Saï Don
Saï Don
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« C'est drôle quand même comme de mourir,
ça vous change le caractère !
» (1)




Aussitôt que les portes de l’ascenseur se refermèrent, le dissimulant au regard de deux jeunes Chevaliers intrigués, le vieil homme s’adossa et laissa échapper un soupir, les yeux levés vers ce néon bleu. Les pauvres ne devaient même pas savoir ce qu’ils gardaient précisément.
Il songea qu’il quittait la lumière du jour pour probablement de longues minutes car l’ascenseur descendait déjà, avec une vitesse vertigineuse, dans le sous-sol du Temple Jedi. Qui aurait cru que cet édifice dissimulait, loin sous la surface, une prison de ce genre ? Il n’y avait même pas beaucoup eu de travaux à faire : la zone existait déjà, antique, et avait probablement été creusée pour servir de crypte, dans une autre époque. Il n’avait été nécessaire que de remettre en état les pièces, les aménager, et installer un puissant dispositif de sécurité à l’insu de tous, excepté d’une poignée de maîtres.

Le Conseil avait été difficile à convaincre. Même Maître Don, en passant aujourd’hui ses mains sur son visage comme si cela pouvait laver les doutes, se demandait si cela n’avait pas été une erreur. Mais il avait défendu cette cause devant les onze autres. Six maîtres avaient été d’accord avec lui. Quatre avaient exprimé leur opposition. Un seul ne s’était pas prononcé. De justesse, la majorité l’avait emporté, après maints débats qui n’avaient abouti à rien d’autre que de nouveaux doutes. Le vieil homme avait persévéré, présentant deux arguments majeurs : quels qu’étaient les griefs que l’on reprochait à Lord Janos, l’exécution n’était pas une méthode Jedi d’une part, et d’autre part il détenait des informations qui pouvaient s’avérer cruciales contre l’Empire. Par ailleurs, le gouvernement avait formulé le souhait que le maître des forges n'en sortît pas vivant : très bien. Un suicide avait donc eu lieu, et le mort avait été déplacé dans leurs geôles au milieu d’une nuit obscure. Il n’avait pas assisté à son propre enterrement.

Le plus dur avait été de dissimuler la vérité à Yun. Pendant que crissaient sourdement les câbles de l’ascenseur qui s’enfonçait toujours plus, le vieux Maître se demanda ce que penserait son padawan de la décision qu’il avait prise et défendu devant les siens. L’Epicanthix était un idéaliste. Il n’aurait certainement pas cautionné que l’on dissimulât la vérité à toute la galaxie. Il n’aurait certainement pas compris la décision de son Maître. Peut-être quand il serait plus vieux, plus sage, plus aguerri, alors peut-être lui raconterait-il…
Mais non, voyons, il serait retourné à la Force depuis longtemps.

L’ascenseur s’immobilisa et les portes coulissèrent en silence. Au-delà s’étendait un couloir, gardé par deux droïdes muets, à qui il présenta une puce électronique. Après avoir vérifié son identité, ils laissèrent passer le vieil homme, qui dût encore composer un code pour qu’une nouvelle porte épaisse se déverrouille. Seulement alors aperçut-il la rangée de geôles.
Une seule d’entre elle était occupée. Le mince écran bleu qui séparait la cellule du couloir trahissait la présence du mort. Le vieux Maître se répéta que les décisions étaient prises : l’heure n’était plus à la réflexion, désormais, mais à l’action. Il s’engagea dans le couloir d’un pas mesuré, pour aller se placer devant la geôle, en silence.

Le mort était bien là. Il avait quelque chose de misérable, constata le vieux maître, mais il peinait à ressentir une quelconque compassion. Pourtant, aucune haine ni aucune amertume ne l’animaient non plus. Lord Janos avait fait du mal à la République, bien sûr, mais n’était-il pas un ancien Jedi ? Une brebis perdue, en quelque sorte. Si Saï devait ressentir quelque chose, cela s’apparentait donc plutôt à de l’affliction. Il tâchait de constater avec simplicité les faits : un Sith était sorti de leurs rangs, et il avait créé des dégâts considérables pour la République. Mais il était désormais entre leurs mains. Qu’il souhaitât ou non aider à réparer ses torts importait guère. Il n’était plus en position de marchander.

