Le jeune Hapan avait brusquement retiré ses pieds croisés sur le tableau de bord du Soleil Vert pour se redresser dans son siège avec affolement. Etait-il fou ou venait-il de voir un croiseur Républicain sombrer droit sur Artorias ?
Fébrilement, Lloyd alluma son datapad pour obtenir les informations en ligne des évènements qui se déroulaient dans le secteur, mais aucune donnée ne parvenait jusqu’à lui. Il aurait pourtant juré être à portée des grandes ondes. Peut-être la flotte Républicaine avait-elle brouillé les communications longues distances ? Bizarre, comment faisait-elle alors pour recevoir ou envoyer des ordres à Coruscant ? A moins que…

- Ouh la la, ça sent pas bon ça…

Lloyd sangla la ceinture de pilote autour de lui, de manière un peu précipitée, avant de rallumer une à une les commandes de pilotage. L’appareil sortit ainsi doucement de l’apparente léthargie qui l’avait prise depuis plusieurs heures, à la dérive à une poignée de parsecs d’Artorias et de la bataille spatiale.
Plus il contemplait les éclaboussures de lumière, plus il se rendait compte qu’être au milieu de ce bordel devait être infernal. Pourquoi diable Jake et Mat’ avaient-ils insisté pour s’en mêler ? Ok, c’était bien payé, mais les cadavres ça claquait pas de l’argent, à ce qu’il sache ! Et en plus, leur République bancale était fichue de perdre, évidemment. On voyait bien comment leur flotte était divisée, comment les Sith les avaient cernés. Ils étaient faits comme des rats.

- Merde, merde, merde, maugréa Lloyd en secouant la tête pour se concentrer sur son approche, ses cheveux blonds en bataille ayant encore un peu gardé la forme peu élégante de sa position avachie dans le fauteuil de pilotage. Comment j’vais faire pour les retrouver, moi !

Si les communications longue distance étaient brouillées, toutefois, il y avait une chance que les canaux de fréquence hertzienne soient exploitables. Ne serait-ce que parce que les Sith comme la République devaient avoir besoin de coordonner leurs troupes à distance. D’ailleurs, n’allait-on pas l’attaquer, s’il se rapprochait ? Les Sith couvraient presque tout Artorias –sauf là où il n’y avait que des étendues d’eau immenses.
Sans hésiter, le Hapan plongea vers la planète dans cette direction. Il serait plus sûr, pensait-il, de voyager directement dans l’atmosphère d’Artorias. Est-ce que la République allait tirer à vue parce qu’ils ne reconnaissaient pas ses identifiants ? Peut-être. Les Sith en tout cas ne se gêneraient pas. Il allait falloir filer bien vite. Et repartir aussi vite, s’il ne voulait pas les condamner tous les trois.

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La bouche ouverte, Lloyd regardait avec une consternation ahurie les colonnes de fumée défiler sous le vaisseau. Le trajet n’avait pas été très loin pour rejoindre le cœur du théâtre de la guerre à terre –en fait, cela n’avait pas été difficile de la trouver vu l’ampleur du désastre. Il lui semblait que des champs entiers étaient embrasés –à moins que ce ne fut des restes de villes ou de campements ? Même la capitale –enfin, ce qu’il soupçonnait en être des restes- n’était plus qu’un sombre théâtre où courraient encore des colonnes de soldats –de quel camp ? il était trop loin pour le savoir et ne se rapprocherait pas pour ne pas être trop facile à viser.
Le Hapan avait d’ailleurs dû éviter quelques tirs de turbolasers –mais rien de trop convaincant. Les uns et les autres devaient le prendre pour un objet non-identifié, ce qui perturberait un peu de temps encore leur décision. Il n’était pas resté dans le coin, et effectuait des trajectoires légèrement aléatoires au-dessus de la ville principale de ce monde. Il se servait parfois des écrans de fumée pour disparaître momentanément –seulement de la vue des observateurs, non des radars qui n’avaient pas encore été détruits.

Lloyd se pencha sur le micro en enclenchant la diffusion sur la fréquence des comlinks de ses camarades. En espérant qu’ils les avaient encore… Et qu’ils soient encore aptes à y répondre.

- Mat’ ! cria-t-il. Jake ? Oh ! Grouillez-vous de répondre ça urge ! Jake ! Maaaat’ !

Un long grésillement lui répondit, et Lloyd entreprit de faire faire une nouvelle courbe au Soleil Vert pour faire demi-tour. Visiblement, il n’était pas au bon endroit. Il était pourtant sûr de les avoir déposés dans le coin. Il était difficile de se repérer quand des Sith avaient décidé de raser la capitale en quelques heures !

Soudain, une salve d’un vert électrique se rua sur le vaisseau et il dût faire une violente embardée pour tâcher de les éviter – les lasers se contentèrent de frôler la coque de l’appareil avec un bruit de roulement tonitruant.

- Woh ! laissa échapper Lloyd en sentant son corps s’emplir d’adrénaline et de la chaleur de l’angoisse. Putain de merde !

Nouvelle embardée pour éviter de se prendre une nouvelle salve, puis le Hapan contrôla les jauges électroniques. Aucune avarie, ils avaient dû juste bien noirci la coque verte du vaisseau. Il était bon pour une nouvelle séance de peinture… Enfin, s’il arrivait à récupérer son capitaine d’abord.

- MAT’ ! JAKE ! REPONDEZ PUTAIN ! Il faut qu’on s’barre et vite ! Filez-moi votre position !

Toujours aucune réponse. En jetant un œil en bas, il se demanda si la Twi’lek et le mercenaire n’étaient tout simplement pas devenus des corps calcinés qu’on ne pourrait identifier.

Une fois n’était pas coutume, entendre la voix rauque de Jake était rudement agréable. Pendant quelques minutes, il avait commencé à réfléchir au temps qu’il s’accorderait pour les retrouver avant d’abandonner les recherches et prendre la poudre d’escampette. Après tout, à quoi ça servait de faire capturer leur vaisseau ? Soit ils étaient morts et il valait mieux qu’il se casse, soit ils étaient prisonniers et il valait mieux qu’il soit libre pour pouvoir faire quelque chose pour eux.

Mais heureusement, il n’eut pas à se décider. Lloyd lâcha un soupir en levant les yeux au ciel avant de prendre le micro à son tour.

- L’ambassade, bien reçu Jake, prenez pas d’risque en attendant, j’atterris aussi vite que possible !

Il relâcha le bouton de communication et se remit immédiatement aux commandes de pilotage en prenant une grande inspiration.

