Bercé par le roulement régulier des propulseurs, le regard de Lloyd glissait pensivement d’un tableau de bord à un autre, où s’affichaient en jauges lumineuses les niveaux thermiques de leurs moteurs. Pas d’anomalie particulière, le voyage s’était déroulé sans encombre. Plus que quelques minutes avant l’atterrissage, et le jeune Hapan vérifia les niveaux de carburant –ils auraient largement assez pour repartir rapidement, en cas de pépin. C’était un objectif qu’il s’était donné d’emblée : la capacité du vaisseau à quitter une planète en un temps record était une priorité –il savait que c’était un détail qui pourrait sauver sa peau… Et celle de Mat’.

La Twi’lek était actuellement dans un autre espace exigu du vaisseau, mais la solitude de Lloyd le dérangeait bien moins que sur Coruscant. Ces loupiottes, ce ronronnement, ces secousses par moment, ces parois de métal flambant neuves et les petits fils plein d’énergie qu’ils dissimulaient… C’était cela, sa nouvelle maison. Depuis qu’il était monté dans l’appareil, il avait eu cette impression qu’il respirait avec la mécanique complexe du vaisseau, qu’il avait été avalé par une sorte de monstre sacré dont il serait le gardien. Il l’avait dit d’emblée à Mat’. Il s’en occuperait. Sérieusement.

Depuis quelques heures, ils n’étaient plus seulement deux à bord. La Twi’lek avait recruté un certain Jake Darinson, un type qui avait l’air d’avoir bourlingué, déjà. En apparence, il faisait plus vieux que Lloyd. Moins mignonnet, aussi –un humain mercenaire en somme, pas un Hapan au visage d’ange.
Lloyd s’enfonça plus confortablement dans le siège en similicuir noir. C’était confortable, même s’il n’était pas parfaitement à l’aise. La présence de cet individu en qui il n’avait pas tout à fait confiance le gênait légèrement –cela changerait peut-être avec le temps, si le type faisait ses preuves. Ils s’étaient à peine salués avant le décollage, et puis chacun avait vaqué à ses occupations. Parfois, Lloyd l’avait observé du coin de l’œil. A qui faisait-il confiance, en même temps ? A Mat’ peut-être, un peu plus qu’à d’autres. Sinon, il ne l’aurait pas suivie…
Le Hapan regarda les doigts de sa main droite. Sous ses ongles restait encore un peu du vert de la peinture avec laquelle il avait recoloré la carlingue de leur vaisseau. Un peu la même couleur que la peau de Mat’, songea-t-il avant d’effacer volontairement cette pensée de son esprit.

Une série de bips se fit entendre. Les propulseurs ralentissaient automatiquement à l’approche de Mon Calamari, et Lloyd se redressa sur son fauteuil, attentif. Il avait encore beaucoup à apprendre sur le langage de leur Soleil. Un véritable océan dans lequel noyer son ennui, fuir sa réalité. Parfait. Une vie de confort comme il n’en avait encore jamais connue. Il suffirait d’éviter de croiser des Jedi et des Sith... Là où il était rassuré, c’était que Mat’ avait l’air aussi peu que lui décidée à faire ami-ami avec des utilisateurs de la Force. Jamais encore les choses ne s’étaient si bien annoncées ! Cela cachait-il quelque chose qu’il n’avait pas perçu ?
Et Mat’, savait-elle qu’il avait été l’un de ces maudits sorciers ? Il ne se souvenait plus très bien de ce qu’il lui avait dit ce soir-là, sur le balcon. Avec l’alcool, elle avait peut-être oublié elle aussi… Il l’espérait. Au fond de son sac à dos, relégué dans un coin de la cabine, il avait enfoui son sabre-laser. Il fallait pas qu’il l’oublie quand ils atterriraient… C’était pas comme si l’arme était tout à fait inutile, même s’il éviterait carrément de s’en servir. Inutile de révéler ce qu’il avait été. Pour ce Darinson, d’ailleurs, il n’était qu’un mécano de base, et c’était très bien comme ça. Le petit blaster que Mat’ lui avait filé avant de partir ferait l’affaire jusqu’à ce qu’il trouve mieux.

Lloyd quitta soudain son siège et ouvrit le sas le plus proche de lui. Une petite pièce se révéla et il passa la tête par l’ouverture.

- On arrive ! lança-t-il dans l’oiseau de métal. Et on s’accroche, ça risque de secouer un peu !

Sans refermer derrière lui, il se jeta de nouveau dans son siège, les oreilles en alerte. Il lui fallut se forcer un peu à ne pas écouter ce que pouvaient bien faire les deux autres et se concentrer de nouveau sur les murmures du petit bijou qui les transportait. Lloyd boucla sa ceinture. De l'autre côté d'un hublot, les étendues d’un bleu éclatant avaient remplacé le noir profond de l’espace.

- Pfiou, soupira le Hapan pour lui-même, impressionné par le petit aperçu du paysage. Pas mal.

D’une pression sur un clavier mural, il désactiva le pilotage automatique et s’empara des commandes avec précaution. C’était presque comme toucher une femme un peu trop belle pour lui, il n’osait pas y aller trop franchement.
Cela faisait tellement de temps qu’il n’avait pas voyagé aussi librement que cette approche de l’atmosphère lui faisait l’effet du retour d’une cohorte de sensations d’une enfance oubliée. Les vibrations de l’appareil s’intensifièrent et l’adrénaline avec elle. Quelque part derrière lui, la voix de Mat’ se fit entendre et Lloyd éprouva une ivresse nouvelle dans ce mélange de perceptions, alors qu’ils traversèrent brusquement d’épaisses couches de gaz. Le mercenaire devait être dans le coin aussi, il sentait sa présence. Tant que Jake ne le dérangeait pas, il ne gâchait pas le plaisir momentané du Hapan.

Lloyd avait vaguement haussé les épaules, comme simple réponse au compliment que lui adressait Mat'. Il était loin d'être un pilote hors-pair -des vaisseaux, il en connaissait surtout les entrailles- mais avec un peu d'entraînement, il espérait pouvoir apporter sa pierre à l'édifice dans leur équipe. Non pas qu'il se sentît menacé, mais son capitaine en bottes de cuir avait quelque chose de motivant qu'il ne s'expliquait pas.

- Dix... Quinze minutes à tout casser, fit-il sans pouvoir détacher les yeux de l'océan interminable. Pas de souci pour moi, j'te suis.

Après tout, ici il n'était que mécano. A quoi allait-il servir dans cette mission, il ne savait pas trop. Le cerveau, c'était Mat', et le bras armé, Jake. Il n'était qu'un supplément, une sécurité. Cela lui convenait parfaitement, d'ailleurs : en cas de pépin, ils ne seraient pas trop de deux pour protéger la petite capitaine. Si tout se passait bien, il ne se ferait pas trop remarquer. Et puis, il pouvait toujours y avoir des tâches inattendues au cours d'une mission si particulière...

Les vibrations se firent moins intenses à mesure que l'appareil ralentissait. Ils approchaient de leur point d'atterrissage : un astroport sur une plate-forme aux proportions difficilement imaginables... Et qui accueillait le gros de la population non sous-marine de Mon Calamari.
Ce serait la première fois qu'il mettait les pieds ici. Pas de pressentiment particulièrement désagréable...
Mais il dévia leur trajectoire. Leur autorisation était sur une plate-forme plus isolée que les autres. Il n’en connaissait pas la raison.

Quelques minutes plus tard, leur vaisseau se posait sur le quai qui leur avait été assigné. Un atterrissage qui secoua un peu leur cabine -il y avait encore des progrès à faire, Lloyd ne connaissait pas bien l'appareil. Mais il se retourna sur son fauteuil pour faire à Mat' un sourire en coin. Il semblait dire "et voilà Madame !" mais il resta silencieux avant de détacher sa ceinture. Il avait hâte de sortir vérifier les pistons des énormes pieds qui servaient de soutien à l'appareil après une de leurs premières longues escapades.
Lloyd quitta la cabine en s'élançant dans l'appareil, activa à deux mains un levier près du sas d'entrée et la passerelle commença à s'ouvrir. De jets de vapeur s'échappèrent tout autour du vaisseau dans un puissant grondement sonore, qui empêcha un instant toute communication entre eux.
Le Hapan sentait en lui la même excitation que quelques minutes plus tôt lors de leur entrée dans l'atmosphère. Depuis combien de temps sa vie n'avait-elle pas été si intéressante ? Il ne savait pas comment rendre la pareille à Mat'. Jamais il ne pourrait...

Lloyd s'immobilisa sur la passerelle dès le premier pied posé, les sourcils froncés. C'était qui, ce mec qui les attendait ? Il avait loupé quelque chose ? La silhouette se tenait fermement dans la pluie et le vent, et Lloyd laissa Mat' passer devant lui. Il fit volte-face et retourna dans l'appareil sans un mot pour celui qui les accueillait. Il se contenta de retourner à la cabine, le pas décidé.

- On a un quatrième avec nous, murmura-t-il à Jake en le croisant dans la coursive.

Il accompagna ses mots d'un regard au mercenaire qui semblait dire "attention, je le sens pas" mais il n'ajouta rien de plus. Lloyd récupéra son sac - au fond duquel, son sabre-laser - et le mit sur son dos négligemment. Il pressa quelques boutons dans la cabine pour désactiver certains systèmes et enfila d'épais gants de cuir. Abîmés comme la plupart de ses affaires mais peu importait.

