Karm Torr
Karm Torr
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En trois lettres…
Mmooeeeuuuuh !

Karm s’éclaircit la gorge.

J’disais donc : en trois lettres, « aime être pris par derrière ».

Le Jedi releva les yeux des mots fléchés sur son datapad.

Euh…
Foc.
Pardon ?
Foc, fit la fermière qui écossait des légumes secs, à côté de lui, sur le perron. Comme la voile, sur les bateaux, qui prend le vent par derrière.
Ah.
Pourquoi, vous pensiez à quoi, vous ?
Euh… Non non… Rien de, euh, spécifique.
Moooeeeuh.
Elle traumatise votre éopie ou bien ?
Mais non, répondit Hermina avec un rire léger. Votre Padawane est absolument adorable.
Lui dites pas trop, elle risquerait de prendre la grosse tête.

En arrivant sur Dantooine, les deux Jedis avaient pris leurs quartiers dans la ferme des Ponss, cette famille d’agriculteurs que Karm [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] plus tôt. Le Jedi avait retrouvé avec plaisir Hermina, la femme d’une quarantaine d’années, grande, bien bâtie et incroyablement bavarde, Gavin Senior, le bon père de famille, qui songeait désormais à se présenter comme maire de la communauté de fermiers éparse qui s’étendait sur des dizaines et des dizaines de kilomètres à la ronde, sur cette planète où les exploitations étaient comme des îlots lointains perdus dans des mers d’épis.

Conrad, le fils aîné, était finalement parti faire son apprentissage dans une autre ferme, comme c’était l’usage, mais Gavin Jr. aidait son père aux champs. Mais le regard du gamin devenu adolescent se tournait de plus en plus vers l’espace, depuis qu’il avait rencontré les Chevaliers Torr et Janto, et il rêvait d’une toute autre vie. Basil Rovar, l’apprenti, était parti reprendre l’exploitation familiale, à la mort de son père, un an plus tôt, et il avait été remplacé par Stayk Aspen, un garçon d’une quinzaine d’années, qui était comme encombré par son propre corps, après une croissance trop rapide.

Karm et Thann avaient atterri la veille, après avoir reçu le [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] leur donnant l’autorisation de mener un travail prospectif autour de l’ancienne Enclave Jedi de Dantooine. Une note écrite les avait informés qu’on leur dépêchait aussi un diplomate, pour les aider dans leur mission auprès de la population locale. En attendant l’arrivée de leur frère de l’Ordre, Karm avait présenté Thann aux Ponss et laissé la jeune fille découvrir les joies de la vie agricole, une activité si essentielle dans les mondes de la Bordure.

Ah, je crois… oui mais c’est bien un chasseur jedi, ça, non ? Des fois, vous savez, je crois que je perds un peu la vue, mais oh lala, c’est l’âge, vous comprenez, et puis à faire des travaux de précisions, on s’esquinte les yeux, je vous ai déjà parlé de ma cousine Sutrude ? Celle qui a épousé un…

L’explorateur ne prêtait qu’une oreille distraite aux tribulations oculaires de la cousine Sutrude, alors que la silhouette du vaisseau qu’Hermina avait pointé se dessinait de mieux en mieux dans le ciel clair et dégagé de Dantooine. Bientôt, le chasseur jedi, un modèle ancien qui aurait eu besoin d’une bonne couche de peinture, vint se ranger à côté du biplace que Thann et lui avaient emprunté sur H’ratt, pour les besoins de leur voyage.

… et elle pleurait tout le temps, moi je lui dis, Sutrude, ma bonne fille, c’est du pus, ça, j’ai un bestiau qui a eu ça l’année dernière, je peux te dire que je reconnais et…
J’vais accueillir mon collègue, hein.

Hermina ne parut pas se formaliser de cette interruption, ni d’ailleurs vraiment la remarquer, trop absorbé par les mésaventures de cette pauvre Sutrude. Karm rempocha son datapad, quitta le perron du corps de ferme et, après avoir extirpé une jeune Miraluka d’un troupeau d’éopies, gagna le vaste espace dégagé qui s’étendait derrière l’un des hangars de récolte et que Gavin Sr., qui y faisait d’ordinaire séché le foin, leur avait réservé pour leurs deux chasseurs.

J’espère que c’est pas le vieux Maître Vanfrufel, murmura Karm à l’intention de sa Padawane, j’sais qu’il a négocié plein de traités commerciaux et tout, mais je capte que dalle à ce qu’il dit. On a pas inventé les prothèses dentaires pour rien, j’sais pas, moi.

Mais voilà que le cockpit s’ouvrait et qu’une silhouette sautait souplement à terre, avant d’enlever son casque.

Ce n’était pas le vieux Vanfrufel.
Ce n’était vraiment pas le vieux Vanfrufel.

Chevalier Karm. Padawane Thann.

Karm dut faire un effort pour se rappeler que c’était là son propre prénom, tant le jeune homme qui lui faisait face lui paraissait d’une beauté singulière : il avait les très délicats, encore juvéniles, des cheveux blonds si clairs que, sous le soleil de Dantooine, ils paraissaient presque blancs, des yeux d’un vert-noisette, presque doré, et la carrure légèrement athlétique, et souple, de bien des Jedis.

Euh… oui… oui oui, c’est euh… c’est moi, bonjour, bien sûr, bienvenue, ça va ?
Bien, merci, répondit le jeune homme d’un ton enthousiaste, avec un sourire à faire fondre les glaciers ! Je suis le Padawan Loé An, formé pour devenir ambassadeur jedi, et je viens vous prêter main forte, enfin, plutôt, vous épauler, dans la mesure de mes moyens, pour vos entretiens avec la population locale. J’apporte aussi…

Loé tira de sa poche un datadisk qu’il tendit à Karm. L’Ark-Ni, dont le flegme était miraculeusement revenu, s’empara de la disquette pour la connecter à son datapad.

… des informations complémentaires de la part du Haut Conseil.

Le regard de Loé n’arrêtait pas de s’attacher à la lance laser de Thann. Il avait entendu des histoires dans les couloirs du Temple, sur la manière dont la jeune fille avait trouvé son cristal, et il mourrait d’envie de savoir si elles étaient vraies. Pendant ce temps, Karm lisait la lettre du Haut Conseil avec une expression imperturbable mais, dans la Force, sa Padawane perçut peut-être une agitation inhabituelle de son humeur. En bien ? En mal ? Difficile à dire.

Loé ? Tu sais ce que ça dit, ton datadisk ?
Non, Chevalier.
Bon.
Il y a, euh…

Le jeune homme ne cacha pas son inquiétude. Tout entraîné qu’il fût théoriquement pour la diplomatie, Loé n’avait de toute façon pas l’air très doué pour cacher ce qui se passait dans sa tête.

… il y a un problème ?
Aucun problème. Si ça t’va, tu peux aller te présenter à Hermina, notre logeuse, et à Gavin son mari, s’il est dans l’coin, elle te montra où poser tes affaires. Moi j’ai deux trois choses à régler avec Thann et on se rejoint après pour aviser.
Bien sûr !

Loé était tout enthousiaste. C’était l’une de ses très rares missions loin de la Bordure. Son Maître, Royk Pü, un Phuii déjà fort âgé, était un spécialiste des grands événements diplomatiques, qui se déroulaient presque tous sur les mondes du Noyau, et depuis un moment, le jeune homme rêvait à de vastes espaces naturels et à des missions plus proches des réalités du quotidien.

Des éopies, s’exclama-t-il d’un air béant, en jetant son sac sur son épaule, alors que le troupeau passait au loin.

Et puis, se rappelant qu’un Jedi était censé conserver une expression réservée, il s’efforça d’afficher un air sérieux et détaché, avant de se diriger d’un bon pas vers la ferme voisine. Karm, qui parvint miraculeusement à ne pas le suivre du regard et à ne pas vérifier s’il était aussi joli de dos que de face, conserva un silence évidemment préoccupé pendant de longues secondes.

Thann…

Il referma la bouche presque aussitôt, incapable de trouver les mots appropriés. Après de nouveaux instants d’indécision, l’Ark-Ni se décida de se jeter à l’eau :

Bon, écoute, tu m’connais, j’sais pas forcément comment bien tourner les choses ni rien, alors j’vais le dire directement, OK ? Et ensuite, on en parle tant que tu veux.

Une introduction idéale pour permettre à son interlocutrice d’angoisser dès le début.

L’Conseil veut que je prenne Loé comme Padawan. En plus de toi, pas à ta place, hein, entendons-nous bien. Il a vingt ans, il doit passer ses épreuves de Chevalier dans quelques mois, ou un an, quelque chose comme ça, ça dépendra. Maître Pü est en convalescence depuis des mois, la fatigue, l’âge, tout ça, on sait pas combien de temps ça va durer et Loé a besoin, apparemment, de diversifier son expérience, il peut pas rester les bras croisés. S’agirait donc que je prenne la relève, pour l’aider… ben t’sais, quoi, à parcourir le dernier kilomètre, en quelque sorte.

Dans son immense naïveté Karm, qui n’avait pas l’esprit politique ni le goût des manipulations, ne se doutait pas un seul instant de ce qui aurait paru évident à un autre : que ce Padawan-là n’avait pas été choisi au hasard et que le Conseil n’avait pas mis sans arrière-pensée sur son chemin un jeune Consulaire aussi blond que sublime. Loé était une épreuve qui relevait presque du piège, pour celui dont la relation avec Luke Kayan, un autre Consulaire aussi blond que sublime, suscitait la méfiance au sein des orthodoxes de l’Ordre.

Et puis l’irruption d’un autre Padawan dans sa vie était aussi un moyen de mettre à l’épreuve cette relation trop fusionnelle qu’il entretenait avec Thann et qui avait fait froncer bien des sourcils.

J’sais que… ça change beaucoup de choses, notre dynamique et tout ça, j’imagine que c’est susceptible de t’inquiéter, et moi ça m’fait flipper aussi un peu pour être honnête, hein, mais… Ben, déjà, c’t’un ordre du Conseil et y a un p’tit côté donnant-donnant entre sa formation et l’Enclave, ensuite… il en a besoin. Et pus… Maître Royk est… ‘fin, t’sais, quoi…

Royk Pü était probablement l’un des Maîtres les plus progressistes du siècle passé, même si ses idées ne s’exprimaient pas avec des méthodes aussi révolutionnaires que celles que Karm imaginait parfois. Il n’empêchait que le vénérable Phuii, avec ses discours et ses écrits, avait souvent été une source de réconfort pour le Chevalier, quand Karm avait eu l’impression que ses idées le mettaient trop à part du reste de leur communauté.

… j’espère qu’il souffre pas trop…, murmura-t-il tout bas, pour lui-même, en pensant à son modèle.

Thann Sîdh
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21.575, 1er semestre • Dantooine, Ferme des Ponss.

« … et lui, c’est Gradouble !

– Mmooeeeuuuh !

– C’est sa façon de te dire bonjour ! Et c’est aussi sa façon de me dire que j’abuse… Et de réclamer qu’on lui gratte la bedaine ! Je crois qu’en fait, il manque un peu de vocabulaire.

– Moooeeeuh.

– Oh… Boude pas mon gros, t’y peux rien ! J’te donnerai des cours particuliers pour étoffer tout ça… »

Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire lorsque la créature, dans le plus grand des hasards, vint tenter de cacher son nez-trompe dans son cou, à la façon d’un énorme chat qui ignorerait être trois fois plus gros que son maître. Elle le gratouilla, il émit un bruit de contentement dont il n’existe pas encore de verbe pour le décrire, elle rit de plus belle et reprit son enregistrement.

« Et toi ? Qu’est-ce que ça donne sur Halmad ? J’espère que tout va bien pour vous… Vous êtes trop proche de la frontière à mon goût. Prends soin de toi. Tu… Tu me manques. Envoie-moi vite de tes nouvelles. Thann Sîdh, terminé. »

Deux mois s’étaient écoulés depuis l’affaire de Khorm, à peu de choses près, c’était aussi à cela que remontait le Tournoi des Trois Cristaux. Le temps filait. Tout lui semblait devenir plus sérieux. Sa relation avec Seiïd, son avenir de Chevalière Jedi et maintenant, le projet de son mentor dans lequel elle s’investissait tout autant. Ce bol d’air frais du bout de la galaxie, les campagnes paisibles, Gradouble… Elle en avait presque oublié la tension accumulée et le fait que Gravlex Med, et par conséquent l’Empire, se trouvait à peine à un secteur de là.

« -... . ... --- .. -. .-. . -.-. .... .- .-. --. . .-. -... .- - - . .-. .. .

– Oui vas. De toute façon, je ne risque pas d’avoir grand-chose à lire ici. Par contre, si Seiïd répond, tu viens illico me chercher.

– --- -.- »

La sphère s’envola, provoquant la course de plusieurs éopies, et un temps l’adolescente suivit sa course. Ses cellules d’énergie commençaient à montrer des signes d’usure. Lui qui, autrefois, pouvait tenir pratiquement une semaine sans sentir le besoin de se mettre en veille ou de se brancher avait désormais un besoin quotidien de le faire. Le temps filait… Terriblement. Il lui faudrait trouver un jour le moyen d’aller seule. Les situations allaient se multiplier durant lesquelles il ne pourrait plus l’accompagner. Elle eut un pincement au cœur et remit à plus tard cette tâche qui ne la réjouissait pas vraiment. La Miraluka soupira avant de se faire bousculer par un autre des ruminants. Lui aussi désirait qu’on lui gratouillât la bedaine.

Soudain, un sifflement traversa l’air et s’imposa au-dessus des mugissements du troupeau. Aussitôt, elle se concentra sur sa source : son maître l’appelait. Elle courut aussitôt à sa rencontre, sauta par-dessus la barrière de l’enclos et retomba lestement à côté de lui, tout sourire. Il se contenta d’indiquer le ciel pour signaler l’approche de leur confrère. Tôt, dans la matinée, il avait reçu la nouvelle de sa venue.

« […] On a pas inventé les prothèses dentaires pour rien, j’sais pas, moi.

– J’espère pas non plus… Entre vous et vos pensées sibyllines et lui et son élocution déficiente même lorsque les propos sont simples, je risquerais de devenir tout à fait folle. »

Le vaisseau s’était posé, les moteurs furent coupés, un sifflement, et leur collègue touchait terre et s’avançait vers eux d’un pas assuré, ne se formalisant pas en découvrant l’allure singulière des plates-formes d’atterrissages locales. Premier constat établi par l’adolescente : celui-là, il n’était pas vieux. Pas du tout. Elle devinait un corps d’athlète des temps anciens, un visage ciselé par un maître d’art, des cheveux courts soigneusement coiffés pour paraître ne pas l’avoir été et une voix grave et chaude qui semblait venir lui chatouillait le cœur. Bien que le soleil ne fut pas particulièrement chaud, elle se sentit soudain étouffer un peu malgré la légèreté de sa tenue.

Elle laissa les deux hommes entamer les formalités tandis qu’elle continuait de détailler le jeune homme. Elle remarqua les regards qu’il lui lançait, sans noter que ceux-ci étaient surtout dirigés vers son arme. Elle en rougit un peu et fit mine d’examiner la pointe de ses pieds jusqu’à ce qu’une étrange vibration émanât de l’Ark-ni, juste à côté d’elle. Elle ne le connaissait que trop bien et ne put s’empêcher de se concentrer cette fois sur le datapad qu’il tenait entre ses mains. Elle qui avait eu si chaud, soudain, eut la sensation de passer sous une douche glacée. Elle perdit un peu son souffle, le sang reflua de ses joues pour tenter d’aller réchauffer son cœur.

L’apprentie ne put qu’écouter patiemment une explication qu’elle avait déjà lue – elle ne s’arrêta pas un instant sur le fait qu’il n’était d’ailleurs pas très normal qu’elle se soit permis une telle indiscrétion – et se contenta d’hocher avec raideur la tête à chaque affirmation.

