Thann Sîdh
Thann Sîdh
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21.574, 1er semestre • Temple d’Ondéron.


« Maître Don m’envoie, Padawan Sîdh, vous informez qu’il vous attendra en salle de méditation B2.721 à 14h, heure locale, demain, pour un entretien particulier. Il n’est pas attendu de vous quoi que ce soit pour l’occasion sinon que vous vous présentiez seule. Bonne journée, Padawan Sîdh »

Clic, clac, clic, clac, clic, clac… Deux semaines depuis que son Maître s’était réveillé. La Miraluka avait eu le temps de se reposer, de pratiquer l’art de la méditation dynamique telle que lui avait enseigné son Maître – dont d’ailleurs elle avait appris l’ancestralité en tombant, au hasard de ses lectures, sur les principes méditatifs du Maître Bhagwan Osho – pour s’éclaircir les idées. Seïid avait été présente. Toujours. Rien qu’à l’idée de son amie, à présent, le fard commençait un peu à lui monter aux joues, son cœur s’emballer. Durant ces méditations, elle avait eu aussi l’occasion de repenser aux paroles de son Maître. A sa relation avec le Chevalier Kayan à laquelle elle avait gouté par procuration. Elles s’étaient entraînées ensemble, comme on lui avait conseillé. Elle était sereine alors. Si confiante, si… heureuse ? Le calme après la tempête. D’ailleurs, l’introspection n’était pas sa particularité propre. Son ainé lui-même était entré dans une longue phase de réflexion à laquelle il lui demandait parfois de participer. Leur tandem était en convalescence, il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus, d’autant qu’elle-même servait encore, souvent, de béquille à son propre maître. Il leur fallait guérir, penser, mûrir, tranquillement, dans leur coin.

Pourtant, elle n’ignorait pas l’inquiétude née de son propre séjour à l’infirmerie. Elle n’ignorait pas non plus que cette convocation, de la part d’un des plus grands représentants de son ordre, n’était pas due au hasard. Ce qui la fit sourire, à l’énoncé du nom de Saï Don, fut sûrement qu’il était responsable – bien que très indirectement – de toute cette situation. [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]… Cette fameuse inscription vandale… L’événement lui semblait si loin. A l’époque, il lui avait semblé si grave. Depuis, la guerre était passée par-là, les sentiments, ce flirt avec la mort. On ne parlait que d’un an. Elle avait l’impression, du fait de la densité de ces événements, d’en avoir pris dix. Tout changeait.


Clic, clac, clic, clac. Derrière le droïde, Thann avançait tranquillement, à pas feutrés, les cheveux rassemblés en une natte serrée dont même la natte fine des Padawans ne dépassait pas, elle avait fait le choix de se présenter dans sa nouvelle simplicité habituelle. Inconsciemment, elle avait choisi de ne pas porter la bure traditionnelle des Padawans comme pour affirmer sa marge. Elle ignorait totalement à quoi elle devait s’attendre simplement, après en avoir discuté longuement avec Seïid et avoir médité dessus tout aussi longuement, elle avait écarté son sentiment premier, puéril, d’agression. Il était normal que les Maîtres s’inquiétassent de la situation et, finalement, ignorante qu’elle était des motifs de cette entretien, s’y présenter avec un sentiment ostensible d’hostilité – au simple prétexte qu’on pût ne pas être d’accord avec l’enseignement qu’elle recevait – n’aurait fait que donner raison aux détracteurs. Elle était une Jedi. Elle devait accepter la critique, la rendre constructive. D’ailleurs, c’est ainsi que le concevait son maître, c’est ainsi qu’il l’apprenait. De même, et d’autant plus depuis son passage sur les berges du Styx, son mentor assumait sa propre imperfection, sa propre faillibilité. Si lui-même se donnait en exemple, comment ne pouvait-elle pas admettre que peut-être, elle-même, était dans l’erreur. Peut-être ils l’étaient ensemble. Peut-être sa vision avait été la démonstration absolue et inattaquable du caractère vision de leur couple maître-disciple. Son cœur se serra à cette idée mais son esprit se força à la contempler pour ce qu’elle était : une possibilité, un constat raisonnable.

Parvenue à la porte, le droïde de protocole l’ouvrit, annonça l’adolescente au vénérable Maître Jedi et, sous son ordre, l’invita à entrer. Doucement, elle obtempère. Avant même de passer le seuil, elle avait distingué l'aura magnifique de l'Ancien. Si complexe, si puissante, si diffuse et à la fois si douce. Elle s'inclina et d'une voix qu'elle aurait voulu plus assurée se contenta d'un simple :

« Maître Don, vous m’avez fait mander ? »

Elle n’avait jamais eu de relation particulière avec le vieux maître, si ce n’est – comme tous les Padawans du Temple – lors des cours qu’il avait dispensé en commun à toutes les jeunes générations de Novices. Elle connaissait pourtant beaucoup de ce qu’il avait fait – officiellement – et, comme nombre de jeunes au sein de l’institution, l’admirait pour l’un des plus grands de son temps. Si elle avait essayé de se constituer le masque de la confiance, il fallait bien l’avouer, elle était en fait plutôt intimidée et nerveuse, même s’il fallait avoir un œil particulièrement aiguisé pour le voir au-delà du voile qui cachait ses orbites vides et la simple commissure tendue de ses lèvres.
Saï Don
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La salle de méditation B2.721, au deuxième étage, était baignée d’une lumière douce, propice à l’introspection et à la sérénité. Agencée de façon intimiste, avec quelques sièges rapprochés, elle n’offrait un lieu que pour une poignée de personnes simultanément, et c’était l’un des endroits du Temple préféré de Saï : il y trouvait le repos car elle était peu fréquentée, tout autant qu’elle permettait d’avoir une vue sur le parc du Temple. La baie vitrée empêchait les sons des entraînements d’être entendus, mais on pouvait admirer les efforts des jeunes padawans essayant d’exécuter des figures, ou tout simplement leurs jeux joyeux.

Le vieux Maître réprima une toux douloureuse. Malgré son apparence physique accusant depuis longtemps une certaine décrépitude, jamais son âge n’avait été un problème dans la conduite de ses fonctions. Pourtant, aujourd’hui, il lui était de plus en plus difficile de faire suivre à son corps la vie d’un Maître Jedi actif, devant répondre sur les fronts de l’enseignement, de la gestion du Temple et de l’Ordre, de la politique, de la communication officielle et officieuse, de l’animation du réseau de renseignement des Jedi, ou tout simplement de la discipline à faire respecter. Bien sûr, après des escapades un peu trop sportives, il avait eu mal au genou, pris froid et dû rester au lit, ou autres désagréments passagers plus récurrents après quelques décennies de vie.
Mais depuis quelques mois, il devait reconnaître que son corps commençait à flancher sérieusement. Personne n’en savait rien, bien sûr. Ce n’était pas comme si l’Ordre avait besoin que l’un des piliers du Conseil s’éclipse pour cause de mal de dos ou de bronchite. Lorsqu’on était Jedi, on le restait jusqu’au bout de sa vie. On tenait un fardeau au bout de ses bras jusqu’à ce que ceux-ci lâchent, ou que le fardeau vous soit enlevé, pour cause de sénilité ou d’inaptitude. Il n’en était pas là. Inutile d’inquiéter qui que ce soit.

En attendant, la méditation restait une source de réconfort et de restauration comparable à nulle autre. Après une brève connexion avec la Force qui entourait les êtres du Temple, qui lui apportait toujours une sérénité fertile pour la pensée, le vieil homme se concentra sur le cas qu’il devait traiter ce jour.

Karm Torr, chevalier Jedi dont les pratiques avaient parfois été contestées, mais aux rapports et aux résultats excellents, avait subi au cours d’une mission une blessure grave. Physique certes… mais psychologique, aussi, en un sens. Saï tenait sur ce sujet des informations de première main : Luke était proche du chevalier Torr, même si Saï, lui, ne le connaissait qu’à travers des comptes-rendus de missions. Il avait donc pu avoir quelques détails sur les circonstances de l’accident. Mais le Conseil ne souhaitait pas perturber le chevalier Torr, au passé particulier, dans une démarche de convalescence qui devait prendre certainement plusieurs années. Plutôt, il s’inquiétait davantage de l’impact de ce passé sur sa relation avec sa propre padawan… Thann Sîdh.

Le vieil homme entendit le pas d’un droïde dans le couloir proche de la salle de méditation. Il était 14 heures, et la padawan n’avait pas une minute d’avance ni de retard. Conforme à ce qu’il savait d’elle : droite, ponctuelle, sérieuse… Malgré l’absence de vue ordinaire de la jeune femme, Maître Don prit soin de lui sourire et de l’inviter d’un geste à prendre place.

- En effet, padawan Sîdh. Installez-vous.

De ses yeux azur, perçant comme la glace, il la regarda s’installer. Elle était raide. Nervosité. Ce n’était jamais drôle d’être convoqué par un membre du Conseil. Souvent, c’était annonciateur de mauvaise nouvelle… Mais c’était toujours moins grave d’être « convoqué par le Conseil » tout court. Une entrevue personnelle était moins formelle, signe que ce n’était pas, déjà, une sanction qui attendait la padawan.
En dépit de la crainte qu’avait les jeunes Jedi à subir une telle rencontre, c’était pourtant une pratique relativement courante, en particulier chez les padawan d’un certain âge, autour desquels le Conseil redoublait de vigilance : ils seraient bientôt Chevaliers ; autrement dit, les Jedi de terrain de demain, sur qui ils devraient pouvoir compter les yeux fermés. Maître Don voyait donc cette pratique d’un très bon œil, et prenait plaisir à réaliser une telle tâche : on pouvait alors découvrir réellement la personnalité de ces élèves prometteurs, et nouer avec eux une relation de confiance qui, si elle était loin d’être aussi intense qu’entre un maître et son padawan, était essentielle au bon fonctionnement de l’Ordre.

- Je ne vous propose pas de vous détendre ; à ma connaissance, c’est comme de vous dire de dormir quand vous n’y arrivez pas : inutile. Mais tout de même, padawan Sîdh, sachez que vous n’êtes pas convoquée pour une mauvaise nouvelle : c’est une rencontre pour discuter en privé, rien de plus.

Lui-même déplia ses jambes pour soulager ses articulations, avant de se pencher légèrement vers la padawan, comme s’il avait besoin de la voir de plus près, bien que sa vue – au moins elle ! – n’était pas défaillante.

- Comment allez-vous, padawan ? J’ai eu vent d’un certain nombre de vos derniers exploits. L’infiltration du croiseur ennemi, par exemple… Sacrées lignes sur votre CV, pour votre âge !

Des rides au coin de ses yeux rieurs étaient apparus.

- Un peu plus, et on vous croirait presque prête à voler de vos propres ailes. Ce travail de terrain vous plaît-il ? Vous voyant enfant, je vous imaginais plutôt fréquenter les archives que les terrains ennemis : je me trompais. Bien que l’un et l’autre ne soient pas incompatibles, au contraire…

Thann Sîdh
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Malgré le sourire et la voix tranquille, Thann ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise. Être ainsi, seule à seul, sous le regard qui ne cillait pas d’un maître de l’Ordre si vénérable. C’était comme de se retrouver face à une incarnation de la Force elle-même. Un pan entier de la sagesse de la Sensitivité. Tant d’années, tant d’épreuves, tant de connaissances accumulées. Elle ne venait pas prendre le thé avec un grand-père sympathique et sagace, elle se présentait, sur demande, devant le Maître des Maîtres, devant un monument dont le regard pesait si lourdement sur elle qu’elle s’étonnait d’être encore capable de respirer. Elle ne tiqua pas le moins du monde lorsqu’il remarqua sa nervosité : elle avait tout à fait conscience d’être pour lui comme un livre ouvert et ne cherchait absolument pas à cacher le moindre de ses sentiments. D’une part, cela aurait été tout à fait maladroit et perceptible pour le vieux maître, d’autre part, tous ses efforts n’auraient certainement pas suffit à dissimuler quoi que ce fût. Il irradiait littéralement. Une étoile au milieu d’une nébuleuse. Elle n’avait que rarement vu des êtres ainsi imprimer la Force de leur présence et pourtant, il avait un tel air bonhomme que le tout prenait des allures d’invraisemblable.
Les propos du Maître se voulaient rassurants et, puisqu’elle lui faisait confiance, Thann se détendit un peu. Juste un peu. Cependant, elle revint vite à son niveau de tension premier lorsqu’il commença à faire le récit de ses ‘exploits’. Elle avait du mal à les considérer ainsi – d’autant plus que son retour de la ligne de front avait été des plus pénibles. En outre, elle ne considérait pas l’exercice de la violence comme une chose dont elle pouvait se flatter. Quelque part, elle avait participé à cet aveu d’échec monumental de l’Ordre : incapable de préserver la paix, ils avaient dû, une nouvelle fois, recourir à la force pour tenter d’endiguer la cruauté Sith. Elle ne répondit pas immédiatement, prit plus d’un instant pour soupeser et raisonner. Elle voulait avant tout être honnête et à la fois, bien qu’on l’assurât du contraire, elle avait encore, inconsciemment, la sensation que cette entrevue pouvait nuire à son avenir aux côtés de son Maître.

« Ce travail de terrain ? J’avoue que je n’aurais pas spontanément choisi cette façon de dire. J’ai fait mon devoir sur Columex, oui, mais je mentirais si je vous disais y avoir pris plaisir. La guerre… C’est un exercice affreux et j’ai beaucoup souffert, il m’a fallu du temps pour m’en remettre, mon Maître et le Chevalier Kayan peuvent en témoigner. Mais cela reste néanmoins mon devoir en tant que Jedi et s’il le faut, je retournerai là-bas défendre ceux qui ont besoin de nous.

J’ai davantage préféré les actions que nous avons pu mener, mon maître et moi, sur P36X00 – un monde vierge de la bordure extérieur que nous avons explorés – et sur Pakuuni. Je n’ai que peu de goût pour l’exercice de la violence, même légitime. »


Et elle rougit, se rendant compte de ce que son propos pouvait suggérer et se reprit maladroitement :

« Non pas que j’imagine qu’aucune de nos consœurs ou qu’aucun de nos confrères y prennent un goût particulier, simplement, j’imagine que cela me répugne particulièrement tandis qu’ils se contentent de s’y montrer indifférents ? Je ne sais pas… Je vous demande pardon si j’ai paru insultante, Maître. »
Saï Don
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D’un œil affûté, le vieil homme observait Thann comme s’il passait son esprit au scanner. Et en réalité, c’était tout comme : Maître Don aimait savoir à qui il avait affaire. Et il avait affaire à une jeune femme prudente. Il sourit à part lui : en essayant de la détendre, listant les raisons pour lesquelles le Conseil pouvait être fière d’elle, il n’avait réussi qu’à la rendre plus mal à l’aise encore. Prudente, ou méfiante ? Il n’y avait qu’un pas qu’elle n’avait peut-être pas franchi.

- Vous me rassurez, devisa-t-il sur un ton le plus sérieux du monde. Que vous y ayez pris plaisir m’aurait quelque peu désappointé.

Malgré la boutade, il appréciait en son for intérieur l’honnêteté dont elle faisait preuve. Nombre de jeunes padawan et chevaliers avaient du mal à l’être – non pas nécessairement par orgueil, mais par désir de plaire au Conseil. Celui-ci insistant pour inspirer la sagesse collective de leur Ordre, il était évident qu’ils ne pouvaient s’attendre à autre chose. Par conséquent, il appréciait la lucidité d’esprit et la simplicité avec laquelle elle lui présentait les choses.

- Je comprends, ne vous en faites pas, la rassura-t-il. Lorsqu’ils se battent, nos confrères le font par devoir. Parce qu’ils pensent que c’est leur meilleure façon d’être utile. Là où leur talent sera le plus efficace, malgré la souffrance et la mort qu’ils y croisent. Ils n’y prennent pas plaisir, je peux vous le garantir.

Lui-même n’était pas un féru des armes. Il s’était battu, pourtant, et plus d’une fois. Aujourd’hui, une telle expérience devenait rarissime. Mais les images, les odeurs, les sons, le goût même du champ de bataille étaient des souvenirs vivaces, gravés dans sa vieille mémoire comme au sabre laser. Il savait cependant laisser ces souvenirs là où ils étaient lorsqu’ils n’étaient pas opportuns, et les rangea gentiment dans un vieux recoin poussiéreux de son esprit.

- Racontez-moi plutôt, padawan Sîdh, vos missions d’exploration, si ce sont celles-là qui vous ont le plus motivée. Qu’avez-vous aimé dans ces œuvres ? Il me semble bien que votre maître, le chevalier Torr, n’est autre qu’un grand explorateur lui-même. Il est probable qu’il vous transmette un peu de ses propres appétences, ce qui n’est pas malheureux. Il n'y a rien de tel que l'enseignement d'un passionné.

Ce n’était pas un mythe que les maîtres déteignaient couramment sur leurs élèves. Raison de plus pour s’inquiéter de certaines choses au sujet de l’Ark-Ni. Mais ils n’en étaient pas là de leur conversation : pour l’instant, c’était l’orientation de la jeune miraluka qui l’intéressait davantage. Ils auraient tout le temps par la suite de parler de son professeur…

- D’ailleurs, comment est la situation sur Pakuuni ? La situation politique s’est-elle stabilisée ? Qu’en pensent les habitants, si vous avez eu le temps de discuter avec certains d’entre eux, leur vie s’est-elle dégradée depuis les conflits qu’ils ont subis ? Racontez-moi. J'aime beaucoup avoir des récits d'expérience. Ça en dit bien plus long, me semble-t-il, que ce que nous servent les holonews.

Maître Don parlait à la jeune femme comme à une égale. Il fallait dire qu’elle en serait bientôt, et que les informations données par des padawans, de toute façon, était de toute évidence aussi fiables que ceux qu’il récoltait auprès de chevaliers aguerris. La seule différence était le niveau de détail et peut-être la mise en forme.
Le vieil homme toussa discrètement dans sa manche tandis qu’il écoutait les réponses de Thann.
Thann Sîdh
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Le vieil homme déployait des monuments d’ingéniosité et de douceur pour la rassurer. Il lui parlait sur le ton tranquille de la conversation et évitait manifestement de venir appuyer sur ses blessures encore fraîches. Lorsqu’il lui assura que comme elle, aucun de ses congénères ne prenaient, dans la férocité des combats, le moindre plaisir, elle eut tout de même un éclat de doute : tout le monde avait entendu la sinistre réputation du Chevalier Mora. Certes, les Chevaliers à son exemple étaient très rares – il eût été même pus honnête de les considérer comme absolument marginaux – mais ils existaient tout de même et œuvraient au sein du Temple. Etaient-ils un symptôme de la guerre ? Une dérive d’un Ordre Jedi trop clément ? Ou peut-être simplement une facette du Code que Thann peinait à concevoir ? Il lui était difficile de suspendre son jugement sur la question, tant les scènes qui lui avaient été racontées semblaient accueillir de violence, mais au fond, elle savait aussi tout ce que la fama pouvait avoir de pernicieux et la façon cruelle qu’elle avait de traiter la vérité. En l’état, son jugement était donc suspendu à un fil fragile, son esprit cartésien manquant de preuves tangibles pour trancher.

Le sujet, en tous les cas, avait rapidement vogué vers d’autres horizons : l’exploration et très vite Pakuuni.

« La guerre n’a pas frappé aussi durement Pakuuni que Columex, mais la population en a tout de même souffert. Elle en souffre d’autant plus que les pouvoirs politiques locaux semblent précaires, peu sûrs de leur propre pérennité – d’autant plus que les Cartels, relativement proches, se mêlent beaucoup de la politique locale.

Nous avons participé à l’évacuation d’un bâtiment qui avait été frappé par les bombardements Sith, tâche qui nous laissa tout le loisir de nous entretenir avec les habitants. Ils ont peur, bien sûr, mais en ces temps de crises, j’y ai trouvé une solidarité et une volonté d’entraide bien loin des discours cyniques les plus courants. L’individualisme forcené de l’économie n’a pas su détruire la nature bienveillante des êtres pensants et, finalement, ils n’ont besoin que d’écoute et d’un peu d’assistance.

Je crois que beaucoup de dirigeants oublient le rôle des civils dans la cité – au-delà de la fonction d’électeurs. Ils oublient qu’ils sont la force vive, qu’ils sont le moteur de la société. Je n’irais pas jusqu’à dire que cela est nécessairement de l’ordre du mépris de classe, comme je le lis souvent, je pense simplement que… à force de vivre si haut perché, on finit par ne plus voir les fourmis qui courent à la base du nid.


Alors oui, les temps sont durs, certains politiciens tentent de s’enrichir par des moyens peu scrupuleux et clairement l’ombre de la guerre plane, mais paradoxalement, je pense que jamais les voisins ne se sont autant parlé, jamais les gestes de générosité n’ont été si nombreux entre les êtres et, surtout, jamais les grands-mères n’ont autant accueilli les étrangers dans le besoin autour d’un bon thé chaud.

Avec le recul, cependant, je crois que je n’apprécie pas trop cette vogue dans le torrent politico-bureaucratique à laquelle nous nous sommes prêtés. Tant de mensonges, de manipulations, de… Je ne sais pas. Les hautes sphères… J’y manque d’oxygène, j’imagine. Bien trop haute pour moi. Je préfère l’humus. Courir dans les herbes folles, découvrir de nouvelles formes de vie, de minéraux. Voir des soleils fabuleux dans des cieux nouveaux. Rencontrer des gens simples, honnêtes…

Il y a deux ans de cela, je me pensais une Consulaire toute prête à m’engager. Aujourd’hui, je réalise que le corps des Sentinelles m’est bien plus naturel. C’est comme une évidence.