Quelques secondes plus tard, il ressortait du vaisseau, cette fois le dernier pour en refermer bruyamment la passerelle. Puis il se posta derrière Mat', une mèche de cheveux blonds en travers de ses yeux clairs... Et adressa un regard froid et vide d'émotion à l’étranger.

Si le baraqué Darinson avait pas l’air d’un enfant de cœur, l’avantage c’était qu’il allait probablement les débarrasser assez facilement du paquet d’emmerdeurs qu’ils risquaient de croiser sur leur route. Lloyd réprima un sourire en entendant la réponse de Jake à leur « guide », et garda le silence. Ce genre de mec, il ne le sentait pas trop, mais apparemment ils seraient bien obligés de se le coltiner s’ils voulaient accomplir leur mission. En tout cas, Lloyd était à peu près sûr qu’il devait avoir sacrément confiance en lui pour donner des leçons de cordialité à leur ami mercenaire, vu son propre comportement. Mais pour le jeune homme, l’important était les crédits, et il fallait espérer que Jake et Mat’ fassent taire leur ego autant que lui-même s’ils voulaient toucher leur rémunération.

Le Hapan avait fourré ses gants de mécano dans la poche arrière de son pantalon quand, vaguement dépité, il emboîta le pas de la petite troupe sur la passerelle. Le temps était exécrable mais avant de s’engouffrer dans le bâtiment, il prit soin de jeter un dernier coup d’œil à leur appareil, qu’il avait verrouillé derrière lui. Quelques loupiottes restaient allumées par ci par là et cela rassura le jeune Hapan, comme une mère aurait vérifié la régularité de la respiration de son enfant endormi.

Ils avaient quitté une machine pour une autre, en réalité. D’abord l’ascenseur et la super ambiance tendue dans laquelle ils l’empruntèrent tous quatre. Puisque le lieu où ils devaient retrouver les fameuses données était visiblement enfoui loin dans les profondeurs de l’océan, il allait ensuite falloir prendre une navette avec ce type. Ce n’était pas si risqué, si ? Ils étaient trois, qu’est-ce qu’un mec, à lui tout seul, pouvait leur faire ? Et pourtant, Lloyd avait un vague mauvais pressentiment en parvenant devant le vaisseau sous-marin qui allait les emmener vers le cœur de Mon Calamari.

C’était un appareil de taille assez réduite, probablement pour être autonome et rapide. Pilotage automatique, constata-t-il lorsque le sas étroit s’ouvrit. Lloyd s’engouffra le premier dans l’appareil –il lui fallut courber l’échine et il se demanda un instant si Jake n’allait rester coincé derrière lui- et s’installa au fond du minuscule cockpit, ne pipant mot, mais tâchant d’observer discrètement leur guide. Ce serait peut-être juste ça, son rôle dans la mission.
A sa ceinture était pendu son blaster. Il regrettait de n’avoir pas pris le temps de le bidouiller un peu, histoire d’accroître un peu les dégâts que pouvait faire sa petite arme bon marché. Il pensait ne pas avoir à s’en servir lors de leur première mission mais il n’en était plus si sûr…

Après quelques minutes de voyage au travers des eaux sombres de Mon Calamari, ils furent brusquement secoués, à deux reprises, et Lloyd s’accrocha à une poignée en hauteur. Il tâchait de voir ce qui se passait autour d’eux mais ils étaient déjà suffisamment profonds pour que le peu de lumière dispensé par l’appareil ne serve plus à distinguer grand-chose. Avaient-ils percuté une bête ? Ou un autre appareil ?
A contre cœur, Lloyd s’adressa à leur guide.

- On est encore loin ? lui demanda-t-il sur un ton qui se voulait égal, mais où transparaissait légèrement sa méfiance.

Encore fallait-il que ce ne soit pas la première fois qu'il fasse le trajet, lui non plus. Le type avait une stature militaire, notait-il. Le visage dissimulé, le port assez rigide. C’était p’tet ça qui l’avait empêché de lui faire confiance depuis le début. Lloyd aimait pas les militaires. Ni les Sith, ni les Jedi, ni les mecs en costards et encore moins ceux qui essayaient de vous vendre des assurances à la con dans les astroports. Renfrogné, il s’installa plus profondément dans son siège.

- Et alors, le guide, l’employeur t’a filé des détails qu’on devrait savoir ?

