine que dans celle des Sith. Mais alors, quel chemin emprunter, elle était bien en peine de le dire…

- Ça dépend de l’objectif, non ?
tenta-t-elle finalement. Si c’est pour vivre à côté de la République, pourquoi pas. Elle peut devenir comme elle. Mais je pensais que notre Empire avait l’ambition d’aller au-delà.

En réalité, elle espérait que les Sith avaient une plus grande ambition. Sinon, que ferait-elle ici plutôt que dans la République ? Au fond d’elle, elle espérait que l’Empire pourrait atteindre une sorte de justice ultime que la République, avec son administration sans fin et sa corruption, était tout bonnement incapable d’atteindre. Elle se voyait très bien en justicière de l’ombre, à tordre le cou des sénateurs grassouillets de l’Empire ou de la République. Mais c’était peut-être aussi l’esprit de rébellion de la jeunesse qui s’exprimait.

- Je me disais…,
ajouta-t-elle soudain comme si une idée venait de la traverser mais qu’elle n’avait pas eu le temps de la mettre en place correctement dans sa tête, je me demande si on a vraiment besoin de… Bureaucratie, autocratie, et tout ça. Je veux dire, ça existe déjà sur les différentes planètes, non ? Tout ce que l’Empire fait, c’est en être le chef, les orienter. Avec… Une idéologie. Est-ce qu’on ne doit pas rester tel qu’on est, mais juste changer la façon dont on fait les choses ?

Elle se demandait également ce que penserait l’Impératrice de leur discussion : serait-elle en rage ou éclaterait-elle de rire en entendant deviser un Maître des Forges et une petite apprentie, à propos d’un Empire qui deviendrait la même chose que la République ? Assurément, Darth Ynnitach les prendrait pour des imbéciles.

Mais des imbéciles qui réfléchissaient, c’était là toute la différence.

- Qu’est-ce que vous croyez que notre Impératrice veut, si je peux me permettre ?

C’était bien la toute première fois qu’elle parlait à quelqu’un de si proche de leur chef à tous, se rendait-elle compte. L’aura d’Ynnitach avait quelque chose d’effrayant et d’excitant, et le Maître des Forges avait dû la braver bien des fois.
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Et audacieuse, de surcroît... Demander à un Maître du Conseil Noir quelles pouvaient être les ambitions de l'Impératrice... De la part d'une jeune apprentie... Très audacieuse, même. Un peu trop, peut-être...

Janos envisagea deux possibilités. Soit la question était sincère. Osée, risquée, mais bel et bien sincère. Soit elle répondait à un objectif infiniment plus sournois. Se pourrait-il que l'on eût confié à cette Tess Ghornwell le soin d'espionner le Maître des Forges ? Possible. Probable, même. Mieux valait demeurer sur ses gardes, dans ce cas. Non, mieux : lui révéler ce que la Dame Noire savait déjà. Ou plutôt : ce que lui savait de ce que pensait la Dame Noire. Oui, excellente idée. Ce faisant, la jeune apprentie pourrait en apprendre beaucoup sur l'Impératrice et sur son incompétence, mais le Lord demeurait hors de toute atteinte.


«Il ne me semble pas que notre chère Impératrice ait pour ambition d'attaquer la République.», déclara-t-il sans prendre de gants, répondant ainsi à la précédente remarque de son interlocutrice en même temps qu'à sa dernière question. «Repli stratégique, me direz-vous... Si tel est le cas, nous devons renforcer nos industries pour offrir à notre système la puissance qu'il n'a pas. Je sais de quoi je parle, bien évidemment. Une meilleure rentabilité, une meilleure productivité, une meilleure compétitivité... tous les ingrédients nécessaires à la dynamique néo-libérale qui paramètre actuellement les échanges économiques de notre Galaxie. Les événements d'Artorias nous ont affaibli : il nous faut renforcer notre économie.»

