Absalom Thorn
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Pendant que la journaliste réfléchissait à la meilleure approche pour glisser l’adresse de son profil Holobook au séduisant invité de la fille Publius, Absalom, lui, semblait complètement absorbé par le débat parlementaire. Sans doute, pour tous les autres dans cette pièce, il n’y avait là que la même scène cent fois rejouée : c’était le propre des démocrates bipartites que d’offrir le perpétuel retour du même, les mêmes situations et les mêmes arguments, les mêmes questions et les mêmes réponses. Mais pour l’Hapien, tout, ce jour-là, était nouveau.


Et tout le rendait nostalgique. Il y avait une beauté dans les débats parlementaires, une noblesse de la parole et un génie du mensonge, quelque chose comme une bravoure rhétorique des hommes et des femmes d’État, qui manquaient entièrement aux deux mondes auxquels il appartenait désormais : celui de l’Empire et celui de la monarchie hapienne. Dans ses rêves, l’Empire abandonnait son obsession autocratique pour adopter un système plus nuancé et plus complexe, à la hauteur des incertitudes de la Galaxie.


Un débat parlementaire sert à parler, non à dialoguer, murmura Absalom quand son amie déplora que les échanges fussent aussi peu constructifs.


L’ancien Sith jeta un coup d’oeil à la journaliste, alors qu’elle était précisément en train de l’observer. Il lui adressa un sourire poli, et juste assez chaleureux pour qu’elle pût s’imaginer quelque chose de plus. Puis son attention fut attirée par l’intervention de l’Amiral.


Hmm…


Dans toute cette pièce de théâtre, Caleb Inaros était sans aucun doute le personnage le plus difficile à cerner. Darius avait vanté à demi-mots les mérites de son oncle, auquel il avait attribué son ascension sociale, mais Absalom supposait que celle-ci avait exigé aussi des compromis. Pas de la corruption, sans doute, mais de ces petits abandons de la politique au jour le jour, dont on espérait tirait au bout du compte le bien commun.


Mais quelle part de sa popularité l’Amiral devait-il au prestige romantique et violent des actions entreprises par son fils ? Combien avaient voté pour lui en songeant qu’il représenterait toujours leurs intérêts, puisque sa famille était prête à tous les sacrifices pour détruire les puissants ? Et, au fond, qui de Véragan ou de Caleb avait le plus intérêt à ce que Darius continue à jouer les fauteurs de trouble, offrant au premier l’excuse de l’autoritarisme et au second l’onction de la radicalité ?


C’est le propre de toutes les démocraties où s’affrontent deux parties très majoritaires que d’offrir des débats aussi chorégraphiés. Et c’est le propre de celles et ceux qui se sentent aux marges ou à l’interface entre les deux parties que de désirer une démocratie pluraliste, des votes proportionnels, une diversité de partis. Et quand ils l’obtiennent, ils découvrent que la multitude crée l’instabilité, que les gouvernements sont trop fragiles pour gouverner, parce que les majorités doivent se constituer au cas par cas, loi par loi, dans un travail surhumain. Et aux postures de mauvaise foi se substituent la myriade de petits arrangements électoralistes, les calculs d’apothicaire du pourcent, jusqu’à ce qu’un parti extrémiste, parce qu’il est le seul à ne pas être clairement aligné aux coalitions précédentes, se retrouve en position de faiseur de roi, parce que les 3% de voix lui ont donné le député qui manque pour former une majorité.


Pendant tout ce discours, le regard d’Absalom était resté fixé sur Valérian Hélix. Ainsi, c’était donc à lui que l’on destinait Evadné. Absalom le trouve médiocre. Insignifiant. Une pâle figure, jugeait-il après sa rencontre avec Darius, et certainement loin d’avoir la force de caractère de Véragan. Sans doute le Ministre Publius s’en rendait compte. N’y avait-il donc pas de parti plus convenable qu’il fût prêt à placer son héritage entre les mains d’un homme comme celui-ci ?


Les yeux du blond se détachèrent de la chambre pour se reporter sur Evadné.


Les électeurs sont infiniment mieux représentés, dans une démocratie proportionnelle, au moment des élections. Après tout, il y aura toujours un parti pour proposer à peu près ce en quoi ils croient. Puis vient le moment de former des coalitions, tout le monde est obligé de compromettre ses idéaux et, in fine, il n’y a presque plus aucun parti qui puisse mener sa politique. Dans une démocratie bipartite, les électeurs doivent s’accommoder d’une offre électorale réduite, mais leurs intérêts sont mieux représentés au moment du gouvernement. Tout du moins, en théorie…


En pratique, encore fallait-il que les forces des partis fussent assez équilibrées pour permettre l’alternance.


Je ne suis pas sûr que ce dont vous ayez besoin soit nécessairement une troisième voie. Peut-être faut-il plutôt… Disons un parti d’opposition qui puisse avoir l’ambition de devenir un parti de gouvernement, pour que la dynamique, disons plutôt la dialectique d’un système à deux partis puisse s’exercer pleinement et…
Excusez-moi. Pardonnez-moi. Docteur Publius et… Seigneur ?

C’était la journaliste qui, finalement satisfaite de sa stratégie patiemment mûrie, avait laissé les parlementaires échanger sur les programmes de réfection des conduits de ventilation dans les niveaux inférieurs de la ville, un marronnier des débats parlementaires sur lequel elle aurait pu écrire cent fois le même article les yeux fermés.


Je m’appelle Ariadna Arius et je couvre… enfin, vous voyez. Mais votre visite ne passe pas inaperçue, comme vous l’imaginez, et nos lecteurs seraient fas-ci-nés si vous pouviez partager quelques-unes de vos impressions sur Cadézia, lors d’une entrevue.


Absalom mit quelques secondes à calculer les tenants et les aboutissants d’une semblable opération.


Mais naturellement, finit-il par déclarer, avec sa douceur ordinaire.
Seriez-vous libre pour déjeuner ?
Je devrais pouvoir l’être.
Merveilleux !


Elle lui adressa son plus beau sourire.
(Absalom préférait celui de Darius.)


Disons devant le Parlement, à l’interruption de séance, à la mi-journée ?
Fort bien.


Nouveau sourire, nouvelle réponse polie de la journaliste et Ariadna réintégra son siège. Absalom se pencha vers Evadné et murmura à son oreille :


Une objection à ce que nous faisions le reste de la séance buissonnière et que vous m’offriez dans les couloirs un cours accéléré sur le paysage médiatique cadézien ? Je crois que nous tenons-là une petite opportunité de soigner votre notoriété.
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L’intervention de la journaliste avait fait naître un sourire désabusé sur les lèvres d’Evadné. Il n’était pas dans ses habitudes de s’exposer à la popularité médiatique, au grand damn de son paternel. Il lui était arrivé de donner de rares interviews à des papiers politiques de petites importances, mais elle évitait scrupuleusement tout ce qui pourrait l’oindre de notoriété. Cependant, elle ne pourrait rien refuser à son invité. Alors que les débats se poursuivaient entre contrebas et que l’écho des voix prenait à parti les hauts-parleurs du parlement, elle hocha élégamment la tête vers Absalom.

Ils s’éclipsèrent, laissant les deux journalistes terminer cette première partie de séance et se retrouvèrent dans l’une des nombreuses coursives du Parlement. Encore une fois, nul visiteur n’en troublait le dallage d’un pas curieux. Il n’y avait que la ronde incessante de la garde ministérielle.

-Ariadna Arius travaille pour la Compagnie de Diffusion Cadézienne, c’est…le grand média planétaire, souffla-t-elle alors qu’un employé du bâtiment leur ouvrait l’accès à une pièce où les murs austères étaient emplis de portraits. Il possède plusieurs autres médias de moindres importance, donnant l’impression d’un choix d’informations variées. La CDC est dirigée en partie par la famille Mao.

Les peintures semblaient provenir d’un autre âge que la technologie holographique avait rendu désuet. Il y avait là tous les portraits des hommes politiques, et souvent industriels (cela allait de paire sur Cadézia) qui avaient jalonné l’histoire de Cadezia. Parmi les derniers, on retrouvait un portrait de Véragan Publius, plus jeune de quelques années, du temps où il fut Sénateur à la Rotonde du Sénat Galactique. Josephus Hélix trônait aussi quelque part. On pouvait noter avec amertume, l’absence de portrait féminin, si ce n’était celui de Camina Ashford dont la légende expliquait : « L’héroïne de l’incident Kemal Station ». Au-dessus de ses airs austères, son père avait droit également à sa part : « Klaes Ashford – Fondateur de l’ACE. » et à ses côtés, « Caleb Inaros », mais aucune mention ne venait justifier sa présence dans cette salle commémorative. Au centre, trônait une statue de marbre sombre, représentant ce qui ressemblait à un dôme.

-Les dômes cadéziens. Comme je vous l’avais expliqué…les premiers colons ont dû trouver des moyens d’exo-former Cadézia. L’atmosphère n’était pas totalement respirable lors de leur arrivée, alors les premiers siècles de colonisation ont vu les dômes s’ériger pour abriter les prototypes d’Ilus IV et Mariner Valley. Le dôme est symbolique chez les Cadéziens.

Ils quittèrent la pièce sitôt après en avoir fait le tour et retrouvèrent la solitude des grands couloirs du Parlement.

-Vous êtes sûr de vouloir prendre le risque de l’interview ? Je déteste cet exercice parce que le moindre mot sera disséqué et interprété. Toutefois, je sais que vous êtes aguerri. Votre démonstration lors du Sommet Galactique pour la Paix l’a clairement montré. Une dernière chose..

Elle s’arrêta, prenant le temps de replacer l’une de ses longues mèches dorées derrière son oreille. Ses lèvres se pincèrent, marquant l’hésitation qui précédait le choix des bons mots et elle déclara d’un ton plus bas qu’à l’accoutumée.

-Je suis navrée pour…tout à l’heure. Vous avez raison, l’émotion a pris le dessus et…je tenais à ce que vous sachiez que je ne vous juge pas. Si vous avez une affinité avec…notre ami commun. Quand je disais que vous sembliez proches ce n’était pas une sentence de ma part. La nuit a été rude, simplement.

Comme en témoignaient encore ses légers cernes sous ses yeux bleu brillant. Elle ponctua ses excuses d’un sourire et l’invita à reprendre la marche. Non loin du grand hall, un holoprojecteur diffusait justement le journal d’informations de la CDC. Darius Inaros ne faisait pas encore la une, mais cela ne saurait tarder.

-Le paysage médiatique est fortement influencé par le Congrès, vous vous en douterez. La plupart des communications de l’ACE sont émises dans les stations inférieures, via des vidéos parfois difficiles à sourcer. Mais, je ne dirais pas que la CDC soit une antenne de propagande du gouvernement, bien au contraire. Elle est très orientée mais de temps à autre, arrive à échapper à la vigilance des autorités. Et puis, je ne pense pas qu’il y ait une véritable censure. Elle propose énormément d’émissions de variété également. Je me rappelle d’une émission très désagréable, d’une heure, spécialement dédiée aux relations que Monsieur Valérian Hélix et moi pouvions ou devions entreprendre, avec énormément de spéculations et des reconstitutions grotesques. De longues minutes à spéculer sur nos vies sentimentales et matérielles. L’audience fut fort élevée. J’avais demandé au Ministre Publius de la décommander des prochaines rediffusions, mais…il ne peut pas mettre sa main devant une entreprise et son succès. Ce ne serait pas très congressien comme esprit. Et vous pouvez être sûr que si nous répondons à Ariadna Arius, il risque d’y avoir un épisode deux spéculant sur mes probables aventures sulfureuses avec vous.

Elle avait déclamé sa dernière phrase sur le ton complice de l’amusement, qui un court moment, chassa le spectre de sa nuit passée catastrophique. La mi-journée était désormais là et en regagnant le Hall pour rejoindre le parvis, ils assistèrent à la sortie des élus. Caleb et Manéo s’étaient arrêtés non loin des portes pour terminer un échange bas, qui semblait des plus sérieux. Leurs lèvres agitées démontraient qu’ils n’étaient pas d’accord sur le sujet abordé. Lorsqu’elle aperçut la silhouette de Valérian sortir de la salle parlementaire, elle se dépêcha de presser le pas pour sortir. Elle préférait dix mille fois assister à l’interview de la journaliste, plutôt que de subir la compagnie du jeune homme.


Absalom Thorn
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À vrai dire, les médias ne sont pas nécessairement ma plus grande spécialité, confessa Absalom d’un ton tranquille, quand Evadné évoqua les pièges inhérents à toute entrevue avec une journaliste, je suis beaucoup plus à l’aise pour m’adresser à la population directement ou pour les discussions en comité fermé. Vous savez, j’ai été formé à la parole publique d’abord comme Consulaire Jedi et l’habitude de la maison n’était pas exactement de se mettre en avant.


Arrivé dans la salle qui exposait les gloires de la politique cadézienne, le diplomate se mit à étudier chacun des portraits. Au fond, il n’était pas un grand fanatique de la physionomie. Tout obsédé qu’il fût par la beauté, il ne croyait pas qu’il eût grand-chose à déduire de tels sourcils prononcés ou de tel nez busqué, et il avait rencontré trop d’hommes et de femmes dont la personnalité était toute différente du caractère de leur visage pour en tirer des conclusions très solides.


Quant à l’Empire, ma foi, on ne peut pas vraiment dire que mes relations houleuses avec l’Inquisition qui en contrôle l’essentiel de la sphère médiatique à l’échelle supraplanétaire contribue beaucoup à ma popularité au sein des médias. Reste le Consortium, naturellement, mais je n’en suis encore qu’à y reconnaître mon environnement, c’est beaucoup trop tôt pour accepter des entrevues.


C’était la première fois qu’il évoquait ainsi sa situation à mi-chemin entre le Consortium et l’Empire et l’on ne pouvait pas dire que ses propos jetaient une lumière particulière sur la question. Au fond, Absalom lui-même ne savait trop ce qu’il était. Encore un Sith ? Au fond de son âme, probablement pas. Ni les méthodes des sorciers de Dromund Kaas et Korriban, ni l’organisation interne de l’Empire ne l’avaient finalement convaincu, et lui-même n’avait pas su s’y adapter : le rejet avait été mutuel. Encore un Impérial ? C’était plus difficile à dire.


Mais j’ai fait ma paix depuis quelques années avec ces inquiétudes que vous décrivez, poursuivit-il en considérant désormais le dôme, et que je partageais à l’époque, en considérant que toute entrevue est bonne à prendre, parce qu’une bonne réputation est utile à bien des entreprises et que la condition préalable à une bonne réputation est une certaine forme de notoriété. Peu importe au fond de ce qu’on tirera de l’entrevue, la base de la notoriété est que le public sache que vous existez. Et à peu près comment vous vous appelez.


Ce que le dôme suggérait des conditions de vie des premiers Cadéziens, confirmé par les explications d’Evadné, avait de quoi glacer le sang à un Hapien habitué à la nature généreuse et luxuriante d’une planète prospère.


Je ne dis pas qu’il n’y a pas de mauvaise publicité, mais qu’une remarque mal interprétée est un petit prix à payer pour se donner le moyen de ses ambitions. Mais assistez avec moi à l’entrevue, vous me direz ce que vous en pensez. Quant aux rumeurs sulfureuses…


Absalom leva un regard pétillant du dôme.


… sans vouloir choquer votre pudeur de jeune fille, bien entendu…


(C’est taquin, les Siths ?)


