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«Avez-vous déjà entendu parler de Raskta Kae, sénateur ?»

Janos fronça les sourcils. Il venait de convoquer Shadley dans son bureau - de son titre officiel, le directeur de la Commission de rédaction et de diffusion des discours politiques, textes et programme du Parti. Un homme un peu trop ambitieux aux yeux du sénateur, mais de loin le plus compétent de ses conseillers. Et qui avait le mérite de proposer des idées novatrices - une qualité rare dans le milieu politique, hélas.

«C'est une actrice célèbre, je crois. Et alors ?»

«Eh bien, la voilà, mon idée ! Une association avec Raskta Kae !»

Janos demeura un instant circonspect. Une association ? Avec une actrice ? Il en était tout simplement hors de question ! Les acteurs n'étaient rien moins que des égocentriques aux mœurs aussi chaotiques que scandaleuses ! Jamais Cosmos ne s'associerait à de telles créatures ! Jamais !

Le Lord allait rétorquer à son conseiller qu'il délirait tout bonnement, quand il comprit au petit sourire de ce dernier qu'il devait avoir un plan en tête. Par analyse physiognomiste, l'œil artificiel de Janos permettait de lire sur les visages et de cerner tout au moins une partie des pensées qui y transparaissaient. Or le sénateur aimait les plans bien conçus et la détermination qui les engendrait. Et Shadley, sans aucun doute, avait tout à la fois plan et détermination.


«Développez.», se contenta de répondre le Lord, d'un ton sec et déterminé qui ne laissa nullement transparaître la vague de surprise qui l'avait initialement traversé.

«Comme vous le savez, cette jeune femme est galaxiquement connue, sénateur...»

En entendant cet adverbe - "galaxiquement" -, Janos esquissa une très légère grimace : il avait toujours eu horreur des néologismes. Le néologisme n'est rien moins que l'introduction du chaos dans la syntaxe, le trouble de la nouveauté dans la construction logique de la phrase. Mais il ne s'enflamma pas pour autant, et laissa son conseiller poursuivre :

«Que veulent les citoyens de la République ? Du dynamisme, du changement, du bouleversement ! Ils veulent être dirigés par des hommes qui les comprennent, par des hommes qui partagent leur quotidien, leurs joies et leurs soucis. Tout au long de votre carrière, vous vous êtes penché sur les problèmes sociaux qu'ils rencontraient à cause des firmes et des centres bancaires : chômage, baisse du niveau de vie, etc. Maintenant que vous avez largement fait vos preuves dans ce domaine, il est temps de compléter l'image que vous donnez à la population. Cessez un instant de vous concentrer sur leur souci, cessez de construire de vous une figure négative, et bâtissez dès aujourd'hui un Janos positif !»

«Un Janos positif ?», répéta le sénateur sans rien cacher au scepticisme que laissa en lui cette étrange expression. «Que voulez-vous dire, Shadley ?»

«Un Lord Janos qui sait s'intéresser à ce qui intéresse le peuple ! Le monde de l'holocinéma plaît, vous le savez. En y faisant votre entrée, vous toucherez à coup sûr toute une gamme de clients qui ne s'intéressent que de loin en loin à la politique.»

Avant de rejoindre Cosmos, Shadley avait travaillé comme manager dans une firme multiplanétaire. Il arrivait souvent que cette ancienne profession transparût encore à travers le vocabulaire qu'il employait.

«Bref, vous élargirez vos auditeurs, et par là-même, vous donnerez un nouvel élan à la diffusion de vos idéaux ! De nos idéaux !»

Bien qu'il demeurât méfiant vis-à-vis du clair côté manipulateur de son conseiller, Janos ne fut pas insensible à cette correction. Et l'idée le charma un instant. Mais quelque chose le laissait quelque peu réticent...

«Soit. Mais n'y a-t-il pas un risque de paraître démagogue ? Certes, j'ai toujours eu l'ambition de tenir le langage du peuple dans les sphères inaccessibles de la politique, mais jamais je ne m'avilirais à jouer le jeu d'un tribun populiste.»

Le sourire de Shadley ne se laissa pas perturber.

«Je ne vous apprendrai pas qu'en politique, tout dépend de la manière dont on présente les choses, sénateur.»

«Hum... Mais concrètement ?»

«Concrètement, je voudrais reporter votre attention sur un élément qui ne manquera pas de vous intéresser, sénateur : cette jeune actrice soutient une fondation qui attribue des financements aux jeunes gens prometteurs venus de milieux défavorisés. C'est sur ce point que vous pourriez tenter d'élaborer un contact.»

Janos se caressa le menton, méditatif.

«Une fondation... Intéressant, en effet... Après tout...» - Il s'interrompit un instant. - «Oui, pourquoi pas ?»


* * *
Mademoiselle Evans avait reçu l'ordre de contacter l'actrice en question et de se renseigner à son sujet. Fidèle aux scrupules qui l'animaient quant à ses relations, le sénateur d'Aargau avait attentivement lu le rapport que lui avait composé sa secrétaire. Si la filmographie évoquée dans le document le laissa pour le peu sceptique, il fut en revanche enthousiasmé par les actions caritatives que finançait cette fameuse Rastka Kae. Aussi suivit-il les conseils que lui avaient prodigué Shadley. Les choses allèrent plus vite qu'il ne le pensa : mademoiselle Evans eut tôt fait d'envoyer une invitation à la célébrité, laquelle eut elle-même tôt fait d'y répondre positivement. Bien qu'il ne fût pas évident de trouver une date dans un emploi du temps entièrement consacré à l'accueil des Artoriens sur Aargau, un entretien fut tout-de-même organisé dans les plus brefs délais.