Janos avait quelques scrupules à employer ce "nous" pour désigner ce système impérial auquel il n'adhérait qu'à moitié. Mais qu'était-ce à dire ? Le Lord ne pouvait décemment pas expliquer à cette jeune fille qu'il avait un pied dans chaque camp, qu'il désirait plonger les deux régimes dans une guerre meurtrière, afin de profiter du chaos suscité par ses propres soins, et de s'emparer d'un pouvoir qu'il avait contribué à affaiblir. Ce fameux plan qui touchait presque à la schizophrénie... Un Janos belliciste, prêt à inciter ses collègues du Sénat à déclarer l'Union Sacrée contre l'Empire. Un Deinos calculateur qui tentait de réformer l'industrie impériale, dans l'idée d'enclencher une véritable mécanique de guerre. Seule cette seconde facette était officielle parmi les Sith, tout comme l'était la première parmi les républicains.

«Et si cette attitude aux allures pacifistes ne correspond pas à un repli stratégique - notre Impératrice bien aimée ne nous l'a pas spécifié -, alors vous n'aurez plus qu'à vous détromper, mademoiselle Ghornwell. Dans ce cas, effectivement, notre Empire se transformera en une sorte de République.»

Le Maître des Forges haussa les épaules, laissant transparaître une certaine lassitude.

«Du reste, ne croyez pas que notre idéologie suffise à nous distinguer du régime républicain. Du moins, pas si l'on parle en termes de gestion. Prenez deux planètes. Sur l'une, fondez une République ; sur l'autre, fondez un Empire. Laissez chaque système se mettre en place, s'institutionnaliser, mener sa petite vie... Et, à l'issue de cette expérimentation, comparez le résultat. Dans un cas, le pouvoir suprême sera partagé par le peuple ; dans l'autre, il sera concentré par un autocrate. Énorme différence, n'est-ce pas ? Oui, énorme, mais ce ne sont que des mots. D'un point de vue purement bureaucratique, vous y retrouverez une administration, des fonctionnaires médiocres qui accomplissent leur tâche de manière servile, des technocrates tout puissants qui maîtrisent les mailles du système avec plus de précision que leurs propres dirigeants, des hommes d'affaire avares qui vendraient leur âme pourvu que leur entreprise soit mieux cotée en bourse... Et même, un peuple qui se moque totalement de ce qui se passe dans les sphères du pouvoir, pourvu qu'on ne vienne pas troubler sa tranquillité : il faut être fou pour penser un instant que les citoyens de la République se sentent vraiment concernés par ce qui se trame au dessus de leur tête.»

Et là encore, hélas, il parlait en connaissance de cause...

«Alors ? Quelle différence ? Une différence très simple, pourtant, mais qui modifie tout : l'administration, l'idéologie, les objectifs... je dis bien : tout. Cette différence ? L'impérialisme.»

Comme toujours lorsqu'il développait une idée, Janos ne put s'empêcher de se lancer dans un discours enflammé. Il en avait même oublié son plat, qui refroidissait sous son nez.

«Oui. L'impérialisme. Voyez-vous, sans cette dynamique guerrière, notre Empire n'a plus qu'à améliorer la gestion de son territoire spatial, et à péricliter tranquillement en parallèle avec la République. L'impérialisme insuffle de la force à l'industrie, stimule les masses, motive les puissants, instaure un Ordre que la paix ne peut qu'amollir. Sans l'impérialisme, nous ne sommes plus rien. La question n'est donc pas de départager la République de l'Empire. Il s'agit juste de savoir quel système entre les deux saura prendre le pas de l'impérialisme. Et n'accordez aucune confiance aux mots : un empire n'est pas nécessairement impérialiste.»

De cette manière, Janos ne pouvait être critiqué pour trahison à l'égard de la Dame Noire. Il n'avait fait qu'opposer une série de concepts sans réellement blâmer la Souveraine.

Amusé par cette idée, il décida de renvoyer la balle à son interlocutrice et de reporter sur elle l'embarras qu'elle lui avait suscité.