Jake avait dit qu’ils allaient pas tarder à crever. A quel point exagérait-il ? C’était bizarre que Mat’ n’ait pas donné signe de vie elle-même… Elle qui l’encourageait toujours. En tout cas, c’était pas le genre du mercenaire de faire des coups tordus : s’il avait pas dit que Mat’ avait succombé, c’était qu’elle était bien vivante.

- L’ambassade, l’ambassade… se répéta-t-il pour se concentrer de nouveau sur son objectif.

Lloyd afficha une carte sur un écran à sa gauche et se pencha dessus. Il n’était qu’à quelques kilomètres de l’ambassade, il l’avait même survolée deux minutes plus tôt. C’était donc ça, le truc fumant avec une esplanade noircie au milieu ? Joli travail de la part de ses amis les Sith. Comme d’habitude, ils n’avaient pas fait dans la dentelle. Et dire qu’il risquait de croiser un de ses anciens camarades sur ce fichu monde ! Bah, au moins, il aurait le bénéfice du doute comme couverture.

Quelques minutes, qui lui semblèrent de longues heures, furent nécessaires pour trouver le parc. Il se poserait au beau milieu –le terrain était trop accidenté dans la ville pour y atterrir de toutes manières. C’était sa seule chance. Mat’ et Jake tiendraient-ils jusque là ?

- Jake, j’atterris dans moins d’une minute.

Lloyd enfonça une nouvelle série de boutons. Procédure de décélération enclenchée. Armement des bras de soutien.

- Et tout ça sans lumière mon Soleil, chuchota-t-il à l’appareil, j’ai pas spécialement envie de signaler notre position aux autochtones.

De toute façon, le mercenaire reconnaîtrait le vaisseau entre mille –surtout à cause de sa couleur- et il ne serait posé que pour quelques minutes –si tout se passait bien. D’ailleurs, Lloyd laissa enclenchés les moteurs de propulsion pour être prêts à partir en flèche dès que tout le monde serait à bord. Et puis il y eut l’intervention de Jake et Lloyd scruta l’extérieur pour repérer le fumigène –une traînée rouge se dessina non loin, et le Hapan rectifia sa trajectoire. Il était trop loin, il fallait se poser plus près, tant pis pour le terrain accidenté !
Procédure d’atterrissage avortée, le Hapan dirigeait le vaisseau droit sur le fumigène en essayant d’entrevoir quelque chose dans les rues poussiéreuses d’Artorias. Saletés de Siths !

Lloyd visa le point précis d’où provenait la lumière rouge et déclencha les tirs. Pour la discrétion, il repasserait, finalement. Putain, si jamais Jake s’était loupé et avait allumé le fumigène près de lui, c’était mort !

La rue fut noyée plus encore sous la poussière après ses tirs, et Lloyd modifia l’inclinaison de l’appareil pour qu’il se dirige de nouveau sur le fameux parc…

Le vaisseau se posa un peu violemment –mais il avait de bons amortisseurs- et dans la précipitation, Lloyd avait quitté son siège de pilote avant même de vérifier si sa position était stable. Il se rua sur la passerelle qui était en train de s’ouvrir –ce qu’elle était longue !- avant de pouvoir sortir en courant. Il avait emporté son blaster dans une main, au cas où, mais espérait n’avoir pas à s’en servir.

Où étaient ses deux coéquipiers ? Merde ! Lorsqu’il se concentrait dans la Force, il arrivait à reconnaître l’aura de Mat’. Mais il ne la travaillait plus suffisamment… Quel imbécile fainéant, se fustigea-t-il en tournant sur lui-même dans l’herbe séchée par les fumées de la guerre.
Mais bientôt, à quatre mètres à peine il vit une étrange silhouette apparaître de derrière un arbre. Lloyd pointa son blaster… Avant de le baisser aussitôt. La forme curieuse n’était autre qu’une Twi’lek montée comme un sac de vivres sur l’épaule d’un Jake qui semblait se traîner, la démarche bancale.
Sans un mot, le Hapan retourna à la passerelle pour la faire descendre plus bas et leur permettre un accès plus facile. Il déglutit en regardant le mercenaire grimper dans le vaisseau comme si son corps agissait tout seul, sans âme, et monta à sa suite pour le voir déposer une Mat’ inconsciente. Ils étaient tous deux maculés de sang séché (s’agissait-il du leur ?) et leur teint livide choqua un bref instant le mécano. Merde, ils avaient vraiment pas aimé la guerre… Mais ils s’étaient attendus à quoi, au juste, à jouer les cowboy ?

Lloyd rangea son blaster à sa ceinture et enclencha la commande de la passerelle pour la refermer, mais sans pouvoir détacher ses yeux du spectacle effarant de leurs deux corps malmenés. Même Jake s’était écroulé. Il ne l’avait jamais vu dans un état pareil. Quant à Mat’, c’était juste… En fait, il n'arrivait pas à mettre de nom sur l'émotion qui lui serrait si désagréablement l'estomac.

- On a été empoisonnés…

Ce furent les derniers mots du mercenaire avant qu’il ne sombre lui aussi dans l’inconscience. C’était donc cela, leur tête… Ils n’étaient donc pas sortis d’affaire !!
Lloyd se jeta sur Mat’, fébrile, pour la soulever. Sa peau était encore chaude. Elle était fine mais grande ; et cela était si étrange de la serrer contre lui… Au pas de course –ou du moins aussi vite qu’il le put- le Hapan alla la déposer sur la couchette de leur minuscule pièce médicale, et la sangla tant bien que mal histoire qu’elle ne tombe pas pendant le décollage. Puis il ouvrit en catastrophe un tiroir, puis deux, puis trois pour trouver une seringue de stimulants qu’il lui injecta dans le bras sans douceur.
Voilà pour elle. Il n’y avait pas de deuxième couchette… Tant pis, Jake salirait son propre lit, décida Lloyd en revenant au pas de course trouver le corps inconscient du mercenaire. Mais l’affaire fut plus difficile : impossible de le soulever ! A cause de sa carrure imposante certes, mais aussi de son lourd équipement - Putain t’abuses mec ! - que le Hapan agacé réussit néanmoins à desserrer pour s’assurer que Jake pourrait au moins respirer convenablement. Puis il lui fallut le traîner, faute de mieux, jusqu’à sa chambre attitrée, et le hisser sur sa couchette…

A ce moment précis, une série de détonations sèches le firent sursauter et il dut abandonner là le mercenaire pour retourner aux commandes avec précipitation –on lui tirait dessus ! Lloyd réenclencha ses commandes en pestant, et sans s’attacher, fit décoller l’appareil en trombe. Ils furent tous secoués le temps d’une bonne dizaine de minutes, car des vaisseaux Sith apparaissaient dans les radars du Hapan bien décidé à quitter cette planète de malheur aussi vite que possible.

