Madigan ouvrit les yeux et fixa droit devant lui. Son regard mit un certain temps avant de perdre cet aspect trouble. La première chose qu’il vit les plantes rases, d’un vert caractéristique et cette vision suffit à lui provoquer des sueurs froides. Les battements de son cœur résonnaient à une allure folle, il avait l’impression gênante qu’un joueur de tambour fou battait la mesure à même sa poitrine. Il avait une vague nausée qui lui prenait la gorge, avait du mal à respirer, ne parvenait pas non plus se lever. Le vert prit une teinte rouge d’aspect poisseux, tenace. Le rouge envahissait petit-à-petit tout son champ de vision. Le dévaronien n’avait nul doute sur la réalité de la nature de cet étrange liquide…

- Cap’taine ! Je crois qu’on a perdu un bout de vaisseau !

Mad grommela vaguement avant de se réveiller complétement. Il avait la désagréable sensation d’être trempé. Il n’osa pas remercier Karissa de ce réveil salvateur. Il regarda sa main. Elle était agitée de tremblements trop compulsifs à son goût.

- Qu’est-ce vous dites, chef ?

La voix de Karissa résonnait hors du comlink, interrogative. La mirialane était son second, sa compagne la plus fidèle même quand ils étaient troufions au début de l’opération Faucon. Une époque qui lui semblait à des années lointaines aujourd’hui.

- Bon ! Si nous volons toujours, répondit-il simplement, ce ne devait pas être une partie très importante.

Au bout du fil Karissa demeura brièvement silencieuse, Mad pouvait sentir son profond scepticisme d’ici. L’éternel était un bon vaisseau, mais une véritable antiquité. Acheté à bas prix chez un receleur douteux d’une planète reculée avec ce qu’il leur restait d’économies, ils n’avaient pas pu espérer obtenir plus. Mais L’éternel demeurait un bon vaisseau. Sur le scanner, il pouvait en effet voir s’éloigner dans l’espace sombre et infini une forme indéfinissable qui faisait partie de son courageux navire. A croire que les ennuis lui collaient à la peau.

- Oui, je sais. Un petit tour chez un mécanicien plus expérimenté que moi ne ferait pas de mal à ce petit bijou !

Le contrebandier jeta un coup d’oeil rapide au compte en banque de l’équipe. Ce n’était pas franchement mirobolant, loin de là ! Mais il pouvait toujours marchander de menus services en échange de bonne volonté. Des hommes d’arme expérimentés paraissaient toujours être utiles en des temps difficile. Il savait que Socorro n’était pas très éloigné de l’endroit où ils se trouvaient actuellement.

Planète en grande partie désertique et au climat peu bienveillant, c’était surtout un fieffé repaire de contrebandiers et autres lascars du même acabit. Madigan et Karissa s’y étaient rendus à plusieurs reprises ces quelques années et y avaient quelques contacts, mais il serait sans doute trop optimiste de déclarer que cela leur faciliterait la tâche. Au contraire, ils avaient également laissé quelques dettes et inimitiés au fil des voyages. Non. Il vaudrait mieux qu’ils restent discrets. On passe, on répare, on se barre. Pas plus.

- Cap sur Socorro !

- Si on n’a pas mieux… fit la voix fataliste de la mirialane.

Aller sur Socorro n’avait rien d’un enjeu majeur. Ils avaient pu atterrir sans réel problème, en laissant le HK cuisinier et un système de sécurité hérité de temps immémoriaux garder la maison en leur absence. Il suffit de remarquablement peu de temps et de quelques crédits raclés dans les fonds de tiroirs pour dégoter un nom de mécano valable dans le patelin où ils avaient échoué. Comme de nombreux endroits dominés par les truands l’information était en soi un bien échangeable comme un autre, si ce n’était même plus précieux. Sean Belgaad, c’était le nom du gars en question. Ils avaient même obtenu l’endroit où il vivait.

- C’est là à votre avis ? demanda Karissa en observant avec suspicion la porte en métal qui se dressait devant eux.

Elle portait une solide armure blanche et ses cheveux noirs étaient retenus en arrière par une queue de cheval bien pratique. Mad jeta un regard à l’adresse.

- C’est bien là. On verra bien, marmonna-t-il.