« Hé bien, de toute façon, puisqu’il n’y a pas possibilité de faire autrement, il ne sert pas à rien d’en discuter. Je me tiendrais en retrait pour que vous puissiez vous occuper de lui. Je sais combien vous êtes formidables, il est entre de bonnes mains. »

Elle ne reconnut pas sa voix, tellement le ton était blanc. Elle ne trouva pas la force ni d’assumer cette acceptation glaciale, ni de verbaliser son sentiment et, après une brève courbette – qu’elle n’aurait même jamais réalisée d’ordinaire – elle prit congé et se dirigea vers la ferme à son tour, plantant là l’homme avec qui elle avait partagé sa vie depuis deux ans.
Karm Torr
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Resté planté là au pied du chasseur, comme une vieille souche d’arbre mais avec moins d’écorce, un Chevalier tout décontenancé avait suivi du regard sa Padawane. Quelle erreur avait-il bien pu commettre ? Était-ce l’une de ces situations où aucune décision n’était la bonne ? Pourquoi diable le Haut Conseil Jedi ne lui avait jamais fourni de manuel intitulé Comment élever une adolescente miraluka pour les nuls ? Le Chevalier était un peu froissé, un peu déçu : il avait espéré une conversation pleine de compassion et de bienveillance sur les difficultés traversées par Loé et sur ce qu’il faudrait faire pour bien l’accueillir, pas un mouvement d’humeur. Il ne savait pas si c’était lui qui avait manqué de tact avec sa Padawane ou si c’était elle qui avait tort.

Bip.
C’toi, l’bip, répondit machinalement le Chevalier, avant de regagner à son tour le corps de ferme.

Loé était en grande conversation avec la mère Ponss, sur le perron de la ferme, c’est-à-dire que la mère Ponss parlait, et parlait, et parlait, sans jamais s’arrêter, et que le jeune homme adoptait un air aussi captivé que possible. Son soulagement ne fut pas tout à fait dissimulé, cela dit, quand Karm interrompit pour une fois l’interminable monologue de leur hôtesse.

J’vous l’emprunte deux-trois s’condes.
La petite s’est fait marcher dessus par une éopie, demanda Hermina ?
Bonne question.

Qui ne reçut pas de réponse, parce que le Jedi embarquait son nouveau Padawan — idée étrange — pour aller déambuler du côté des étables. Loé inspirait à pleins poumons l’air frais, parfumé délicatement de crottin, avec une sorte d’enthousiasme pour la vie champêtre dont il ne s’était jamais départi depuis son enfance dans les décors artificiels de Coruscant et des stations orbitales de Kuat.

Donc…

Génial.
Maintenant, Karm était à demi-terrorisé.
À coup sûr, il allait traumatisé un second Padawan.

Comme tu le sais, commença-t-il d’un ton aussi grave qu’un croquemort, Maître Pü est très âgé et…
Maître Pü est mort, s’exclama aussitôt Loé d’un air paniqué, tant cette crainte était vive chez lui depuis plusieurs semaines ?
Hein ? Quoi ? Non ! Pas du tout !

(Pas du tout, pas du tout, c’était beaucoup dire…)

Il est très…

Karm soupira. Le tact, la délicatesse et les circonvolutions, ce n’était décidément pas son style, et de guerre lasse, il se replia sur sa méthode sûre : la vérité.

Il est très âgé, et malade, et il a besoin de repos.

Loé hocha lentement la tête.

J’imagine bien que c’est une situation difficile…
Je sais que je suis censé apprendre à… Le laisser partir. Ce n’est pas une surprise, ce qui arrive, et lui-même m’en a beaucoup parlé, mais…

Le Kuati haussa les épaules, évasivement.

J’pense que la tristesse et, hm… L’appréhension. Sont des réactions légitimes. C’est pas une mauvaise chose en soi que de se faire rappeler à sa compassion par des émotions même un peu douloureuses.

Karm eut le droit à un regard surpris. Ce n’était pas vraiment les discours que des Maîtres avaient tenu au futur Consulaire, dans les couloirs de l’infirmerie, au Temple d’Ondéron. On lui avait parlé de détachement, de s’élever au-dessus de toute émotion négative et de s’en remettre à la Force.

En tout cas, tout ça, ça change rien au fait que dans quelques mois, ‘fin plus ou moins, t’es censé passer tes épreuves de Chevalier…
Hmm hmm, fit Loé avec un enthousiasme somme toute très modéré.
Ben du coup le Conseil a décidé de te confier à moi pour la dernière ligne droite.
Me confier à vous ?
Ouais.
Mais c’est-à-dire comment ça ?

Comment ça, comment ça ?

Ben, euh…
Comme… comme un Padawan, vous voulez dire ?
Exactement, oui, comme un Padawan.
Mais, euh…

Loé avait pâli d’un coup.

Enfin, je veux dire, euh…
Si ça te convient pas, on peut sans doute en parler à Maître Don, hasarda Karm, un brin sur la défensive.
Ohnonpasdutoutpardon, monsieur, euh, papa, euh, Chevalier-maître, s’empressa-t-il de répliquer.

Un silence mutuellement circonspect suivit cette glorieuse expectoration.

C’est juste que vous êtes… un genre de, hm… comment dire…
Ben j’suis humain, quoi.
Pardon ?
J’suis un genre d’humain.
Non, pardon, je voulais dire, un genre de guerrier. De grand guerrier. Enfin grand, je me comprends…
Ben merci…
Non, pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire !
Moooeeeeuh.
Oh la la…

Loé éprouvait une puissante envie d’aller se cacher dans son chasseur.

Simplement, voilà, moi, je ne suis pas quelqu’un de très combatif, et je risque de ne pas vous être très utile lors du genre de missions que vous menez.
Ben justement, le combat, j’me débrouille pas mal tout seul, j’ai une p’tite génie de la débrouille, un diplomate en herbe, ce serait parfait.
Ah. Bon. Bon, bon. Très bien, alors.

Loé avait l’air à peu près aussi convaincu que si on lui avait proposé de prendre séance tenante le commandement d’un bataillon des forces spéciales.

Et… hm… vous avez lu mon dossier…, tenta-t-il, du ton le plus dégagé possible ?
Non, pourquoi ? Y a des choses à lire en particulier ?
Hmm…

Le Padawan se mit à observer l’architecture métallique de la grange avec un intérêt soudain pour le patrimoine rural.

Oui… ?
J’ai, hm, un frère jumeau. Vraiment jumeau, je veux dire, qui s’appelle Léo, et qui était membre de l’Ordre, lui aussi. Mais il est parti l’année dernière, parce que ça ne lui convenait pas.
Et depuis…, fit Karm, qui craignait déjà le pire ?
Il est en apprentissage dans une agence d’investigations privées sur Coruscant.

Le regard du jeune homme revint sur son nouveau maître.

Il n’est pas devenu Sith, si c’est ça votre question.
C’était pas ma question.
C’est souvent la question.
C’était pas ma question, répéta Karm.

Silence.

Simplement, beaucoup de Maîtres me reprochent d’être trop attaché à lui, ou craignent tout du moins que nous soyons trop attachés l’un à l’autre. C’est une crainte légitime, j’imagine. À part ça… à part ça, je ne suis pas très doué au sabre laser, mais c’est à peu près tout, je ne cache pas de terrible secret.
Cool, répondit sobrement l’Ark-Ni.

Maître Pü avait habitué Loé à plus d’éloquence, mais d’un autre côté, Karm incarnait à peu près ce qu’il s’était imaginé de la part d’un baroudeur de l’ExploCorps. Le jeune homme se sentait envahi par un mélange curieux d’anticipation impatiente, de tristesse et d’anxiété.

Comment, hm… comment est-ce que Thann le prend ?
J’sais pas, faudra que tu lui demandes.

Karm ne comptait pas jouer les intermédiaires entre ses Padawans : c’était à eux d’échanger pour construire leur relation et y trouver leur place, comme de jeunes adultes en devenir qu’ils étaient l’un et l’autre.

Très bien, répondit Loé, qui en bon diplomate ne se laissait pas facilement découragé par la perspective d’une conversation difficile.

Karm fouilla dans l’une de ses nombreuses poches pour en tirer un datadisk qu’il tendit au blond.

Tiens, c’est la présentation qu’on prévoit d’faire à une assemblée des fermiers dont les domaines sont proches de l’ancienne Enclave, ce soir. Jette un œil et dis moi ce que tu en penses. Ensuite on ira faire un tour à l’Enclave elle-même, c’t’aprem, pour essayer de bien se représenter ce qu’une réinstallation impliquerait. J’reviens.

Loé se contenta de hocher la tête. Il se doutait bien que le Chevalier allait rejoindre sa Padawane et cette préoccupation lui semblait bien naturel. Du reste, Loé n’était pas fâché d’avoir encore un peu de temps pour se familiariser avec un projet dont il n’avait finalement appris l’existence que quelques heures plus tôt et dont il peinait encore à maîtriser les tenants et aboutissants.

Arrivé sur le perron, Karm interrogea Hermina du regard et la femme lui indiqua l’intérieur du logis. Quelques secondes plus tard, le Gardien faisait irruption dans la chambre qu’il partageait avec Thann et que, quelques années plus tôt, il avait partagée avec Wen.

Ça te stresse ?

On pouvait toujours compter sur lui pour les approches subtiles et indirectes. Le Jedi s’assit sur le bord de son lit.

T’sais quoi ?

Les coudes sur les genoux et les mains croisées, Karm fixait la jeune fille.

J’ai du mal à concevoir qu’à un moment d’ma vie de Chevalier, t’aies pu ne pas être ma Padawane, et à chaque fois que j’me dis que brillante comme t’es, tu vas devenir Chevalière très tôt, et que tu seras plus vraiment ma Padawane, ça me rend hyper mélancolique.

C’était précisément le genre de discours de sa part qui inquiétaient les Maîtres de l’Ordre. Mais aucun Maître n’était là pour les écouter.

J’me rends bien compte que quelqu’un d’autre qui surgit comme ça pour partager notre vie pendant quelques mois, c’est… C’est un vrai, gros chamboulement, totalement imprévu. J’vais pas te dire que c’est pire pour lui, qu’il est privé de son Maître, avec la quasi certitude de le voir bientôt mourir, et que c’est un diplomate qu’on balance brutalement dans une vie d’aventurier. J’te connais et j’ai assez confiance en toi pour que tu comprennes ça toute seule.

Karm, pour sa part, allait désormais vivre dans la peur que son nouveau Padawan qui s’avouait peu compétent au sabre se fasse trucider par le premier mercenaire venu.

Mais t’sais, j’aime à croire que ce qu’on a tous les deux, toi et moi, c’t’un un peu comme du levain bien fermenté.

(Cet homme-là est décidément un poète.)

Ça se diminue pas quand c’est partagé. Moi, en tout cas, j’aurais bien besoin d’aide dans toute cette histoire, je me suis pas vraiment préparé à ces nouvelles responsabilités, et si j’pouvais compter sur ma Miraluka préférée, ce serait cool.
Thann Sîdh
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Alors qu’elle approchait du corps de ferme, la colère s’était déjà largement dissipée et cela faisait plusieurs dizaines de mètre que le ridicule de la situation l’avait frappé de plein fouet, si bien que lorsque Gradouble la gratifia d’un moooeeeuh puissant, elle ne put l’interpréter autrement que glorieusement revanchard, et de répondre avec agacement :

« Oh, c’est bon, ça va ! Je sais que c’est une réaction nulle, pas besoin d’en rajouter, toi… Vas voir si y a pas encore à brouter du côté sud, vas !

– Moooooeeeeeuuuhhh… »

C’était un dialogue constructif, tout autant que l’avait été son éclat d’ire, c’était évident. Après les meuglements moqueurs de l’éopie, l’adolescente dû faire face à sa seconde épreuve, parvenir à passer à proximité du nouvel arrivé et de son hôte alors en pleine conversation sans faire remarquer son humeur, faute de ne pouvoir se faire remarquer tout court. Si cela n’aurait pas été pousser l’absurdité à son comble, en vérité, l’adolescente eût certainement tenté de maîtriser l’antique technique du voile de Force en cette occasion. Elle entra sans mot dire, sentit le regarde de la matriarche, mi-inquisiteur, mi-maternelle et remi-inquisiteur derrière, peser sur sa nuque ; mais celle-ci n’interrompit pas pour autant son discours ni ne fit le moindre geste pour interrompre la marche de la Miraluka.

Elle traversa les pièces de vie, n’eut pas un geste pour le Gizka de compagnie de la famille, Guilbeurt, qui pourtant lui sautilla après. Elle ouvrit d’un geste la porte de la chambre et entreprit de s’y cacher pour le reste de la journée. Elle ne savait pas comment rétropédaler. Elle ne savait pas comment décolérer. Elle avait juste envie de… De quoi avait-elle envie au juste ?

Quelques minutes plus tard, une personne se présentait derrière la porte. Elle était peut-être incapable de savoir la couleur de la porte en question, mais même close, elle savait que c’était Hermina qui se tenait derrière et que rien ne servait d’essayer de la repousser : non seulement elle était chez elle et on ne pouvait guère pousser un hôte hors de sa propre maison, mais en outre c’était une mère et on ne refuse pas à une mère le droit à exercer son œuvre d’éducation.

Thann, je peux entrer ? – Mmmhh… Je vais prendre ça pour un oui. – Mmh... La porte s’ouvrit de nouveau, la quadragénaire entra et referma. J’ai cru comprendre à ta tête qu’il y avait un souci, tu veux en parler ? – Mmh… Je vois que tu as chiper ses talents oratoires à Gradouble… Et si tu mettais des mots sur tout ça, plutôt ? – Mpphhfff ppffaa pffii. – Et si tu sortais la tête de l’oreiller pour mettre des mots sur tout ça ? elle pivota légèrement la tête, mettant en contact de l’air une bonne moitié de visage. – J’ai pas envie. – Pas envie de… ? me parler ? – Non… J’ai pas envie qu’il reste. – Il ? Tu veux dire, Loé ? Il a pourtant l’air d’un garçon charmant… – Je ne le trouve pas charmant du tout. On n’a pas besoin de lui… – Ah… ça, je m’en doute, mais est-ce que tu ne t’es pas dit que peut-être, lui, avait besoin de vous ? de toi ? – Il veut me voler mon maître. Elle n’était plus à une ânerie près… – Et comment tu sais ça ? – C’était écrit sur le datapad. – Je suis à peu près sûre qu’il n’était pas écrit « Loé veut voler Maître Karm à Thann » sur le datapad en question… ça ne fait pas très communication officielle Jedi. – Parce que vous en avez beaucoup lu, des communications officielles jedis ? – Non, mais des adolescentes meurtries qui sortent les griffes pour essayer de me faire fuir, ça, j’en ai vu plus d’une et, tu peux me croire, y en a pas une qui puisse se vanter de m’avoir jamais atteinte. Alors, chaton, tu rentres tes mignonnes petites dents pointues et tu me dis fissa ce qui te tracasse avant que je ne te punisse pour la journée et ne te prive de dessert. La matrone savait où frapper pour faire mal. Thann sortit tout à fait son visage de l’oreiller, sans pour autant en décoller sa joue, elle avait bien conscience, de toute façon, de se noyer dans le ridicule depuis un moment maintenant. – Je te demande pardon… C’est juste que… Certains maîtres Jedi n’arrêtent pas de nous reprocher notre complicité, à maître Karm et moi. Avec ce qu’ils nous proposaient de faire sur Dantooïne, je pensais que nous les avions convaincus que nous étions dignes de confiance et à présent quoi ? Ils tentent d’introduire entre nous ce… garçon ? J’aimerais qu’on nous laisse juste un temps tranquille. J’aimerais qu’on arrête de nous courir auprès. J’aimerais qu’on me laisse terminer mon adolescence tranquille ! C’est pas déjà assez d’avoir l’impression que son humeur est sur courant alternatif ? Elle soupira de plus belle et sentit la main réconfortante de la mère jouet dans ses cheveux pour l’apaiser. – Je suis sûre que tu leur prêtes plus d’intentions qu’ils n’en ont… Laisse à Karm le temps de t’expliquer tout ça, à Loé de te montrer qu’il est un bon gars et surtout, laisse-toi le temps de digérer tout ça. Tu n’es effectivement pas dans la meilleure période de ta vie pour réussir à accepter les bouleversements sereinement. Laisse l’émotion passer, ce sont les hormones qui parlent plus que ton bon cœur. – Mouais… Bah y en a marre… » La bougonnerie de l’adolescente fit sourire la mère qui lui déposa baiser dans les cheveux avant de la laisser à sa mauvaise humeur.