… je crois que vous en sous-estimez l’utilité. À petite dose. Mais nous aurons le temps d’en reparler. En attendant, je vous le dis : ne vous inquiétez pas tout à l’heure. Je comprends fort bien que mes…


Absalom jeta un regard apparemment machinal au portrait de Véragan Publius, mais c’était en réalité une manière calculée de rappeler que les événements de la nuit avaient été orchestrés par le respectable ministre.


… choix de vie et notamment ma morale sexuelle puissent diverger considérablement des habitudes convenues dans telle ou telle société et je comprends aussi sans peine que vous ayez pour Darius la plus vive des méfiances. Pour être tout à fait honnête…


Cette fois-ci, il s’approcha de la Cadézienne, pour murmurer sur le ton d’une confidence, d’ailleurs authentique :


Je crains que mon jugement ne soit parfois légèrement…


(Bel euphémisme.)


… troublé quand il s’agit des jolis garçons. Cette situation ne fait peut-être pas exception à la règle et je suis évidemment preneur de tous vos conseils, autant que la faiblesse de mon caractère, hélas, me permettra de les suivre.


Jusqu’à présent, il est vrai, cette relative lucidité à l’égard des ennuis que soulevaient pour lui son goût pour les jeunes hommes plongés dans des situations difficiles n’avait pas fait grand-chose pour le prémunir de ses conséquences.


Venez, allons entretenir la rumeur sur notre folle passion amoureuse et peut-être plus tard m’échangerez-vous mes confidences sur mes déboires homoérotiques avec vos confidences sur les sentiments que vous vouez à la personne dont vous receviez ce matin le message avec tant de soulagement.


Quelques minutes plus tard, ils retrouvaient comme convenus Ariadna Arius sur le parvis monumental du parlement.


Ah, madame…
Mademoiselle, s’empressa de corriger la journaliste.
Fort bien, mademoiselle, j’espère que vous ne verrez d’objection à ce que la docteure Publius se joigne à moi. Elle a été si aimable en me servant de guide jusque là que j’aurais mauvaise conscience de l’abandonner à la faim.


Le regard de la journaliste passa de l’étranger à la Cadézienne. Des objections personnelles, elle en avait un certain nombre, mais la perspective d’un déjeuner partagé avec la fille de Publius, sur le plan professionnel, était trop belle pour être refusée. Elle se fendit donc d’un sourire gracieux.


Ce serait avec plaisir.
Merveilleux. Nous vous suivons donc.


Et l’escorte militaire les suivait de près. Ensemble, ils traversèrent l’esplanade en échangeant des banalités sur l’architecture cadézienne et la séance qui, selon Arius, n’avait pas abouti à des conclusions fracassantes après le départ des deux spectateurs. Ils plaisantèrent sur ce que la vie parlementaire pouvait avoir de monotone et, quelques minutes plus tard, se retrouvèrent assis dans un salon particulier où les politiciens et les hommes d’affaires avaient leurs habitudes.


Je vous recommande le gibier, glissa la journaliste, en posant une main sur l’avant-bras de l’Hapien, alors que celui-ci étudiait la carte qui défilait sur la table.
Hélas, j’ai bien peur d’être végétarien.
Vraiment ?
Vraiment.
Vous permettez que je…


Ariadna avait posé son comlink au centre de la table, pour enregistrer la conversation, et Absalom inclina la tête en signe d’assentiment. La journaliste activa l’appareil et répéta :


Donc, vous êtes végétarien ?
Hé oui. Je crains de ne pas boire d’alcool non plus, je vais faire un piètre invité dans cette découverte de la gastronomie cadézienne.
Des raisons de santé ?
Des raisons éthiques.
Vous réprouvez la consommation de viande ?


Toute charmée qu’elle fût par le physique plus qu’avenant du diplomate, Arius avait rapidement retrouvé des réflexes de journaliste politique, habituée à abstraire des situations particulières une discussion sur les principes généraux de la société.


Je ne dirais pas cela, déclara calmement Noctis en désactivant la carte, rendant à l’élégante table ovale sa surface translucide. Je pense que l’éthique que l’on s’impose à soi-même et la morale que l’on désire comme un processus social sont deux choses différentes.
Mais certainement chacun souhaite que son éthique soit en accord avec la morale ou plutôt que la morale de la société réponde aux principes éthiques que l’on s’impose ?
Je n’en suis pas si sûr. Après tout, beaucoup de gens, pour des raisons diverses, s’imposent des principes éthiques qu’ils considèrent ne devoir s’appliquer qu’à eux ou tout du moins aux personnes qui partagent leurs circonstances particulières. Ainsi des représentants de l’État, par exemple, qui ordinairement refusent pour des raisons éthiques, à cause de leurs fonctions, des cadeaux qu’ils ne réprouveraient pas de la part et pour de simples particuliers.
Je suppose, concéda la journaliste, que ces considérations philosophiques ne prenaient de toute évidence pas à défaut, mais pour en revenir au sujet, pourquoi ne pas manger de viande, dans votre cas ? Ni boire de l’alcool ?
Ma foi, vous allez trouver la réponse d’une consternante banalité, mais j’aime beaucoup les animaux.


Il n’y a pas dire, les Seigneurs Siths étaient des gens terrifiants.


Quant à l’alcool, j’aime avoir l’esprit aussi clair que possible, simplement.


Un droïde de service flambant neuf fit son apparition et la mâchoire d’Absalom se contracta légèrement sous la contrariété. Il détestait avoir à interagir avec des machines qui essayaient de mimer la vie. Une insulte à la Force. Sa commande fut un peu lapidaire, et d’une remarquable sobriété : il avait choisi le plat le moins exubérant de la carte. Le droïde s’inclina avec une souplesse qui attestait l’excellence de sa conception, avant de s’éloigner.


Quand les portes du salon se furent refermées automatiquement derrière lui, Ariadna reprit :


Et donc, quelles sont les raisons de votre venue sur Cadézia ?
Hé bien, j’y accompagne la délégation scientifique hapienne, dans le cadre des relations d’amitié qui sont en train de se nouer entre les communautés de savants de nos deux pays. Comme vous le savez peut-être, quoique je ne sois pas un universitaire, j’ai moi-même un doctorat en économie et la ministre des affaires étrangères du Consortium d’Hapès a jugé que j’apporterais une perspective utile. Comme la docteure Publius avait eu l’amabilité de m’inviter, après que nous nous sommes rencontrés sur Hapès lors de la visite de l’académie cadézienne, tout allait pour le mieux.
Mais vous ne craignez pas que la visite d’un Impérial en territoire républicain ne soit perçue comme une provocation ?
Au contraire, au contraire. Je ne vous ferai pas l’insulte de m’embarquer dans l’argument casuistique selon lequel je suis ici non en tant que représentant de l’Empire, mais bien avec l’assentiment du corps diplomatique hapien, pour vous dire plutôt ceci : qu’en cette période où la trêve doit nous conduire, nos deux peuples l’espèrent, à un traité de paix, il est important de donner toutes les chances au processus si intelligemment mis en place par la Chancellier S’orn en apportant des preuves, quotidiennes, patientes, et chacun à notre mesure, que des relations pacifiques et même profitables et cordiales sont possibles. La paix est évidemment une affaire de grands sommets, mais après ceux-ci, il faut des actes plus ordinaires. Je crois que la docteure Publius et moi partageons une admiration sincère pour les efforts des diplomates des deux côtés à l’échelle internationale et une volonté ferme, bâtie à leur exemple, de contribuer à la construction concrète, au plus près du terrain, de la réalité de notre paix future.


Ariadna parvint à se convaincre, effort suprême, de détacher son regard du visage si chaleureux et expressif de l’Hapien pour se tourner vers la jeune politicienne.


C’est aussi votre avis, docteure ? Que la paix n’est pas qu’une affaire de Coruscant mais que chaque planète a son rôle à jouer ?
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Evadné répondit au sourire généreux de la journaliste par un autre sourire, contrit. Elle savait parfaitement que sans l’insistance élégante du hapien, sa présence n’aurait pas été souhaitée. Et elle n’en tenait aucune rigueur à Ariadna, parce qu’il fallait apprendre à accepter les petites injustices de la vie.

L’établissement prisé par les politiciens du coin lui était bien évidemment familier. La jeune Publius observait avec curiosité la manière dont la journaliste accaparait l’attention d’Absalom, alternant numéro de charme et stratégie professionnelle. Ce genre d’ambitieux forçait presque le respect, bien qu’on pouvait aisément concevoir qu’Arius se jette sur l’opportunité de briser la monotonie d’un quotidien lassant. Discrète, elle se permettait de temps à autre des coups d’œil polis vers eux, avant d’en revenir à la carte des mets.

Elle n’était pas végétarienne, contrairement à son invité, mais limitait sa consommation d’aliments carnés autant que faire se pouvait. Au passage, elle tut son admiration pour l’éthique qu’affichait sans complexe le Seigneur blond. Quand le droïde la sollicita, elle dut sortir de ses pensées pour choisir un plat légèrement épicé, à base de viande blanche tout de même. La viande véritable était – sans surprise, une denrée rare sur Cadezia. Quelques éleveurs avaient bien tenté de faire paître des troupeaux de Banthas autour des plaines d’Ilus IV, mais très peu parvinrent à en faire un véritable commerce. Du coup, la planète importait ses viandes…et les taxes de transits et autres impôts en tout genre avaient rapidement décidé du prix élevé qu’était être carnivore sur Cadezia. Comme alternative, des usines produisait de la fausse viande soit un mélange de protéines et de molécules liées à de puissants exhausteurs de goût. Toutefois, dans le salon où ils se trouvaient, les cuisines ne le feraient pas l’affront de leur servir ce genre de nourriture.

La question d’Ariadna ne la prit presque pas au dépourvu. Elle avait attentivement écouté les propos de Thorn, mais n’escomptait pas rebondir dessus. Ses prunelles azurées avisèrent le comlink échoué sur la table et elle répondit avec douceur :

-Ce n’est pas vraiment un avis, mais plutôt une évidence. Chaque planète, peu importe son allégeance d’ailleurs, est appelée à être un vecteur dans la construction d’une paix durable. Et…je suis en adéquation avec les propos de mon invité : tout se joue dans les actes ordinaires et quotidiens…ce n’est que par eux que nous aurons…et bien, une paix quotidienne et ordinaire.

Elle fut interrompue par le droïde qui revenait machinalement pour déposer les commandes de boissons. Sans surprise, Eva avait opté pour le breuvage à la violette, sans alcool, qui était de saison.

-Pensez-vous que le Ministre Publius puisse partager la même opinion ?

-Je le pense, affirma-t-elle d’un ton faussement résolu.

Elle savait qu’il ne partageait pas du tout cette opinion, mais elle n’avait pas à cœur d’exposer une divergence politique familiale aussi aisément. La journaliste fit donc semblant de la croire.

-Vous avez donc rencontré le Seigneur Thorn sur Hapès ? Quelles impressions avez-vous eu du Consortium, docteure Publius, après tout, une partie de votre héritage y est lié ?

-Ma visite sur Hapès fut…strictement professionnelle et scientifique, mais….il est vrai que je ne m’attendais guère à rencontrer le docteur Thorn. Il fut un guide particulièrement patient et attentionné. J’ai pu constater avec modestie que nous avions beaucoup à apprendre de nos homologues hapiens, particulièrement avancés dans le domaine de la génétique. La professeure Thorn fut une interlocutrice admirable et de qualité, dont nous espérons un jour la présence sur le sol cadézien.

Ses yeux allaient beaucoup trop souvent vers le comlink dont la vue la bridait un peu. Evadné se pencha vers Absalom, espérant lui murmurer ses craintes, mais elle fut interrompue par Arius.

-Docteure Publius, vous trichez avec les règles du jeu, plaisanta la journaliste, l’expression agacée, Les messes basses ne sont pas autorisées. Le Seigneur Thorn est un invité d’exception, mais vous nous faîtes rarement l’honneur de votre présence. C’est un peu comme si mon anniversaire tombait deux fois dans la même année.

Satisfaite de son petit trait d’humour, elle se détourna vers Absalom dont elle contempla à nouveau la beauté – quelque part soulagée de pouvoir l’interroger à nouveau

-Espérez-vous une collaboration étroite avec Cadézia à l’avenir ? Ou l’objet d’éventuelles visites prochaines ne sera motivé que par votre récente amitié avec la docteure Publius ? lui demanda-t-elle. Je dis amitié parce que vous me semblez proches.

Une manière plus ou moins subtile de tâter les rapports du duo qu’ils formaient, non seulement cela ferait couler de l’encre, mais elle s’assurait de savoir si Absalom était éventuellement disponible. Evadné en profita pour se soustraire à la tension de l’exercice par une gorgée d’eau à la violette. L’amertume de la fleur, mêlé au sucre du sirop, lui permirent de se détendre. Elle préférait qu’Ariadna pose les questions à l’hapien, plutôt que d’en être bombardée. C’était un peu lâche, mais elle apportait un soutien mental inconditionnel à son invité.



Absalom Thorn
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Hé bien…


Absalom reposa le verre d’eau fraîche qu’il avait commandé, décidément peu porté aux fastes de la table.


… je crois qu’il est avant tout essentiel de souligner que je ne parle ici ni en tant que représentant du gouvernement hapien, pour lequel je ne suis qu’un consultant extérieur dans le cadre de cette visite, ni en tant que représentant de l’Empire, au sein duquel je n’occupe pas de fonction en ce moment…
Mais vous êtes un Seigneur Sith, n’est-ce pas, se permit d’interrompre la journaliste ?
Sans aucun doute, mais c’est un titre, pas une fonction.
Pas même une fonction religieuse ?
Certainement, en tant que Seigneur, je suis l’un des dirigeants de l’Ordre, mais d’autres institutions s’occupent plus exclusivement du magistère spirituel.
Mais comment devient-on un Seigneur parmi les Siths ?
Je crois que nous nous éloignons du sujet, répondit Absalom avec un sourire aimable, alors qu’il se sentait entraîné sur le terrain dangereux des actes les plus horrifiants de son passé, et pour répondre à votre question…


Ou plutôt éviter de répondre à la dernière.


… l’avis que je donnerai à la fois à notre Académie des Sciences, au sein du Consortium, et à notre ministre est que la coopération entre Hapès et Cadézia est riche en promesse, que nous partageons beaucoup et que nous avons tout à gagner à échanger ensemble.
Une véritable réponse de diplomate, glissa Ariadna avec un sourire entendu.
Parfois, les réponses de diplomate sont sincères.
Mais j’imagine que pour beaucoup d’Hapiens, Cadézia ferait figure de monde arriéré…


Arius n’était pas une politicienne : elle était là pour exhumer les vérités intéressantes et n’avait pas à s’encombrer systématiquement du tact qu réglait les rapports les plus protocolaires.


le Consortium a toujours noué des relations commerciales et intellectuelles avec des mondes de la Bordure. Sans aucun doute notre société peut paraître difficile d’accès depuis l’extérieur et les relations au sein du Consortium priment indubitablement sur les rapports extérieurs, mais notre histoire atteste d’un sens pragmatique porté à n’exclure aucun partenaire.
Voilà qui ne répond pas vraiment à ma ques…


Mais la journaliste fut interrompue par le retour du droïde, qui déposait avec des gestes souples leurs plats devant chacun des convives. Les bonnes manières imposèrent à la conversation de rouler pendant plusieurs minutes sur la gastronomie cadézienne, un échange de banalités soigneusement alimenté par Absalom, qui veillait à doser questions et étonnements, pour que la fameuse xénophobie des Hapiens et les rouages internes de l’Ordre Sith fussent rejetés pour de bon à une autre partie de la conversation.


