Voyl Clawback
Voyl Clawback
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Coruscant - Quartier des Finances - Abysses - 9:34 pm

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Quand la petite navette quitta la frégate, il fait nuit sur le Quartier des Finances. Pour autant, toutes les tours y étaient éclairées comme en plein jour. C’était oublier qu’il ne faisait jamais nuit nulle part sur Coruscant.

Voyl regardait le paysage familier défiler par le hublot : cela faisait bientôt un an qu’il n’avait plus posé un pied sur cette immense pétaudière étagée. Il était surpris de constater qu’elle avait presque failli lui manquer ! L’agitation permanente, le trafic aérien, l’atmosphère écrasante, les lumières criardes et les gratte-ciels hétéroclites. Rien à voir avec l’austère verticalité et le marbre d’Harnaidan. Son vaisseau décrivit une courbe large et ronde près de la Tour du CBI, mais ne vint pas s’y poser, comme on était en droit de s’y attendre. Au lieu de cela, il emprunta un trajet bien plus inhabituel : la navette, flanquée de deux speeder armés, plongea brusquement dans les entrailles sombres qui soutenaient le quartier rutilant. Elle disparut en silence entre deux colonnes de défense, sa coque grise se fondant dans l’univers décoloré et froid qui s’ouvrait. Le gouffre ne semblait pas avoir de fond, il continuait de s’ouvrir devant le nez de l’appareil, tandis que Clawback regardait défiler les murs anonymes qui bordaient l’empire souterrain du CBI, autrement plus impressionnant en réalité que celui du haut, visible de tous. La navette ne s’arrêta pas pour autant aux portes de l’Arcology, et continua sa route, toujours plus loin dans le noir, dans un royaume qui sentait d’ores et déjà le soufre. Après un nombre impressionnants de tours et de détours entre des murs quasiment tous semblables, Voyl aperçut son point de chute.

Étage -4322 : Clawback indiqua l’une des entrées au pilote, qui s’amarra à la plateforme défraichie. L’endroit ressemblait plus au décor d’un mauvais holofilm de gangster qu’à un lieu de réunion pour hommes d’affaires. Les hommes de mains qui jaillirent des speeders ne ressemblaient pas non plus aux ordinaires agents de sécurités en costume. Mais plus à des mercenaires armés jusqu’aux dents, flanqués de militaires iotrans aux ordres. Clawback sortit en dernier, après que la zone eut été contrôlée, et ne s’attarda pas une seconde à l’air libre. Il avait par précaution revêtu un discret bouclier à champ de force, sous la forme d’une lourde ceinture par-dessus son éternel costume sombre. A sa droite, le fidèle Droomos dirigeait la troupe de chasseurs, secrètement fier de pouvoir prendre sa revanche sur un passé morose de criminel raté.

L’intérieur du bâtiment était tout aussi labyrinthique que ne l’était la zone entière. Ce qui avait pu un jour abriter des bureaux, ou peut-être un laboratoire, ressemblait à présent à une vieille planque de drogués peu portés sur le rangement.  Nul doute que les actuels squatteurs ne devaient pas craindre une descente de police. En revanche, ils ne s’attendaient pas à ce que les officiels bailleurs viennent leur rendre une visite… somme toute désagréable.

" Individu repéré à trente mètres, indiqua l’un des mercenaires.

-En formation. "

Droomos se tourna vers Clawback :

« Les ordres ?

-Très simples : je veux Coley vivant. Nettoyez le reste : pas de témoins. "

Une conclusion qui parut grandement satisfaire le Trandoshan en tête. Armé d’un fusil lourd, il ouvrit le feu dès que la sentinelle pointa le bout de son nez, expédiant le corps contre le mur d’en face sous la puissance du tir. Voyl grimaça. Il avait toujours détesté la violence… En être arrivé à ces extrémités lui déplaisait au plus haut point, d’autant plus que cette opération lui coûtait, dans tous les sens du terme. Mais le vieux muun, comme toujours, n’était mû que par la notion de nécessité : se débarrasser d’un individu devenu dangereux était une action nécessaire, et non pas une activité de loisir. Il ne se demandait même pas s’il aurait souhaité être ailleurs : c’était une évidence. Mais en l’occurrence, il ne s’était pas octroyé le luxe de laisser faire le sale boulot par d’autres. Cette fois, il comptait bien prendre part à l’action, même si, tout muun qu’il était, il restait absolument hors de question qu’il prenne le moindre risque. Le premier rang était donc composé de mercenaires recrutés pour l’occasion par ses soins : l’élite des chasseurs de prime, qui en avait vu bien d’autre. Impassibles, métronomes et implacables, les guerriers lourds entraient dans la planque comme des soldats partant en guerre. Il n’allait pas bon être de la bande de Coley M'acgor, ce soir.