«Si j'ai bien compris votre pensée, mademoiselle Ghornwell, vous croyez que l'idéologie Sith est impérialiste. Mais s'il s'avérait que notre absence d'activité n'était pas un repli stratégique, seriez-vous prête à suivre la Dame Noire dans son pacifisme ?»

L'œil artificiel scintilla. Janos croisa les bras et s'enfonça dans son fauteuil en adressant un petit sourire courtois à la jeune apprentie.

Oui, décidément, son plat devait être froid, maintenant.
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Tess devait bien reconnaître qu’elle était un tout petit peu déçue. Pas de guerre avec la République alors, même idéologique ou économique ? L’Impératrice Ynnitach avait toujours revêtu à ses yeux la robe d’une hyperactive vindicative, et la jeune Lorrdienne, malgré son exécration de la violence, savourait éminemment l’affront que la République avait dû ressentir face aux actes audacieux de la Sith. Rien que pour ces deux dernières années de politique, Tess admirait l’Impératrice. Mais… Un simple « repli stratégique », ça n’était pas fascinant pour un sou. Malgré les explications du Maître des Forges, Tess avait du mal à voir ce qu’il y avait là de bien utile. Heureusement, son imagination la rattrapait déjà : bien sûr que Darth Ynnitach avait des plans, bien sûr qu’elle était occupée. C’était juste qu’elle était trop maline pour dévoiler ses projets au grand jour, voilà tout ! Leur Impératrice ne pouvait tout simplement pas se reposer dans l’adulation des siens et la richesse de ses biens après tant de combats, non ? Une femme comme elle ne pouvait décemment pas s’arrêter là…

Tout du moins, Tess l’espérait. Elle n’avait pas spécialement envie que l’Empire devinsse la République qu’elle-même avait connue étant enfant. Dans la République, par exemple, jamais on ne l’aurait laissée rencontrer si facilement un ministre, par exemple. Aujourd’hui, au sein de l’Empire Sith, un minuscule pion comme elle pouvait papoter avec un membre du Conseil Noir. Rien que cela suffisait à ce que l’homme au masque remporte l’attention totale de la Lorrdienne.

Elle buvait d’ailleurs ses paroles et tâchait d’inscrire chaque mot d’une entaille profonde dans son cerveau. Elle ne saisissait pas tout dans les moindres nuances, mais était tombée en admiration devant l’intelligence de son interlocuteur : son analyse de la République était la plus fine qu’elle avait connu jusqu’ici, car les livres dans lesquels elle s’était plongé avait toujours décrit froidement quels organes existaient dans la bureaucratie et quel était son rôle. On parlait aux holos de quelques dérives, ou de quelques problèmes à l’échelle galactique ou sur certaines régions du monde, mais Tess n’avait jamais entendu une analyse des rouages de l’administration républicaine qui collait autant avec ce qu’elle avait expérimenté du temps où elle vivait en terrain républicain. C’était comme si le Maître des Forges était doté de la capacité à mettre exactement les bons mots sur des idées qui, dans sa tête, étaient nébuleuses et paraissaient incohérentes.

On pouvait être dans un Empire qui n’était pas impérialiste... Elle irait chercher plus d’informations sur la notion d’impérialisme dès qu’elle en aurait l’occasion. Et aussi sur les termes d’autocratie, et de technocratie.
Néanmoins, le Maître des Forges ne disait pas s’il trouvait que leur Empire était ou non « impérialiste ». Mais lui demander de préciser serait la preuve de sa propre ignorance, aussi Tess se garda bien de demander plus d’explications à ce sujet. Elle aimait bien illustrer dans son imaginaire les propos de son interlocuteur : que se passerait-il si la République et l’Empire vivaient chacun de leur côté… Qui serait le plus puissant, qui aurait la meilleure société au bout du compte… ? Voilà des questions qui le feraient réfléchir bien des nuits. Elle sourit en songeant naïvement que Darth Ynnitach devait peut-être réfléchir aux mêmes sujets qu’elle, sur sa couchette, le soir. Ou dans son coffre blindé si elle y dormait, comme le racontaient certains de ses aînés apprentis.