Et donc ce que vous découvrez de Cadézia vous plaît ?


Ariadna avait porté son regard sur Evadné, ostensiblement.


Infiniment, répondit le Sith, j’y fais des rencontres étonnantes.
Vraiment ?
Vraiment. Je crois que la diversité de la société cadézienne est une source de richesse, et même d’enseignements.
C’est un paysage bien différent de celui d’Hapès…


La remarque pouvait certes s’appliquer au décor naturel de la planète, mais ils devaient avoir tous les trois conscience qu’Ariadna faisait allusion au paysage social : jamais, sur Hapès, on aurait trouvé d’autres que des Hapiens au sein de l’Académie des Sciences par exemple.


Profondément. Je crois d’ailleurs que la docteure Publius et moi-même partageons le sentiment que nos mondes gagneraient à échanger, parce que les différences sont toujours des moyens utiles de mieux se comprendre soi-même. Du reste, au-delà de la symbolique diplomatique et politique de cette visité, les réalités économiques sont faites pour nous rapprocher. Cadézia comme Hapès sont préoccupés par le progrès technologique et le développement d’industries de pointe.
Donc vous imaginez que les rapports qui s’établissent aujourd’hui puissent aller au-delà d’une simple collaboration académique ?
Je l’espère en effet.


Pendant quelques instants, la journaliste considéra son interlocuteur d’un air pensif. Elle avait au fond très envie de l’amener à s’exprimer sur les troubles sans cesse plus préoccupants qui agitaient le Consortium et sur les multiples tentatives d’assassinat qui y perturbaient la vie politique, mais elle craignait de se voir opposer une fin de non-recevoir.


On raconte ici que cette délégation a véritablement pour source la volonté de la docteure Publius. Est-ce aussi le sentiment que l’on a sur Hapès ?
Evadné fut sans aucun doute d’une grande clairvoyance, répondit le diplomate du tac-au-tac, en semblant laisser s’échapper le prénom de la jeune femme, qu’il avait utilisé en réalité pour relancer les spéculations sur la nature de leur relation, et je crois qu’elle a cette qualité précieuse, et pourtant si rare, qu’un peuple est en droit d’attendre de ses hommes et de ses femmes d’État : la volonté d’imaginer l’avenir sous un jour nouveau et le sens pratique pour avancer petit à petit sur le chemin du progrès. Idéalisme et efficacité sont rarement réunis, mais je crois que la docteure Publius est une exception à la règle.
Vous ne tarissez décidément pas de louanges.
Si elle n’était avec nous et que je ne craignais de la faire rougir, j’affirmerais en effet que je la tiens en plus haute estime.
On raconte que vous dormez au domaine Publius…


L’insinuation était cette fois si évidente qu’Absalom crut n’avoir d’autre choix que de tendre la main pour couper le comlink.


Je crois que nous pouvons épargner au public le détail de mes arrangements hôteliers.
C’est un honneur qui n’est pas si commun, argua la journaliste, et qui a quelque chose de protocolaire, donc d’officiel.
Je crois que l’entrevue est terminée, fit le Seigneur avec un air d’autorité.


Souffler le chaud et le froid était une technique bien établie et Absalom savait qu’en restant universellement poli et bienveillant, il courait le risque de perdre l’aura de mystères sulfureux qui l’entourait en tant que Seigneur Sith. Ce mouvement d’humeur, qui s’exprimait avec le calme d’un ton froid et princier, venait rééquilibrer la balance, et la journaliste en eut un frisson si évidemment érotique, formée qu’elle était, dans une société aussi patriarcale que celle de Cadézia, à trouver du charme aux hommes de pouvoir, qu’il fut persuadé d’être intervenu au bon moment.


Vous avez raison, murmura-t-elle, en tendant à son tour la main pour prendre son comlink, effleurant celle d’Absalom au passage. Puis elle reporta son attention sur Evadné. Et quels autres hauts-lieux de la culture cadézienne comptez-vous faire visiter au Seigneur, docteure… ?
Evadné Publius
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Evadné plongea timidement son couvert dans la sauce épaisse et colorée de son plat à la présentation impeccable. Elle n’avait pas vraiment faim, ce qui était rare chez elle. La nourriture primait souvent sur les occasions prioritaires, mais en ce moment, rien n’importait davantage que les propos qu’Absalom jetait en pâture à la journaliste et elle avait cette impression d’être dans un zoo et que le visiteur jetait quelques morceaux de steak dans la cage du carnivore dans l’espoir de l’ébrouer. En portions raisonnables, toutefois – parce que des panneaux indiquaient ci et là qu’il était interdit de nourrir les animaux.

Ses prunelles suivirent la main du Seigneur vers le comlink et elle fut soulagée.

-Je crois que l’entrevue est terminée

Inconsciemment, peut-être, aurait-elle partagé le même frisson qu’Ariadna à l’évocation du ton absolu de son invité. Une intonation qui la ramena immédiatement à la veille, dans ce salon, en compagnie de Manéo Jung lorsque l’hapien avait verbalisé clairement son envie d’arpenter les stations inférieures. Eva se perdit dans une contemplation vaine du profil de Thorn, espérant sans doute y percer un secret sith dont sa curiosité devenait friande. Son observation fut interrompue par la voix assurée de l’autre cadézienne.

-Et bien. Le programme officiel prévoyait un voyage jusqu’à Mariner Valley.

-Officiel ? rebondit immédiatement Arius. Dois-je comprendre qu’il existe un programme officieux ?

Publius marqua un silence durant lequel, elle s’octroya une timide bouchée de son plat.

-Nous comptons donc prendre une navette vers les canyons pourpres.

Elle avait superbement ignoré la question, sans rond de jambes et la journaliste comptait bien le lui faire payer. Après un sourire, elle rétorqua donc avec simplicité :

-Mhh, Mariner Valley donc. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus…exotique sur cette planète, n’est-ce pas ?

-Et bien, Absalom et la délégation hapienne ne sont là que pour quelques jours. Il serait difficile d’envisager nous rendre sur la station Medina, ou sur Nauvoo.

-Quel dommage, je pensais que vous intégreriez un site archéologique particulièrement intéressant à la visite.

La guide eut un sourire incertain vers Absalom, espérant que la journaliste s’arrêterait là. Elle comprenait très bien de quel site archéologie il était question et ne souhaitait pas l’évoquer. Parce que c’était une face de Cadezia autrement plus sombre que les niveaux inférieurs des grandes cités. Et qu’il avait déjà eu beaucoup à digérer concernant les paysages social, politique et géographique très éclectiques de la planète.

-Le temps manque hélas. Peut-être lors d’une prochaine visite, affirma-t-elle avec aplomb vers Ariadna.

-Oui, le temps, répéta son interlocutrice avec une moue incrédule avant de se détourner vers l’objet principal de sa convoitise. Seigneur Thorn..

Elle déposa son datapad à la surface lisse de la table, prête à lui transférer ses coordonnées.

-Si vous avez besoin de renseignements sur Cadezia…qui disons…ne pourraient pas vous être transmises par votre charmante guide, n’hésitez pas à me contacter. Ce sera un échange de bons procédés, pour l’interview accordée.

Et parce que n’importe quel moyen était bon pour retrouver la compagnie du délicieux hapien. Evadné leva discrètement les yeux au ciel, exprimant imperceptiblement son agacement face au tacle à peine voilé. Sur ces considérations la pause-déjeuner toucha à sa fin, et il était convenu, d’un accord commun, que le duo délaisserait la suite de la séance parlementaire. A la sortie de l’établissement, une escorte les attendait ainsi qu’un land-speeder du Ministère cadézien. Ils prirent place à bord, l’un à côté de l’autre. Publius hésita avant de lancer le signal du départ. La bulle discrète offerte par le véhicule, en sus de possibles mouchards, permettait un instant propice aux confidences.

-Il y a plusieurs semaines, trois mois, je pense. J’ai voulu fuir cette vie, débuta-t-elle. C’est là que je l’ai rencontré.

Elle gardait les yeux bas, et leur couleur était ombré par ses cils fournis. Elle évoquait la personne qui lui avait envoyé le message ce matin.

-Il n’est pas cadézien, mais partage la même condition sociale que Darius ou n’importe quel autre bas-cadézien. Nous entretenons une relation sur Coruscant que mon père désapprouve évidemment, mais qu’il tolère à peine tant qu’elle n’entache pas ma carrière. C’est tout nouveau pour moi. Comme vous le savez…mener deux fronts m’a demandé d’immenses sacrifices sociaux et je ne connaissais les rapports humains que par le prisme de mes études.

Ses lèvres frémirent un sourire pensif alors que ses joues rougissaient faiblement à certains souvenirs pleins d’audace et lascivité.

-Je suis quelque part soulagée de voir qu’un homme…tel que vous, de votre prestance et de votre intelligence puisse éprouver ce genre de sentiments. Vous me comprenez sans doute davantage que le Ministre Publius.

Elle effleura la commande qui indiqua au pilote qu’ils pouvaient démarrer en direction du spatioport d’Ilus IV.

-Nous devons prendre une navette atmosphérique pour rejoindre Mariner Valley. Le lac de glace est impraticable en land-speeder à cause des nombreuses compagnies de prospections de glaces. C’est plutôt cocasse des mines de glace, et pourtant Cadezia le fait. Les ouvriers font exploser la glace et charge les blocs sur des cargos atmosphériques en direction des quatre coins de la planète pour ravitailler qui de droit en eau.

L’art de passer d’un sujet à l’autre avec aisance. Son attention était tournée vers la vitre de l’habitacle et chaque mouvement d’Ilus IV imprégnait sa rétine. Elle avait de l’affection pour sa planète d’origine, bien qu’elle fût née à Coruscant d’une mère hapienne, elle avait grandi à la surface de Cadezia. Il lui était impossible d’abandonner ce monde à son sort, de fermer les yeux sur ce qu’elle avait découvert de corruption et d’imbroglios. En commune réflexion de médecin, elle souhaitait soigner toutes ces plaies ouvertes qui pullulaient sur la planète.

Absalom Thorn
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Le speeder filait le long des avenues dégagées, sous le ciel clair, et Absalom considérait la silhouette des bâtiments qui s’élevaient là, à la surface, en se demandant combien l’architecture des profondeurs de la ville différait encore de ce qu’il observait. Soulagé lui aussi, au fond, d’avoir mis un terme à l’entrevue avec la journaliste, un exercice dans lequel il se sentait bien moins à l’aise qu’il ne l’avait laissé paraître, il se serait perdu volontiers et encore longtemps dans la contemplation du paysage, si la jeune femme n’avait choisi son moment pour des confessions.

Le regard du Seigneur Sith ne se posa pas tout de suite sur elle, pour lui laisser l’intimité relative aux confidences. Quelque chose lui disait qu’Evadné n’avait pas souvent l’occasion de partager les détails les plus intimes de sa vie, et si sans doute la Cadézienne prenait sa place, désormais, dans les machinations compliquées qui réglaient son existence, la sympathie qu’Absalom éprouvait pour elle était sincère, quoique naissante.

Je les éprouve peut-être même plus que je ne le devrais, concéda-t-il après même que la politicienne ait botté en touche en décrivant les mines qui opéraient sur les champs de glace. Les Jedis vous diront volontiers que la voie que j’ai choisie pour étudier la Force a éteint en moi toute humanité, toute capacité à embrasser la vie autrement que par intérêt personnel et volonté de puissance, mais la vérité c’est que plus j’y mûris et plus je progresse, plus je me sens porté à tomber amoureux.

Sans doute le Côté Obscur avait annihilé en lui bien d’autres vertus morales chères aux Jedis, mais celles-là, il ne les considérait plus que comme des faiblesses. Que lui importait les compassions vagues, sans objet, l’espèce de bienveillance universelle et imprécise que son ancien Ordre prônait ? N’y avait-il pas des sacrifices nécessaires, même titanesques, pour cheminer sur la route du progrès et de la connaissance ?

Voyez-vous, je suis… comment appelle-t-on cela, dans les taxinomies contemporaines ? Polyamoureux. Quelque chose dans le genre. Chaque homme que j’aime, oh, je ne dis pas qu’ils sont des dizaines, je l’aime pour lui-même, pour des raisons propres, entièrement différentes de celles des autres. Mais les gens qui n’ont pas connu ces sentiments, Evadné, les gens qui n’ont jamais eu que des relations… comment dire ?

Lui non plus ne parlait pas souvent de cela. Au sein de l’Ordre Jedi, la question était évidemment taboue. Chez les Siths, ses passions étaient des aveux de faiblesse : la luxure, la conquête, la possession du corps des autres, pourquoi pas, mais la tendresse et l’attachement conjugal qui répondait à un libre mouvement du coeur plutôt qu’aux calculs d’une stratégie matrimoniale bien réfléchie, c’était une faute risible. Et Darth Venenous, sa seule véritable amie, resterait peut-être toujours hermétique à ce genre d’élans du coeur — croyait-il.

Sociologiquement, culturellement, les gens sont portés à tomber amoureux des gens qui leur ressemblent suffisamment, de la même extraction, de la même classe. C’est un ensemble de codes, de références communes, d’habitudes, de loisirs partagés, de cercles d’amis qui se recoupent, mais aussi de manières de se tenir, de s’habiller, même une certaine apparence physique. Ce que vous éprouvez ou ce que j’éprouve sont des passions… Littéralement hors normes.

Il avait ressenti le besoin d’explorer la question de manière plus systématique. Il n’était pas loin de véritablement considérer Evadné comme une apprentie, tristement dénuée de sensibilité à la Force, il est vrai, mais une apprentie tout de même et il se sentait par conséquent le devoir de lui être utile. Pas seulement de partager son expérience personnelle, qui n’aurait que peu d’intérêt pour la jeune femme jugeait-il, mais des éléments pour analyser le monde.

Je ne dis pas, bien sûr, que vos sentiments pour un homme hors de votre milieu, mais pas tout à fait de votre univers, et mes goûts bien établis pour les jeunes hommes perdus par la violence de la pauvreté et de l’oppression ne s’expliquent pas socialement. Après tout, c’est sans doute précisément parce que nous sommes des marginaux nous-mêmes que nous trouvons plus de sens dans des relations avec des gens extérieurs à notre classe. Nos passions ne sont pas incroyables ni irrationnelles, mais elles restent exceptionnelles et, par conséquent, échappent à la compréhension des gens que nous fréquentons le plus ordinairement.

Le landspeeder s’était arrêté près du spatioport, pour subir des contrôles de sécurité de rigueur : un droïde étendait un bras-détecteur sous l’appareil, à la recherche d’explosifs dissimulés, une précaution qui ne surprit guère l’Hapien qu’était Absalom, habitué à craindre les attentats en tout genre.

Il est probable que même si votre père consentait des efforts littéralement surhumains pour comprendre votre situation, sa propre expérience, son parcours de vie si l’on peut dire, au risque d’employer une expression galvaudée, l’en empêcherait. Et beaucoup de gens vous diront qu’il s’agit d’une faiblesse. Un frein à votre carrière, une distraction inutile, peut-être même un danger, qui vous expose à des influences indues. Et ces avertissements ne sont pas dénués de fondement.