¤ | ¤ | ¤

- Mais j’suis pas docteur, moi ! s’exclama Lloyd avec désespoir.

Après être passé en hyperespace puis en être sorti une fois qu’ils furent assez loin, Lloyd était venu vérifier que Jake n’avait pas roulé pour tomber en-dehors de sa couchette –heureusement non- puis avait rejoint Mat’ dans le compartiment médical. Mais elle était toujours inconsciente et son teint ne s’était pas amélioré. Elle respirait toujours, fort heureusement, et le Hapan avait juste passé un linge humide sur son visage pour le nettoyer un peu et faire tomber la fièvre qui l’avait prise. Il avait aussi desserré ses vêtements autour de son cou et de son ventre, avait surélevé sa tête et branché un capteur dans son cou pour vérifier ses signes vitaux.

Puis il était allé faire la même chose sur Jake, les capteurs en moins puisqu’il n’avait pas l’équipement pour. Mais il s’en faisait moins pour le mercenaire dont le teint était un peu moins livide –et surtout, s’ils avaient reçu la même dose de poison, la corpulence de l’humain le rendrait moins fragile que la frêle Twi’lek.

Veiller auprès de Mat’, vérifier l’état de Jake, humidifier les lèvres de Mat’ pour ne pas qu’elle se déshydrate, appliquer de nouveau le kolto sur l’épaule grillée de Jake. Aller, retour, aller, retour, aller… A un moment, Lloyd appliqua doucement ses mains sur les blessures de Mat’, se concentrant avec l’espoir que ses rudiments de guérison fasse un minimum effet sur elle –de toute façon, personne ne le voyait utiliser la Force. Difficile de dire si ça fonctionnait en profondeur, mais il trouvait que les plaies avaient moins sales mines. Alors, ragaillardi par l’impression d’avoir un semblant de pouvoir sur leur état, Lloyd s’empressa d’aller essayer la même chose sur l’épaule de Jake. Les effets pourraient être anecdotiques, c’était toujours mieux que rien. Avec le kolto, en tout cas, Jake aurait l’épaule hors de danger –même s’il souffrirait sûrement quelques temps encore. Mais Lloyd n’était pas tout à fait satisfait : ni pour l’un ni pour l’autre, ses compétences –dans la Force ou en médecine- n’étaient suffisantes pour qu’il sache soigner les effets d’un poison si virulent…
Putain, s’ils se sortaient de là tous les deux, Lloyd était prêt à aller suivre une formation d’infirmière dès leur atterrissage sur un monde civilisé. En attendant, il s’asseyait par terre dans la chambre de Jake, ou sur le banc dans leur mini-centre médical. Veillant sur l’un, puis sur l’autre, il somnolait parfois, se réveillait ensuite en sueur parce que dans ses songes, les signes vitaux de Mat’ avaient dégringolé et que Jake s’était levé pour le lui reprocher.

Mais non, ils roupillaient tous les deux. Comme des bébés, mais le front chaud comme la braise…

Plusieurs heures s’étaient écoulées, et le vaisseau de Mat’ était toujours en orbite autour d’une petite planète inanimée – un gros caillou sans atmosphère, en réalité. Il n’avait même pas de nom, avait remarqué Lloyd en passant dans la cabine vérifier que le radar ne détectait rien d’étrange. L’objet avait pour seul intitulé un code à douze chiffres suivi de deux lettres, probablement une référence de la République. Quelle idée absurde, pourquoi s’étaient-ils exilés si loin du Noyau, pour un combat qui ne les concernaient même pas ?

Lloyd avait poursuivi ses allers-retours en perdant la notion du temps qui s’écoulait. Vivement au début, et puis de plus en plus lentement. Leur état ne se modifiait pas. Au moins, ils respiraient et leur cœur battait, c’était l’essentiel. Pour ce qui était de leur conscience… Hé bien, il lui avait semblé que Mat’ rêvait par moment, car elle fronçait les sourcils et murmurait. C’est là qu’il s’était rendu compte que la fièvre poussait vraiment leur deux corps à haute température et qu’il avait recommencé à leur passer des linges humides. Il avait pensé à chercher de quoi leur injecter quelque chose pour faire retomber la fièvre mais il ne voulait pas mélanger les substances au sein de leur corps. Il n’était pas médecin, après tout…

Au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient, il sentait sa propre fatigue le gagnait. Il avait beau somnoler de temps en temps, il ne s’accordait que de courts répits pour ne pas manquer à ses devoirs de surveillant médical. Il se demanda si ce ne serait pas une bonne idée de faire l’acquisition d’un droïde dans leur bicoque, histoire que quelqu’un veille quand ils étaient tous dans ce genre d’état. Il soumettrait l’idée à Mat’, quand ça irait mieux…

Finalement, un évènement bref et bruyant finit par interrompre la monotone routine de Lloyd alors qu’il s’occupait de Mat’ pour la énième fois : Jake beuglait dans l’encadrement de la porte du centre médical. Il ne comprit pas tout de suite ce qu’il se passait. Le Hapan s’élança en pensant que le mercenaire devait souffrir d’un truc vachement douloureux avant de réaliser que la colère du grand baraqué était dirigée contre… lui-même.

- Hein ? La quoi ?! Mais JAKE !

Lloyd s’écarta vivement du chemin du mercenaire chancelant.

- T’es dingue ou quoi ! C’est pas c’que tu cr…

Mais Jake s’était emmêlé les pieds et venait de s’écrouler sur un meuble à roulettes qui se renversa dans un vacarme assourdissant. Des petites fioles répandirent leur maigre contenu à même le sol et le mercenaire avait l’air de nager au milieu de compresses blanches. Lloyd hésita un instant : aller l’aider et prendre le risque de se prendre une baigne ? Bah, le pauvre Jake avait pas l’air très dangereux, amoché comme ça. Quoi que. Il verrait bien.
Lloyd releva le meuble (vide) en premier, avant de se pencher sur le mercenaire pour constater l’étendue des dégâts.

- Alors là mon vieux, grâce à tes  exploits, il y a du verre partout par terre. Alors je serai toi j’éviterai de m’agiter maintenant.

Le sacré bougre pesait plus lourd que lui, même sans tout son attirail de mercenaire. Lloyd dut s’y reprendre à plusieurs fois, croisant parfois le regard méfiant du mercenaire qu’il finit par laisser assis par terre contre la paroi du centre médical.

- Bon, arrête de me regarder comme ça ! J’y faisais rien à la petite, qu’est-ce que tu crois ? Je lui passais un linge mouillé pour faire tomber la fièvre. Ca te va ?