Le jour de l'entrevue, Lord Janos s'était revêtu d'une élégante tunique de couleur bleu sombre, assortie à une longue cape qui lui offrait grâce et prestance. Le matin-même, il avait exigé que son équipe de droïdes procédât à une chirurgie reconstrutive : il fallait s'assurer que son visage ne s'effritât pas durant la conversation. Pure question de tenue. Et de diplomatie.

Mademoiselle Evans avait reçu l'ordre de se parer de ses habits les plus élégants. C'est elle qui accueillit Rastka Kae sur la plate-forme d'atterrissage, située à l'entrée de la suite luxueuse où vivait Janos. C'est elle qui la guida à travers les salons déserts et silencieux où logeaient Ordre et Harmonie. C'est elle qui la mena jusqu'aux larges portes qui s'ouvrirent sur le bureau de Lord Janos.

Ce dernier, assis dans son lourd fauteuil de cuire, se leva aussitôt que l'actrice pénétra dans la vaste salle. Il alla à sa rencontre et s'inclina en marquant une révérence aussi sobre que courtoise. Élégance et retenue, traductions de l'Ordre dans la politesse.


«Mademoiselle Kae. Je suis ravi d'enfin vous rencontrer. Voilà bien longtemps que l'on m'a parlé de vous. Et en bien, je puis vous l'assurer. Mais je vous en prie, asseyez-vous...»

D'un geste de la main droite, il l'incita à prendre place dans un élégant fauteuil noir, situé aux côtés de la longue baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur les cieux coruscanti. Tandis que la jeune femme s'installa, il se déporta vers un buffet où trônaient les meilleurs alcools de la Galaxie.

«Vous prendrez bien quelque chose. J'ai ici de quoi délecter les papilles les plus délicates de tout le Cosmos.»

Janos sentit très vite que Raskta Kae faisait partie de ces gens qui ne se laissent pas manipuler facilement : son esprit se heurta à une imperméabilité qu'il ne trouvait en règle générale que chez les politiciens charismatiques et les détenteurs de la Force. Cette première impression fut confirmée par la difficulté que rencontra l'œil artificiel à proposer une analyse physiognomique de son hôte. Une femme de caractère...

Quelque peu intrigué, il dévisagea avec plus d'attention cette fameuse actrice dont on parlait tant depuis les dernières années. Une jeune femme élégante et pleine de tenue. Sobre dans son port, sans goût affiché pour l'exhibition ou la provocation. Voilà qui était positif. Restait à voir si ses convictions, et leur application concrète, sauraient s'allier sans contradiction à l'idéal de l'Ordre.
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Lord Janos. Sans doute l'un des personnages les plus intéressants du moment. Bien que nos routes ne se soient jamais croisées par le passé, j'en connais suffisamment sur lui pour aiguiser mon intérêt alors même que je viens de recevoir l'invitation expédiée par sa secrétaire. Côme Janos. Ancien Jedi, actuel sénateur d'Aargau, chef du parti politique Comos, et surtout, l'ardent défenseur d'un des projets de réforme les plus contestés du moment. Lorsque j'ai posé les yeux pour la première fois sur les six articles constituant la proposition, un agréable frisson m'a parcouru. Une telle ambition, une telle audace, un tel coup de pied dans la fourmilière, voilà qui n'était pas pour me déplaire. Le changement, voilà ce que représente son projet à mes yeux. La possibilité pour la République d'échapper enfin à un système sclérosé et à bout de souffle, et de permettre à des êtres déterminés et ambitieux d'accéder au pouvoir et d'imposer leurs idées, sans être entravés par une élite politique conservatrice et accrochée à ses privilèges. En un mot, le renouveau.

Alors que j'entreprends de rédiger une brève réponse positive, contenant les habituelles platitudes telles que "Ce sera un honneur pour moi de rencontrer ..." ou bien encore "Je vous prie d'agréer ...", mon esprit en profite pour vagabonder. Une question me taraude. Pourquoi ? Oui, officiellement, le thème de la rencontre n'est rien de plus que la fondation que je finance. Mais je ne peux m'empêcher de soupçonner la présence d'un autre motif. Je ne me fais aucune illusion : ce n'est pas à la femme qu'il s'intéresse, contrairement à nombre de ses collègues que j'ai croisé par le passé. Sa réputation ne laisse aucun doute là-dessus. A l'actrice, alors ? Il ne me semble pas que les holo-flims soient à classer parmi ses centres d'intérêts ... Le message expédié, je me force à cesser ces spéculations inutiles. La réponse viendra à son heure !