Et puis il y a aussi eu la découverte de mon cristal… Au cœur d’Ilum. Je ne m’imagine pas connaître une expérience si bouleversante dans les couloirs du Sénat de la République. J’aurais même du mal à vous expliquer ce que j’ai vu alors, ce que j’ai senti là-bas. Les Maîtres du Temple de Glace sont persuadés que c’est le Maître Neti Fan Gaurn lui-même qui me fit don de ce cristal, Endalda, le ‘Cœur-de-l’Arbre’ dans la langue de mes ancêtres. J’ai hâte de repartir vers ces lieux fascinants – beaucoup plus que de fouler un jour le sol de Coruscant. »
Saï Don
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Le vieil homme écoutait attentivement, ses sourcils broussailleux accentuant son expression de réflexion un peu folle, malgré le sérieux du sujet. La situation de Pakuuni n’était pas surprenante. Ce qui le surprenait et allumait le fond de son regard, en revanche, c’était la précision de l’analyse de la miraluka. A son âge, sa façon de s’exprimer tout autant que sa compréhension tout en nuances, était la preuve d’une maturité toute particulière. Une idée le frappa : Thann avait été sur le terrain trop jeune. En ces temps de guerre et d’Empire Sith, cela était inévitable ; elle n’avait d’ailleurs pas été la seule adolescente à avoir connu trop tôt la violence et la mort. En avait-elle conscience ? Et le Conseil ?

- Je crois que beaucoup de dirigeants, lui répondit-il en écho, n’ont même jamais connu la vie civile de la cité. Beaucoup d’entre eux sont nés et ont grandi dans une vision du monde hautement politique, héritée de leur classe sociale. Nombre de planètes se trouvent dans cette situation ; ce qui rend notre rôle d’autant plus important. Un Jedi Consulaire peut fréquenter les plus hautes instances de la République et les plus hautes classes sociales ; mais il perd tout de l’essence de sa mission lorsqu’il n’est plus au contact du terrain.

A travers les explications de la padawan, il percevait aussi son érudition ; en élève assidue, elle avait visiblement étudié les vieux philosophes, y compris hors de l’érudition Jedi. Il savait donc qu’il pouvait y faire référence. Il détacha son regard azur de la jeune femme et ses yeux se perdirent dans le vague. De très vieux souvenirs l’assaillaient.

- Je ne suis pas sûr que vous réalisiez à quel point je vous comprends, padawan Sîdh. J’ai ressenti la même chose que vous, autrefois. Le monde des êtres conscients est cruel, et les gens simples dont vous parlez sont parfois victimes de la manipulation des plus puissants. Je me suis même isolé dans des missions éloignées d’ici, pour y étudier des espèces extra-républicaines, qui n’avaient aucun contact avec le chaos de la vie politique. Dans ces tribus aborigènes, le poids de la civilisation galactique me pesaient moins, alors.

Saï omettait dans son histoire qu’il avait alors ses propres démons à fuir. La pensée de son frère, aujourd’hui apaisée, le hantait dans sa jeunesse comme son propre reflet chargé de reproches. Il avait alors tant étudié, pour se confronter à la douleur de voir son propre sang corrompu, qu’il avait cru alors, lui aussi, n’être pas fait pour cette voie de consulaire.
Maître Don avait fermé les yeux. La Force coulait en lui et autour de lui comme un écrin de lumière, qui le berçait doucement. Des images fugaces, comme de vieilles impressions de déjà-vu, pouvaient alors être perçues dans la Force pour qui était attentif. On y percevait des paysages désertiques, des jungles surprenantes. On y entendait les sons d’une marche active sur les branches, et les voix de chants humanoïdes, comme sortis d’outre-tombe. Un mélange de souvenirs lointains dans le temps comme dans l’espace, qui racontaient une toute autre époque, en des territoires sauvages. Le vieil homme goûta un instant de nostalgie.
Les images et les bruits changèrent, pour laisser place à la vie urbaine de planètes républicaines. Aux sonorités des machines et à la voix de discours politiques dont on ne comprenait plus la substance.

- Au bout de quelques années, cependant, je suis revenu à cette civilisation que j’avais jugé si sévèrement, et à ce Temple dont les idéaux me paraissaient avant inaccessibles. Après ces années de méditation et d’expérience d’une vie simplifiée, il m’avait semblé en effet que ce que j’avais cru être une aventure était en fait une fuite. Que même si les sphères dirigeantes de la galaxie me semblaient parsemées de corruption et d’élitisme, il était nécessaire que je m’y rende de nouveau. Il s’agissait de retourner au fond de la caverne après avoir goûté la paix d’une vie simple sous un soleil radieux, pour aller faire mon oeuvre auprès des miens. Je compris alors que c’était cela aussi, être un Jedi Consulaire : se rendre là où le pouvoir corrompt, pour s’assurer qu’il s’y trouve des moyens de travailler à rendre la galaxie plus lumineuse. Pas nécessairement là où j’avais envie d’être, mais là où je pourrais faire une différence pour l’avenir.

Maître Don était légèrement courbé vers l’avant. Son regard sembla revenir à la réalité. Les images s’estompèrent, un sentiment tenace, celui du devoir, persistait seulement dans l’aura du vieil homme.
Saï regarda de nouveau la miraluka et même si elle ne pouvait techniquement le voir, il sourit.

- Ah ! Je ne dis pas que j’avais raison, ni tort. Mais les chemins que les autres ont emprunté peuvent parfois éclairer le nôtre. Et si mon histoire n’éclaire rien, vous aurez au moins fait votre bonne action de la journée, padawan : écouter un vieux briscard du Temple radoter.

Un silence que Saï trouvait apaisé s’installa entre eux. Il n’avait guère l’occasion de parler de sa propre histoire. Elle n’était pas vraiment intéressante, il avait été un padawan parmi d’autres, un chevalier parmi d’autres, un maître parmi d’autres, avant d’être celui qui avait mis fin aux jours de Darth Ritter et qui avait été nommé au Conseil. Mais il avait le souvenir clair de ce qu’était l’incertitude de l’avenir pour soi-même. De ne pas savoir vers quelle lumière l’on était en train de pousser doucement, et si même il y aurait de la lumière une fois que l’on aurait atteint la cime de ses congénères.
Il pensait à l’histoire du cristal de Thann.

- Le coeur de l’arbre, répéta-t-il doucement. Cette image sied bien à votre caractère robuste.

Et à sa façon d’enfouir les choses au fond de soi, sous des épaisseurs d’écorce, songea-t-il, mais il se garda bien de l’énoncer à haute voix. Il n’était pas là pour entailler le bois et faire couler la sève. La padawan saurait s’ouvrir lorsqu’elle en aurait besoin, auprès de lui ou d’un autre. Malgré ses connaissances avisées et son expérience de terrain déjà grande, elle avait encore du chemin à parcourir, lui semblait-il, pour être en paix avec elle-même et la galaxie.

- Et votre maître, qu’en pense-t-il ? Vous encourage-t-il dans une voie particulière ? questionna-t-il. Il me semble que lui aussi aurait… Des raisons de n’avoir guère envie de côtoyer encore une élite quelconque.
Thann Sîdh
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Elle était venue ici comme pour monter sur l’échafaud, elle se retrouvait à converser sereinement plutôt qu’à pendre au bout d’une corde – non pas qu’elle s’était réellement imaginée un jour le Maître le plus vénérable de leur ordre s’amuser à la pousser pour la faire osciller comme un pendule. Simplement, elle ne s’était pas attendu à une telle compréhension, à une telle acceptation de ses propres doutes. Jusqu’alors, mis à part son mentor, elle n’avait que rarement eu l’occasion de telle conversation avec de plus anciens qu’elle, ici. Bien sûr, il y avait eu le Chevalier Kayan mais, même lui avait gardé cette position de surplomb, même involontaire. Il y avait chez le vieil homme une douceur, une sagesse profonde mais aussi... une fatigue. Une sorte de lassitude qu’il semblait avoir fait sienne pour mieux se poser et voir. Elle avait du mal à s’expliquer son ressenti, avant tout parce qu’elle ignorait ce que c’était que d’avoir un grand-père pour guide, patriarche bienveillant harassé par les années, mais Thann s’ouvrait totalement à lui, jusqu’alors sur la défensive, et accueillit sa douce présence lumineuse sans plus aucune réserve.