Lloyd soupira d’agacement et leva les yeux au ciel en constatant le regard sceptique de Jake. Alors certes, il y avait un peu plus que ça dans les soins apportés à Mat’, mais il ne pouvait pas lui en parler. Sûrement pas. Ce qui comptait, c’était que ses intentions étaient bonnes, non ? Ce qui était vache, c’était qu’il ne pourrait plus user de ses pouvoirs maintenant que Jake était éveillé – et avait visiblement l’œil sur lui.
Mais finalement, se dit-il, le mercenaire avait l’air bel et bien vivant. Lloyd aurait préféré qu’il lui tombe pas dessus comme ça, mais il avait l’air de s’être à peu près remis du poison. Certes, il n’était pas non plus au meilleur de sa forme. Mais voir que le poison n’était pas mortel remontait grandement le moral du Hapan.

- Je t’ai fait les mêmes petites gâteries, si tu veux tout savoir, ajouta-t-il finalement avec un soudain sourire, goguenard.

De nouveau, Lloyd s’escrima pour remettre Jake sur ses pieds – ou plutôt, de le soulever assez pour qu’avec son aide, il parvienne à l’assoir sur une chaise peu confortable. Lloyd en profita pour regarder l’épaule du blessé. Plutôt pas trop moche, estima-t-il, mais il n’aurait su dire ce qui avait été significatif : le kolto ou ses talents ? Bah, il avait mis toutes les chances de leur côté, c’était ce qui comptait…

- Bon alors, tu te sens comment ? Si t’as des infos, j’suis preneur, parce que j’arrive pas à stabiliser l’état de la petite aussi bien que le tien. Elle dépasse les 39 en chaleur corporelle, là, ça fait…

Il avait failli dire « ça fait flipper », mais il s’était arrêté juste à temps.

- Ca fait presque huit heures que vous roupillez.

Le Hapan se redressa et évita de marcher sur les compresses et les divers objets éparpillés à même le sol, pour aller s’adosser  de l’autre côté du lit de Mat’. Voilà, il lui restait donc à nettoyer les dégâts du colérique, se fit-il remarquer intérieurement en soupirant. Et ensuite, continuer à aider Mat’ à s’en sortir, s’il y avait encore quelque chose à faire… Et si Jake n’avait pas décidé de lui remettre des bâtons dans les roues, bien sûr.

Finalement, le colosse parvenait à tenir sur ses pieds. Lloyd aurait préféré qu’il reste assis, histoire de pas renverser un deuxième meuble de leur centre médical déjà pas mal amoché comme ça, mais il se garda bien de commenter. Et puis, Jake avait l’air un peu plus disposé à croire à son histoire de linge mouillé, alors autant ne pas l’agacer outre-mesure.
La discussion dévia de telle manière que Lloyd se demanda si le poison n’avait pas des effets secondaires.

- Tu délires complètement, mec, lui fit-il savoir avec un haussement d’épaules. J’suis pas gay, je blaguais !

Si cela avait pu le tirer d’affaire quant à ce que Jake ait pu croire qu’il faisait à la Twi’lek, Lloyd aurait pourtant pu se faire passer pour un homosexuel. Mais le mercenaire n’aurait pas manqué de le dire à Mat’, à tous les coups… Et là, ç’aurait été vraiment pas cool !

Bon, Jake retrouvait de sa vigueur. C’était déjà ça comme bonne nouvelle.

- Arrête de gueuler comme un bantha, tu te fatigues pour rien, et elle a b’soin de repos, le sermonna le Hapan sur un ton grincheux.

Heureusement, le mercenaire était finalement disposé à lui raconter tout ce qu’il s’était passé. Le visage de Lloyd se décomposait à mesure qu’il imaginait les risques que Mat’ avait pris sur Artorias. S’il avait su, il ne l’aurait jamais laissée y aller seule ! Ou plutôt, il ne l’aurait jamais laissée y aller tout court. Leur aventure à tous les deux avaient été une terrible mésaventure. Ils les avaient prévenus, pourtant ! Mais plutôt que de le lui faire remarquer, Lloyd serra les dents et les poings, les bras croisés sur la poitrine. Il y avait plus urgent que des engueulades pour savoir qui avait tort et qui avait raison. Ce qui était fait était fait.
Ce fut le nom du poison qui attira son attention. C’était une information capitale, si l’on considérait que Lloyd ne savait, depuis le début, ce qu’il essayait de soigner.

- Devaronian blood… fit pensivement le Hapan. Ça m’dit rien. L’ordinateur central sait peut-être quelque chose.

Leur base de données étaient des plus basiques, et Lloyd ne s’y était jamais trop intéressé jusqu’à aujourd’hui. Mais c’était l’occasion de voir si au moins le registre en basic donnait quelque chose.
Le jeune homme disparut du centre médical au pas de course. Si l’état de Mat’ empirait, Jake saurait sûrement utiliser sa voix de ténor pour l’avertir du pépin.

Quelques minutes plus tard, il revenait muni d’un datapad qu’il consultait tout en marchant. Son visage était livide. D’abord, il avait été soulagé de constater que leurs archives contenaient un dictionnaire simple et que « Devaronian Blood (poison) » y figurait. Mais la description des maux endurés par les victimes lui avaient fait vite perdre son optimisme. Les symptômes correspondant à ceux de Mat’, il passa ces détails et lut à haute voix les possibilités de remèdes. Si la victime ne s’en remettait pas elle-même, visiblement, il n’y avait qu’une solution possible.

- Le mal ayant été causé par la pierre précieuse du même nom, ou des fines particules de la pierre broyée, cette même pierre précieuse peut être utilisée pour guérir la victime, par contact de la pierre avec l’afflux sanguin. lut-il à haute voix avant de taper du poing sur le meuble à roulettes redressé, agacé. Evidemment, il n’est pas dit où on est sensé trouver cette pierre… Quelque chose me dit qu’il suffit pas d’aller au marché de Tatooïne.

Lloyd croisa le regard du mercenaire, l’air grave. Il sentait ses entrailles compressées par l'appréhension. En fait, il n’avait absolument aucune idée de comment ils pourraient trouver cette fameuse pierre précieuse. A tous les coups, ça leur coûterait un bras… Avaient-ils seulement les fonds nécessaires ? Et si ce n’était que ça, ils se seraient débrouiller pour voler la pierre. Mais là, ils ne savaient même pas où la trouver.

