La fumée noire, épaisse. Le bourdonnement ahurissant d'une usine à plein régime et le sol qui se mettait à trembler pendant qu'elle se dissimulait sous ses draps...

- HAAN !

Tess se redressa sur la couchette avec un cri aigu. Son front percuta la structure métallique qui soutenait la couchette supérieure et qui lui remit les idées en place avec brutalité. L'odeur de fumée s'était évaporée... Ce son, ce n'était pas l'usine, c'était... Un vaisseau spatial !

Prise d'une panique complète, elle bondit hors de la couchette en arrachant ce qui lui gênait le visage et le jetant à terre. Le masque blanc atterrit sur le sol du compartiment avec un bruit mat et Tess riva ses yeux sur lui, ahurie : c'était ce qui lui avait permis de respirer, de survivre aux flammes et à la fumée. C'était un masque blanc pourvu d'un respirateur et d'une connexion de communication. Le souffle court, les tempes mouillées par la sueur, Tess sentit ses entrailles se nouer lorsque le reconnut : c'était le masque de l'inconnu qu'elle avait poursuivi.
Le fil des évènements se remit progressivement en place : elle avait mis le feu à l'ascenseur en espérant que le conduit s'ouvre, mais rien ne s'était passé. Elle aurait dû s'enfuir, mais têtue comme elle l'était, elle avait voulu attendre encore un peu, et encore un peu... Et maintenant, elle se réveillait dans le vaisseau de l'homme au masque.

Elle recula d'un pas comme si faire le chemin inverse pouvait lui permettre de remonter dans le temps. Et se rassit sur la couchette en silence.

Du calme, du calme... Elle n'était pas morte, c'était ce qui comptait, non ? Tu parles. Elle le serait bientôt, puisque cet homme était l'ennemi d'Anthana. Il lui vint à l'idée qu'il pouvait l'utiliser comme otage... Si c'était le cas, sa maîtresse allait carrément lui faire mordre la poussière pour ça. Ou alors, elle l'abandonnerait aux mains de ce fou.
Encore que, fou, elle n'en savait rien. C'était ce masque, qui lui faisait supposer un trait de personnalité... Tordu.

Réfléchis, réfléchis, putain !

Quelle folle journée. D'abord les Jedi, ensuite Mademoiselle d'Aargau et ses questions, puis la poursuite d'un tueur et maintenant... ça !
Elle sentit les larmes envahir ses yeux, et sa colère gonfla dans son coeur. Ce qu'elle pouvait être stupide !

Elle vit soudain son sabre laser posé sur un plan de travail métallique. Cela lui redonna un brin de courage et elle se leva brusquement pour s'en emparer. Elle le fit tournoyer dans ses mains, l'inspecta, mais ne nota rien d'anormal. Elle le rangea à l'intérieur de son blouson comme elle en avait l'habitude. S'il ne l'avait pas désarmée, c'était qu'il ne craignait rien... Maintenant qu'elle y pensait, c'était le sabre qu'Anthana avait modifié en remplaçant son cristal rouge par un bleu plus ordinaire. Si l'individu l'avait allumé, alors... Il la prendrait pour une Jedi ! Interdite, elle se demanda s'il valait mieux se faire passer pour une padawan un peu trop audacieuse... C'était risqué, mais c'était toujours mieux que de dire qu'on venait de Korriban, a priori.

- Bon, commençons par là...

Si on la croyait endormie, très bien, elle profiterait du répit qui lui était offert. Rapidement, elle inspecta la pièce, ouvrit les compartiments qui n 'étaient pas verrouillés. Un datapad traînait mais ne comportait que quelques articles de presse datés de la veille, une couverture était pliée dans un coin, sous une petite pile de vêtements de rechange qui avaient glissés de manière désordonnés à cause d'un décollage ou d'un atterrissage un peu mouvementé. En dehors de cela, il n'y avait rien qui attirait son attention. Soit le compartiment avait été vidé spécialement pour qu'elle ne pût rien trouver, soit celui qui avait dormi là la veille n'était que de passage très bref.

Finalement, il ne lui semblait y avoir rien d'autre à faire que de tenter une sortie... Déjà, elle prévoyait de se faufiler dans les coursives discrètement pour arriver à se planquer à ailleurs. Ensuite, il ne lui resterait plus qu'à attendre la prochaine escale et...