***



Et voilà, le jour de la rencontre est enfin arrivé. Hors de question de me pointer là-bas en tenue décontractée. Le respect du protocole veut que les invités se mettent sur leur trente-et-un, et je ne fais nullement exception à la règle. Pour autant, je laisse l’exubérance et l'étalage à d'autres de mes confères. Pas de tenue hors de prix, surchargée d'ornements ou de bijoux. Pour l'occasion, j'ai revêtu une robe inspirée d'un modèle traditionnel Echani. Élégante, un peu ample, d'un tissu agréable à l'oeil et de qualité, le tout dans un camaïeu de gris, elle recouvre l'intégralité de mon corps. En un mot, une tenue sobre et élégante à la fois, sans une once d'exhibition ou de provocation. L'idéal pour un entretien sérieux.

A peine débarquée de mon véhicule, me voilà accueillie par une superbe brune. Je reconnais immédiatement l'assistante personnelle du sénateur. Gabrÿelle Evans. Élégante, gracieuse, avec un charme certain ... j'imagine que nombre de ceux qui ont eu affaire à elle la considèrent comme une potiche, ni plus, ni moins. Les mâles, en particulier, mais pas uniquement. Les gens sont si enclin à mépriser et ignorer les subalternes. Moi ? Non, je me contente de ne pas m'y intéresser, sans porter le moindre jugement de valeur. Pour autant, je ne la salue pas moins avec amabilité, avant de la suivre à travers une série de salles désertes et  silencieuses. Vraiment, quelle soin porté à poursuivre son idéal d'Ordre. Ici, pas la moindre agitation, la plus petite graine de chaos. Déprimant, pour le moins.

Finalement, nous y sommes. Le saint des saints. Le bureau du chantre de l'Ordre. Fidèle à sa  réputation, le sénateur se lève immédiatement de son fauteuil pour m'accueillir. Une révérence, parfaitement maîtrisée. Juste le nécessaire. Courtois, mais sans excès. La mienne l'est aussi, quoiqu'un brin plus accentuée. Différence de rangs oblige. Alors que je m'assied dans le fauteuil qu'il m'a désigné, j'en profite pour parcourir rapidement son antre des yeux, sans m'attarder plus de quelques battements de cœur sur la vue du ciel que m'offre la baie vitrée. Je n'ai jamais vraiment apprécié les panoramas. L'intérêt d'un monde réside dans ses habitants, pas dans ses paysages. L'aménagement, la décoration de la pièce, ne m'intéresse guère que dans la mesure où elle peut me renseigner sur son occupant. Examen qui s'avère inutile, au final. Rien qui ne vienne démentir son goût pour l'ordre, la sobriété et l'élégance.

- Auriez-vous, par hasard, un peu de liqueur Echani ? A défaut, un doigt d'Abrax fera parfaitement l'affaire, merci.

Je n'essaye même pas de sonder son esprit. Bien sûr, voilà longtemps qu'il a quitté l'Ordre Jedi, et ses pouvoirs se sont peut-être atrophiés par manque de pratique ... "Peut-être". Je ne peux pas risquer d'être démasquée, pas maintenant. Il va donc me falloir mener cette discussion à l'aveuglette, comme une personne ordinaire. Après tout, c'est bien ce qu'est Raskta Kae, non ? Constatant alors qu'il me dévisage, je lui retourne son regard, sereine. Nulle trace de "l'accident" dont il a fait les frais des années plus tôt sur son visage. Pourtant, je subodore qu'il ne doit s'agir que d'une façade ...

- Hé bien, sénateur Janos, je peux vous assurer que ce plaisir est partagé. Et je vous remercie pour la qualité de votre accueil. Néanmoins ... si cela fait également longtemps que l'on m'a parlé de vous, je m'en voudrais de mentir en prétendant que ce fut en des termes flatteurs. Nombre de vos collègues ne semblent guère vous apprécier ...

Je marque une pause, le temps de récupérer le verre qu'il me tend, avant de reprendre. Je souris d'un air ironique, afin de montrer le peu de cas que je fais desdites critiques. Après tout, ceux qui agissent sont toujours la cible de ceux qui préfèrent l'inaction et l'immobilisme. Il en va ainsi depuis toujours. Les médiocres ne supportent pas que certains s'efforcent d'améliorer les choses. Car, ce faisant, leur insignifiance est montrée au grand jour.

- Cela dit ... j'imagine que je ne vous apprend rien de nouveau. Après tout, votre projet de réforme constitutionnelle ne propose rien de moins que de les court-circuiter pour s'adresser directement au peuple républicain ! Rien d'étonnant à ce qu'ils ne vous portent pas dans leur cœur.

Bel euphémisme. J'imagine qu'il doit le savoir tout autant que moi. Certains seraient sans doute prêts à le faire disparaître, mais la plupart se cantonnent à la calomnie et aux insultes.  Je pense que l'homme a sans doute les épaules pour parvenir à ses fins, mais encore faudrait-il qu'il parvienne à franchir les pièges et obstacles, et s’accommoder des innombrables croches-pattes qu'on ne manquera pas de lui faire. Dois-je l'aider ? Puis-je le faire ? Peut-être bien ...

- Mais je parle, et je dois vous faire perdre un temps précieux ! Surtout avec l'accueil des Artoriens que vous devez gérer ... Que puis-je faire pour vous, Sénateur ? Je ne pense pas que vous m'ayez invitée pour discuter holo-films ...