Elle quitta la pièce, refermant derrière elle, et regagna son perron où se présentait bientôt le Chevalier Jedi. Finalement, l’adolescente n’avait guère eu que quelques minutes pour apaiser la tempête qui battait son plein sous son petit crâne. Elle ne broncha pas lorsque son maître poussa la porte à son tour et se campa au bout du lit. Elle resta allongée, semblant de rien, ne déplaçant même pas son pied à demi écrasé par l’Ark-ni, et écoutant patiemment ce qu’il avait à lui dire avant de répondre :

« Bah votre Padawan, maître, elle est fatiguée, elle a faim, et elle aimerait juste un temps pouvoir faire sa crise d’adolescence sans que les Maîtres du Temple viennent sans arrêt nous embêter… Je sais que je réagis comme une grosse nulle, même Gradouble me l’a fait remarquer, mais il n’empêche que je n’ai pas pu m’empêcher d’être en colère… Pourquoi maintenant ? Je suis désolée pour Loé, sincèrement, j’ai failli vous perdre et je sais mieux que quiconque ce qu’il endure, mais pourquoi vous charger maintenant de terminer sa formation ? Est-ce un nouveau test ? Cherchent-ils encore à mettre une distance entre nous ? »

L’inquiétude de la Padawane, de ce point de vue, était réellement, même si certainement infondée. Elle ne pouvait s’imaginer un jour perdre ce lien privilégié qui aujourd’hui l’unissait au bonhomme planté en bas de son lit, tout maladroit qu’il fut avec les adolescents.
Karm Torr
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Karm extirpa précautionneusement le pied sur lequel il s’était assis de sous son mythique postérieur, réprima l’envie d’en chatouiller la voûte, en songeant que la situation exigeait peut-être de lui des méthodes pédagogiques plus conventionnelles et murmura :

Tout est toujours un test. J’imagine. Avec eux.

Les yeux fixés sur le visage de sa Padawan, Karm éprouvait l’envie de la prendre dans ses bras. C’est ce qu’il aurait fait, sur un vaisseau ark-ni. D’abord le geste, ensuite la parole. Personne n’y aurait rien vu de mal. Personne ne se serait inquiété d’une familiarité qui aurait ressemblé de trop près à la réaction spontanée d’un père pour son enfant.

Les moments où Karm évoquait son passé d’avant ses épreuves de Chevalier se comptaient peut-être, avec sa Padawane, sur les doigts d’une main. En dehors des révélations forcées imposées par la violence de sa dernière rencontre avec H’olgan Tavaï, le Jedi se contentait de demi-phrases vagues qu’on aurait pu prêter à n’importe quel autre Padawan de son époque.

Même ce jour-là, un silence suivit les premiers mots, parce qu’il regrettait presque de s’être lancé. Et puis il reprit, malgré tout.

Quand j’avais ton âge, j’avais… mal un peu tout le temps. Physiquement, je veux dire. L’entraînement était… Dur…

C’était son euphémisme le plus spectaculaire.

… les missions aussi. Et je comprends pas très bien pourquoi… Pourquoi c’était autorisé, tu sais ? Comment ça pouvait être autorisé. Comment les Maîtres pouvaient se dire que c’était normal, ou même pas normal, mais seulement souhaitable. J’voyais d’autres jeunes autour de moi, des civils quoi, et j’avais l’impression que… que la distance irréconciliable entre leur vie et la mienne avait quelque chose d’injuste. J’me suis dit qu’il devait y avoir des genres de raisons secrètes, ‘fin en tout cas difficiles à comprendre pour un ado, et que les Maîtres savaient ce qu’ils faisaient.

Sans s’en rendre compte, Karm passa machinalement une main sur son ventre, là où le sabre de Tavaï l’avait transpercé.

Plus tard, quand j’ai eu passé mes épreuves de Chevalier, que j’me suis renseigné un peu sur… comment ça s’était fait, tout ça, j’ai compris que ça avait été une expérimentation pédagogique. Que ma vie de Padawan, t’sais, ma vie à moi, pendant quatorze ans, c’était un test. Voir si ça marchait, la méthode Tavaï. Si on pouvait former de meilleurs Gardiens, plus efficaces, plus je sais pas quoi. Et quand j’ai pris la mesure de ça, honnêtement, j’me suis dit que j’allais quitter l’Ordre.

C’était son petit secret à lui, celui qu’il n’avait même pas avoué à Luke, pour ne pas l’effrayer surtout, et qu’il tenait pour son plus grand moment d’égarement.

J’comprends très bien que tu te sentes utilisée. Et j’trouve pas ça juste. Si c’est un test pour vérifier qu’on est pas trop proches, je trouve ça injuste. Si c’est un test pour vérifier comment je réagis face à un beau gosse, je trouve ça… homophobe et injuste. Si c’est un test pour vérifier si Loé est pas trop nul au sabre, j’trouve ça dangereux et injuste. Si c’est pour voir s’il est pas trop attaché à son Maître, idem. J’ai pas l’impression que tu sois en train d’apprendre une leçon de vie particulièrement utile que tu aurais pas pu apprendre si on nous avait calmement présenté cette éventualité au Temple pour qu’on en discute tous ensemble. J’ai pas l’impression que Loé sera particulièrement renforcé dans son tempérament par le fait de découvrir au saut du vaisseau que son maître va probablement mourir et que le Conseil souhaite le faire passer à autre chose. Et ça, là, c’qui s’passe ici et maintenant entre toi et moi, lui et nous, c’qui s’est passé dans mon enfance, c’qui s’est passé avec Kolin, c’est pour ça qu’on est ici. Sur Dantooine, j’veux dire. C’est pour ça que j’suis resté. Dans l’Ordre, je veux dire. Et c’est pour ça que je deviendrai Maître.








J’pense qu’on a besoin d’une Enclave… d’un Conclave, franchement, j’pense qu’on a besoin d’un Conclave où les choses fonctionnent différemment. J’pense qu’on a besoin d’une réforme morale et politique de l’Ordre. J’pense qu’il se passe beaucoup de choses qui sont injustes, et dangereuses, et même… ‘fin voilà…

Parler avec Luke lui avait appris à contenir la véhémence de sa pensée, mais plus Thann grandissait, plus il se sentait porté à lui parler franchement et librement, en donnant libre cours à la passion un brin insurrectionnelle qui l’animait.

J’peux pas te dire que c’est pas un test, c’est probablement un test. ‘Peux pas te dire non plus que j’trouve que c’est une bonne décision, c’est pas le cas. Que c’est pas injuste, parce que j’crois que c’est injuste. Mais c’qu’est sûr, c’est que ça me motive encore plus à réussir c’qu’on est venus faire ici. Ça me rend encore plus reconnaissant de t’avoir comme Padawane, parce que j’ai la certitude que tu grandiras pour être une Chevalière et une Maîtresse Jedi qui se versera dans un autre chose que cette pastorale de cour martiale qui… ‘Fin voilà.

Mieux valait se modérer, sans quoi, Thann pourrait bien finir par lui organiser un tribunal révolutionnaire.

Moi, Loé, tout ça, ça m’inspire pas l’ombre d’une inquiétude par rapport à nous deux. On a atteint un point de notre relation d’enseignement mutuel où j’ai l’impression qu’un obstacle nouveau, un imprévu, n’importe quoi, est d’abord et avant tout une expérience qu’on partage et qui vient nourrir notre lien. Mais je comprends que ça te mette en colère. J’comprends que ça te déçoive. Et t’as le droit d’avoir peur. C’est pas être une grosse nulle, ça s’appelle ne pas être une machine.

De la part de celui qui opposait un flegme quasi universel à la plupart des coups du sort, c’était une apologie de l’émotivité un peu étrange.

J’pense qu’il faut essayer de raisonner ses émotions. Pas dans le sens où tu devrais les annihiler par l’opération de la raison, pour te prouver à toi-même qu’elles sont sans fondement. Mais au contraire, dans le sens où tu devrais essayer de trouver ce qu’elles ont de raisonnables, de t’en servir comme des intuitions qui pointent des problèmes plus vastes. Être un concentré d’hormones à l’adolescence, c’est pas une mauvaise chose, tu sais, ‘fin c’est pénible… j’imagine… et douloureux, et fatigant, mais c’est aussi se transformer en détecteur de ce qui va pas dans le monde. L’idéalisme des ados, leurs mouvements d’humeur, tout ça, c’est pas de l’immaturité face à la complexité du monde, c’est la lucidité qui vient avec un surplus de vie et de sensation.

(Était-il en train d’accuser sans vergogne Gradouble d’avoir eu tort ?)

T’es un colère. Pourquoi t’es en colère ? Qu’est-ce que ça te fait intuitivement repérer comme injustice ? Qu’est-ce que cette injustice révèle d’un problème plus vaste ? Comment résoudre le problème ? T’as peur, peut-être, de me perdre. Pourquoi t’as peur ? Qu’est-ce que ça te fait identifier comme danger et source d’inconfort ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour résoudre ça ? Une fois que nos émotions ont… une fois que nos émotions ont le sens d’un sentiment qui peut être collectif, elles cessent d’être quelque chose qui nous retient et deviennent des leviers pour une action qui nous aide en tant qu’on est membre d’une communauté. En… euh… en quelque sorte.

Karm laissa échapper un soupir.

Ouais, désolé, c’est pas hyper clair et ça part un peu dans tous les sens, mais heureusement, t’es une gamine plus intelligente que moi, j’suis sûr que t’arriver à en tirer quelque chose de malin, de tout ça.
Thann Sîdh
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Elles étaient rares, très rares, les confessions de son mentor sur son passé. Chaque fois, elles survenaient lorsque l’instant était singulièrement tendu, compliqué, comme si dévoilait un peu de ces meurtrissures devaient permettre à l’adolescente de mieux vivre les siennes. Quelque part, cela faisait naître chez elle un étrange sentiment de culpabilité. C’était son manque de maturité qui l’obligeait à exhumer les tristes ossements de son passé. Si elle avait su se maîtriser, cette fois, auraient-ils eu cette conversation ? Ce n’était pas la première fois que sa colère, dans un ultime revirement mesquin, se retournait finalement contre elle, comme effrayée par l’affection dont elle avait entouré son mentor. Elle ne parvenait jamais à nourrir, durablement, une quelconque forme de rancune à son égard. Elle l’écouta et, l’esprit encore confus, n’alimenta que peu la conversation. Il fallait dire, à sa défense, que lorsque son Maître se lançait dans une logorrhée de cette ampleur, il n’y avait guère que les consulaires les plus érudits pour lui répondre toujours avec aisance.

Pourquoi était-elle en colère ? Qu’est-ce qui avait soulevé ce sentiment violent ? S’interroger sur l’origine des émotions, remonter le fleuve des courants de l’esprit plutôt que de tenter de dresser des barrages pour endiguer le flot. Pourquoi était-elle en colère ? Avait-elle seulement besoin d’une raison ? Elle, qui durant toute son enfance, avait été du genre angelot équanime, se retrouvait aujourd’hui à ne maîtriser son humeur, parfois, qu’avec beaucoup de mal. Ce n’était pas tant la colère que, parfois, la passion. La proximité avec Seiïd, parfois, l’enflammait tout autant, peut-être même plus que ces coups de sang. Il y a trop à dire, et son cœur battait encore trop fort, elle avait besoin de prendre du recul.

« Un test pour voir si vous n’allez pas craquer face à un beau jouvenceau, hein ? J’avoue qu’il est plutôt bien ciselé, le nouveau, mais c’est encore un bébé… Ils sont certainement parfois tordus, nos supérieurs, mais à ce point ? Si nous étions soumis à un tel test, c’est moins de nous que je m’inquiéterais que de celles ou ceux qui nous y aurons soumis… »

Elle n’alla pas plus loin, pour l’instant. Peut-être l’Ark-ni n’avait pas attendu réponse si légère à ce qui avait été de sa part une grande profession de foi, si bien qu’elle se décida à ajouter, tout de même.

« M’enfin… Tout ça. Votre espoir, Dantooïne, l’Enclave. Je vous comprends, et au risque de me répéter, je vous suis, jusqu’au bout. Pas parce que vous êtes mon Maître… Enfin, si, forcément, mais même au-delà, lorsque je serai devenue une Chevalière à part entière. J’y crois. Je veux en être. Je veux pouvoir voir des enfants jouer ensemble, sans distinction. Je veux constater des échanges, de la façon dont la Force les réunira tous et à la fois, comment elle distribuera les forces et les faiblesses pour que chacun, ayant besoin de l’autre, s’harmonise et s’élève de concert. Comme nous. En fait. Et même… Même si, en regardant les premiers débuts de notre trio, on peut en douter, je sais bien qu’à termes, il comblera mes manques, et les vôtres, par ses connaissances et ses façons d’être.

Nous avons trop longtemps vécu dans l’exclusion. Cette exclusion… C’est elle aussi, qui avait fait si mal à Kolin. Le Temple l’a séparé de ses proches – persuadé que c’était pour son bien, j’en suis sûre – et il n’aura jamais réussi à se remettre de cette séparation. Il n’aura jamais accepté de rester dans l’ignorance de leur avenir, alors qu’il aurait pu enfin leur venir en aide. Cette façon de nous couper du monde… Je suis persuadée que ce n’est pas la solution. Nous pouvons faire autrement, nous devons faire autrement, nous allons faire autrement. »
Karm Torr
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Tu dis ça quand même vachement mieux que moi, marmonna le Chevalier Jedi, qui savait se hisser au comble de la maturité, pour offrir l’exemple éclatant d’un homme responsable à la jeunesse turbulente du Temple. Les rythmes ternaires, j’devrais essayer aussi. Genre… L’Ordre Jedi transformé, l’Ordre Jedi bouleversé, oui, mais l’Ordre Jedi libéré.

Pour faire bonne mesure, Karm conclut cette leçon de pédagogie d’une pichenette sur le mollet de sa Padawane, ne reculant devant aucune brutalité pour faire passer ses idées, avant de se relever et de déclarer :

Allez, viens être de mauvaise humeur en marchant, on a pas mal de boulot. On va récupérer Sexy Boy au passage, tu lui f’ras la tête, ça lui f’ra les pieds, moi j’prendrai ça à coeur et à nous trois, on fera un bonhomme complet.

Avant de passer le pas de la porte, l’Ark-Ni remarqua néanmoins :

J’note en tout cas que tu es persuadée que j’ai une préférence marquée pour les quadragénaires virils au torse velu et aux bras puissants, j’imagine que c’est l’physique de bûcheron wookie de Luke qui t’a mise sur la voie.

Sur la petite terrasse en bois où Hermina achevait d’écosser méthodiquement ses pois, un bien singulier spectacle les attendait.

Tout est sous contrôôôôle… !
Euh…

Entraîné dans la terre par une éopie au grand galop, Loé faisait la rude découverte de la vie campagnarde.