Alors qu'elle levait la main vers la commande qui déverrouillait la porte, elle fut interrompue par un clic qui annonçait que de l'autre côté, quelqu'un avait décidé d'entrer avant qu'elle n'ait pu se volatiliser.

- Merde.

C'était lui. Tess recula d'un pas, interdite, puis porta la main à l'intérieur de son blouson. Elle serait prête à se défendre, au cas où...

Dans l'encadrement de la porte, le type apparut et elle le reconnut immédiatement. Elle eut un mouvement de recul, plus par réflexe de survie que par peur réelle, car l'inconnu masqué n'avait pas l'air agressif. De près, il lui paraissait moins grand que lorsqu'elle l'avait suivi au Sénat. Mais le souvenir du meurtre du garde suffisait à lui associer une aura terrifiante dans l'esprit de la jeune Lorrdienne. Elle recula d'un nouveau pas, méfiante, tandis qu'il prenait la parole.
Sa voix était déformée par le masque qu'il portait, ajoutant à l'inquiétude de Tess. Elle fronçait les sourcils, indécise. A quel point fallait-il le craindre ? Etait-elle en train de risquer sa vie ? Elle aurait parié que oui, mais les propos de l'inconnu sonnaient presque... sympathiques. Elle ne baisserait néanmoins pas sa garde si facilement : sur Korriban, elle avait appris que l'on ne pouvait clairement pas se fier à ce genre d'apparences.

- Je vais très bien, déclara-t-elle un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait souhaité.

Sa voix était éraillée toutefois, certainement à cause de la fumée qu'elle avait respiré. Mais comment avait-elle pu être aussi stupide ? Elle se rappelait maintenant parfaitement de sa bêtise, mais que s'était-il passé ensuite ? C'aurait dû être les soldats Républicains ou les Jedi qui auraient dû la retrouver. Anthana aurait certainement été furieuse si ces derniers l'avaient pincée... Mais non, elle était là, dans ce vaisseau. Combien d'heures avait-elle dormi ?
Tess toisait toujours le masque inexpressif. Elle n'aimait pas s'adresser à ce mur parlant, ni qu'il lui fit remarquer la stupidité de ses actes. Pourtant, elle devait reconnaître qu'elle aurait du y penser plus tôt : son sabre ! Il aurait dû lui permettre d'ouvrir la trappe... Elle avait été complètement idiote. Mais il était hors de question de l'admettre !

- Si j'avais utilisé mon sabre, ça aurait laissé des traces, fit-elle remarquer sur un ton abrupt. Et alors, ils sauraient comment vous vous êtes enfui.

Comment on s'est enfuis, corrigea-t-elle en son for intérieur. Pourquoi cette même soirée, deux inconnus s'étaient-ils évertués à l'extraire des griffes de la République ? Elle avait été trop maladroite dans son infiltration du Sénat... Sa maîtresse avait raison : elle avait du retard, elle avait beaucoup à apprendre. Elle devait redoubler d'efforts, et au plus vite... S'il n'était pas déjà trop tard. Aurait-elle l'occasion de rentrer auprès d'Anthana ?

- Et j'suis pas une Jedi ! s'exclama-t-elle avec une grimace de dégoût.

Elle fronça de nouveau les sourcils, consciente qu'elle avait parlé trop vite. Pourquoi ne réfléchissait-elle pas un peu plus avant d'agir, bon sang ?! Sa haine des Jedi l'avait devancée. Bon, cela ne faisait pas forcément d'elle une Sith, si ? Elle n'aurait qu'à prétendre qu'elle avait volé ça à un Jedi et qu'elle avait ensuite appris quelques trucs en autodidacte. Car en revanche, il lui était impossible de dissimuler ses connaissances dans la Force face à une aura expérimentée comme celle-ci... Etait-ce pour cela qu'il était revenu la chercher ? Parce qu'ils avaient quelque chose en commun autour de la Force ? Lui non plus n'était pas un Jedi...

- Je m'appelle Glorès. Glorès Whenlts.

