HRP - Exemple pour le tabard fendu sur le devant:

- Non non non, ça ne va pas. Pas du tout. Rédigez-moi ça autrement, on dirait une lettre d’un enfant de huit ans ! Même mon fils ferait mieux !

Dans sa chambre d’hôtel, la souveraine d’Ondéron avait pris possession du bureau du salon de sa suite pour régler ses affaires. Elle avait revêtu un tailleur sombre, dont la veste cintrée marquait ses épaules sous un chignon sévère, adouci par des perles étincelantes qui se balançaient sous ses oreilles. Son seul autre bijou était une broche à l’effigie du blason d’Ondéron, qui luisait sous la lumière que jetaient les hautes fenêtres de la suite.
L’hôtel était chic, mais certainement pas le meilleur du quartier du Sénat. Cela suffisait cependant à ses standards revus à la baisse depuis la fin de son mandat de Chancelière et surtout, cela lui évitait de croiser les délégations sénatoriales des autres partis. Ainsi donc, de temps à autre, elle se contentait de cette suite composée d’une chambre sobre, d’un salon décoré de façon moderne et d’une salle de bain offrant de quoi se prélasser de longues heures. Mais clairement, Emalia Kira passait le plus clair de son temps penchée sur ce bureau, qu’elle envahissait de papiers griffonnés, de blocs de données, de cartes de visite récupérés ça et là, sans compter le petit écran qui diffusait régulièrement les nouvelles du Sénat.
De l’autre côté du bureau, une mirialane d’environ vingt-cinq ans se tenait, le dos rigide dans sa tenue blanche et courtoise, ses cheveux sombres tressés retombant sur son épaule sage. Elle pinça les lèvres, ses yeux aussi verts que sa peau essayant de soutenir le regard sans concession de la souveraine.

- Mais, c’est-à-dire que le Sénateur Kira-Tessin a tenu à rédiger la lettre lui-même et…
- Et vous – Emalia avait pointé du doigt le corsage blanc de la jeune mirialan en la coupant dans son élan – êtes son assistante, et devez l’aider à corriger ses défauts, sinon à quoi me servez-vous, mademoiselle Kilirane ?

La mirialane baissa les yeux, non sans une moue agacée.

- Je comprends, votre Majesté.
- Allez, rédigez-moi une meilleure version de ce torchon, se radoucit Emalia, non sans tendre le datapad à la jeune femme, qui le reprit avant de s’éclipser.

La souveraine la regarda partir avec un soupir. Mademoiselle Kilirane devait être la septième personne à tenter le poste d’assistant du Sénateur Kira-Tessin. Et encore une fois, Emalia voyait bien que ça ne fonctionnerait pas : elle était trop inconsciente, cette jeune femme, pas assez concentrée, beaucoup plus intéressée par les tenues qui embellissaient son teint plutôt que par la politique et le devoir. Les six autres avaient échoué de manière plus ou moins similaire : le premier assistant ne faisait que des gaffes, le second avait les dents trop longues et menaçait de manipuler Jonas, la troisième avait un comportement curieux qui avait amené Emalia à la soupçonner d’espionner pour le compte d’un parti adverse, la quatrième était une idiote, le cinquième était plutôt pas mal mais avait les mêmes défauts que Jonas, ce qui aurait créé une paire d’imbéciles incapables de se défendre, et la sixième s’était pâmée sous le charme de Jonas – pourtant inexistant aux yeux de la souveraine – ce qui l’avait amenée à faire front contre Emalia Kira – grave erreur. Résultat : septième tentative, et la souveraine voyait déjà que ce serait encore un échec.

Elle laissa échapper un gros soupir en jetant son stylo sur le bureau d’un geste dépité.






Quelques minutes plus tard, la souveraine prenait le turbolift qui conduisait à l’étage de l’hôtel où une salle de restauration côtoyait un bar cosy. Dans l’ascenseur, elle avait machinalement vérifié sa tenue – impeccable – avant de débarquer d’un pas assuré dans le petit salon.
Elle repéra immédiatement le sénateur qui lui tournait le dos dans son fauteuil, et la nuque rouge du jeune homme l’accablait de l’émotion qui l’assaillait silencieusement. Au-delà, un serveur se penchait pour servir un verre à…

Kil Regh.