- Y’a rien de marqué sur les délais. Il faudrait pouvoir consulter plus d’infos pour trouver la pierre mais…

Il avait un mauvais pressentiment là-dessus. Ce qui était fort étrange, c’est qu’il y avait un endroit qu’il connaissait un peu… Et où il était à peu près sûr de trouver non seulement la pierre, mais en plus une personne pour l’appliquer gratuitement si on leur demandait gratuitement. Mais pouvait-il se résoudre à cela ? Ou était-ce une idée stupide ? En même temps, il n’en avait aucune autre… Jake pourrait peut-être trancher. En tout cas, puisqu’il avait lui-même vécu cette terrible épreuve, visiblement très douloureuse puisqu’utilisée comme torture par certaines tribus selon l’article de leur base de donnée, Lloyd songeait qu’il devait avoir le droit d’entendre sa solution, même si elle lui semblait horripilante.

- J’ai… Aucune idée d’où on peut trouver ça. Sauf… Les Jedi, peut-être. Ils ont de quoi faire, sur Ondéron.

Il le savait : il avait lui-même visité le Temple lors de funestes évènements. Il s’était juré ne jamais y remettre les pieds de son plein gré… Mais si c’était pour Mat’, ce pourrait être différent.

- Jake, tu sais peut-être que j’ai pas trop d’affinités avec eux, avoua-t-il finalement au mercenaire, conscient que ce n’était pas habituel qu’il parle de lui et de quoique ce soit en rapport avec son passé. Mais vous étiez à leur service, sur Artorias. Ils ne pourront pas refuser de la soigner, c’est pas leur genre. A moins que t'aies une meilleure idée...

Si lui-même se montrait là-bas, par contre, c’était pas sûr que les Jedi le laisseraient repartir les mains dans les poches. Mais Jake n’avait pas besoin de savoir ça…
D'un autre côté, il se demandait s'il avait vraiment besoin d'essayer de convaincre le mercenaire. Avait-il une raison de ne pas aller sur Ondéron, lui ? Non, c'était peut-être plutôt lui-même qu'il essayait de convaincre...

Malheureusement, non, il n’y avait visiblement pas d’autre alternative que les Jedi. Lloyd ne s’était pas vraiment fait d’illusions : il allait les recroiser un jour ou un autre, c’était évident. Autant choisir le moment histoire de s’y préparer un minimum. Mais qui se souviendrait de lui, de toute façon ? Ah, oui, la padawan qu’il avait éventrée, certes.
Contre toute attente, de toute manière, Jake semblait plutôt favorable à l’option d’Ondéron. Lloyd soupira en tendant le bras pour attraper une cigarette. Ca lui rappelait l’académie. Ca devait être là-bas la dernière fois qu’il avait fumé.

- ‘rci, grogna-t-il avec une grimace à cause du surnom dont l’affublait le mercenaire. Tu m'prêtes ton feu ?

Lloyd attendit que Jake lui tende de qui allumer sa cigarette avant de répondre. Au moins, cela lui laissait le temps de réfléchir à comment il allait formuler les choses. Mat’ elle-même n’était pas très bien au courant de son histoire houleuse avec les Jedi, elle savait simplement qu’il avait vécu sur Korriban. Et encore c’était autre chose. Les deux recouperaient peut-être leurs informations un de ces jours, mais ça n’avait pas trop d’importance pour le moment. Comme disait Jake, lui non plus n’était pas blanc comme neige… Ça, le mercenaire ne passait clairement pas pour un ange. Mais ça choquait moins, chez lui... Et il y avait fort à parier que la Twi’lek ait elle aussi son lot d’aventures plus ou moins avouables.

- Oui, on peut dire ça comme ça, déclara-t-il finalement après avoir aspiré une première bouffée avec précaution pour ne pas tousser, histoire de ne pas se ridiculiser un peu plus aux yeux du mercenaire. Disons que j’ai un peu abîmé leur joli temple et que je suis reparti avec des trucs sous le bras qui m’appartenaient pas.

Omission volontaire que le truc en question était vivant. Mais bon, le petit protégé de Maître Don était rentré au bercail, il n’y avait pas mort d’homme ! Quant à attendre Jake régler ses problèmes persos… Bah, il n’allait pas faire la fine bouche maintenant. L’important c’était que Mat’ s’en sorte… Lloyd haussa les épaules en tirant de nouveau sur sa cigarette.

- T’inquiète, on attendra. Mat’ sera pas opérationnelle avant plusieurs jours et je m’occuperai du vaisseau. T’auras qu’à nous faire signe quand t’auras terminé.

Il ne poserait pas plus de questions. Après tout, Jake avait eu la délicatesse de ne pas trop insister sur ses propres histoires persos. Elle avait donc aussi ses bons côtés, la brute, même si le Hapan avait eu un peu de mal à accepter de ne pas rester en tête à tête avec la Twi'lek. Mais il fallait avouer qu'il aurait sûrement pas su défendre Mat' comme lui. Un peu plus et il s'en sentirait jaloux - mais non, se sermonna-t-il intérieurement, chacun faisait sa part du boulot, y'avait pas de comparaison possible.
Lloyd regarda le mercenaire s’animer. Avoir un plan d’actions semblait les avoir tous les deux calmé.

- Une dizaine d’heures si on booste un peu et si on a pas de pépin en route.

Et si Ondéron n’avait pas fermé ses accès pour une raison X ou Y, mais ç’aurait été vraiment un manque de bol. Lloyd tira une nouvelle bouffée de sa cigarette en grimaçant – il n’avait plus l’habitude de fumer et le soulagement que cela lui avait apporté n’avait été que de courte durée. Il s’anima à son tour en se décollant de la paroi contre laquelle il était resté appuyer.

- Je te laisse avec elle alors, je retourne aux commandes. Fais signe si y’a du nouveau.

Puis il se retira de leur petit centre médical à la hâte. Mat’ n’aurait pas été contente de les voir embaumer tout le vaisseau avec de la fumée de cigarette. Mat’, Mat’, Mat’. Avait-elle jamais autant envahi ses pensées que depuis qu’il l’avait vue dans cet état terrifiant ? Elle lui était toujours apparue comme quasiment plus forte que lui-même malgré son petit corps frêle et sa voix aiguë. La voir dans cet état lui avait fait un choc dont il ne se rendait compte que maintenant que le mercenaire était revenu des limbes terribles du poison.

Les mains tremblantes, Lloyd s’empara des commandes et le tableau de bord s’illumina progressivement. Il paramétra les coordonnées d’Ondéron dans le navigateur de l’hyperpropulseur et se prépara à entrer dans l’hyperespace avec une certaine sérénité : voilà, il reprenait ce qu’il savait faire. Ce n’était même pas sûr que cela suffise à sauver Mat’… Mais qu’aurait-il pu faire d’autres ? Est-ce qu’elle leur en voudrait d’avoir choisi cette solution plutôt qu’une autre ? Il n’y avait pas eu d’autre. Déjà, dans sa tête, il s’excusait auprès d’elle pour cette terrible journée. Qui n’était pas terminée…

- Allez Titine, s’adressa-t-il à l’appareil précieux en activant la manette de l’hyperpropulseur. On y va !

