L’holovidéo démarrait sur un cadrage apaisant : une vue imprenable sur les forêts de conifères gelés de Galidraan. On pouvait voir le zénith illuminer les cimes de ces arbres aux aiguilles robustes. Le soleil diffusait dans l’air une lueur vague et chaleureuse. L’objectif de l’appareil refit sa mise au point, car une ombre était apparue au milieu de ce panorama paisible. C’était une rivière de boucles de jais et des lèvres maquillées d’un rouge grenat brillant qui articulèrent un sourire :

Sa voix était belle, comme son regard qui avait surgi dans le champ de l’holocamera et qui ensorcelait ses capteurs. Elle portait un manteau de la même couleur que ses lèvres, à la doublure rembourrée qui signalait le climat presque polaire de la planète malgré le soleil, malgré le ciel d’un bleu absolu pour le moment.

Elle regarda aux alentours et rapprocha sa figure aux joues rosies par le froid, comme elle se serait rapprochée de lui pour faire une confidence. Sa chevelure coula autour de ses traits nacrés, l’or de ses yeux parut éclatant tant il était proche et elle poursuivit d’une voix un peu blasée.

De temps à autre, elle glissa une œillade hors champ, comme si elle surveillait quelque chose. Son minois disparut un moment et on l’entendit soupirer. Puis, son visage jaillit de nouveau :

Il faisait noir. Et l’écran holographique du datapad renvoyait sur les traits de Dana, les dernières images d’une holovidéo qu’elle n’avait jamais envoyé. D’étranges bruits se manifestèrent autour d’elle, ce qui la poussa à rallumer l’holocaméra qui était branchée à son pad. Elle respirait fort et ses mains sales pianotèrent rapidement sur l’appareil. Bientôt elle se vit, les yeux alourdis par des cernes violacées, la peau pâle et les lèvres gercées par la sécheresse du froid. La pénombre de la pièce où elle se trouvait jetait sur son derme des ombres inquiétantes. Elle planta son regard dans l’objectif et articula, le souffle saccadé par la peur et l’angoisse :

Elle déglutit, rassemblant ses mots et du courage.

Le peu de lumière de l’endroit s’évanouit et l’holocaméra ne filma plus qu’un champ noir, mais la voix de l’Inquisitrice résonna une dernière fois :

Du socle holographique jaillit le décor d’une chambre d’hôtel plutôt luxueuse. Les lumières semblaient tamisées malgré le filigrane bleuté que l’holoprojecteur renvoyait sur l’image. Le visage de Dana apparut bientôt, comme il était apparu des semaines plus tôt dans une holovidéo en provenance de Galidraan. Elle prit du recul, dévoilant sa silhouette, la veste en cuir qu’elle avait refermé, le short court, les bas auto-portants, les bottines à talons et ses cheveux rassemblés en une couette haute.

Hey Lloyd…

Sa voix était familière, comme à chaque fois et chaude, presque réconfortante.

Je voulais te donner des nouvelles…je commence demain mais…je me suis dit que…je pourrais te souhaiter bonne nuit.

Cette fois-ci, son regard ne fuyait pas dans d’autres directions, signe qu’elle était absolument seule et en sécurité. Ses yeux dorés ne quittaient pas les capteurs et à travers eux, ils plongeaient dans ceux de celui qui recevrait le message.

Assure-toi juste que Mumkin n’est pas dans le coin.

L’holoprojecteur vacilla un peu. L’image d’une Dana aux joues rougies s’épanouissait au-dessus du socle. Elle ne s’était pas rhabillée et savourait une cigarra entre deux bouffées de toxines, elle s’humecta les lèvres et se pencha vers les capteurs. Il vit bientôt son visage de très près alors qu’elle souriait.

Tu trouves que j’ai grossi ?

Autant tâter prudemment le terrain, essayer de savoir s’il avait remarqué quoique ce soit.

Mumkin dit que ça me va bien quelques kilos en plus et que t’aimais aussi les femmes enrobées..

Un rire sincère lui échappa parce qu’elle trouvait la situation, ce sujet, si absurde. Mais ce ne serait pas la seule chose absurde qu’ils échangeraient.

Mais si ça te déplaît, je peux faire un régime hein,

Elle le provoquait avec insolence.

Ecoute, je sais pas quand tu auras ce message, je serai peut-être en train de fracasser quelques traitres. N’oublie pas de nourrir Luis. Si tu veux me contacter, passe par mon datapad. Ah et j’ai un peu pété un câble ce soir….les gens avec qui je dois collaborer, ils vont me rendre folle. Merci pour le sabre.

- Hey.

Le hapien regarda le communicateur avec une brève moue d’embarras. Autour de lui sa cabine à bord du Sans Visage apparaissait dans une lumière tamisée. Un léger reflet rouge laissait deviner que la guirlande de Jabiim était toujours coincée dans une couleur unique. Et surtout, qu’il l’avait allumée en son absence.
Finalement il s’assit. Un bref sourire se dessina sur ses lèvres.

