Karm Torr
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Les deux lames laser traçaient des arabesques de plus en plus compliquées, de plus en plus rapides, dans l’air, à mesure que Karm multipliait les passes d’armes. Il avait pris des sabres d’entraînement, du genre de ceux qu’utilisaient les Padawans, et, un dans chaque main, il s’efforçait de s’approprier ce qu’il avait appris sur le combat à deux lames. Cette discipline, il l’avait longtemps rejetée, par orthodoxie, en suivant les conseils de son Maître, mais Tavaï était une paria de l’Ordre et Karm éprouvait le besoin de s’abstraire de certains de ses principes.

La Kel Dor qui l’observait depuis l’entrée de la salle demeura un moment songeuse devant les prouesses martiales du jeune Chevalier. C’était là, de toute évidence, que les talents et les inclinations naturels de Karm s’exprimaient le mieux et elle regrettait de devoir lui imposer à la place une tâche qu’elle lui savait pénible. Mais l’Ordre avait ses exigences et le Chevalier comprendrait.

La Jedi fit quelques pas dans la salle. En sentant sa présence, Karm s’immobilisa et les deux lames d’entraînement se rétractèrent.

— Maître.
— Tu t’essaies à de nouvelles techniques ?

La voix de la grande archéologue était déformée par son masque respiratoire. Karm, en train de reprendre son souffle, répondit d’un hochement de tête. Souvent, l’Ark-Ni, fidèle à sa culture, préférait les gestes aux mots.

— Écoute, Karm, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que la sous-commission 234/89 du Sénat souhaite t’entendre à nouveau.

Le jeune homme sentit comme un poids s’écraser sur ses épaules. Il laissa échapper un long soupir résigné. Il se souvenait dans les moindres détails de sa première audition, devant un parterre de politiciens tous moins engageants les uns que les autres, dont les questions bien trop abstraites et étranges pour l’explorateur l’avaient plongé dans une confusion sans cesse plus grande. Pourtant, il s’était préparé, pendant deux semaines, avec Luke. Il avait maîtrisé son rapport sur le bout des doigts mais, le moment venu, il avait perdu tous ses moyens.

— Mais le Conseil a demandé à Evran Fykk, notre spécialiste en communication, de te former spécialement à cet effet. Il va s’occuper de ça avec toi et je suis sûr que ça se passera bien. Surtout que maintenant, tu es habitué.

Karm s’abstint de faire remarquer qu’une première et unique expérience ne constituait pas exactement une habitude et il se contenta de hocher la tête d’un air résigné. La Kel Dor lui adressa encore quelques propos encourageants, avant de lui indiquer le lieu de son rendez-vous avec Fykk. Karm déposa ses sabres, regagna les vestiaires pour se changer et, une fois en tenue civile, toujours rétif à adopter les usages vestimentaires de l’Ordre, il traversa les couloirs du Temple, tout en composant un message sur son datapad à l’intention de Luke.

De : K. A. O. Torr
À : L. Kayan

La sous-com veut m’entendre encore. Evran va prendre en charge ma formation. Je te dirai comment ça se passe. T.

Il attendit la réponse plein d’espoir en slalomant entre les Padawans et les autres Chevaliers mais Luke devait être plongé dans ses recherches, à la bibliothèque du Temple. Il finit donc par ranger son appareil dans l’une des multiples poches de son pantalon et pénétra dans la salle de méditation que la Kel Dor lui avait indiquée et où, en effet, le porte-parole de l’Ordre l’attendait.

— Salut.

Pour Karm, les responsabilités exercées par Evran était pour le moins vagues mais il n’avait pas pour elle le mépris que les guerriers ont souvent pour les exigences de la vie politique. Au contraire, la nécessité d’articuler les missions de l’Ordre, ses perspectives et ses enjeux auprès d’une population pour laquelle il imaginait sans peine que tout cela devait être parfois abstrait et opaque lui paraissait éminemment utile et nécessaire. Il enviait même tous ces Jedis qui s’exprimaient avec une aisance remarquable, ces diplomates portés par leur charisme, prisonnier qu’il se sentait parfois par sa condition de combattant ou d’explorateur solitaire.

— Karm.

L’Ark-Ni parlait en murmurant, comme la plupart du temps. Pour un autre Jedi, il était facile de dépasser les seules apparences et de sentir qu’il y avait plus, chez ce jeune homme aux yeux brillants, pas très grand, avec sa voix discrète et ses traits androgynes, qu’un timide au genre indécis. Dans la Force, Karm dégageait une aura de maîtrise dangereuse, quelque chose de presque prédateur qui tranchait avec ses airs innocents et fragiles. Mais pour celles et ceux qui n’étaient pas sensibles à la Force, on ne pouvait certes pas dire que le Jedi en imposait.

— J’vous préviens, ça va pas être super enthousiasmant comme expérience pédagogique. La dernière fois qu’j’étais devant la commission, j’me suis fait démonter et j’suis même pas sûr de comprendre vraiment pourquoi. Ils m’embrouillent avec des questions zarbis et je finis toujours à la ramasse.

Il n’était pas bête mais il avait son intelligence bien à lui et, de toute évidence, une rhétorique très… colorée.
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Le trajet jusqu’à Coruscant s’était déroulé à merveille. Le porte-parole avait saisi l’occasion pour essayer son nouveau vaisseau entièrement retapé par les équipes du temple d’Ondéron. Il fallait bien l’admettre, l’Hurricane avait sacrément la classe. Cette demande du conseil était survenue à la dernière minute pendant une réunion sur le plan de communication de sa nouvelle capsule promotionnelle, tournée la semaine dernière. Une requête qui s’était déposée sur son horaire tel un cheveu dans la soupe. Préparer un chevalier pour une audience du sénat, lui? Franchement, son assistant aurait amplement pu le faire à sa place. Ce Karm Torr, qu’importe son rang, avait bien de la chance que le conseil ait demandé spécifiquement à Evran de s’en occuper, sans quoi le porte-parole n’aurait pas hésité une seconde à déléguer cette tâche. Enfin, le voyage avait été agréable, et cette parenthèse lui donnerait l’opportunité de souffler un peu. Sur la route, il avait amplement eu le temps de potasser le rapport soumis au jugement du sénat. Un texte somme toute assez solide qui, avec un minimum d’appui, avait de quoi convaincre. Evran avait eu vent de cette prise de bec avec l’un des sénateurs, et se disait que la seconde audience n’était qu’une formalité. Du tout cuit.

Peu familier avec les lieux, il avait dû demander son chemin à deux reprises à des padawans pour trouver les fameuses salles de médiation, au troisième étage. Celle qu’il avait réservée était vide à son arrivée. Normal, le porte-parole avait annoncé son arrivée à peine quelques heures auparavant. Il prit place sur l’un des coussins, et attendit patiemment que l’Ark-Ni ne vienne le rejoindre, relisant une seconde fois certains passages du rapport sur son datapad.

Enfin, la porte s’ouvrit, laissant entrer le jeune homme. Et à la grande surprise d’Evran, lui non plus n’était pas vêtu de l’habituelle bure. Un anticonformiste, donc. Peut-être allaient-ils bien s’entendre.

- Bonjour.

Il se présenta à son tour, d’une manière si sommaire, si fade, qu’elle fit sourciller le porte-parole. Intéressant, pensa-t-il. Plus qu’un problème d’éloquence, peut-être faudrait-il travailler sur sa loquacité. Une réflexion qui s’effaça rapidement lorsque le chevalier à la chevelure argentée commença à déblatérer une série de platitudes concernant sa première audience. Du langage familier à profusion, des idées plus ou moins liées entre chacune de ses phrases; Evran comprenait alors pourquoi il se tenait là. Il faudrait inévitablement travailler les deux, finalement.

- C’est ce pour quoi nous sommes là… oui.

Inspirant profondément pour masquer un soupir, il tapota quelque chose sur son datapad pour changer de document, revenant sur le compte rendu fourni par le service de greffe du sénat.

- Je pensais d’ailleurs commencer directement par là. Attaquer le problème de front. De ce que je comprends de ma lecture procès-verbal, c’est une attaque personnelle qui vous a ébranlé, une référence à votre passé… Ça ne m’étonne pas, c’est assez commun.