La question du Maître des Forges interrompit néanmoins le fil plaisant des réflexions de Tess. Est-ce que le Maître des Forges était vraiment en train de lui demander si elle resterait fidèle ou non ? On ne pouvait décemment pas répondre qu’on ne serait pas content et qu’on se casserait si l’Impératrice n’avait pas les idées que l’on souhaitait. Pas comme ça. Pas quand la question était posée si directement. Par un membre du Conseil Noir.

Tess avait perdu son sourire et elle déglutit. Une drôle de chaleur faisait soudain transpirer son torse, heureusement recouvert d’un coton qui absorberait le surplus d’humidité. Elle priait néanmoins pour que cette bouffée d’angoisse ne la fasse pas rougir. Impossible de le savoir. Pour ne pas paraître plus coupable, elle soutint le regard du masque et se dit qu’elle avait plutôt intérêt à peser ses mots avant de les prononcer. Elle finit par trouver une réponse qui n’était ni insultante envers la Dame Noire, ni un mensonge.

- Vous voulez dire, est-ce que j’irais du côté de la République où on me prendra pour une demeurée, ou si j’irais du côté de l’Espace Hutt où on ferait de moi une prostituée ?

Ok, c’était un poil provocateur. Mais c’était la démonstration par A + B qu’elle n’était pas une traîtresse et qu’elle n’en deviendrait jamais une.

- Peu importe que l’Empire soit en guerre ou en paix avec la République, au fond. Il n’y a qu’ici qu’on me garde pour mes compétences. Qu’on ne me met pas dans une case parce que je suis une orpheline, ou parce que je suis une femme, ou que sais-je encore. Il n’y a que dans l’Empire que je pourrais développer mes talents.


Elle ne savait pas très bien d’où lui venait cette conviction, en réalité. Peut-être était-ce qu’avait réussi à lui inculquer la Togruta qui l’avait extraite de la République et l’avait amenée chez les Sith : elle avait révélé son potentiel, et montré une voix d’évolution où Tess serait maîtresse de son destin. C’était tout un paradoxe : seule, elle avait été esclave d’un monde déterminé dans une République, qui faisait d’elle une fille d’ouvrière orpheline en échec scolaire, et donc sans avenir… et elle s’était ensuite retrouvée dans un régime beaucoup moins libertaire mais qui lui redonnait un pouvoir sur son destin. C’était comme si l’Empire avait eu le pouvoir de mettre un cadre sur sa vie. Sans ce cadre, elle ne pouvait pas se réaliser. Dans ce cadre, elle ne pouvait en sortir, mais pouvait se réaliser à l’intérieur. Et ce second choix était le plus intéressant.

- Je ne veux pas passer pour une égoïste, dit-elle. J’ai même l’impression d’être plus utile ici qu’ailleurs. On reconnaît que je sais faire des choses, et je mettrais ces choses-là au service de l’Empire pour grandir. Et pour qu’il grandisse aussi.

Elle s’était écartée, en voulant se justifier, du thème de Darth Ynnitach. Elle recentra ses explications.

- Donc, dans ces conditions, oui, je continuerais à suivre Darth Ynnitach. Si elle fait le choix de la paix, et que ce n’était pas le meilleur choix… Alors quelqu’un prendra sa place. Mais je sais qu’elle le sait, qu’elle y réfléchit, et qu’il y a du coup beaucoup plus de chances qu’elle sache mieux que moi ce qu’il faut faire.