Il a insisté pour aider à les mettre à l’ombre.
Je vois.
Il n’a pas l’air d’avoir fait ça souvent dans la vie, hmm ?
AaaaaaaAaAAAAAaaaaah… !
Ben qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Hermina jeta un regard en coin à la Miraluka, mais s’abstint de tout commentaire. Pendant ce temps, Karm siffla puissamment entre ses doigts, le seul son spectaculaire qu’il fût capable de produire avec sa bouche.

Loé, cesse donc de traumatiser le bétail, on va faire un tour à l’ancienne enclave.

Pour sa part, le Kuati avait plutôt l’impression que c’était le bétail qui le traumatisait, mais il finit par lâcher la génisse qui l’avait traîné comme un (joli) sac de pommes de terre tout autour du champ et par s’épousseter tant bien que mal pour se présenter à son nouveau maître dans un état… aussi peu pitoyable que possible.

Désolé de t’interrompre, hein, t’avais l’air de gérer la situation.

Le jeune homme eut un regard un peu nerveux en direction de Thann, avant d’incliner la tête.

Pardonnez-moi, maître, je ne voulais pas vous déshonorer.
Me quoi ?

Quelle drôle d’idée.

Vous déshonorer.
J’crois que j’vais survivre. Hermina, on peut vous emprunter le… ?
Faites, faites, répondit la fermière en désignant d’un geste de la main la grange qui servait de garage. Il faut tirer sur le bitoniau pour décoincer le machin sinon ça fait surchauffer le bidule.
Ça marche.

Fort de ces conseils précis et techniques, Karm embarqua ses deux Padawans — encore un et il aurait le droit à la carte famille nombreuse — dans la grange, pour s’installer dans un speeder qui servait principalement à transporter des citernes et dont les plaques métalliques dépareillées suggéraient qu’il avait connu déjà de nombreuses réparations. Après avoir examiné l’appareil, Karm tira un bitoniau, décoinça un machin et, ayant constaté que le bidule ne surchauffait point, éleva l’appareil de quelques centimètres au-dessus du sol, avant de filer dans la campagne.

Maître ?
Tu veux qu’on mette la musique ?
Non, enfin, oui, enfin, si vous voulez…
J’crois qu’on capte que Radio Meuh Meuh ici, mais si t’aimes le folkorique…
Je me demandais simplement pourquoi nous nous rendions à l’Enclave. Ne faudrait-il pas faire le tour des fermes pour essayer d’échanger avec chacun des habitants, avant la réunion de ce soir ?
On va essayer d’faire ça, ouais, mais… Déjà, j’veux voir l’ampleur des travaux qu’il faudrait réaliser, évaluer les coûts, me rendre compte si les gens du coin se sont appropriés les lieux d’une manière ou d’une autre, et puis évaluer l’imprégnation par le Côté Obscur.
Le Côté Obscur ?
On est près de l’Empire, c’t’une ancienne enclave jedi, c’est souvent… ‘fin p’têt pas souvent, mais disons régulièrement visité par des Siths en quête d’artefacts ou je sais pas quoi. J’doute que ce soit des chasses aux trésors très fructueuses après tout ce temps, mais j’aimerais bien vérifier que l’endroit est pas maudit à s’en glacer les entrailles, quoi. La dernière fois que je suis venu, je me suis cantonné aux cavernes cristallines, j’ai pas visité les anciennes installations.

Déjà, les ruines de l’ancienne enclave se dessinaient à l’horizon, probablement parce que l’Ark-Ni pilotait à une vitesse à écorner un Zabrak. Loé, pour sa part, était cramponné à la portière comme si sa vie en dépendait, ce qui n’était certes pas tout-à-fait faux. Karm consentit finalement à décélérer, avant de faire pivoter le speeder pour le ranger tout près du socle d’une ancienne statue, rendue désormais méconnaissable par les bombardements.

C’est, euh…
Un champ de ruines, murmura Loé, face au spectacle terrifiant des installations anéanties, dont il ne survivait guère que des gravats.
J’préfère voir ça comme une carrière riche en matières premières.

Fort de ce bel optimisme, Karm descendit du speeder pour s’avancer sur ce terrain vénérable qui avait formé tant de Jedis illustres, avant de devenir l’une des blessures de leur Ordre. Il était convaincu que la Force s’attachait aux objets et que les lieux, petit à petit, se chargeaient de mémoire : la perspective de reconstruire ailleurs sur Dantooine, et même de reconstruire à partir d’autres matériaux que ceux qui avaient été abandonnés là par la prédation de leurs ennemis, n’était certes pas celle qu’il préférait.

Soyez prudents, murmura-t-il aux deux jeunes gens, le temps a laissé ici des traces douloureuses. Y a des ruines à l’intérieur des ruines.
Thann Sîdh
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Elle ne sortit pas immédiatement à la suite de son Maître. Elle prit le temps de respirer, de rassembler ses esprits. Quelques minutes, à peine. Elle aurait dû lui parler aussi de l’épreuve. Ils n’avaient toujours pas eu l’occasion d’en discuter vraiment. Il faut dire, entre toutes les nouvelles responsabilités qu’on lui confiait et le rythme de sa propre formation qui allait croissant, le temps semblait leur manquer pour tout. L’adolescente se sentait pourtant enfin prête à en parler. Il lui fallait aborder la question…

Elle sauta sur ses pieds, se changea rapidement. Elle enfila sa tenue d’exploration tout en songeant à son désir de changement. Une pensée lui traversa l’esprit, curieuse. « Trop vieille école, trop jedi… ». Elle se surprit elle-même. Et quoi ? Après tout, Maître Don ne l’avait-il pas dit ? Chacun sa voie, pourvu qu’elle fût bonne. Elle se sourit en se promettant de faire en sorte, bientôt, de se trouver une nouvelle peau et, non sans avoir convoqué Bouteboute à sa suite, sortit.

Dehors, elle arriva à temps pour voir son mentor voler au secours du petit nouveau si terriblement urbain que les éopies eux-mêmes semblaient bien en peine de le considérer comme un être vivant et non un robot. La scène était touchante. Etaient-ce à cela qu’ils ressemblaient, eux deux ? était-ce différent ?

Elle ne pouvait percevoir un élément aussi subtil qu’une pupille, mais elle « sentit » son regard. Ou du moins elle était intimement persuadée de celui-ci. Thann se tourna vers elle, et avec son visage le plus faussement sérieux du monde, lui murmura :

« Avant de me juger, n’oubliez pas que je pourrais d’une pensée vous fourrer tous ces petits pois dans les oreilles… » La vieille maman, surprise, pouffa à en laisser échapper sa cosse avant d’être accompagnée par les rires de Thann. Les nuages étaient passés. « – J’crois que j’vais survivre. Hermina, on peut vous emprunter le… ? – Faites, faites ; il faut tirer sur le bitoniau pour décoincer le machin sinon ça fait surchauffer le bidule. puis elle ajouta, à l’adresse seule de Thann, Allez, vas. J’ai aimé tous mes enfants. C’est différent, voilà tout. Eux c’est eux. Vous c’est vous. » Pleine de la sagesse de la vieille matrone, la Padawane prit à son tour le chemin de la grange et rejoignit le tandem. Habituée à la conduite dangereusement sûre de son Maître, elle profita du vent pour s’ébouriffer les cheveux, assise même sur la tête de la banquette arrière plutôt sur la banquette elle-même. La jovialité que le vent avait fait pénétrer de force dans son humeur fut largement entamé par le spectacle qui les attendait à leur arrivée. Face à leurs constats, elle ne put qu’ajouter : « J’avais consulté les images d’archives mais là… C’est autre chose quand ça devient réel… »

Elle projeta sa conscience alentours. L’environnement lui semblait étrangement vibrant, plus vif, plus présent. Elle se souvint des sensations qu’elle avait éprouvées dans les grottes d’Ilum. Les deux lieux avaient cela en commun, la Force les imprégnait encore.

« Soyez prudents, le temps a laissé ici des traces douloureuses. Y a des ruines à l’intérieur des ruines. »

Un peu de poésie en marge de la désolation. Chacun s’embarrassa d’un paquetage léger et le groupe prit résolument le chemin de l’enclave. Autrefois, de vastes dalles recouvraient l’herbe et formaient ici une vaste esplanade. Alors, les dalles étaient sous la mousse, disloquées, défoncées, et entre les dalles de vieilles traces de bombardements, devenues d’étranges petites mares à grenouilles.

« Loé, reste derrière Maître Karm, je ferme la marche…, Avant de rapidement préciser. J’ai des yeux dans le dos. » Il se contenta d’opiner du chef. Bientôt, ils arrivèrent à la première porte, au sud-ouest du complexe, laquelle était aujourd’hui béante. Alors qu’ils guettaient depuis l’extérieur, sondant les entrailles, Thann rendit compte de ses recherches.

« Cette porte mène à la partie ‘civile’ du complexe. On y trouvait autrefois les aires d’atterrissages, le dojo des cérémonies, la salle du conseil, quelques appartements, des magasins… C’était un lieu ouvert et plein de vie. D’après les archives du nouveau gouvernement de Dantooïne, cette partie de l’Enclave était restée totalement close depuis les bombardements jusqu’à l’arrivée de l’Exilée. Les administratifs parlent d’un concile religieux, quelques choses du genre. Je ne pense pas qu’ils aient bien saisis ce qu’il s’est passé ici. Apparemment, les choses se sont passées en deux temps, d’abord notre aïeule s’est occupée à aider à la restauration d’un pouvoir politique stable, en a profité pour visiter les lieux, puis plus tard, elle est revenue pour ce fameux conciles. Ils n’ont gardé que les traces des allers et venues des vaisseaux, car aucun des Jedi présents ce jour-là ne s’est enregistrés officiellement. Les autorités ont préféré fermer les yeux. D’ailleurs, de tous les vaisseaux à être venus, on ne garde la trace du départ que de deux d’entre eux. ‘Fin bref…

Après ça, les autorités ont bouclé la zone et l’ont interdite au public. Toutes formes de pillage a été sévèrement punies, mais les années précédentes avaient de toute façon largement contribuer à vider l’endroit de ses biens les plus précieux. Les accords avec l’Ordre Jedi renaissant qui suivit cette période ont sacralisé cette interdiction d’accès mais le temps a passé et la vigilance s’est atténuée jusqu’à devenir tout à fait inexistante, comme on le constate maintenant…

J’imagine que les plans généraux n’ont pas beaucoup changé, mais j’ignore totalement si l’intégralité de la structure sera accessible. Je n’ai trouvé aucune trace d’une expédition archéologique officielle… J’ai déjà prévenu Bouteboute pour qu’il enregistre un maximum d’images. Nous n’avons plus qu’à entrer… »


Sur ce point, maître et Padawan restait le jour et la nuit. Thann ne pouvait s’empêcher de se renseigner le plus possible sur un sujet avant d’avoir à le traiter, tandis que Karm… Karm était Karm. Sa petite sphère flottante siffla pour faire savoir qu’elle était tout aussi prête que le reste de la troupe.
Karm Torr
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Ouais, Thann a des yeux derrière la tête mais moi, j’ai une tête derrière mes yeux.


Après le silence consterné qui suivit cette plaisanterie pourtant, de son humble avis, génialissime, ils s’engagèrent dans les ruines, guidés par les explications de la Miraluka. Les connaissances archéologiques de Karm se bornaient aux rapports de ses collègues de l’ExploCorps dont les fouilles, par définition, se concentraient sur des planètes lointaines dont ils exhumaient les civilisations depuis longtemps disparues et oubliées.


Ses connaissances sur l’histoire de l’Ordre lui-même étaient profondes mais très sélectives : il s’intéressait aux arts martiaux, avant tout, et aux questions de mœurs, ensuite. Les événements que décrivaient Thann faisaient partie de cette culture générale un peu vague que partageaient la plupart des Jedis et qui chez lui, à cause de son éducation particulière, demeurait assez lacunaire.


Essayons d’aller vers les souterrains.


Là où ils seraient les plus proches des cristaux qui dormaient encore dans le sous-sol de Dantooine, et où la connexion avec la Force serait la plus forte. Ce n’était la pierre ou l’architecture de l’Enclave qui préoccupait Karm : la matière première qu’il venait d’évoquer, c’était la Force et la manière dont les grandeurs et les misères de ces lieux l’avaient successivement façonnée.


Le temps s’était joint aux bombardements et aux pillages. Ils durent escalader des éboulis pour parvenir au hall principal, dont certains murs étaient déjà moitié effondrés. La végétation avait repris ses droits, enserrant de ses tiges la pierre. Au fil des décennies, elle avait tordu le métal et toute la structure, fragilisée par les innombrables attaques silencieuses du quotidien, connaissait parfois de ces révolutions soudaines des montagnes qui s’effondrent du jour au lendemain.


Dans ces ruines, Loé paraissait beaucoup plus dans son élément qu’auprès des éopies. En apprenti diplomate, depuis des années de guerre, il s’était bien des fois rendu dans des endroits semblables avec son premier Maître : il était familier du poids de l’histoire et de la mort, du silence qui suivait la violence des batailles, et des paysages désolés qu’il fallait reconstruire.


Par ici.


Les turbolifts étaient hors d’usage depuis longtemps, mais certains escaliers demeuraient accessibles. Karm en avait trouvé un que les éboulements n’avaient pas encore obstrués. Aucun des membres du trio n’ayant précisément une carrure de Wookie sous stéroïdes, ils purent se faufiler par la mince ouverture. Bientôt, les lampes de Loé et de Karm, fixées à leur poitrine, balayaient l’obscurité.


Vous entendez ça ?


Des murmures s’élevaient des profondeurs de l’ancien Temple.


C’est le vent ?
Qui a quelque chose à dire.


Bien conscient que les circonstances ne se prêtaient pas aux enseignements cryptiques, le Chevalier poursuivit :


Le vent souffle entre les pierres, se heurte et se brise en échos, partout autour de nous. Et en même, tu éprouves la Force, qui est chargée de… souvenirs, et de combats, et de peurs, et d’engagements. Pleine de mémoire. Ton esprit cherche à donner du sens à tout ça, alors il te fait entendre les murmures du vent.
Donc c’est un tour que me joue mon cerveau ?
Seulement si tu considères que ce qui se passe à l’intérieur de ton esprit et dans le monde physique sont deux choses différentes.
Mais il y a tout de même, comment dire ? Une réalité objective.
C’t’un point de vue subjectif.


Jusqu’à présent, Loé avait reçu une éducation purement rationaliste. La Force était un ensemble de phénomènes qu’il fallait analyser et comprendre, puis savoir manier. En dehors des cours collectifs, où la diversité des professeurs entraînait la diversité des perspectives, son propre maître ne l’avait jamais exposé à ce mysticisme tout en paradoxe qui était la marque de fabrique de ces Jedis à la sensibilité plus proprement religieuse, comme Karm.


Disposé cependant à se remettre en question, le jeune homme ne se lança pas dans une polémique, mais conserva plutôt un silence pensif, et attentif. Une fois au pied des escaliers, Karm effleura du bout des doigts le mur tout près de lui.


De l’eau. Doit y avoir une infiltration qui remonte sur toute la structure.


Ils entendirent non loin de là les pas précipités d’une toute petite créature. Il y avait de loin en loin des hululements qui se répondaient les uns aux autres. Nul doute, donc, qu’une trouée devait ouvrir directement sur le ciel.


Je sens la présence du Côté Obscur, murmura Loé, alors qu’ils longeaient l’est d’une salle circulaire.
C’t’une façon de voir les choses.
Que voulez-vous dire ?
Il y a des blessures dans la Force, et les blessures sont sources de douleur, et de peur, et de ressentiment. Mais ces sensations sont pas obscures en elles-mêmes. La fièvre n’est pas un mal, quand elle alerte le médecin. C’est dans l’attention que nous portons à la blessure que naît l’obscurité ou la lumière.
Vous avez choisi Dantooine pour la guérir ?
Est-ce que c’est l’Ordre qui va guérir Dantooine ou Dantooine qui va guérir l’Ordre, ça…


Une fois de plus, le jeune Consulaire se sentit déstabilisé par ces réponses. Il n’était pas habitué à ce genre de conversations labyrinthiques.