Evran se leva en s’éclaircissant la voix, et se rapprocha du chevalier. Le doigt toujours sur son écran, il défila jusqu’à la ligne exacte où le contre-argument du sénateur avait été transcrite.

- Bon, allons-y. Je vais adapter les phrases du sénateur Savren à ma sauce, voir comment vous réagissez en situation de non-stress. Répondez la première chose qu’il vous vient à l’esprit. Je vous dirai où ça accroche.

Le jedi savait définitivement que ce genre de méthode était abrupte, voire complètement sèche pour débuter, mais il trouvait que c’était le moyen le plus rapide de casser la glace et d’entrer directement dans le vif du sujet. Déjà que le temps lui manquait, il se disait qu’il serait en mesure de boucler le tout en une heure ou deux, en repassant sur les accrocs importants de l’audition précédente. De plus, y aller de front s’avérait la meilleure façon de jauger son niveau actuel, de voir à quel point le chevalier Torr avait du mal à s’exprimer. La transcription ne pouvait pas être exacte tant peu de mots semblaient être sortis de sa bouche. Il y avait dû avoir un problème de reconnaissance vocale, sans aucun doute. Enfin, Evran lut à voix haute, ajoutant quelques fioritures de son propre cru, et modifiant légèrement sa voix pour lui donner un ton autoritaire, encore plus froid qu’à l’habitude. Déjà que le jedi n’était pas spécialement un tendre, il sortait cette fois son arsenal frigorifiant. Place au théâtre.

- Chevalier Torr, vous savez comme tout le monde ici que l’exploration est un investissement qui est déjà extrêmement coûteux pour l’ensemble des citoyens républicains. Et… deux fois plutôt qu’une, vous faites perdre un temps considérable à cette sous-commission en proposant un tel gâchis de ressources civiles, alors que ces besoins peuvent tout à fait être comblés par le personnel militaire actuel. Le processus en soit mentionné dans votre rapport est valable, mais son application est… comment dire… farfelue, voilà. Je ne vois pas pourquoi vous vous opposez tant à ce que l’armée soit en charge. Je veux dire… nous connaissons tous les événements déplorables que vous avez vécus sur Dubrillon, d’accord, mais j’ai bien peur que votre jugement sur ce sujet ne soit entaché par vos idéaux. Avec tout le respect que je vous dois, maître jedi…

En réalité, le sénateur n’avait pas mal mentionné le rang de Torr. Mais comme la plupart des jedi étaient à cheval sur la hiérarchie, Evran était curieux du genre de réponse qu’il pouvait obtenir. Une réponse à vif, hypothétiquement agressive, ou alors rien du tout? Chose certaine, il adapterait sa méthode en conséquence. Et peut-être qu’il descendrait le niveau d’un cran si jamais cette entrée précipitée en matière avait de quoi désarçonner son collègue.
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Evran était aussi accueillant qu’un hachoir à viande mais, au fond, en bon Jedi, Karm y était habitué. L’Ordre regorgeait de Chevaliers et de Maîtres qui prenaient les versants dépassionnés du Code si à la lettre qu’ils finissaient par être d’une froideur extrême, en tout cas selon l’Ark-Ni, dont l’interprétation de la doctrine jedi était à certains égards… créative. Il s’assit en tailleur sur les coussins de méditation, avec une souplesse de fauve, bien conscient que ce serait sans doute le seul geste familier qu’il accomplirait de toute cette séance de préparation.

Sa nervosité monta d’un cran quand il comprit qu’il n’aurait pas le droit à un bel exposé théorique des principes de la rhétorique, quelque chose d’impersonnel et de distant, qui lui aurait donner l’illusion de pouvoir transformer l’audition elle-même en simple exercice d’application. Il suivit Evran des yeux de son regard si particulier, un peu comme l’agneau qu’on s’apprête à croquer, et quand le Chevalier se lança dans la lecture des minutes de l’audition, Karm sentit son estomac se nouer de honte.

Il n’était pas particulièrement fier, il ne faisait jamais l’étalage de ses exploits pendant les batailles de l’Ordre et il ne se lançait dans le récit de ses expéditions épiques sur des planètes lointaines quasi qu’avec Luke mais la perspective que chaque citoyen dans la Galexie puisse prendre connaissance de son humiliation publique était tout de même glaçante. Sans réfléchir, puisque c’était les règles de l’exercice, il répondit du tac-au-tac :

— J’f’rai moins perdre son temps à la sous-commission si elle arrêtait d’me convoquer.

Ce qui ne répondait certes pas au fond du problème mais trahissait bien la perplexité que l’Ark-Ni éprouvait face aux procédures décisionnelles de la République, une perplexité qui naissait autant de sa culture natale que de son propre tempérament. Bien conscient cependant que la réponse n’avait rien d’approprié — c’était déjà ça —, Karm prit une profonde inspiration, éclaircit sa gorge pour forcer un peu sa voix au-delà du murmure, ce qui ne lui était pas du tout naturel et essaya quelque chose d’autres :

— L’personnel militaire évalue des avantages tactiques mais pas les colonies des besoins de développement différents…

Il avait tenté d’établir une antithèse bien ordonnée dans son esprit mais il s’était pris les pieds dans le basique, dont la grammaire et la syntaxe étaient fondamentalement différentes de sa langue maternelle. Après un signe des mains qui était en réalité un juron ark-ni, Karm souffla un « désolé » avant de reprendre :

— L’personnel militaire évalue des avantages tactiques mais les colonies ont des besoins de développement différents, sur le beaucoup plus long terme, et avec l’exploitation de ressources spécifiques, genre… par exemple agricoles. Former des militaires à la prospection civilas… civilisationnelle, ça coûterait des sous, j’veux dire, pas mal d’argent, et ça les démobilisera des missions stratégiques.

Ça, c’était la réponse qu’il était capable de fournir en s’y reprenant à trois fois, en face d’un allié, dans l’intimité familière d’une salle de méditation. Mais elle trahissait au moins quelque chose de positif : que le Jedi ne manquait pas d’arguments, au fond, et que ce n’était pas la maîtrise de sujet ou la réflexion qui pêchaient, ce qu’avait bien suggéré le rapport rédigé avec l’aide salvatrice de Luke.

— J’dois répondre sur Dubrillon ou pas ?

C’était un sujet qu’il n’abordait pas volontiers et qu’il avait éludé systématiquement lors de sa première audition mais il se demandait désormais si ça ne lui donnait pas tout simplement l’air fuyant, soit malhonnête, soit traumatisé.

— Parce que bon, m’faire traiter de pacifiste au Sénat et de va-t’en-guerre au Temple, vive la dissonance cognitive, quoi. Mais j’me suis dit, j’sais pas, ils ont un fichier sur moi, ça devrait parler de soi-même…

Un fichier avec ses états de service, pleins de batailles. Karm avait encore la naïveté de croire, au moins intuitivement, qu’il n’y avait pas une distance fondamentale entre les connaissances, les actes et les intentions des sénateurs et que tous les membres de la sous-commission œuvraient exclusivement dans la perspective d’en faire aboutir les travaux. N’était-ce pas ainsi que les choses fonctionnaient sur un vaisseau ark-ni, où chacun veillait au bien commun, sans chercher à préserver ses intérêts personnels ?
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Visiblement, il en avait trop demandé du premier coup. Le porte-parole se retenait pour ne pas laisser transparaître la frustration qu’il ressentait. L’homme qu’il avait en face de lui était sans doute intelligent, peut-être même brillant, mais ce n’était pas les premiers qualificatifs qui lui venaient à l’esprit lorsqu’on l’écoutait parler. Même que cela ne servait à rien d’arrêter ses commentaires sur des maladresses précises; il y en aurait pour des heures. Valait mieux rester dans la généralité pour l’instant.

- Ça va comme ça, merci. On va revenir à la base, je crois…

Evran fit volte-face, tournant le dos au chevalier, et alla se rasseoir sur l’un des coussins de méditation en face de lui, expirant bruyamment. Le porte-parole était parfaitement conscient de l’impression qu’il dégageait comme personne, et avait espéré utiliser cet air intimidateur pour tirer des réponses spontanées, moins réfléchies. Mais dans le cas de Karm, cela ne faisait probablement qu’empirer les choses. Il joignit les mains ensemble, essayant de trouver une façon de reprendre la conversation sur des bases saines. Le mot d’ordre à inculquer à Karm semblait définitivement être « contrôle ».