Autant rentrer dans le vif du sujet. Avec d'autres sénateurs, il aurait mieux valu faire durer les amabilités encore un bon quart d'heure, mais celui-ci est différent. Et ce n'est pas plus mal.
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En servant dans un petit verre la liqueur demandée par son invitée, Janos fut satisfait de constater avec quel franc-parler s'exprimait la jeune actrice. Un franc-parler tempéré par une subtile dose de politesse : exactement ce que le Lord appréciait.

«Effectivement, j'ai plus d'un ennemi au Sénat. Voyez-vous, quand vous osez élever la voix pour ne dire que ce que vous pensez, le monde politique se braque, et, non content de vous reprocher votre manque d'hypocrisie, il exige encore de vous des excuses comme si vous l'aviez couvert d'insultes. Même un être aussi extraverti que Ragda Rejliidic ne tolère pas que je défende mes idées politiques, c'est dire ! A priori, j'aurais plutôt cru le contraire de sa part, mais en fait, il m'a sermonné comme jamais la toute première fois que j'ai exposé en public mon projet de réforme constitutionnelle. Mais le pire, c'est qu'il n'a rien reproché au contenu de ces lois. Non, c'est le fait même de les proposer qui lui a déplu.»

Janos se cacha un instant les yeux dans les mains, prenant la posture d'un homme fatigué par la vie.

«J'en viens même, parfois, à douter de la légitimité de la légalité. A quoi bon ce système juridique s'il ne sert qu'à nous entraver sans cesse ? S'il n'a d'autre but que de retarder des projets de réformes qui lui feraient pourtant le plus grand bien ? Que de semer tant d'embûches que même les visionnaires les plus zélés baissent les bras, et laissent la République s'enliser progressivement dans cette crise absurde ?»

Cet état de conscience devait permettre à son interlocutrice de se faire très vite une idée, sous un visage somme toute assez humain, du rêve qui animait Janos et des déceptions que celui-ci se devait d'essuyer - c'était du moins l'effet escompté. Combien de fois son défunt père lui avait répété que, s'il désirait faire passer ses opposants pour des bourreaux, il n'avait qu'à endosser le rôle de la victime - un art dont il était passé maître, à vrai dire.

«Mais vous allez finir par croire que je désire commettre une tentative de putsch, si je continue à me lamenter ainsi...»

Et d'adresser un petit sourire ironique à Rastka Kae.

«Rassurez-vous, Mademoiselle Kae, je n'en suis pas encore à une telle extrémité. Sinon, je donnerais rendez-vous à des généraux fascistes plutôt qu'à d'innocentes actrices comme vous...»

Innocente... L'était-elle vraiment ? Janos n'en était pas tout à fait sûr, mais il était hors de question de se fier à de simples intuitions.

«Mais vous avez raison : venons-en aux faits. Je sais que vous êtes la promotrice d'une fondation destinée à aider les jeunes gens défavorisés, dont la condition sociale entrave malheureusement les ambitions. J'apprécie ce type d'action, car il ne s'agit pas de remplir injustement les poches des pauvres aux dépens des riches - c'est-à-dire de commettre d'absurdes injustices au nom d'une prétendue justice sociale -, mais bel et bien de donner à chacun ses chances au sein d'une dynamique profitable à tous. Bref, la justice distributive, la seule manière à mes yeux d'endiguer les injustices que réserve le sort aux plus pauvres, sans que personne n'en soit défavorisé. Et surtout, sans que d'insupportables tensions s'immiscent dans la société : vous connaissez probablement mon goût pour l'Ordre...»

Un discret sourire toujours sur le coin des lèvres, Lord Janos croisa les jambes et s'enfonça dans son fauteuil.

«Concrètement, voici ce que je vous propose. Cosmos s'engage officiellement à financer vos projets. Et si le budget de mon parti ne me le permet pas, rassurez-vous, je saurai trouver quelques arrangements : je suis le principal actionnaire de la banque la plus puissante d'Aargau, et il m'arrive de profiter de cette position stratégique quand la situation l'exige. Pas de corruption, bien entendu, mais la possibilité concrète de donner à mes idées le poids dont elles ont besoin dans ce monde si corrompu. Vous me comprenez, bien sûr... En échange de ce service, vous me soutenez politiquement lors des meetings auxquels vous participez, vous louez mon humble personne auprès de vos fans, etc., etc. Inutile de vous donnez plus de détails ; je suppose que vous connaissez la chanson...»

Cette petite touche d'insolence que le sénateur avait dosé avec vigilance était destinée à détendre l'atmosphère, à lui donner une certaine informalité pour mieux tisser la familiarité dont tous deux auraient besoin s'ils désiraient coopérer.

«Voilà en bref les closes de l'accord que je vous propose. Dites-moi ce que vous en pensez, Mademoiselle Kae.»
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Ah, ces politiciens et leurs discours ... Toujours prêts à se lancer dans une envolée oratoire, pour peu qu'on leur en laisse l'opportunité. Baste, c'est leur métier, n'est-ce-pas ? Pas étonnant qu'il déteigne sur eux au quotidien. Autant reprocher à une actrice de jouer un rôle, si vous voyez où je veux en venir. Du reste, cela ne m'ennuie pas, loin de là. D'une part, parce qu'il s'agit là d'une performance de qualité, que j'apprécie à sa juste valeur. D'autre part, et surtout, pour les indices que j'y trouve de-ci de-là. Des tensions avec notre cher ministre de l'Economie, sans parler de ce passage sur les contraintes de la légalité ... rien de surprenant, mais cela n'en reste pas moins intéressant.