Loé, aide Bouteboute à éclairer l’ensemble de la salle, qu’on ait des images de qualité.
Bien, Maître.


Quand le Kuati se fut un peu éloigné, Karm fit mine de se plonger dans l’examen d’une liane épineuse qui enserrait étroitement les restes d’une colonnade.


Et toi, Thann ? Qu’est-ce que tu ressens ici ?


Le Chevalier posa un index sur la liane et slaloma entre les épines.


Est-ce que tu crois que c’est une blessure trop grande pour être recousue ?


Plus loin, Bouteboute bipait des ordres probablement incompréhensibles pour Loé, qui faisait néanmoins de son mieux pour éclairer tout ce qu’il pouvait.


Est-ce que tu crois qu’il y a des peurs et des ressentiments parfois si grands qu’il nous faille forcément nous en détourner ?
Thann Sîdh
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L’excitation de la curiosité se mêlait à la peur délicieuse de l’aventure, celle qui aiguise les sens et prévient du danger. Sitôt qu’elle posa le premier pas à l’intérieur de l’immense bâtiment, l’atmosphère se fit différente, l’air sembla vibrer, le bâtiment tout entier semblait réagir à leur arriver. Partout, alentour, elle sentait la Force. Le lieu, il y avait bien longtemps de cela, n’avait pas été choisi au hasard. A la façon du grand Temple de Coruscant, celui-ci, dans une moindre mesure, avait été érigé sur un nexus : ces cœurs battants de la Force dont son Maître déjà lui avait parlé.

Des souvenirs d’Ilum et d’Ondéron lui revenait. Elle retrouvait un peu des sensations qu’elle avait éprouvées dans ces grottes, lorsqu’elle avait trouvé Endalda d’abord, puis lorsqu’elle avait rencontré ces fantômes… Elle n’y pensait qu’à présent. Les fantômes. Alors qu’ils parcouraient les couloirs. L’un des lui était revenu. Elle s’arrêta. Ils s’éloignaient. Il était lui. Celui-là. Comment ? Comment était-ce seulement possible ? Savoir que la Force pouvait lever le voile de l’avenir était une chose. Théoriquement. Le vivre la bouleversait. Un instant, elle en oublia totalement le péril qui la guettait. Si l’Enclave avait été, jadis, le refuge de bien des âmes en peine, son visage avait radicalement changé depuis. Le long des murs suintaient des flots impurs de Force. Violents effluves, échos traumatiques du fléau qui s’était abattu depuis les cieux. Avec un pincement au cœur, elle réalisa que peut-être, malgré tout le temps, tous leurs aïeux tués ici n’avaient pas encore trouvé le repos, ni même de sépulture.

Pourtant, alors qu’elle avançait et sentait les vagues vibrantes de violence de la Force, elle percevait aussi autre chose. Elle était ténue, mais la vie était là, présente, rampante même ; et arrachait à la brutalité mortifère du passé des lambeaux de terrain. Le temps faisait son effet. Les lieux n’étaient pas stériles, tout champ de ruines qu’ils étaient.

A la suite des autres, elle se faufila à travers la gueule à peine ouverte d’une ancienne cage d’escaliers. Les marches avaient souffert mais restaient praticables pourvu qu’on prêtât suffisamment d’attention à son pas. L’adolescente écouta avec un sourire son maître dérouté Loé. Elle aussi, d’abord, avait eu bien du mal à comprendre l’étrange ascète des montagnes qu’était parfois l’Ark-ni. Alors que l’ancien reprenait la tête du groupe, Thann tenta une ouverture, un peu, aussi, pour l’entendre de nouveau, confirmer ce qui était pour elle déjà une certitude.

« C’est un spécialiste des discours mystiques, tu t’y feras. Il faut ranger soigneusement dans ta tête et démêler ça le soir au repos. Si tu tentes de tout comprendre tout de suite, tu finis par t’embrouiller et te taper le nez dans une poutre. Et je te préviens, c’est encore pire lorsqu’il faut réussir à saisir l’humour ark-ni. – Ah… » Elle ne savait trop comprendre le sentiment qui s’affichait en ce moment sur le visage de son homologue. L’avait-elle choqué ? Il est vrai que la liberté de paroles que Karm lui avait toujours accordé avait déjà heurté la sensibilité de plusieurs de leurs confrères. Ou était-ce simplement de la déroute face à une situation qui lui échappait trop ? En tous les cas, il ne dit guère grand-chose d’autres et face à son mutisme, elle se contenta d’un sourire et d’une invitation de la main à poursuivre leur escapade. A ce moment, elle se sentait spéciale. Même s’il était là, il ne partageait pas encore leur intimité. Prenant conscience de son sentiment, elle se rabroua, se colla un sévère sermon dans le crâne sur le caractère déplacé de l’égoïsme dont elle faisait preuve alors et reprit sa marche – mais quand même…

Ils s’arrêtèrent un temps dans une vaste salle circulaire. Alors que les deux hommes échangeaient, Thann étendit sa perception au plus loin qu’elle pouvait. Dans un lieu aussi chargé de souvenirs et de Force, tout était si étrangement vif et à la fois si difficile à déterminer.

« Et toi, Thann ? Qu’est-ce que tu ressens ici ? Est-ce que tu crois que c’est une blessure trop grande pour être recousue ? Est-ce que tu crois qu’il y a des peurs et des ressentiments parfois si grands qu’il nous faille forcément nous en détourner ? – Ce sera long. Comme toutes blessures si profondes. Mais vous le sentez, vous aussi, non ? La vie a déjà retrouvé son chemin. Ce lieu n’est pas mort. Il faudra du temps. Il lui en a déjà fallu beaucoup pour en arriver là. Et il nous faudra faire attention. Exposer n’importe qui à une telle violence sans y être préparé serait irresponsable mais… Elle prit une profonde inspiration et s’immergea dans le flot de la Force… Ce lieu est fantastique. J’ai presque l’impression, qu’au-delà de son mauvais caractère, il n’attend que nous pour de nouveau vivre en symbiose et en harmonie. Du moins, est-ce que j’espère. Elle reprit davantage pied dans la réalité, et poursuivit avec la question fatidique. « Maître… ? J’ai… J’ai déjà vu Loé. Pas au Temple. Dans les ruines, lors du tournoi. Il faisait partie des… Il était parmi les fantômes. Et nous avons parlé. Comment … ? J’ai du mal à comprendre, et à la fois je ne sais si je dois vous en parler. Cette épreuve avait quelque chose d’intime, j’ignore si la partager trop n’en biaiserai pas les leçons. »
Karm Torr
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Les blessures étaient vives, dans les souterrains de l’Enclave de Dantooine, et Karm, comme souvent, constata qu’il n’en était pas durement ébranlé. Il observait l’effet de cette Force tumultueuse et douloureuse sur ses deux Padawans, tandis qu’il ne sentait en lui-même que la calme fermeté qu’il avait toujours eue sur les champs de bataille, face à l’horreur du carnage et de la terreur, et c’était une fermeté qu’il se rapprochait, comme un crime d’indifférence.


Était-il insensible ? Y avait-il quelque chose de coupable dans sa propension à voir d’abord en Dantooine une opportunité ? À sentir en premier la vie infime qui grouillait désormais sous les décombres, cachée par les éboulements et les feuilles ? Il aurait aimé être de ces Jedis dont l’âme était si douce, si portée vers l’empathie, que pénétrer dans un tel lieu leur aurait briser les coeurs.


La main posée sur la pierre, il en caressait du pouce la surface froide et que l’eau en s’écoulant pendant des années avait rendue lisse et douce.


C’est ce que je pense aussi, murmura-t-il quand sa Padawane lui fit part de son optimisme.


Les déclarations de Thann étaient un soulagement. Si elle aussi pensait à la vie et au futur de Dantooine, alors sans doute il n’était pas criminel de sa part à lui d’y concentrer son attention.


Tu sais que les forêts qui brûlent rendent le sol fertile pour que les arbres renaissent. Je ne dirais pas qu’il y a une fatalité bienvenue dans la destruction du Temple, et nous devons lutter contre les tragédies, peu importe les bienfaits qui pourraient en sortir. Mais quand la tragédie est accomplie, j’préfère me concentrer sur ce qui reste.


Le Jedi retira sa main de la pierre.


L’Ordre est comme Dantooine. Meurtri par la guerre, profondément blessé, avec ses pertes et ses divisions, ses cabales secrètes, ses pans entiers inaccessibles, à cause des décombres. Va falloir qu’on soit à la fois modestes et ambitieux. Modestes, parce que notre préoccupation, c’est d’abord l’Enclave, et que je préfère ici des potagers fertiles que là-bas, de grandes réformes dans la Chambre du Conseil, mais ambitieux, parce qu’on doit faire l’expérience quelque part de ce qui doit nous soigner partout.


Karm n’avait jamais été homme à croire que les solutions se trouvaient d’abord dans des principes abstraits à partir desquels on élaborait des politiques publiques qui devaient ensuite s’appliquer à la particularité des choses : si ses espoirs concernaient l’Ordre tout entier, il voulait d’abord qu’ils se développent ici, avec de vraies gens, les pieds dans la boue.


C’est fi…


Loé, doué d’un sens de la psychologie hors du commun, comme nombre des futurs Consulaires les plus prometteurs, ravala la fin de sa phrase en apercevant l’expression de la Padawane et de son Maître, alors que celle-ci venait de confier ses expériences fantomatiques à celui-là.


Hmm… Poursuivons dans ce tunnel, fit-il d’un air pensif, comme s’il se parlait à lui-même, mais assez fort pour que les deux autres sachent qu’il comptait bien les laisser tranquille.


L’exploration de ces ruines l’effrayait un peu, parce qu’il en percevait la présence singulière à travers la Force, mais elle était aussi une expérience si atypique pour lui qu’on avait conduit de sénats en conseils et d’assemblées en parlements, qu’il l’abordait avec la curiosité intrépide des jeunes gens de son âge.


Karm considéra sa silhouette qui disparaissait dans un couloir, tandis qu’il pesait soigneusement les propos de la jeune fille.


Honnêtement, j’crois pas qu’il y ait beaucoup d’expériences dans la vie et d’enseignements en général dont on tire des conclusions plus utiles parce qu’on y a réfléchi seul. J’dis pas que l’introspection me paraît inutile, mais juste que l’intimité et la lucidité sur soi-même se construisent mieux, je crois, dans le dialogue avec ses proches que dans un tête-à-tête avec ses propres pensées. Mais c’est peut-être juste moi qui me sens impersonnel quand j’ai pas quelqu’un avec qui explorer ce qui me trotte dans le crâne.


En réalité, quand il était seul face à son miroir, le Chevalier avait l’impression de ne pas avoir de personnalité. Il lui arrivait de se sentir comme une coquille vide. Probablement, ce n’était pas normal, mais à qui parler de ce genre de choses ? Il préférait donc la compagnie des autres, au Temple, ou bien se concentrer sur l’extérieur, au cours de ses explorations.


C’est à toi de voir ce que tu veux garder pour toi, ou partager avec moi. Ou partager avec des amis, aussi. C’est pas parce que tes amis sont jeunes et inexpérimentés que leur point de vue est pas utile. La sagesse est de toute façon le produit d’un exercice collectif.


Comme Loé s’était déjà un peu éloigné, ils purent lui emboîter le pas, sans craindre que le jeune homme ne surprît leur conversation. Du reste, il n’y avait pas grand risque : désormais pris d’un enthousiasme archéologique, le Kuati se plongeait dans l’examen minutieux des pierres même les plus indifférentes.


Sur ta vision en particulier, là comme ça… J’avoue que les trucs de voir dans le futur et tout ça, c’est pas trop mon champ d’expertise. Mais de ce que j’en comprends, la prescience te permet de comprendre quelque chose de l’avenir, mais pas nécessairement de le percevoir. Comme les rêves qui sont parfois des métaphores de ce qui trame à l’intérieur de nous, des métaphores qu’il faut interpréter, et qui ont pas toujours le sens qu’elles paraissent avoir de prime abord.


Ils s’arrêtèrent au seuil d’une pièce que Loé était en train de cartographier avec l’aide du petit robot. Ou plutôt, que le robot de Thann cartographiait avec l’assistance du Padawan.


En tout cas, je sais pas ce que cette apparition t’a dit et ce que tu penses en avoir compris, mais n’importe comment, tu peux être sacrément fière de toi. ‘Fin, avec humilité, sans orgueil et tout ça, hein, on s’comprend. Ce que je veux dire, c’est que percer le voile de l’avenir et pressentir un événement aussi improbable que lui débarquant dans nos vies, c’est pas donné à tous les Jedis, et généralement inaccessible aux Padawans. Ça a l’air de te travailler, mais perso, ça m’donne plutôt l’impression que niveau Force, t’es sur le bon chemin.
Thann Sîdh
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Ils ne s’étaient pas vraiment concertés sur le sujet, mais là, elle trouvait un écho à ses propres idées. Leur passage sur Pakuuni avait été pour elle comme un vaccin contre toute prétention aux bouleversements des grandes instances. Ces monstres administratifs, soigneusement entretenus par des desiderata bien souvent égoïstes, dans des réflexions purement financières. Personne n’était capable de transformer un régime à ce point. Il faudrait être élu par la Force elle-même, et encore, avec soi toute une armée aveugle et obéissante, prête aux pires exactions pour rebattre pleinement les cartes de la richesse et du pouvoir. L’adolescente ne se sentait pas être ce genre d’élu et… Si elle y avait réfléchi, elle n’eût certainement pas voulu l’être.

Elle apprécia l’intimité que Loé leur concéda immédiatement, sans qu’elle n’eût besoin de lui demander. Au fond, maintenant que la colère était passée et que ce lieu captivant lui triturait l’esprit, elle commençait à lui trouver des qualités évidentes à ce jeune homme ; il n’était pas que beau. Ils purent poursuivre leur conversation et avancer, quelques dizaines de pas en arrière. Elle songea un instant au chemin qu’elle avait parcouru. Certainement, il y a seulement un an de cela, sa colère encore récente se serait-elle nourrie de la violence du lieu. Ce n’était pas le cas, là. Ou peut-être était-ce le signe que le lieu n’était effectivement plus si sombre qu’il s’en prenait à ses visiteurs ? Après tout, il n’était que meurtri, il n’avait pas toujours été ainsi… Comme Kolin ? C’était drôle, cette façon dont les idées se bousculaient.

« Merci… Quand je serais devenue la plus grande Maître de l’Ordre et que j’aurais sauvé la galaxie de la destruction, d’ici quatre ou cinq ans, j’entends, je penserai à vous remercier de votre propos prescience, maître. Elle rit. Je vais y réfléchir. Et en parler… Peut-être plus avec vous. On nous a trop reproché notre affinité, je veux montrer que nous sommes complémentaires et que je ne suis pas une espèce de sangsue adorable logée tranquillement sur votre jugulaire. Et puis, on vient de nous livrer un tout nouveau modèle de camarade, il faut bien que moi aussi je l’essaie pour pouvoir faire mon retour au service client, non ? » De nouveau, les lieux anciens entendirent résonner l’éclat de ses rires. « Enfin, voyons plutôt ce que Bouteboute et Loé ont découvert, nous aurons encore le repas ce soir pour discuter… »

Tout deux rejoignirent le Padawan et la petite sonde qui s’efforçaient de faire le tour de la pièce du mieux qu’ils le pouvaient. Beaucoup d’éléments du plafond encombraient désormais les sols, des poutres, des rivières, des câbles, beaucoup de mousse aussi. « Bouteboute, projette-moi le plan que tu as établi s’il te plaît. Elle étudia un temps les projections en question et après une moue dubitative annonça son verdict. Je crois que nous sommes à hauteur de l’ancien dojo… Même si on n’en reconnaît plus grand-chose. Normalement, on devrait pouvoir d’ici facilement atteindre la chambre publique du Conseil mais… Je vois mal comment nous pourrions nous creuser un chemin jusque-là. Tout semble s’être trop effondré. D’après les plans que j’ai pu étudier, le plafond s’ouvrait directement sur le ciel. Les lieux ont dû essuyer le gros des tirs et ne doivent plus ressembler à grand-chose en tous les cas. Si nous voulons retrouver quelque chose de plus que des cailloux et de petites flaques dedans, j’imagine qu’il faut nous enfoncer dans les entrailles de cette belle bête, mmh ? » Elle ne questionnait pas seulement son Maître mais bien toute l’équipe, Bouteboute compris.
Karm Torr
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Non mais t’as raison.

