La solitude et ses habitudes tortueuses avaient repris leurs droits en quelques heures à peine. Lloyd s’évertuait en marmonnant à déboulonner la batterie encrassée de leur hyperdrive de secours. Mais même démonter et remonter ses engins ne suffisait à éloigner la lancinante angoisse qui le guettait derrière son épaule, tapie dans la pénombre du fond de cale du Soleil Vert.

Jake avait amenée Mat’ au Temple Jedi, où le Hapan savait qu’elle reçue et soignée avec attention. Il ne l’avait pas accompagnée malgré les frissons que son état provoquait chez lui – il aurait risqué de compromettre le bon vouloir des Jedi pour la sauver. Alors il était resté tapi dans l’appareil, à espérer qu’un Jedi n’aurait pas la bonne idée d’en grimper la passerelle par curiosité. Avec précaution, il calmait ses émotions dans la Force pour empêcher d’attirer ces chevaliers de malheur. C’était un des rares exercices qu’il appliquait encore régulièrement, et cela au moins n’était pas trop difficile. Pour une fois qu’il était un peu seul, néanmoins, il aurait aimé pouvoir s’entraîner au sabre laser, pour ne pas perdre la main… Mais pas ici, non, pas sur Ondéron. Il fallait qu’il ne se fasse pas remarquer, qu’il attende sagement le retour de sa capitaine. Mais combien de temps prendrait-elle ? Se souviendrait-elle de ses dernières paroles, lorsqu’ils n’étaient plus que tous les deux dans la cabine ? Sûrement pas. Lloyd l’espérait.

Quant à Jake, une fois sa petite mission accomplie, il s’était évaporé. Nul doute que c’était pour retrouver la femme qu’il avait évoquée pendant le voyage. Lloyd l’imaginait roucouler dans une cantina avec une danseuse Twi’lek avenante. Cette vision le faisait tantôt sourire, tantôt soupirer de peine. Il était bien content pour le mercenaire, pourtant, mais il se sentait d’autant plus seul que l’on avait éloigné Mat’ de lui tandis que son camarade filait le parfait amour avec une créature de rêves.

Il y eut une brusque vibration dans la Force, et Lloyd sentit un vertige le prendre. Il lâcha ses outils sans prendre garde au bruit de ferraille qui résonna désagréablement. A tout instant, se dit-il, un Jedi allait débarquer et le faire payer pour ses crimes…

… mais rien ne se produisit. Un vrombissement régulier provenait toujours de la ventilation du Soleil et au loin, il perçut des moteurs à propulsion crachoter dans le départ en trombe d’une navette vers l’espace. Mais pas de passerelle défoncée, pas de sabre laser allumé. Aucun Jedi ne viendrait donc se venger ?

Ce fut un bip sur son datapad qui brisa finalement la stupeur immobile du Hapan. Il se précipita sur l’objet, persuadé d’avoir des nouvelles de Jake… voir même de Mat', si la chance lui souriait.

Nul doute que ta présence ici n’est un hasard. Une requête m’a été demandée… Un homme veut s’entretenir avec toi, dans la prison d’Iziz.

Je sais que ton cœur cherche toujours la rédemption. De mon côté, tu as ma parole qu’il ne s’agit pas d’un piège. Tu partiras comme tu es venu.

Maître D.

Lloyd relut le message plusieurs fois. Les mots prenaient sens peu à peu. Son estomac était noué et sa poitrine oppressée mais il refusait de céder à la panique. Les doigts tremblants, le Hapan éteignit l’appareil pour ne plus voir l’étrange message. Il ferma les yeux pour tenter remettre de l’ordre dans ses idées.

Il savait bien que ce n’était pas une bonne idée d’être ici. Mais il était là pour Mat’. Les Jedi avaient eu d’autres moyens de connaître sa présence ici… Mais il avait étrangement confiance en l’auteur du message. S’il avait fallu qu’il soit tué ou arrêté, de toute manière, le vieillard l’aurait fait depuis bien longtemps. Quand bien même, il se retrouvait forcé à continuer à rembourser sa dette… Sans savoir où ces directives le mèneraient. S’il évitait la mort, il y aurait la souffrance, mais le Hapan savait que toute cette peine servirait à rembourser le mal fait quelques années auparavant. Et dire qu’il avait toujours pensé que les remords s’effaceraient avec le temps… Il s’était trompé.