Il frappa la porte à trois reprises en lançant d’une voix forte :

- Bonjouuuur ! Sean Belgaad, le mécano du coin, c’est ici ?

Sean Belgaad était un humain blond, solidement taillé et remarquablement laconique. Il les les avait fait entré, non avec réticence mais sans non plus tenter d'être sympathique. Il avait ensuite repris directement son travail. D'un bref coup d’œil, Mad constata qu'il s'agissait d'un robot ménager qu'il réparait, l'homme ne s'occupait donc pas uniquement des vaisseaux… Il imaginait qu'il était toujours utile dans un endroit comme Socorro d'avoir quelques talents polyvalents. Il régnait dans la boutique cette odeur caractéristique de vieux garage, mélange de brûlé et de métal fondu. Ce n'était pas très grand.

Karissa était restée à la porte. Elle laissait habituellement son coéquipier s'occuper de ce genre d'affaires. Parler avec les gens, ce n'était pas son rayon. Il ne put alors s'empêcher de faire le tour de la boutique d'un pas lent, regardant avec intérêt les moindres détails. Quand il était plus jeune, il avait travaillé au noir dans un garage du même genre sur Nar Shaddaa pour rembourser sa mère suite à une bêtise qu'il avait commise. Une humiliation cuisante à l'époque mais qui au fond lui avait permis d'apprendre pas mal de choses sur lui-même. Belgaad possédait surtout une grande quantité de matériel de récupération : bouts de droïdes, morceaux de vaisseaux parfois trop parcellaires pour être identifiés.

- Karissa et moi, nous sommes des contrebandiers indépendants, entendez par là qu'à part quelques contacts et clients réguliers nous n'avons pas d'exclusivité avec un gang de l'espace Hutt.

Autant ne pas non plus trop le faire attendre. Au moins sur Socorro il n'y avait aucun risque à parler de ses activités, sur des planètes plus respectables il était moins bien vu d'avoir des boulots assez éloignés du droit chemin. Mais cette foutue planète était un point névralgique, un centre des affaires louches et des personnes aux occupations douteuses. Un peu comme Nar Shaddaa sûrement. Il ne s'y était pas rendu depuis un bout de temps, une erreur sans doute, puisqu'il s'agissait d'un bon endroit pour ajouter de nouveaux contacts histoire d'élargir les possibilités dans des temps difficiles… Madigan se rencontra sur la masse blonde qui ornait le crâne de Sean Balgaad :

- On vient vois voir car on dit du bien de vous en ville et que nous avons besoin des services d'un bon mécanicien. Pour notre vaisseau. Une vieille bécane achetée au noir dans la bordure extérieure, un transporteur type wayfarer, d'un modèle qui n'est plus fabriqué depuis quelques temps.

Tout en parlant, il effleura distraitement ce qui lui sembla être un transpondeur de bombardier. IL n'avait pas travailler assez longtemps au garage pour en avoir le cœur net et pour savoir reconnaître certaines pièces à l’œil. Il avait abordé la partie la plus simple de la conversation. Les faits. Rien d'exceptionnel pour des personnes de leur stature.

- Cependant comme notre vaisseau, l'éternel, est assez ancien, il arrive qu'il ait quelques problèmes, des pièces trop anciennes, des circuits qui s'éteignent… Bref, de menues petits tracas qui auraient besoin d'une bonne révision.

Le bout de vaisseau qui s'était envolé dans l'espace infini n'était que la partie immergée de l'iceberg. Madigan avait parfaitement conscience qu'il poussait parfois l'éternel à la limite de ses capacités. Mais il devait constamment arbitrer entre les problèmes d'argent et les problèmes mécaniques. En tout cas jusqu'ici le fidèle navire spatial n'avait jamais provoqué sa mort.

- Cependant comme tout bons indépendants, nous ne roulons pas franchement sur l'or.

« Et vous non plus » constata-t-il en parcourant la boutique d'un regard rapide.

- Du coup nous aimerions connaître votre prix et les possibilités d'un arrangement ou d'un service que l'on pourrait vous rendre en échange d'un œil bienveillant à notre carcasse volante.

Il fallait toujours tenter le coup, on ne savait jamais de quoi l'avenir était fait.