Karm fixa sa Padawane avec beaucoup de gravité.
(Vu son éventail assez limité d’expressions faciales, ça ressemblait beaucoup au moment où il la fixait avec beaucoup de légèreté.)

J’vais t’appeler « P’tite Sangsue » à partir de maintenant. Y a pas de raison que je sois le seul à avoir un surnom pourri dans cette équipe.

Quelques secondes plus tard, ils retrouvèrent Loé qui s’exclama :

Il est génial ce robot !

Avant de rougir violemment.

Euh. Pardonnez-moi, maître. Je crois que la Force me rend un peu…

Le jeune homme se laissait gagner par l’adrénaline, les envies de liberté, cette pulsion de vie contenue par toute une éducation de Consulaire et de diplomate, cantonné à la réserve la plus stricte. Au cœur de l’Enclave de Dantooine, il était hanté à sa manière, par un spectre bien vivant, et fort peu sinistre, dont la voix si familière chuchotait à son oreille.

Bref…
Faut pas trop le dire, après, Bouteboute va attraper la grosse tête. Et comme, euh… Ben c’est qu’une tête, ce sera particulièrement significatif.

Le robot fit néanmoins preuve d’une grande mansuétude en acceptant de collaborer avec les trois Jedis pour afficher les plans. Évidemment familier de ce genre de relevés, Karm les étudia en silence, tandis que son nouveau Padawan peinait de toute évidence à leur donner du sens.

On arriverait à passer avec des foreuses et j’imagine que les gens du coin doivent avoir quelque chose d’un peu équivalent. Ça pourrait être une bonne manière de les associer dès le début à la reconstruction. Après tout, c’est le but de la nouvelle Enclave. Essayons au moins de nous approcher. À défaut de pouvoir toucher les lieux, on pourra au moins les éprouver. Et peut-être qu’une voie se présentera à nous. M’sieur Bouteboute le Génial, si vous voulez bien ouvrir le chemin.

Le trio s’engagea dans les galeries qui se transformaient petit à petit en parcours du combattant : il fallait escalader des monticules de gravats, se faufiler entre deux pans de mur abattus ou ramper sous les décombres afin de progresser jusqu’à la chambre du Conseil. Pour Karm, c’était bien sûr le symbole même de la tâche qu’ils se proposaient d’accomplir et il était naturel que leurs corps en même temps que leurs âmes dussent se soumettre aux épreuves du passé.

Maître, finit par chuchoter Loé ?
Hmm ?
Comment faites-vous pour ne pas être influencé par le Côté O… par la blessure de la Force ?
Je suis influencé. Mais d’un naturel stoïque.

C’était peu de le dire.

Après quelques secondes, le Gardien adressa un regard en coin au jeune homme.

T’aimerais savoir ce que ça me fait, hein ?
Oh non non, s’empressa de répondre Loé, tout confus. Je ne veux pas me montrer indiscret.
Bah…

Karm haussa les épaules.

L’intimité n’est jamais que l’omerta qui protège la norme.
Hmmm…, fit le Padawan d’un air très inspiré, mais incertain de ce que ça pouvait bien vouloir dire.
Dans ces endroits de grande violence, reprit calmement le Chevalier, j’éprouve la nostalgie des champs de bataille. Et cette nostalgie réveille ma culpabilité. Dans une large mesure… La guerre est mon élément. Le chaos des explosions et des tirs de blaster, c’est ma maison. Et plus je vieillis, plus j’ai peur de ce que ça révèle de moi.

Loé en resta sans voix. Ce n’était pas tant ce que le Jedi avouait en particulier, que l’extraordinaire sincérité de celui-ci. Le jeune homme n’avait jamais connu que des aînés qui se réfugiaient dans la réserve, ou même se drapaient volontiers dans un voile de mystère. Mais la pudeur était une valeur très relative pour l’Ark-Ni, qu’elle fût physique ou sentimentale.

Thann ? À quel point tu penses qu’on sera en mesure de conserver des éléments de l’ancienne structure, en rebâtissant ?

Ils étaient arrivés finalement devant le monceau de permabéton et de métaux tordus qui barraient le chemin de la chambre du Conseil. Des champignons avaient tirer parti de l’obstacle en s’y répandant consciencieusement et leur présence arracha un sourire attendri à l’explorateur, mycophile, comme tous ces tordus de l’ExploCorps.

Peut-être que le chemin qu’on est en train de faire, on pourrait le garder tel quel. En ouvrant une petite route vers le reste des souterrains. Que chaque habitant de l’Enclave puisse faire l’expérience de ce passé. Je suis pas un grand fan des monuments qu’on érige exprès, quand l’art fait du souvenir une expérience euh… esthétique… mais les ruines c’est différent.

Karm jeta un coup d’oeil à Loé, dont la nervosité était palpable. Mais c’était précisément le but de l’expérience et le Padawan n’avait pas l’air sur le point de sombrer dans la folie, alors il le laissa affronter ses propres difficultés et reporta son attention sur la plus sympa des sangsues.

C’est que j’compte sur toi pour envisager les bâtiments. Dans les grandes lignes, on fera calculer tout bien après par un archidroïde.
Thann Sîdh
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L’avancée vers l’ancien cœur battant de l’enclave fut difficile. Même pénible. Les gravats, les barres à mine, les verres brisés, les lattes de planchers changés en épieux et la mousse qui finissait de rendre le tout singulièrement dangereux ; ils ne durent leur passage qu’à l’étroitesse tous de leurs silhouettes bien davantage qu’à leurs efforts. Pas une fois appliquer leur force, qu’elle fût physique ou d’une autre nature, ne parvint à un quelconque résultat. Tout était trop tassé depuis bien trop longtemps et les gravats avaient trouvés leur équilibre. Il n’y aurait qu’avec la puissance mécanique et une quantité d’énergie colossale qu’ils pourraient creuser quoique ce soit dans le squelette vermoulu des vieilles installations.

« Thann ? À quel point tu penses qu’on sera en mesure de conserver des éléments de l’ancienne structure, en rebâtissant ? Le temps de la réflexion, mais le constat était en réalité assez évident pour l’adolescente, – J’aurais aimé pouvoir vous répondre, mais cela dépasse totalement mes connaissances. Si je vois bien ce que nous pourrions en faire, je suis bien incapable d’évaluer les enjeux d’une telle reconstruction. Il nous faudra la fine fleur de ce que l’Ordre et la République ont à nous offrir en terme de génie civil... Et du temps, beaucoup de temps. Si nous voulons récupérer un maximum des structures initiales, il nous faudra passer beaucoup de temps, déjà, à consolider la structure, placer des étais, et croiser les doigts pour que lorsque nous déblaierons, tout ne s’écroule pas. Les Sith de Malak n’ont laissé absolument aucune chance à l’endroit… Mais pour une raison que j’ignore, ils ont fait cessé les bombardements avant que le tout ne soit pas un cratère fumant… Et vous remarquez, finalement, il n’y a trace d’aucune tombe, ni alentour, et les archives ne mentionnent – dans les zones accessibles – la découverte d’aucun corps. Le lieu a été détruit, et ses habitants ont simplement disparu. »

Plus elle réfléchissait, et plus elle s’éloignait de son sujet initial, mais c’était toujours ainsi lorsqu’on lui demandait d’exposer ses idées, elle ne pouvait s’empêcher de faire tourner la machine. Elle ne se tut que lorsqu’ils s’arrêtèrent devant un amas de décombres infranchissables. Derrière, la salle du Conseil. Contrairement à ses confrères, sa perception ne s’arrêta ni aux champignons, ni au permabéton. Elle s’approcha le plus possible des décombres, posa les deux mains sur la pierre, respira, et étendit sa perception à l’avant. Par un de ces étranges miracles que seule la Force s’autorise, le lieu était resté singulièrement en état et, elle y trouva une sérénité comme au plein cœur de l’ouragan. L’Enclave entière était un cyclone, là s’en trouvait le centre et, ce que ne laissait guère supposer la tempête qu’ils avaient jusque-là traversée, une douce Lumière. Autrefois ouverte sur le ciel, elle était aujourd’hui tout à fait recouverte par les débris, mais le cercle était bien là ; partout de la végétation. Le lieu avait cicatrisé depuis là. Thann s’en trouva singulièrement émue, elle sourit.

« C’est que j’compte sur toi pour envisager les bâtiments. Dans les grandes lignes, on fera calculer tout bien après par un archidroïde. Elle était déjà ailleurs et n’écoutait que d’une oreille. – Vous devriez voir… Non. » Elle revint tout à fait à elle et, l’émotion lui faisait oublier les bonnes manières, oublia même de se tourner vers ses interlocuteurs pour parler, toute concentrée qu’elle était sur ce spectacle face à elle. « Maître, laissez-moi vous montrer. Je m’en sens capable. Je sais… J’ai appris avec Seïid. Je peux partager ce que je sens avec vous. Laissez-moi, s’il vous plaît et si vous m’y autorisez, j’aimerais aussi, ensuite, le partager avec Loé. Je ne veux pas garder cela pour moi. Nous sommes tous trois venus ici, c’est un présent, je crois, que la Force nous adresse à tous les trois. – OK. Mais fouille pas trop dans mon esprit. Je tiens ma recette de galette aux légumes fricassés secrète depuis des années et elle ne te sera révélée que quand lorsque tu passeras Maître Jedi. – N’ayez crainte, votre secret sera bien gardé. Je n’entre pas pour prendre quelque chose, je viens vous proposer un cadeau. Asseyons-nous et méditons. » Et c’est ce qu’ils firent, sur deux grands pans de bétons défoncés, ‘par hasard’ disposaient là par une chute qui leur aura donné l’allure de deux dalles de deux plateaux de méditations. Les secondes se dilatèrent, le temps suspendit son vol, elle s’invita dans l’esprit de son maître et, doucement, proposa à son esprit de partager sa vue. L’acte était intime, pour elle, d’autant que peu l’avait partagé avec elle jusque-là : Zelonion, d’abord, depuis longtemps parti, puis Seïid. Les choses se firent avec le même naturel entre eux. Ils se connaissaient.

Bientôt, Karm pu sentir les étendues circulaires, les lambris, les carreaux de pierre, les piliers, le tout ruisselant d’une « lumière » certainement bien étrange à son esprit mais qui était la manifestation, dans celui de la Miraluka, de ce que certains appelaient le Côté Lumineux. Ils parcoururent tout le lieu, se perdirent aussi un peu en périphérie de la tempête, c’était la première fois qu’elle partageait sa vue avec son mentor, après tout, elle voulait lui faire voir un peu de son monde, qu’il pût apprécier davantage encore le cœur de l’édifice pour ce qu’il était : dans leur opposition, ils trouvaient une harmonie et un équilibre délicat, authentique. Ils sortirent enfin de leur transe, Loé les observait avec un mélange de crainte, de curiosité et d’impatience.

« Viens, à ton tour… Son maître céda sa place et le jeune homme se mit en tailleur. Alors qu’elle effleurait son esprit, elle sentit immédiatement sa réticence. Sans s’en rendre compte, elle saisit sa main et d’une voix déjà lointaine, le rassura : Ne t’inquiète pas, fais-moi confiance, tu as juste à te laisser guider. » Son homologue tressaillit d’abord au contact de ses mains, puis se détendit, très lentement. Il parvint à s’ouvrir, malgré sa tension, et si leur promenade fut moins harmonieuse, du moins pût-elle lui faire entrapercevoir un peu de son monde. Lorsqu’ils revinrent à leur tour de la promenade, Thann fut pris d’un vertige et se rattrapa tout juste de tomber à la renverse, mais un sourire radieux illuminait son visage.

« Je ne tiens plus, on doit continuer la visite ! »

Karm Torr
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Dans la Force, dans le Côté Lumineux, la présence de Karm était une pulsation régulière et tranquille. Le calme parfois si étrange de l’Ark-Ni n’en fut que plus sensible lorsqu’il se plongea dans une posture méditative, laissant sa Padawane accéder à son esprit. Petit à petit, ses perceptions se mêlaient à celles de la Miraluka. Ce n’était pas aussi étrange que pour un autre, sans doute, d’abord parce qu’il la connaissait bien, elle, ensuite parce que Luke et lui étaient habitués à ces fusions des pensées et des perceptions, et que celles de son compagnon étaient nécessairement fort différentes des siennes.

Ainsi, Karm était habitué à se laisser guider de la sorte et son esprit avait quelque chose de disponible et de malléable qu’on ne trouvait pas d’ordinaire chez les utilisateurs aguerris de la Force, dont le réflexe bien naturel était de se protéger contre les intrusions. Il se laissa pénétrer par le Côté Lumineux, par les secrets renfermés de l’autre côté des gravats depuis bien longtemps, et par la joie pure et naïve, mais en cela précisément sage et clairvoyante, de son apprentie.

Un frisson le parcourut, lui qui s’entendait si bien à comprendre les secrets de la Force Vivante et qui trouvait là une végétation secrète et luxuriante. Il la sentait contre son corps, dans ses veines, et la sève se mêlait à son sang, il y avait la caresse des feuilles sur sa peau et le parfum des fleurs de la pénombre qui l’enivrait. Thann pouvait s’en rendre compte, son maître appréhendait la Force comme une expérience troublante et sensuelle, du genre de celles que les livres de la bibliothèque du Temple ne décrivaient guère, ou en tout cas pas cela que l’on donnait à lire aux Padawans.

Quand ce fut au tour de Loé, le Chevalier s’effaça à son tour. Les yeux fixés sur le jeune homme, il était curieux d’observer les réactions de son nouveau Padawan. Passé les premières réticences, le Kuati se montra singulièrement habile à cet exercice : c’était dans les domaines les plus immatériels de la Force qu’il se sentait pour sa part le plus à l’aise, pour scruter le temps et deviner les pensées, et quand il eut décidé de faire confiance à Thann, il se laissa guider comme quelqu’un dont ce n’était évidemment pas le premier exercice de ce genre.

Il y eut un silence quand leur découverte à tous les trois fut achevée. Loé considérait les éboulis, Karm considérait Loé, les éboulis ne considéraient personne.

Ça a pas l’air de beaucoup te perturber, comme expérience.
Ah… Euh…

Loé se releva et tenta de botter en touche :

Thann est une guide très douée.
C’est sûr.

Après un nouveau silence, le jeune homme comprit qu’il ne s’en tirerait pas à si bon compte.

J’ai, euh… enfin… j’ai un frère jumeau.
Jedi ?
Ancien Jedi.

Les raisons pour lesquelles Loé faisait cet aveu avec tant de réticence n’étaient que trop évidentes. D’abord, la gémellité n’était pas bien vue au sein de l’Ordre : c’était la quasi assurance d’une relation familiale intense, qui contrevenait pour ainsi dire par principe aux préceptes orthodoxes de détachement. Et ensuite, si c’était à cause de son jumeau qu’il avait l’habitude de partager ses pensées et ses perceptions, cela impliquait que les deux garçons avaient fait bon marché d’une bonne partie du Code Jedi. Et enfin, son jumeau avait quitté l’Ordre. On avait le droit de le faire. Mais en général, on ne le faisait pas.