D’une seconde à l’autre, le Soleil Vert s’évanouit dans l’espace. Dans la foulée, Lloyd se crama le bout du nez sur la cigarette en pilotant, faute de pratique. Il l'écrasa sur le coin du tableau de bord avec un juron.

Lloyd avait enfin réussi à calmer ses angoisses en se concentrant sur le pilotage. Tout allait bien se passer : certes il allait précisément sur une des deux planètes sur lesquelles il s’était promis de ne plus jamais remettre les pieds – mais c’était pour Mat’. Et puis Jake allait s’occuper de tout, lui n’aurait qu’à garder le vaisseau et ne même pas sortir de l’astroport. Ce n’était donc pas si compliqué, et les Jedi sauraient certainement bien soigner leur capitaine. Quant à lui, il faisait sa part du boulot.

Tout allait bien, tout allait bien, tout all…

La voix de Jake dans l’intercomm lui firent l’effet d’une décharge électrique. Lloyd enclencha le pilotage automatique et pesta d’être obligé de prendre le temps de vérifier que tout s’était enclenché correctement (il ne pouvait guère prendre le risque de les tuer tous les trois pour une heure de pilotage) avant de se détacher de son fauteuil et s’élancer en direction de la cabine médicale. Il crut entendre la voix de Mat’ – à moins qu’il ne fût en plein rêve ? – mais il ne comprit pas un mot de ce qui fut dit. Il entendit par contre soudain les bips stridents provenir de la pièce et s’imagina d’abord le pire : ces alertes devaient être les signes vitaux de Mat’ qui dégringolaient, à tous les coups !
Mais lorsqu’il fit irruption dans l’encadrement de la porte, le tableau fut tout autre que celui qu’il s’était imaginé. Mat’ n’était pas étendue morte, elle était lovée tout contre Jake et l’embrassait à pleine bouche. Il y avait du sang par terre et les fils de l’installation sur le corps de Mat’ avait été arrachés, ni plus ni moins, mais Lloyd ne pouvait voir que le mercenaire la tenait dans ses bras, et malgré ses yeux arrondis un peu bizarres, il n’avait pas l’air de la jeter par terre non plus !
Le Hapan resta quelques instants bouche bée, écoutant vaguement les explications du mercenaire.

- Tu… Attends, tu te fous de ma gueule ??! cria-t-il soudain sans même entendre qu’il avait élevé la voix si fort. C’est genre quoi, une vengeance ?? J’avais RIEN FAIT moi, connard !

Il était resté dans l’encadrement de la porte, les poings serrés par la colère. Il aurait bien voulu en écraser un dans la figure de Jake mais il savait qu’il n’aurait pas gagné de toute façon. Et puis, il risquait faire du mal à la Twi’lek entre eux deux.

Il y avait tout de même le vomi par terre. Le mercenaire était-il si jaloux des soins qu’il avait prodigué à Mat’ qu’il l’avait embrassée devant lui juste pour le faire chier même si elle reniflait la bile ?

- T’es vraiment un Gamorréen, merde ! Remets-la où elle était !

Le Hapan se dirigea droit sur la capitaine qu’il veilla à replacer rapidement sur la couche – le plus vite possible, histoire que l’autre enlève ses sales pattes de là.

- C’est quoi ton problème ? J’ai pas touché à Mat’ j’t’ai dit !

Un peu plus et il aurait poussé Jake par provocation – il avait peut-être ses chances, vu que le gaillard était encore affaibli à cause du poison. Mais sa colère vacilla un instant : il avait vu Mat’ toute accrochée à lui, toute amourachée. Ses souvenirs le trompaient-ils déjà où Mat’ pouvait-elle vraiment être à l’origine de cet acte ? Peut-être que Jake mentait pas, que la capitaine avait un faible pour le mercenaire et qu’avoir vu la mort de si près ensemble les avait considérablement rapprochés. D’ailleurs, ne se souvenait-il pas les avoir surpris en plein regards intimes et autres « je te tombe dans les bras sans faire exprès » ?
Brusquement, donc, il ne savait plus. Fallait-il qu’il casse le nez de Jake ou qu’il les laisse tranquille ? Et que voulait Mat’ ? Etre protégée de lui ou qu’on les laisse en tête à tête ?

Lloyd jeta un regard empli de doutes à Mat’. Et lui qui avait cru stupidement que ces derniers temps, elle avait fait attention à lui… Il était juste complètement idiot.

- C’est vraiment pas professionnel, leur cracha-t-il à tous les deux, le ton envenimé.

Il tourna les talons – le valeureux Jake se débrouillerait bien pour le vomi, après tout, ça avait pas l’air de le déranger plus que ça.

- Z’avez qu’à m’faire signe si on change de cap, vous savez où m’trouver ! leur lança-t-il, toujours sur un ton plein de reproches en s’éloignant dans la coursive.

Puis il s’enferma dans le cockpit et se laissa tomber sur son siège, dépité. Qu’est-ce qu’il avait cru, au juste ? Il était qu’un putain de mécano, maintenant. Il devrait juste être content d’avoir à bouffer et un endroit pour dormir, rien de plus. Son seul compagnon, c’était le Soleil Vert, qui ronronnait sous ses mains, ruminait-il avec amertume. Lui au moins, il savait lui parler…

Lloyd, la mine sombre, s’enfonçait de plus en plus dans le fauteuil face aux commandes. Il remarquait à peine les voyants s’allumer de temps à autre sur le tableau de bord et l’espace devant lui ne lui avait jamais semblé si morne. Et dire qu’il y avait eu la peur de les perdre, puis la joie de les trouver, puis la peur de les perdre à nouveau, puis la joie de savoir Mat’ réveillée, puis la déception et l’humiliation qu’il s’était infligé tout seul, comme un grand. Comme un con aussi. Qu’est-ce qu’il pouvait se détester à cet instant ! Il arrivait à peine à en vouloir à Mat’. En vouloir à Jake, par contre, c’était facile : sa grosse bouche velue sur les lèvres de Mat’, c’était dégueulasse !

Lloyd sursauta quand le sas du cockpit s’ouvrit. Il n’avait pas entendu venir le mercenaire. Il se doutait bien que c’était pas Mat’, dans son état… Avec un peu de chance, elle se souviendrait même pas d’à quel point il venait de se ridiculiser ? Voilà au moins un espoir auquel se raccrocher, mais le Hapan resta silencieux et le regard fixe comme si Jake n’était pas là. Finalement, ce fut le mercenaire qui débita des bêtises en s’installant à côté de lui.