Quelques secondes étranges s’égrenèrent avant que le vieil homme ne se pencha quelque peu vers l’écran bleu, comme pour y voir mieux au travers. Le mort avait les chevilles et les poings liés par du métal au verrouillage électronique. La seule faiblesse de leur plan, maintenant, lui sautait aux yeux : Lord Janos était potentiellement un fin manipulateur de la Force. Sa présence était palpable dans l’air. Or, avec la Force, la sécurité physique ne suffisait pas : il pouvait prendre le contrôle d’un esprit, ou même séduire un jeune Jedi. C’était pourquoi dans un premier temps, seuls des Maîtres avaient été autorisés à lui rendre visite. Sur autorisation du Conseil d’une part, et avec une bonne justification d’autre part.

Saï ne le salua pas avant de prendre la parole. Aucune forme de respect n’était possible entre eux à cet instant. Il devait installer dès à présent le rapport de force qui donnerait le ton pour la suite de leurs échanges. Aujourd’hui et les jours suivants.

- Vous êtes vivant, déclara le vieil homme sur un ton grave, comme s’il apprenait quelque chose à son interlocuteur. Vous êtes vivant parce que nous vous avons épargné.

Il s’interrompit une seconde, le temps de rencontrer les yeux du prisonnier plus intensément.

- Avant que vous ne vous mépreniez, sachez que ce n’est pas une question de bonté de notre part. Vous pourriez mourir demain, personne n’en saurait rien. Pour le reste de la galaxie, vous êtes mort. Et vous le resterez, aussi vous conseillerai-je de vous appliquer dès à présent à faire le deuil de vos précédentes identités.

Il n’y aurait pas de négociation là-dessus. Il l’avait promis au Conseil : Lord Janos était mort, Darth Deinos était mort. Même s’il s’enfuyait un jour, ils nieraient avoir jamais détenu un tel individu dans ces geôles. Lord Janos s'était suicidé, voyons, allez vérifier sa tombe. Il faudrait toutefois ne pas en arriver à pareille situation. Il s’occuperait personnellement de veiller à ce qu’un nouvel homme renaquît. Ou bien à ce qu’il ne sortît jamais de ces oubliettes.

- Vous êtes le détenu 684B, vous n’avez aucun autre nom. Il vous est interdit de décliner une autre identité à quiconque, quand bien même vous ne rencontrerez guère grand monde désormais.

Le vieillard se demanda combien de temps l’homme mettrait à accepter qu’il n’était plus rien. Tant de grandeur… Pour ne devenir qu’un être anonyme et dissimulé. D’un Seigneur Sith doublé d’un homme politique accompli, il s’attendait à quelque mégalomanie. Le détenu 684B était en quelque sorte un patient qu’il lui fallait traiter.

- Par ailleurs, reprit-il en égrenant posément les conditions, il est plus que probable que vous terminiez vos jours sous notre bonne garde. Coopérez, et vous vous épargnerez une vie trop morne et solitaire dans ces quatre mètres carré. Enfin, ne tentez pas d’avoir recours à la Force. Au-delà de ces murs se trouvent des maîtres d’armes Jedi armés jusqu’aux dents. Ils ne se laisseront ni manipuler, ni vaincre. Tout usage de vos pouvoirs malveillants pourra dégrader considérablement vos conditions de détention.

Alors seulement le vieil homme se redressa, et s’éloigna pour laisser au prisonnier le temps d’accepter ses nouvelles conditions de vie. Encore que Maître Don passait bien des choses sous silence. Mais le détenu avait-il besoin d’en savoir plus ? Quelques doutes n’avaient jamais fait de mal à quiconque. La remise en question faisait partie de la vie de celui qui cherchait la rédemption.