Bon, on passera pas par ici sans machine pour déblayer. Essayons de remonter à la surface et de voir si y a pas un autre point d’accès.

Pousser son nouveau Padawan dans ses retranchements dès les premières heures, ce n’était probablement pas pertinent et Karm se résolut bien vite à ne pas interroger Loé plus avant. Pas tout de suite.

Cela dit, fit-il alors qu’ils rebroussaient chemin, il a raison Loé, tu te débrouilles bien, Thann. C’est p’têt quelque chose à creuser. Les voies de l’esprit, c’est pas ma grande spécialité, ‘fin sauf avec les animaux, quoi, mais tout ça, ça m’a déjà l’air pas commun.
Pourquoi est-ce si différent avec les animaux ?
C’est une question de… Sentience, ouais, c’est comme ça qu’on dit ? Percer les pensées de quelqu’un qui se sait penser, c’est à la fois plus simple et plus compliqué. Plus compliqué, parce que y a des résistances, au moins une surveillance, c’est labyrinthique. Et plus simple, parce qu’il y a toujours une sorte de code en commun. Avec les animaux, c’t’un exercice fondamentalement distinct. C’est… un ensauvagement volontaire.
On nous parle plutôt de domestication, en cours…
Faut pas trop aller en cours, répliqua Karm, c’est mauvais pour l’intellect.

Il avait l’air très sérieux.
Est-ce qu’il était sérieux ?
Loé plissa les yeux, indécis.

Et donc, mademoiselle, on a comme ça des talents télépathiques cachés ?

Et suspicieusement cultivés avec une camarade de chambre.
Le détective Torr flaire l’entourloupe.

Ça t’intéresse ? La communication par la Force, les aspects… immatériels ? ‘Fin disons évanescents. Impalpables ?

Difficile pour un matérialiste convaincu comme Karm de trouver les bons mots pour décrire ces applications-là de la Force.
Thann Sîdh
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Les deux expériences furent tout à fait différentes, mais tout aussi grisantes l’une que l’autre. Une telle communion amenée nécessairement à un… Changement de l’idée qu’on se faisait de l’autre. Et il fallait au moins un tel bouleversement pour que les derniers résidus de mécontentement d’une Padawane à qui l’on volait son maître s’envolassent au vent tranquille. Lorsqu’ils revinrent à eux, chacun resta muet. Thann de lassitude, les deux hommes de perplexité. Ce fut le mentor qui brisa le premier le silence, bien que le verbe parût violent employé avec la fluette qui était la sienne. Un frère jumeau ? Elle n’avait jamais connu sa famille. Elle n’avait jamais eu l’idée de la connaître. Beaucoup parlait des liens du sang, elle pensait plutôt qu’on s’attachait aux premiers objets de notre mémoire. L’expérience de la gémellité l’intriguait pour ne s’y être jamais intéressée. Pourtant, la gêne de Loé était assez évident, c’était ostensiblement une voie qu’il interdisait gentiment d’emprunter pour l’instant. Plus tard, peut-être ? Comme pour mieux reconnaître ce droit à l’intimité, le Maître changea radicalement de sujet et soudain, même Thann sentit que toutes les lumières se braquaient sur elle. Un instant, ils partirent ailleurs mais bien vite, c’était de nouveau le gizka pris dans le regard incandescent du speeder, la nuit, sur une route de campagne. Une stratégie ? De l’humour ark-ni.

« Puisque vous passez votre temps à courir les zélotes à l’autre bout de la galaxie et à devenir quelqu’un d’important pour le Temple, il faut bien que votre petite Padawane négligée continue toute seule son éducation, non ? Un grand sourire éclaira son visage mutin, presque aussi grand que s’ouvrirent les yeux de Loé, surpris d’une telle liberté de parole. J’ai… Vous savez, mon espèce ne voit pas le monde comme vous. Tout est plus… Enfin. Ce n’est pas de l’impalpable pour moi. Vous, Loé, la Force dessine bien votre enveloppe, mais, derrière le rideau, il y a votre propre cœur battant. Ce serait absurde de dire que votre âme m’apparaît, ce n’est pas tout à fait ça mais… Disons… Disons qu’il y a une pneuma, il y a un souffle, la source de votre propre fontaine. Et j’aime à entrer en contact avec elle, j’aime à partager aussi avec vous mon monde ; d’autant plus fort depuis que… Vous m’avez fait découvrir vos couleurs. J’ai réalisé que nous pouvions partager au-delà des mots. Et j’ai aimé le faire. Je vous avais déjà parlé de mon expérience d’avec Zélonion, l’ancien apprenti. Je me suis entraînée depuis avec Seïid. On se connait assez, nos esprits se s’étaient en quelque sorte déjà… Apprivoisés ? Depuis, voilà… J’ai compris deux-trois choses à force de réitérer les expériences. J’ignore ce que cela me permettra à l’avenir, pour l’instant, je profite surtout du plaisir que j’ai à le partager avec elle. Certainement on la vit rougir ; elle, en tout cas, se sentit les joues flamber. Et vous aussi, bien sûr ! »

Elle décida qu’elle en avait suffisamment dit et reprit la route, prenant cette fois la tête du groupe puisque les lieux ne les avaient, jusqu’à présent, guère mis à l’épreuve. Un temps passa, ils finirent par revenir sur leurs pas et avoir la possibilité d’un choix. Contrairement à la fois précédente, où le groupe avait opté pour le tracé le plus direct vers le cœur de l’enclave, ils pouvaient à présent flâner davantage. « Monsieur Bouteboute, votre expertise de cartographe est encore exigé. Pouvez-vous projetez, s’il vous plaît ? Il fit non sans une certaine fierté toute droïdique. Elle pointa dans les airs, sentant à travers ses doigts la légère tension électrique que le droïde projetait pour lui rendre le tout perceptible. Nous sommes ici. Là, c’était la salle du Conseil qu’on a quitté. De fait, d’ici, on a quatre possibilités : soit on essaie d’atteindre les anciens hangars mais j’ignore ce qu’il peut en rester. Ils étaient à ciel ouvert, en huis-clos sur l’extérieur, uniquement accessible depuis l’intérieur des bâtiments. Là, nous atteindrions les anciens jardins. Ici, normalement, ce sont les anciens appartements des invités ; et enfin, logiquement, nous pouvons toujours ressortir pour emprunter l’autre entrée et aller plus en profondeur dans les ruines. D’après les archives, c’est par-là que l’Exilée était allée, à l’époque. Elle n’a jamais communiqué sur ce qu’elle y avait trouvé et, on le sait, a disparu si vite après qu’on a guère eu l’occasion de la questionner sur la question. Alors… Où m’emmenez-vous les garçons ? » Elle rit encore. Ce serait peut-être drôle, finalement, de pouvoir embêter deux gens plutôt qu’un lorsqu’elle en aurait envie.
Karm Torr
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Je vois, je vois, je vois.


Pire que cela, même : il soupçonnait. Karm se dit qu’il était décidément temps de rencontrer cette fameuse Seïd, qui prenait tant de place dans la vie de sa Padawane. Loé, lui, qui était l’innocence incarnée, sauf quand son regard s’égarait sans qu’il s’en rendît compte sur les fesses de son nouveau mentor — mais c’était sans doute pour se repérer dans l’obscurité, non ? —, ne comprit pas qu’il y avait lesbianisme sous roche.


Bon ben vous allez pouvoir m’apprendre tous les deux.
Vous apprendre ? Comment ça vous apprendre ?
Ces histoires-là, les questions de… Les liens entre la Force et les esprits. La Force et les fantômes. La Force et le passé ou le futur. Ce genre de choses.
Je peux vous orienter vers les maîtres qui m’ont assisté dans ma propre formation en la matière, si vous le désirez, je suis sûr qu’ils se feront un plaisir de…


Mais Karm secouait la tête.


Non non, vous faites deux excellents profs.
Mais, je…
Parfait ! C’est donc entendu.


C’était que depuis qu’il se consacrait à l’éducation d’une Padawane, l’Ark-Ni avait lu dans des livres de pédagogie que la meilleure manière d’apprendre était parfois d’enseigner, et cette idée répandue résonnait pour une fois avec ses propres conceptions. Quand Thann et Loé seraient des Chevaliers, ils auraient eux-mêmes à contribuer à la transmission du savoir au sein de l’Ordre. Pourquoi ne pas acquérir des réflexes dès à présent ?


Pour l’heure, il reporta son attention sur la carte holographique projetée par Bouteboute, qui était fin prêt pour une reconversion en droïde de cinéma.


Vous pensez que c’est dangereux, demanda Loé quand Thann eut fini ses explications sur la disparition de l’Exilée ? Parce que si c’est dangereux, nous devrions peut-être commencer par là.


Karm interrogea le Kuati du regard.


Si notre objectif est de juger de la situation des lieux en vue… de l’intervention d’ouvriers, peut-être des civils, il faut d’abord lever autant de doutes que possible sur les questions sécuritaires.
C’est pas faux, fit l’Ark-Ni. C’est parti alors.


Dix minutes plus tard, ils se présentaient à l’embouchure de ce qui désormais tenait plutôt lieu de grotte que de bâtiment : les ruines s’étaient effondrées sur elles-mêmes, puis elles avaient été envahies par la végétation. À en juger par les traces sur la pierre, que l’explorateur effleura du bout des doigts, de gros animaux tunneliers qui s’étaient forés un passage. On observait aussi sur certains débris les marques symétriques de pinces puissantes, dont on avait dû se servir pour déblayer le passage.


On est clairement pas les premiers visiteurs, murmura-t-il.


Au demeurant, ça n’avait rien de surprenant. Le Chevalier réactiva la lampe fixée à son épaule et s’engagea sur le plan incliné qui remplaçait un escalier de jadis et permettait d’accéder à ce qui avait été le niveau inférieur. De ce côté, les souterrains étaient bien plus humides, et la mousse et les champignons s’étaient développés.


Hm.
Est-ce que c’est un… ?
Définitivement.


Un cadavre. Enfin, un squelette, pour être précis. Il gisait là à quelques dizaines de mètres de la base du plan incliné. Karm s’accroupit et dégagea précautionneusement les tissus en lambeau de ce qui avait dû être jadis une tenue de voyageur. Un magnifique champignon s’épanouissait depuis les quatre orbites du crâne vide.


Regardez.


Le Jedi glissa ses doigts dans un trou parfaitement circulaire au milieu du sternum.


Sabre laser, déclara-t-il laconiquement.
C’est un Sith. Enfin, c’était.
T’es sûr ?


Karm se redressa.


Oui. Non. Enfin… je crois.


Loé plissa les yeux.


C’est un passé lointain, difficile à percer, et il ne reste plus que des murmures de bribes.
Peut-être une dispute entre pillards et son associé sera parti avec tout le butin. Pas évident de déterminer depuis combien de temps il est là.
Un moment, quand même, s’il en est réduit à l’état de squelette.
Ouais, ou bien quelque chose a mangé tous les tissus organiques.
Ah…


Mais leur disparition était si complète que Karm penchait tout de même pour une mort très ancienne.


Thann ? Qu’est-ce que tu perçois, au-delà ?


La présence du Côté Obscur était en tout cas partout sensible. Ce n’était pas cette corruption subtile et insinuante que Karm avait pu éprouver une fois au contact d’un artefact sith, ce chuchotement dans les recoins de son esprit qui avait agité ses passions les plus sombres, son désir de dominer et de régir, mais une souffrance et une colère brutales, immédiates et sans détour, qui avaient dû être insupportables jadis, et qui s’atténuaient lentement au fil des décennies, à mesure que la vie reprenait ses droits.


En réalité, Karm avait presque l’impression de se retrouver sur Dxun, l’un des terrains d’entraînement de prédilection de l’ExploCorps, en orbite autour d’Ondéron.
Thann Sîdh
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« Vous pensez que c’est dangereux ? Parce que si c’est dangereux, nous devrions peut-être commencer par là. Si notre objectif est de juger de la situation des lieux en vue… de l’intervention d’ouvriers, peut-être des civils, il faut d’abord lever autant de doutes que possible sur les questions sécuritaires. C’est pas faux. C’est parti alors. – Et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas ici qu’elle a disparu. Deux fois, elle est venue, deux fois, elle est repartie. J’imagine qu’on saura le faire au moins une fois, non ? »

L’optimisme de l’adolescent ne trouva pour réponse que l’absence de sourire rieuse habituelle à son maître et un visage assez circonspect chez Loé. Tant pis. Elle ne pouvait pas faire mouche à chaque fois. L’exploration se poursuivit jusqu’à trouver des traces ostensibles de forages, naturels et artificiels. « On est clairement pas les premiers visiteurs. – Non. Durant des années des ferrailleurs de tout le secteur sont venus essayer de trouver le trésor des jedis. Les niveaux supérieurs ont été intégralement pillés aisément, et les niveaux inférieurs, une fois l’Exilée passée, ont pu subir le même sort… J’imagine que par la suite, d’autres auront aussi tenté leur chance. »

Et perdu, comme le leur suggéra la découverte macabre du corps. Elle écouta l’échange et ne put s’empêcher d’émettre tout de même sa réserve. « Les restes ne portent pas les symboles du nouvel empire… On ne peut pas écarter l’idée de Jedis Noirs, attirés par une idée de puissance. Tous les adeptes du Côté Obscur n’ont pas fait vœu de suivre la Sith, et nous sommes sur des périodes de temps larges et anciennes. Pour le moins. » Un temps, ils poursuivirent un peu leurs observations, puis Karm brisa une nouvelle fois le silence. – Thann ? Qu’est-ce que tu perçois, au-delà ? »

L’adolescente se concentra davantage, elle tentait de poursuivre, par l’esprit, plus avant. Les courants de la Force, ici, étaient brutaux et… Sales. Elle se sentit nauséeuse, bientôt, et au-delà de cela, elle luttait contre la colère vibrante qui tambourinait aux portes de son esprit. Il lui fallait bander toute sa volonté pour parvenir à maintenir l’étanchéité de sa propre personne. Elle, qui tantôt, avait elle-même gouté à cette fureur, sentait le péril d’autant plus grand qu’elle s’y savait sensible, en ce moment. Quand elle osa parlé, elle s’aperçut qu’elle serrait les dents et articulait avec peine.

« Confus. Les entrailles gardent davantage le souvenir de la violence. D’autres couloirs, voilà tout, la bibliothèque de l’Enclave, je crois. Je… C’est pénible. Trop pénible. J’ai besoin de rester avec vous, je n’apprécie pas de m’aventurer seule ainsi. » Alors qu’elle avait été jusque-là assez frivole, elle se réalisait tardivement la dangerosité du lieu. Aux côtés de son Maître, elle était trop confiante. Le souffle un peu court, une suée froide dans le dos, elle n'avait même pas remarqué que Loé était venue la soutenir pour l’aider à rester sur ses pieds. « L’Enclave est une bête blessée. Elle refuse notre présence, comme le patient refuse le médecin par peur d’une douleur plus grande… J’ai besoin de respirer un peu. Cette colère… J’ai l’impression que mon cœur veut y répondre. – Hmm... OK. Bon, ça suffira pour aujourd'hui, on met les voiles. 'Fin, on va pique-niquer dehors. L'exposition au Côté Obscur, c'est comme les champignons hallucinogènes, c'est instructif, mais faut pas trop en abuser. On aura tout le temps dans les mois qui viennent d'explorer les lieux, y compris avec des Sentinelles mieux préparées que nous à ce genre de choses. – Merci. Je suis… Non. Merci. » Elle avait un instant songé à s’excuser pour son manque de fermeté et d’expérience mais elle savait. Elle savait qu’elle n’avait pas à nourrir de culpabilité de sa jeunesse, elle savait qu’elle n’avait pas à avoir honte d’être toujours en apprentissage. Tout le monde l’est. Elle le savait parce qu’elle l’avait appris avec lui.