Nouvelle secousse, le Hapan grimaça. Il se dit qu’il aurait p’tet dû prendre les commandes, mais il n’avait jamais piloté sous l’eau. Ca ne devait pas être bien différent de l’espace, mais quand même…

Malgré l’ambiance tendue qui régnait depuis l’apparition du guide, Lloyd avait vaguement essayé de cacher le sourire que faisait naître sur son visage la farandole de jurons dont les gratifiait leur camarade mercenaire. De quoi rassurer un peu le jeune homme sur leur avenir à trois : des engueulades certaines mais une franchise sans pareille. L’ambiance bourrue lui conviendrait bien…

Ce qui lui allait moins, par contre, c’étaient les secousses étranges du sous-marin. Le Hapan haussa les épaules, tâchant vaguement de ne pas paraître affolé plus que ça –s’il y avait bien quelqu’un qui devait garder son sang-froid en cas de pépin technique, c’était bien lui.

- Heu, nan, lâcha-t-il finalement. Peut-être que c’est un p… - SHKABROUM !

Lloyd sentit soudain ses fesses décoller de son siège et un instant, les visages des trois autres passagers furent brouillés de sa vue par les vibrations du nouveau choc qui venait d’avoir lieu. Il grimaça un bref instant –sa ceinture lui avait valu un retour sans douceur contre la structure peu confortable du sous-marin- et il se détacha en catastrophe. Une voix féminine annonçait d’une manière ampoulée qu’ils étaient dans de beaux draps.

- Y’a quelqu’chose qui nous rentre dedans ! cria-t-il en formulant, certes, les pensées du reste du minuscule équipage, et en s’accrochant tant bien que mal à une poignée métallique près de l’écran poussiéreux du radar. J’suis pas sûr que le programme de défense automatique soit super moderne, si vous voulez mon avis !

Le regard du Hapan croisa celui de la Twi’lek. Ouais, avait-il envie de lui dire, il savait bien que c’était précisément le genre de moment où la capitaine attendrait que son équipe donne le maximum de leur énergie et de leur compétence. Le regard bleu était déterminé, et cela rassura brièvement le mécano.

- J’vais voir ce que j’peux faire ! lança-t-il finalement.

L’appareil se remit à vibrer tandis que Lloyd se contorsionnait pour rejoindre la station de pilotage. Il enfonça le bouton MANUEL et prit en main les commandes. Le sous-marin les secoua un peu et le Hapan serrait les dents en marmonnant dans sa barbe qu’il était spécialiste de l’espace, pas de la flotte, lui. Mais finalement, ça se conduisait à peu près pareil. Un bref instant, ils ne furent plus secoués par leur assaillant – qu’était-il ? – peut-être parce qu’il était surpris de ses mouvements moins coordonnés.

- HE LE GUIDE ! JE VAIS PAR OU ?!

Le silence du dénommé Jared l’inquiétait quelque peu. Etait-il terrorisé, ou son crâne avait-il trop violemment heurté le plafond très bas du sous-marin ? Lloyd se tordit le cou pour voir derrière lui –mais le guide avait le dos tourné sur son siège. Mat’ et Jake s’accrochaient toujours.

- Vous pouvez m’dire si vous voyez quelque chose ? leur demanda-t-il en se retournant vers ses écrans de contrôle.

Lloyd n’avait pas besoin de voir l’extérieur –les écrans des radars lui indiquaient suffisamment bien les obstacles et la direction générale de l’appareil. Mais il existait toutefois deux hublots, minuscules et mal nettoyés, de part et d’autre du sous-marin. L’un d’entre eux verrait peut-être ce qui s’en prenait à eux… La forme rouge et informe qui apparaissait sur l’écran du radar tribord ne lui indiquait rien du tout –si ce n’était qu’il y avait bel et bien quelque chose qui s’amusait à leur foncer dessus régulièrement.

Dans tous les cas, il allait falloir trouver autre chose car leur assaillant avançait à une allure certaine. Même à plein régime –et il ne voulait pas non plus bousiller tout le carburant- ce machin les suivait avec détermination. Sa supériorité en volume était évidente… Il allait falloir ruser. Trouver une stratégie pour semer ou dissuader l’ennemi…

Lloyd sentit une présence derrière lui et il reconnut le cliquetis caractéristique de l’armure du mercenaire lorsqu’il se déplaçait. Probablement Jake essayait-il d’apercevoir quelque chose à travers le hublot derrière lui.

- Tu crois pas que si on lâchait le guide derrière nous, ça pourrait l’occuper… ? ironisa le Hapan à voix basse en direction du mercenaire.

Le Hapan grimaça au-dessus des commandes. Venant de Jake qui semblait tout prendre à la légère, « être dans la merde », ça devait vraiment chauffer pour eux. Pourquoi est-ce qu’il était parti de Coruscant déjà ? Parce qu’il était à l’étroit et que c’était ennuyeux ? Tu parles d’une bonne idée qu’il avait eu là de suivre Mat’ ! Encore un coup d'génie, pauv’ type, se gratifia-t-il intérieurement. S’il se sortait de là, il promettait d’être un peu moins regardant quant à ses conditions de vie.
Bref, l’important était de trouver comment se tirer de là. Il ne répondit au mercenaire que par un haussement d’épaules, signifiant qu’il n’avait pas non plus de meilleure idée.