Saï revint devant l’écran avec un caisson de métal qu’il posa au sol. Il s’accroupit ensuite pour s’asseoir dessus. Il plaçait enfin son regard à hauteur de celui qu’il interrogeait. Si le détenu acceptait les conditions, alors ils pourraient envisager de négocier d’égal à égal.

- Si vous vous soumettez à nos règles, détenu, vous serez nourri et soigné. Me suis-je bien fait comprendre ?

Peut-être allait-il falloir passer par de longues périodes d’isolement, peut-être pas. Cela dépendrait de la facilité avec laquelle le détenu 684B se plierait à ces nouvelles règles. Le vieil homme n’appréciait pas jouer avec la vie d’un homme, mais au vu de leur situation, laisser le détenu sans vivres était réellement une solution pour le convaincre de se plier à ses exigences.

Il avait enseigné tant d’idéaux qu’il allait devoir piétiner. Aucun Maître ne prépare les vieux Jedi à assumer les responsabilités les plus basses de leur Ordre.

Spoiler:
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Le Temple Jedi... Ma première réaction, quand l'officier des services secrets m'avait annoncé que ce serait là ma dernière demeure, avait été d'éclater de rire. Oui, d'éclater de rire, tout bêtement. Mais désormais, l'ironie de mon sort m'amusait nettement moins. Elle ne m'avait jamais amusé, d'ailleurs. Ce rire n'avait pas été provoqué par une quelconque forme de plaisir. Disons plutôt que j'avais assumé mon désespoir en riant ; maintenant, je le supportais en silence. À chaque instant sa manière se supporter l'insupportable.

Pieds et mains attachés, le corps entravé de toute part, je méditais silencieusement sur ce destin absurde. Comment fallait-il l'envisager ? Comme une opportunité, ou comme une fatalité ? Ce dont je ne doutais pas un seul instant, en tout cas, c'est qu'il valait mieux être à la merci du Temple Jedi que de l'Impératrice. Je souffrirais certainement moins. Et encore... Pouvais-je en être si sûr ? Quand j'étais le détenu de la République, celle-ci m'avait révélé sa face la plus pourrie, la plus immonde, celle du non-droit, de l'humiliation et de la manipulation - tragiquement, cette face que j'avais cherché à combattre toute ma vie dans cet idéalisme borné. Comment pouvais-je être sûr que le Temple ne me dévoilerait pas, à son tour, une facette non moins répugnante ? Moi qui n'avais plus droit à l'existence, j'étais désormais à la merci des formes les plus terrifiantes de non-droit.

En me figurant la "vie" qui s'offrait à moi, je sentais grandir en mon être une envie de plus en plus impitoyable de me suicider pour de bon. Tous mes idéaux avaient été réduits à néant ; tous mes projets s'étaient soldés du plus bel échec politique qu'eût jamais enregistré la République ; mon nom même, et avec lui le nom de tous les Janos, avait été bafoué : dans les livres d'histoire, on ne retiendrait de moi qu'une crise, "la crise Janos", et ce serait tout. Toute une carrière pour donner son nom à une simple crise : on ne peut pas faire pire, question déchéance...

Soudain la porte s'ouvrit, mais personne ne rentra. Pendant quelques instants, je léchai les murs de mon aura de Force pour comprendre ce qui se passait, quand je compris que mon interlocuteur se trouvait derrière une surface, sûrement une vitre, qui le séparait de moi.

Saï Don. Je me souvenais de lui, évidemment. Pas seulement à titre politique. Pas seulement pour cette fameuse histoire de crime qui avait valu tant de critiques au Temple dans les sphères sénatoriales. Mais à titre plus personnel. Du temps où je n'étais qu'un padawan à des années lumières de m'imaginer la vie qui serait la mienne, Saï Don était un jeune chevalier respecté. Qui aurait pu croire que trente ans plus tard, nous nous serions retrouvés là, l'un face à l'autre, lui en tant que représentant du Conseil Jedi, moi en tant que monstre Sith ? Le tracé qu'impose la Force à nos vies est d'une mesquinerie, parfois...