Les coups fusèrent en tous sens dès que le premier chasseur eut repéré l’un des gardiens des lieux. En retrait, bien protégé par sa garde personnelle, Clawback laissa les professionnels faire le travail qui leur avait été commandé. A coup de fusil blaster automatique, les mercenaires trouèrent les murs de part en part, et tout ce qui se trouvait derrière. Le permabéton usé par des années d’absence d’entretien eut toutes les peines de la galaxie à retenir les décharges puissantes des armes d’assaut. Les quelques malfrats retranchés dans les pièces adjacentes tentèrent de répliquer, pris au dépourvu par cette attaque d’une rare violence. Il fallait dire que ce coin-ci était plutôt calme : pas de guetteurs, pas de rivalités. En réalité, ceux qui étaient logés ici l’étaient uniquement par le bon vouloir de ceux qui tenaient la surface au-dessus : l’antenne locale du CBI. Dont l’immense alien dégingandé qui dirigeait l’opération du jour avait aussi dirigé les ouailles durant plus d’une décennie.

Finalement, après une demi-heure d’une traque qui ressemblait davantage à un massacre en bonne et due forme, il ne resta plus qu’un couloir unique au fond de l’aile droite, où quelques barricades avaient eu le temps de se former depuis que l’on avait sonné l’alerte. Les mastodontes se firent un plaisir de les ôter du chemin, couverts par leurs camarades, alors que les derniers malfrats se retranchaient dans la pièce du fond, qui, à n’en pas douter, allait rapidement se transformer en fosse commune. Froid comme la surface de Hoth, Clawback ne bronchait pas, plusieurs dizaines de mètre en arrière, enjambant avec une indifférence royale les cadavres laissés par la troupe. Tout au plus, l’exercice lui arracha-t-il une grimace de dégout. Un bruit retentissant lui signala enfin que la porte blindée du fond venait de céder sous les tirs nourris de l’escouade. Quelques invectives plus tard, on lui rapporta que la voie était libre, et que celui qu’il était venu chercher se trouvait bel et bien ici. Un sourire carnassier illumina soudain la mine grave du banquier, qui entra dans la pièce à la manière d’un monarque triomphant, encadré de ses braves soldats. La seule différence était que Clawback ne portait aucune couronne, et que les soldats en question avaient une morale et une fidélité tout à fait négociables. Le fameux Coley, un proche-humain à la peau mate et aux implants bioniques un peu vieillots, tenait la place centrale de la scène, au milieu de ses subordonnés sacrifiés sans vergogne. Maîtrisé par deux des Trandoshan entrés en premier, désarmé et ligoté, le chef de la bande qui avait occupé les lieux depuis des années releva le menton pour toiser le muun avec une certaine surprise, avant de s’exclamer, narquois :

" Tiens, tiens, tiens ! J’étais sûr qu’un jour où l’autre, je finirais par revoir ta face de mur, Clawby ! Toujours aussi magnanime, hein ? Alors, comment ça va ? "

Glacial, Clawback répondit avec une désinvolture qu’il ne réservait qu’à ceux qu’il méprisait cordialement :

" J’ai toujours détesté les familiarités. Surtout de la part de gens mal élevés. "

Comme s’il prenait cette réplique pour une autorisation explicite, l’homme de main qui tenait Coley s’empressa de lui broyer l’épaule d’un coup de poing bien placé. L’homme grogna, mais garda contenance – sans doute habitué à la rudesse des combats physiques. Il ne dévia pas de Clawback, une sorte d’amusement blasé dans les yeux.

" Allons, depuis qu’on se connaît, tous les deux ! Tu vas pas me faire le coup du type coincé ? Tu sais que ça prend plus, avec moi. Garde ça pour tes copains de la Bourse, hein ! Entre nous, vaut mieux bien faire la séparation entre les deux univers, non ? C’est ce que tu m’as toujours dit. On sait jamais, ça ferait tâche si les gens savait que tu me fréquentes… "

En l’attaquant ouvertement, Coley ne s’attendait visiblement pas à ce que le banquier se mette soudain à rire. En fait de rire, la voix nasillarde de Voyl prenait des accents proches du croassement.