Lloyd lâcha un instant les commandes d’une main pour s’essuyer le front, sans y penser. Il sentait l’huile de maintenance mélangée à la poussière. Depuis combien de temps ce truc n’avait-il pas été utilisé ? C’était un appareil d’antiquaire, il le voyait bien. Le truc pas tout à fait au top niveau technologie pour se défendre, en gros. Le Hapan se garda toutefois de commenter cela à voix haute, histoire de pas effrayer tout le monde, déjà que c’était pas la joie…

- Heu, ben… bafouilla-t-il, ses yeux cherchant désespérément quelque chose qui ressemblerait à un bouton activant une défense manuelle en réponse à la Twi’lek.

Il en essaya un, qui fit annoncer cordialement à la voix féminine que la température en dehors de l’appareil était de 4 degrés Bakuriens –autant dire pas très chaud- et qu’ils étaient à 889 pieds au-dessous de la surface de l’eau.

- Ah, non c’était pas ça, ‘tendez…

Une nouvelle secousse envoya valdinguer l’appareil et Lloyd se raccrocha brusquement aux commandes pour essayer de reprendre une trajectoire qui ne les mettait pas trop en danger. Il se tordit brièvement le cou pour vérifier que ses compagnons ne s’étaient pas complètement cassés la figure, mais Mat’ était juste tombée sur Jake, qui l'avait récupérée d'un bras plein d'assurance. Lloyd s’employa à faire comme s’il n’avait rien remarqué et refit face à ses commandes.

- Je vais trouver, je vais trouver, répéta-t-il d’une voix absente.

Et effectivement, un renfoncement sous un siège de l’appareil émit un « cloc » : un petit coffre s’était ouvert, sous lequel trônaient les commandes de turbolasers légers, accompagnées d’un ordinateur de visée. Lloyd ne se retourna pas pour le constater de ses yeux cette fois –pas spécialement envie de s’infliger la vision de la jolie Twi’lek blottie dans les bras du mercenaire, en réalité. En fait, il fut surtout soudain surpris par le fait que le corps du guide avait roulé jusqu’à eux, inerte.

- Merde ! Il a dû tomber sur le crâne…

Mais il ne lâcherait plus les commandes, cette fois. Trop risqué. Tant pis pour le guide, il était chiant de toute façon. Ils s’occuperaient de lui s’ils s’en sortaient…
Le Hapan se reconcentra sur sa tâche de pilotage. Il s’était mis à faire des ronds dans l’eau, des trajectoires un peu aléatoires pour que la bête ne puisse prédire leur cheminement et ne parvienne ainsi plus à les toucher. Mais ils ne pourraient pas faire ça jusqu’à leur arrivée… Question de carburant limité, mais aussi du fait qu’il ne faudrait pas que la créature s’en prenne à eux pendant leur amarrage à la station.

Tout un programme… Et il n’était même pas sûr d’y arriver. Mais il garderait ça pour lui, autant pas saper les espoirs de tout le monde tout de suite...

- On est plus très loin, mais ce machin nous laissera pas nous amarrer tranquille, il faut nous en débarrasser ! cria-t-il par-dessus son épaule. Si je repasse en mode automatique, on va décélérer et c’est pas bon pour nous, Mat’ ! Jake ?

Il finit par se retourner pour voir ce qu’ils en pensaient.

- J’ai aucune idée de la puissance de c'truc, lâcha-t-il avec un signe du menton négligent vers les commandes du turbolaser. Mais tu peux essayer de le dégommer avec ça, pour voir ?

Lloyd grimaça au-dessus des commandes. Il ne comprenait pas très bien comment se débrouillaient les deux autres pour faire des vannes, comme s’il n’y avait rien de plus sympathique comme situation que d’essayer d’échapper à un monstre marin qui vous prenait pour un jouet en plastique à mâchouiller. Mais il ne fit aucun commentaire et se contenta de hausser les épaules à la question du mercenaire : un peu de fumée ne le dérangeait pas, si ça pouvait le soulager lui…

Le Hapan dut virer de bord alors que le monstre apparaissait à leur droite, prêt à leur donner un nouveau coup pour les malmener. Le visage rouge de chaleur et le cœur battant la chamade, il évita maladroitement une collision dangereuse. Il n’osait pas se retourner pour voir comment s’en sortaient les deux autres, de peur de laisser une occasion à leur ennemi de les avaler tout cru. Les indications orales de Jake lui donnaient de toute façon une vague idée de la position de la bête.