Et si Tess était Impératrice, ferait-elle la guerre ou la paix ? Elle prônerait peut-être la paix comme Ynnitach… Mais ferait la guerre à la République. La guerre de l’intérieur. Elle enverrait des agents top secrets dans le Sénat, et ils sèmeraient la discorde en même temps qu’ils lui ramèneraient des informations. La République s’effondrerait d’elle-même. Comme elle serait douée pour ça, comme ce rôle lui plairait... Mais peut-être que c’était ce que Darth Ynnitach avait prévu, peut-être alors qu’un jour, à défaut d’être Impératrice – elle n’avait réellement aucun espoir pour cela et n’avait pas cette soif de pouvoir – peut-être alors pourrait-elle être ce genre d’agents top secrets…

Elle allait avoir tant de choses à penser ces jours-ci, grâce au Maître des Forges. Pourquoi les maîtres qui passaient prendre des apprentis ici étaient-ils si violents et superficiels ? Pourquoi n’étaient-ils pas plutôt comme lui, à faire réfléchir les troupes Sith pour le bien de tous ?
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Avait-elle rougi ? Le Sith n'en était pas tout à fait sûr, mais il put sentir grâce à son aura une certaine anxiété de la part de son interlocutrice.

En tout cas, Janos ne fut pas déçu de la réponse qu'il entendit. Cette jeune femme cultivait une dynamique très positive, une volonté de puissance qu'elle semblait tout de même contrôler. C'était une chose assez rare pour son jeune âge. Certes, elle ne savait pas encore exprimer ses pensées avec toute la précision dont elle serait capable avec le temps ; elle pouvait même paraître impulsive à certains égards. Mais on s'imaginait aisément ce qu'il en serait quand elle aurait plus d'expérience.

Tess Ghornwell avait décidé de recentrer le sujet sur la Dame Noire après son petit excursus sur le rapport qu'elle entretenait aux institutions. Mais Janos trouvait ce premier sujet de conversation infiniment plus intéressant, et nettement moins subversif d'ailleurs.


«Plus utile ici, dites-vous ? Si je vous suis bien, vous voyez dans l'Empire un environnement infiniment plus propice à votre cheminement intellectuel. Je peux le concevoir assez aisément, ceci dit...»

C'était faux. Tout Maître des Forges fût-il devenu, Janos n'en demeurait pas moins un ancien Jedi, et sans cesse cette éducation le rattrapait - comme toute éducation, très probablement. Toute son enfance durant, on lui avait appris à renier le Sith comme un paria de la Force. Avant qu'il ne s'intéressât au Côté Obscur et qu'il n'en comprît certains ressorts secrets, ce monde lui paraissait extrêmement effrayant, totalement chaotique... Mais il fallait savoir ruser. Lorsqu'il avait rencontré Darth Anetherion, il s'était rendu compte que ses idéaux pouvaient froisser certains de ses confrères. Et passer pour un ancien Jedi aux yeux des impériaux n'était pas la meilleure stratégie à suivre...

«Mais parce qu'un système vous paraît meilleur, est-il nécessairement le meilleur ?»

Il s'interrompit un instant, non pas tant pour mettre en exergue cette question (même si c'en fut le résultat) que pour prendre le temps de réfléchir. Oserait-il parler davantage de son idéal ? De ce fabuleux système que son esprit avait fait naître, et qu'il rêvait d'appliquer à la Galaxie ? Pourquoi pas, après tout ? En s'y prenant avec parcimonie... 

«C'est un défaut courant chez les esprits intelligents, voyez-vous. Bien sûr, ne le prenez pas pour un reproche : vous êtes encore jeune et avez beaucoup à apprendre. Mais quand on affaire à un système nouveau, un système digne de satisfaire nos attentes, propre à endiguer toute notre frustration...»

Le terme avait été choisi avec minutie. Janos sentait beaucoup de frustration dans cette jeune Sith : il était toujours intéressant de toucher les points sensibles.

«... notre satisfaction nous amène à adhérer à ce système, avec une foi et une loyauté qui peuvent nous surprendre nous-mêmes. Jusque là, rien de bien surprenant. Mais le fait est qu'à partir d'un certain stade, l'esprit s'est tellement auto-persuadé que le système en question est le bon qu'il en perd toute objectivité, toute lucidité. Il choisit volontairement de se montrer aveugle, il dénie toute possibilité d'évolution. Cette légitimation retranche à l'esprit la part proprement créatrice qui est la sienne ; il s'enlise alors dans une défense systématique du passé. Tous les traditionalistes raisonnent ainsi, bien évidemment ; mais il n'y a pas qu'eux. Ou plutôt, des millions d'individus ne se doutent pas une seconde qu'ils sont eux-mêmes des traditionalistes invétérés.»