En revanche, ce que je n'avais pas vu venir, c'est sa proposition qui succède au petit éloge attendu de la fondation. Tout de même. Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je reçois une proposition de cette nature. Après tout, la fondation est essentiellement financée par les dons de mécènes variés et pas désintéressés. Mais un soutien aussi officiel, affiché et proclamé aux yeux de toute la galaxie ... Machinalement, je rabats une mèche rebelle sur le côté, tic caractéristique d'une réflexion intense de ma part. Trente secondes s'écoulent, que je mets à profit pour savourer une petite gorgée du breuvage Echani que mon hôte m'a servi. Miracle. Pour une fois, mon intuition comme ma logique s'accordent au final. Une opportunité pareille ne peut être négligée. Simplement, il s'agit de prendre quelques précautions sur un sujet sensible, au préalable ...

- Avant toute chose, je me dois de vous remercier pour votre parler direct et sans détours, Sénateur. C'est reposant de ne pas avoir à déchiffrer les allusions et propositions implicites chères à tant de vos confrères. Je connais la chanson, en effet, mais votre version à le bon goût d'être plus simple et moins pompeuse. Ceci étant dit ...

Quand il faut se jeter à l'eau, autant y aller d'un seul plongeon ...

- Je pense qu'un tel accord nous serait profitable à tous deux. Oui, je suis intéressée. Vous n'ignorez sans doute pas qu'avec la crise que nous traversons, entre la guerre, les menaces de sécession, l'émergence de cet empire Sith, la déstabilisation du chancelier, les acteurs tant politiques qu'économiques ont tendance à se replier sur eux-mêmes. Attitude qui ne peut qu'être néfaste aux fondations comme celle que je représente. L'appui de Cosmos nous serait d'une grande aide. Par ailleurs, il me semble que nous partageons tous deux quelques idées communes sur l'état actuel du système républicain et les réformes nécessaires.

Je m'autorise un petit sourire. Surprenant. Deux visions a priori totalement antagonistes ne s'en rejoignent pas moins sur l'objectif à court terme. Le chantre de l'Ordre et l'apôtre du Changement. Duo contrasté qui me convient à merveille. N'est-ce pas cette idée de l'harmonie entre des pôles opposés qui réside au cœur même de mon utopie ?

Je redeviens grave, sérieuse, avant de poursuivre.

- Puisque vous avez parlé à cœur ouvert, permettez-moi de faire de même, Sénateur. La crise politique républicaine, telle qu'elle apparaît aux citoyens qui l'observe ... je ne trouve pas le mot juste pour définir ce spectacle, en vérité. Une lutte acharnée entre les Sénateurs pour s'octroyer la plus grosse part du gâteau, voilà ce qu'il m'évoque. Au mieux, ils pensent à leur système, au pire, à leur propre personne. Où est la République dans tout cela ? L'idée même du bien commun ?

Je secoue la tête, un mélange de désillusion et de mépris sur les traits, la petite lueur de colère dans les yeux en prime. Je n'ai même pas à le forcer. Ces sentiments sont sincères, même si je les mobilise à dessein, exactement comme mon interlocuteur a dû le faire quelques minutes plus tôt. Tout l'art du discours est là. Mêler sentiments véritables, demi-vérités, postures artificielles et, éventuellement, mensonges (à consommer avec modération, l'abus nuisant à la crédibilité).

- Les réformes que vous proposez ne sont pas seulement justes, elles sont aussi vitales. Si notre classe politique ne change pas d'attitude, bientôt, la République n'existera plus, tout simplement. Les Sith n'auront même pas eu à intervenir. Voilà pourquoi je suis prête à vous soutenir.

Soit dit en passant, cette éventualité serait loin de m'horrifier, s'il n'y avait cet empire Sith en pleine expansion en face. Voir l'un des deux camps triompher pour de bon ne m'arrangerait pas. Vraiment pas. Maintenant, il est temps d'aborder le point délicat ...

- Au préalable, je souhaiterais clarifier un point. Mon soutien vous sera acquis en tant qu'actrice, qu'individu, mais mon rôle d'ambassadrice de la Fondation en sera strictement détaché. Voyez-vous, comme tous ceux qui la composent, je me suis battue avec acharnement pour que son action reste apolitique. Envers et contre tout. Vous comprendrez qu'aucun soupçon de favoritisme ne doit entacher ses entreprises. Les esprits chagrins qui ne verront en notre accord qu'une manœuvre politique de votre part n'en seraient que trop ravis.

Et la Force sait qu'il y en aura. Autant ne pas leur offrir de brèche à exploiter en prime !

- Concrètement : Cosmos ne sera pas mis en avant par rapport aux autres donateurs d'un niveau comparable. Je n'utiliserais jamais la moindre manifestation officielle de la fondation pour promouvoir votre cause. Pas plus que mes ambassades. Le nom de votre parti n'en sera pas moins attaché aux missions qu'il aura contribué à financer, comme les autres mécènes, ce qui représentera tout de même un gain non négligeable en termes d'images. Et, encore une fois, je serais libre de vous accorder tout le soutien que vous envisagez, à titre personnel. Réceptions, meetings, interviews, déclarations publiques ... tel qu'il vous plaira.