Elle avait le sentiment d’étendue immense, sauvage. Des forêts, des déserts, des plaines et des montagnes. Loin, si loin. Dans l’espace, dans le temps aussi. Elle le percevait comme au travers du voile diaphane du rêve, à la façon dont le dormeur, surpris par le sommeil, eût laissé choir son livre pour devenir lui-même une partie de ce qu’il était en train d’écouter. Le fabulait-elle ? Ou bien l’ancien était-il en train d’œuvrer sur un mode de communication qui lui était jusque-là parfaitement étranger ? Une note, grave, triste et chaude à la fois. Le sentiment doux-amer de l’autre fois. Puis le dur, le violent, le froid, la cacophonie. Un autre monde. Maître Don reprit la parole, et ce ne fut qu’alors qu’elle songea qu’il s’était tu. Elle l’écouta de nouveau, récoltant les perles de sagesse comme l’assoiffé tend sa gourde sous les larges feuilles de l’alocasia pour récolter l’eau de pluie qui en coule. Elle sourit, à l’évocation de son cristal, mais fut soudain plus circonspecte à l’évocation de son maître. Lui demandait-on de lui trouver des défauts ?

« Il ne m’encourage dans aucune voie sinon celle qui me garantirait de m’épanouir. Je pense qu’il n’a que peu de convictions réellement profondes et solides, indubitables, pour ainsi dire. Pourtant, s’il en est une dont je suis sûre qu’il l’ait, c’est que le bonheur est l’une des conditions sine qua non aux gardiens de la Lumière que nous désirons être. Il ne cherche pas à faire de moi une image de lui, une prolongation de son bras. Non, il me traite en partenaire, parfois même en égale, et est heureux lorsque je peux répondre à un problème auquel il ne pouvait rien.

Certes, il n’est pas le plus enthousiaste lorsqu’on lui apprend que nous devons nous mêler aux intrigues de cours et de mairies, mais il ne rechigne pas à la tâche et je crois qu’il fait de véritables efforts pour mieux cerner les enjeux politiques de notre galaxie, notamment au contact du Chevalier Kayan. Finalement, s’il est un grand combattant, probablement l’une des plus fines lames de notre ordre, j’ai le sentiment qu’il aspire aujourd’hui à plus de polyvalence pour permettre de trouver une place plus structurante dans notre Ordre.

Il prend son rôle de mentor à cœur, il m’aide à y voir plus clair dans mes envies, mes besoins. Il me pose les bonnes questions, même si je ne trouve pas toujours les bonnes réponses, et jamais je n’ai senti la moindre pression ni dans un sens, ni dans l’autre. Pour être honnête, il m’inspire beaucoup, et si cela a indéniablement jouer dans ma volonté de devenir une grande Sentinelle, je suis certaine que c’est pour le mieux ; si je m’étais entêtée dans une autre voie, je me serai certainement fourvoyée.
Elle hésita un temps à poursuivre puis réalisa qu’en tous les cas, le Maître qui lui faisait face avait senti son doute, elle ne pouvait reculer sans risquer de passer pour malhonnête et d’éveiller des soupçons qu’elle ne désirait, justement, surtout pas générer. Enfin… Je ne peux tout de même pas vous cacher une inquiétude : je sens comme un spectre planer sur notre relation. Je veux dire… Connaissiez-vous son propre Maître ? La femme qui l’a formé ? Il ne m’en parle que peu et à vrai dire, je sens qu’il tente de faire de son mieux pour être son contre-modèle. C’est elle qui l’a amené à l’infirmerie, récemment, et à manquer de le tuer. Je sais qu’il ne l’oublie pas et que, quelque part, il ne craint toujours que ce démon ne sorte de sa boite pour nous nuire. »
Saï Don
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Quand la jeune miraluka se dérida, le vieil homme sourit à son tour, bien que probablement elle ne pouvait s’en rendre compte. Jusqu’ici, il l’avait sentie sur la défensive, mais elle semblait enfin se détendre. Néanmoins, elle défendait déjà ardemment son maître, et le sourire du vieillard s’élargit, il baissa les yeux, se balançant doucement sur son séant, comme bercé par des courants de Force invisibles.

Si la malice rôdait sur son visage, ce n’était pas parce qu’il pensait avoir débusqué une faille. Contrairement à ce que la jeune femme avait l’air de croire, il n’était pas là pour ça. Un vrai guide spirituel ne vous dit pas que penser, ni où vous rendre ; il ne fait qu’éclairer différents chemins, pour être sûr que vous ayez conscience des alternatives. C’était donc ce qu’il faisait.
Non, ce qui le faisait sourire, c’était ce lien visiblement si fort entre Karm et Thann. D’aucuns l’auraient vu d’un mauvais œil… Mais Saï n’était que trop coupable de sa propre connivence avec ses anciens padawans, Luke en particulier, même bien des années après leur adoubement, pour pouvoir critiquer ce même trait chez les autres. Bien sûr, il y avait des risques à l’attachement. La padawan, par exemple, n’avait-elle pas changé de voie en pensant plaire davantage à son maître ainsi, mieux coller à sa représentation du monde et surtout pouvoir le suivre dans ses missions où elle pensait qu’en tant que Consulaire, elle n’y aurait pas sa place ? Peut-être que oui… Ou bien, non. Et si c’était le cas, était-ce si grave ? Elle faisait de son mieux, et c’était ainsi que l’on apprenait. Maître Don n’était pas là pour juger de tels choix intimes et personnels ; mais seulement pour s’assurer que Thann n’était pas seulement capable de voir les chemins alternatifs devant elle, mais aussi savoir regarder le chemin passé, celui qu’elle avait parcouru, pour mieux apprendre sur elle-même.

Il l’écouta patiemment, et la laissa terminer avant d’intervenir.

- Quel beau portrait, dit simplement Maître Don, et un silence prolongé s’installa entre eux.

Evidemment, il avait déjà beaucoup entendu parler du Chevalier Torr. Ne serait-ce que parce qu’il était proche de Luke. Cela aussi, on le lui avait rapporté. Quant à ses mésaventures avec son maître, le vieil homme n’avait été mis au fait que tardivement. Le sujet était très délicat. Il y avait eu une forme d’abus qui pesait sur l’histoire du chevalier comme une ombre que sa padawan ne manquait pas de ressentir.
Au bout d’un moment, le vieil homme prit une inspiration, les sourcils légèrement froncés. Il cherchait les mots. Il n’y en avait pas toujours d’aussi exacts, dans sa vieille cervelle, qu’il l’aurait souhaité. Il essaya tout de même.

- Je ne la connaissais pas vraiment personnellement, non. Mais l’on m’a conté leur histoire. Votre maître ne peut faire autrement que de vivre avec son propre passé, comme nous tous, du mieux qu’il le peut. Quand on est un vieillard comme moi… Les choix de la jeunesse semblent lointains. Irrévocables, et pourtant pour continuer d’avancer, il faut les regarder avec bienveillance, même quand on ne les considère pas comme les meilleurs, parce que l’on a fait ce que l’on pensait être le mieux. C’est cette bienveillance qui nous permet d’apprendre, mais aussi de transmettre. Mais, quand ces choix sont récents, même de quelques années, il est difficile de susciter pour soi-même une telle bienveillance. Alors, on peut devenir terriblement rigoureux envers soi sur certains sujets. On fait alors de gros efforts, peut-être plus importants que nécessaires, pour reproduire, ou au contraire ne pas reproduire, certaines choses.

