|
Qui vérifia une dernière fois les commandes pour s’assurer que tout était en ordre. La navette filerait jusqu’à sortir de l’hyperespace, en attendant, son intervention n’était plus nécessaire. Il fit pivoter son fauteuil et remarqua que l’Apprentie s’était ostensiblement installée dans le petit salon de la navette, l’invitant implicitement à la rejoindre – ce qu’il fit. Il ne releva ni les remerciements, ni les compliments, se contentant d’un signe respectueux de tête facilement traduisible par un « c’est un honneur », après quoi, elle reprit.
« Je dois avouer que vous avez piqué mon intérêt lors de votre intervention concernant les traîtres infiltrés dans l'Académie de Korriban. Vous avez fait preuve de diverses qualités que la Dame Noire apprécie au plus haut point et c'est pourquoi j'aimerai connaître votre avis sur cette mission. »
La traque des traîtres de Korriban. Plusieurs mois d’enquêtes. C’était presque par hasard qu’il s’était trouvé mêlé à cette opération ; Darth Indŏles ayant décrété qu’elle avait autre chose à faire. Qui s’était révélé un inspecteur de talent. C’était indéniable, il avait une facilité déconcertante pour s’insinuer dans l’esprit des suspects. Pas un goutte de sang n’avait été versé et, contrairement aux autres inquisiteurs, Qui n’avait accroché aucun accusé à tort à son tableau de chasse.
« Je suis heureux de voir que vous appréciez mes méthodes. Mes collaborateurs ne semblent pas avoir saisis toute la subtilité que demande une enquête efficiente. Un être torturé finit toujours par vous dire ce que son bourreau veut entendre, est-ce pour autant que ses dires contiennent plus de vérité ? Enfin, le complot a été éventé à temps, le pouvoir de notre Dame Noire en sort grandit, avec lui, la stabilité de son Empire. »
Il marqua une pause. Sa loyauté à Darth Ynnitach était honnête. Bien qu’il réprouva les tendances sadiques de son monarque, il devait avouer qu’elle tenait son Empire d’une main de faire et ne laisser pas le chaos régner dans ses rues. Les criminels étaient châtiés, la récidive impossible. Quelque part, le régime Sith réussissait à protéger le commun plus efficacement que l’Ordre Jedi. Il suffisait de le guider vers un mieux et de ce pouvoir pourrait jaillir peut-être une harmonie plus grande encore ?
« Mon avis ? Pour être honnête, l’incompétence d’un cadre de l’Empire si haut placé me navre et une dégradation immédiate au rang de simple secrétaire dans le dernier des bureaux de nos colonies me semble tout indiqué. Cependant, je dois vous faire part d’une inquiétude : si notre Sith’ari vous envoie, son unique Apprentie, à la recherche de ces données, ne déclare-t-elle pas, de façon criante, leur préciosité ? Pourquoi ne pas les avoir récupérées avec davantage de discrétion ? Certainement n’ai-je pas toutes les cartes en main ? »
Qui se prenait lui-même en exemple : jamais il n’aurait eu connaissance de ces informations si on ne l’avait pas chargé de les retrouver. De fait, s’il y avait danger d’une fuite, braquer le projecteur le plus efficace de l’Empire sur la chose à cacher ne lui semblait pas être la meilleure idée. Avec un sourire, il se rappela de cette affaire, il y a quelques semaines, dans les couloirs de l’Université. Une professeur s’était trouvée à être pris en holovidéo dans une situation fort embarrassante et plutôt que d’accepter le chantage qui lui était fait, elle avait cherché par tous les moyens à châtier les délinquants qui s’étaient empressés de révéler le méfait et de démultiplier les copies afin de faire diversions et de brouiller les pistes. L’« effet Darth Streisand », du nom du professeur en question, était déjà un objet d’étude à part entière dans certains départements de l’Université.
|
« Sauf votre respect, Madame, je ne saurais que trop vous encourager à la méfiance. La cruauté n’est pas d’une grande aide à la gouvernance. Inspirer la crainte, c’est ce que vous espérez en faisant peser la menace de la torture ? Tss… Cela n’encourage les fautifs qu’à cacher leurs erreurs plutôt que de les assumer, cela fait tomber des têtes là où elles auraient été plus utiles à se racheter. Dompter un Nexu, brisez-lui les pattes au prétexte qu’il aura mangé avant que vous n’en donniez l’ordre et quoi ? Il mourra, il aura souffert et vous ? Vous aurez perdu votre temps, ce que vous aviez investi d’énergie, vous l’avez gaspillée, et ce, sans compter les crédits que vous avez dilapidés dans une entreprise infructueuse.