Je décroise les jambes et me penche alors vers lui, le fixant droit dans les yeux.

- Ma réputation et mon prestige ne m'importent nullement. D'ici un siècle, tout au plus, on m'aura oubliée. L'argent ? J'en ai suffisamment de côté pour vivre confortablement et assurer  les besoins de mes enfants. Je n'ai donc aucune hésitation à engager l'actrice à vos côtés. Mais la fondation, elle, ne m'appartient pas. C'est une entreprise qui, j'espère, me survivra et continuera à permettre à tous ceux lésés par la naissance de s'élever, pourvu qu'ils en aient le talent et l'ambition. Voilà pourquoi je souhaiterais l'abriter d'éventuels soubresauts politiques.

Je me redresse dans mon fauteuil et reprends une petite gorgée de liqueur, avant de conclure :

-Cette clause vous paraît-elle acceptable ?
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La tête inclinée, les jambes croisées, le Lord écouta attentivement les propos de son interlocutrice. Il apprécia la justesse de son diagnostic quant à la conjoncture chaotique dans laquelle s'enlisait la République, et fut agréablement surpris des idéaux que mettaient en lumière les critiques formulées par cette jeune femme : de fait, ses convictions semblaient tisser une harmonie pour le peu inattendue, mais fort logique à bien y songer, avec l'Idéal de l'Ordre. Tout bien considéré, il ne serait peut-être pas vain d'aller au delà d'un simple mécénat, d'engager une relation plus intime, et de sonder davantage les motivations de cette actrice. Janos accorda une pensée fugace à ce grand projet qu'il désirait faire avaler à la sphère politique d'Aargau ; si la présente affaire parvenait à être ratifiée, la perspective d'enrichir ce premier accord ne devait surtout pas être négligée...

Mais chaque chose en son temps. Et pour le moment, mieux valait s'en tenir là.


«Je comprends tout à fait vos scrupules, Mademoiselle Kae ; sachez qu'ils vous font honneur. Effectivement, l'asservissement à un parti ne peut que nuire à une fondation comme la vôtre. Bien entendu, c'est en tant qu'individu que je vous le confesse, pas en tant que réformateur et représentant au Sénat de mon parti.»

Janos se demanda si cette remarque était pleinement intelligible pour qui venait à peine de le rencontrer. À vrai dire, il avait horreur de la dynamique de discorde qui animait l'impitoyable logique des partis : le parti est une systématisation des dissensions politiques et une auto-glorification complaisante de convictions jugées comme supérieures. Bien sûr, lui-même, dans ses pratiques, n'avait eu d'autre choix que de réformer l'ancien parti de son père, sans quoi il aurait été totalement marginalisé. Mais dans l'idéal, il se serait volontiers débarrassé de toute cette mascarade, de ces assemblées générales et autres préposés qui ne savaient qu'avancer de piteux arguments et suivre sans conviction la tendance du temps, pourvu que leurs petites ambitions personnelles y trouvassent un minimum de satisfaction. Bref, la compromission, l'éternelle dialectique de la compromission sans laquelle un idéal ne serait jamais plus qu'un idéal.

«Et de fait, je vois d'ici mes contempteurs me reprocher l'utilisation politique de cette action caritative.»

Le regard du sénateur s'assombrit.

«L'utilisation politique... Vous n'imaginez pas à quel point ces deux mots me suivent comme une sorte de refrain que l'on me ressasse en permanence - c'est dire le peu d'inspiration qui anime mes opposants. Levez le petit doigt, et c'en est fait : l'on accole à votre décision une utilisation politique sous-jacente, perverse et démoniaque. C'est à en devenir paranoïaque ! Aussi ai-je tout intérêt à me prévenir de ces attaques stupides...»

Après l'argumentaire politique, les questions techniques. À traiter brièvement, bien sûr : ces histoire d'argent avaient une résonnance triviale, vulgaire aux oreilles aristocratiques du Lord. Inutile d'assumer une fonction qui n'était pas la sienne : sa secrétaire avait été programmée pour s'en charger.

«Mademoiselle Evans vous enverra un holodossier précisant dans le détail les closes de notre accord, ainsi que la contribution mensuelle de Cosmos à votre fondation. Si différend il y a, vous me le communiquerez et nous en débattrons le cas échéant. Mais auparavant, il me faut convoquer le secrétaire général du parti et mes conseillers pour que nous tranchions ensemble - et démocratiquement - la somme en elle-même.»

Il avait appuyé ce dernier adverbe, "démocratiquement", en insistant sur chaque syllabe, comme pour mieux insister sur la répugnance avec laquelle ce mot s'échappait de sa bouche, quand il s'appliquait sur cette sphère si peu démocratique qu'était le monde clos de la politique.

Bien. Voilà qui était posé. Janos se demanda un instant ce qu'il pourrait bien ajouter, attendu que parler de cinéma ne faisait pas vraiment partie de ses habitudes. Jusqu'à ce qu'une idée lui effleurât l'esprit...