Ca au moins, elle l'avait énoncé sans l'ombre d'une hésitation. Glorès Whenlts était un anagramme de son nom réel, qu'elle avait gravé sur le mur de sa cellule sur Korriban, à une époque où elle passait le temps en s'imaginant une vie pleine de dangers où le mensonge était son quotidien. Elle s'était ainsi forgé un nom de code... pour "un jour". Ce jour était arrivé. Mais elle connaissait le danger de mentir sur toute la ligne : trop facile à déceler. Elle allait devoir lui donner de vraies pistes si elle ne voulait pas que l'homme comprît qu'elle lui dissimulait la vérité.
D'ailleurs "Shani Sagasu"... Ce nom était-il un vrai nom ? Impossible à savoir.

- Enchantée, fit-elle en forçant un sourire cordial. Je ne suis pas une Jedi, monsieur Sagasu, désolée. Et je n'avais pas l'intention de les envoyer sur votre piste si j'étais arrivée à vous suivre correctement.

Avouer un échec, même à moitié, lui arrachait la gorge. Elle déglutit et reprit néanmoins, déterminée à marchander sa vie comme elle le pouvait.

- Je ne leur dirai jamais rien, d'ailleurs. Ni à eux, ni à la République. Du coup, il ne sert à rien de me garder captive.

Tentative maladroite, elle le savait bien. Mais si ce n'était pour l'empêcher de parler contre lui, pourquoi l'aurait-il emmené sur son vaisseau ? Et il n'avait pas voulu la tuer... Espérait-il pouvoir tirer d'elle quelque chose ?

- Personne ne paiera aucune rançon pour moi, ajouta-t-elle en détournant enfin ses yeux de l'homme pour regarder autour d'elle, comme si la pièce pouvait lui donner des indices quelconques. Je ne vaux rien, vous feriez aussi bien de vous reposer sur une plate-forme de Coruscant avant de vous enfuir.

Elle priait intérieurement pour qu'il n'ait pas déjà quitté la planète, puisqu'aucun hublot ne lui permettait devoir ce qui se passait à l'extérieur. Que se passerait-il s'ils avaient déjà voyagé plusieurs heures ? Qu'ils étaient sortis du Noyau ? Voire de la République ? Tess refusait intérieurement cette possibilité. Anthana allait l'attendre. Elle devait revenir avec les maigres informations qu'elle possédait. Quel châtiment l'attendrait, sinon ?

Tess serra convulsivement ses mâchoires, bien qu’elle tentait de conserver un visage neutre. Son regard lançait toutefois des éclairs sombres tandis qu’elle continuait d’inspecter la pièce. Il n’y avait rien dans cette fichue cabine qui lui donnât le moindre indice quant à l’identité de l’homme masqué, ni sur la position du vaisseau dans l’espace.
Le gars était quand même sacrément agaçant, avec ses remarques sournoises. Il avait pourtant raison, au sujet des caméras. Si la sécurité du Sénat l’avait vue poursuivre l’individu, en avait-il conclu qu’elle avait été prise en otage, ou bien qu’elle était une complice qui s’était enfuie avec lui ? Car ils avaient dû voir sa filature… Mais pas la scène à l’intérieur du conduit de l’ascenseur. En tout cas, si elle était identifiée comme complice, alors elle pouvait dire adieu à un retour tranquille sur Coruscant. Rien que de penser à la possibilité de sa couverture grillée et à la fureur d’Anthana si elle l’apprenait, Tess en avait des sueurs froides.

Elle se contenta toutefois de rester longuement silencieuse. Elle se donnait le temps de répondre à ses questions avec délicatesse. Elle croisa les bras sur sa poitrine et se mit à faire les cent pas devant lui. Elle ne pouvait pas mentir totalement. Pas si elle voulait être épargnée. Mais elle ne pouvait pas non plus lui avouer qu’elle était l’apprentie de la Sénatrice de Kuat… Ce serait un trop gros scoop. L’identité Sith de sa maîtresse était plus importante que tout, elle le lui avait plutôt bien fait comprendre. Quoiqu’elle dît, il y aurait sûrement des zones d’ombre que l’inconnu détecterait. Mais il comprendrait peut-être qu’il s’agissait de raisons de sécurité, non ?