- A l’aveuglette ?! s’écria-t-il malgré lui face à la vitre de pilotage. Ça veut dire quoi ça !

Qu’elle tirait en face d’elle ? On ne connaissait pas son angle de tir ? Il fallait qu’il se place spécialement ou bien… ?
Mais il n’eut pas le temps de réagir davantage que Mat’ arrivait à la fin de son décompte. Le sous-marin fut ébranlé par une vibration puissante et Lloyd se sentit secoué sur son siège, tâchant tant bien que mal de se raccrocher à ses commandes. L’instant d’après, des affaires volèrent devant ses yeux et il sentit qu’il avait la tête en bas –mais les choses se déroulèrent si rapidement que par chance, il ne fut pas éjecté de son siège. Les entrailles sens dessus dessous, ils se retrouvèrent à nouveau dans une position normale vis-à-vis du fond de l’eau et Lloyd essaya de retrouver sa trajectoire initiale.
Et à sa grande surprise, le calme était revenu et aucun monstre n’en avait profité pour leur coller un nouveau coup de nageoire. Le Hapan se décolla de son siège pour s’approcher du plexiverre et se tordit le cou pour apercevoir leur ami marin. Mais il n’y en avait plus aucune trace.

- Plus rien. Y’a plus rien ! Il est parti j’crois ! s’exclama-t-il avec un soudain sourire, même s’il avait du mal à y croire. Wouh ! Tu fais pas semblant quand tu shootes Mat’ !!

Il lâcha brièvement les commandes pour se mettre sur ses deux pieds et se retourner, le temps de voir furtivement ses deux compagnons se lâcher la main et le guide rouler d’une manière légèrement pathétique au fond de l’appareil. Le sifflement irrégulier de leur vaisseau lui rappela qu’ils n’étaient pas tout à fait sortis d’affaire et Lloyd se contenta de se frotter les mains d’un air vaguement gêné.

- Bon, on fêtera ça plus tard, je crois. Faut qu’on débarque. Je parle pas sous-marin, mais ça sent pas bon tous ces bruits. Je vais nous faire repasser en pilotage automatique pour qu’on trouve cette station de malheur.

Et il se glissa de nouveau dans son siège. Il ne savait pas très bien ce qui l’avait fait passer de la terreur à l’extase puis à une résignation blasée. Mais ils étaient vivants, et c’était ce qui importait.

Par les hublots de leur sous-marin cahotant, ils entrevirent au bout de quelques minutes un édifice métallique composé de multiples sphères à demi enterrées dans les fonds sableux. Ils faisaient vaguement penser à un groupe de méduses immobiles. Bientôt, pourtant, les sphères grossirent, grandirent jusqu’à ce qu’ils se sentent minuscule face à la construction Mon Calamari. Le sous-marin se dirigea vers un trou dans l’une des plus petites proéminences –mais la voix n’annonça plus rien. Un fil avait dû la déconnecter, estima le Hapan, et il se contenta de se tasser au fond de son fauteuil tandis qu’ils circulaient maintenant dans un tunnel d’eau pressurisé. Ce dernier finit par les recracher dans un bassin au fond duquel avaient été inscrites des indications en basic. Lloyd n’eut qu’à actionner une commande pour remonter à la surface et ils émergèrent dans une série de cahotements qui s’interrompirent en même temps que la cabine était dépressurisée.
Lloyd toussota, se retourna sur son fauteuil, et rentra la tête dans les épaules d’un air d’excuse :

- Il a rendu l’âme, j’crois. Je… J’pourrais p’tet en trouver un autre utilisable dans l’coin, si vous vous chargez d’aller trouver ces données. Mais on fait quoi du guide ?

Il n’avait pas spécialement envie de le ramener à la surface, en fait. Il ne le sentait pas, ce type, même avec la bosse qu’il avait dû prendre sur le crâne. Mais bon, il se doutait que Mat’ était pas le genre à condamner un type, même désagréable et sur les simples pressentiments d’un mécano un peu paumé.

- Après vous, fit-il finalement en haussant de nouveau les épaules.

« Le meilleur. » Mat’ en avait de bonnes quelques fois… Mais Lloyd n’avait pu s’empêcher d’esquisser un sourire. Il n’avait pas vraiment l’habitude de recevoir des compliments –et si même le mercenaire avait trouvé qu’il s’en était bien sorti, ce devait être que pour une fois, il n’avait pas trop merdé. Lloyd se sentait légèrement honteux d’être si content, mais il se garda bien d’exprimer l’une ou l’autre de ces émotions. Il se contenta de les suivre en-dehors du sous-marin après avoir attrapé et mis son sac-à-dos sur l’épaule. Il enfonça les mains dans ses poches dehors.