- Tu prends les choses trop à cœur j’ai l’impression. Tu sais, ces sénateurs ne sont pas montés contre toi, ils font cela pour t’attiser, te déstabiliser; voir si tu maîtrises bien ton sujet sans t’emporter. Car lorsque tu t’emportes, tu perds. C’est aussi simple que cela. Ça n’a rien à voir avec ton passé, avec Dubrillon, ou avec quoi que soit…

Il s’était surpris à le tutoyer, alors qu’à peine une minute plus tôt il avait employé une formule beaucoup plus austère. Peut-être que la manière dont l’Ark-Ni s’exprimait avait eu raison de ses barrières interpersonnelles. Peu de gens au quotidien s’adressaient à lui avec autant de familiarité, il fallait le reconnaitre. Evran essaya d’utiliser ce filon. Y aller avec le compliment, essayer de renforcer la confiance. Car bien que ses erreurs langagières pussent être le résultat d’un apprentissage sommaire du basic, le chevalier croyait qu’il pouvait également s’agir d’un problème d’assurance. Vis-à-vis le rapport, vis-à-vis lui-même, ou encore vis-à-vis ses capacités à s’exprimer. Les facteurs étaient multiples, et les solutions aussi.

- Écoute. Le rapport est excellent, bien monté. Ton travail est minutieux… enfin, je ne maîtrise pas le sujet, mais ça me semble tout à fait censé. Il suffit juste de bien présenter le projet, de l’expliquer à ces cons de sénateurs avec détachement. Fais…

Il s’arrêta un moment, réalisant qu’il venait d’insulter le sénat galactique au grand complet dans une seule phrase. Soit, dans l’intimité de cette pièce, les chances que quelqu’un d’autre que Karm ait entendu ce blasphème éhonté étaient plutôt faibles.

- Fais semblant de ne pas l’avoir écrit. Fais semblant de ne pas attendre une réponse positive de leur part, de jauger tes arguments avec impartialité. Et, au bout d’un moment, si tu y crois suffisamment, tu n’auras plus besoin de faire semblant.

Evran marqua une pause pour laisser l’Ark-Ni encaisser les quelques préceptes qu’il venait d’inventer sur le moment. Il ne s’agissait peut-être pas d’un grand moment de sagesse de sa part, mais cette méthode était sans doute plus susceptible de fonctionner que de le provoquer brutalement comme il l’avait fait plus tôt. L’apprentissage s’appliquait aux deux côtés, car Evran devait définitivement développer sa pédagogie et son entregent individuel pour mieux communiquer avec ses collègues. En ce moment, la simple pensée d’avoir un padawan sous son aile un jour l’horripilait au plus haut point. Ce jour était heureusement encore loin, du moins l’espérait-il. Il reprit son datapad en mains pour revenir au rapport.

- Bon, reprenons. Entre-nous, maintenant, comment essaierais-tu de me vendre la section quatre point deux, soit eum… la partie sur le processus de prospection de ressources naturelles par les équipes d’analyse. Admettons que le comité ait des doutes sur l’efficacité de ton plan…

Evran doutait, mais espérait avoir réparé son erreur en relâchant un peu de tension sur le pauvre chevalier, histoire d'en tirer quelque chose de plus concis. Les mots à la cohérence douteuse, les phrases syntaxiquement incorrectes, il pouvait gérer pour le moment. Le plus important était de mater cet état de défense constante, cette fougue qui ne donnerait probablement qu’une envie aux sénateurs : celle de lui donner tort.
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Quand on songeait que Karm était le genre de Jedis qu’on lâchait en territoire ennemi avec une paille et beaucoup de bonne volonté dans l’espoir qu’ils parviendraient à renverser la situation, il y avait de quoi être consterné par la facilité avec laquelle il perdait ce sang-froid censément à toute épreuve devant l’adversité pas vraiment menaçante de quelques vieux sénateurs. Persuadé d’avoir exaspéré son formateur, Karm commençait à se demander s’il n’aurait pas été préférable de falsifier son rapport, de le prétendre écrit par quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus capable que lui, qui serait ensuite aller présenter ses résultats au Sénat.

Il doutait hélas que cette possibilité se présente à lui, alors il écoutait les conseils d’Evran et tentait de se les approprier. Il y avait beaucoup de choses qu’il savait déjà, des considérations de bon sens, mais entre savoir et appliquer, il y avait souvent tout un monde. À la première audition, Karm était arrivé bien préparé et même à moitié convaincu qu’il pourrait s’en sortir avec aisance, et puis il avait eu l’impression d’être l’une de ces personnes qui apprennent à nager sur une chaise sans avoir jamais vu l’eau et qu’on jette d’un coup dans l’océan.

— Le rapport, en vrai, Luke m’a pas mal aidé pour l’écrire. Luke Kayan.

Karm avait veillé à ne pas avoir l’air trop bêtement énamouré en prononçant le nom de son compagnon, parce qu’il savait à quel point Luke tenait au secret, même si, pour sa part, il aurait été partisan d’assumer leur relation au grand jour. Les secrets, ce n’était pas son truc.

— Mais, euh, ouais, OK.

L’ark-ni était une langue ardue, bien différente du basic. Tous les éléments y étaient présentés d’abord, avec leurs relations logiques, indiquées par des particules, et le processus tout à la fin, quand il n’était pas simplement omis. Les verbes avaient tendance à disparaître au profit d’une description structurelle de la réalité, les aspects temporels étaient seconds par rapport aux relations synthétiques. Ainsi, si Karm parlait couramment le basic comme n’importe quel Jedi, il lui fallait faire des efforts considérables pour énoncer correctement des idées complexes dans des discours travaillés.

C’était comme passer d’un univers à l’autre.

Lentement, il débuta :

— Donc, y a en gros deux manières de voir les choses. Soit tu considères que les gens, les colons j’veux dire, ont des besoins spécifiques, et tu vas… trouver une relation d’proximité. Entre un monde en général et ces besoins-là. Et ensuite, tu vas employer des moyens techniques pour réduire la distance entre les besoins et le monde. Approximer… ça s’dit ? Approcher une adéquation parfaite. La prospection, alors, c’est moins une affaire de ressources naturelles directement utilisables que de ressources qui se prêtent à la terraformation. Et par exemple… Euh. Par exemple, tu vas pouvoir préférer une ressource B inutile mais facilement transformable à une ressource A, médiocrement adaptée aux besoins et pas transformable.

C’était simplifier beaucoup les principes de l’ingénierie environnementale mais l’idée était là.

— L’autre manière, c’est d’considérer que la planète a des affordances, des euh, possibilités, et que les colons s’adaptent aux possibilités. Là, tu cherches des ressources directement exploitables, en te disant que les gens implantés vont être dans un processus civilisationnel alternatif, plutôt que dans un processus de rattrapage. C’est euh… comme si… comme si…

Karm chercha une comparaison appropriée et puis soudain, assez content de lui, il s’exclama :

— Comme si, dans l’premier cas, tu rempotais une plante avec vachement d’engrais artificiel pour compenser la faiblesse du terrain, et à la fin tu obtiens la même plante, mais ailleurs, et dans le second cas, tu fais une greffe sur un arbre existant et tu aboutis à une espèce différente. D’un côté, tu cherches la terre la moins pire, de l’autre, l’arbre le plus vigoureux.

Le Jedi se promit de réutiliser la comparaison si un jour il devait expliquer le même genre de choses à des Padawans.

— Donc, moi, il m’parait que la seconde solution, la greffe, est préférable, parce que les écosystèmes sont complexes et qu’aucune modélisation peut assumer toutes les variables et…

Il s’interrompit pour réexpliquer plus posément :

— On peut terraformer tout c’qu’on veut, faire des modèles de la planète avec de super I.A., on arrivera jamais à une simulation parfaite de c’qui pourrait arriver, quand on change tel ou tel paramètre. Parce que c’est trop compliqué et que par définition, les planètes nouvelles offrent un pool de données limité. Alors même si la terraformation est plus facile à faire admettre aux colons, elle est plus coûteuse et plus fragile. La greffe préserve l’écosystème et se fonde sur sa cohérence interne pour assurer la survie de la colonie. En gros, ça peut paraître con, mais le fait que la planète existe en tant qu’écosystème, c’est la preuve qu’elle peut exister en tant qu’écosystème. C’est l’assurance de sa résilience. Alors, c’est plus difficile au début, ça demande des efforts culturels en plus que techniques, aussi, mais c’est moins coûteux et plus viable.

Karm ne se rendait pas compte que le coût ne jouait pas toujours comme il l’imaginait et que certains consortiums puissants, qui finançaient les campagnes électorales, profitaient considérablement des entreprises d’ingénierie planétaire au service des réfugiés. Pour certains, c’était précisément le fait que la terraformation fût coûteuse qui était intéressant : c’était l’occasion de vendre des processus de chimie atmosphérique, des machines géothermiques, des bases préfabriqués et des tunneliers géants.
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Ainsi, Luke Kayan avait participé à l’élaboration de ce rapport. Rien d’étonnant connaissant le jedi. Toujours prompt à aider un collègue, il fallait imaginer. Evran voyait maintenant comment sa personne transparaissait dans le style d’écriture du rapport. Non, ce coup de main tombait sous le sens. Après tout, Karm avait peut-être autant de mal à coucher ses pensées sur un écran que dans une conversation.

L’explication du point sur lequel le porte-parole s’était attardé fut riche en détail. Evran avait même souri à l’utilisation de la métaphore de la plante, particulièrement éloquente. Mais il devait tout de même s’y prendre à deux fois pour saisir l’idée générale qu’on essayait de lui expliquer avec tant de passion. Sa propre ignorance sur le sujet n’aidait pas, mais au moins, le message de Karm parvenait à passer de manière plus ou moins fluide. Avec un peu d’effort, il pouvait donc être plus posé, c’était déjà ça de gagné. Il restait néanmoins plusieurs problèmes à soulever.

La terminologie utilisée et le type de verbes semblaient parfois ne pas convenir du tout au contexte. Et sans même mentionner les inventions de mots à la dérobée, le registre de langage de Karm se révélait difficile à cerner. Alternant d’un niveau extrêmement soutenu à des termes et des raccourcis beaucoup trop familiers, l’ensemble pouvait paraître étourdissant. Si l’Ark-Ni avait tenu un discours similaire devant des sénateurs à moitié endormis sur leur siège, la douche froide à laquelle il s’était exposé était absolument justifiée. Le responsable des communications s’était contenté d’écouter l’ensemble de l’exposé sans l’interrompre. Vaguement, il avait eu le temps d’imaginer le genre de réplique condescendante et humiliante avec lesquelles il aurait pourfendu ses collègues dans de pareilles circonstances. Mais dans les faits, le jedi avait miraculeusement réussi à rester calme plus d’une minute. Un exploit, donc. Il se cala dans le coussin, regardant le sol un instant pour réfléchir, car les solutions manquaient. Il pensa presque de proposer à Karm de se préparer des réponses toutes faites et de les lire, mais Evran avait tout de suite balayé l’idée en pensant au nombre de questions que les sénateurs pouvaient poser. Trop long, peu efficace. Mais cette réflexion avait tout de même le mérite de porter en elle les germes d’une idée plus étoffée.

- C’est pas mal, dit-il pour s’acheter un peu de temps. Un peu plus structuré que tout à l’heure.

Evran cogitait, frottant nerveusement ses mains l’une contre l’autre. Le conseil ne lui avait peut-être pas demandé d’accomplir cette tâche de façon complètement désintéressée. Car celle-ci s’avérait être un exercice de patience d’une difficulté colossale pour lui. Réellement concentré, il avait enfin abandonné ses yeux arrogants et son ton supérieur. Bien plus que ses connaissances, il lui fallait puiser ses ressources dans sa capacité d’empathie. Comment amener quelqu’un d’une culture complètement différente à comprendre la nécessité du bien paraître? Il n’en avait aucune idée. Et de prendre quelqu’un qui avait travaillé dans l’industrie du mensonge pour élucider ce mystère opaque était un choix audacieux de la part du conseil jedi. Heureusement, le cas de Karm se trouvait loin d’être désespéré. Inattendue, l’idée lui vint alors. Stratégiquement, méthodiquement, le porte-parole l’exposa.

- Je m’excuse, je sais que je suis un peu dans les banalités depuis tout à l’heure, d’ailleurs arrête-moi si le cœur t’en dit, mais… je crois peut-être que pour le prochain exercice, tu devrais essayer d’écrire ta réponse. Prendre le temps de la construire, en y réfléchissant bien, sans contrainte de temps. Qu’en dis-tu?

Évidemment, Karm n’aurait pas ce loisir en pleine audience, mais Evran avait l’impression qu’il avançait sur la bonne voie. L’écriture pouvait permettre une réflexion plus poussée et un choix de mots plus éclairé qu’une simple réponse construite en quelques secondes. De plus, le basic avait pour avantage d’avoir un système langagier calqué sur les sonorités écrites. Evran n’était pas linguiste, mais savait pertinemment que ce n’était pas le cas pour plusieurs langues. Et peut-être que l’Ark-Ni figurait dans celles-ci, d’autant qu’elle semblait beaucoup se reposer sur le non verbal. Y avait-il seulement une forme de système sémiotique dans la langue natale du chevalier Torr?

- Je sais que ça peut paraître ridicule comme ça, mais je pense qu’on pourrait vraiment se concentrer à définir ensuite ce qui peut être ajouté, ou retiré d’une réponse que tu formulerais véritablement pendant l’audience. Et au risque de me répéter, la forme est parfois plus importante que le contenu que tu essaies de communiquer. Il faut la travailler.

L’imminence de l’audience jouait, et ce genre de progrès ne pouvait pas s’accomplir en quelques jours à peine, certes. Mais peut-être qu’un déclic pouvait s’opérer à certains niveaux, et jouer sur sa compréhension globale de la langue. Dans le pire des cas, Evran pourrait au minimum lui pointer certaines impropriétés à ne pas reproduire de vive voix. Celui-ci était d’ailleurs curieux de voir si les problèmes de registre de Karm se transposaient également à l’écrit. Le porte-parole tendit le datapad à son collègue, en lui offrant un sourire sincère.

- Prends l'un des contre-arguments qu’un sénateur t’a renvoyé à la figure, et réfléchis à comment tu lui répondrais aujourd’hui. Ton choix, n’importe lequel. Ou inventes-en un, tiens, si aucun d’entre eux ne te vient à l’esprit maintenant, ce n’est pas important. Ce qui est important, c'est que tu prennes tout le temps dont tu as besoin pour être satisfait de ta structure. Et je ne suis pas pressé.

Evran avait presque l’impression de jouer à l’instituteur, mais il ne pouvait écarter aucune piste. Il espérait seulement que le chevalier ne trouve pas l’exercice enfantin, ou rabaissant. Karm devait y être parfaitement intéressé pour que le résultat porte ses fruits. Du moins, pensait-il…
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« C’est pas mal », ça voulait dire que  c’était nul, pas vrai ? Les yeux perdus dans le vague, Karm se sentait pour tout dire découragé. Il avait bien senti, en couvrant le problème dans les détails, que sa réponse avait été trop longue. C’était hélas un problème que rencontraient souvent les personnalités taciturnes à qui l’on demandait de s’exprimer : en compensant beaucoup trop leur tempérament naturel, elle passait d’un extrême à l’autre.

Peut-être aurait-il dû s’en tenir aux réponses les plus laconiques possibles, pour ne pas offrir de prises aux sénateurs, et laisser ensuite le rapport parler de soi-même. Mais ce n’était pas, de toute évidence, ce que le Conseil avait l’esprit, s’il devait en juger par sa formation du jour. Alors Karm hocha lentement la tête, comme Evran lui prescrivait un nouvel exercice. Il attrapa le datapad et avoua en passant :

— Franchement, j’devrais me bricoler un droïde protocolaire, il traduirait de l’ark-ni, ce s’rait cool.

En réalité, c’eût été bien difficile. Les Ark-Ni étaient peuples de voyageurs galactiques, toujours nomades, toujours sur leurs vaisseaux, et si leur vocabulaire pour décrire les astéroïdes, les routes hyperspatiales ou les métaux était inépuisable, nombre des réalités qui formaient désormais le quotidien de Karm, de l’agriculture à la xénobiologie, échappaient dans leur finesse à sa langue maternelle.