- Quelqu’un m’a lancée à vos trousses, déclara-t-elle soudain de but en blanc, mais elle continuait à tourner en rond à la manière d’un fauve en cage. Pas pour vous faire du mal ni vous chopper, évidemment. Juste pour comprendre qui vous étiez. En fait, on vous attendait pas vraiment, alors…

Elle haussa les épaules et libéra ses bras de leur étreinte autour de son buste pour faire face à l’homme masqué. Des cheveux clairs en dépassaient quelque peu. Elle aurait apprécié voir son visage, juste pour se faire une idée. Est-ce qu’il était jeune ?

- Alors on s’est demandé d’où vous sortiez. On a bien compris que vous aviez une dent contre cette Kira d’Ondéron, et vous êtes sûrement pas le seul… Mais c’était bizarre, quand même, avouez.

Tess soupira. Son regard morne devenait peu à peu intrigué.

- En plus, bon, j’avoue, j’aime bien connaître les passages secrets du Sénat, si vous voyez c’que j’veux dire…

Pour le coup, les conduits d’aération connectés aux ascenseurs feraient l’objet d’une plus ample investigation dans les prochains mois. Dans l’éventualité où on la laissait retourner sur Coruscant, ceci dit.

La raison qu’il fournissait pour l’avoir enlevée ne la satisfaisait guère, cependant. Parce qu’elle l’intriguait ! Ça, c’en était une bonne. Dons ils s’intriguaient mutuellement. Ils faisaient la paire, il y avait pas à dire. Toutefois, elle ne s’avouait guère que susciter un intérêt chez ce mystérieux inconnu la flattait quelque peu, elle qui passait toujours inaperçue.

Elle allait presque lui offrir un sourire énigmatique quand la nouvelle de leur départ de Coruscant lui fit l’effet d’une pierre tombée au fond de son estomac. Tess ouvrit des yeux ronds scandalisés.

- DEUX JOURS ! s’écria-t-elle, perdant soudain le masque de calme qu’elle avait arboré jusqu’ici.

Anthana devait se faire un sang d’encre. Et quand elle reviendrait, elle s’en prendrait une monumentale. Merde ! A moins… A moins qu’elle revînt avec des informations dignes de ce nom. Et une super bonne excuse. Et qu’Anthana ne fût par miracle pas au courant des détails de l’épisode de l’ascenseur en feu dans lequel elle avait failli s’asphyxier par sa propre faute. Autant dire que cela lui faisait vraiment de très, très maigres chances de s’en sortir sans correction.

- Mais vous êtes dingue ! J’peux pas m’casser comme ça MOI ! cria-t-elle brusquement sur l’individu dont elle ne supportait plus, soudain, le masque. Et arrêtez au moins d’vous cacher la face, sale tricheur !

Un peu plus et elle l’aurait frappé, l’abruti ! Mais non, elle n’était pas si bête. Il avait beaucoup plus de force, et si elle essayait de lui arracher son masque, il l’étalerait au sol d’une simple pichenette. Tess se contenta donc de lui tourner le dos et d’aller passer ses nerfs sur le montant métallique de la couchette, d’un coup de botte bien sentie. Elle jura une nouvelle fois avant de se laisser tomber, assise, sur le lit étroit.

L’autre était toujours là, bien évidemment. Avec son masque toujours aussi rigide. Elle le toisa sans ménagement. Sa colère s’apaisait déjà quelque peu et la raison reprenait le dessus. Il fallait qu’elle survécût et qu’elle retournât sur Coruscant. Aussi vite que possible, afin de ne pas risquer de perdre son statut d’apprentie auprès de Lana Anthana. Cette place, elle y tenait sacrément. Et ce type, aussi intéressant et habile soit-il, ne pouvait rester un obstacle. Et quelle meilleure stratégie de transformer un obstacle en outil pour atteindre ses objectifs ?

- Écoutez, fit-elle calmement, et d’une voix beaucoup plus conciliante qu’auparavant. C’est très important que j’retourne sur Coruscant. Je vous remercie de m’avoir sauvée, tout ça. C’était super. Mais là, il faut absolument que vous me relâchiez le plus proche de Coruscant possible. Je peux peut-être faire quelque chose pour vous en échange ?

Elle avait vissé ses yeux déterminés sur le masque, avec tout l’aplomb dont elle était capable.

Maintenant, il fallait espérer que l’autre lui demandât pas des trucs de pervers…