- Ok, ça m’va, accepta-t-il sans plus de commentaire.

Et ils s’engouffrèrent dans les couloirs déserts de la base sous-marine –Polo en tête sur l’épaule de Jake, le Hapan ferma la marche en visitant le nez en l’air.

Tout était étrange, ici. Le silence en premier lieu, l’odeur d’humidité et de rouille qui semblait plus prégnante au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le bâtiment, et le fait qu’il ne subsistait aucune trace de lutte. Où les équipes précédentes étaient-elles mortes ? Lloyd s’était attendu à trouver des cadavres jonchant le sol à cause d’un air vicié ou d’un animal sauvage, mais il n’y avait aucune trace de tout cela. On aurait plutôt dit une entreprise qui avait fermé du jour au lendemain.

Plusieurs embranchements se succédèrent et Lloyd se disait que si, ils étaient des meurtriers. Enfin, au moins deux d’entre eux. Jake déjà parce qu’il n’avait pas l’air d’un enfant de cœur et qu’il n’avait sûrement pas appris à se servir de son arme sur des peluches, lui ensuite parce qu’il savait très bien la vie qu’il avait eue avec les Sith. Rien que d’y repenser, les padawans du Temple qu’on lui avait demandé d’abattre… Merde, si, ils étaient des meurtriers. Même en essayant de se racheter, ça n’arrangerait jamais rien à ce qu’il avait fait.

Lloyd buta sur quelque chose sur le sol et le bruit du métal percuté résonna longuement dans le couloir. Il haussa les épaules pour certifier que tout allait bien quand les deux autres se retournèrent vers lui. Il avait juste shooté dans un cylindre de canalisation qui traversait le couloir. Drôle de construction, tout de même… Ce n’était pas le premier qu’il enjambait, et Lloyd commençait à s’interroger sur leurs fonctions : les eaux usées devaient plutôt être pompées et rejetées dans l’océan, et donc se diriger vers l’extérieur de l’édifice. Or, ces canalisations là avaient plutôt l’air de quadriller la zone consciencieusement. Ce ne pouvait être des arrivées d’eaux, le diamètre des tubes étaient bien trop larges. Peut-être était-ce un gaz qui transitait là-dedans ?

De réflexion en pensées vagabondes, le temps s’écoula et le décor autour d’eux se modifia légèrement. Il y avait enfin des portes. Enfin, c’étaient plutôt des sas dont les battants lourds étaient serties de manivelles semblables à celles des sous-marins. Avaient-ils peur que la station prenne l’eau ? Peut-être.
En tout cas, certains d’entre eux étaient ouverts et ils donnaient pour la plupart sur des minuscules rangées de couchettes. Ils devaient être dans des dortoirs… Parfois, il y avait juste un bureau et des papiers éparpillés. Mais nulle part il n’y avait de trace de lutte.

Le silence et l’étrangeté de tout ceci commençait à peser doucement lorsqu’ils débouchèrent sur une large salle de travail. Des tables, des terminaux informatiques, un plan de la station.

- Ah ! fit Lloyd avec intérêt.

Voilà qui leur servirait bien pour s’orienter. Mais une chose le frappa d’emblée en entrant dans la pièce pour observer la carte de plus près : il était strié de faisceaux jaunes luminescents… Etaient-ce les canalisations qu’il avait repérées qui étaient représentées là ?

- C’est drôle, ces tuyaux, commenta-t-il en fronçant les sourcils. Ils doivent être importants parce que..

Trois détonations le firent sursauter. Des tirs ? Demi-tour pour apercevoir les deux autres. Ce n’étaient pas eux qui avaient tiré. Instinctivement, Lloyd jeta un œil par l’ouverture qu’ils avaient emprunté pour rentrer. Personne. Les tirs venaient peut-être de loin ?
Ils s’interrogèrent du regard et Lloyd fit doucement glisser son sac de son épaule pour en sortir son blaster. Ce n’était peut-être qu’un droïde détraqué. Ou un système de sécurité. Ou les pistons d’une machine un peu bruyante et dont il ne fallait pas s’inquiéter.

- Je prends Polo un peu, si tu veux, proposa Lloyd en chuchotant.

Autrement dit, s’il y en avait un qui pouvait prendre les devants pour voir ce qui les menaçait… Ce serait peut-être de la compétence du gars aux blagues pouraves et au sourire ravageur.

Le baraké avait peut-être un sens de l’humour un peu spécial, au moins, il ne rechignait pas à prendre son rôle de bras armé. Voilà au moins qui rassurait le Hapan même s’il était forcé de constater que niveau courage, il avait encore quelques progrès à faire… Il comprenait que Mat’ offre de si jolis sourires au mercenaire, du coup, et se promit d’essayer de prendre un peu plus de risques, même si ce n’était pas vraiment son fort.