Comme je le pensais, un nouveau visage se révèla à moi : le visage de l'intransigeance et de l'incompréhension. Du dogmatisme, en somme. Le visage que le Temple avait décidé de me montrer. J'étais devenu l'incarnation la plus repoussante de la Raison d'État : le Code Jedi recommandait de ne pas tuer ; voici que ses premières paroles contenaient la mort et la menace.

Un bref instant, j'hésitai sur la réponse qu'il me fallait donner. Agressé, je l'étais. Mais devais-je me montrer agressif pour autant ? Garder profil bas valait mieux, j'imagine.

« Rassurez-vous, Maître Don. Je ne ferai rien qui ira contre les intérêts du Temple. »

On ne pouvait être plus clair ni plus résigné.

« Je comprends que vous ayez peur de moi. Je le sais, et je l'assume : je suis pas l'affreux Sith qui a trahi la République, celui qui a attiré l'ennemi dans mon propre camp, fait assassiner des centaines d'innocents... »

Cette caricature qui me collerait à la peau bien au-delà de ma mort - de la fausse comme de la vraie... J'en aurais vomi. Si seulement un individu, rien qu'un, pouvait faire l'effort de comprendre... Mais non : obstination, stupidité, aveuglement, tel serait le comportement de mes interlocuteurs pour le restant de mes jours.

« Je pourrais vous faire tout un discours sur les motivations profondes qui m'ont poussé là, mais je doute que tout ça vous intéresse. Et quand bien même, si j'en venais à justifier tous mes actes, vous m'accuseriez de chercher à vous manipuler. Je préfère donc me taire. »

C'était vrai, je pense. Dès qu'un Sith tente d'expliquer les raisons qui l'ont amené à choisir le Côté Obscur, les Jedis s'en détournent et le critiquent comme un manipulateur. Preuve de la bêtise des Jedis, j'imagine, même si je ne me serais pas retrouvé là si je n'avais pas quitté leurs rangs pour le Côté obscur, justement...

« En tout cas, je ne vous manipule pas en disant ça : Lord Janos et Darth Deinos sont morts. Je n'ai pu assister à leur enterrement, mais j'ai vu leur tombe. »

"J'ai vu" : ironie cinglante, une fois de plus.

« Les services de sécurité républicains m'ont offert la possibilité de me rendre sur mon tombeau. Personne ne pourra jamais décrire l'impression que j'ai éprouvée, devant ma propre sépulture, mais... »

Dans quoi allais-je me lancer ? Un long discours sur l'étrange sentiment de se savoir mort ? Ma conversation improbable avec Rejliidic ? La compréhension intime que tout ce que en quoi je croyais avait inéluctablement disparu sous cette dalle de marbre ? Et quand bien même, qu'aurais-je pu en transmettre ? Les mots auraient tout transformé, tout détruit. Ils seraient passés pour de la manipulation. Toujours cette même idée : manipulation, manipulation, manipulation...

« Enfin, peu importe, laissez tomber. Tout ça pour dire que je suis votre homme. Faites ce que vous voudrez de moi... »
Saï Don
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Il se souvenait de lui. A moins que son cerveau n’ait fabriqué des souvenirs reconstitués des histoires qu’il avait entendu sur le fameux Darth Deinos, au point de croire revoir en pensée le jeune padawan prometteur suivre un cours de philosophie par le vieux Maître Bibann, alors que lui-même observait ce vieux professeur pour s’en inspirer, quelques années plus tard ? Difficile à dire. Les faits étaient pourtant là : Côme Janos et Saïen-Diethor Don s’étaient croisés dans un autre temps, dans un autre âge. Le vieil homme aurait aimé que sa mémoire fonctionnât mieux, qu’il pût se souvenir du caractère du futur Sith, alors. Mais rien ne venait. Est-ce que cela avait une quelconque importance ?

- Bien. Vous faites le bon choix,
commenta Saï d’une voix morne.