Le stylet de l’ark-ni avait commencé à courir à toute vitesse sur l’écran du datapad et la réponse rédigée en un instant fut ensuite triturée, déconstruire, agencée autrement. C’était la démonstration la plus évidente jusqu’à présent de la manière dont l’esprit de Karm fonctionnait : les problèmes y étaient décomposés et recomposées par des séries de sauts synthétiques, une méthode qui devait être redoutablement efficace sur le terrain et bien sûr singulièrement mal adaptée à la conversation.

— Voilà.

Depuis dix minutes, le silence avait régné dans la salle de méditation.

— C’est à propos du choix des planètes sub-optimales. En gros, dans le rapport, je préconise de choisir des planètes tout à fait viables, mais qui exigent parfois un gros effort d’adaptation de la part des populations, plus que d’autres planètes idéales, mais plus éloignées. Et y a une sénatrice, pas méchante mais pas très, euh…

Pour une fois, Karm chercha à formuler son jugement avec un zeste de politesse, pour ne pas dire tout net que la femme en question lui avait paru assez bête.

— Disons que les enjeux du sujet lui étaient pas super transparents. Elle a demandé pourquoi préférer des planètes sub-optimales à des planètes optimales. Donc.

Karm baissa les yeux vers son datapad et lut à haute voix :

— « Pour assurer le développement d’une population et maintenir sa solidarité avec la République galactique, il est essentiel qu’elle puisse participer aux échanges commerciaux. Les échanges commerciaux transforment des activités de subsistance, comme l’agriculture, en activités d’échange et favorisent autant la paix que les liens culturels. »

Une théorie libérale à laquelle il était loin d’adhérer sans réserve, certes.

— « Quand une équipe d’exploration choisit une planète, elle doit donc à la fois considérer la planète et ses ressources, et le système et son accessibilité. Une planète sub-optimale mais qui présente des liaisons faciles vers les grandes routes hyperspatiales, par exemple des chemins rapides, sans trou noir, sans nébuleuse, est préférable à une planète optimale mais très isolée. »

Trois mois plus tôt, Karm eût été incapable d’écrire quoi que ce soit de ce genre. La démonstration de ce qui lui semblait évident aurait tenu en quelques mots obscurs et allusifs. Mais il avait prêté une oreille attentive aux explications de Luke, il avait multiplié les exercices, pour s’améliorer et, aussi, il fallait bien l’avouer, pour que son compagnon soit fier de lui : l’affection était une puissante motivation. Ses rapports étaient devenus, sinon limpides, du moins beaucoup plus clairs, et en cela fort différent des explications qu’il était capable de donner de vive voix.

Karm se pencha pour rendre son datapad à Evran.

— L’truc, c’est que j’peux pas non plus réfléchir dix minutes après chaque question. Puis aussi, des fois, j’sais pas, j’ai l’impression qu’y a des sénateurs, quand ils ont décidé que ça passera pas, ça passera pas, quoiqu’on leur raconte.
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Evran ne l’avait pas quitté des yeux pendant toute la séance d’écriture. Bien plus que de l’aider, il cherchait à le décrypter, à comprendre son mécanisme de la même manière que l’on comprend un vulgaire puzzle. La rapidité à laquelle il avait tapé le premier jet lui avait d’abord fait craindre le pire. Puis, dans un second temps, il vit l’Ark-Ni réorganiser, retaper, et fignoler son texte avec minutie. Un processus tout à fait normal, mais qui dura un bon moment. « Voilà » avait-il dit avant de se lancer. Et rien qu’avec les explications sur ce qu’il venait d’écrire, quelque chose semblait avoir changé. C’était minime, mais Evran avait pu le percevoir.
 
Evran devait s’avouer impressionné. Impressionné par le choix des mots, par la structure, et même par la plume, si on pouvait l’appeler ainsi. Même si la réponse de Karm s’avérait plus courte qu’il pensait, elle était concise et efficace. La longueur était même dans ce cas un avantage. Le résultat de sa petite expérience laissait le porte-parole complètement abasourdi, et perplexe. Il se félicitait d’y avoir pensé, certes, mais ne savait pas trop où amener cette avancée de manière concrète. Reprenant son datapad, il vérifia d’abord que le texte était identique à ce que venait de lui lire Karm. Mis à part quelques fautes plutôt communes chez la moyenne, l’ensemble demeurait parfaitement conforme. Karm, lui, ne semblait pas réaliser le potentiel de cette réussite. Et Evran se montrait forcé d’admettre qu’il n’avait pas complètement tort.

- Je sais bien, oui…

Mais, devant le défaitisme de l’Ark-Ni vis-à-vis la décision du sénat, le porte-parole s’empressa d’ajouter autre chose.

- Et non… tu serais surpris à quel point de nombreuses décisions sont prises chaque jour sur le coup de l’émotion, et non des faits. Il existe toujours un moyen de faire plier les gens.

Evran se mordit la langue lorsqu’il réalisa la vacuité de la phrase qu’il venait de prononcer. Il se tombait lui-même sur les nerfs, parfois. Les yeux vides, pensif, il resta un moment devant le datapad. Relisant plusieurs fois le texte de Karm, il avait l’impression de détenir la solution au problème entre ses mains. Comment pouvait-on faire preuve d’une telle compréhension de la langue tout en étant incapable d’appliquer ses concepts dans un autre contexte? Habituellement, même avec un temps illimité, les gens avec des difficultés ne parvenaient jamais à obtenir une syntaxe exemplaire. De quelle manière pouvait-il lier ces deux paramètres? Même s’il n’avait pas de réponse dans l’immédiat, il tenait à communiquer à l’Ark-Ni sa fierté.

- Écoute, je sais que tu penses que ça veut rien dire… mais moi je suis vachement content de ce que tu viens de rédiger, vraiment. Il faut juste, eh…

Evran était convaincu que l’écriture reflétait toujours le fonctionnement de la pensée d’un individu. Celle de Karm prenait simplement un peu plus de temps pour se manifester. Le responsable des communications se mit à penser à voix haute en continuant, espérant que ses paroles l’aideraient à décoder son propre fonctionnement cognitif.

- Il faut juste, je crois, trouver une manière solidifier le lien que tu fais entre la représentation auditive et visuelle des mots… et à accélérer un tantinet ce processus. Tu pensais probablement que je serais là pour égayer ton argumentaire, mais je ne pense pas que ce soit le nœud du problème. La communication passe avant tout par le comment. Le seul truc, c’est que c’est ce qui est le plus dur à modifier pour toi. Les différences culturelles et une certaine gêne; le comité peut passer outre s’ils comprennent clairement ton point.

Evran attendait de voir ce que son interlocuteur en pensait. Le temps était court, mais avec des efforts constants dans les jours à venir, il n’était pas impossible d’améliorer, et d’accélérer la manière dont il construisait ses phrases. Concision et structure étaient des synonymes pour le porte-parole : l’un aiderait forcément l’autre. Et bâtir un argumentaire, bien plus que conceptuellement, passait indéniablement par la langue. Karm n’avait pas besoin d’être parfait, il avait juste besoin d’éliminer le plus d’éléments frustrants dans sa deuxième audition, et ainsi éviter une seconde explosion. Evran pouvait probablement l’aider, mais sa méthode, comme d’habitude, ne serait pas de tout repos.
Karm Torr
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— Dis toi que c’était trois fois pire avant que Luke intervienne, alors y a de l’espoir.

Pendant un instant, Karm se demanda s'il n’avait pas fait une erreur, si mentionner encore une fois Luke n’était pas imprudent, s’il ne s’était pas trahi, s’il avait manqué de conserver le secret de leur relation auquel l’Hapien tenait obstinément. Ces inquiétudes qu’il n’aurait jamais formées par lui-même lui pesaient de plus en plus. Il fit son possible pour les balayer en se concentrant sur la tâche des jours à veni.

— Le truc c’est ça, confirma l’Ark-Ni après l’analyse d’Evran, les choses sont vachement claires dans ma tête mais elles sont clairement seulement pour moi, j’ai l’impression. Mais enfin du coup, c’est peut-être jamais qu’une question de réflexe.