~

-------La prison d’Iziz était morne, éclairée par des néons agressifs. Lloyd s’était changé avant de partir mais déjà, il sentait son tshirt lui coller à la peau sous l’effet d’une transpiration mal venue. Il sentait son visage chauffer mais était trop concentré à garder une contenance pas trop suspecte… Et encore à maquiller sa présence dans la Force.

Il n’y avait pas de Jedi, pourtant. Une chance ? Ou bien ceci était prémédité ? Ou alors, ils se cachaient ?

Lloyd avait eu la gorge sèche au moment où on lui avait demandé son nom et l’objet de sa visite. Il déglutit en cherchant ses mots.

- Je… Ce sont les Jedi m’ont demandé de venir. En visite à un prisonnier, je crois. Une… Une requête du Conseil. Je m’appelle Lloyd.

La dame leva un sourcil en se rendant compte qu’il n’avait donné que son prénom. Mais au lieu de l’interroger, elle se retourna vers un militaire qui donnait des ordres à voix basse, dans un comlink. Il leva vers l’opératrice un regard las.

- Un jeune homme envoyé par les Jedi pour voir un prisonnier ? interrogea-t-elle sans cérémonie.
- Ah ? Ah oui, c’est vrai. Cellule 542. Haute sécurité, faites-le accompagner.

Le Hapan eut du mal à croire qu’il avait réussi à ne pas donner son nom de famille.

- Ce droïde là-bas vous accompagnera, indiqua l’opératrice qui s’était déjà replongée sur l’écran de son ordinateur, comme si elle l’avait déjà oubliée.

Lloyd se serait attendu à plus de recommandations pour entrer dans un quartier de haute sécurité, mais il n’y en eut pas. Comme il le découvrit quelques minutes plus tard, cela n’en valait pas la peine : le prisonnier et lui serait séparé d’une vitre de plastiverre électrifiée. Un vrombissement discret et une couleur bleuté semblait menacer toute tentative de passer de l’une ou de l’autre côté de la cloison. Par ailleurs, le sas derrière lui s’était refermé avec une lourde porte blindée. Lloyd se sentit brusquement à l’étroit, comme pris au piège. Son esprit se raccrochait maladroitement à la parole du vieux Maître et à la nonchalance de l’accueil qui lui avait été réservé : si du mal avait dû lui être fait, ce ne serait pas par ce moyen. Et s’il devait être arrêté… Non, les Jedi seraient glorieusement venus le cueillir eux-mêmes, il leur faisait confiance pour cela.

Le Hapan s’approcha sans bruit de la vitre pour mieux voir à l’intérieur, mais la personne qu’il était venue voir était restée tapie dans l’ombre. Lloyd s’approcha encore un peu, prudent…

Sa respiration se coupa et il dut battre en retraite quand il réalisa : c’était lui. Ou eux. Ces yeux, cette présence. Celle qui l’éveillait de ses cauchemars, qu’il sentait derrière lui quand il se détendait… Un frisson lui parcourut l’échine et il laissa échapper un hoquet de surprise quand son dos heurta la paroi de métal derrière lui : il ne s’était même pas rendu compte qu’il avait autant reculé.

Lloyd se tenait immobile contre la porte de métal qui le maintenait prisonnier de cette cellule de communication haute sécurité. Ses yeux étaient écarquillés de stupeur et il sentait battre à ses tempes son cœur emballé. Une goutte de sueur perlait déjà sur son front fiévreux.

Voilà, c’était finalement arrivé. Comme une épée de Damoclès, Lloyd avait toujours su qu’un jour, son passé le rattraperait. Que cela pouvait-il augurer d’autre ? S’associer aux Sith avait été l’une des plus grandes erreurs de sa vie. Faire un pacte avec les Jedi et se faire remarquer à l’Académie de Korriban en avaient été d’autres. Le Hapan savait que ces actes-là n’étaient pas effaçables. Il avait pu peu à peu les reléguer dans un coin de sa tête, les ignorer en pensant se faire oublier, égaré dans la masse des ouvriers de Coruscant. Pourtant, un jour quelqu’un allait mettre la main sur lui et lui rappeler ses actes cruels et sa trahison.