" Que je t’ai fréquenté, tu veux dire ? ricana Clawback, tu peux parler au passé, Coley. Hélas, mon métier fait que je ne fréquente pas toujours les personnes que je voudrais. Je suis obligé de composer, parfois d’improviser. J’ai eu affaire à tout ce que la galaxie compte de pire, durant toutes ces longues années de voyages commerciaux. Le fait que je sois un bon financier réside précisément dans le fait que je sache justement mettre fin aux relations lorsque cela s’avère nécessaire. Ou qu’une poursuite s’avère inutile, voire néfaste.

-Oh ! Excuse-moi. A l’époque, tu m’avais bien dit que tu avais besoin de quelqu’un comme moi, non ? Arrête-moi si je me trompe ! Parce que c’est bien ce que tu voulais ? J’imagine que sinon, tu serais aller voir ailleurs ? Non ? Sans déconner, c'est comme ça que tu r'mercies les types qui bossent pour toi ?!

-C'est ainsi que je remercie les types qui me trahissent. "

Le regard violet de l’alien se fit dangereux.

" Tu l’as dit toi-même : je ne me déplace jamais en personne pour des futilités. "

Un silence ponctua sa déclaration, où chacun se mit à jauger le contenu de la conversation sans réellement en connaître la teneur. Le malfrat gratta machinalement sa rotule intacte contre le sol, avant de prendre une inspiration bruyante, son regard faisant le tour de la troupe patibulaire venue le coincer jusque dans son repaire.

" Alors c’est ça, hein ? Je me doutais bien que tu allais pas aimer que j’en demande trop. Mais est-ce que c’est trop en demander que de vouloir profiter de services rendus pendant près de vingt-ans ? Hein, dis-moi Clawby ? Tu accepterais d’être payé des clopinettes pour le boulot que tu fais ? Essaye de me faire croire ça… "

Clawback ne broncha pas. Pour lui, Coley était déjà mort : il l’était depuis que W. l’avait appelé en pleine nuit, apportant sans même trop le savoir une pièce centrale à un puzzle qu’il avait presque fini par oublier de résoudre, précipité dans les évènements récents. Un puzzle qui avait manqué de lui coûter ses deux jambes, au passage, et qui lui avait valu de se balader désormais les trois quarts du temps avec une canne, à la manière d’un vieil aristocrate.

" A l’époque tu étais quelqu’un d’intelligent, de prudent et de compétent, Coley. Mais aujourd’hui, il est évident que le succès t’est monté à la tête. Tu t’es relâché, endormi sur tes lauriers. Pire, tu t’es cru tellement à l’abri que tu as voulu me la faire à l’envers, en pensant que ceux qui te payaient seraient de meilleures pâtes que moi. J’espère que tu comprends qu’une personne comme moi ne peut pas le tolérer ? De quoi aurais-je l’air ?

Et entre nous, la notion de morale n’existe pas sur Muunilinst : ce mot ne se traduit pas, dans notre langue. La seule chose qui s’en rapproche est celle de " contrat ". Je n’ai signé aucun contrat stipulant que je devais tolérer ton idiotie ad vitam aeternam. Je vais même aller plus loin dans la réflexion : qu’est-ce qui me pousserait à conserver un homme qui a cherché à me nuire ?  Car c’est bien le tout de cette histoire. Tu as joué, tu as perdu. Tu peux remercier W. de n’avoir fait que son travail, car avec plus de zèle de sa part, je suis certain que je serais tombé sur cette étrange coïncidence bien plus tôt.
"

Le visage du gangster se tordit. La colère et la rancune le hantaient d’autant plus qu’il se savait fini. Avait-il été trahi ? Pour lui ça ne faisait aucun doute, mais il était trop tard pour se poser la question.

" Alors c’est elle qui m’a balancé ? Incroyable… Franchement Clawby, je te comprends pas : t’as de quoi te payer les meilleurs agents Bothan de la galaxie, et tu continues à payer cette nana pour qu’elle fasse le ménage sur ton répondeur ? Sans déconner ! "

Il n’aurait finalement jamais le temps de dépenser les millions de crédits qu’il avait si durement gagné. Rien que pour cela, il fulminait de rage derrière son masque de vieux space-cowboy décontracté.

" W est une ratée, une demeurée paumée qui profite de toi comme cet espèce de poisson mal défraîchi que t’as engagé pour buter les types comme moi ! Tu te crois plus malins que ces trous de derche qui hantent le Sénat et qui achètent tout le monde pour croire qu’ils ont le pouvoir, mais au fond t’es pire qu’eux ! Parce qu’eux au moins, ils assument. "

Droomos se crispa, une main sur la crosse de son blaster, furieux. Coley sauta sur l’occasion pour vider son sac, sentant l’autre très réceptif à sa provocation.