Il parlait autant de l’assentiment du détenu quant à sa coopération et de son renoncement à s’expliquer sur ses motivations profondes. Non pas que le sujet n’était pas intéressant, loin de là. Mais ce qui était fait était fait. On ne reviendrait pas en arrière, et il fallait maintenant se tourner vers l’avenir. La situation n’avait fait qu’empirer, et Saï se demandait comment ils avaient pu en arriver là. Mais l’heure était aux actes, plus aux regrets et aux remords. Il avait pris récemment des décisions qui, il le savait, secoueraient l’Ordre. Il allait devoir se battre contre son propre camp, contre la propre République qu’il défendait. Ce serait une rude bataille. Mais le détenu pourrait lui être utile.

Le prisonnier était plus loquace que ce à quoi il s’était attendu. Le pauvre n’avait pas dû pouvoir lâcher les vannes auprès de quelqu’un depuis longtemps. Allons bon ! Il n’allait tout de même pas avoir de la compassion pour cet énergumène, maintenant !

- Je suis heureux que vous ayez pu vous recueillir sur cette tombe afin de faire le deuil de feu Lord Janos, ajouta-t-il, mais son ton n’indiquait aucune ironie particulière. Maintenant, il est temps d’aller de l’avant.

Par où commencer ? Le détenu n’avait pas besoin de savoir les hésitations que connaissait l’Ordre à ce moment, ni les doutes qu’il portait personnellement sur la façon dont la République envisageait l’avenir avec un Empire comme voisin potentiellement sympathique si on lui parlait gentiment. Non. Il avait ses propres plans que le prisonnier aiderait, ou n’aiderait pas. Il ne lui laissait pas beaucoup de choix, néanmoins.

- Il semblerait que l’Empire ait mordu à l’hameçon, concernant votre mort,
dit-il avec une pointe de satisfaction. Cela va sûrement provoquer quelques réorganisations, chez eux. N’est-ce pas ? Néanmoins, je suis sûr que vous êtes encore détenteur d’un grand nombre d’informations utiles.

Pas sur Aargau et sa base militaire, dont il se fichait un peu. C’était certes un coup de maître de la part de l’Empire, mais découverte, cette base ne leur servirait plus spécialement. Elle était cernée de toute part.

- Il paraît que vous aviez un poste important auprès de l’Impératrice. Vous saurez donc sûrement me conter sa vision d’avenir pour son Empire.

Avoir une vue interne ne leur ferait pas de mal. Bien sûr, il pensait à l’expansion de l’Empire. Mais de quelle façon ? Quel était la priorité de l’Impératrice quant aux mondes qu’elle détenait déjà ? La politique mise en œuvre ? Recherchaient-ils l’adhésion des peuples, ou gouvernaient-ils par la terreur ? Souhaitaient-ils s’étendre sur les mondes neutres ou bien s’attaquer dans un futur plus ou moins lointain à la République ?

- Je souhaiterais également savoir quels sont les liens que l’Empire entretient avec l’Espace Hutt, s’ils existent.

Cette zone de la galaxie lui avait paru extrêmement calme, depuis un certain temps. Ils devaient rouler sur l’or, se délecter des conflits internes à la République et de la tension entre elle et l’Empire pour vendre et revendre armes à gogo et informations à foison à l’un et à l’autre camp. La situation leur convenait. Si la galaxie en venait à un conflit armé, ils joueraient pourtant un rôle décisif dans la répartition des avantages des uns et des autres. Il fallait prévoir que l’Empire n’ait aucun scrupule à s’allier avec les seigneurs du crime de la zone. Fallait-il pour autant en faire de même ? Epineux problème. L’éthique n’était pas toujours la meilleure arme contre les Sith, les Jedi l’avaient appris à leurs dépens. Il allait falloir ruser, et pas qu’un peu.

- Bien sûr, je suis également intéressé par toute autre information que vous détiendriez et qui pourrait m’intéresser dans ma lutte contre l’Empire.

Car oui : autant être honnête. L’Empire était un ennemi. Il n’avait jamais été un allié. Conserver la paix et vivre en bons voisins ne dureraient qu’un temps. Quitte à ce que la guerre éclatât un jour, mieux valait que les Jedi fussent préparés d’une part, et qu’ils choisissent eux-mêmes le moment de la guerre d’autre part, s’ils le pouvaient.