Madigan jeta un bref regard hésitant à Karissa. La mirialane ne bougea pas d'un pouce, les sourcils froncés. Il avait du mal à lire l'homme, ce Sean Belgaad. Il semblait avoir les pieds sur les terres mais le contrebandier ne parvenait pas à savoir si le mécano était prêt ou non à réparer l'éternel et si oui quel serait son prix. Karissa et lui avaient l'habitude de rendre de menus services en échange de ce sont ils avaient besoin : transports de marchandises plus ou moins légales ou de passagers, trouver des éléments, protéger des personnes plus ou moins importantes… Ils ne se considéraient pas vraiment comme des mercenaires mais parfois leur boulot était tout comme. Ils furent brièvement interrompus par des clients. Une fois ces derniers partis, Sean Belgaad s'exprima et sa demande fut des plus sensée.

- Je vais vous montrer directement le vaisseau. J'ai bossé quelques mois dans un garage sur Nar Shaddaa quand j'avais 16 piges mais c'est pas suffisant pour que vous ayez une petite vue dans l'ampleur des éventuelles réparations. Vous êtes sûrement disponible dès maintenant…

Mais oui il l'était. Ses propres mots n'admettaient aucun doute. Pas plus qu'il ne faisait aucun doute que d'aller voir le vaisseau en ferraille et en dur était l'alternative la plus efficace. Mad s'avança vers la sortie en lançant à l'homme par-dessus son épaule :

- L'éternel est au spatioport le plus proche. Vous pouvez emporter tout ce dont vous pensez avoir besoin pour… établir un diagnostic.

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Madigan ressentait toujours une certaine excitation quand il devait montrer son vaisseau à un inconnu. C'était son bébé après tout, il l'avait acheté, l'avait bichonné. Il avait été son refuge et sa maison quand tout le monde les avait abandonné, Karissa et lui. L'éternel était à ses yeux plus qu'un simple vaisseau, c'était son ami et son bien le plus précieux, le garant de la liberté dont il était pourvu dans ses années d'errance. Il entra avec Sean Belgaad. Ils pénétrèrent dans un large couloir qui servait d'épine dorsale à la machine et qui menait à la plupart des salles importantes.

- Comme vous pouvez le voir il accuse un peu son âge…

Le vaisseau ne payait pas vraiment de mine. Il était sale à plusieurs endroits, les murs métalliques étaient écaillés par le temps et l'usure. Madigan passa une main distraite sur le mur le plus proche, un éclat de peinture d'une couleur indicible se décrocha et tomba sur le sol qui n'était en bien meilleur état. Les câbles pendaient un peu partout, il dût même se pencher pour en éviter un…

- Nous avançons dans le couloir principal. Je vais vous amener jusqu'à la salle des machines. Vous pourrez y jeter un coup d'oeil. Attention la porte est un peu basse…

La salle des machines étaient silencieuse comme un cimetière. Le vaisseau était complètement à l'arrêt. Madigan préférait quand les moteurs ronronnaient gaiement dans l'espace. « Mais en attendant il allait falloir te réparer un peu, ma fille ! », songea-t-il en parcourant les alentours d'un regard critique. La salle sentait les multiples réparations de dernière minute, le regard entraîné du mécanicien d'expérience ne saurait l'ignorer.

- De ce que nous savons pour le moment, il faut remplacer les câbles d'alimentation.

Mad désigna des câbles gris qui pendaient tristement au plafond et qui étaient connectés au moteur principal. Certains étaient un peu dénudés et laissaient apparaître des fils argentés qui n'auguraient rien de bon.

- La catalyseur émet un toussotement étrange mais je suis pas bien sûr de savoir pourquoi…

Partie très importante du moteur, cette pièce permettait de canaliser l'énergie du vaisseau pour éviter les surchauffes et explosions. C'était loin des points qui inquiétaient le plus le dévaronien mais il n'en montrait rien.

- Il y aussi de multiples pièces qui commencent à être usées et j'ai l'impression que le vaisseau tressaute avant d'entrer en hyperpropulsion, mais je ne suis pas parvenu à trouver l'origine de l'anomalie.

Madigan réfléchit une petite minute et ramena son regard peu amène sur Sean Belgaad.

- Je pense que j'ai dit tout ce qui clochait à première vue. Vous voyez autre chose ?