" Ouais, fais pas le malin, t’auras l’occasion de te faire plaisir quand on aura fini ! – T’es aussi pourri que les autres, Clawby, t’as juste pas le cran de te l’avouer. Tu aimes que les gens te croient aussi blanc que les tours d'Alderaan, mais t’échappe pas aux bonnes vieilles règles. Allez dis-moi, combien de mecs se sont fait descendre pour avoir essayé de t’épingler ? Combien de petites chiures comme moi tu as aligné pour jouer les grands maîtres de la surface de ce merdier qu’on appelle un « quartier » ? Les muuns adorent se la jouer grands prêtres de la vertu, alors qu’au fond vous n’êtes que des mégalos frustrés, incapables de régner autrement que par le fric ! Vous prétendez faire régner l’ordre dans vos pénates, alors que la seule chose que vous savez imposer c’est la loi du plus blindé de thunes ! Tu parles d’une morale ! Tu vas me faire croire que les gens de ce trou à rats t’apprécient parce que t‘es un mec bien ? Les gens t’apprécient parce qu’ils savent que s’ils ne t’apprécient pas, ils sont morts. Comme tous les mecs qui étaient venus crécher ici ce soir, et qui avaient rien avoir avec tes combines ! Et qui sont crevés quand même ! "

La diatribe eut un effet impromptu. Coley vit Clawback se plonger dans ses pensées, se détourner de lui pour faire quelques pas dans la pièce en zigzaguant entre les armes, toujours pointées sur lui. Tout en regardant l’un des ordinateurs éventrés, Voyl s’adressa de nouveau à son otage.

" Tu as parfaitement raison, Coley. Je suis en effet pire qu’eux. "

Quand il revint vers lui, son visage plat arborait un sourire plein de sarcasme et de mépris.

" Parce qu’aucun d’eux n’irait s’abaisser à faire le sale boulot : ils continueraient à faire hypocritement ce que j’ai toujours fait. A payer des petites mains pour éviter de se faire éclabousser. A se retrancher derrière leurs hommes pour ne pas avoir à se reprocher un acte réprouvé par les lois de la République. Pour ne pas avoir une seule goutte de sang sur leurs manches immaculées. "

Voyl avait dit tout cela d’un ton presque professoral, grave et sévère comme à son habitude. Puis il marqua une pause, et il changea brusquement de registre, comme pour noter que ce soir faisait exception à toutes ses règles. D'un geste lent et calculé, il glissa l'une de ses mains dans le revers de sa veste et en tira un objet qui tenait dans le creux de sa paume.

" Mais moi, " mon cher Coley ", je ne tolère pas que l’on porte atteinte à ma personne. Jamais, pour rien en cet univers, je ne tolèrerai cela. Tu as fait l’erreur de croire que je resterai tétanisé de peur face à autant d’audace. Tu n'imaginais sans doute pas à quel point les crapules de ton genre m'indiffèrent. Comme tout ceux qui perdent un jour leur pari, tu vas payer. Mais cette fois, c’est un paiement très particulier, que je suis venu exiger en main propre. "

Coley comprit alors que ce qu’il avait pris pour un brouilleur était en réalité une arme. Un pistolet de secours, vaguement trafiqué pour rentrer aisément dans la poche d’une veste. Une arme à la puissance de feu risible… sauf à courte portée. Ce détail avait toute son importance lorsque l’on savait que le bras de Clawback devait faire dans les un mètre cinquante, et qu’il se trouvait présentement à moins de deux mètres de lui. Coley ne savait pas grand-chose sur les muun, sauf sans doute qu’ils étaient d’un sang-froid à toute épreuve.

" Chez moi, il y a un prix pour toute chose, y compris pour la vie des individus. J’ai acheté la tienne : j’en fais ce que bon me semble. Et il me semble bon de prouver de manière très tangible que mon pouvoir est bien réel, et non fantasmé, comme les gens de ta trempe semblent naïvement le croire. "

L’humain vit le muun s’avancer droit sur lui sans frémir, et braquer le canon de son arme sur sa tête, avec un geste qui indiquait clairement un entrainement minutieux au maniement de ladite arme. Coley tiqua : depuis quand ce grand dadet pédant avait-il appris à tirer au pistolet ? C’était ridicule ! Autant demander à un ponte neimoidien de passer le balai ! Comme pour éviter de dévoiler son trouble, le criminel cracha :