Le vieil homme s’interrompit. Ses yeux se déplaçaient dans la pièce autour de lui comme si les objets, les formes, les lumières pouvaient lui donner des indices, des clés. Il joignit les mains sur ses genoux.

- Ce que j’essaie de dire, c’est que cette… ombre, cette pression qui vous fait vous inquiéter pour votre maître, n’est pas forcément négative. Non pas que je pense que ce qu’il lui est arrivé soit agréable, évidemment. Mais la force qui le pousse à agir ainsi, pour prendre le contre-pied de son ancien maître, même si elle peut paraître oppressante de l’extérieur, n’est peut-être pour lui qu’une force de guérison. Si l’on met une attelle à un membre, voyez-vous, ce n’est pas pour l’empêcher de ne plus bouger, jamais ! C’est qu’on s’appuie sur des principes solides pour être sûr de se consolider avant de pouvoir se libérer de nouveau.

Et plus le traumatisme était important, plus le processus pouvait être long. Il prenait parfois toute une vie.
Le vieil homme fit un nouveau sourire à la padawan. Il sentait qu’il allait encore avoir un discours d’ennuyeux patriarche, mais tant pis.

- De nos jours, les gens cherchent le bonheur, à tout prix. Celui-là même dont vous me parliez un peu plus tôt. Et, pensant que la souffrance en est l’anti-thèse, ils pensent que toute souffrance doit être évitée et supprimée. Or, c’est ignorer que la souffrance est nécessaire dans tout processus d’évolution personnelle, parce que la vie est parsemée de difficultés et qu’il faut accueillir sa souffrance pour accepter les évènements et poursuivre son chemin. Attention, je ne dis pas qu’il faut infliger la souffrance ; ce serait bien sûr contraire à tous nos préceptes, mais rencontrer une douleur fait partie de toute expérience consciente. Et c’est même de l’avoir ressentie qui nous permet de nous connecter aux autres. Par exemple, aux populations dans le besoin.

Maître Don ne connaissait aucun autre maître qui n’eût traversé des épreuves. L’inquiétude, la peine, les déceptions… Tout cela était le lot des mortels. Sur ce point, les Jedi n’étaient pas mieux protégés que n’importe quel autre être conscient des aléas de la vie. Tout au plus pouvaient-ils puiser dans la sagesse de leur communauté le courage d’accepter tout cela et de poursuivre leur route de gardiens de la lumière, envers et contre tout.
Le vieillard passa une main dans sa barbe et acquiesçant du visage, comme s’il se répondait à lui-même en son for intérieur.

- Bref, pour en revenir à votre maître… Je crois qu’il a compris que ses démons faisaient partie de lui. Il est dans un processus très personnel, dans lequel il n’est pas obligé de nous faire entrer. Mais si vous pensez que cela le torture plus que nécessaire, n’hésitez pas à me le dire, et je vous promets d’essayer de l’évoquer avec lui. Votre inquiétude, en tous les cas, est tout à votre honneur.

On ne pouvait en effet pas douter de la bonne volonté de Thann à l’égard du Chevalier Torr. Était-elle capable de s’accorder le même soin à elle-même ? Il était trop tôt pour le dire, pour le moment.
Le vieil homme eut un bref haussement d'épaules, puis avec un regard de connivence il écarta les mains, comme pour conclure.

- Hé bien, on dirait que vous savez où vous allez, en tous les cas, padawan Sîdh. Poursuivez vos efforts et je suis sûr que vous surmonterez ces périodes de doute. N'oubliez pas que le Conseil n'est pas un œil malveillant prêt à vous sanctionner... Nous sommes là pour vous accompagner, Thann, y compris lors des difficultés. Il n'est pas dans notre intérêt de perdre de bons éléments comme vous. Et certainement pas au profit du côté obscur, où vous dragueront sans doute ceux qui, sous couvert de bonnes intentions, fustigeront que vous ayez ressenti telle ou telle émotion face à telle ou telle scène. La réalité est bien plus complexe...

Il n'était pas sûr de bien se faire comprendre sur ce point. De nombreux adolescents, voyant en le Conseil une autorité à défier, passaient le cap en consolidant leur identité autour d'un rejet des traditions de l'Ordre, ce qui faisait malheureusement le jeu de leurs ennemis.
Mais les traditions, pour le vieillard, n'avaient jamais été des coups de fouet ; plutôt des garde-fous, à traiter comme tels.

- Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez aborder, padawan Sîdh ? Je crois que votre maître devait me rejoindre à son tour. Cependant, je suis sûr qu'il comprendra si nous discutons plus longuement ensemble.
Thann Sîdh
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Une pont s’était jeté entre les deux êtres, séparés par le fleuve puissant de leurs subjectivités. Quelle expérience cela devait être, que de vivre au sein d’une communauté partageant la même pensée, partageant un esprit commun, à la façon des Kilik. Que de conflits évités, que de choses partagées… Intérieurement, l’adolescente se rendit à l’avis de son aïeul. L’inconsidération de son maître l’avait prouvé : il avait un rapport difficile à son passé. La façon dont il avait jugé que la tâche lui incombait, à lui seul, comme s’il était l’unique responsable de la perdition de son ancien mentor. Comme si seul, il avait à assumer la folie de cette femme, l’effondrement de son sens moral broyé par les événements de toute une galaxie.

Thann écouta avec attention la pensée du vieil homme sur la souffrance et le rapport que le vivant devait entretenir avec elle. C’était assez drôle, finalement, combien son maître se pensait comme peu orthodoxe et finalement trouvait de point de contact, sans le savoir, avec les idées du Grand Maître lui-même. Il la félicita de l’inquiétude qu’elle nourrissait à l’égard de son maître.

« Je pense qu’effectivement, voir son maître lui creuser un second nombril lui aura apporté un lot de souffrance suffisant à accéder à une certaine sagesse. J’ai eu terriblement peur. Mais je crois qu’il n’osera plus faire de nouveau cette erreur. Nous avons beaucoup parlé, et il a échangé longuement avec le Chevalier Kayan, je crois qu’il a compris qu’il n’était pas plus responsable de la formation qu’il a reçu que du dévoiement de son maître. Il semble avoir arrêté de vouloir en faire sa pénitence. »

Elle accepta ensuite les compliments, non sans une certaine gêne. C’était une chose que d’entendre Karm lui dire qu’elle faisait bien, c’en était une autre que de voir un monument de l’ordre s’animer et de dire de même. Elle sourit. L’inquiétude de l’inquisition l’avait quittée. A aucun moment, finalement, le vieux bonhomme n’avait porté les traits du bourreau.