La femme avait la même posture impressionnante que lorsque Kira l’avait aperçue, dans la Rotonde, sur des écrans. Ici et là, jusqu’à ce qu’elle intimât à Jonas de l’attirer jusqu’à eux.

Emalia se dirigea vers elle d’un pas conquérant. Sur ses lèvres se dessinèrent un sourire courtois, tandis qu’elle tendait la main pour serrer celle de la Sénatrice.

- Soyez la bienvenue Amirale, et recevez tous nos remerciements pour avoir accepté cette singulière invitation.

Bien sûr, Emalia lui avait donné son titre militaire. Celui qu’à titre personnelle, la souveraine valorisait certainement le plus chez cette femme hors du commun. Jonas s’était soudain redressé, comme monté sur des ressorts, et Emalia alla s’asseoir sur la banquette à deux pas de lui, afin de former un triangle intime entre eux, au centre duquel sur une table basse, deux boissons attendaient déjà. Le serveur qui était là un instant plus tôt réapparut, un petit torchon sur l’avant-bras.

- Votre Majesté, que puis-je vous servir ? fit-il sur un ton ampoulé.
- Une coupe de votre meilleur vin artorien, je vous prie, claqua la voix de la souveraine.

Le garçon parut surpris. Puis il déglutit avant d’oser :

- Hum, c’est-à-dire que nous ne faisons plus de vin artorien, Madame la… Votre Majesté.
- Ah oui, suis-je bête ! s’exclama Kira, une moue faussement étonnée sur le visage. Vous voulez dire qu’un Empire a pris possession de planètes et de ses biens, devenus inaccessibles donc, comme tant d’autres choses ? C’est trop bête que personne ne fasse rien contre ce genre de scandale. Bref, je prendrai comme Madame Regh, en ce cas.
- Bien, votre Majesté.

Le serveur s’éclipsa comme un animal effrayé. Emalia adressa un sourire à la Sénatrice, avant de croiser les mains sur ses genoux, dans une posture aristocratique qui paraissait toute étudiée.

- Madame Regh, Amirale, vous avez compris que je n’irai pas par quatre chemins. Ce n’est pas mon genre, ni le vôtre.

Le serveur revint avec un autre verre, qu’il posa sur la table basse avant de repartir. Emalia se pencha pour attraper son verre, en contemplant un instant le contenu. De l’alcool fort, un whisky ; c’était donc ce que buvait l’Amirale. La souveraine en huma le contenu, mais n’y trempa pas les lèvres, pour le moment.

- Vous êtes partisanes d’actions militaires contre l’Empire, comme moi. Ce qui se profile, avec l’AGPU, n’est pas de mon goût, et j’espérais qu’elle n’était pas du vôtre non plus. Je voulais savoir dans quelle mesure… Vous vous impliqueriez dans des actions pragmatiques pour défendre ce type de position.

A côté d’Emalia, Jonas avait sorti un petit calepin de la poche intérieure de sa veste en velours et il griffonnait en comptant étrangement sur ses doigts, comme si elles n’étaient pas là. Il était censé prendre des notes lors de ce genre de rendez-vous, mais la Force seule savait ce que ce petit idéaliste inconscient faisait en réalité.

Emalia Kira avait une façon particulière de dévorer des yeux les gens qui l’intriguaient. Et Kil Regh était un spécimen tout à fait hors du commun : en plus de ses cicatrices et de son regard perçant, il émanait d’elle des bruits étranges, qui attestaient d’une expérience de la vie certaine – et peut-être plus probablement de la mort. Kil Regh apparaissait comme une femme d’action, et comme Emalia Kira, n’aimait pas tourner autour du pot. Parfait, songeait la souveraine, et un petit sourire avait étiré ses lèvres fines. Cela ne voulait pour autant pas certainement dire qu’elles étaient dans le même camp, ni que, si elles l’étaient, elles le resteraient. Les deux femmes en avaient parfaitement conscience, ce qui les mettait d’une certaine façon sur un pied d’égalité.