Le véhicule s’ébranla à nouveau, pour prendre la direction des pistes privatives, laissant sur sa droite les terminaux réservés aux transports de voyageurs du commun.

Mais ces personnes manquent de voir le bon côté de la médaille : que ces relations, outre la satisfaction personnelle, je veux dire psychologique qui procure et qui, même si l’on tient à analyser ces choses-là d’un point de vue froidement rationnel, en reste le profit le plus solide et le plus certain, sont aussi riches en découvertes, qu’elles ouvrent les yeux sur des réalités qui sinon nous échapperaient, et font de nous des meilleurs politiciens, au sens noble du terme, c’est-à-dire des personnes mieux et plus intimement engagés dans la chose publique.

Le speeder se rangea près d’une navette autour de laquelle du personnalité en uniforme s’activait encore, mais Absalom n’en descendit pas tout de suite.

Je ne vous conseille pas de vivre votre passion au grand jour en vous moquant des conséquences, parce que l’amour triomphe de tout : ce sera digne d’une mauvaise holocomédie romantique et déraisonnable. Mais n’en éprouvez pas de honte, parce que vous avez non seulement les vertus du coeur avec vous, mais aussi les vertus de la raison. Et vous pouvez m’en parler avec toute la tendresse que cela vous inspire. Pour être honnête…

Son sourire fut beaucoup plus mélancolique qu’il n’en avait eu l’intention.

… cela ne me déplairait pas d’avoir quelqu’un à qui parler de ces choses-là…

Son regard se détourna promptement et il sortit du speeder. Dehors, un vent puissant soufflait sur le tarmac, mais la navette était prête. On était loin des fleurs violettes et âcres : c’était l’odeur d’huile et de réacteur, l’odeur métallique et froide des astroports.

Absalom considéra la navette avec une infime appréhension.
Voler lui avait toujours paru une activité ô combien déraisonnable.
Mais il fallut bien monter à bord.
Evadné Publius
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Les mots bienveillants d’Absalom l’avaient apaisée alors qu’ils atteignaient le principal spatioport d’Ilus IV. Lui chez qui tout paraissait surnaturel : sa beauté, sa jeunesse, son aura…devenait presque humain à évoquer la manière dont il aimait. Avait-il aimé Darius Inaros pour ces mêmes raisons ? Là où elle n’avait observé qu’un terroriste, une menace…lui avait contemplé autre chose. Elle se jugea coupable, parce qu’Ashford avait estimé Ja’ar de la même manière : superficiellement, le prenant pour ce qu’il paraissait être aux yeux de tous : un vulgaire mécanicien opportuniste. Peut-être devrait-elle reconsidérer le cas de Darius ?

-Cela tombe bien, fit-elle dans une moue malicieuse et complice, cela me ravit de parler de ces choses-là avec vous.

Parce que le trajet jusque Mariner Valley avait été acté officiellement, la Stellaire Compagnie avait affrété un de ses transports haut de gamme pour…le loisir de deux passagers. Tout un équipage de vol se tiendrait à leur disposition. Et sitôt les dispositifs de sécurité passés, une hôtesse tirée à quatre épingles les invita à embarquer. Un soldat de la garde ministérielle les talonnait toujours et on se demandait finalement si ce n’était pas plus par principe que par sécurité. Ils s’installèrent dans ses sièges confortables et une baie transversale permettait d’admirer le paysage céleste qui ne tarda pas à défiler. Les hôtesses s’enquirent rapidement de leurs besoins : Boissons, fruits, pâtisseries, holofilm. Toutes les propositions de service à la consommation passeraient au bout des lèvres souriantes du personnel de vol dont la plupart s’empressa de murmurer des commentaires sur la beauté d’Absalom dès l’intimité de leur cabine retrouvée.

-Il faut compter une bonne heure de vol, l’informa Evadné avec simplicité avant de se reperdre dans le bleu aux tons rosés du ciel cadézien.

Après une cinquantaine de minutes, les premiers canyons pourpres se démarquèrent, au-delà du lac de glace. On aurait pu difficilement imaginer qu’une ville se dressait dans ce relief désertique et écarlate. En réalité, si l’on plissait les yeux suffisamment et portait attention aux flancs des canyons, on apercevait des structures urbaines, creusées à même la roche. Mariner Valley ne dévoilait sa splendeur que la nuit tombée, lorsque les milliers de lumières de la cité rocheuse émettaient des falaises aux courbes lisses. En journée, le paysage offrait plutôt un spectacle naturel et brutal. Le vaisseau entama son atterrissage au sommet de l’une d’entre elles où se dressait un spatioport modeste. Les hôtesses leur souhaitèrent un agréable après-midi. Dans le hall principal du bâtiment, les sigles de la SteCo marquaient le dallage et les terminaux holographiques annonçaient, entre deux publicités, les départs et les arrivées agrémentées des destinations. Contrairement à Ilus IV, les habitants de Mariner Valley semblaient plus renfermés, à l’image de l’environnement aride qui les entouraient.

-Bienvenue à Mariner Valley, souffla-t-elle avec amusement alors qu’ils s’arrêtaient devant une gigantesque carte interactive.

La cité semblait s’étendre sur une cinquantaine de kilomètres carrés si l’on en croyait l’échelle dispensée par la carte.

-A cause des tempêtes de sables, qui rendent l’air toxique, il n’est pas conseillé de quitter les infrastructures.

Et comme pour illustrer ses propos, un groupe de techniciens en combinaison pressurisé se hâta vers l’un des sas technique et sécurisé permettant l’accès à l’extérieur.

-Mais il existe un réseau de métro-speeder qui permet de parcourir la ville sans avoir à mettre le nez dehors et…des baies d’observations qui autorisent les touristes à s’enivrer du paysage, bien à l’abri.

Elle l’invita à le suivre, jetant un coup d’œil à leur escorte qui semblait en alerte.

-Le principal employeur de la ville et bien, c’est l’armée cadézienne. Mariner Valley dispose du plus gros chantier naval de vaisseaux de guerre. Enfin, en ce moment, c’est davantage un chantier de démantèlement de certaines unités de guerre. C’est pour cela que beaucoup d’habitants sont sous pressions. La plupart des gens que vous croiserez ici sont des vétérans de l’armée, à la recherche d’un travail. Révoqués, faute de guerre. Beaucoup en trouvent dans le démantèlement, mais d’autres sont engagés comme consultants à la sécurité.

Elle estima à nouveau la position du garde, et déposa une main délicate contre le bras d’Absalom pour le mener à un peu à l’écart. Elle brisa la distance imposée par les convenances pour pouvoir lui murmurer à l’oreille, sans être inquiétée. De loin, ils ressemblaient à n’importe quel couple qui partageait un moment de complicité.

-Ce n’est pas Hélix-Bellum qui est en charge de la sécurité ici. Voilà pourquoi notre escorte est un peu sur les dents. Mais une société de sécurité privée liée à l’ACE. Et…

Elle humecta ses lèvres, prenant une pause pour réfléchir à la suite de son propos.

-Je suis persuadée qu’ils revendent le matériel de guerre démantelé pour financer leur organisation. En fait, je le sais. Je sais même que certains prototypes expérimentaux qui équipaient des vaisseaux de guerre…seront bientôt proposés à la transaction auprès de certains systèmes neutres. Et même de clans Hutts. J’ai tenté d’en parler au Ministre Publius mais…il botte en touche. Personne ne semble vouloir stopper ce qui se passe ici. Et maintenant, Darius Inaros est en fuite. Ai-je raison de m'inquiéter ?.

Absalom Thorn
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Hé bien…

Ces Cadéziens n’étaient décidément pas amateurs des nationalisations, songea Absalom. Passer de l’Empire, où l’État de Dromund Kaas prétendait tout contrôler et où les mondes étaient individuellement sous le joug plus ou moins tyrannique de tel Moff ou tel Seigneur Sith, à une société comme celle qu’il découvrait ce jour-là, où les fonctions régaliennes paraissaient distribuées au petit bonheur la chance entre des entreprises privées un peu partis politiques ou des partis un peu corporations, l’expérience était étrange.

Tout monde frontalier, en tout dans les Bordures, a besoin dans une certaine mesure d’une forme d’économie parallèle. Aucune planète comme Cadézia ne peut fonctionner de manière entièrement légale ou entièrement régulée, particulièrement quand les changements géopolitiques lui imposent de transformer brutalement ses chaînes de production. De ce point de vue, ce que vous me dites n’est ni particulièrement étonnant, ni préoccupant.

Pendant ses études, Absalom avait rapidement découvert qu’avant toute division idéologique ou méthodologique, les économistes républicains se séparaient en deux catégories : ceux qui réfléchissaient à partir de modèles abstraits des données quasi idéales du Noyau et ceux qui, avec une expérience de la Bordure, comprenaient que la vie des planètes et des gens y était faite de petits arrangements particuliers.

Je ne suis pas très sûr de saisir la nature précise de votre inquiétude, Evadné. Craignez-vous que l’ACE ne s’enrichisse à proportion de ces ventes et qu’elle puisse faire une concurrence sérieuse aux grands possédants d’Ilus IV ? Ou bien redoutez-vous qu’avec ces ventes, l’ACE ne s’attire les faveurs des cartels hutts et ne finisse par penser que leur protection vaut mieux à tout prendre que celle, pour l’heure très théorique, de la République ?

La guerre avait vu trop de planètes renversées, échangées, transmuées pour qui que ce fût dans la Bordure pût se sentir sûr des allégeances de son monde. Cadézia était loin de ces secteurs qui avaient été républicains depuis une éternité et d’où l’on aurait pu voler pendant des heures et des heures dans l’hyperespace sans jamais arriver ailleurs qu’en République. Ici, les alternatives existaient.

Je vous avoue que si j’étais un leader de l’ACE et que je constatais le démantèlement orchestrée par S’orn des protections sociales offertes par la République, qui agissaient comme de rares gardes-fous à l’oppression économique de la classe possédante de mon monde, je serais tenté de considérer que les fils ténus qui me liaient encore à la République sont en train de rompre et de chercher des soutiens ailleurs. Si l’on ajoute à cela un appareil productif qui peine à se reconvertir au sortir d’une économie de guerre, donc une crise économique, l’exemple hautement symbolique d’un chef adverse qui n’a pas su sauver son propre bras, l’autre symbole d’une évasion à succès…

Absalom haussa les épaules. Au fond, l’ACE serait probablement gagnante, au moins un temps, au sein de l’Espace Hutt : le Jedi Noir ne doutait pas qu’elle en eût les codes et que ses relations y étaient plus solides que celles des entrepreneurs légitimes de Cadézia, qui avaient bien dû se plier à la surveillance des organes de régulation de la République. Et sans parler des Hutts, il y avait l’indépendance, tout simplement.

Je ne parle même pas du fait que la solution à la guerre, quoique s’en gargarisent nos diplomates de tapis rouge, naît plutôt de l’intercession du monde indépendant d’Ossus que des superpuissances galactiques. Pour beaucoup, entre l’Empire et la République, les bénéfices théoriques de l’intégration à ces États gigantesques sont en train de dissiper et l’attrait d’une souveraineté planétaire ou sectorielle est puissant.

Comme il sentait peser sur eux le regard de leur escorte, Absalom reprit sa marche en direction d’une galerie au-dessus de laquelle flottait un mince hologramme qui indiquait la direction du centre-ville.

Je crois qu’il est temps pour vous de replacer ces éléments isolés, l’attentat contre votre père, l’évasion de Darius, le trafic d’équipement, dans le système dont ils font partie et que vous envisagiez les réformes qui vous paraissent souhaitables. Et les moyens pour les mener à bien. L’évasion de Darius est assurément un problème urgent, qui exige une réponse immédiate, mais sans doute pas une réponse sécuritaire et policière, comme celle qui a été débattue ce matin au parlement. Une réponse politique. Réfléchissez bien et dites moi ce que vous craignez précisément, pour aujourd’hui et les jours à venir. Le scénario du pire, selon vous. Et ce qu’il faudrait selon vous pour l’éviter.

La guerre civile, bien sûr, mais de ce qu’il avait vu jusque là, Absalom ne croyait pas que Cadézia en fût arrivée là. L’ACE avait-elle seulement les moyens de l’envisager, autrement que comme une guérilla désespérée dans le dédale de Mariner Valley ?

Toutes les crises sont versatiles : ce qui vous inspire des inquiétudes est aussi riche en opportunités. Une fois que vous avez identifié le pire, et les moyens de l’éviter, il faut penser à ceux d’exploiter la situation. Darius s’est évadé. Hélix-Bellum va le chercher. Les mêmes discours, d’un côté et de l’autre. J’imagine une certaine lassitude de la population. Quant à la lassitude des médias, nous en avons été témoins ce midi même. N’est-ce pas le moment précis pour faire émerger une voix nouvelle ? Quelqu’un qui dirait, par exemple : j’ai été sur Coruscant, j’ai vu les ravages du néo-libéralisme, j’ai essayé de m’y opposer, mais là-bas, dans la technocratie lointaine, nos forces sont trop faibles. C’est ici qu’est notre destin, ici que nous avons les ressources pour le changer, en s’élevant au-dessus des oppositions sclérotiques qui enrichissent les professionnels du radicalisme et les entrepreneurs de l’ordre.

Du coin de l’oeil, il observait l’expression de la jeune femme. Elle qui n’aimait pas s’exposer aux journalistes aurait-elle jamais cette assurance presque inconsciente qu’exigeaient les grands discours publics et toute véritable carrière politique ?
Evadné Publius
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Elle n’avait pas répondu tout de suite. Tout ce qu’Absalom avait déclaré sonnait juste et vrai. Elle l’avait toujours su, mais n’avait jamais osé. Peut-être que son repli sur Coruscant était une facilité, une solution de confort et un vecteur de lâcheté pour ne pas avoir à affronter les réalités de Cadezia. Peut-être que son père, comme tous les grands hommes, avait connu sa période de règne et qu’il était devenu faible. Peut-être pas.

Ils émergèrent dans une longue galerie commerciale, grouillante de monde et dont l’ambiance était rythmée par une série d’écrans holographiques qui accaparaient l’œil du chalant : une publicité pour un hôtel de luxe, une bande-annonce pour une holoréalité à la mode, des annonces pour des organismes de recrutements. Ni le ciel, ni les canyons n’étaient visibles. Ils ne le seraient pas plus depuis le centre-ville. Il faudrait, pour les apercevoir, emprunter le métro-speeder ou rejoindre une baie d’observation. Par chance, le salon de stim-thé qui avait été privatisé pour leur venue en possédait une. Ils n’eurent qu’à marcher une dizaine de minutes pour le rejoindre et s’installer à une table en face de l’immense baie vitrée qui donnait sur le reste de Mariner Valley et de ses falaises pourpres. Des consignes de sécurité précises avaient visiblement été données et leur escorte se permit à peine un soupir de relâchement dès qu’ils furent entre les quatre murs du lieu où une musique de fond jouait un rythme lent.

-Je suis prête à le faire, dit-elle avec sérieux alors qu’on leur apportait une variété de stim-thé et de l’eau.

Aucun droïde en service. Un personnel humain et classieux officiait dans l’établissement. On ne leur proposa aucune carte. Les consignes données auraient également concerné leur consommation. La salle luxueuse était vide, à l’exception de leur escorte et des employés qui tels des fantômes sans oreille, vaquaient à leur occupation.

-Je suis même prête à écouter Darius Inaros, pour peu qu’il ait quelque chose à me dire. Voyez-vous, contrairement à mon père ou à Hélix, je n’éprouve pas d’animosité envers l’ACE. J’éprouve de l’animosité envers ceux qui risquent la stabilité de ce monde et…ne rien faire, ou laisser les choses se faire – comme agit présentement le Congrès au pouvoir, et bien c’est également risquer la stabilité de ce monde.

Un serveur souhaita remplir leur tasse, mais elle le congédia d’un sourire poli. Ses doigts agrippèrent la hanse d’une théière en porcelaine véritable et elle versa le liquide chaud et ambré dans la tasse de son invité, avant de réitérer le geste chez elle. Le Seigneur aurait le choix de l’eau, si le stim-thé ne lui convenait pas.

-Le pire serait que le peuple, soutenu par l’ACE, réclame officiellement la sortie du système républicain. Un désir de sortie…que S’orn s’entête à nourrir de sa politique néo-libérale sans queue ni tête. Et qui, quelque part, arrange les affaires du Ministre Publius. Et vu que la Sénatrice qui vote ces lois est membre de l’ACE, le statu quo perdure. L’équilibre est fragile.

Elle huma le fumet de violette qui se dégageait de sa tasse et ses grands yeux admirèrent l’horizon sauvage de Mariner Valley. Plus que jamais, elle avait envie de fuir à nouveau, mais le besoin de rester et de s’accrocher à Cadezia était plus fort.

-L’Amiral Inaros a été pris à son propre jeu. Il a voulu le pouvoir tel que mon père le possède. Désormais, une élue de l’ACE est Sénatrice à Coruscant et est obligée de voter des lois qui sapent toute prétention de protection sociale. Il n’était pas bien conseillé, ni préparé. Je suis pratiquement sûre que Darius le lui reproche. Les bas-cadéziens n’ont pas pour habitude de singer les maîtres, ou de boire du thé devant un panorama façonné par l’érosion au fil des millénaires. D’un autre côté, Caleb Inaros possède une influence certaine auprès de l’Etat-major cadézien. C’est une carte maîtresse de son jeu. Et…que voudriez-vous que je fasse au milieu de tous ces hommes et femmes ? J’ai l’impression que ma voix ne portera jamais, peu importe le message qu’elle transmettra.

Ses lèvres trempèrent enfin dans le stim-thé brûlant et elle se permit une modeste gorgée. Finalement, Cadezia n’était peut-être pas si différente du Consortium. Il y avait sans doute moins de meurtres politiques, mais les geôles d’Hélix-Bellum ne désemplissaient pas de prisonniers idéologiques. Elle serait éternellement reconnaissante à Absalom pour son soutien, et il était inutile de le verbaliser tant il pouvait le deviner d’un simple coup d’œil. Sans doute créait-elle une situation de dépendance vis-à-vis des conseils du hapien. Toutefois le calme régnait ici, et rien ne lui importait plus en ce moment qu’être loin du vacarme urbain d’Ilus IV et de pouvoir affronter la brutalité des sommets de Mariner Valley. C’était l’occasion de repenser à sa défunte mère, aux moments qu’elles avaient passé dans les différentes baies d’observation lorsqu’Evadné n’était encore qu’un bambin.

Elle ne se souciait pas davantage des membres du personnel ou d’éventuels mouchards. Elle avait toujours assumé ces derniers, comme si de rien n’était.

-Je crois que j’ai peur, conclut-elle d’une voix douce et sincère.

Faire entendre sa voix la terrifiait. Tout le reste n’était qu’excuses et justifications infondées. A ce aveu, sa main trembla faiblement et elle tenta de reprendre le dessus en buvant une nouvelle gorgée.

Absalom Thorn
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C’est normal. La peur n’est pas une honte : c’est bien plutôt la preuve de votre lucidité. Les gens qui ne craignent rien manquent soit de clairvoyance, soit d’équilibre mental. Dans un cas comme dans l’autre, il faut leur confier des commandos de forces spéciales, et jamais rien de plus.

La crainte était une voie vers le Côté Obscur, mais ce n’était pas une raison pour Absalom de la vanter. Simplement, il avait toujours éprouvé une méfiance de principe face aux bravades des combattants trop sûrs d’eux. Combien de ses Padawans avaient trouvé une mort prématurée sur quelque planète lointaine faute d’avoir éprouvé assez de peur face à un danger que la témérité de leur jeunesse les avait conduits à ignorer ?

Je ne vous dirais pas qu’il vous suffirait de faire quelques discours pour tout arranger, ou même simplement pour tirer votre épingle du jeu. Formuler un nouveau contrat social sur Cadézia, ou plutôt distribuer une nouvelle donne…

Différence subtile qui pouvait trahir l’approche au fond peu démocratique de l’Hapien : à ses yeux, il n’y avait pas de contrat social, mais un rapport de forces plus ou moins équilibré.

… pourrait bien être le travail de toute une vie. Parfois, il y a des surgissements de conscience populaire, des moments miraculeux, des tempêtes parfaites, et tout se règle en quelques années, et d’autres fois, il faut avoir la patience laborieuse des réformateurs infatigables. Difficile de prévoir ce que la situation de Cadézia exige. Tous les théoriciens du monde ont leur modèle, mais les réalités sont pleines de contingences.

Absalom but une gorgée d’eau. Depuis qu’Evadné le connaissait, il ne s’était jamais désaltéré avec autre chose.

Vous avez besoin de pouvoir. Pas le pouvoir d’opprimer et de contraindre, certes, tout du moins j’imagine que ce n’est pas la voie que vous souhaitez emprunter, mais le pouvoir de réunir, de pousser les gens à s’asseoir à la table des négociations et sans doute à admettre des compromis qui ne les avantagent pas entièrement. La source véritable du pouvoir politique, ce sont les relations et les relations sont consolidées par la notoriété et par l’argent.

Rien de révolutionnaire dans ce qu’il racontait, mais Absalom savait d’expérience que les tâches les plus intimidantes gagnaient à être exposées clairement à partir de principes simples : elles perdaient alors un peu de leur complexité à glacer le sang.

Pour l’heure, vous vivez dans l’ombre de votre sénatrice et dans l’ombre de votre père. Même si vous alliez prendre le microphone tout à l’heure pour diffuser un discours lumineux à tous les holoécrans de la planète, pour la plupart des gens, et je ne dis bien sûr pas cela pour vous faire de la peine, vous seriez transparente : la porte-voix de la sénatrice ou celle de votre père.

Il ne touchait pas non plus aux petits gâteaux secs que l’on avait arrangés dans un dessin géométrique pour accompagner leur stim-thé.

Les gens ont besoin de savoir ce que vous pensez, vous. Ensuite ils seront susceptibles de se laisser convaincre. Mais pour entendre ce que vous dites comme quelque chose qui vient de vous et seulement de vous, il faut qu’ils comprennent qui vous êtes. Il faut qu’ils vous donnent une vie, une personnalité, un passé et des aspirations. C’est la tâche que bien des politiciens idéalistes, même plus expérimentés que vous, jugent ingrates : parce qu’ils croient que leurs idées sont les bonnes, ils estiment que c’est ce dont ils devraient parler toujours. Le plus important avant tout, en quelque sorte. Mais avant de pouvoir être écouter, il faut avoir construit son ethos, et cela passe par une certaine mise en scène de soi.

Absalom tira de sa poche son datapad et, armé du stylet, se mit à dessiner un diagramme sur l’écran : de l’ethos aux idées, des idées à la notoriété, de la notoriété à l’argent, de l’argent au pouvoir, et du pouvoir au début, dans un mouvement circulaire. Puis d’un geste de balayage, il passa à l’écran suivant.

Si vous voulez, c’est exactement la même logique que celle d’un candidat qui doit commencer par aller serrer la main des activistes du quartier et leur parler de son enfance et de sa famille, avant de pouvoir véritablement organiser des meetings. Il en va de même pour vous. Vous devez vous faire connaître. Vous devez, en quelque sorte, vous incarnez vous-même aux yeux des Cadéziens. Être autre chose que la fille de Publius, qu’une fonction sociale en quelque sorte, une expression parmi d’autres de la classe à laquelle vous appartenez. Si j’étais à votre place, mais bien sûr je ne prétends pas pouvoir comprendre ce que vous vivez, voici les mesures que je prendrais d’abord.

Le datapad affichait à présent une liste numérotée.

L’ordre… peut varier, évidemment. Bref. D’abord, accorder des entrevues aux médias. Pas les journalistes politiques. La presse people, les magazines féminins, les brochures de programmes holoTV, que sais-je. Vous arranger pour vous faire filmer quand vous travaillez dans un dispensaire. Passer de là à la presse médicale spécialisée. Qui êtes-vous ? Une médecin. Sur quoi avez-vous un avis ? Sur la santé. Grâce à cela, on vous identifie à travers un récit personnel, incarné, et une expertise sur un domaine bien précis des politiques publiques. Peu importe que presque personne ne lise votre entrevue dans la Semaine du Pédiatre ou le Mensuel des Hôpitaux. Ce qui compte, c’est qu’on en vienne à vous proposer de siéger dans tel comité d’éthique de laboratoire pharmaceutique ou tel conseil d’administration d’un hôpital : c’est là que vous nouerez des relations et que vous consoliderez votre légitimité.

De toute évidence, ces tactiques politiques passionnaient le Hapien.

Ensuite, nourrissez les rumeurs à propos de votre vie sentimentale. Je vous l’ai dit, ce genre d’intérêts indiscrets peut avoir son utilité, aussi déplaisant soit-il. Vous êtes jeune, vous êtes infiniment plus belle que tout le reste de cette planète, c’est… romanesque, en quelque sorte. Ne répondez jamais aux questions de la presse, ne paraissez jamais vous complaire dans l’exposition de votre vie privée, mais laissez filtrer, habilement, ceci ou cela, en rencontrant tel prétendant dans un lieu public, par exemple. La curiosité que les gens éprouvent pour la vie des célébrités, si elle vous paraît superficielle, est aussi un moyen pour eux de se sentir proches. Et cette relation de proximité, tant qu’elle est tempérée par la mise en scène d’une expertise, par exemple dans le domaine sanitaire et médical, est un puissant instrument électoral. D’ailleurs…

Absalom écrivait à toute vitesse en même temps qu’il parlait et le logiciel du datapad convertissait son écriture élégante, fine, serrée, en caractères informatiques, qui couvraient déjà plusieurs pages du document.

… ne trouvez-vous pas que quitte à avoir des intérêts romanesques, il est préférable que le public se passionne pour des histoires d’amour que des histoires de violence et d’attentat ? Voyez cela comme une contribution pour substituer un imaginaire pacifique à un imaginaire guerrier. Ceci étant dit… N’épousez pas un Cadézien. En la matière, politiquement, il n’y aurait pas de bon choix. Les prétendants que vous proposent votre père vous catalogueraient définitivement, vous enfermeraient dans votre classe sociale. Épouser quelqu’un des bas quartiers serait perçu comme une sorte d’exotisme social. Cherchez un mari ou une femme… un mari, je suppose, si les mœurs de Cadézia sont trop conservatrices… d’un milieu somme toute comparable aux vôtres, pour que ce choix paraisse logique et non relever d’une fantaisie immature, mais en dehors de la sphère d’influence de Cadézia. Éviter quelqu’un que vous auriez rencontré sur Coruscant, pour ne pas paraître déconnectées des réalités périphériques. Choisissez cette personne d’abord pour son tempérament, sa volonté d’entrer dans un contrat, en quelque sorte, mais nous en avons déjà discuté, et ensuite pour ce qu’il peut vous apporter.

À son humble avis, une femme eût été préférable pour de pures questions de tempérament, mais Evadné lui avait déjà laissé entendre que la société cadézienne était patriarcale.

À choisir, préférez chez lui la fortune à la célébrité. L’union des deux est préférable, mais c’est une indépendance financière et sociale que vous cherchez à acquérir par le mariage, en plus d’un signe de maturité personnelle et d’une alliance solide. Votre fortune propre est pour l’heure, et pardonnez-moi d’évoquer de si tristes perspectives, virtuelle tant que vous n’avez pas hérité de votre père. Elle constitue un puissant argument matrimonial, mais vous aurez à vous reposer sur la fortune de votre mari pour avoir les coudées franches. Si cette fortune est extérieure à Cadézia, vous serez presque systématiquement au-dessus des accusations de conflits d’intérêt et par conséquent, mécaniquement si j’ose dire, en dehors d’une bonne partie du conflit de classes.

La situation de Cadézia dans la Bordure était de ce point de vue un avantage certain : l’économie y était moins inextricablement mêlée aux menées des fortunes des autres mondes, comme c’était le cas dans le Noyau.

Ensuite, à partir du profil de votre mari, vous pourrez vous positionner sur un deuxième champ d’expertise, que ce soit la diplomatie, ou les médias, ou l’industrie, ou le commerce. Tout dépendra de ses activités et des réseaux qu’il vous ouvrira. Et petit à petit, c’est un effet boule de neige : vous devenez une femme politique complète, parce que vous êtes appelée à vous exprimer sur des sujets de plus en plus divers. Quelqu’un pour qui l’on pourrait voter. Quelqu’un qui a des réponses sur tous les sujets, notamment parce qu’elle a des gens sur lesquels s’appuyer dans tous les domaines.

Absalom reposa enfin son stylet.

Voilà pour les… disons premières semaines, ou premiers mois, de la partie cadézienne de l’affaire. Il y a bien sûr des choses à faire sur Coruscant, mais je crains de vous noyer sous les paroles. Je vous prie de bien vouloir excuser un enthousiasme qui naît d’abord de l’intérêt que je prends à votre personne et à vos causes, et ensuite, je dois bien l’avouer, d’un goût presque enfantin que j’ai pour ce genre de réflexions.

(En voilà un qui devait être un drôle d’enfant.)
Evadné Publius
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Attentive à ses explications, Evadné se conforta dans son siège et croisa les jambes avec grâce. Ses yeux vagabondèrent vers le datapad et ce qu’il affichait en fonction des propositions d’Absalom. A la fin de son discours, elle se pencha sur la table pour mieux contempler l’écran et étira un sourire, partagée entre la fascination, la curiosité et l’amusement. Ses yeux se plissèrent sous le poids d’une courte réflexion et elle lui répondit doucement :

-Un intérêt pour ma personne ? Un goût pour les jeux politiques ? Est-ce vraiment tout ce qui vous motive à consacrer du temps à me conseiller ?

Elle s’humecta les lèvres et revint contre le dossier de sa chaise. Elle admira encore le paysage extérieur, par-delà la vitre, inlassablement. Entre les canyons, des tubes transparents permettaient au métro-speeder de circuler dans tout Mariner Valley. Et il y avait quelque chose d’irréel à voir les rames se succéder dans ces tunnels de verre, au beau milieu d’une nature abrupte.

-Je me demande…et ce serait tout naturel, ce que je vous dois pour tout ça.

L’idée de laisser les médias créer une brèche dans sa vie privée la mettait mal à l’aise. Et si jamais la brèche devenait crevasse et la crevasse se muait en abysse ? Il faudrait miser sur le contrôle et filtrer les informations au compte-goutte comme il le lui avait conseillé. Mais c’était un pari risqué pour qui se lançait en tant que novice. Le mot de trop, l’image de trop, et tout pouvait se terminer. De toute manière, l’interview donné à Ariadna avait déjà ouvert les hostilités.

-Et je présume que ce ne sont pas les crédits, puisque…pour vous citer ma fortune est virtuelle. Ni…la perspective de me charmer, puisque vos préférences vont à la gente masculine. Alors je suis curieuse. Mais tout ce que vous m’avez présenté me semble réalisable.

Elle fit signe à leur escorte. Il était temps de changer de perspective. Ils furent de nouveau avalés par les boyaux animés de Mariner Valley où régnait – dans les étages qu’ils parcouraient, une propreté et une discipline incontestée ; sans doute due à l’influence de l’armée sur la région. Sur une place fréquentée, un groupe d’étudiants en uniforme étaient réunis autour d’un hologramme géant qui représentait un casse-tête et chacun tentait de venir à bout du problème. Un chronomètre holographique indiquait le temps imparti. Visiblement, les habitants de la cité appréciaient la compétition et hissaient l’intellect sur un piédestal. Les visages étaient fermés et concentrés.

Evadné l’accompagna jusqu’à une autre baie d’observation, après un cour trajet en métro-speeder, dont un wagon fut entièrement privatisé rien que pour leur déplacement. Cette baie accueillait quelques touristes et le soldat ministériel sur leurs talons, ils approchèrent de ce nouveau point de vue. Il donnait sur les chantiers navals : d’immenses constructions d’acier qui s’étendaient dans le désert pourpre, au-delà des canyons. Les ouvriers travaillaient tous en combinaison pressurée et ressemblaient à des fourmis casquées qui s’efforçaient de maintenir l’activité de la colonie.

-Beaucoup d’ingénieurs de Mariner Valley espèrent faire pousser des arbres et voir des étendues d’eau dans la région. Ils n’ont jamais abandonné l’idée d’une exo-formation complète. Je pense que c’est inutile. Il y a assez de beauté dans ce paysage et assez de mélancolie. Ma mère qui, comme vous le savez, était hapienne appréciait la vue. Elle disait qu’elle avait l’impression de faire un bond de deux mille années dans le passé à admirer une espèce se battre pour dompter son environnement. Malgré toute la technologie à disposition dans la Galaxie, nous nous entêtons à cultiver un savoir propre qui nous mènerait aux solutions. Je comprends pourquoi Cadézia peut paraître arriérée.

Des étincelles jaillissaient des structures et les sommets des sphères de production étaient festonnées d’énormes bras articulés de construction qui semblaient capables d’éventrer un cargo lourd. Bien qu’ayant assisté à ce spectacle de nombreuses fois au cours de sa vie, la jeune politicienne avait toujours le souffle coupé quand elle posait les yeux sur ces manufactures de vaisseaux atmosphériques et stellaires. Elle quitta enfin sa contemplation pour se tourner vers son invité et croiser son regard.

-Le Ministre Publius n’a pas émis d’opposition vive à ce que vous vous trouviez ici, aujourd’hui, à mes côtés. Je présume que c’est un accord tacite de sa part concernant l’influence que vous pourrez avoir sur moi. Sans doute, désespérait-il de me voir terrée à Coruscant, dans l’ombre et de refuser les coups d’éclats. Si jamais vous avez des noms à me proposer, concernant une union d’intérêt, je me pencherai sur ces derniers. Votre réseau est plus étendu que le mien.

Quelques éclats de voix lui firent tourner la figure. Le garde assurant leur sécurité tentait d’éloigner des badauds qui souhaitaient accéder à cette partie de la baie d’observation.

-Laissez-les passer, s’il vous plaît, demanda-t-elle clairement vers son escorte.

-Mademoiselle, les consignes de sécurité…

-Ces gens ne souhaitent qu’admirer le paysage, n’est-ce pas ? Alors, laissez-les faire, s’il vous plaît.

A contre-cœur, le soldat obéit et s’écarta. L’un des jeunes hommes du groupe cracha à ses pieds pour lui démontrer tout son mépris et le milicien fit un effort monstre pour ne pas lui coller un tir de blaster dans la tête. La tension retomba une fois la petite bande – ils étaient trois, arrivée au niveau d’Absalom et Evadné. L’un d’eux portait le fameux brassard de l’ACE. Il dévia son attention vers le duo et releva le bord de son chapeau pour les saluer. Il s’en retourna ensuite vers ses compagnons, discutant à voix basse et contemplant les chantiers. Eva répondit par un sourire poli et en revint à Absalom.

-Au fait, vous n’aviez pas répondu à la question de Madame Arius mais sans doute répondrez-vous à la mienne. Comment devient-on Seigneur sith ?

Absalom Thorn
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Mais votre âme, Evadné, bien entendu, votre âme, répondit le Jedi Noir avec un faux air sérieux, et je m’apprête à vous faire signer un contrat avec des lettres de sang.


Absalom eut l’un de ces rires innocents et légers dont il avait le secret, comme si sa vie n’avait pas été alourdie d’une infinité de crimes.


Mais plus sérieusement… Hé bien, je crois que vous sous-estimez l’importance, disons, au risque de paraître prosaïque, psychologique que ce genre de conversations peut avoir pour moi. Je mène somme toute une vie assez solitaire, dans le sens où un homme dans ma position noue malaisément des amitiés, particulièrement quand la guerre sévit et que l’on occupe, au sein de cette guerre, une position très marginale.


La mélancolie qui passa dans son regard fut en partie feinte. Au fond, Absalom se satisfait très bien de sa propre compagne, la plupart du temps, et le reste, il le passait dans les bras de ses compagnons. D’amis, il n’en avait jamais eu véritablement et sa famille n’était qu’un instrument entre ses mains, à la rigueur une partenaire d’affaires. Cette solitude ne lui pesait guère, moitié par égoïsme, moitié par ce fanatisme qui lui faisait tirer l’essentiel de ses satisfactions de l’exploration de la Force.


Mais l’amitié était un plaisir qu’il savait goûter, faute de vouloir le rechercher.


Et plus prosaïquement… ma foi, c’est une longue discussion…


Machinalement, l’Hapien traçait le contour de son verre de l’index.


Ma position au sein de l’Empire est très précaire. L’influence croissante de l’Inquisition au sein du clergé et la relative faiblesse du pouvoir politique tendent à remettre en cause les fondements féodaux de l’organisation impériale, particulièrement l’indépendance des Seigneurs qui ne peuvent pas se prévaloir d’un rôle militaire. Le genre d’influence que j’aurais pu exercer en temps de paix ne trouve pas un terrain propice dans un conflit général et prolongé et quand bien même la paix serait signée que toute la machine de guerre impériale se chercherait un nouvel ennemi, pour justifier son existence, en se tournant par exemple du côté de l’Espace Hutt.


La politique interne de l’Empire était rarement exposée ainsi sur une terre républicaine : pour l’essentiel, les planètes qui le formaient restaient un monde clos, contrôlé par la propagande et difficile à pénétrer pour les observateurs extérieurs. Les médias républicains avaient volontiers peint l’Empire comme un prédateur unique et puissant, comme une même volonté implacable et hostile, sans chercher ni avoir les moyens d’en explorer les subtilités.


J’ai cru pendant plusieurs années que l’Empire, parce qu’il était renaissant, pouvait précisément connaître une renaissance, qu’il pouvait envisager une réforme de ses institutions, de sa théologie, de son ecclésiologie, une transformation moderniste et progressiste. Peut-être me suis-je trop concentré sur mes études personnelles et ai-je manqué d’énergie pour faire advenir ce renouveau institutionnel quand une fenêtre d’opportunité existait encore, avant que l’impératrice héritière ne soit installée sur le trône, peut-être cette fenêtre n’a jamais existé et me suis-je trompé dès le début, toujours est-il que finalement j’ai eu tort et que l’Empire…


Noctis haussa les épaules. Cette fois-ci, pas besoin de feindre la mélancolie. Il tirait un bilan amer des années qui avaient suivi son accession au rang de Seigneur Sith. Il s’était enrichi et il avait appris, sans aucun doute, il avait su réunir aussi autour de lui des fidèles dévoués, mais au fond, ses erreurs et les occasions manqués lui apparaissaient désormais trop clairement pour que son perfectionnisme lui permît une satisfaction véritable.


Bref, conclut-il d’un ton faussement dégagé qui ne fit sans doute pas illusion, toujours est-il que le Consortium d’Hapès est mon nouvel environnement, si je puis dire, et que cet environnement est entouré de tous les côtés par la République. Les amitiés que je peux avoir au sein de cette République sont anciennes, certes, mais somme toute peu nombreuses, et un peu de soutien ne me ferait pas de mal. Mais ne vous inquiétez pas, mes problèmes sont sans importance. Votre réussite serait une récompense amplement suffisante à ces quelques conseils que je vous jette pêle-mêle.


Il était évident que pour l’heure, il ne souhaitait pas poursuivre ce sujet et quitter le salon de thé fut une excellente excuse pour abandonner la conversation. Les coursives de Mariner Valley avait de quoi mettre mal à l’aise un Hapien habitué aux vastes espaces architecturaux de son monde natal et Absalom avait la désagréable impression d’être enfermé dans un vaisseau spatial. L’idée que l’atmosphère, à l’extérieur, était dangereuse et qu’un dysfonctionnement dans les structures de la ville pourrait leur être fatal l’inquiétait d’ailleurs plus qu’il ne voulait bien se l’avouer.


Il fallut tout le spectacle grandiose du chantier naval pour le distraire de ses appréhensions. L’effort titanesque d’êtres minuscules, la prouesse industrielle dans une nature qu’on avait échoué à maîtriser, tout inspirait des méditations sobres sur la démesure des ambitions humaines.


Même moi qui ai peu de goût pour l’industrie, murmura l’Hapien, qui contemplait les chantiers, tout près de la baie vitrée, je dois bien admettre que c’est un panorama saisissant…


Pour un économiste, la production n’était parfois qu’un enjeu abstrait, les chiffres des concepts que l’on maniait avec la liberté des formules mathématiques, mais le chantier leur donnait tout le poids et la gravité du réel. Ce fut à peine si l’homme prêta attention à l’altercation entre le milicien et les jeunes gens, à qui il adresse un signe de tête distrait, avant de reprendre son observation d’une silhouette en particulier, qui s’activait au milieu des gigantesques bras mécaniques, et dont il tentait d’imaginer la vie, le point de vue, sur cette entreprise si complexe que sa démesure, à hauteur d’homme, relevait certainement du sublime.


Hmm… ?


La voix d’Evadné parvint tout de même à l’arracher de ses méditations existentielles.


Ah, oui. Difficile de vous répondre. Être Seigneur Sith est une réalité fuyante, beaucoup moins formelle que certains ne veulent le croire, y compris au sein de l’Empire. C’est un mélange de… Disons que cela traduit une certaine excellence dans la maîtrise de la Force, mais qui est très variable, et une certaine puissance temporelle, objective, reposant sur l’activité militaire, ou le renseignement, ou la position au sein du clergé, ou la puissance économique. Souvent plusieurs de ces aspects à la fois. La combinaison entre la compétence ésotérique et la notabilité, en quelque sorte.


Son regard s’attarda un instant sur les messes basses des jeunes hommes, avant de se reporter sur Evadné.


En réalité, on serait bien en peine de trouver plus de quelques points communs entre un Seigneur de guerre à la tête d’une flotte et quelqu’un comme moi, que l’on qualifierait, je suppose, plutôt de… Sorcier ? Quelque chose comme cela. Et il est probable que quoique je sois formellement encore un Seigneur Sith, pour beaucoup de gens sur Dromund Kaas, Ziost ou Korriban, mon relatif retrait des affaires impériales et mes délicatesses avec le clergé fassent de moi… Quelque chose d’autre. C’est très différent évidemment pour les Seigneurs qui assoient leur statut sur une domination territoriale, leur capacité à faire valoir politiquement leur position même en dépit de l’hostilité du Trône ou du Clergé est beaucoup plus importante. D’ailleurs, le clergé lui-même n’est pas monolithique et… mais pardonnez-moi, je m’embarque dans des subtilités internes qui sont probablement sans intérêt.


Il s’était d’ailleurs promis à lui-même de cesser de perdre un temps précieux à disséquer les mécaniques internes d’un Empire qui n’avait probablement plus grand-chose à lui offrir.


Pour répondre à votre question, donc. On devient Seigneur Sith en atteignant un certain degré de maîtrise de la Force, même si à mon avis les standards en la matière sont… un peu dérisoires. Et on le devient en réussissant à s’imposer, d’une façon ou d’une autre. Originellement, disons que tout est dans le nom. Un Seigneur est un seigneur, quelqu’un qui s’est forgé une autorité aux facettes multiples. Mais l’Empire s’éloigne progressivement de cette féodalité qui a fait les richesses de son passé, pour adopter un modèle théocratique et centraliste, où les Seigneurs sont… des sortes de fonctionnaires qui font bouger les portes par la pensée.


C’était toujours mieux à ses yeux que d’être un Jedi à la botte du moindre adjoint au sous-secrétaire d’État à la pisciculture dans la Bordure Médiane, mais la différence entre les deux institutions tendait à lui paraître de moins en moins évidente.


Dans mon cas, ce fut essentiellement un effet de ma maîtrise de la Force et de mon utilité dans l’expansion impériale sur les mondes de notre Bordure. Une méthode éprouvée, et assez courante, cela dit, est celle de l’héritage par coup d’État : un apprenti apprend les ficelles du métier, si je puis dire, auprès d’un maître et finit par s’approprier son organisation en écartant son mentor, parfois de manière radicale. C’est ce qui est arrivé à Darth Nero, typiquement. L’habitude est regrettable, parce qu’elle conduit mécaniquement à la promotion de gens qui n’ont rien inventé par eux-mêmes, mais qui se contentent de faire preuve d’un opportunisme habile.


Les confidences de Noctis n’avaient rien d’innocent : elles visaient à préparer Evadné à cet avenir de plus en plus probable où la République devrait affronter l’Empire sur le terrain politique plutôt que militaire, une fois la paix signée. Or, si les Impériaux avaient infiltré la République de longue date, si même une bonne partie d’entre eux y étaient nés et y avaient été formés, l’Empire, en revanche, demeurait un univers opaque pour les Républicains. Le comprendre pouvait s’avérer une aptitude rare, et précieuse, pour une jeune politicienne sur le point de faire carrière.


Absalom esquissa un demi-sourire.


Vous savez, vous faites preuve d’une politesse qui confine à l’abnégation. Une politesse rare, en tout cas. Beaucoup d’autres à votre place auraient cherché à savoir plus directement les crimes, selon leurs critères moraux, que j’aurais censément commis et beaucoup encore auraient cherché à obtenir une démonstration de mes pouvoirs. Les plus sceptiques pour se rassurer sur leur caractère illusoire, les plus curieux pour se faire public d’un tour de magie.


(Les tours de magie de Noctis avaient tendance à faire beaucoup de morts.)


Une jeune femme de la Bordure lointaine, à mille lieues de l’Empire, qui converse si librement avec un Seigneur Sith, c’est peu commun. Vous vous rendez compte, n’est-ce pas, qu’on vous accuserait volontiers de faire preuve de naïveté. Est-ce de la tolérance de votre part ou de la témérité ?


Son regard, presque hypnotique, ne quittait plus celui d’Evadné.


Me parlez-vous, Evadné, en dépit du fait que je sois un Sith, parce que je suis un Sith ou bien en faisant abstraction de cette réalité… ?
Evadné Publius
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-Parce que vous êtes amusant, répondit-elle avec un faux sérieux déconcertant.

Elle déposa une paume incivique sur la vitre en verre renforcé les séparant de l’air toxique qui s’élevait entre les canyons écarlates. La naïveté aurait été une réponse plausible, à vrai dire, réfléchit-elle. Sur Hapès, elle aurait privilégié cette explication parmi toutes les autres. Cependant, tout ce temps passé aux côtés d’Absalom changeait la donne. Souvent, elle vivait dans le déni, refusant de regarder dans les yeux le statut de Seigneur Sith dont il était drapé jusque-là. Ou peut-être, le voyait-elle et éprouvait-elle une sorte de fascination ? Certains papillons ne trouvaient-ils pas la lumière magnifique malgré sa létalité. Elle ne doutait pas un seul instant que l’hapien eût du sang sur les mains, quel homme politique n’en avait pas d’ailleurs ? Il ne suffisait pas de presser la détente qui exécutait une vie pour se rendre coupable de meurtre. L’ordonner suffisait.

-Peut-être est-ce héréditaire ? Et que chez les Publius nous aimons compter des Siths dans nos relations.

Elle n’avait fait aucun effort pour masquer l’ironie de cette déclaration. Une intonation pleine d’amertume avait secoué chaque syllabe, parce qu’elle en voulait à son paternel d’avoir noué ce genre de relations par le passé. Peut-être avaient-elles toujours cours d’ailleurs, qu’en savait-elle réellement ? Il avait passé plus de temps à la contrôler qu’à la préparer à une véritable succession. Elle n’était donc pas au courant de toutes les manigances qu’entretenaient Véragan Publius.

-Je suis idéaliste, Absalom. Je me berce sans doute d’illusions en admettant que chacun d’entre nous possède cette part de spontanéité naturelle que les titres, les illusions et les clichés ne peuvent enterrer.

Ses mains s’étaient croisées devant son ventre, et elle s’était remise à contempler l’étendue structurelle des chantiers navals, mais ses pensées entières étaient tournées vers Thorn. Une partie d’elle-même refusait toujours d’admettre qu’il pourrait avoir une part de responsabilité dans n’importe quel crime sordide que ce fût.

-Quand bien même ce qu’on disait sur vous était vrai. Que pourrais-je y faire, maintenant que je vous ai ouvert la porte et invité à entrer ? Je ne peux que supposer que vous vous êtes repenti ou fermer les yeux. Les gens passent leur vie à fermer les yeux dans cette Galaxie. Mon père en est le parfait exemple.

Le sujet la mettait mal à l’aise, parce qu’il renvoyait à une contradiction désespérée. Evadné était ce genre de femme : qui se portait volontiers au secours de la veuve et de l’orphelin, mais qui n’hésiterait pas à soigner des meurtriers. Elle avait une volonté de préserver la vie, sous toutes ses formes et avait la ferme conviction – car ce n’était pas une croyance, que si les êtres vivants pouvaient être capables du pire, un jour dans leur existence, ils étaient également capables du meilleur.

-La journée touche à sa fin et il est de mon devoir de vous ramener à Ilus IV, en un seul morceau, sourit-elle pour éluder le reste de ses réflexions.

Elle agrippa un pan de sa robe et fit demi-tour. Un des hommes qui murmuraient tout bas coupa son élan.

-Mademoiselle Publius, n’est-ce pas ?

Le garde ministériel s’empressa de pointer son arme vers l’inconnu, tendu à l’idée de devoir tirer, mais prêt à le faire au moindre faux mouvement.

-Oui ? Nous..nous connaissons ?

-On a tous un petit poster de vous quelque part dans notre chambre, ironisa-t-il, mais vous avez fait tomber ceci, je me disais que…

Ses prunelles agrippèrent le regard verdâtre du cadézien dont une partie du visage était ombrée par le feutre qu’il portait sur le crâne. Il lui montrait le creux de sa paume où gisait une boucle d’oreille scintillante. Elle esquissa un sourire surpris et tâta son lobe gauche pour remarquer qu’effectivement, il lui manquait un bijou. Sous le regard désapprobateur du milicien, elle se rapprocha de l’individu à la perle. Et lentement, elle se dépêcha de défaire son autre boucle pour l’y déposer près de sa jumelle.

-Gardez-les.

-Oh, je ne peux pas...vous savez, on va forcément dire que je les ai volés.

-Kowlting gut, kopeng. C’est un dédommagement pour ne pas avoir pu accéder comme vous le souhaitiez à la Baie.

-Ah, fit-il en glissant la parure dans le fond de sa poche et il avisa Absalom un court moment avant de revenir à son interlocutrice. Vous devriez éviter Mariner Valley dans les semaines à venir, Mademoiselle.

Il lança un signe vers ses compagnons et ils dégagèrent les lieux sans un mot de plus. Le soldat n’abaissa son fusil blaster qu’une fois qu’ils furent bien hors de vue. Il se dépêcha ensuite vers le duo pour les inciter à rejoindre la rame de metro-speeder leur ayant été allouée. Il était préférable de quitter les lieux maintenant. D’ailleurs, avant d’embarquer, le soldat avait procédé à l’inspection intégrale du véhicule afin de s’assurer qu’aucun engin explosif ou mécanisme piégé n’avait été posé durant leur courte absence. Une fois la certitude acquise qu’ils ne risquaient rien, ils purent retourner au spatioport de Mariner Valley.

Deux heures plus tard, ils posaient à nouveau pied sur le sol démesurément creusé d’Ilus IV et sous leurs pieds, on pouvait imaginer les grondements sourds de la vie souterraine qui s’y était développé. Leur escorte se fit relever par un autre milicien et ils purent regagner le domaine des Publius, à l’ombre des agitations cadéziennes, dans cette bulle coupée de la plupart des réalités. Absalom put remarquer que son hôtesse conserva le silence une majeure partie du trajet. Il n’avait entendu la douceur de sa voix qu’au sujet de quelques trivialités sur la planète. Elle lui aurait lâché quelques mots sur les autres principales cités de Cadezia, donc l’une se trouvait sur sa lune et l’autre à la surface d’un astéroïde piégé dans l’orbite planétaire – ce qui expliquait le ballet incessant des vaisseaux stellaires et atmosphériques dans l’environnement local.



Le soleil disparaissait péniblement à l’horizon quand ils franchirent les limites de la demeure. Sur le parvis de l’entrée principale, non loin du hangar à speeders, le Ministre cadézien les attendaient. Ses yeux glacés observèrent sa fille descendre du transport, aidée par un milicien et la silhouette de l’hapien suivre peu après. Un instant, il douta. De tout, comme des choix qu’il avait opéré dans l’intérêt de sa lignée et de sa progéniture. Mais le doute fut bientôt chassé par un pragmatisme impérieux et il les salua poliment :

-Docteur Thorn, Evadné. J’espère que l’air recyclé de Mariner Valley vous a fait du bien.

Il les invita à regagner la bâtisse imposante où un souper en règle les attendait. Dans la grande salle à manger, loin de l’odeur âcre des violettes, ils furent accueillis par des mets raffinés, présentés au sein d’une vaisselle précieuse. Trell et la domestique Twi’Lek s’efforçaient de terminer les derniers préparatifs et se retirèrent en silence. La jeune politicienne s’installa à la droite de son père qui présidait la table, et leva ses yeux vers Absalom face à elle. Elle lui offrit un sourire fugace avant de s’intéresser à la nourriture qui brillait chaleureusement dans son assiette. Celle de Thorn n’était souillée d’aucun aliment carné.

-Ministre Publius, déclara-t-elle doucement. Pourrais-je vous suggérer d’annuler le mandat d’arrêt de Darius Inaros ?

Un silence pesant suivi sa demande. Véragan rejeta la serviette dont il venait de s’emparer et se conforta dans son siège pour mieux admirer son enfant. Sur son faciès taillé à la serpe, aucune trace de surprise ou de colère, mais le fantôme de l’interrogation curieuse.

-Nous pourrions, à la place, lui proposer un sauf-conduit et écouter ce qu’il a à nous dire, précisa-t-elle.

-Tu souhaites négocier avec les terroristes, maintenant ?

-C’est ce que font les gens qui veulent la paix. Négocier, avait-elle répliqué sur l’instant.

-Votre délégation repart demain, Docteur Thorn. J’espère que vous n’êtes pas trop affligé à l’idée de quitter Cadezia qui, j’espère, aura fait monstre de toute l’hospitalité possible.

Il avait ignoré superbement sa fille. Mais c’était une petite victoire pour Evadné, car qui ne disait mot consentait. Le Ministre n’avait pas verbalisé son accord, mais il n’avait pas manifesté son refus non plus.

Absalom Thorn
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Repenti, oui. Probablement. En partie.

Ses remords avaient des raisons morales sans doute fort différentes de celles qu’Evadné pouvait s’imaginer. Il ne regrettait pas les millions de morts de Kano-IV pour elles-mêmes, parce que chaque vie disparue était un gâchis terrible qui souillait la mémoire de la Galaxie, mais parce qu’elles avaient été au fond inutiles et qu’il était persuadé d’avoir manqué de clairvoyance et de pragmatisme. L’Empire l’avait déçu et il s’était déçu lui-même de ne pas avoir su voir mieux et plus tôt que les intrigues interminables dans lesquelles il avait dû s’embarquer pour se hisser au rang de Seigneur Sith et s’ouvrir les portes des bibliothèques les plus rares et des musées les plus cachées avaient été des sacrifices trop considérables pour ce qu’il en avait retiré.

Disons que je me sens…

Le Hapien haussa les épaules.

Mes états d’âme sont sans importance.

Après tout, personne ne l’interrogeait jamais sur le sujet. Ses parents s’en abstenaient, par pudeur. Ses compagnons étaient au fond trop habitués à se laisser choyer par lui pour songer à le choyer en retour. Ses disciples le considéraient avec trop de vénération pour prétendre jamais pénétrer le mystère de ses pensées. Et Darth Venenous, sans se l’avouer tout à fait, préférait ignorer les doutes de son maître, de peur d’être renvoyée à ses propres et insupportables incertitudes.

Depuis plus de dix ans, Absalom était seul avec ses pensées.

Son humeur s’était assombrie et il fit à peine attention aux Cadéziens. Seul l’avertissement murmuré en empochant les boucles d’oreille parvint à le tirer quelques instants de son introspection désagréable. Ainsi donc, on méditait une révolte sur Mariner Valley. Nuit d’émeutes ou grand soir ? Sur le chemin, dans les coursives couvertes de la ville malgré elle troglodyte, Noctis avait interrogé du regard les visages, et de la pensée les esprits. Le milicien les conduisait d’un trop bon pas pour que le Jedi Noir pût véritablement se concentrer sur les idées qui s’agitaient dans tant de cerveaux si divers et il n’en tira que l’impression vague d’une insatisfaction générale.

Désormais, ils survolaient les canyons puis le lac de glace. Le regard perdu dans les vastes décors de Cadézia, dans cette nature brute et minérale, Absalom prêtait une attention toute relative aux explications sur la géographie dispersée de la civilisation cadézienne. Vivre sur un astéroïde, quelle drôle d’idées. Ses pensées dérivèrent du côté des Ark-Ni. Eux aussi vivaient parfois, pour un temps, sur des astéroïdes. Que devenait Karm ? Que pensait-il de lui ? Peut-être devrait-il essayer à nouveau de…

Le Sith manqua de sursauter en entendant la voix du commandant de bord qui annonçait leur approche du spatioport d’Ilus IV. La navette descendit en douceur pour se poser sur le tarmac. De métro en vaisseau, de vaisseau en speeder.

Un spectacle assurément fort impressionnant, répondit Absalom avec sincérité, quand ils eurent retrouvé le ministre, dans la luxueuse demeure des Publius. Pour être tout à fait honnête, et je vous prie de bien vouloir pardonner à mon pragmatisme qui confine à l’opportunisme, mais je me demande s’il ne faudrait pas que la prochaine délégation soit industrielle tout autant que scientifique.

Il suivit son hôte à l’intérieur du bâtiment.

Comme vous le savez sans doute, dans la mesure où les chantiers navals de la République et de l’Empire ont dû se concentrer pour une grande part et pour des raisons évidentes sur les frégates militaires, les corvettes de transport de troupe et tout ce genre de choses, les chantiers du Consortium ont profité de cet appel d’air dans le secteur des astronefs civils et je crois que bénéficier d’un relai comme Cadézia dans la Bordure, pour apporter les touches finales aux navires à exporter vers les territoires qui sont les plus éloignés de nous, pourrait représenter une opportunité digne d’intérêt pour certains de nos armateurs.

Les Hapiens préféraient certes travailler entre Hapiens, mais la cosmographie galactique imposait une certaine dose de réalisme et situé comme il l’était, le Consortium n’offrait par lui-même qu’une portée limitée à ses entreprises. Elles étaient donc nombreuses, plus ou moins officiellement, à s’assurer par des montages divers des relais qui leur permettaient de se développer au-delà des frontières du Consortium, particulièrement en une époque où l’instabilité politique grandissante invitait à diversifier ses placements.

Je ferai le nécessaire pour sonder les dispositions et vous faire parvenir quelques documents sur la question et nous en reparlerons sur la base de ces éléments plus concrets, si cela vous convient.

En bon économiste, Absalom aimait que la discussion soit nourrie de chiffres. L’aérospatial était cela dit un secteur qu’il connaissait assez mal et il avait besoin d’étudier lui-même la question, et de se familiariser avec ses enjeux, avant de démarcher les entrepreneurs hapiens et de faire à Publius une proposition digne de ce nom. Pour l’heure, le sujet dériva sur son amant de la nuit.

Le diplomate se garda bien d’intervenir entre le père et la fille. Cette relation-là lui échappait encore beaucoup trop pour qu’il se risquât à s’en mêler, et il eut bien du mal à dire si Evadné avait obtenu gain de cause ou si le brutal changement de sujet était une fin de non recevoir opposée par le père à sa fille.

Je regrette de devoir partir si vite, oui. Sincèrement. Evadné me parlait des villes en orbite, sur la lune, sur l’astéroïde…

Ainsi donc, il l’avait tout de même écoutée.

… et j’aurais découvert aussi avec plaisir vos paysages moins urbanisés. À vrai dire, ce n’est pas que quelque chose me rappelle de façon impérieuse sur Hapès, mais les scientifiques de la délégation y ont leurs obligations et je crois qu’on m’accuserait de manquer aux miennes si je n’étais pas là pour veiller sur eux lors de leur voyage de retour.

À le voir ainsi, avec ses traits délicats, faire assaut de mondanités à la table du dîner, il y avait quelque chose d’étrange à l’entendre rappeler qu’il était d’abord là comme garde du corps.

J’ai bon espoir cela dit que notre trêve se mue en paix et que je puisse circuler plus librement. Vos invitations sont un honneur, mais je craindrais sinon d’en abuser. J’espère cela dit que vous me ferez, Evadné, en attendant, le plaisir de votre compagnie à nouveau sur Hapès. C’est que je me reproche de vous n’avoir fait visiter que la ville la dernière fois et il y a des beautés à la campagne qui ne sont pas sans mérite.

Il lui paraissait superflu de trouver un prétexte à la venue de la jeune femme. N’étaient-ils pas désormais des amis, qui n’avaient pas besoin du protocole pour se retrouver ?

Mais je comprendrais certes si la situation politique du Consortium refroidissait vos ardeurs touristiques. Mes parents eux-mêmes… Ma mère, plus précisément, songe à ouvrir ailleurs une antenne de son laboratoire de recherche, pour y dupliquer les expériences en quelque sorte, et s’assurer que l’activité scientifique puisse s’y poursuivre, quoi qu’il puisse advenir sur Hapès. La précaution est peut-être disproportionnée, mais une partie de son succès vient de sa prudence légendaire.

Cala Thorn était le genre de femmes à avoir un plan B, un plan C et un plan D et à faire des sauvegardes de ses sauvegardes de datapad.

Je crois savoir que l’histoire de Cadézia est riche de ces collaborations scientifiques…

Une jolie manière de dire que la planète avait accueilli des scientifiques plus ou moins respectables et leurs expériences plus ou moins éthiques.

Je suis certain que si ma mère décidait d’installer une partie de son équipe ici, elle s’intégrerait volontiers au système plus vaste de la recherche et de la pratique médicales, pour participer à la modernisation des capacités hospitalières de Cadézia dans la région.

Un enjeu de taille, dans la Bordure, où les hôpitaux d’excellence n’étaient pas légions et où un monde à la pointe du progrès médical drainait des visiteurs de bien des secteurs voisins.
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Véragan avait prêté une oreille très polie et attentive, tout en jouant de ses couverts pour déguster le repas présenté. Son esprit était partagé entre les opportunités industrielles et scientifiques que le Jedi noir laissait entrevoir et la méfiance ; parce que l’on se méfiait toujours de l’inconnu des contrées lointaines qui cassait la croûte à votre table et plaisait à votre fille. Ses relations avec les Siths furent toujours distantes et en rapport uniquement avec des affaires économiques souterraines ne visant qu’à l’enrichir au détriment des plus belles morales de cette Galaxie.

-Nous avons fait de la déconstruction et construction de vaisseaux notre spécialité industrielle, Docteur Thorn. Nous sommes infiniment plus doués quand il s’agit de fabriquer des bulles nous permettant de parcourir le vide intersidéral que quand il est question d’exo-former notre propre environnement.

Consolider des liens avec le Consortium. Il aurait aimé dire qu’on ne l’y reprendrait plus, mais il fallait trier le bon grain de l’ivraie et savoir mettre de côté sa fierté blessée par quelque expérience passée. Cependant, Evadné avait souligné la nécessité pour Cadezia de bénéficier d’appuis neutres et solides. Une collaboration avec les services de Cala Thorn ne serait pas superflue.

-La professeure Thorn est la bienvenue sur Cadezia, ainsi que son équipe. Nous lui ferons le meilleur des accueils. Nous possédons plusieurs structures scientifiques et laboratoires à l’abandon près du pôle sud de la planète, qui ne demandent que repreneurs, déclara sobrement le Ministre avant de mastiquer longuement une bouchée de légumes épicés.

Evadné manifesta son désaccord concernant la dernière partie de la réplique paternelle par un regard appuyé et lourd de sens. Le pôle sud cadézien était encore un enjeu scientifique et archéologique incertain. S’y trouvait le site étrange dont avait parlé Aridna Arius. Durant des siècles, les archéologues, biologistes, ingénieurs et autres intellects de Cadezia avaient tenté d’en percer le mystère, sans résultat. La dernière délégation avait disparu, justifiant – après ce fiasco, l’abandon des projets de recherche. C’était une énigme insoluble et sans connaître le sort réservé à la dernière équipe d’investigation, la jeune politicienne prenait le parti d’éloigner tout être vivant de cette zone. Considérations touristiques et économiques obligeaient, certaines visites étaient disponibles, moyennant un financement si important qu’elles se comptaient sur les doigts d’une main. Enfin, le patriarche avait volontairement évincé l’aspect de collaboration médicale.

-Cher Absalom, je serai ravie de pouvoir profiter de l’atmosphère hapienne en votre compagnie. Je ne doute pas que votre admirable mère puisse débuter une collaboration au sein de notre structure hospitalière qui est, il est vrai, en flux tendu et sur le fil depuis plusieurs décennies. La docteure Okoye sera honorée de pouvoir lui offrir une visite guidée des installations de recherches médicales sur Ilus IV, par exemple.

Elle dégagea la serviette en tissu qui couvrait ses cuisses.

-Vous m’excuserez, j’aimerais me retirer. La fatigue me coupe l’appétit.

L’insomnie de sa nuit passée mettait son métabolisme à rude épreuve. Les cernes qui creusaient son regard n’avaient fait que s’obscurcir au cours de la journée. Elle quitta la table et salua Thorn d’un sourire chaleureux avant de disparaître hors de leur vue. Le dirigeant cadézien reposa ses couverts avec précaution et toute cette délicatesse, poussée à l’extrême trahissait un agacement qu’il contenait avec force et brio.

-Moi qui pensais que l’adolescence était passée, déclara-t-il froidement. Sentez-vous libre d’explorer le domaine en cette dernière soirée. Votre délégation est en sécurité dans un des hôtels particuliers du gouvernement, sous haute sécurité. Je vous ferai parvenir, dès que possible, un visa permanent pour Cadézia.

A son tour, Publius se redressa ; son siège racla désagréable contre le sol.

-Trell restera à votre disposition. Je dois vous dire, Docteur Thorn, que j’ai croisé peu de Siths à votre image. Pour à vrai dire jamais. J’ai bon espoir que vous êtes le seul de ce genre.

On n’aurait su dire, dans la bouche froide du Ministre, si c’était un compliment ou du mépris. Peut-être un compliment dit avec du mépris ? Ou un mépris qui cachait un compliment ? En tous les cas, il le salua de manière respectueuse, lui annonçant que ses obligations l’empêcheraient d’assister à son départ demain matin et s’en excusa.



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-Vous devriez vous déshabiller, Mademoiselle. Dormir en tenue de jour n’est pas très confortable. Je vous ai préparé une robe de nuit qui…

-Merci Trell, le coupa Evadné, allongée sur le flanc, au creux des draps soyeux. Elle fixait la grande fenêtre de sa chambre et par-delà ses vitres, explorait pensivement les couleurs du ciel que la nuit conquérait.

-Je me permets d’insister…

Elle ferma les yeux pour réprimer une répliquer qu’elle aurait regretté. L’Intendant avait l’habitude de l’infantiliser. Pour lui, elle ne grandissait jamais et demeurait éternellement cette petite fille blonde aux grands yeux azurés qui venait se réfugier chez lui à la moindre peine. L’Abednedo ressentait de l’affection paternelle pour l’héritière, bien que sa fierté d’Intendant lui interdise de l’admettre ouvertement. Face au silence de sa protégée, il mit la robe de nuit bien en évidence sur le bord du lit.

-Tout le monde dans la demeure a été content de vous revoir, Mademoiselle. Nous nous désolons que vous quittiez également demain. Vous êtes ici chez vous.

Le vérin hydraulique des portes émit un son feutré et Trell n’était déjà plus là.



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Elle avait refusé la coupelle de fruits qu’une domestique avait fait monter pour le petit-déjeuner. La jeune femme terminait plutôt de se coiffer devant le miroir, la mine plus rayonnante que la veille. Outre le repos salvateur, elle était impatiente à l’idée de rejoindre Coruscant et le quotidien qu’elle y avait laissé. Quitter la compagnie de Thorn serait chagrinant bien qu’elle fut apaisée par l’idée que, désormais amis, ils pourraient se revoir ici ou dans le Consortium. C’était une mince consolation, mais une consolation tout de même. Elle ne pouvait nier, après une courte introspection, qu’avoir croisé la route de l’ancien Seigneur Sith avait transformé sa façon d’appréhender la politique, voire la vie de manière générale. Une fois apprêtée, elle se dirigea vers la baie vitrée pour aviser la présence d’Absalom sur la terrasse. Le soleil clément irradiait déjà le jardin des Publius, ainsi que les contreforts urbains d’Ilus IV.

-Absalom, le salua-t-elle alors qu’elle apparaissait, j’espère que vous avez passé une bonne nuit.

Elle se rapprocha de lui, le regard bas, appréhendant leur départ respectif. A quelques mètres, un soldat préparait le landspeeder qui conduirait Absalom au spatioport.

-Je dois parler à mon père. J’aimerais être plus investie dans la vie politique cadézienne. Aussi, vous me pardonnerez mon impolitesse en faillant à mon devoir de vous raccompagner jusqu’au spatioport. Votre visite ici a été une opportunité que je vais continuer de saisir. Cette maison, vous y êtes le bienvenu s’il vous prend l’envie de quelques jours de retraites dans la Bordure Extérieure. Je pourrais même vous aider à acquérir une demeure cadézienne, à l’occasion. Si vous appréciez le paysage. Et je pense que Monsieur Jung n’abandonnera pas de sitôt l’idée de vous voir arpenter les niveaux inférieurs d’Ilus IV.

L’ombre d’une hésitation passa sur son minois angélique et elle enlaça soudainement Thorn. Une étreinte chaleureuse, presque fraternelle, qui brisa le peu de conventions qu’elle tentait encore de s’imposer. Elle n’aurait pu lui dire merci autrement que de lui communiquer cette marque d’affection commune aux humains. Elle en profita pour lui glisser un murmure à l'oreille : "Si vous avez un jour des nouvelles de Darius, j'apprécierai que vous me les partagiez". Quelques secondes après, elle se séparait de lui, un sourire incertain aux lèvres.

-Faîtes attention à vous. Gardons le contact, si vous le souhaitez bien. Jusqu’à notre prochaine réunion.




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La nuit était tombée sur Cadézia et elle enveloppait désormais le domaine des Publius d’une obscurité qui, malgré les lueurs qui éclairaient à intervalles réguliers le parc de la demeure, restait pour Absalom absolument impénétrable. Pourtant, il avait éteint la lumière de sa propre chambre, après le dîner écourté par les obligations du père et la fatigue de la fille et, en profitant du silence et du noir, assis en tailleur à même le sol, il s’était plongé dans la Force.


Sa respiration s’était ralentie, comme son coeur, alors qu’il laissait son esprit déployer petit à petit tout son potentiel. L’occasion de mettre l’un de ses projets à exécution était peut-être unique et il ne comptait pas la laisser échapper, même si l’envie futile de s’éclipser pour rejoindre les bas-fonds d’Ilus IV et tenter d’y retrouver Darius, dont l’étreinte brûlante lui manquait déjà, avait failli avoir raison de ses résolutions.


Pendant plus d’une demi-heure, il rassembla ses esprits, attentif à son souffle et au moindre mouvement de ses pensées. En lui-même, il avait répété, comme un mantra, le chemin qui le mènerait dans les couloirs de l’aile familiale, jusqu’à ce qu’il supposait être l’étude ou la chambre de Véragan Publius. L’essentiel était que le parcours lui devînt un automatisme, pour qu’aucune de ses réflexions ne fût consacrée à ces gestes indifférents.


Et puis, quand il se sentit prêt, il se releva. En réalité, son état méditatif était encore profond, presque somnambulique, et d’ailleurs il trouva sans peine sa porte, malgré l’absence de lumière. Bientôt, le Jedi Noir s’engageait dans les couloirs du domaine familial, les mains dans les poches, d’une démarche dégagée, et il s’arrêtait régulièrement devant les œuvres d’art, comme pour les examiner, alors qu’en réalité il ne les voyait même pas. C’était la Force seule qui l’intéressait, et dans la Force ce qui s’ouvraient des perspectives insoupçonnables à la puissance de son esprit.


Il lui fallut une bonne dizaine de minutes pour se retrouver à errer, apparemment comme un touriste flâneur, dans les couloirs de l’aile familiale, absorbé dans la contemplation des tableaux ou des tapisseries. Désormais, l’esprit de Véragan était à portée de main. Sans se presser, le Sith laissa les pensées du politicien affluer à lui, naturellement. Il ne cherchait rien. Il ne provoquait rien. Il laissait la tempête des réflexions de la journée charrier jusqu’à lui ce que l’homme jugeait important et il étudiait les échos des impressions diverses dans un passé plus lointain.


C’était cette technique qu’il aurait utilisée avec violence en d’autres circonstances pour extirper des informations précises à l’une de ses victimes et qu’il employait ce soir-là pour se livrer à la contemplation presque passive de l’esprit de sa proie. Pensées intimes, souvenirs, irritations passagères ou espoirs profonds, manœuvres politiciennes ou envies terre-à-terre, Absalom prenait tout, l’important comme l’accessoire, pour en faire le tri plus tard.


Brusquement, le Sith tourna le talon et partit rejoindre sa chambre à grands pas, après avoir tiré machinalement de sa poche son comlink, pour prétendre qu’une vibration soudaine avait interrompu sa déambulation d’esthète parmi les merveilles du domaine, pour le rappeler à des informations plus importantes. Aussi rapidement qu’il lui en fut possible sans paraître suspect, il regagna sa chambre, alluma la lumière, s’installa au bureau et se mit à écrire, sans s’arrêter, à toute vitesse, ce qu’il avait perçu dans l’esprit de Publius.


La mémoire de Force ne durerait que quelques minutes et il les employait à aligner frénétiquement ligne après ligne sur l’écran du datapad, pour consigner avec une précision inhumaine ses découvertes indiscrètes, réservant au lendemain le soin de mettre en ordre cette logorrhée torrentielle. Et puis ses souvenirs commencèrent à s’embrouiller. Il tentait de les retenir comme de l’eau qui filait entre ses doigts. Sa main était endolorie. Sa tête lui faisait mal. Il fut obligé de s’interrompre, relâchant sa présence au sein de la Force, en sueur, avec un soupir de soulagement.


Sa nuit fut agitée par les pensées étrangères et les souvenirs inconnus qui continuaient à surnager dans sa conscience. Il eut confusément l’impression de parler à la mère d’Evadné, il ressentit une vive douleur au bras, en se débattant dans ses draps, afin de parvenir enfin à profiter de quelques heures d’un repos véritable et, le lendemain, quand la jeune femme le retrouvera sur la terrasse, il avait l’air aussi présentable qu’à son ordinaire.


Votre hospitalité me touche, Evadné, dit-il simplement.

D’ailleurs, c’était la vérité.


Et vous savez, n’est-ce pas, que je suis toujours à l’autre bout du comlink pour vous donner de mes modestes conseils. J’ai toute confiance, du reste, et en votre détermination, et en votre esprit.


L’étreinte le surprit, et Absalom n’était probablement pas un homme à se laisser surprendre. Avec la maladresse d’un grand bourgeois hapien doublé d’un Jedi et triplé d’un Sith, il rendit son étreinte à la jeune fille, de toute évidence confus, mais ému. Pendant un instant, son expression avait perdu cette tranquillité maîtresse de soi, pour laisser deviner une fragilité étonnante, celle d’un homme qui se sentait si souvent seul, dans une Galaxie immense où il ne se trouvait nulle part chez lui.


Bon courage, Evadné, murmura-t-il, en se reprochant aussitôt de n’avoir rien trouvé de plus éloquent, de plus authentique à lui dire, et sans se rendre compte que l’émotion de sa voix y suffisait amplement.


La jeune femme disparut et, seul sur la terrasse, le regard posé sur les splendeurs minérales de Cadézia, Absalom se sentit parcouru par un frisson.






FIN
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