Janos savait de quoi il parlait : l'attitude qu'il blâmait était celle de ses opposants républicains, mais depuis sa venue dans l'Empire, il s'y était également heurté chez ses comparses Sith.

«Je vous en prie donc, Mademoiselle Ghornwell», déclara-t-il en lui adressant un sourire bienveillant, presque paternel. «ne sombrez pas à votre tour dans cet écueil. Le Côté Obscur lui-même n'est-il pas une promotion continue du renouvellement ?»

Finalement, il s'interrompit là, désireux de voir comment lui répondrait son interlocutrice. L'idée de fonder une école de la Force devenait de plus en plus vivace en son esprit, surtout depuis qu'il avait fait face à cette terrible déception, depuis qu'il identifiait partout la même bêtise, la même frilosité. Restait à voir s'il pourrait poser quelques pions en ce sens...
Invité
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Si Tess se sentait légèrement honteuse d’avoir donné une justification si intimement liée à ses propres ambitions, elle tâchait néanmoins de se convaincre qu’au moins, elle avait été honnête, tout en prouvant sa bonne volonté envers l’Empire. Manquerait plus qu’elle soit grillée sur place par le Maître des Forges en personne pour s’être révélée être une traitre. Ah ça non, elle ne finirait pas de manière aussi stupide !

La jeune Lorrdienne avait rangé ses mains sous ses cuisses. La chaleur de Korriban était un peu moins sèche ici, à l’intérieur des quartiers des invités, en raison d’un système d’aération performant. Néanmoins, le climat auquel elle s’était habitué asséchait sa langue et lui faisait ressentir un besoin de se replier sur elle-même, en même temps que l’intimidation que provoquait la présence du Maître des Forges. Elle résistait tant bien que mal à ce désir de repli grâce aux propos du masque mystérieux, littéralement hypnotisant.

Elle fit non de la tête, un meilleur système entre deux ne pouvait bien sûr être le meilleur universellement. Elle comptait plutôt partir sur les meilleures bases, quitte à améliorer ce « moins pire » des systèmes pour le rendre plus intéressant. Mais ce n’étaient que les réflexions d’une poussière dans un océan de dunes, elle le savait bien : qui était-elle pour établir le destin d’un Empire et d’une République ?
Son orgueil, pourtant, fut rudement flatté par les propos du Maîtres des Forges. Il s’excusait de pointer une faille dans son raisonnement, alors qu’il l’avait reconnue en tant qu’ « esprit intelligent » ! Tess jubilait intérieurement, mais se calma rapidement car il lui fallait de nouveau se concentrer sur les paroles hautement porteuses de sens du seigneur.

Ce qu’il lui disait lui paraissait sensé, mais insaisissable à la fois : c’étaient, sur le plan logique, des évidences ; mais dans la réalité, comment pouvait-on savoir ce qui relevait du mouvement vers l’avant de ce qui n’était qu’un retour vers le passé ? Quant à la nature du côté obscur, elle n’était pas sûre de savoir en parler. Cette « chose » que les Sith désignaient souvent n’avait pour elle aucune signification tangible. Tout au plus, elle se le représentait comme une idéologie sur la façon d’utiliser la Force. Une idéologie parmi tant d’autres, au demeurant, qui avait probablement ses failles sur le plan pratique, mais qui correspondait plus aux objectifs des Sith que celle des Jedi. Se pouvait-il qu’il en existât d’autre ? Ou bien les deux pôles lumineux et obscur étaient les deux seuls possibles ? N’y avait-il pas de troisième dimension que personne ne savait encore identifier et atteindre ?