L’ondéronienne plissa un instant les yeux. Avant de répondre à la sénatrice, elle prit le temps de boire une gorgée de sa boisson, faisant mine de réfléchir – ou réfléchissant réellement. Quand elle reposa son verre, elle se mordit la lèvre inférieure.

- J’apprécie grandement et votre franchise, Madame Regh, et votre détermination.

Bien sûr, devoir faire une croix sur le soutien aux rebelles n’était pas vraiment ce qu’elle espérait. Néanmoins, comprendre la stratégie et les objectifs de la sénatrice lui permettrait peut-être nouer un autre genre d’alliance.
Elle sourit avec malice.

- Dommage. Pour une rébellion, vous seriez une force sur laquelle nous aurions aimé compter, admit-elle avant de soupirer. Vous savez, si j’avais eu le choix, je n’aurais pas été jusque-là. Mais l’inaction de ce gouvernement face à l’Empire m’a rendue malade de rage pendant des mois avant que je ne trouve un moyen de reprendre pied sur une base solide afin de pouvoir me remettre en marche.

Au travers des grandes fenêtres qui éclairaient le salon, on apercevait des navettes qui filaient à quelques dizaines de mètres à peine au-dessus des bâtiments, projetant par intermittence leurs ombres fugaces sur le décor épuré de l’hôtel et les visages de deux interlocutrices. Jonas, quant à lui, restait absorbé dans ses petites notes. Ses doigts tâchés d’encre – quel amoureux de l’artisanat, qui écrivait encore sans écran ? – paraissaient fébriles. Emalia le regarda un instant avant de se désintéresser de lui de nouveau.

- Ne nous trompons pas d’objectifs. J’ignore les différends qui se trament dans le Rassemblement Patriote, même si comme vous je désapprouve ce choix de rapprochement. Mais mon ennemi est, et restera l’Empire. La politique intérieure de la République reste secondaire quand on a à nos portes un ennemi de cette ampleur – sur ce point, je suis entièrement d’accord avec l’importance de renforcer nos frontières. Je n’aurais de cesse que de construire des barrières entre ces sauvages et nous.

Mais qui était ce nous, exactement ? La République toute entière ? La galaxie ? Ou seulement Ondéron et ses alliés ? Le savait-elle elle-même, ce n’était pas certain. Dans le passé, elle avait voulu sauver la République, et la République lui avait craché dessus en réponse. Sa haine envers l’Empire cependant, prévalait toujours.

- A mon humble avis, ce qui se joue entre le FLR et le RP n’est qu’une danse passagère, comme il y en a constamment dans la Rotonde. Il y aura de nouveaux partis, qui feront de nouvelles alliances, qui nous seront plus ou moins favorables. Maintenant que je n’y suis plus en personne, cela ne m’importe que peu. Ce qui compte, c’est de pouvoir continuer à renforcer nos frontières d’une manière ou d’une autre. Si nous arrivons à faire ça avec les armées de la République, tant mieux. Mais s’il faut pour cela lever des armées rebelles, je ne m’en priverai pas.

La souveraine se pencha pour reprendre son verre, et l’une de ses bagues tinta contre le cristal – l’hôtel avait peut-être reconnu les invitées de marque pour leur mettre pareille vaisselle – tandis qu’elle tapotait ses doigts contre le verre pour mieux réfléchir.

- Voyez-vous, je ne pense pas que le FLR soit réellement notre ennemi. C’est juste le pouvoir en place. Comme tout gouvernement, il y a du bon et du mauvais en lui. Mais le FLR est militariste, en essence : des planètes comme Anaxes n’attendent que de prendre les armes, tandis que d’autres, qui ne voient le monde que par sa capacité à remplir leurs poches, savent bien que la guerre peut générer une production économique très importante pour leur propre planète. Le FLR peut donc contribuer à sa manière ; il s’agit juste de le pousser à se servir correctement de ses armées et de ne pas le laisser se consumer pour l’économie au détriment de nos frontières.