Un peu comme un bon combattant qui se constituait d’année en année une précieuse mémoire musculaire, il devait apprendre à transformer les pénibles travaux de l’écrit en intuition à l’oral. Et ainsi donc, ils s’entrainèrent. Jour après jour, Karm retrouva Evran, et jour après jour, il tenta de transformer ses petites rédactions en réponses lues, puis en discours récités, puis en discours improvisés.

Ses progrès étaient inégaux. S’il enregistrait avec une vitesse parfois surprenante les termes et les tournures qu’Evran lui suggérait, il butait à chaque fois que la récitation se transformait en conversation et que l’autre Chevalier, endossant le rôle d’un sénateur même plutôt conciliant, lui imposait de répliquer en quelques mots à une question faite en passant. Il était rapidement devenu évident que la confiance en soi était le problème premier de Karm, le second étant qu’il ne faisait pas de différence très nette entre un discours qu’il aurait dû adresser à toute une armée et sur lequel reposerait les enjeux titanesques d’une bataille et l’audition qui relevait, somme toute, d’une simple formalité.

Quand le jour fatidique arriva, Karm n’était pas un orateur né mais il était assurément bien préparé. Il avait rassemblé tous les conseils d’Evran et tous les conseils de Luke, qu’il avait aussi sollicité constamment cette semaine-là, il maîtrisait son rapport sur le bout des doigts et il avait enchaîné les méditations pour trouver un peu de calme. C’était ce calme qui était mis à rude épreuve, alors qu’ils attendaient dans l’un des innombrables couloirs du gigantesque sénat galactique. L’experte précédente, une spécialiste de la communication interculturelle, était encore avec les membres de la sous-commission.

— T’aimes ça ?, demanda soudain et un peu brusquement le Chevalier à Evran qui l’avait accompagné. La com’, la politique, je veux dire. Ou c’est, disons, une obligation. Un devoir.

Karm savait qu’il y avait des Chevaliers qui remplissaient pour le Temple des fonctions particulières pour lesquelles ils n’avaient pas une passion réelle et néanmoins une compétence avérée. Il avait connu des experts comptables et logistiques à l’ExploCorps, pour préparer les expéditions, qui avaient sans doute dû rêver d’un futur bien plus héroïque et trépidant quand, jadis, ils avaient été formés enfants par l’Ordre.

— J’dis pas ça pour dénigrer, note. Je sais que c’est important. La preuve, c’est que moi, sans personne pour m’expliquer et me faire sentir, aussi émotionnellement quoi, l’importance de tout ça, la République, ça me resterait… étranger.

Et pour être honnête, la République lui était encore étrangère le plus souvent. C’était peut-être aussi son problème, devant la sous-commission : tous ces gens-là ne représentaient pas sa patrie à lui, sa culture à lui, ses valeurs propres, mais celles d’une vaste structure d’adoption, dont il s’adaptait tant bien que mal, parce qu’elle était inextricablement attachée à l’Ordre.

— Parce qu’en tout cas, si jamais un jour, t’as envie d’échanger les rôles, et que je te fasse découvrir la joie de cartographier un glacier inconnu sur une planète isolée, ce s’ra avec plaisir.

Karm avait une drôle de définition du plaisir, donc.

— Sans toi et Luke…

L’Ark-Ni avait beau essayé de se retenir, le nom de Luke n’arrêtait pas d’apparaître au détour de ses conversations.

— … j’serais sans doute roulé en boule sous ma couette en ce moment précis.

Une assistante parlementaire sortit brièvement de la salle pour leur indiquer que la sous-commission se consacrerait bientôt à l’audition suivante et Karm ne retint pas un soupir résigné.
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HRP:

C’était le grand jour. Bien qu’Evran eût d’abord pensé que son travail avec Karm ne durerait que quelques heures, il avait dû prolonger son séjour sur Coruscant afin de superviser ses progrès, tout en travaillant à distance sur ses dossiers prioritaires pour le temple d’Ondéron. Et tout ce travail en avait valu la chandelle, puisque les avancées de l’Ark-Ni avaient dépassé les attentes du porte-parole. Avec une meilleure confiance en ses capacités de communication, Evran était persuadé que Karm ne se laisserait pas marcher sur les pieds une deuxième fois.

Au matin, ils s’étaient rencontrés une dernière fois pour revoir quelques passages du rapport, faire les derniers préparatifs en prévision de la rencontre, et avaient ensuite voyagé ensemble jusqu’au sénat. Ils patientaient depuis une dizaine de minutes, sans mot dire, jusqu’à ce que l’Ark-Ni décide de lancer la conversation. La question, sortie de nulle part, l’avait presque tétanisé. Aimait-il seulement ce à quoi il consacrait sa vie depuis qu’il avait quitté le temple, des années auparavant? Evran ne répondit pas immédiatement, prenant le temps de formuler une réponse réfléchie.

- Ça dépend des jours… Aujourd’hui, je crois que j’ai envie de te répondre oui.

Puis, la phrase suivante de Karm l’amena à réfléchir davantage sur la question. Quelque chose l’avait forcément poussé à choisir ce champ d’études, même si la moitié de l’intérêt de trouver un emploi consistait d’abord à se cacher de l’ordre suite à sa désertion. Il fallait avouer qu’il avait eu une facilité maligne à saisir les aspects de la communication publique et de l’appareillage politique républicain. Car même sur une planète sith, il convenait de relayer l’information provenant de toutes les sources. Mais une en particulier chose liait intrinsèquement son travail journalistique à celui qu’il avait occupé en publicité.

- Le truc que j’aime, je crois, c’est la préparation qu’il y a derrière, justement. Quand on regarde une conférence de presse, ou alors un politicien s’exprimer, personne n’a envie de voir un texte lu derrière la performance, tu vois? C’est tout là l’art de créer de la spontanéité tout en choisissant des mots de façon parfaitement stratégique. C’est un peu comme façonner un holofilm, finalement. De créer la suspension consentie de l’incrédulité, dans tout…

Bientôt, la conversation se déplaça jusqu'à la porte, où l'experte précédente venait de quitter la salle d'audience. Karm proposa alors un échange de service pour l'aide que lui avait apportée le porte-parole. Une proposition singulière à laquelle Evran ria de bon cœur. Lui, cartographe? S’imaginer en train de crapahuter sur des planètes dénuées de toute trace de civilisation provoquait un sourire presque automatique sur son visage. Il n’y avait pas plus citadin qu’Evran Fykk dans toute la galaxie.

- Il faudra voir, oui.

Sa réaction provoqua un court silence pendant lequel il essayait de contenir son rire, un moment saisi par Karm pour le remercier, lui et Luke. Encore une mention du chevalier Kayan, à laquelle Evran sourcilla. Il n’y avait pas porté attention pendant ces derniers jours, mais réalisait maintenant que celui-ci avait été mentionné à de nombreuses reprises depuis leur première rencontre, d’autant que l’Ark-Ni avait souvent été en contact avec lui au sujet du rapport auquel il avait participé. Karm semblait éprouver beaucoup d’admiration pour lui à chaque mention, nota-t-il.

- Ça va bien se passer, dit Evran d’un ton se voulant rassurant.

Une assistante sénatoriale twi’lek déambula depuis le couloir, s’inclinant devant les deux chevaliers en les informant que les membres du comité décisionnel étaient prêts à recevoir monsieur Torr. Elle ouvrit alors la porte de la salle d’audience d’un geste lent, presque solennel. On pouvait voir dans l’interstice les sièges des sénateurs surmontant la petite table désignée pour Karm et Evran. Voilà qui annonçait déjà les couleurs du rapport de force qui allait s’opérer dans quelques minutes. Le porte-parole se tourna vers son collègue pour lui servir un sourire en coin, l’invitant à entrer le premier.

- Prêt?
Karm Torr
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— Absolument pas.

Et sur cette note ma foi fort optimiste, Karm pénétra dans l’arène. S’il avait été plus à son aise, plus sûr de lui, il aurait remarqué peut-être la nuance d’admiration qu’il y avait dans certains regards des politiciens rassemblés autour de lui, parmi les hommes, les femmes et les autres qui, après avoir lu son dossier, s’étaient pris à imaginer quel genre de tempérament il fallait avoir pour enchaîner les batailles depuis l’adolescence, survivre, et être prêt encore à servir la République.