« Vous m’avez déjà beaucoup donné à réfléchir, pour être honnête. Je crois que j’ai déjà besoin de temps pour assimiler ces mots avant d’en collecter de nouveau. Et puis, je compte bien être en forme pour le tournoi de Cristaux à venir, et mon séjour à l’infirmerie m’aura laissé avec un retard certain ! Je dois aller reprendre l’entraînement. Si vous me donnez la permission de prendre congé, je vais y répondre. »

Elle s’inclina respectueusement et sortit, la ligne du dos bien moins tendue que lorsqu’elle était entrée. Dehors, son maître n’était pas encore présent, bien qu’elle le sentît non loin. Elle ne l’attendit pas, à la fois elle avait réellement à faire et aussi elle ne voulait pas rompre le sort que tissait Maître Don. Au fond, peut-être que cette entrevue avait avant tout vocation, chez un être infiniment plus sage qu’elle, d’aller vers un mieux moins pour elle que pour son mentor. Lui qui doutait tant, à chaque instant, de sa position au sein de l’Ordre. Lui qui avait tant payé récemment. Peut-être avait-elle été aveuglée par son orgueil d’adolescente. Si jeune, on pense si aisément que l’univers entier a choisi pour centre le bout de son nez…
Karm Torr
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Alors ? Sexy ou pas ?


La question de Karm lui valut un regard réprobateur de la part de Maître Kal, la guérisseuse qui suivait de près l’évolution de sa situation. Tout du moins, c’est ainsi qu’il l’interpréta, mais les expressions d’une Kel Dor n’était pas précisément des plus simples à déchiffrer.


4P4154NT, fit-elle avec un geste de la main en direction du droïde médical. Refaites le bandage, avant que le Chevalier Karm ne se mette à tripoter sa cicatrice.
Ça fait hyper viril en tout cas, poursuivit l’Ark-Ni, fidèle à la tradition de son peuple : quand la situation était dramatique, la dérision était une nécessité, pour restaurer une distance propice à l’évaluation rationnelle.


Le droïde s’approcha d’un pas mécanique et gauche, qui ne laissa pas deviner la délicatesse dont il était incapable, quand il s’agissait de traiter les patients.


Votre guérison sera lente, Chevalier, reprit Maître Kal, du même ton sérieux qu’elle avait toujours, et les premières semaines seront douloureuses. Puis, après plusieurs mois, vous vous penserez rétabli, mais vous vous rendrez compte que vous n’avez toujours pas les mêmes facultés qu’avant. Il faudra attendre un an, peut-être plus, avant de pouvoir reprendre votre entraînement, et d’ici là, vous aurez perdu beaucoup de vos aptitudes physiques.


Le jeune homme eut un bref regard pour sa guérisseuse.


Si vous essayez de m’faire prendre la situation au sérieux, vous inquiétez pas, c’est déjà le cas.
Je vous informe objectivement de la situation, pour que vous puissiez vous adapter en conséquence. La Force vous secondera dans vos tâches, passée la première convalescence. Parfois, une relative infirmité est une manière de mieux la connaître. Votre situation n’a pas que des inconvénients.


Le Gardien hocha légèrement la tête, alors que le droïde achevait de serrer le bandage, ce qui ne manqua pas de lui provoquer une vive douleur dans tout le ventre. Apparemment, la sensation le laissa de marbre.


Maître Don vous attend. 4P4154NT ?
Votre canne, Chevalier Torr, fit le droïde en la lui tendant.
Ma canne…, répéta Karm avec une pointe de résignation, avant de se reprendre et d’adopter à nouveau son air faussement fanfaron. Cool, j’vais vraiment avoir l’air d’un Jedi vénérable, maintenant.


Et ce fut donc avec une attitude ni aussi vénérable, ni aussi virile qui le prétendait qu’il prit ce jour-là le chemin de la salle de méditation B2.721, appuyé sur sa canne. À chaque pas, la douleur était vive, mais il était habitué et depuis longtemps à la souffrance physique. Il l’avait souvent enseigné à Luke et à Thann : souffrir dans son corps n’était pas nécessairement une mauvaise chose. Comme toute sensation, la douleur était une source de connaissance et Karm était déterminé à en tirer les enseignements.


La marche, cependant, lui parut interminable. Il aurait aimé être assez détaché de l’opinion des autres pour ne pas se préoccuper des regards que posaient sur lui ceux qu’il croisait dans les couloirs. Sa mésaventure sur Coruscant avait dû faire l’objet de bien des conversations. Pour certains, elle avait été salutaire, parce qu’elle levait les derniers doutes sur une collusion possible entre la maître renégate et son ancien Padawan : Karm, en devenant sa victime, se trouvait innocenté. Pour d’autres, elle jetait en revanche une ombre sur la réputation de sabreur du jeune homme.


Enfin, il fut devant la porte fatidique. Ce serait sa première entrevue avec Saï Don depuis… une éternité. La dernière remontait probablement à l’époque où il n’était qu’un Novice. Désormais, tout avait changé. Il y avait eu Tavaï, il y avait eu Thann, mais évidemment ce n’était pas ce qui l’inquiétait le plus. Saï Don savait pour Luke et lui. Et Luke était son ancien Padawan. Karm avait en quelque sorte l’impression de s’apprêter à rencontrer son beau-père, et son beau-père dirigeait l’Ordre auquel il appartenait.


Inutile de se cacher derrière le panneau métallique. Le Grand Maître de l’Ordre avait probablement déjà conscience de sa présence. Karm passa sa main devant le détecteur et pénétra dans la chambre de méditation.


Maître Saï, fit-il de sa voix qui, comme d’habitude, n’était pas beaucoup plus qu’un murmure.


L’Ark-Ni s’installa assez maladroitement sur l’un des sièges de méditation, loin de la grâce que lui offrait ordinairement son rigoureux entraînement de gymnaste.


Je crois que vous avez parlé à ma Padawane.


Et c’était probablement réciproque : Thann était une vraie pipelette.


(Oui.)
(Ça dénonce.)


Et je suppose que vous avez parlé à Luke.


Le regard du jeune homme se fit un peu plus inquisiteur qu’il ne l’aurait voulu, en prononçant ce dernier prénom. Sa relation avec l’Hapien était à la toute marge des pratiques de l’Ordre, ni rigoureusement interdite, ni formellement permise, et en tout cas à peine tolérée. Mais Karm n’était pas un diplomate, il n’était pas un négociateur : tourner autour du pot, ça ne faisait pas partie de ses spécialités.


Maître Kal m’a informé que ma guérison serait longue et douloureuse, et qu’il me faudrait une bonne douzaine de mois pour envisager de reprendre mes habitudes. C’est une situation que j’me… que je me crois prêt à accepter.


Voilà bien l’une des rares fois de sa vie où Karm se sentait obligé de meubler le silence et où sa nervosité était palpable.


Ma physiologie empêche l’utilisation de calmants aux doses ordinaires, mais je vous assure que la douleur n’est pas un problème pour moi. Mais je conçois que le Conseil puisse… S’interroger sur les sentiments qu’aura fait naître cet affrontement, et l’obscurité qu’il aura pu répandre sur mon existence…
Saï Don
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- Ah, le fameux Karm Torr ! s’exclama Maître Don, le visage soudain illuminé.

Fameux n’était pas un mot choisi au hasard : Karm était probablement l’un des Jedi dont il entendait le plus parler, ces temps-ci. Par ses confrères, bien sûr, mais également par les padawans, qui n’avaient de cesse de murmurer sur les aventures de l’explorateur intrépide. Le vieil homme ne voyait pas vraiment de mal à cela : à chaque époque, ses héros, et ce Jedi-là n’avait pas volé sa popularité.

Le vieil homme le regarda s’installer, tandis que lui-même n’avait pas bougé d’un pouce depuis le départ de la padawan Sîdh, quelques instants plus tôt : il était toujours assis sur son siège de méditation, le dos légèrement courbé en avant comme s’il s’attendait à pouvoir mieux voir ou mieux entendre en étant ainsi penché vers l’objet de son intérêt : un petit Jedi par la taille, mais grand par la réputation, donc.