Lloyd avait immédiatement reconnu cette aura obscure. Ou, du moins, il put identifier, enfin, ce qui l’avait taraudé pendant tant de mois. Il n’avait jamais vraiment songé à la possibilité que quelqu’un pût s’immiscer quelque part dans sa conscience. Pendant tout ce temps, il avait tout simplement pensé que ses propres remords le hantaient. Mais les démons étaient donc bien réels, et l’un d’entre eux était un Twi’lek à la peau flamboyante et au corps étrange, entre musculature et prostration.

La voix de la créature avait glacé le sang de Lloyd, ajoutant à sa terreur silencieuse. Comment cet être-là connaissait-il son nom ? Les Jedi, probablement. Pourquoi le Twi’lek essayait-il d’ailleurs de l’apaiser ? C’était inutile et le ton de sa voix semblait être bien trop dénué de menace pour n’être pas un piège béant. Le Hapan ne faisait plus confiance aux gens dotés d’une connexion avec la Force depuis tellement de temps… Mat’ était une exception, bien sûr, mais elle était comme lui : une chose dans la Force qui s’ignorait et qui se débattait au milieu d’elle comme une proie. Elle lui ressemblait, c’était différent. Ces êtres qui avaient en revanche poussé la maîtrise de la Force à l’extrême détenaient un pouvoir que Lloyd n’envisageait pas autrement que comme une emprise de corruption extrême. Aucun cœur ne pouvait rester vierge à l’ouverture totale de la Force, et cela même les Jedi bien intentionnés ne semblaient pas s’en rendre compte. Hors de question donc d’accorder la moindre confiance à cet étranger. Lloyd avait peur et il songeait en avoir parfaitement le droit et le devoir.

A la lueur du champ de Force, le Twi’lek fut plus visible. Il avait une expression étrange, que le Hapan ne parvenait pas à déchiffrer, sur le visage. Quelques cicatrices couraient çà et là sur la peau rougeoyante. Un guerrier ? Le mystère en tout cas fut renforcé encore par le sous-entendu : ils se connaissaient ?

- Je… Qui êtes-vous ? finit par éructer Lloyd, partagé entre la panique et la colère de na pas comprendre.

Il se souviendrait parfaitement avoir rencontré un tel personnage, tout de même. L’Académie Sith – ou pouvait-on rencontrer ce genre de personne à part dans cette infâme institution ? – regorgeaient de Sith tous plus remarquables les uns que les autres. Lloyd était transparent à leurs yeux, à l’époque, mais lui n’avait pas perdu une miette de ce qui l’entourait. Il était impossible qu’ils se soient vus et qu’il ait ensuite oublié. A moins que… A moins qu’il n’ait été manipulé ?

- Je ne vous connais pas, affirma-t-il à voix haute, comme pour se convaincre lui-même. Je ne sais même pas pourquoi je suis ici !

Connards de Jedi. Soi-disant bienveillants, ils le poussaient entre les griffes du camp adverse. Bien sûr il n’était pas récupérable dans leur camp au vu de ses antécédents, mais tout de même… N’était-ce pas là une incitation à sombrer de nouveau vers le côté obscur de la Force ? Etait-ce une vengeance du vieux Don à cause de ce qui était arrivé à son padawan ? Il l’aurait pourtant cru au-dessus de cela, et surtout il avait payé le prix de ses fautes.

Peu à peu, différents films se tissaient dans sa tête. Si les Sith avaient de nouveau la main sur lui, que dirait-il à Mat’ ? Non, il ne faudrait pas qu’il la mette en danger. Il devrait s’enfuir… Et la laisser sur Ondéron entre les mains des Jedi ? Ils ne valaient pas mieux que les Sith, il venait d’en avoir la preuve. Non, il ne pouvait pas la laisser derrière lui… Lui fausser compagnie plus tard ? Ce serait une nouvelle trahison… Elle le détesterait. A tout jamais. Oui, mais cela la sauverait peut-être !

Lloyd serra les dents et ses yeux bleus affrontèrent le regard mystérieux du Twi’lek. Il n’était plus l’adolescent qu’il avait été. Il était un homme désormais, il ferait face. Même si cela signifiait avouer à Mat’ ses actes passés et impardonnables…

- Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on en finisse au plus vite, je n’ai pas l’intention de camper ici.

Il afficha l’air le plus dur et le plus froid dont il était capable, mais ses doigts dans ses poings serrés tremblaient toujours sous le coup de l’émotion.