- Par exemple, j’imagine que vous avez une idée des dimensions des forces armées de l’Empire, non ?

Toujours assis sur son tabouret de fortune, Saï croisa les bras sur sa poitrine. La position n’était pas très confortable, mais la situation était suffisamment intéressante pour détourner son attention de ses douleurs lombaires chroniques.
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Des interrogatoires. Encore et toujours. Dans les geôles de la République, d'abord ; dans celles de l'Ordre Jedi, désormais - et quelle différence, au fond ? Mais je n'avais guère le choix : il me fallait assumer, tout assumer. Et en cette heure, l'instinct de conservation primait sur tout sens de l'honneur ; me ménager une vie plus confortable, ou en tout cas moins inconfortable : telle était mon ambition, mon unique ambition. L'ironie du sort avait de quoi faire rire : le grand Janos, jadis désireux de transformer en profondeur le sens de la Galaxie, n'avait plus pour but que de vivre dans une cellule de dix mètres carré plutôt que de trois... Mais non. Ne plus en parler. Le grand Janos, si jamais il s'était avéré grand un jour, était mort. Ce nom n'avait plus d'importance.

« Soyez bien conscient, Maître Don, que je ne saurai répondre à toutes ces questions. », lui répondis-je brutalement, peu rassuré à l'idée que cette réplique pourrait être perçue comme de la provocation. « L'Empire n'est pas aussi harmonieux, pas aussi uni que ce qu'il aime à exhiber. Même un haut placé dans l'administration impériale ne pourrait avoir une vue d'ensemble sur le système, ses rouages, ses évolutions possibles. »

C'était la vérité, toute la vérité. Même après avoir œuvré pendant près de deux ans comme Maître des Forges au sein du Conseil noir, bien des subtilités m'échappaient encore.

« Duplicité, trahison, coups de poignard dans le dos... L'Empire est un véritable panier de crabes. Tout comme la République, d'ailleurs. »

Oui, elle le méritait bien, la République. On m'avait fait passer pour le grand monstre, mais je n'avais pas d'ambitions néfastes pour elle. Si l'on m'avait écouté, peut-être que la situation de la Galaxie n'en aurait pas été là. Mais l'aveuglement du pouvoir, la bêtise et la médiocrité des dirigeants... Ma propre folie, aussi... Je ne pouvais pas la nier. Je ne devais pas la nier. J'avais fini par rentrer dans leur jeu, moi aussi. Quel gâchis, tout de même...

« Pour tout vous dire, j'ai occupé la fonction de Maître des Forges pendant plus d'un an et demi. Ce poste consistait à gérer la politique économique et industrielle de l'Empire. Quand je suis rentré en fonction, croyez-moi, le système était en bien piteux état : aucune harmonie, aucune gestion d'ensemble. J'ai très vite compris que sous ses ambitions totalisantes et totalitaires, l'Empire n'était qu'une nébuleuse... et il le reste encore, malgré les évolutions enregistrées sur la dernière année. »

Jusqu'à quand ce diagnostic demeurerait-il valide ? Je n'aurais su le dire. Voilà déjà plusieurs mois que je n'avais plus eu de contact avec le monde extérieur, et de ce que j'avais pu constater, le système impérial, contrairement à la bureaucratie républicaine, disposait d'une extraordinaire capacité de renouvellement qui lui offrait une force de frappe inégalable, mais pouvait aussi se retourner contre lui-même.

« Je crois que si la République et l'Ordre Jedi rentraient en guerre aujourd'hui contre l'Empire, vous remporteriez la victoire. À quel prix, je ne saurais le dire. Mais les forces impériales ne sont pas encore assez harmonisées, pas suffisamment organisées pour mener à bien un conflit. C'est la raison pour laquelle il me semble que Darth Ynnitach préfère protéger ses arrières, conforter ses frontières, s'assurer de la puissance de son propre régime avant de mener à bien ses propres conquêtes. »

Je pris quelques instants pour réfléchir à ce que j'allais dire. Mieux valait jouer la carte de l'honnêteté jusqu'au bout, quitte à ne pas paraître très incisif.

