Paul Hardin
Paul Hardin
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Ce texte se situe bien avant l’histoire actuelle, Paul avait alors la trentaine, une situation moins stable, du courage à revendre et des déceptions sur le coeur. Ce jour-là, il rencontrait, dans ce cadre fort original, Paul Daunterk, qui deviendra un ami proche et un protagoniste de premier plan de son histoire.


Dans la ville d’Alméria, comme sur Druckenwell en général, il semblait que la météo n’acceptait que deux variations principales : un radieux soleil ou de mornes nuages grisâtres et sales. Ces deux variations, capricieuses, ne duraient jamais plus de deux semaines chacune cependant, mais elles semblaient elles-mêmes divisées par quelques jours d’une intense pluie qui donnait à la planète un climat tropical désagréable.
Elle tombait ce jour-là, drue et étouffante, sur les hauts gratte-ciels dont la pointe se perdait dans la basse couche nuageuse, comme si les blessures ainsi infligées expliquaient toute l’eau qui s’en échappait sans discontinuer.
De ce déluge naissait un miroir qui tapissait le sol de la ville. S’y reflétaient, avec harmonie, les lumières des feux de signalisation, les phares des auto-taxis ou les silhouettes brouillées des speeders. Les rues s’étaient vidées de leur passants ; seuls quelques-uns, rares, bravaient le froid et les flots, leur électro-parapluie à bout de bras, le pas rapide. Les autres luttaient pour esquiver les gouttes, sans succès.
Ce temps expliquait également le nombre si réduit de clients dans la toute petite librairie « La foire holo-livres » d’un coin de rue. Située à la base d’un énième immeuble, encadrée de magasins aux rideaux de fer tirés, ses lumières formaient l’unique bougie d’une rue éteinte. Repère de fouineurs, cette boutique était l’endroit où une grande majorité d’auteurs avaient fait leur débuts, sur Alméria, et en taisaient aujourd’hui le nom. Était-ce la honte ou l’oubli ? Pourtant, d’étagères en étagères s’empilaient de nombreux livres, papiers ou holographiques, de tous âges et de toutes époques ; le personnel, quoiqu’extravagant, était chaleureux et passionné. Certes exigus, les couloirs s’emmêlaient toutefois en un labyrinthe de mots et de poussière dans un plan dévoilant des trésors d’imagination pour user de toute la place disponible.
Le ciré mouillé de Paul, négligemment accroché à l’unique porte-manteau trônant à l’entrée du magasin, détrempait le sol. Il avait couru ce matin-là, comme tous les autres, et n’avait pas réussi à esquiver les gouttes de pluie, comme tous les autres. Sur la droite, dans une pièce un peu plus spacieuse que les habituels passages, Paul était assis derrière une petite table, chiche de tout apparat. Devant lui, déposés à même la table ou redressés sur des présentoirs, le même livre. Le même auteur : Paul Hardin.
« Précis d’économie. Quelle ennui. Vous auriez pu mieux faire. »
Un jeune homme s’avançait vers lui. Son costume mal taillé et son noeud papillon has-been contrastaient avec sa voix, calme et posée, qui ne trahissait ni humour, ni animosité. Il n’était pas très vieux, la trentaine tout au plus et, malgré son air mal fagoté, il exsudait de lui une résolution confiante.
Face au silence de Paul, il poursuivit.
« Grande qualité, pertinent. Vous avez fait vos recherches. Mais votre titre. Médiocre.
— Je ne sais pas si je dois vous remercier ou m’en offusquer, répondit Paul.
— Comme vous le souhaitez. Bonnes théories. »
L’homme avait cette étrange manière de s’exprimer, avare de verbes. Il formulait la plupart du temps des phrases nominales courtes, comme si utiliser un verbe lui aurait coûté une trop grande quantité d’énergie ou comme s’ils ne suffisaient pas à expliciter sa pensée. Il s’en affranchissait donc et cela lui donnait un air robotique.
« Votre nom ? demanda Paul.
— Daunterk. Prakin Daunterk.
— Hardin. Paul Hardin, répondit-il d’une voix égale.