- Je suis navré de l’entendre, à propos de votre guérison, convint-il. Mais si Maître Kal a été optimiste sur le fait de retrouver vos capacités, je suis sûr que cela passera vite.

Le vieillard baissa les yeux et lissa un instant le tissu de sa bure usé sur ses genoux, en un geste pensif.

- Oui, confirma-t-il d’une voix posée, j’ai parlé à Thann. Nous avons parlé des doutes nés de ses rencontres de terrain, de la guerre, et de vous, aussi.

Bref silence tandis que les yeux azur du vieillard se fixaient de nouveau sur le visage arrondi de l’Ark-Ni.

- … Et oui, j’ai parlé à Luke. Nous avons parlé de mes problèmes de genoux, de l’avenir de la galaxie, et de vous, aussi.

Voilà voilà.

- Mais pour être franc, ils m’ont tous deux rassuré sur votre résilience vis-à-vis de cet évènement. L’affrontement avec votre ancien maître et… La façon dont vous l’avez vécu. Force est de constater que vous avez la tête bien vissée sur les épaules, peut-être en partie grâce à votre expérience passée hors du commun.

On ne sortait pas d’un passé douloureux qu’avec des handicaps. Etonnamment, on y développait aussi des compétences particulières, qui permettaient parfois non seulement de survivre, mais de réussir sur un chemin tortueux. Ce n’était certainement pas une chose que le vieux Don apprendrait à Karm Torr, lui qui l’avait expérimenté.

- Et pour être même tout à fait transparent ; ce n’est pas ce qui m’inquiète, ni la raison pour laquelle j’ai souhaité vous rencontrer. Mais si quoique ce soit vous semble devoir être dit sur ce sujet… Ou sur un autre sujet…

… comme votre goût pour l’exploration aux frontières des mœurs et sous les bures des chevaliers…

- … je serai ravi de vous entendre.

Il n’y avait plus de sourire sur le visage du vieil homme, mais pas d’animosité non plus. Il parlait à Karm comme à un égal, mais son regard était devenu plus intense.

- Pour ma part, j’ai un sujet de la plus haute importance à évoquer avec vous. Un sujet qui risque de peser beaucoup sur vous, comme sur Luke.

Il s’humecta brièvement les lèvres.

- Il s’agit de mon départ de l’Ordre.
Karm Torr
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Padawan, Karm n’avait pas beaucoup côtoyé Saï Don, ni à vrai dire aucun des autres Maîtres de l’Ordre, dont Hol’gan Tavaï avait veillé à ce que son apprenti fût éloigné. Craignant que ses pairs ne posent un regard trop perspicace ou en tout cas trop réprobateur sur ses choix pédagogiques, l’Amarane avait créé de la distance entre l’enfant puis l’adolescent et le reste de la hiérarchie du Temple.

Alors Karm n’avait trop su à quoi s’attendre avec Saï Don. Luke brossait toujours un portrait idyllique du Grand Maître de l’Ordre, mais le Hapien était son ancien Padawan et il y entrait peut-être une part d’idéalisation. Le Gardien fut donc rassurant de percevoir la bienveillance de son interlocuteur, et plus de la compassion que du jugement.

Le jeune homme haussa les épaules.

Bien vissée sur les épaules, la tête, ça, je sais pas trop, mais dure, c’est une certitude.

Habitué à ce qu’on puisse le soupçonner de trop frayer du Côté Obscur, à la fois pour ses positions morales quelque peu atypiques au sein de l’Ordre et à cause de la personne qui l’avait éduquée, l’Ark-Ni avait fini par accepter les interrogatoires récurrents avec un certain fatalisme. Il s’attendait aux questions de Saï Don, à ce tâtonnement à l’intérieur de son âme auquel les Sentinelles avaient jugé utile de le soumettre par le passé, mais rien ne vient, et à la place de lui tirer des confessions, ce fut le vieil humain qui lui en fit une.

La nouvelle bouleversante fut accueillie par le Gardien de la même manière qu’il accueillait à peu près tout : avec une expression égale, ou même un peu indifférente, que trahissait seulement son regard, qui scrutait à son tour celui du Maître en face de lui, en le soutenant sans ciller. Peut-être que la politesse aurait exigeait qu’il baissât les yeux, mais dès la plus tendre enfance, les Ark-Ni étaient éduqués pour offrir les leurs à qui les cherchait, par une sorte d’éthique de l’honnêteté qui assurait le bon fonctionnement d’une société enfermée dans ses vaisseaux et perdue dans le vide interstellaire.

Je vois, finit-il par dire avec douceur, après s’être accordé quelques secondes pour imaginer les implications de ce qu’il venait d’apprendre. Comme vous le savez, l’ExploCorps garde une base de données plus… Confidentielle. Des planètes où il est possible de se retirer pour… Méditer.

Les mots étaient prudemment choisis. Méditer, c’était un peu en-dessous de la vérité. Karm faisait allusion à la tradition bien ancrée au sein de leur Ordre pour certains Jedis de s’imposer un exil volontaire, parfois très long, dans des contrées reculées et souvent hostiles, afin d’examiner leurs actions. Il ne voulait pas suggérer que c’était ce que Saï cherchait précisément à faire, puisque cela serait revenu à impliquer que le vénérable Maître avait commis des fautes graves dont il cherchait à se repentir.

J’imagine qu’il y aura toute sorte de question et même une certaine inquiétude après ce départ, poursuivit-il, dans un basic étrangement beaucoup moins familier que celui qu’il parlait habituellement, et des gens qui, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Ordre, prendront cela comme un signe de faiblesse de notre part à tous. Mais j’imagine aussi que vous avez déjà longuement examiné toutes ces implications.

En tout cas, lui, il n’avait pas l’air de vouloir l’en dissuader. D’abord, c’était un rôle qui ne lui appartenait pas. Ensuite, Karm considérait bien que l’Ordre avait failli, et à de multiples reprises, ces dernières années. Alors peut-être qu’une prise de conscience serait salutaire.

Quant à Luke et moi…

Le jeune homme haussa les épaules.

L’histoire de l’Ordre abonde d’exemples de relations semblables, et l’interprétation restrictive du Code qui prétend prohiber les relations romantiques, sexuelles ou même simplement familiales n’en est qu’une parmi d’autre, une qui ne s’applique même pas à toutes les espèces, et qui ne s’est certainement pas toujours appliquée. Je suis prêt à défendre mon opinion devant un Conseil plus conservateur encore que l’actuel, s’il le faut, encore qu’à mon avis, ce ne soit pas vraiment au Conseil de déterminer ce genre de choses.

C’était le discours le plus radical qu’il ait jamais tenu à un Maître Jedi, quoiqu’il fût encore très en-deçà de ses opinions politiques. Aux yeux de Karm, ce n’était pas seulement que des relations comme celles qu’il entretenait avec Luke devaient être autorisées, c’était qu’elles étaient souhaitables et qu’au contraire, l’ascétisme et la privation qui caractérisaient la majorité de l’Ordre contemporain relevaient, elles, de la complaisance et de l’orgueil.

Mais Luke est beaucoup moins prêt à cela. Et il est toujours persuadé que, dans une large mesure, sa valeur et sa réputation au sein de l’Ordre tiennent essentiellement à vous. Ce en quoi, et je le dis sauf votre respect, Maître, il a largement tort, parce qu’il est la source de son propre mérite.
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