Le sourire du Sith était probablement le plus dérangeant. Enfermé, à portée de main des Jedi… Comment ce dernier pouvait-il afficher un sourire si sincère ? Ce devait être de la manipulation. De la pure manipulation, se répétait le Hapan pour ne pas qu’un nouveau frisson s’empare de son corps terrifié.

Darth Laduim. Quel drôle de nom. Seigneur Sith, oui, il s’y était attendu. Il avait d’abord minimisé cette possibilité – pourquoi un personnage si expérimenté s’intéresserait-il donc à lui et à ses crimes ? – avant de réaliser que la puissance dans la Force de ce Twi’lek, et surtout cette présence qu’il avait maintenue auprès de lui durant des mois à distance, ne pouvaient conduire à une autre conclusion. Mais le nom de Darth Laduim, bien que désormais ancré indélébilement dans sa mémoire, était parfaitement étranger.

Lloyd gardait les lèvres serrées pour que ne s’en échappe ni sa surprise, ni sa peur. De toute façon, le Sith ne lui en laissait guère le choix. « Apprendre à se connaître… » Le jeune Hapan souhaita immédiatement que jamais le Conseil Jedi ne laissât sortir le Twi’lek de ces murs. S’il y était, c’était probablement pour une bonne raison, hé bien qu’il y restât !

L’instant suivant, cependant, rappela à sa mémoire un nom qui cette fois, ne lui était pas du tout étranger.

Dark Soul… Des souvenirs d’Hapès et de Korriban affluèrent dans l’esprit de Lloyd. Dark Soul était celui qui l’avait manipulé pour abandonner sa pauvre mère et pour suivre le Code Sith. Torture, souffrance, trahison… Dark Soul n’avait eu ce qu’il méritait et rien que de repenser à cette période de sa vie, le Hapan sentait les traits de son visage se déformer par la colère… Ainsi, Laduim était celui qui l’en avait débarrassé ! Il ne savait exactement lequel des deux il détestait le plus en cet instant.

- Vous… Vous ? Vous l’avez tué ? demanda-t-il avec un regard confus. Pourquoi ?

Oh, il n’avait absolument pas de pitié pour le sort de son ancien Maître. La vie lui avait rendu la monnaie de sa pièce, à celui-là. Mais pourquoi… Y avait-il une dette que Dark Soul n’avait pas payée et que Darth Laduim voulait voir rendre par son apprenti ? Lloyd avait l’impression de ne plus rien comprendre.

- Et comment ça… Que je ne lui étais plus d’aucune utilité ? demanda-t-il dans la foulée, incrédule.

Oh, il n’avait pas été un apprenti extrêmement brillant. Ni au combat, ni dans l’utilisation de la Force. Le pouvoir d’absorber l’essence vitale d’un ennemi était de loin la seule chose que son Maître ait réellement réussi à lui inculquer. Mais il n’était pas mauvais non plus ; il avait bien trop peur de son maître, à l’époque pour lui désobéir. Il était donc utile ! … Non ? Qu’est-ce que tout cela signifiait et surtout, comment ce Twi’lek pouvait-il être si bien informé ?

Plus le Seigneur Sith se dévoilait, plus Lloyd se sentait mal à l’aise. Alors comme ça, il avait vécu cru s’en être sorti parce qu’il vivait caché, mais quelqu’un avait veillé sur lui ? Pendant TOUT ce temps ? Le Hapan fut pris d’un vertige en repensant à ses brefs instants de bonheur sur le Soleil Vert, où il avait cru s’être débarrassé de son ancienne vie grâce à sa seule volonté et son seul courage. La seule chose qu’il avait réussie n’était-elle donc qu’un mensonge ?
Mais bien sûr, maintenant qu’il y réfléchissait… Comment trahir un Seigneur Noir des Sith et s’en sortir indemne, juste en quittant Korriban ? Il avait cru jouer d’une chance incroyable mais en réalité, il avait été protégé…

Lloyd contempla longtemps le Twi’lek, confus et horrifié à la fois.

- Comment… Mais pourquoi ! s’exclama-t-il, impuissant. Ce que je veux ? Je n’en sais rien ! Je n’avais rien demandé à personne !

Sa voix s’éteignit néanmoins rapidement, se souvenant que Darth Laduim n’avait pas aimé son précédent accès de colère. Vieux réflexe d’apprenti de Korriban : on n’énervait pas un Seigneur Sith à dessein.

