Invité
Anonymous
3503 av. B.Y.

Après une carrière avortée comme Jedi consulaire, un jeune politicien est devenu sous-secrétaire général de la délégation sénatoriale d'Aargau. Cet homme n'est déjà plus qu'une machine. Mais il croit que sans l'Ordre, la République ne retrouvera jamais son lustre d'antan. Il croit qu'il saura un jour remplacer son père au titre de sénateur. Il croit qu'il sera digne de porter lui-même le titre de Lord Janos.


«Eh bien, fils ? Que penses-tu de ta toute première assemblée sénatoriale ? Pas trop impressionné par la taille de la Rotonde ?»

Côme était exaspéré. Depuis qu'il était devenu sous-secrétaire général auprès de son père, le grand Lord Janos, le sénateur d'Aargau, ce dernier n'avait cessé de le railler, de l'humilier, de l'infantiliser. Ce vieux patriarche au sommet de sa gloire ne faisait même plus l'effort de paraître courtois. Sa désinvolture était devenue insupportable.

«Même si le débat portait sur une question peu intéressante, je suis content d'avoir assisté à une assemblée, père.»

Le vieil homme se caressa la barbe, dont la couleur grise, aux frontières de cette extrême blancheur qui indique l'emprise du temps sur un être, contrastait d'autant plus avec ses cernes qu'elles se teignaient subrepticement d'une teinte obscure et austère.

«Il n'existe pas de question inintéressante, fils. Si tu veux devenir un homme de pouvoir, tout t'intéressera, même ce qui te répugne le plus. Je ne suis pas sénateur pour assister à des assemblées dont le sujet me plaît. Mais voilà ton problème, tu t'écoutes trop, fils, beaucoup trop. Tu pousses l'idéal trop loin...»

Côme était si dégoûté par son paternel qu'il n'eut même plus l'envie de lui rétorquer quoi que ce fût. Il le laissa parler, l'écouta à peine.

«Par exemple, qu'avais-tu besoin de te lancer dans un soliloque sur l'Ordre auprès du sénateur de Naboo ? Il ne faisait que nous saluer en respectant le protocole. Point. Mais toi, parce qu'il t'a félicité de ta nomination, à un poste secondaire, en plus - il n'était pas obligé -, eh bien, tu joues les grands ducs en affichant à tous que tes idées valent mieux que celles des autres. Mais la politique ne fonctionne pas ainsi, Côme. Apprends à te retenir, bon sang !»

Les pouvoirs de Côme s'accroissaient chaque jour. Depuis qu'il avait un nouveau Maître, il était parvenu à une maîtrise de la Force dont même ses désirs les plus fous n'auraient jamais pu dessiner les frontières. Et maintenant que son apprentie grandissait, il lui enseignait des ressorts de plus en plus complexes, ce qui l'aidait lui-même à étendre ses propres capacités. Alors oui, il n'aurait fait qu'une bouchée de ce vieil homme gogenard. Oui, il l'aurait pulvérisé. Mais il en avait encore besoin. 

Côme s'était juré d'offrir un jour une pleine satisfaction à ses désirs de vengeance. Il doutait, cependant. Il doutait du bien fondé de ses idées. Il doutait de la possibilité pour l'Ordre d'advenir réellement. Il se demandait surtout de quel droit il avait pu arracher un être vivant à la réalité du monde, l'enfermer dans un palais de marbre aussi glacial qu'un tombeau, et paramétrer sa pensée pour qu'elle devînt la servante de son idéal. Dans ce qu'il identifiait à des éclairs de lucidité, il croyait parfois être devenu un monstre, un monstre humilié, défiguré, détruit. Le jour viendrait peut-être où il saurait se débarrasser de ses doutes. Ce jour-là, il saurait également rétorquer aux remarques désobligeantes de son vieux père. Mais pour l'instant, il n'était capable ni de l'un ni de l'autre.

Alors il patientait, muet comme un cadavre, attendant son heure, l'heure où l'Ordre adviendrait.



* * *


«Eh bien, Côme ? Racontez-nous tout, mon chéri. Comment s'est déroulé votre premier voyage sur Coruscant ?»

«Ouais, Côme, racontez-nous tout, mon bébé !»

À table...

À droite, Thera Janos-Casillac, la mère, une femme tellement aristocratique qu'elle n'avait aucun sens des réalités - un trait qui la rendait en fait exaspérante. À gauche, Clark Janos, le frère, toujours prêt à railler l'attachement maternel dont Côme était la victime depuis son retour sur Aargau. En face, Lord Janos, le père, silencieux face à son assiette, ruminant quelques pensées secrètes et accusatrices.


«Alloooons ! Clark ! Cessez d'infantiliser votre frère, je vous prie ! Ses difficultés physiques lui rendent le quotidien très difficile : il faut savoir se montrer compatissant...»

Compatissant ! La pitié que lui témoignait sa mère le dégoûtait. Il n'avait pas besoin de pitié, non. Il désirait seulement qu'on le laissât tranquille. Tranquille !

«Je ne fais qu'apprendre, mère.», se contenta-t-il de répondre.

«Et tu en as grandement besoin, d'apprendre ! Grandement besoin !»

Le Lord venait de surgir de son silence comateux, avait débité cette phrase d'un air évasif, pour retourner à ses préoccupations célestes, à mille lieux des trivialités de ce repas.

«Et c'est qu'il en a besoin, le petit Côme ! Moi, à son âge, j'étais déjà secrétaire du Parti de l'Ordre, pas sous-fifre !»

Côme soupira. Entre le tutoiement dédaigneux du père, le vouvoiement attentionné de la mère, les railleries intempestives du frère, la vie paraissait parfois difficile. Très difficile...