«Maintenant que tout est arrangé, du moins pour le moment, j'aimerais vous poser une question, disons, plus... personnelle. Vous n'êtes pas sans savoir que je me suis fait l'avocat d'un projet pour le peu audacieux, et qui n'a pas laissé de m'attirer quelques menus soucis. Dites-moi : vous qui me semblez avoir un goût assez marqué pour le changement, que pensez-vous de ma défense systématique de l'Ordre ? Car votre adhésion n'a rien d'évident : beaucoup de mes appuis se trouvent chez des conservateurs forcenés, qui ne comprennent rien à l'esprit de réforme qui m'anime...»
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Et voilà, la seule clause qui aurait pu faire achopper les négociations vient donc d’être acceptée par le Sénateur. Désormais, les destins de Raskta Kae, l’actrice, et de Lord Janos, le sénateur, sont liés. Pour ce qui relève de la vie publique, du moins. La vie privée, et les éventuels … secrets gênants, dirons-nous, ne sont bien évidemment pas concernés. Enfin, tant qu’ils ne sont pas exposés aux yeux de tous. Soit dit en passant, je suis ravie de voir que lui et moi partageons tous deux la même inquiétude vis-à-vis des critiques et calomnies qui ne manqueront pas de pleuvoir. Même si désormais, l’on ne peut plus rien y faire … Il est toujours amusant de voir politiciens et journalistes jouer les vierges effarouchées à la moindre manœuvre d’un des premiers. Comme si le propre des êtres pensants de la Galaxie n’était pas leur capacité à faire une action pour au moins deux raisons, l’une altruiste, et l’autre intéressée. Au final, si une action est « bien », est-il réellement important de savoir pourquoi on l’a faite ? Enfin, ainsi vont les choses …

Bref. Ceci étant réglé, vient l’étape indispensable des détails pratiques. Ennuyante, pour ne pas dire carrément rébarbative, mais nécessaire, et même vitale. Sans oublier le fait que trop de personnes la bâclent, ou oublient de clarifier certains détails, ce qui peut ouvrir quelques opportunités intéressantes pour ceux qui savent rester alertes. Sur ce pont précis, Janos se comporte exactement comme la plupart de ses confrères : on délègue les tâches triviales aux sous-fifres, en l’occurrence la secrétaire. Même si j’avais eu l’intention de chercher une faille, ce qui n’est pas le cas, je n’en aurais de toute façon pas eu l’occasion. Nous sommes associés, et aucun de nous n’a vraiment intérêt à duper l’autre ! Ceci est une valeur sûre, plus que les valeurs communes que nous affichons. Cynique, moi ? Non, juste réaliste.

- Je ne me fais aucune inquiétude sur ce point, sénateur. Je suis sûre que nous parviendrons à nous entendre, entre personnes de bonne volonté. Quant à vos conseillers, étant donné vos talents d’orateur, je pense que vous serez capable de faire entendre votre point de vue.

La révulsion que lui inspire l’emploi de ce mot « démocratique » ne m’a guère échappée, mais je ne sais trop à quoi l’attribuer. Connaissant le bougre, je pencherais plutôt pour une manière de montrer son mépris à l’égard des partis politiques prétendant agir « démocratiquement », mais je me trompe peut-être. Et puis vient la question gênante par excellence, mais pas vraiment inattendue : pourquoi ? Pourquoi est-ce que quelqu’un d’aussi viscéralement attachée au changement que moi se rallie-t-elle à la cause d’un défenseur de l’ordre ? Ma réponse ne traîne pas, d’une voix calme, pensive, presque rêveuse.

- Mon adhésion semble en effet paradoxale … Mais, voyez-vous, je pense que ceux sont eux qui se trompent. Ces conservateurs forcenés, comme vous le dites, ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, dès qu’ils aperçoivent un mot comme « l’ordre ». Dites-moi si je me trompe, mais il ne me semble pas que par « l’Ordre », vous entendiez la défense aveugle de la société et des pouvoirs en place, au mépris de toute raison. Non, je pense que votre ordre n’est pas celui qu’ils veulent vous voire incarner, celui qu’ils prétendent maintenir en place. Or, si vous devez procéder à des réformes pour l’atteindre, n’y-a-t’il pas là un changement ?

Je souris avec un brin de malice pour ponctuer ma démonstration.

- Par ailleurs, faites-moi le plaisir de ne pas me considérer comme l’une de ces ahuries obstinées à défendre le changement pour le changement, le progrès pour le progrès. Si j’ai une préférence marquée pour le changement, c’est tout simplement parce que l’état actuel de la République, et de la Galaxie par extension, me semble aussi injuste et absurde qu’instable sur de nombreux points. Le changement ne m’est précieux que parce qu’il s’oppose aux traditions et à l’inertie que beaucoup souhaiteraient voir perdurer. Alors, si un jour la République finit par atteindre un état stable, juste, et raisonné … ce changement n’aura plus de raison d’être, tout simplement. Je ne sais pas si votre Ordre correspond exactement à ce souhait, mais il me semble infiniment meilleur que l’état actuel dans lequel la République s’enfonce de jour en jour.