« Bien sûr, ce n'est qu'une spéculation de ma part. Mes relations avec l'Impératrice ont toujours été pour le peu... tendues. Cela vous paraîtra peut-être totalement absurde, mais je suis toujours resté républicain dans l'âme. En m'engageant dans l'Empire, je n'avais d'autre ambition que de pousser les deux régimes à rentrer en guerre et profiter de la crise pour prendre le pouvoir de la République. J'ai failli réussir, d'ailleurs... »

Failli, oui. Tant pis pour moi, désormais. Tant pis pour eux, aussi. Je ne leur voulais aucun mal, moi. Une fois appliqué concrètement, l'idéal de l'Ordre que je défendais aurait pu améliorer considérablement le sort de la Galaxie.

« Dès lors, je n'ai jamais fait partie du cercle intime de Darth Ynnitach. Par ailleurs, mes engagements auprès de la République m'empêchaient de la rencontrer régulièrement. Nous ne nous contactions que par message codé. En tout cas, de ce que j'ai cru comprendre, sa position me semble assez claire : elle ne conserve la paix que pour mieux préparer la guerre. »
Saï Don
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Le vieil homme soupira, puis se massa les tempes des deux mains, l’échine courbée sur le contenant de métal qui lui servait de siège. Les informations données étaient d’ordre générique, rien de précis n’émergeait. Si cela était intéressant pour prendre la température, il aurait eu besoin de faits, de chiffres, d’éléments tangibles à rapporter au Conseil pour appuyer son intention de préparer les Jedi à la guerre. S’était-il engagé dans une lutte acharnée qui scinderait son propre camp, ouvrant ainsi en eux une faille béante ? Non, jamais il n’irait jusque-là. Il n’avait plus l’âge de secouer les choses si violemment, quand bien même il eût pu penser que cela fût nécessaire. Il préserverait entre eux l’harmonie. D’ici un peu plus d’un an, un nouveau Conseil serait nommé, et celui-ci aurait la lourde de tâche de poursuivre ses efforts de préparation stratégique, ou bien de revenir à des idéaux de non-violence. Peu importait le choix, aucun n’était le bon. Il n’y avait pas de meilleure décision, elle n’y avait que celle pour laquelle ils opteraient, et qu’ils défendraient ou non suffisamment bien pour qu’elle portât ses fruits. Serait-il de ce nouveau Conseil ? Une part de lui était lassée, épuisée par la tension imposée par la présence d’un Empire Sith. Mais pouvait-il abandonner ainsi les Jedi ? Car on n’interprèterait pas autrement son retrait de la vie de l’Ordre.

Toutes ces questions étaient bien trop prématurées. Pour le moment, il fallait se concentrer sur cet Empire, dont les failles étaient peu surprenantes : des divisions internes, des ego démesurés, leur difficulté à se représenter à eux-mêmes précisément. Et une infériorité numérique vis-à-vis de la République…

La place qu’avait occupée Darth Deinos, toutefois, était digne d’intérêt. Le vieil homme se frotta une fois encore le visage avant de se reconcentrer sur le prisonnier.

- Je vois, confirma-t-il posément. Y a-t-il des mondes plus belliqueux que d’autres ? Quelle était la politique économique de l’Empire sous votre main ? Industrialisation ? Exploitation des matières premières ? Quelles étaient les zones stratégiques ?

Il suffisait de consulter une carte galactique avancée pour connaître les ressources de ces mondes, mais les choix de l’Empire quant à l’utilisation de telle ou telle planète pouvait lui être d’une grande aide pour deviner quelle stratégie Darth Ynnitach allait vouloir adopter.

- L’Impératrice… Etait-elle intéressée par ces questions, ou bien vous déléguait-elle-même la partie stratégique du volet économique et industriel de l’Empire ? Et vous, vous en occupiez-vous personnellement ?