«Dites-nous plutôt, Côme : que comptez-vous faire cette après-midi ? Si vous êtes libre, vous pouvez m'accompagner à l'Opéra, qu'en dites-vous ? On donne un nouveau spectacle venu d'Arkania : un vrai délice, m'a-t-on dit ! Il ne serait guère de bon ton que nous manquions pareil évènement, n'est-il pas ? Je serai dès aujourd'hui la risée de tous les salons. Par ailleurs...»

Côme posa sa fourchette d'un geste ferme.

«Je me rends dans ma campagne.»

La rigidité du ton qu'il avait employé provoqua un sinistre silence à travers la tablée. Même Lord Janos quitta un instant ses pensées et posa son regard sévère sur ce fils dont, décidément, on ne ferait rien.

«Encore ? Mais que faites-vous donc, dans ce palais ? Je ne vois pas ce que vous trouvez d'extraordinaire à cette demeure poussiéreuse, perdue au cœur de...»

«Cette demeure poussiéreuse a appartenu jadis à mon grand père, le grand Clark Janos.», coupa le père. «Vous lui devez le respect nécessaire, ma chère.»

Le grand Clark Janos... Le bisaïeul célébrissime que trois générations s'efforçaient vainement d'imiter. Et dire que le frère de Côme avait reçu l'insigne honneur de porter le nom de son ancêtre, tandis que lui s'était vu affubler de ce qualificatif ridicule ! Côme... Côme Janos...

«Ceci dit, ta mère a raison, fils. Tu as exigé ce palais pour que tu te donnes à tes recherches, ou je ne sais quoi, soit ! Nous n'y allons plus, de toutes façons. Mais de là à t'exclure du monde... Prends exemple sur ton frère : lui, au moins, il sait ce que signifie la sociabilité.»

Et voilà ! Le frère ! Le modèle ! Exaspérant... Exaspérant et consternant ! Le pire, c'est que lui, le frère, il dessinait ce petit sourire qu'affichent les êtres prétendument supérieurs ! Clark Janos... !

«Ou bien... Peut-être que notre jeune Côme a rencontré une demoiselle, et qu'il utilise le palais de votre aïeul pour la rencontrer en secret ?», avança la mère, toujours à l'affût d'intrigues en tout genre, pour donner un tant soit peu de piment à la fadeur de cette existence qu'elle laissait couler sur Aargau.

«Une demoiselle ? Eh ! Encore faudrait-il qu'il est le matériel pour ça, notre bébé !», s'exclama Clark, dont l'autosatisfaction frisait l'indécence.

Cette fois, c'en était trop. Côme se leva brusquement et sortit de table sans écouter les injonctions apitoyées de la mère, sans prêter attention aux moqueries répétés du frère, sans se soucier du silence arrogant du père. Il alla droit vers le hangar privé des Janos, au cœur de la Capitale, prit le premier speeder venu et s'envola vers son palais de campagne, fou de rage.



* * *


Il aimait ce lieu calme et harmonieux. Là, tout n'était qu'Ordre et beauté. Rien pour le troubler, rien pour l'arracher à la froideur de son caractère, rien pour aiguillonner sa haine. Du marbre blanc, des droïdes d'entretien silencieux, quelques œuvres d'art héritées de Clark Janos.

Côme traversa lentement l'immense galerie qui introduisait l'édifice. De part et d'autre, sur les murs, se dessinaient des masques de cire ; ils avaient épousé le visage de chaque Janos sur leur lit de mort. La dernière trace de générations et générations de Janos, l'ultime emprunte laissée par des noms toujours plus illustres. Côme les connaissait par cœur : le premier remontait à plus d'un millénaire, c'était celui du général A'vaan Janos, un chef de guerre dont les exploits militaires avaient suscité une véritable geste. Au bout de cinq siècles, la famille disparaissait : plus de visage de cire, l'oubli - on ne savait comment elle s'était éteinte, ni comment la fortune l'avait fait resurgir trois siècles plus tard. De là, le mur se dirigeait pas à pas vers le grand Clark Janos, dont les traits immobiles lançaient sur son arrière petit-fils un regard sévère ; ses lèvres figées dans la cire lui délivraient un dernier commandement, de ces murmures des morts que seuls les êtres sensibles au passé peuvent encore saisir :
«Reprends le flambeau qui s'éteint...»

Fort de cet ordre, Côme reprit sa marche. Il aboutit sur un vaste salon bordé de hautes fenêtres qui offraient une vue surplombante sur une cour intérieure. Il plongea son regard dans ce petit jardin. Une enfant s'y tenait, encore frêle, mais déjà assez sensible à l'idéal de l'Ordre pour maîtriser ses élans juvéniles. Elle méditait, les yeux fermés ; son petit visage s'adonnait à une contemplation intérieure dont seuls étaient capables les plus grands Maîtres. Quand il la voyait ainsi, Côme parvenait à évacuer les doutes qu'il ressentait parfois. Une telle harmonie... Une si parfaite maîtrise de soi... Cette enfant était l'incarnation-même de l'Ordre ; son esprit ne vivait que pour l'Ordre ; son monde n'était autre que l'Ordre. Contrairement à lui, elle ne se laisserait jamais corrompre par cette galaxie maudite et moribonde.

Elle ouvrit les yeux, l'aperçut par la fenêtre.

Il ne sourit pas, se contenta de la dévisager encore et encore.

Puis il rebroussa chemin, il sortit d'un tiroir une petite boîte métallique, il descendit le vaste escalier de marbre, il se rendit dans le jardin, il fit face à cette petite créature qui lui devait tout, cet être dont il avait fait sa chose, son bien, sa possession, l'apôtre de l'Ordre.

Elle l'attendait.


«Me revoici.», dit-il. «As-tu médité comme je te l'ai demandé ?»
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