- Non, rétorqua un peu trop brusquement Lloyd, piqué au vif par la question du mercenaire. Et arrête de m’appeler boucles d’or !

Pouvait-il vraiment être amoureux de Mat’, en fait ? Il l’aimait bien, c’était vrai, mais amoureux, peuh, n’importe quoi ! Bon, elle était jolie quand même, et puis rigolote quand elle était joyeuse. Et puis il tenait à elle, c’était vrai, il l’avait bien compris quand il avait eu peur de ne jamais la voir revenir d’Artorias. Et puis il avait été un peu jaloux de Jake, c’était pas faux. Mais fallait dire que c’était son préféré et c’était bien normal : le mercenaire était… Un mercenaire, déjà. Et puis il était charmeur, drôle, plein de ressources et c’était un vrai dur à cuire. Donc évidemment, c’était lui que Mat’ remarquait, et qu’elle avait embrassé. Et forcément il avait pas trop apprécié. Mais il ne voyait pas en quoi il pouvait être amoureux à part ça, vraiment !

Heureusement, Jake fournissait déjà de quoi le sortir de ces pensées délirantes. Darth Synia ? Une Sith, voilà qui était intéressant… Ces connards s’en étaient sûrement pris à elle après l’avoir tourmenté lui. Et elle cherchait quand même à aller les affronter sur Artorias ? Mat’ était complètement dingue ! Ou courageuse. Bref, elle était quelque chose que lui-même n’était pas.

Lloyd croisa le regard malicieux de Jake. Alors, c’était ça, ses courses à faire sur Ondéron ? Si le mercenaire ne mentait pas, Lloyd se sentirait un peu soulagé. Déjà, sa rancœur à l’égard de son compagnon s’effaçait. Mais quand même, c’était pas juste !
Le Hapan lui adressa un regard noir, plus pour la forme que vraiment sincère. Il ne savait pas quoi dire.

- Ecoute, j’te crois, lâcha-t-il finalement avec résignation, mais j’ai pas b’soin de conseils.

Des conseils lui auraient servi à quoi, au juste ? Mat’ devait se ficher pas mal de lui. Et il avait une bonne excuse pour ne pas avoir à faire d’efforts pour être romantique. Déjà parce qu’il était assez ridicule comme ça, il n’allait pas non plus aller appliquer des techniques de drague de Corellia. Il croisa de nouveau le regard de Jake et comprit qu’il ne se sortirait pas de cette conversation s’il n’y mettait pas un peu du sien.

- Bon, j’l’aime bien, c’est vrai. MAIS, s’empressa-t-il d’ajouter en levant son index pour ne pas laisser place au triomphe de Jake, c’est franchement pas une bonne idée, ce genre de trucs. C’est mon employeur, tu vois, et on mélange pas cœur et boulot. Elle pense sûrement la même chose, et en plus ça sera qu’une passade. Après ça elle va recruter d’autres gens, elle va tomber amoureuse d’autres mecs et moi je serai là comme un con à bosser pour une fille qui veut plus d’moi. Sans compter qu’elle veut pas d’moi déjà aujourd’hui et que comme tu me l’as fait remarquer, c’est pas comme si j’étais très douée pour la convaincre du contraire. Alors non, je suis pas amoureux, et je vais faire attention à pas le devenir, voilà, parce que ça nous apporterait que des emmerdes. Satisfait ?

Il ne savait pas très bien s’il croyait lui-même tout ce qu’il disait, mais il lui semblait que c’était le discours le plus sensé à avoir. Il estimait très basses ses chances que Mat’ s’intéresse à lui autrement que grâce à sa gentillesse habituelle, et quasiment inexistantes celles qu’elle ne se lasse pas de lui très vite. Et il n’avait pas spécialement envie de devenir encore plus un looser qu’il ne l’était déjà d’une part, et d’autre part que l’on réduise son cœur en charpie. En plus, Mat’ se serait sentie coupable, la pauvre.
Il allait falloir qu’il vive avec ça puis ça allait passer, et c’était tout.

- Bon, je sais pas ce qui m’a pris tout à l’heure, désolé. T’as pas la gueule d’un Gamorréen si ça peut t’rassurer. Sinon ta super-canon d’Ondéron t’aurait pas remarqué, j’imagine. Tu l’as rencontrée comment ?

On savait jamais, il aurait p’tet la chance de se trouver une minette magnifique quelque part pour lui faire oublier Mat’, un de ces jours. Quoiqu’il n’était pas très sûr d’en avoir envie…

Lloyd réajusta une commande avant de rétablir le pilotage automatique. Plus que quelques heures avant d’apercevoir le Temple…

Comment Jake pouvait-il être si sûr de lui, à la fin ? Rien que pour ça, il était agaçant. Lloyd lui répondit d’abord d’un grognement résigné, sans quitter des yeux les deux boutons jaunes qui s’allumaient alternativement en haut de son tableau de bord.
Par contre, que la vie était courte, c’était pas faux. Surtout pour des gens comme eux, y’avait des chances pour qu’ils fassent pas vraiment de vieux os. D’ailleurs, ils avaient déjà failli tous y passer deux fois depuis qu’ils se connaissaient tous les trois. A croire qu’ils les cherchaient un peu, quand même. Et pourtant, la mort était un concept si impensable que la pression n’était pas si forte. Le risque de la mort prématurée de Mat’ avait plus d’impact sur Lloyd que l’idée de sa propre fin inéluctable.

- Un malentendu… répéta le Hapan pensivement, pourquoi ça m’étonne pas ?

C’était tellement plus facile de se moquer du mercenaire que de lui-même, mais c’était de bonne guerre. Malentendu ou pas, de toute façon, Jake savait bien mieux que lui tourner les choses à son avantage. C’était presque un art, en fait, tellement il était doué.

Par contre, un rang social très élevé, ça c’était quand même fou. Sur Ondéron en plus… Si ça tombe, sa fameuse dame côtoyait même la Reine ! Lloyd n’avait certainement pas de telles ambitions ! Et pourtant, Mat’ lui semblait à sa façon d’un rang élevé. Autrement que socialement. C’était un truc genre « élevée d’esprit », ou de pureté, ou de noblesse de cœur, enfin il ne savait pas trop. Et puis comme il était suffisamment passé pour un idiot pour la journée, mieux valait garder ça pour soi.

Lloyd croisa le regard de Jake. Aller voir comment elle allait ? Un peu plus et il aurait piqué un fard. Le mercenaire était pas du genre à abandonner facilement. Le Hapan soupira.