Il était tout à fait plausible que les Seigneurs Sith du Conseil Noir ne fussent pas les meilleurs dans les domaines qu’ils se voyaient attribuer par Darth Ynnitach, mais plutôt qu’ils savaient très bien s’entourer des bonnes personnes et leur mettre une pression leur permettant d’obtenir des résultats positifs. Ce deuxième schéma révèlerait un système où les initiatives seraient difficiles à prendre vis-à-vis de l’Impératrice, qui soit contrôlait toutes les stratégies en jeu, soit se contentait de punir les responsables dès que quelque chose tournait plutôt mal. Certains modes d’organisation seraient plus exploitables que d’autres par les Jedi, voire par la République elle-même…

- Mmh-mmh,
grogna Maître Don dans sa barbe, tout à ses pensées sur l’Impératrice des Sith et les relations qu’elle entretenait avec ses subalternes directs.

La position de Darth Ynnitach ne le surprenait guère. Le vieil homme avait encore du mal à comprendre comment des membres du Conseil pouvaient encore douter de cet état de fait : un jour, l’Empire serait prêt à faire la guerre et il la déclencherait. Et pendant ce temps-là, l’Ordre Jedi et le Sénat aurait prôné la paix ? Il y avait pourtant bien des stratégies, soit pour anéantir l’Empire par la violence, soit pour l’isoler du reste de la galaxie. Couper ses ressources, favoriser les dissensions internes… Autant de pistes qui n’étaient exploitables que si le Conseil reconnaissait la réalité : l’Empire avait l’intention de conquérir le reste de la galaxie un jour ou l’autre, et les Jedi seraient ses premiers ennemis. Pourquoi ses collègues avaient-ils tant de mal à réaliser cette évidence ? Refusaient-ils d’admettre que ce qu’ils redoutaient le plus actuellement était non seulement probable, mais en plus déjà commencé ?

Le vieux Jedi soupira de nouveau, en proie à cette légère frustration, mêlée des doutes sur la légitimité de sa propre position au sein de son Ordre.

- La République n’est pas prête à déclarer la guerre,
s’ouvrit-il. Vous le savez aussi bien que moi : elle ne se sentira prête qu’acculée, lorsqu’elle n’aura plus d’autre option, lorsqu’il sera trop tard pour avoir le dessus. Quant aux Jedi…

A quel point le détenu pouvait-il entendre sans juger ce qu’il avait sur le cœur ? Probablement avait-il déjà trop parlé. Mais philosopher entre Jedi, d’égal à égal, ne lui était plus permis depuis longtemps : le Conseil est à cran, les autres Maîtres se méfiaient, et les plus jeunes n’osaient formuler de pensée différente à la sienne. Il tournait en vase clos. Quelque avis extérieur ne lui ferait pas de mal. Il ne lui avait pas encore permis de l’influencer.

- Hé bien, d’une part sans la République, ils ne représentent pas grand-chose, et d’autre part ils craignent de pousser à la guerre contre les Sith. Craignent la responsabilité de déclencher des pertes civiles, militaires et économiques, quand bien même cela se fait au prix de l’invasion future par l’Empire de notre chère galaxie.

Etaient-ils si différents, tous les deux ? Ils avaient plongé dans leurs idéaux, pendant longtemps, y avaient cru dur comme cortosis, jusqu’à être de plus en plus solitaires. La seule différence, c’était que Lord Janos avait pactisé avec les deux camps, et que le vieil homme s’était refusé à pactiser avec aucun des deux. Avait-il eu tort ? Maîtriser la République était-il la seule manière de rassembler les forces et provoquer la mise aux arrêts des impériaux ?

Devrait-il aller contre tous ses idéaux pour tenter d’atteindre un avenir meilleur que le désastre qui s’annonçait ?

Yun ne lui pardonnerait jamais.
Le Conseil ne lui pardonnerait jamais.
Tous ses confrères de l’Ordre, jeunes et moins jeunes, ne lui pardonneraient jamais.
Il ne se le pardonnerait jamais.

Mais que valait le pardon d’un vieux fou, face à une galaxie au bord du précipice ?
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