Alors que Lloyd se mettait à soutenir tant bien que mal leur guide toujours inanimé, une nouvelle série de détonations retentit, bien plus proche cette fois-ci. Le Hapan sursauta tandis que Jake se rabattait à l’intérieur pour se protéger. Mat’ essayait de s’activer sur une console de sécurité et fit appel à lui.
Tant pis pour le guide qui se retrouva avachi par terre – de toutes façons, il n’était pas très utile à part pour exercer un peu les muscles de Lloyd – et le Hapan se retrouva aux côtés de Mat’ les secondes suivantes.

En fait, il n’avait pas spécialement de connaissances en informatique – sauf pour les circuits électroniques du Soleil Vert mais ça, c’était différent – mais qui ne tentait rien n’avait rien…
Tandis que Mat’ démontait littéralement l’interface pour y trouver de quoi se connecter, Lloyd tenta de déchiffrer l’écran en fronçant le nez et les sourcils : c’était pas que du basic. Merde alors, ça allait pas être de la tarte !
Un coup d’œil près de ce que faisait Mat’ lui apprit que de l’eau se baladait dans les circuits du terminal.

- De l’eau ? Mais c’est dingue ! Ca doit être ça dans les tuyaux, toute leur mécanique doit être basée sur…

Il fit un mouvement et une grimace du genre « laissez tomber » en se rendant compte qu’il partait peut-être un peu trop dans des délires techniques. De toute façon, les détonations reprenaient – et se rapprochaient !! – et il n’était plus temps de discuter. Lloyd aida Mat’ à brancher son comlink avec un peu de fébrilité. La proximité de la Twi’lek rendait difficile sa concentration, sans vraiment qu’il arrive à se comprendre lui-même. Putain, se répétait-il tandis qu’il essayait plusieurs branchements, pourquoi faut-il que je sois si con à un moment pareil !

- Là ! Ca a l’air de répondre ! Lance le programme, j’crois que ça urge !

Effectivement, à peine avait-il terminé ses mots que le droïde de sécurité approchait de l’encadrement de leur porte. Les détonations devinrent assourdissantes et dès que la pièce fut illuminée du bleu laser, Lloyd attrapa Mat’par les épaules et se jeta avec elle à l’abri derrière le grand écran qu’il avait examiné un peu plus tôt. Il se couvrit les oreilles une fois à terre tant la pièce résonnait… A cause de l’eau, oui, ce devait être elle dans les tuyaux… Et si seulement il y avait un moyen…
Jake semblait faire cracher son arme pour répondre vaillamment au droïde – en fait il n’en savait rien, mais il fallait espérer que c’était surtout lui qu’ils entendaient. Le Hapan se mit à ramper jusqu’à la console où ils avaient laissé pendre le comlink de Mat’ avec le programme enclenché. Il s’accroupit alors, la tête rentrée dans les épaules comme si cela pouvait éviter qu’il se prenne un tir de blaster, et se hissa doucement jusqu’au petit écran de contrôle.

- Ça a marché ! s’exclama-t-il même s’il y avait peu de chances qu’on l’entende. Mais…

Mais pas de commande pour fermer la porte. Ce n’étaient que des commandes pour les tuyaux ! Qu’est-ce qu’il pouvait bien ficher avec de l’eau !
Il allait renoncer et retourner auprès de Mat’ quand finalement, il retourna sur la console pour pianoter. Quelques secondes suivantes, certaines des canalisations au-dessus d’eux ouvrirent de petites douches qui les inondèrent. Lloyd tâcha d’orienter les jets sur le droïde mais Jake était de toute façon déjà en train de l’achever, le droïde s’étant effondré à terre à cause du sol devenu glissant.

Quand le silence revint, seulement perturbé par le pschiii de l’eau qui les arrosait toujours par endroits, Lloyd se redressa doucement. Il jeta un œil vaguement inquiet à chacun d’entre eux – mouillé comme lui – et ne se rendit compte qu’alors que peut-être c’était pas une si bonne idée que ça.

- Hum… J’ai rien trouvé de mieux. Ton arme craint l’eau où… ?

Lloyd fit une grimace d’excuse. Il imaginait pas trop comment ça finirait s’il avait eu la bonne idée d’abîmer l’objet qui était sûrement le plus précieux aux yeux de Jake. Sans compter les cigarettes, bien sûr. En tout cas, ils avaient lavé le guide dont Lloyd n’aimait pas trop l’odeur, c’était déjà ça.

- La bonne nouvelle, c’est qu’on va pouvoir arroser les pièces où on va avant de nous y rendre, comme ça on sera sûr pour les droïdes de sécurité. Leur système informatique a l’air complètement conçu pour résister à l’eau, c’est cool non ?