Karm, lui, ne voyait que l’hostilité passive d’un décorum qui lui était étranger. Dans cette salle dépouillée, revêtu de sa robe de bure jedi qu’il ne mettait qu’en de si rares occasions, l’Ark-Ni se sentait fort mal à l’aise. Il ne tentait pas de faire illusion, parce qu’il avait convenu avec Evran que c’était une entreprise inutile et que même, quelque part, son embarras serait le signe de sa sincérité. Un Jedi en situation faiblesse, c’était pour ainsi dire rassurant, quasi une consolation.

Un sénateur qui avait assez de paires d’yeux pour en garder au moins une sur Karm et une sur ses notes entreprit de faire la lecture de quelques lignes protocolaires, qui servaient surtout à l’archivage futur de l’enregistrement, pour que chacun sût bien de quoi il était question et qui étaient les personnes en présence. Puis les questions s’engagèrent, d’abord purement techniques : pendant un bon quart d’heure, elles n’eurent d’autre but que de rendre les points les plus spécialisés du rapport clairs pour la sous-commission et, fort de toutes les comparaisons soigneusement préparées avec l’aide d’Evran, Karm s’en sentit honorablement, malgré quelques hésitations.

Petit à petit cependant, la situation se compliqua. Karm comprit rapidement que quelque chose commençait à songer quand les sénateurs commencèrent à s’interrompre les uns les autres, et être parfois plus occupés par leur débat entre eux que par les questions à l’expert qu’il était. Il prit cela pour un mauvais signe, par inexpérience, même si en réalité, cela voulait fatalement dire qu’une partie au moins de l’assistance était acquise à sa cause, et le défendrait, soit pendant l’audition, soit après.

Une sénatrice mirialane finit par demander :

— N’est-il pas exact que vous n’êtes pas Républicain ?
— Nan. ‘Fin oui. Euh…

Les interro-négatives, ce n’était pas facile.

— Je suis républicain.
— Mais pas de patrie.
— Pas de naissance.
— Vous venez, si je ne m’abuse, d’un groupuscule de pirates qui…
— Nomades.
— Pardon ?
— Nomades interstellaires, pas pirates. La Flotte Ark-Ni n’a jamais attaqué personne pour du butin.
— Question de point de vue.
— Question de fait.
— Je crains que nous nous éloignions du sujet, modéra le monsieur aux six yeux.
— J’aimerais simplement souligner que ce rapport, si enthousiaste pour des entreprises de colonisation plutôt que d’assimilation dans des mondes déjà existants, est caractéristique d’une volonté de désintégration républicaine qui n’est guère surprenante de la part d’un étranger issu d’une peuplade marginale.
— La peuplade a de super hyper-drives…
— Pardon ?
— Je veux juste dire que là, on dirait qu’on est des sauvages, à vous entendre, mais en vrai, si la moitié des vaisseaux d’la République tenaient aussi bien la route que les nôtres…

Karm s’interrompit, en se rendant compte qu’il ne serait peut-être guère opportun d’évoquer sa mission diplomatique toujours plus ou moins en cours, avec Luke, auprès de la Flotte. Il se contenta de hausser les épaules.

Une autre sénatrice intervint pour tenter de calmer le jeu.

— Il est certain que l’intégration paraitrait une mesure moins coûteuse et hasardeuse que la colonisation.
— Une mesure dont, curieusement, les deux seules à se faire les avocates sont celles qui ne risquent pas d’accueillir des réfugiés sur leurs planètes.
— Nous accuseriez-vous de…

Et pendant que la dispute recommençait, Karm se pencha vers Evran et demanda :

— C’est mieux, non, s’ils se crient les uns sur les autres plutôt que de crier sur moi ?

On a les progrès qu’on peut.
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Dès qu’ils entrèrent dans la pièce, Evran revêtit son masque. Inébranlable, froid comme les vents d’Ilum, voilà ce qu’il devenait en situation formelle comme celle-ci. Plus que d’habitude, du moins. Respectueusement, il s’inclina devant les membres de la sous-commission avant de prendre la chaise de métal qui se logeait sous la petite table. Théoriquement, il était inscrit comme observateur à la séance, et n’avait pas le pouvoir constitutionnel pour se prononcer ou participer d’une quelconque façon aux travaux de la sous-commission.

Le porte-parole resta de marbre pendant les premiers échanges. Tout semblait en ordre et Karm maîtrisait son sujet comme un acteur maîtrisait une pièce de théâtre. Aucune raison de s’inquiéter pour le moment, tandis que le chevalier jedi prenait des notes sur son datapad pour s’occuper les mains. Il nota les réactions des sénateurs ici et là, sans rien dénoter de potentiellement nuisible pour Karm. Du moins jusqu’à ce que cette mirialane ne vienne interférer. Car les discussions entre sénateurs, bien qu’elles indiquassent des désaccords assez fondamentaux, rendaient la tâche légèrement plus facile à Karm pour marquer des points importants.

Il se serra les dents à un moment ou un autre lorsque la sénatrice en question remit en question la validité du rapport à cause des origines plutôt particulières de l’Ark-Ni. Evran pouvait bien voir que ces attaques rendaient Karm mal à l’aise, mais avait du mal à voir le fondement dans les accusations de la sénatrice. Après une réponse assez boiteuse lancée sur le coup de l’émotion. Evran lui lança un regard acéré, lui implorant de revoir un peu son ton.

Heureusement, une autre sénatrice de la commission avait eu la bonne idée de s’immiscer dans la conversation et de sauver Karm d’un débat voué à l’échec. Evran souffla, constatant que le débat s’enflammait de l’autre côté de leur table. Bientôt, Karm avait l’air invisible aux yeux des sénateurs, ce qui avait l’air de ravir l’Ark-Ni. Mais peut-être que cette dispute rendait les choses personnelles pour les sénateurs qui s’étaient joints à la cause de la mirialane. Evran se pencha alors vers Karm pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille.

- C’est mieux, mais j’ai peut-être un truc…

Le porte-parole se leva alors, causant déjà quelques déviations de regards sur sa personne. Evran croisa les yeux de chacun d’entre eux, intimant fermement qu’il souhaitait prendre la parole. Il n’y avait qu’une chose au monde qui pouvait facilement leur clouer le bec : la menace actuelle à laquelle la galaxie faisait face. Et l’avantage, c’est qu’on pouvait l’assaisonner à toutes les sauces, cette menace. Suffisait de bien doser. Il évita de s’adresser directement à la sénatrice, de peur que l’on interprète son intervention comme une attaque personnelle vis-à-vis ses propos. Il fallait rester objectif.

- Monsieur le sous-commissaire. Nous savons vous et moi que l’intégrité même de la république est actuellement mise en péril par la menace planante de l’Empire Sith. Ces entreprises de colonisation que propose le chevalier Torr, bien que coûteuses, seraient une façon de consolider la structure de la République en marge de la bordure extérieure, et de raffermir la position de...

- De quel droit vous…

- J’offre ici une opinion du point de vue de l’ordre jedi, et non en faveur de l’expert ci-présent.

- Cette opinion n’est pas sollicitée, maître jedi.

- Si la République ne met pas en branle un projet de la sorte d’ici les prochaines décennies, d’autres le feront tôt ou tard…

Puis sur ces paroles finales, il reprit son siège et se tut, pour presque instinctivement se mettre à se ronger l’ongle du majeur. Suite à un embrassant silence, les sénateurs discutèrent à nouveau entre eux, cette fois-ci sur un ton moins explosif que tout à l’heure. Bien qu’absolument populiste comme propos, Evran savait que le simple fait de mentionner ce mot à quatre lettres s’avérait suffisant pour faire dresser le poil sur les bras de n’importe quel politicien républicain. Il angoissait seulement à savoir si son intervention précipitée était bien avisée, mais seule la suite des choses lui permettrait d'en juger. La dernière chose qu’il voulait était de mettre en jeu le travail de moine qu’avait accompli Karm sur ce dossier.
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— S’il vous plait… s’il vous plait… s’il vous plait…

Six-Yeux avait bien de la peine à faire taire les murmures que l’intervention d’Evran avait suscité, à mesure que chacun veillait à paraître prendre la pleine mesure de la menace, essentiellement pour l’objectif des holocaméras, qui diffuseraient l’enregistrement dans la République toute entière. En ces temps militaires, aucun sénateur ne pouvait se permettre de prendre la menace suprême à la légère. Il y avait trois choses avec lesquelles on ne plaisantait pas, quand on était un politicien républicain : le chômage, la criminalité et les Siths.