— Sur la couverture. C’est marqué, remarqua Prakin en pointant les ouvrages d’un doigt tendu. »
Paul baissa les yeux un instant et ne sut que répondre. Il changea de sujet.
« Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Oui. Une signature. Sur votre livre. Là, oui.
— Signer ? »
Prakin hocha brièvement la tête.
Il se retourna pour vérifier que ce Prakin ne parlait pas à quelqu’un d’autre derrière lui, magiquement apparu entre temps. Il n’y avait personne, seulement lui et une étagère encombrée. Paul n’avait vendu que quatre livres depuis ce matin à des clients qui ne semblaient même pas apprécier leur achat. Il s’était acheté, à midi, un sandwich miteux à base de protéines modifiées ou quelque chose comme ça. Ç’avait un goût de papier, salé et répugnant. Euphémisme que décrire cette journée comme « passable ».
C’était à près de 16h qu’un tel énergumène, à la mise singulière et l’élocution économe, se pointait, courbé, et réclamait une signature sur son livre. Paul sentait que des émotions paradoxales se chamaillaient et résista pour les faire taire. Il se prit à réfléchir à la meilleure manière de lui apprendre la courtoisie. Seulement, pouvait-il, sans état d’âme, refuser le seul compliment apparemment sincère qu’on lui eut adressé aujourd’hui ?
« Eh bien, je suppose que je me dois d’accéder à votre demande, finit-il par dire en prenant un stylo. Vous préférez une version holographique ou bien l’un des cinq livres papiers collector ?
— Collector.
— Vous… vous êtes sûr ?
— Oui. »
Il griffonna une signature, le bras mal aisé. Il doutait de savoir encore écrire à la main, activité qu’il n’avait que bien peu pratiquée depuis ses seize à dix-huit ans. Il parvint à signer, toutefois.
« Vous avez travaillé dans une association ? J’ai lu. Bravo. Economie de la santé. Quelle connerie, reprit Prakin.
— Effectivement, répondit Paul, intéressé. J’enseignais des notions de littérature, de langue et d’ouverture au monde à des détenus. Tant de joies et de tristesses, des vies brisées. Quant à l’économie de la santé, je pense que… vous l’avez lu, ce me semble, vous connaissez donc mon avis.
— Qui est le mien. »
Malgré toute l’originalité de cet homme, de sa posture comme de ses manières, Paul, au-delà même d’opinions convergentes, appréciait l’individu. Il semblait plus mal à l’aise qu’autre chose, à la manière d’une personne qui n’a pas l’habitude de s’adresser à des étrangers ou peu encline aux situations sociales. Derrière cela, il semblait tout à fait sincère.
Dehors, après une courte accalmie, la pluie avait redoublée d’effort pour inonder le trottoir. Les bouches d’évacuation, engorgées de déchets abandonnés, ne remplissaient plus leur rôle et, bientôt, plusieurs centimètres d’eau baignèrent les pieds des quelques piétons.
« Je tiens un colloque à ce sujet, dans quelques semaines, reprit Paul. Peut-être seriez-vous intéressé ? 

— Oui. »
Quel entrain !
« Voici pour vous, une carte avec mes coordonnées, contactez-moi et je vous transmettrai tout ce qu’il faut.
— Merci ! avait répondu Prakin avec, pour la première fois, une pointe d’exclamation dans sa voix.
— De rien, merci à vous, M. Daunterk ! »
C’était ainsi, après quelques derniers échanges, que Prakin, silencieux, déposa des crédits sur la table et partit. Paul reprit sa place, rengorgé d’une fierté qu’il savait de courte durée, mais ô combien douce. Combien était-il si doux d’être, de temps en temps, apprécié, congratulé, que l’on s’intéressât à vous. Pour Paul, l’ultime heure de la journée dans cette librairie où ses seules interactions, hormis Prakin, s’étaient résumées à des « bonjours » rigides, aux sourires gênants des employés qui, après 10h du matin, avaient arrêté de lui proposer des verres d’eau et au droïde, à la porte d’entrée qui, par deux fois dans la journée, s’était réveillé pour annoncer deux clients inexistants, cette ultime heure lui fut presque agréable.

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