- Bon ok, t’as gagné. Mais pas de commentaires, hein ! fit-il en se levant de son siège. Et contrôle les coordonnées de la trajectoire d’hyperpropulsion, de temps en temps, il a tendance à dévier. Et… Ouais, bon, tu m’appelles si y’a un souci.

Après Mat’, la chose la plus importante à ses yeux, c’était devenu cette grosse carlingue plein d’huile et d’électronique. A elle au moins, il savait parler, songea-t-il en s’extirpant du cockpit. Il aurait bien aimé remercier Jake mais il ne savait pas comment s’y prendre, alors il se contenta de lui adresser un regard confiant avant de disparaître dans la coursive.

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-----------Pourtant, confiant, il ne l’était pas vraiment. Mat’ était si soucieuse de parvenir à faire d’eux une bonne équipe qu’il avait l’impression de la trahir en prenant le risque de se dévoiler – et probablement de l’embarrasser. Et quand il pénétra dans leur petite pièce médicale, il eut le sentiment renforcé qu’il fallait qu’il l’aide à faire en sorte que tout cela fonctionne, plus encore maintenant qu’elle était affaiblie.
Lloyd commença par ramasser les quelques compresses qui étaient restées par terre. Jake avait nettoyé vite fait le vomi de la demoiselle, mais il flottait encore une odeur âpre dans la pièce. Respirer le bon air d’Ondéron ferait du bien à Mat’, même si cela l’ennuyait de la remettre entre les mains des Jedi. Lorsqu’il eut fini de ranger un peu la pièce, il n’eut plus qu’à s’approcher d’elle comme s’il avait repoussé ce moment le plus longtemps possible mais qu’il n’y avait plus d’alternatives.
Les yeux de Mat’ semblaient bouger sous ses paupières. Rêvait-elle ? C’était déjà un progrès par rapport à l’immobilité effrayante dans laquelle elle avait été plongée pendant des heures. L’aide respiratoire était débranchée, et les électrodes qui surveillaient les signes vitaux de la Twi’lek également. Lloyd replaça délicatement les fils dotés de ronds de plastique sur les tempes et au-dessus de la poitrine de Mat’, mais il la laissa respirer par elle-même, cette fois. Il avait senti que la fièvre était toujours là – la peau de jade était brûlante sous ses doigts. Il ne savait plus guère comment l’aider. Pourquoi avait-il fallu qu’elle embrassât Jake, après tout le temps qu’il avait passé à ses côtés ? Mais comment lui en vouloir, d’un autre côté, puisqu’elle avait l’air d’avoir juste eu un accès de délire…
En soupirant, Lloyd passa un doigt sur la joue de Mat’, pensif, puis s’assit près de la couchette sur le petit meuble à roulettes (élégamment débarrassé par leur ami mercenaire moins d’une heure plus tôt.

- Je m’excuse de m’être énervé, Capitaine, murmura-t-il en se sentant bête comme un bantha de parler à une victime inconsciente. J’étais juste jaloux, voilà.

L’aveu lui avait brûlé les lèvres. Mais au moins il l’avait dit. A défaut d’être capable de lui expliquer tout cela si elle avait été consciente, il le disait à son subconscient. Une part d’elle l’entendrait peut-être, bien qu’il n’était même pas sûr de le vouloir. Il avait honte, voilà tout ce qu’il ressentait.
Lloyd prit sa tête entre ses mains, ses doigts passant dans ses cheveux blonds qui lui valaient son surnom à bord à cause de Jake. Si ça tombait, ils se moquaient de lui tous les deux, quand il n’entendait pas. Il l’aurait bien mérité, se disait-il, accoudé au lit de Mat’. Etait-elle si gentille avec lui parce qu’elle l’aimait bien, ou bien parce qu’il lui faisait pitié ? Jake devait savoir tout ça. Et le mercenaire ne l’aurait pas envoyé là s’il pensait que Mat’ allait se foutre de se gueule. Il faisait des blagues à deux balles et une chance avec les femmes qui frôlait l’indécence, mais il n’était pas si méchant. La Twi’lek non plus d’ailleurs, alors pourquoi être si parano…

- J’aurais voulu être là pour t’aider sur Artorias mais je ne vous ai pas accompagnés, et maintenant je me sens coupable de l’état dans lequel tu es, expliqua-t-il en commençant par le plus facile.

En même temps, c’était le boulot de Jake de tirer sur les ennemis, et lui devait faire marcher leur vaisseau. Et dire qu’il avait été formé au combat, lui aussi, mais qu’il avait rangé son sabre maudit pour ne plus avoir à s’en servir et que maintenant, il regrettait de n’être plus un combattant pour protéger quelqu’un qui comptait pour lui. Faut dire, il n’avait pas compté sur le fait qu’il y aurait ce genre de choses dans sa vie un jour. Et le dire alors, c’était encore plus compliqué. Mais Mat’ avait l’air inconsciente, c’était le moment où jamais…

Le Hapan se redressa et lâcha sa tête. Ses yeux verts comme la couleur de la peau de Mat’ contemplèrent encore une fois ce visage juvénile mais torturé avec tristesse. L’une de ses mains fébriles vint se poser sur son front. Il n’était plus assez calme pour utiliser la Force afin de faire tomber la fièvre, alors il se contenta d’évaluer la température. Toujours beaucoup de fièvre. Il fit glisser sa main sur la joue de Mat’, puis sur ses lèvres, avant de la retirer pour finalement lui prendre la main. Elle était aussi chaude que son visage…

- Je suis juste venu te dire que je tiens vraiment beaucoup à toi, et que je veux pas que tu t’en ailles, Mat’, murmura-t-il d’une voix blanche.

Il y avait du progrès, et pourtant le poison était toujours présent. Ondéron lui semblait si loin, il ne savait plus s’ils arriveraient à la sauver. Et si les Jedi ne pouvaient rien pour elle ?
Il serra un peu plus fort la main pâle de la Twi’lek. Il sentait une bouffée de chaleur lui brûler la nuque et le visage. Par contagion ou désespoir ?

- Je veux pas que tu me laisses, même si je le mérite pas…

Il porta la main de Mat’ contre sa poitrine et l’appuya au niveau de son cœur, en contemplant tristement l’état affaibli de la capitaine. C’était peut-être la seule liberté vaguement intime qu’il pourrait se permettre avec elle, qui pouvait savoir ? Si elle n’était pas sauvée, si elle ne voulait pas de lui, ou tout simplement s’il n’aurait plus jamais l’occasion de lui dire combien il était heureux qu’elle soit venue le retrouver sur Coruscant…