Le Hapan se mit à faire les cent pas dans le minuscule espace qui lui était attribué, tâchant de rassembler ce qui lui restait de calme et de raison. Autant dire pas grand-chose.
D’abord, il devait reconnaître une chose : le discours de Darth Laduim était vraisemblable, même s’il était effrayant. Ensuite, les actions du Seigneur Sith le rendait redevable… Et ça, il devait probablement le savoir. Et du coup attendre quelque chose de lui. Chose qu’il dissimulait visiblement puisqu’il prétextait vouloir simplement « apparaître aux yeux de Lloyd ». Même si cela avait été vrai, ce n’était sûrement qu’une prémisse d’un plan plus vaste. Et le Hapan, en l’occurrence, n’avait pas du tout envie de savoir ce que le Twi’lek attendait de lui. Sauf qu’il n’aurait certainement pas le loisir de refuser : si Darth Laduim était capable de le protéger des âmes vengeresses attachées à un Seigneur Noir des Sith, probablement pouvait-il faire de lui ce qu’il voulait. Autant aller dans le sens du poil de la bête, au moins pour le moment.

Inspirant profondément, le Hapan cessa enfin de marcher.

- Je ne comprends pas pourquoi vous avez tant fait pour moi, dans ce cas, exprima-t-il sincèrement, mais il restait dans sa voix une pointe de nervosité mal maîtrisée. Je ne suis plus un Sith. J’ai quitté cette vie, je me suis fait oublier. Avec votre aide, peut-être. Et si c’est le cas, je vous en suis redevable. Je vous aiderai si je le peux, mais tout ce que je veux, c’est reprendre le cours d’une vie tranquille de mécano.

Il n’avait pas mentionné le Soleil Vert, ni Mat’, de peur de les mêler à cette histoire. Il y avait pourtant de fortes chances que Darth Laduim les connût déjà, au moins de nom. Pourvu que le Sith ne lui demandât pas de l’aide pour s’échapper de cette prison : Mat’ était au Temple, c’était une mauvaise idée de se les mettre à dos maintenant… Et s’il était obligé de quitter la planète prématurément ? Qu’une fois guérie, Mat’ rentrât au vaisseau pour n’y trouver personne ? Elle se croirait trahie…

Bref, il était juste dans une merde pas possible.

Comment était-il possible qu’un Seigneur Sith ait une telle bonté ? Avoir tué son maître parce qu’il allait tuer un innocent ! Lloyd avait peine à le croire, mais il ne décelait en son interlocuteur aucun signe de mensonge. Parvenait-il à manipuler le Hapan, ou bien ce Sith-là était-il tout simplement différent des autres ? Déstabilisé, le mécano écoutait en silence l’impressionnant Twi’lek de l’autre côté du champ d’énergie. La lueur rendait son teint plus fantomatique qu’il ne l’était déjà, et allumait dans son regard une étincelle étrange qui donnait des frissons au Hapan.

Cultiver la patience ? Lloyd serra les dents. N’avait-il pas été assez patient pendant toutes ces années à se terrer dans les bas-fonds de Coruscant ? Et maintenant, cet énergumène débarquait dans sa vie pour lui expliquer que sa survie n’était pas du tout dus à ses talents de discrétion mais à la main invisible d’un ange – ou plutôt, d’un diable – gardien… Et on lui demandait de bien vouloir être patient !
Tout semblait se mélanger et se confronter dans l’esprit du jeune Hapan. Une part de lui était tentée de remercier cet être – absurde ! hurlait l’autre part de lui, toujours convaincue de la dangerosité des Jedi, comme des Sith. Il réalisait toutefois que ses pressentiments envers Ondéron étaient justifiés depuis le début : cette planète l’attendant pour quelque chose, et maintenant qu’il était là, de nouvelles portes s’ouvraient à lui, en même temps que d’autres se fermaient. Et déjà, une vie tranquille auprès de Mat’ devenait moins accessible. Il n’aurait donc jamais la paix, et la Force le poursuivrait jusqu’à la fin de ses maudits jours. Mais d’un autre côté, que ce Seigneur si particulier soit en mesure de lui apporter de nouveaux éléments de formation par pure bonté était tentant…

Lloyd sursauta. La voix s’était immiscée dans sa tête et pendant un bref instant, il panique. Il ne savait pas très bien pourquoi, puis il retrouva son calme presque tout aussi instantanément. Le Twi’lek avait sa façon d’être serein, d’être apaisant. Le Hapan crut qu’il serait incapable de lui répondre par la même voix, mais ses souvenirs de pratique de la Force lui revinrent à la manière des jambes qui se meuvent sur les pédales d’un vélo après pourtant des années loin d’une bicyclette.