" Vraiment ? Sans blague ! J’ai jamais vu un muun avoir le cran de tirer sur qui que ce soit. Même tuer une mouche c'est au-dessus de vos forces ! » le nargua Coley, venimeux, Évite de te ridiculiser, t’es déjà assez pathétique comme ça ! Demande plutôt à ton poisson rouge, il en meurt d’envie ! "

Étrangement, Clawback ne se sentit nullement atteint par autant de provocations et d’insultes. La sensation du métal tenu avec fermeté entre ses longs doigts lui donnait un sentiment de puissance nouveau. Il avait, littéralement, la vie de ce chien entre ses mains. Il toisa une dernière fois Coley de toute sa hauteur, découvrant avec une pointe de timidité naïve cette exaltation taboue et honnie, la joie sauvage de pouvoir abattre pour de bon un ennemi. Jamais il n’aurait pu soupçonner qu’un tel acte, qui le révulsait au plus haut point en temps normal, puisse maintenant lui faire l’effet d’une délivrance. C’était comme s’enlever une écharde plantée là depuis des lustres. L'air déboussolé de Coley ne faisait qu'ajouter à ce moment particulier le plaisir de briser des certitudes ancrées de longues dates.

" Enchanté de pouvoir te faire découvrir certains des nombreux mystères de cet univers. " lâcha-t-il, le plus sérieusement du monde. Il posa l’extrémité du canon entre les deux yeux de son ancien employé, et appuya sur la gâchette.

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Une heure après être entrés, les visiteurs tardifs ressortirent du bloc, avant d’y mettre le feu. Clawback ordonna la destruction de tous les documents en possession de Coley, et ce qui avait été le quartier général du Grey Falcon partit en fumée devant le regard satisfait du groupe. Voyl chargea la sécurité de déclarer un incident technique et de mettre en règle toutes les procédures pour faire intervenir les équipes chargées d'éteindre l'incendie et de classer l'affaire : en clair, la planque n'existait pas et n'avait jamais existée. Alors que les flammes se mettaient à galoper en dehors des ouvertures du bâtiment, le vaisseau avait récupéré tous ses occupants pour filer à vive allure vers la surface.

Voyl tenait toujours son pistolet à la main, encore stupéfait de s’être vu agir de la sorte. A bien y réfléchir, il s’étonnait d’en être arrivé là. Sa dent contre Coley et son rôle ignoble dans l’attentat de Kuat étaient-ils suffisants pour justifier que lui, notable irréprochable, se soit transformé en tueur l’espace d’une soirée ? Mais il ne pouvait plus faire machine arrière. La galaxie venait d’entrer en guerre, et lui, venait d’affirmer de manière sanglante sa position de vainqueur sur ceux qui avaient voulu l’éliminer. En réalité, Voyl le savait, la chasse ne faisait que commencer : Coley n’avait été qu’un exécutant, et le véritable ordonnateur de cet assassinat raté n’était pas un rat des bas fonds. La route serait longue avant qu'il n'ait sa véritable vengeance, mais Clawback était devenu coriace, avec les ans.

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W lorgna en direction de son employeur. Clawback était assis sur la banquette en face d’elle, plongé dans la lecture d’un rapport quelconque. Il semblait complètement absorbé par ce travail, comme toujours, mais la détective savait que ce n’était qu’une façade. Le cerveau de Clawback possédait autant d’entrée qu’un supercalculateur, et elle se savait surveillée même à cette distance. Après avoir tenté sans succès de décrypter la mine fermée du banquier, elle se risqua à parler la première.

« Je suppose que poser cette question est dangereux pour mon matricule, mais j’aimerai savoir : c’était qui, ce mec ? C’est la première fois que j'entends quelqu’un vous tutoyer. »

En réalité, elle avait presque envie d’ajouter " et que vous êtes allé jusqu'à déquiller vous-même ", mais elle garda sa pensée pour elle. Elle savait le sens de l’humour du muun très limité et déjà bien émoussé par la soirée.

« Personne que vous n’auriez aimé connaître, grommela Voyl sans lever le nez. »

Il venait d’abattre un homme de sang-froid, et cela ne semblait pas l’affecter le moins de la galaxie. W soupçonnait qu’il ne s’agissait que d’une façade. Savoir ce qu’un muun pensait relevait de la cryptologie de haut niveau. En outre, le visage de Clawback était à présent aussi hermétique qu’une huître, dépourvu de toute expressivité.