La culpabilité, le sentiment d’honneur bafoué, la honte. Vous avez là autant de moteurs qui peuvent pousser l’homme tombé en disgrâce à se transcender. La douleur, lorsqu’elle n’est pas acceptée, lorsqu’elle n’est pas combattue, lorsqu’elle n’est pas choisie comme un adversaire à écraser ne grandit personne, n’impressionne personne. Soumettez un homme à la torture et vous n’aurez rien de plus que ce que vous aviez déjà : un homme brisé davantage s’il l’était, un homme d’autant plus décidé à vouloir votre mort s’il l’était.
Vous savez, en vérité je vous le dis, je pense que la torture est avant tout une affaire d’ego. Elle est un moyen d’exacerber le sentiment de domination du bourreau, simplement ; sans public, elle n’est même pas une démonstration de force. Non, décidément, la torture ne me semble pas être un élément stabilisant et utile à une société efficiente. La peine de mort ? Je n’y crois guère plus. Qu’un homme faute, qu’il soit convaincu d’avoir aucune chance d’échapper à cette condamnation sinon en fuyant, en échappant aux autorités, et de n’importe qui vous ferez un forcené. Les handicapés, les détraqués, les improductifs, oui. Les officiers ayant commis une erreur ? La mort est un gaspillage d’énergie terrible. Les travaux forcés, la servitude, tellement de façon de convertir cette énergie afin qu’elle devienne utile. N’est-ce pas le but des Sith ? Le contrôle, de la Force et de sa puissance d’abord, puis d’autrui, afin qu’advienne un ordre nouveau ? durable ?
Enfin… Voilà que je m’éternise, que je soliloque, alors que nous devrions nous concentrer sur la mission à venir, non ? »
C’était évident, en se montrant parfaitement honnête, Qui n’allait certainement pas faire entendre uniquement ce que le premier Apprenti de l’Empire souhaitait entendre. Soit, s’il devait tomber en disgrâce, autant que ce soit celle de quelqu’un d’important. Quoi de plus humiliant que d’être humilié par un quidam ? En vérité, sa volonté de faire jaillir du chaos sociétal actuel un ordre stable et pérenne pour chacun passait avant sa survie et comment entraîner le changement si vous ne commenciez pas par l’énoncer d’abord ?
« Les Services Secrets n’ont pas voulu me communiquer les détails de la mission par holotransmission, de peur que quelqu’un n’écoute visiblement. De fait, je n’ai que très peu d’informations sur la situation que nous sommes sur le point de traiter. »
Tandis qu’il parlait, Qui convoquait pour lui seul les informations présentes sur le réseau impérial à propos de Destrillon. Une planète inhospitalière, à l’atmosphère instable, connue pour être riche d’un gaz dont ne sait pas encore trop quoi faire bien qu’on sache qu’il est l’un des composants du Bacta : le tibanna. En réalité, il serait même dangereux de sortir sans combinaison atmosphérique, ce qui n’allait pas faciliter les déplacements.
« Avez-vous des informations topographiques, contextuelles dont je devrais me soucier, Madame ? »
|
Ce point de dogmatique étant écarté, la question se recentra sur l’objet de leur venue : l’appel de détresse. Assez clairement, la situation ne se présentait pas à leur avantage et, encore plus clairement, le Guerrier n’était pas un habitué de ce genre de sauvetage.
« C’est avec bien peu d’informations que nous avançons, Madame, vers ce péril indistinct. Je n’oserais vous mentir et vous cachez mon inquiétude. Gardons la prudence de notre côté, mieux vaut garder notre distance avec le site immédiat du crash, qui sait si nous ne serions pas abattu en vol si nous en approchions ?