*Comment savez-vous qu’ils m’ont oublié ? Et pourquoi viendrais-je à vous ?*

Il était presque plus facile de communiquer posément avec le Twi’lek par le biais de leurs esprits. Lloyd était rongé par la curiosité mais, d’un autre côté, une part de lui connaissait déjà certaines réponses, et les redoutait à la fois : Darth Laduim était puissant, et s’il se mettait sur le chemin entre lui et les Sith, ces derniers renonceraient. Un déserteur ne valait pas ce prix. D’autre part, si le Hapan se trouvait un jour dans une situation désespérée, il saurait vers qui se tourner… Même si cela ressemblerait à un pacte avec le diable. Mais si Mat’ était en danger, n’en serait-il pas capable ? Certainement. Depuis quelques mois déjà, il songeait à s’entraîner de nouveau avec son sabre. Etre plus fort, pour pouvoir protéger Mat’. Malgré elle peut-être, car peut-être le repousserait-elle lorsqu’elle découvrirait qui il est véritablement.

Il y eut quelques minutes de silence, pendant lesquelles Lloyd et Darth Laduim se regardèrent intensément. Comment les Jedi avaient-ils pu l’envoyer vers ce Sith ? se demandait le jeune homme avec appréhension. Ce n’était certainement pas pour qu’il reprenne sa formation avec un Seigneur Sith ! Alors pourquoi ? Quels comptes allaient-ils lui demander lorsqu’il sortirait de cette cellule ? Des informations sur Korriban, sur leurs projets ?

- Vous n’êtes donc pas affilié à l’Académie, n’est-ce pas ? demanda Lloyd en quête de confirmation.

Sa voix résonna étrangement, comme un contraste hésitant avec leur conversation par la pensée, qu’il reprit aussitôt.

*Et comment saurais-je vous contacter ?*

Lloyd ne savait pas très bien pourquoi il posait la question. Tout aurait été plus simple s’il s’était enfui et n’avait jamais posé la question. Mais en réalité, il avait senti la présence de Darth Laduim dans la Force depuis des mois, comme une surveillance angoissante par la Force, comme un regard que vous sauriez braqué sur votre nuque. Et il voulait savoir s’il allait devoir vivre avec ça encore, s’ils allaient rester connectés par la Force. S’y habituerait-il jamais ?

*Ce sont les Jedi qui m’ont envoyé, rappela Lloyd. Eux aussi me surveillent. Eux aussi ont offert de m’aider… par le passé.*

En réalité, Lloyd n’était pas plus enclin à suivre les uns que les autres. Il les considérait tous comme de dangereux fanatiques, dans une galaxie qui se porterait bien mieux sans eux. Et il ne souhaitait pas se retrouver coincé entre les uns et les autres. Quand il avait enfin réussi à se faire oublier des Sith, il avait fallu qu’il se pointe sur Ondéron, comme un imbécile, pour que les Jedi se souviennent de lui.

Brusquement, Lloyd perçut qu’il était peut-être un danger pour Darth Laduim vis-à-vis de cette situation.

*Je ne leur dirai rien, précisa-t-il sans ménagement. Je vous suis redevable, et je ne veux rien avoir à faire avec eux.*

Il préférait que les choses soient claires entre eux mais… Une chose encore l’intriguait.

*Pourquoi ne vous êtes-vous pas enfui ? Je suis sûr que vous en auriez les moyens…*

Il regretta aussitôt sa question : et si Darth Laduim lui demandait de l’aider à s’enfuir ?

Ainsi, le Twi’lek n’avait pas été formé sur Korriban comme la plupart des siens. Fébrilement, Lloyd emmagasinait les maigres informations qu’il obtenait du Seigneur Sith, conscient pourtant que cela ne menait à rien. Certainement la créature ne lui laissait-elle savoir que ce qu’elle désirait. Qui par ailleurs pouvait affirmer qu’elle ne mentait pas ? Mais Lloyd reconnaissait des accents de sincérité dans la voix du Twi’lek, et il en était tout bonnement dérouté. Le Sith ne portait pas la haine qu’il avait connu chez bien des autres à l’Académie de Korriban. C’était à cause de cela qu’il s’était senti si différent d’eux… Mais alors il n’avait visiblement pas été le seul. Cela prouvait-il qu’il était toujours un Sith ? Non, bien sûr que non, tenta-t-il désespérément de se raisonner. Il n’utilisait plus la Force qu’avec parcimonie et avait renoncé depuis longtemps à ses émotions trop fortes.