" Certes, j’imagine bien vu la conclusion de l’histoire… Mais vu ce que j’ai découvert sur son compte, et votre réaction, j’espère que vous comprenez l’origine de ma curiosité. "

Les doigts de l’alien continuaient de pianoter avec grande agilité sur l’écran, tandis que la jeune femme se demandait si, cette fois, elle n’allait pas vraiment trop loin.

" Que je comprenne l’origine de votre curiosité et que je tolère votre intrusivité sont deux choses bien distinctes, Miss W. Qui n’incluent aucun lien logique entre elles, et donc, par conséquent, aucun lien de cause à effet. "

Une véritable et authentique langue de bois. Ce qui, venant de quelqu’un d’aussi franc et décomplexé que Clawback, signifiait simplement qu’il ne fallait pas aller plus loin.

" Donc j’en saurais pas plus. "

Encore une fois, elle échoua à briser le silence. Les bras croisées, W pensa d’abord se résigner à oublier l’affaire, quand son regard tomba sur la canne que Clawback trimbalait à présent avec lui. Ce détail l’encouragea à revenir à la charge : il y avait peut-être un angle d’attaque. Elle en savait peu, mais assez pour savoir que le sous-directeur avait souffert de l’incident qui avait déclenché toute cette cabale.

" Ce type a quand-même manqué de vous faire sauter, quoi ! Il vous ait jamais venu à l’esprit qu’il devait forcément avoir des complices ? Comment je peux faire mon travail si vous vous complaisez dans cette omerta ?! "

Voyl poussa un soupir lourd d’exaspération.

" Vous n’êtes pas obligée de faire des suppositions, W. ! Oui, " ce type " avait des complices, et oui, je me complais dans l’omerta si cela me chante. C’est le privilège des gens comme moi : prenez cela dans le sens qu’il vous plaira, le résultat de l’équation est identique. A moins que vous ne pensiez que votre travail pour moi est une perte de temps, auquel cas je songerai à ne pas renouveler votre contrat. "

Venant de lui, la menace était sérieuse. Elle eut aussitôt envie d’ajouter qu’elle n’avait pas l’intention de se faire abattre à son tour pour le simple motif qu’elle en savait trop. Comme s’il avait deviné la teneur de ses pensées, le muun précisa :

" A tâche pour vous de prouver que vous êtes une véritable professionnelle du renseignement, et d’honorer le sens du secret professionnel. "

W. eut une grimace, celle que l’on aurait prêté à une enfant à qui l’on venait de refuser une confiserie. Avec un sursaut de lucidité, la jeune femme parvint à gommer sa déception pour se concentrer de nouveau sur le ciel nocturne de Coruscant.

" J’espérai juste qu’après dix ans à remuer la fange à votre place, j’aurais droit à… un peu plus de considération ?

- Vous avez ma considération, W. ! Si vous ne l’aviez pas, vous ne seriez pas assise sur ce siège ! Vous pouvez me croire. "

Le ton ne laissait pas de place au doute. L’œil clair de W. scanna le vieil alien de la tête au pied, inquiet. Le problème d’avoir affaire à une autre espèce que la sienne était que l’on ne pouvait pas être sûr du degré de dangerosité de telle ou telle phrase. W. n’avait jamais vu Clawback autrement qu’un vieil aigri accroché à ses dossiers et à son argent, toujours occupé à mille choses et ayant horreur des imprévus. Mais au fond, elle ne connaissait pas Voyl Clawback, même après avoir travaillé pour lui plus longtemps que pour tous les autres avant lui. Ce type était une forteresse grise et froide, elle en venait parfois à douter qu’il puisse ressentir autre chose que du mépris pour autrui et de l’avidité pour ses finances… Tout ce qu’elle avait réussi à trouver sur lui en fouillant scrupuleusement les endroits les plus glauques de l’Holonet, c’était une vieille histoire concernant sa mère, une avocate de renommée galactique, sur des disparitions suspectes liées à des rumeurs de complot. Hormis les banalités sur son compte, Clawback semblait n’avoir aucune autre existence que celle que lui prêtaient les bafouilles banales ou complaisantes des revues économiques et financières. Même les anciens évènements de délations sur Aargau ne comportaient bizarrement rien de bien compromettant : comme si les muuns étaient de parfaits automates, propres et nets. W. venait pourtant d’entrevoir quelque chose qui lui laissait un désagréable goût de pourriture sur la langue, comme lorsque l'on ouvre un yaourt laissé là depuis dix ans par mégarde.

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