Un sifflement strident retentit brusquement, parce que le visage de Six-Yeux venait de s’ouvrir en deux pour laisser apparaître une série de petites mandibules parfaitement offusquées et même Karm, qui très franchement en avait vu d’autre, ne put s’empêcher de hausser un sourcil devant cette démonstration anatomique. En tout cas, tout le monde se tut et le vieux sénateur poussa un soupir cette fois-ci beaucoup plus supportable.

— Je voudrais rappeler à mes estimés collègues que nous ne sommes pas là pour juger du bien-fondé d’une politique de colonisation mais pour établir les meilleurs protocoles d’exploration des régions inconnues, que ces explorations conduisent à la colonisation, à des missions scientifiques à quoi que ce soit d’autre.

« Quoi que ce soit d’autre », en l’occurrence, ça voulait dire « rien du tout ».

— Je voudrais aussi souligner qu’étant donné les états de service du Chevalier Torr, il parait difficile de remettre en cause son attachement sincère à la République, qu’il a par ailleurs contribué de son temps précieux depuis plusieurs heures déjà au fil des auditions et qu’il serait bon que si personne n’a plus de question concrète, et j’insiste sur ce dernier mot, concrète, nous puissions le libérer et passer à nos experts suivants, à moins que tout le monde s’entende ici à demeurer sur Coruscant pour le week-end.

C’était la menace ultime, plus grave encore que celle des Siths : la perspective de ne pas pouvoir rejoindre son monde natal pendant quelques jours pour motiver les troupes, lever des fonds et préparer la prochaine campagne de réélection. D’un coup, tout le monde hocha la tête très sagement et Six-Yeux put recommencer en toute sérénité à passer la parole aux différents sénateurs, qui se lancèrent dans une série de questions purement techniques.

Karm y répondit avec une précision laconique, en l’occurrence bienvenue, et comme aucun sénateur ne comprenait ni ce qu’il demandait, ni ce qu’on lui répondait, parce que les questions avaient été préparés par des conseillers parlementaires spécialisés qui seraient aussi ceux qui analyseraient ensuite les réponses du Chevalier à partir des enregistrements, la conversation adopta un train alerte, qui se solda par des remerciements en bonne et due forme.

Evran et Karm furent ainsi excusés et reconduits par la même assistante dans le couloir du sénat, où ils croisèrent une humaine d’une soixantaine d’années, fameuse professeure d’ethnographie à l’université de Coruscant, qui venait à son tour partager ses lumières sur la question. Karm l’avait croisée une ou deux fois, lors de missions conjointes de l’ExploCorps avec les scientifiques de la République. Ils se serrèrent la main, échangèrent quelques amabilités, et la professeure fut conduite à son tour dans la salle des auditions.

Les deux Jedis se retrouvèrent seuls.

— Sérieux, c’est plus éprouvant qu’une rencontre avec un bataillon de droïdes.

Mais ça ce n’était pas trop mal placé. Son patriotisme demeurait probablement douteux pour une partie des sénateurs et sa pédagogie laissait sérieusement à désirer, mais entre le rapport et l’enregistrement qui trouverait son chemin jusqu’au bureau d’experts qualifiés, Karm était parvenu sinon à briller, du moins à limiter la casse.

L’Ark-Ni porta son regard dans celui d’Evran.

— Merci. Pour la préparation, mais aussi pour être intervenu au milieu du délire sur ma nationalité. Pour un peu, j’ai cru qu’on allait me demander un serment au drapeau ou quelque chose comme ça.

Mais en vérité, la sénatrice mirialane avait fait preuve d’une perspicacité certaine. L’attachement de Karm pour la République était plus que lointain et l’Ark-Ni avait du mal à en considérer les institutions comme celles de sa patrie d’adoption. Pour lui, la République tenait plutôt de la machine administrative et ce n’était pas son expérience avec le Sénat Galactique qui lui ferait croire le contraire.
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En voulant être rassembleur, il n’avait réussi qu’à attiser l’agacement des sénateurs les plus accrochés au protocole. Evran était resté parfaitement muet alors que l’élu l’avait bien remis à sa place sur son commentaire politique malvenu. Si l’affaire faisait trop de bruit, c’était le genre de dérapage qui pouvait l’emmener devant le conseil pour se justifier. Heureusement, ces platitudes républicaines n’attiraient que peu de cotes d’écoute dans la galaxie. Mis à part quelques politiciens trop informés et une poignée de curieux, il y avait fort à parier que personne ne ferait attention à ce débordement. D’autant plus qu’il avait fait de son mieux pour garder sa participation auprès de Karm relativement discrète. Seulement, ses propos s’écartaient de la ligne et avaient largement dépassé les limites de son rôle. La position officielle jedi n’était pas arrêtée sur la question, et pourtant Evran avait pris la liberté d’en inventer une entre deux virgules.

L’assemblée s’était rapidement conclue, les sénateurs estimant que toutes les réponses à leurs questions avaient été fournies. Dès leur sortie, Evran faisait de son mieux pour éviter le regard de Karm. Il avait l’impression d’avoir trahi sa confiance en intervenant ainsi. Une réplique lancée à sang chaud, irréfléchie, qui influencerait peut-être le processus décisionnel de la sous-commission. Au passage, ils avaient croisé une professeure qui connaissait les travaux de l’Ark-Ni, à qui Evran n’avait envoyé qu’un sourire poli, encore absorbé par ses pensées.

Enfin, seul à seul, le porte-parole ne pouvait plus vraiment ignorer l’existence de Karm, qui semblait, bien que fatigué, assez satisfait de la tenue de l’audience. Il accueillit son remerciement avec surprise.

- Non, je n’aurais pas dû m’en mêler. Je viens de m’imposer une semaine de travail à répondre aux questions qu’on va me poser sur cet extrait de quinze secondes…

Evran soupira, consterné. La possibilité que quelqu’un lui pose véritablement des questions restait mince, mais il préparerait tout de même une réponse au cas où. Chaque faux-pas de sa part causait chez lui une certaine paranoïa dont il ne pouvait se défaire.

- Je… c’était un plaisir. Tu me tiendras au courant des délibérations de la sous-commission. J’espère que cette fois sera la bonne. Tu as été formidable par rapport à la première fois, félicitations.

Un compliment qui se noyait dans une critique, mais c’était sans doute le maximum d’agréabilité qu’Evran était capable de fournir après une pareille séance. Encore maintenant, même une quinzaine de minutes après l’audience, il fulminait de l’arrogance avec laquelle les sénateurs avaient balayé ses propos. La rigidité du protocole pouvait parfois l’agacer, lui qui passait son temps à s’assurer qu’il soit suivi par tous. Mais bon, son travail était accompli, et Karm avait livré une performance très correcte; ce qui représentait un net progrès, comme il venait de le souligner. Le porte-parole savait qu’il n’était pas le meilleur professeur au monde, mais au moins le résultat avait peut-être permis de faire avancer une cause importante pour un collègue pour qui il développait une certaine empathie. Car si sa rencontre avec Karm eut été relativement brève, elle l’avait incitée à en apprendre plus sur ses origines et sur cette étrange flotte nomade dont le concept lui échappait un peu. Enfin, on ne pouvait pas être au jus de toute la diversité grouillant sur des millions d’étoiles non plus. N’empêche, à un moment où sa cote de popularité auprès de l’Ordre remontait difficilement, cela faisait du bien de se sentir en compagnie d’un allié qui ne cherchait pas à miner son travail ou à l’abaisser sur sa position. Non, Karm était reconnaissant même s’il s’était viandé, et Evran trouvait cela admirable. Solennel, il tendit la main au chevalier Torr.

- Si jamais tu passes au temple d'Ondéron, n’hésite pas à venir me saluer.

Puis, tournant les talons en direction de l'ascenseur, il ajouta simplement :

- Bonne chance.
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