Mais Darth Laduim avait raison au sujet des Jedi : ils l’avaient jeté ici sans explication… Une petite voix leur rappela toutefois qu’il avait une dette envers eux. Lloyd chassa cette pensée conflictuelle, et écouta de nouveau attentivement le Twi’lek. Il était si sûr de lui que Lloyd ne savait plus très bien s’il acquiesçait à ses propos en toute conscience, ou bien s’il était manipulé pour le faire. Il ne ressentait pourtant aucune pression par la Force. Quand le Sith parla de la loyauté que Lloyd montrait d’ores et déjà, néanmoins, le Hapan nota désagréablement que cela sous-entendait qu’il le serait longtemps encore. Comme s’ils allaient devoir passer des marchés…

Le jeune homme eut une pensée pour Mat’, et tâcha de rester imperméable aux suggestions de Darth Laduim. Il ne voulait pas l’entraîner du côté des Sith. Maintenant qu’il était si proche d’elle, que lui importait que les Jedi ou les Sith règnent sur la galaxie ? Tant qu’on le laissât vivre auprès d’elle en paix… N’aurait-il donc jamais terminé de rembourser sa dette auprès des uns et des autres ?

Lloyd inspira puis expira longuement, cherchant à maîtriser ce qui se produisait en lui. Pourquoi tant de doutes après avoir si longtemps quitté les Sith ?

- Je vais y aller, fit-il à haute voix, presque pour se convaincre lui-même de détacher la connexion établie entre deux via la Force. Je ne peux pas rester dans le coin.

Il allait être bloqué ici encore quelques heures, pourtant, car il faudrait attendre que Mat’ puisse sortir du Temple. Les Jedi lui demanderaient-ils autre chose, ou bien avaient-ils eu ce qu’ils voulaient ? En tout cas, il était déjà décidé à ne rien raconter de tout cela à Mat’, et à quitter au plus vite cette planète maudite. Jake retrouverait bien le chemin du Soleil Vert dès qu’il ne serait plus si occupé sur Ondéron avec sa mystérieuse maîtresse.

Lloyd donna trois coups sur la paroi métallique derrière lui pour appeler le garde.

- Alors… fit-il en essayant de conclure, mais il ne termina pas sa phrase oralement.

*Je vais quitter cette planète au plus vite. Je… A bientôt, j’imagine.*

Il entendit le cliquetis d’une serrure que l’on déverrouillait, puis un « bip » d’une carte magnétique d’accès. La paroi métallique coulissa lentement. Lloyd contempla le Twi’lek comme pour marquer dans sa mémoire le visage et la présence dans la Force de cet étrange personnage. Finalement, il ne savait pas s’il devait plutôt craindre Darth Laduim ou le considérer comme un allié, mais son estime de lui-même en avait pris un coup en apprenant qu’il ne s’était pas débarrassé tout seul des Sith comme il l’avait cru.

Que se passerait-il quand Darth Laduim reprendrait contact avec lui ? Lui demanderait-il de s’associer à lui, aurait-il des missions à lui confier ? Lloyd réprima un frisson en quittant la pièce. Le Twi’lek pourrait sûrement à mieux manipuler la Force pour mieux protéger Mat’… Mais était-il prêt à refaire tous les sacrifices que l’Académie Sith demandait ? Car Darth Laduim demanderait bien quelque chose en retour, comment l’ignorer ? Rien n’était gratuit en ce bas monde, aimait parfois rappeler Mat’. Il se demandait si le prix à payer était dans ses moyens, toutefois…

Une seule chose était certaine. Il ne savait pourquoi, il était convaincu qu’il ne pouvait échapper au Seigneur Sith. Il n’en avait pas les moyens, ni la force. Après tant de temps passé à fuir, ne pas avoir réussi à effacer ses traces… C’était bien la preuve qu’il serait toujours retrouvé. Mieux valait que ce soit par quelqu’un qui, comme Darth Laduim, ne souhaite pas uniquement le tuer…