- Heu… Merci pour la… La vidéo. C’était…

Il jeta un coup d’œil en direction de l’écoutille, comme s’il voulait vérifier que Mumkin ne serait pas dans la coursive au mauvais moment. Un bruit sec et des cris lointains lui apprirent que non ; le dévaronien était en train de nourrir Luis. Alors il se pencha vers l’holocommunicateur.

- Si j’ai mis autant de temps à te répondre c’est parce que je l’ai regardée… Heu, plusieurs fois. Ahem.

Lloyd se racla la gorge et détourna le regard. Mais bientôt il regarda de nouveau le communicateur en face en pointant un doigt accusateur.

- Pour ta gouverne ton petit jeu marche très bien. J’voulais t’engueuler parce que c’est pas sérieux, t’imagines si quelqu’un tombait dessus ? Autre que moi je veux dire. Mais bon.

Il haussa les épaules avec un bref rire qui s’éteignit aussitôt. Il baissa les yeux.

- Ce serait hypocrite de ma part là, j’crois. Mais j’trouverai un autre moyen de me venger, ajouta-t-il, et ses yeux brillèrent.

Il y eut un moment de silence, et on entendait en arrière-plan l’agitation de Mumkin et Luis dans la soute, ainsi que le bourdonnement discret du Sans Visage. Les traits de Lloyd redevinrent sérieux.

- Bref, il faut que j’en profite pour heu… Te parler de quelque chose.

Il posa ses coudes sur ses genoux et noua ses mains.

- Voilà Mumkin m’a alerté sur un truc et heu, j’voulais savoir si… Si y’avait un problème ou quoi.

Silence.

- Mumkin a fait un peu le ménage tu sais, à bord, ça avait besoin. Et il a trouvé…

Il détestait envoyer des messages vidéos. Il avait bien essayé de lui écrire mais ça aurait été long, et puis il n’était pas sûr qu’elle prît ses propos de la bonne manière.

- … Il a jamais trouvé les bidons de slick. Et alors je sais que t’aimes pas du tout que je… Et j’ai pas l’intention de le faire là, hein. Mais il faut qu’on sache où ils sont parce qu’on pourrait être fouillés à notre retour dans l’Empire, ou si jamais j’atterris sur un croiseur. Et bon, on va pas retourner tes affaires dans la cabine alors voilà, si tu peux me dire c’est cool.

Lloyd eut un sourire contrit. Il écarta les mains en signe d’impuissance.

- En ton absence j’suis pas capable de te promettre que j’m’en servirai pas. Et pour être honnête ça me tranquilliserait de savoir que j’en ai sous la main en fait. Précisément quand… Quand t’es pas là, voilà.

Le hapien frotta brièvement ses mains sur ses genoux, parut brièvement soulagé. Ou satisfait. Ou sur la défensive. Lui-même ne savait pas trop.

- Bon. Bonne chance pour ta mission. J’suppose que t’as déjà commencé.

Il hésita. Puis ne put pas s’en empêcher d’ajouter d’une voix précipitée :

- Tu fais attention et tu m’appelles hein ? Si jamais. Enfin je sais bien que tu m’appelleras pas si t’as un problème. Et ça m’énerve, voilà ! Et pas de régime, ok ? Tu vas me foutre les jetons si tu commences en plus à t’affamer.

Il soupira, agacé autant par ces sujets que par lui-même qui n’avait pas été capable de contenir ce venin insipide. Il s’humecta les lèvres avant de regarder l’objectif de nouveau. L’air renfrogné, il se pencha vers le communicateur.

- A bientôt, je suppose. Fais attention à toi.

La communication coupa aussitôt. Sa dernière phrase avait claqué comme un ordre.

Une petite lumière bleue éclaira le visage blafard du capitaine, dont la cabine se dessinait derrière lui, plongée dans un clair-obscur. Il était étrangement calme. Ses yeux paraissaient éteints, même si y brillait le reflet de la diode qui indiquait que l'enregistrement avait commencé.

- J’arrive, dit-il posément, et sa voix lui sembla être celle d'un autre. Je viendrai seul et désarmé. Pas de surprise.

Ce n’était même pas menaçant. Il n’avait aucun intérêt à ce que la mercenaire se sentît en danger, pas maintenant. Il y eut un silence, et les yeux du hapien rencontrèrent le point fixe de la vidéocaméra, comme pour regarder dans les yeux un interlocuteur qu’il ne voyait pas.

- Mais laissez-moi faire une contre-proposition. Si à l’astroport, vous relâchez Dana Shar en échange de me prendre, quitte à me passer votre collier de détention à l’astroport même ; si vous la laissez repartir et que je prends sa place, je me débrouille pour venir avec une très grosse somme d’argent. Mettons, cent mille crédits.

Seul le vrombissement discret du Sans Visage lui répondit. Il prit une inspiration, cligna des yeux, expira en silence, comme s’il donnait le temps à son interlocuteur de réfléchir.

- J’ai besoin d’une réponse rapide, au cas où je doive aller retirer de l’argent.

Il coupa la communication.

Spoiler:

Hrp: