Dans l’atelier de See’Ryl, le calme régnait. La jeune femme était penchée sur la prothèse qu’elle avait promise à son ami. En elle-même, elle était achevée. Seul le perfectionnisme de l’Arkanienne la poussait à vérifier ce qui l’avait déjà été une centaine de fois, au moins. Non loin, Légion effectuait les calculs qu’elle lui avait demandés afin de l’avancer sur ses travaux pour Taanab. On ne pouvait pas dire que la Jedi était oisive. Elle s’occupait simplement dans des domaines inattendus pour un membre de l’Ordre. A fortiori un maître.

« Administratrice, votre rendez-vous est arrivé. » annonça le droïde, brisant ainsi le silence. Pas de réponse. Pour la énième fois, See’Ryl se demanda pourquoi elle avait accepté une telle entrevue. Puis elle se remémorait que cela faisait aussi partie de son rôle de maître. Elle avait consulté le dossier du padawan qui devait venir me rendre visite. Pour discuter… La bonne blague.

« Il est devant la porte. » informa Légion. Cette fois-ci, l’Arkanienne leva la tête et accepta de cesser ce qu’elle faisait pour accueillir celui qui venait de faire des heures de trajet pour venir la rencontrer. « Ouvre. » demanda-t-elle en se disant qu’elle allait encore faire un déçu.

La première chose qu’Eldo pu voir, ce fut un droïde flirtant avec les 2m20 qui s’effaça pour le laisser entrer. L’atelier était rangé avec une précision maniaque qui ne laissait aucune place au hasard. Sur le plan de travail principal, trônait une prothèse entourée de quelques pièces. Et juste à côté, une jeune femme aux longs cheveux noirs et qui avait dédaigné la bure Jedi pour une tenue fort peu orthodoxe. Elle portait des lunettes opaques et à peu de choses près, un observateur peu attentif pouvait croire qu’il s’agissait d’une Miraluka.

S’il en fallait plus pour indiquer que la jeune femme sortait des rangs, c’était le calme plat qui émanait d’elle et qui l’entourait comme un halo invisible. Elle n’avait clairement pas le charisme des autres maîtres et ne semblait pas s’en soucier le moins du monde. « Bienvenue sur Coruscant, padawan Oti. » dit-elle du ton monocorde qui était le sien. Elle s’avança vers le jeune homme et inclina la tête une fois près de lui. « Je suis See’Ryl Lun’Sa Asho’Tye… » continua-t-elle « Maître Asho’Tye si vous préférez. »

Oui, elle avait l’habitude de préciser comment l’appeler. En fait, rien n’était compliqué : prénom, surnom, nom. La plupart des êtres conscients se formalisaient beaucoup sur la manière de l’appeler. Et See’Ryl n’avait rarement envie de faire un long topo sur l’onomastique arkanienne. L’ombre d’un sourire passa sur ses lèvres alors qu’elle désignait une place, près du bureau qu’elle utilisait pour ses différentes études. « Avez-vous faim ? Soif ? » s’enquit-elle poliment en espérant ne pas trop effrayer son invité. Depuis sa rencontre avec Balian et Vhagar, la jeune femme tâchait de faire des efforts de sociabilité. Le fait était que cela restait toujours infiniment compliqué lorsqu’il s’agissait de ses pairs.

Quelque chose lui disait que cette entrevue allait être particulièrement longue… si aucun des deux ne se décidait à faire autre chose que regarder l’autre comme s’il allait le mordre. Ce n’était pas une attitude très digne d’un maître jedi, See’Ryl en convenait. Cependant, elle était prête à faire des efforts… Suffisamment en tout cas pour que le padawan se détende un minimum. L’entendre la saluer doucha quelque peu son envie de faire des efforts. Décidément… Elle s’écarta pour laisser le padawan entrer, lui proposant quelque chose à manger ou à boire. L’entrain qu’il manifesta provoqua un sourire chez l’Arkanienne qui ne tarda pas à lui apporter une boisson fraîche.
« Tenez. » dit-elle avec une once de chaleur. L’avantage d’avoir commencé à sortir de sa coquille, c’était que See’Ryl parvenait à parfois glisser une émotion dans le ton plat de sa voix. Qu’il manifeste un intérêt pour la prothèse de Balian l’étonna agréablement. Elle s’approcha de sa paillasse. « Pas un Jedi non. Aucun membre de l’Ordre ne songerait à me demander de lui créer quelque chose. » dit-elle en allant se préparer une tasse de thé. « C’est pour un médecin militaire. Sa prothèse actuelle menace de terminer en pièces détachées dès qu’il se lève. » Elle se retourna, sa tasse flottant près d’elle. « Comme il m’a soigné après un incident à la base militaire, je lui ai proposé de remplacer sa prothèse. »

C’était une réponse fort longue pour See’Ryl. Elle avait fait l’effort de parler un peu plus et de ne pas se contenter d’une réponse courte mais précise. « Vous intéressez-vous vraiment à la robotique ou essayez-vous de lancer la conversation ? » demanda-t-elle avant d’ajouter. « Dans tous les cas, je ne peux que vous remercier de l’avoir fait… Je ne suis pas habituée à avoir des padawans qui viennent me rendre visite... Plus précisément, à ce que des membres de l’Ordre viennent me voir. » Il n’y avait pas la moindre rancœur perceptible. See’Ryl énonçait simplement un fait.

Elle s’appuya contre la paillasse, faisant face au padawan. Elle baissa légèrement la lumière des lieux et leva ses lunettes sur son front. Elle s’efforçait à le faire, débutant ainsi un changement dans sa vie qui consistait à ne plus se cacher. « Je vais vous paraître abrupte et j’en suis d’ores et déjà navrée. Il n’est pas non plus dans mon objectif de vous blesser mais je dois savoir. » Sa tasse se posa délicatement, sans un bruit, à portée de main. « Le Conseil m’a prévenu de votre venue mais sans plus. Je ne sais de vous que ce que votre dossier indique. C'est-à-dire peu. Alors permettez-moi de vous demander qui vous a envoyé ? Et surtout : pourquoi ? » Elle accompagna sa question d’une vague douce de Force, un moyen pour elle se faire comprendre qu’elle ne voulait pas brusquer le padawan.

See’Ryl avait besoin de réponse. Et son interlocuteur méritait qu’elle lui explique quelque peu sa situation. « Je vous le demande parce que je ne suis pas le genre de Jedi vers qui l’on aiguille les padawans. Nombreux sont ceux qui, au sein de l’Ordre, estiment que je n’y ai pas ma place et que je ne l’ai jamais eue. Mes relations avec le Conseil sont, au mieux, neutres. Alors j’en viens à me demander dans quelle mesure on s’est servit de vous pour je ne sais quelle observation. »

Etait-elle victime d’hallucination ou bien le padawan était en train de rêver en plein jour, tandis qu’elle lui parlait ? En voilà une première ! Souvent, les padawans lui donnaient l’impression d’attendre qu’elle les exécute ou pire encore. Pas lui. C’était rafraîchissant tout en étant amusant. Elle ne dit rien, continuant à parler comme si elle n’avait rien vu. L’ombre d’un sourire passa sur ses lèvres alors qu’il revenait à la réalité. Un signe, s’il en était, que l’interlude ne lui avait pas échappée. Elle lui laissa tout le temps désiré pour pouvoir lui répondre. Bientôt, les mots brisèrent le court silence Le thé fut bu à petites gorgées régulières sans qu’elle ne s’impatiente. Son regard ne le lâchait pas, analysant ses mouvements autant que les mots qu’il prononçait avec plus ou moins de facilité.

Lentement mais sûrement, elle finit par comprendre pourquoi il avait été envoyé auprès d’elle. C’était une surprise plaisante, See’Ryl devait bien l’avouer. C’était bien la première fois qu’on prenait en compte sa manière d’être et qu’on orientait un padawan vers elle pour autre chose qu’un « avertissement ». Elle posa finalement sa tasse pour se relever et s’approcher d’Eldo. Du bout des doigts, elle caressa la prothèse qu’elle était en train de faire. « La robotique est une passion pour moi. Mon Maître s’est battue pour m’obtenir la permission de m’y adonner conjointement à mes apprentissages. A cette époque, j’étais furieuse et je refusais de me l’avouer. J’imaginais qu’être un Jedi devait à tout prix rentrer dans une case rigide. Je me détestais de ne pas y arriver. Et je haïssais tous ceux qui faisaient tout pour me prouver que j’en étais incapable. Pas parce que je n’en avais pas les capacités mais à cause de mes ancêtres. » dit-elle. « C’est après avoir entamé le premier Légion que j’ai commencé à m’apaiser et à comprendre. A l’instar des pièces de cette prothèse, l’Ordre a besoin de chaque Jedi. Non pas d’un ensemble rigide composé d’éléments strictement semblables. Pour moi, si tous les Jedis devaient être des clones, l’Ordre serait voué à disparaître. L’inverse est tout aussi vrai, cependant. Pour qu’une prothèse fonctionne, il faut que tout fonctionne de concert et assume ses responsabilités »

Elle recula et leva les yeux vers le jeune homme. « Il y a une place pour chaque chose dans cette Galaxie… Il suffit « simplement » de trouver laquelle. » Tout un programme s’il en était. Elle esquissa un sourire. « Maître Deenia a parfois des éclairs de génie. » corrigea-t-elle. Sa tasse vola jusqu’à sa main. Elle la porta à ses lèvres plus par réflexe que par réelle nécessité. « Je comprends pourquoi on vous a orienté vers moi...s’il n’y a pas d’autres intentions cachées de la part du Conseil, évidemment. » Son regard, derrière ses lunettes, contempla le padawan de la tête aux pieds. « Les rapports de vos dossiers font état de, je cite, « votre attitude inquisitrice, incompatible avec les attendus d’un Jedi. » … J’ai la même chose dans mon propre dossier. Mais ce genre de commentaires est apparu durant mon noviciat, pas après que je sois devenue Padawan. » Elle haussa les épaules. Elle était la preuve que rien de cela ne l’avait empêché de monter les échelons. Qu’elle soit intégrée au Temple était une autre paire de manche. Son accession au rang de Maître était encore plus surprenante.

« Je vais vous demander une chose pour la suite : parlez comme vous le désirer. Vous n’avez pas à cocher toutes les cases du parfait petit Jedi en ma compagnie. » dit-elle, consciente qu’il choisissait ses mots comme s’il craignait quoique ce soit d’elle. Logique compte tenu de leur vécu.