Destrillion n’est pas la plus accueillante. Son atmosphère perturbée nous oblige à revêtir des combinaisons de protection, son air est irrespirable, et nous ne saurions être parfaitement à notre aise dans ces équipements ; or, si quelque ennemi nous attend déjà, le moindre tir pourrait s’avérer mortel, si l’étanchéité de nos protections venait à être compromise. »
La carte de la zone, d’un rouge phosphorescent, indiquait clairement le lieu du crash : le fond d’un canyon aux allures de dédales. Il n’y avait aucun signe d’habitation sur cette planète inhospitalière – qu’elles fussent sensitives ou animales. De pirates de l’espace, probablement ? Il fallait l’espérer, si l’ennemi se révélait être de près ou de loin lié à la République, les répercussions seraient terribles.
« Ce n’est pas un hasard si notre homme s’est écrasé là. En se faufilant ainsi dans les méandres du canyon, il a fait la preuve de son habileté et de son génie : les ennemis n’ont certainement pas pu se poser dans son immédiate proximité, il a ainsi gagné du temps. Le mieux serait probablement de nous poser ici, il indiqua l’entrée du dédale de canyon la plus proche du lieu présumé du crash, s’il y a eu ou s’il y a encore une présence hostile, c’est ici. Soit nous les intercepterons à temps, soit nous remontrons leurs traces jusqu’au site de l’accident. Qu’en dites-vous ? »
Il tourna son regard mort vers l’Apprentie. Il ne comprenait pas encore bien les raisons de sa présence mais il comptait aiguiller au mieux cette jeune fleur. C’était la première fois qu’il se trouvait si près des hautes sphères du pouvoir, il ne pouvait – désireux de poursuivre son idéal – laisser filer entre ses doigts cette occasion d’exposer ses compétences. Certes, il eût espéré qu’on lui donnât cette occasion en un autre contexte, lequel lui eût été plus avantageux, mais soit ! Il devrait mettre de côté ses propres craintes et montrer le visage le plus imperturbable. Cette idée l’amusa un peu, sans que son attitude ne le trahît. Avec le recul, le visage d’un Kel’Dor devait, en toute circonstance, paraître imperturbable aux autres espèces – au moins cela serait facile à tenir.
|
Suivant les ordres que sa supérieur venait de lui prescrire, Qui abandonna la table holographique pour gagner le poste de pilotage. Les coordonnées saisies, il entama la descente dans l’atmosphère, laquelle fut pénétrée aisément du fait de sa faible densité. Le ciel, d’un noir profond, ne parvenait pas à accrocher le moindre nuage, faute de pression suffisante, et de violentes bourrasques de vent balayaient les cieux de façon totalement imprévisible. Bien qu’il ne fût pas un piètre pilote, le manche était difficile à tenir et par endroit, les instruments relevaient des tensions accumulées dans l’air plutôt inquiétantes – des orages pouvaient éclater partout.
Comme il ne pouvait rester en altitude, il fit prendre à la navette un chemin en rase-mottes, espérant que leur vitesse et les préoccupations des éventuels ennemis suffiraient à les masquer. Alors qu’ils arrivaient tout juste à portée de scanners, plusieurs instruments se mirent à clignoter et la console secondaire se mit à biper de façon inquiétante.
« Madame, les instruments annoncent un orage en approche, quoique nous fassions, nous devrons le faire vite ou dans un refuge sûr sans quoi les vents nous emporteront très certainement à plusieurs dizaines de lieues de là.
Les ravins nous protègeront efficacement – du moins je l’espère – mais nous devons nous y enfoncer rapidement ou renoncer à atterrir dans la zone durant au moins cinq heures et repartir en orbite. Or, je crains que ce retard ne soit incompatible avec le succès de notre mission. Nous nous devons de prendre le risque. Qu’indique vos scans, madame ? »
L’érudit faisait son possible pour garantir une certaine stabilité du vol mais malgré cela, il fut obligé de s’élever un peu du sol, un trou d’air ou une bourrasque contraire eût trop tôt fait de les mettre à terre. Plutôt que de filer droit vers le point qu’il avait désigné plutôt, il amorça un large courbe afin de le circonscrire – l’Apprenti aurait ainsi le temps d’analyser les informations des scanners sans que la navette ne fût en visuel d’ennemis potentiels.
Qui profita de ce laps de temps qui lui était octroyé pour charger dans son implant une restitution la plus fidèle possible des canyons dans lesquels ils allaient bientôt s’engager. Il essaya rapidement de les parcourir virtuellement mais dû se rendre à l’évidence : ce plan était sommaire et les appareils ne parvenait que difficilement à s’enfoncer dans les entrailles de la terre. Une fois entre les hautes parois, ils seraient seuls.
|