Ils sortirent donc par le chemin qu’ils avaient emprunté pour venir. Il fallut de longues minutes sous le soleil de midi pour que Thann se réchauffât tout à fait. Alors qu’une conversation se terminait non loin d’elle, elle s’ébroua et décida de se faufiler entre les deux hommes histoire de chasser les derniers nuages de sa pensée. Le vent balayait les prairies alentours. Au loin, des oiseaux, quelque part, hurlant leurs amours, des chiens kaths. « J’ai une faim de loup, j’espère que vous n’avez pas déjà tout bouloter, vous deux. Il est hors de question que je revois à la baisse mes parts au prétexte qu’un nouveau ventre sur pattes s’est présenté à notre porte, je vous préviens. » La padawane avait retrouvé son naturel joyeux et rieur. Du moins en apparence, peut-être était-elle plus sérieuse sur le sujet de son repas que sur un quelconque autre sujet.
Karm Torr
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C’était un silence pesant qui s’était abattu sur le trio de Jedis, à la sorte des galeries effondrées, et chacun ruminait les pensées sombres que cette exploration avortée avait fait naître en eux. Karm considérait ses deux Padawans, éprouvés par leur brève incursion dans ces nouvelles ruines, et il doutait de ses capacités. N’y avait-il pas de l’outrecuidance de sa part à s’estimer capable de former de jeunes esprits, alors que le sien était plein encore de problèmes irrésolus ? Ne manquait-il pas encore cruellement de toutes ces certitudes tranquilles qui paraissaient l’apanage des Maîtres Jedis ?


Loé, lui, songeait à son frère. Le Côté Obscur avait creusé en lui cette sensation d’inextinguible solitude qui lui trouait le coeur depuis que Léo était parti sur Coruscant, qu’il avait abandonné l’Ordre, ou que l’Ordre l’avait abandonné, il ne saurait trop dire. Se parler par l’Holonet, ce n’était pas pareil. Sa présence lui manquait. Il se sentait comme vidé de la moitié de son sang. Et désormais son vieux maître partait aussi. La vie n’était-elle ainsi faite que de perpétuels abandons ?


Thann s’était isolée un moment et les deux garçons s’installèrent sur des pierres pour déballer les vivres que les hôtes avaient préparés pour eux.


Maître ?
T’en as après mes racines fermentées ?
Pardon ?
Non vas-y, j’t’écoute.
Est-ce que… est-ce que vous pensez qu’on peut être un bon Jedi, même sans comprendre une partie du Code Jedi ?
Sans la comprendre ou en l’interprétant différemment des autres ?
J’imagine que si on l’interprète trop différemment, c’est un signe qu’on ne la comprend pas.
Mais comment on pourrait avoir des certitudes sur un code écrit et réécrit tout au long de l’histoire de l’Ordre, avec des dizaines d’exégèses, et dont les concepts existent pas forcément dans toutes les langues ?
Mais certainement la diversité des possibles, la pluralité des interprétations, n’implique pas que celle-ci soit infinie. Par exemple, il est certain que le devoir de ne pas tuer quand on peut l’éviter fait partie du Code Jedi. Le relativisme absolu n’est pas la voie.
Si un homme souffre d’une maladie terrible, absolument incurable et très douloureuse, est-ce que c’est contraire au Code, d’abréger ses souffrances à sa demande ?
Je… je ne sais pas…
Ben moi non plus.


Le silence retomba entre eux. Loé se plongea dans de profondes réflexions. Y avait-il une version du Code, qui soit conforme avec la voie des Jedis, et qui lui permette d’éprouver pour son frère tout l’attachement qu’il le souhaitait, si naturel à ses yeux ? Karm se décala pour faire une place à la Miraluka.


Hmouais… Si tu manges trop, tu vas finir par devenir plus grande que moi…


(Les mauvaises langues pourraient suggérer que ce n’était peut-être pas loin d’être déjà le cas.)


Est-ce que c’est vrai que le Chevalier Kayan et vous avez tenté de recruter un Jedi Artisan spécialiste de la cuisine pour rejoindre l’Enclave ?
Ouais. J’suis pas sûr qu’on ait réussi. Ou échoué. La conversation était un peu… Cryptique.
Il y a peu de Gardiens qui témoignent d’un semblable intérêt pour les spécialisations les moins spectaculaires au sein de l’Ordre. Encore moins des Gardiens tels que vous.
Comment ça, tels que moi ?
Hé bien, vous savez, vous êtes, hm… comment dire…
Oui ?


D’un regard, Loé chercha désespérément du secours auprès de son consœur, avant de hasarder :


Turbulent ?
T’as peur que ma réputation déteigne sur toi ?
Non.


Le jeune homme réfléchit quelques secondes.


Je crois que la paix est le fruit d’un consensus fertile, et que pour être fertile, il doit reposer sur la tolérance de la diversité. Je ne crois pas que l’on puisse faire communauté par la seule discipline. Les turbulences ne sont-elles pas la marque des atmosphères vivantes ?
J’pense que les Jedis Artisans sont un élément essentiel de l’autre, parce qu’ils nous montrent les vertus mystiques du travail des choses les plus quotidiennes.


Le Kuati était encore peu habitué à la manière de son nouveau maître de mener deux ou trois conversations en même temps, mais il hocha la tête. C’était un peu comme un sommet diplomatique, finalement : quand on avait l’air de parler de quelque chose, en réalité, on était en train de négocier sur un autre sujet.


Thann, par exemple, elle fait de la couture.
C’est vrai ?


Il reporta son attention sur la jeune fille.


J’ai toujours trouvé qu’il était étrange qu’on nous incite à tous porter les mêmes vêtements. Pourquoi devrait-on fabriquer notre sabre laser, et non coudre nos tenues ? Sont-elles moins des parties de nous-mêmes ? Je trouve que la volonté d’uniformiser les tenues des Jedis relève plutôt d’une sorte de… pas de mépris de classe, mais enfin… Il y a de la beauté dans le mode et la beauté est l’un des chemins de la Force, non ?


Sans la présence de ce duo peu conventionnel, il n’aurait jamais risqué des vues de ce genre.


Qu’est-ce que tu veux faire, toi, Thann, plus tard ?
Une statue à ma gloire, suggéra l’Ark-Ni.
L’avantage, c’est qu’il ne faudra pas beaucoup de matériau.


Loé rougit aussitôt de son audace : la plaisanterie était partie toute seule.


Oh, Maître, je… je suis infiniment désolé…
J’suis méga vexé, assura Karm, qui n’en pensait pas un traître mot.
Je comprends… je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses les plus sincères et… et je suis prêt à recevoir ma pénitence et…
Thann Sîdh
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Son camarade se laissait aller à un peu de naturel et n’en terminait pas de laisser se déverser le flot de ses questions. Elle se revoyait, sur cette table du réfectoire, à émettre face à un Karm encore assez dubitatif tous les doutes qu’on lui avait interdit jusque-là d’exprimer. Lui avait-on réellement interdit ? Ou se l’était-elle interdit, interprétant les par trop les propos de certains maîtres moins ouvertement prêts à la discussion ? Sa rencontre avec le vieux Maître Don lui avait fait prendre un pas de recul, révisé le jugement qu’elle avait porté sur ses premiers maîtres. Enfin… On lui parlait fil, aiguille et fer à souder, elle était déjà partie ailleurs.

« Oui, je suis du genre aiguille mais surtout fer à souder, ce que mon gentil misogyne de maître à oublier de dire ! Je te montrerai la tenue que je me suis conçue pour les climats difficiles d’hiver ! D’autant que je dois la réajusté, j’ai encore des centimètres de tissus à ajouter. Alors pourquoi j’en suis venue à ça… Je sais pas. Déjà, faut dire, je ne perçois pas vos couleurs. Pour moi, les choses ont avant tout une forme. Alors quand je nous voyais dans les bures toutes lisses. Bon. C’était un peu triste quoi, de mon point de ‘vue’. Et puis, j’ai toujours eu envie de faire. Je sais pas si plus tard, je ne ferai pas de l’ingénierie ou de l’architecture aussi. Mais oui, comme pour mon sabre, effectivement, je trouve qu’on tisse un lien singulier avec les choses quand on les réalise nous-mêmes. On a une façon de nous les rendre propres. Bien ajustées. A notre mesure. Si tu veux, je pourrais te montrer comment je me débrouille : le patron, la découpe, le choix des matières…

M’enfin. La beauté. C’est difficile de dire que c’est un chemin. Nous sommes une galaxie trop hétéroclite pour que le mot garde un sens, j’imagine. Je sais pas… Je dirais peut-être que c’est… Le temps qu’on passe à vouloir faire les choses correctement ? Je sais pas. Enfin, ce que je sais, c’est que si je n’avais pas Seïid et Bouteboute pour me dire de ne pas marier les couleurs n’importe comment, je pense que mes réalisations n’appartiendraient à aucun canon esthétique ! »
Elle mit enfin un terme à sa tirade, comme chaque fois qu’en réalité, elle avait besoin de plus de temps pour trouver une réponse qui puisse la satisfaire un minimum. Il faut dire aussi qu’elle s’était taillé sa part du lion dans le banquet du soir, et qu’elle comptait bien lui faire un sort rapidement. C’est la bouche pleine qu’elle intervint pour sauver son camarade.

« Ne l’écoute pas, il te fait marcher là. Si tu veux vraiment le vexer, c’est sur sa façon de faire de la mécanique qu’il faut l’attaquer. Avec le temps, tu t’y feras. Quand il est sérieux, il a l’arc du sourcil droit qui tend un peu vers l’ondulation fugace, quand il est feint l’indignation, c’est le bout du nez qui frétille comme l’épi de blé s’agite sous la brise imperceptible. Et puis, tu te rends compte, ça faisait deux questions qui ne s’adressaient pas directement à lui ! Il s’inquiète de savoir à quoi il pourra bien servir comme Maître si finalement on passe notre temps à se poser des questions nous ! » Elle rit en regardant son mentor. Elle ne savait plus trop ce qu’il était. Alors qu’elle grandissait, elle avait l’impression de perdre un père pour y gagner un grand frère que tout le temple lui enviait. Il faut dire qu’il l’avait si peu habituée au formalisme qu’elle n’y pensait elle-même plus du tout.

« Tout ça pour dire que je souhaite intégrer le corps des Sentinelles. Et œuvrer partout où une collaboration active entre le Temple et les civils de toute la galaxie sera exigée. J’aime cette idée de travailler à davantage de symbiose entre les sensitifs et les non-sensitifs. Leurs visions des choses n’a pas à être mise de côté, elle est une autre facette, je pense, de la vérité. Alors bon… Oui. Voilà. Schroumpf… schrumpf… C’était une pause mâchouillage qui se clôtura sur un soupire satisfait avant la prochaine fournée. Et toi ? » Il n’était pas si méchant, finalement, ce monsieur de son futur.
Karm Torr
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Il me semble qu’il y a des valeurs universelles qui peuvent avoir des expressions particulières et que les idéaux ne sont pas nécessairement… monadiques, ce n’est pas le bon terme. Mais enfin, j’imagine que vous comprenez ce que je veux dire.

Karm, qui n’avait pas pris de cours de philosophie idéaliste depuis longtemps, c’est-à-dire sa naissance, ne voyait pas du tout, mais il prit un air très concentré en considérant une racine fermentée, en espérant que ça ferait illusion.

Je crois qu’on peut s’accorder sur l’importance de la beauté sans s’accorder sur les formes a priori sur les formes de la beauté. Et que ce désaccord peut faire l’objet d’un consensus social qui ménage des marges à chacune des perceptions.

Fort heureusement, la discussion reprit un tour plus concret et l’Ark-Ni put relever les yeux.

J’suis un mec hyper expressif. On me connaît surtout pour ça.
Je n’aurais pas dit que ce fût le coeur de votre réputation.
Et quel est le coeur de ma réputation ?

Loé rougit. La première chose qui lui était venue, c’était un certain détail de l’anatomie de son nouveau maître, qui faisait jaser dans les couloirs du Temple, chez les Padawans d’un certain âge.

Il paraît que vous avez beaucoup fait la guerre, dit-il à la place.

Le Gardien hocha la tête.

Et que vous êtes quelqu’un de dangereux.
Dangereux ?
Sur le champ de bataille mais aussi… hé bien… dans la vie.

Il y eut un silence et puis Karm murmura :

Je suppose que c’est vrai.

Il y avait des maîtres qui ouvraient à leurs protégés le sentier tranquille et sans histoire qui menait de la vie de Padawan à celle de Chevalier dans le respect le plus strict et le plus étroit du Code Jedi tel qu’il était interprété officiellement et il y avait ceux qui se faisaient guides sur les chemins de traverse.

D’accord, fit simplement Loé.

Et la conversation reprit son fil. Le Kuati avait grandi dans les négociations internationales. Dès les débuts de son adolescence, il avait découvert que l’on pouvait avoir des avis radicalement différents sur des réalités communes, sans que personne ne soit insincère.

Consulaire, répondit le jeune homme alors que la discussion revenait sur son futur et celui de Thann. Mais pas nécessairement… Pas ce que j’ai fait jusque là. Je veux dire que c’était très instructif, les grands sommets, les pourparlers de paix, ce genre de choses. Mais je préférerais quelque chose de plus proche des réalités du terrain, où l’on rencontre des personnes différentes.
Ben les mois qui vont suivre te changeront certainement des palais républicains.
C’est ce que j’ai cru comprendre.

Comme Thann avait englouti ses trente-trois kilos de nourriture (au bas mot), les trois Jedis se relevèrent. Le soleil frôlait déjà l’horizon et jetait ses lumières rouges sur les épis des champs infinis de Dantooine. Alors qu’ils s’en éloignaient, il sembla à Karm que l’Enclave était déjà un peu plus apaisé.

Bientôt leur speeder filait au-dessus des cultures.

Et les caves cristallines ?
Ce sera pour une autre fois, dit Karm. Elles sont dangereuses, encore, et j’ai pas envie de… Hm. Recourir à des méthodes trop brutales.

Découper des arachnides et perforer des œufs au sabre laser, très peu pour lui.

Mais si tu veux parler cristal de sabre, Thann a des histoires pour toi. Le tien vient d’où ?
Ilum. Je… hm…

Le regard du jeune homme passa tour à tour du profil de son maître à celui de la Miraluka. Tous les deux lui avaient témoigné de la confiance, sans se poser de questions, et l’avaient accueilli dans leur existence. C’était sans doute à son tour d’en faire de même.

J’étais dans les caves de glace avec mon frère, on a marché pendant… une éternité. On était complètement désorientés. Et puis on est arrivés dans une caverne sans aucun cristaux. Juste… De la roche, de la glace. Comme si la Force s’était retirée de cet endroit. Mais Léo a insisté pour qu’on examine les parois malgré tout et au fond de la caverne, on a trouvé un cristal doré et émeraude. Enfin… Deux cristaux qui ont fusionné ensemble, peut-être ? On a senti la Force qui se concentrait là. Et on en a pris chacun une partie.

Ce souvenir, qui avait dû être heureux, était raconté désormais avec une tristesse manifeste. Loé conservait dans sa poche, tout contre lui, un cristal jaune, tiré du sabre que son frère avait dû rendre à l’Ordre, quand il l’avait quitté.

Karm jeta un coup d’oeil à son nouveau Padawan, et s’abstint de faire un commentaire. Plus tard. Quand il le connaîtrait mieux. Et qui sait ? Thann, peut-être, saurait mieux le guider que lui.

FIN
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