Tess se mordit la lèvre, le temps de choisir ses mots. La conversation était de plus en plus difficile pour elle, mais elle s’accrochait. De plus, elle essayait d’élever sensiblement son niveau de langage : les mots qu’elle utilisait pour insulter ses compagnons de dortoir n’étaient plus suffisants pour décrire les concepts qu’ils discutaient ici, et il fallait qu’elle puise dans sa mémoire des ouvrages qu’elle avait lu pour manipuler des termes auxquels elle n’était pas habituée.

- Personne ne voudrait tomber dans cet écueil,
dit-elle finalement. Pas consciemment, non ? Mais les gens ne savent pas quand ils tombent dedans. Moi-même, je ne suis pas sûre, quand je fais mes choix, de ne pas juste répéter bêtement un précepte que l’Académie m’a inculquée ou que j’ai appris par l’expérience. Du coup, pour savoir si on tombe dans cet écueil… Alors il nous faudrait une sorte de référence, quelque chose à quoi comparer nos actes, pour voir si on régresse ou si on évolue ?

Elle réfléchit à sa propre question ouverte. Ce référentiel pourrait être le passé, mais on ne connaîtrait jamais assez bien l’histoire pour savoir précisément si un Empire était en train de commettre la même erreur que l’un de ses prédécesseurs. Mais si on en connaissait assez, cela pourrait aider. Quoi d’autre ? Se comparer à d’autres systèmes existants ? Peut-être bien… Cela signifierait, du coup, qu’il n’y avait pas que du mal dans le système républicain. C’était un peu ce que disait le Maître des Forges plus tôt, mais ce n’était pas le genre de choses que l’on pouvait formuler aisément parmi les Sith.

Il y avait autre chose qui la tracassait.

- Mais tout ceci se fait en étant très logique, n’est-ce pas ? Ici, on nous apprend à décider avec nos émotions pour mieux rester connectés à la Force… C’est un peu… paradoxal.

Voilà bien le genre de mots qu’elle ne prononçait pas pendant ses conversations avec d’autres apprentis. Prise d’un léger frisson, elle se pencha imperceptiblement vers son aîné, comme prête à lui révéler un secret. Ses yeux cillaient parfois, mais elle les gardait dardés sur le masque fascinant.

- Parfois, murmura-t-elle sur le ton de la confidence, j’ai l’impression que les apprentis sont formés ici pour devenir des traditionalistes à tout prix. Si on suit votre raisonnement logique… Alors on enferme un peu notre système pour l’empêcher d’évoluer, non ?

Tess fit la grimace. Il était rare qu’on lui permît de formuler des hypothèses négatives quant à l’éducation qu’elle recevait. Mais une forme d’intuition lui faisait croire qu’avec le Maître des Forges, elle pouvait… Si tout du moins ce n’était que pour deviser philosophiquement. Elle avait pris néanmoins de ne pas parler trop fort – ici plus que partout ailleurs, les murs avaient des oreilles. A moins que l’on ne respectât l’intimité d’un personnage si haut placé ? Il y avait des chances que cela au moins la protégeât.

- Enfin,
ajouta-t-elle pour compenser, il faut reconnaître que ça marche pas mal. Il y a tout un tas de… novices prêts à risquer leur vie pour défendre ces traditions.

Inutile de préciser que pour sa part, elle se considèrerait surtout inutile quand elle serait morte. Certains des apprentis étaient d’un égocentrisme effrayant, tandis que d’autres se vouaient corps et âme à la vénération de la tradition Sith. Tess n’avait jamais trouvé sa place ni parmi les uns, ni parmi les autres. Elle se pensait pourtant à sa place dans cette institution. Mais l’Académie elle-même était-elle en train de changer dans une direction inattendue ? Des bruits de couloir disait que quelqu’un allait être envoyé par l’Impératrice, ici sur Korriban, pour remettre un peu d’ordre dans les formations des jeunes apprentis. Mais qui ? Et est-ce que le résultat serait pire qu’il ne l’était aujourd’hui ? Oh, bien sûr, l’Académie n’avait pas été conçue pour plaire à ses occupants. Seule importait la culture d’êtres versés dans le côté obscur, l’armée presque personnelle d’Ynnitach et ses seigneurs…
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