Et le meilleur, c’est que je ne n’ai pas menti d’un iota. Elargissez mon explication à l’ensemble de la Galaxie, et en particulier à l’approche de la Force qu’en ont ses utilisateurs, et vous aurez à peu près l’idéal que je cherche à atteindre. Ou plutôt, sur le chemin duquel j’espère bien lancer mon successeur. Je suis lucide : les probabilités que cela advienne de mon vivant sont encore pires que celles pour un Wookie d’arriver à passer inaperçu sur Trandosha, c’est vous dire !

Mon explication terminée, je m’allonge contre le dossier de mon fauteuil. Une question me brûle les lèvres depuis le début de l’entretien, mais j’hésite encore à la poser. Baste, après tout, autant se lancer.

- J’aurais moi aussi une question à vous poser, Sénateur. Un peu moins personnelle, certes, mais qui me préoccupe depuis quelques temps. Depuis le dénouement des évènements d’Artorias, pour être exacte. J’ai entendu parler de ce projet de traité de paix, et … voilà, pourrais-je savoir votre position sur le sujet ? Car s’il y a un sujet brûlant, c’est bien celui-là. Et, si je dois vous soutenir, il me semble préférable que je sache à quoi m’attendre …

Comme dit précédemment, lorsqu’un coup dur est inévitable, autant se préparer à l’encaisser du mieux possible. Quelle que soit la position qu’il prendra, il y aura forcément l’un des camps qui sera prêt à lui … à nous tomber dessus, désormais. Sauf s’il souhaite garder profil bas. Mais je commence à le connaître un peu, ce cher lord Janos, et ce n’est définitivement pas son genre, je le crains. Bah, ça le rendrait tout de suite plus ennuyeux, s’il agissait comme les autres.
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Rastka Kae était une personne qui jouait cartes sur table. Une qualité appréciable quand on fait de la politique, tout au moins à condition de ne pas la laisser se muer en une franchise mal placée.

«Par Ordre, j'entends une stabilité retrouvée dans la République, et plus largement à travers la Galaxie tout entière. Une stabilité caractérisée par l'entente cordiale entre les différents membres du tout auquel ils appartiennent, une cohésion mutuellement bénéfique, un rassemblement unanime que rien ne vient plus troubler. Laissez-moi vous avouer que l'Ordre ne constitue pas seulement un idéal ; c'est également une philosophie, appliquée sur la logique, l'éthique et la physique.»

Janos marqua une petit pause, décidé à rendre ses propos aussi intelligibles que possible. Il était rare qu'il développât ses idées avec tant de profondeur, et, à vrai dire, il n'en avait pas souvent l'occasion : les politiciens qu'il fréquentait habituellement se moquaient amplement de la métaphysique et des abstractions en général.

«D'un point de vue logique, tout d'abord, l'Ordre est la manière dont un être vivant structure sa représentation du monde. Aussi identifiè-je l'Ordre à l'instinct chez les animaux et à la raison chez les êtres intelligents. L'instinct et la raison constituent en effet les paramètres cérébraux qui, naturellement, poussent un être à se développer dans son environnement, à réagir face à une situation donnée et à survivre en cas de danger.»

Nouvelle interruption, pour bien imprégner son interlocutrice de cette première idée.

«D'un point de vue éthique, je distingue deux incarnations de l'Ordre. Politiquement, celui-ci s'identifie à la stabilité sociale, à l'entraide d'État à État, à la coopération entre systèmes, ce que seul un exécutif fort peut réellement assumer. Moralement, l'Ordre guide une existence particulière en lui offrant une dynamique continue, un objectif unique, à l'inverse d'une vie chaotique comme celle des être corrompus, abrutis par leur médiocrité et l'assouvissement de leurs désirs personnels. Cette idée s'applique à tous les peuples et à toutes les classes sociales, bien entendu ; je ne cible personne en particulier. Disons seulement, pour faire simple, que l'Ordre politique est à la communauté ce que l'Ordre moral est à l'individu. Mais leur application concrète reste sensiblement la même.»

Janos sonda le regard de la jeune actrice, se demandant s'il ne l'ennuyait pas avec ses explications. Manifestement, non... Mais peut-être jouait-elle l'intéressée par simple politesse.

«C'est d'un point de vue physique que la chose peut paraître plus complexe. Du moins pour une personne qui n'a pas été initiée aux mystères de la Force. Voyez-vous, la Galaxie est composée de midicloriens, d'infimes particules sans laquelle la vie ne serait pas possible. C'est l'activité invisible mais continue de ces midicloriens qui organise la totalité du réel. À eux seuls, ils forment cet Ordre à l'œuvre en permanence au sein du vivant, au plus profond de nos gènes, au cœur-même de notre être. Au cas où vous ne le sauriez pas, j'étais Jedi consulaire, auparavant ; cette éducation m'a permis de comprendre que la Force est une incarnation de l'Ordre dans les éléments inertes comme vivants, un Ordre que l'on peut sentir, anticiper, maîtriser. À cause de cet attentat qui m'a ôté une partie de mon corps, j'ai volontairement renoncé à mon initiation comme Jedi, mais je n'ai rien perdu des préceptes que l'on m'a enseigné. Même si... disons... je ne partage pas toutes les opinions du Conseil quant au Côté Obscur et que... de nombreux différends ont pu nous opposer... Je crois, en fait, que l'équilibre dans la Force ne sera possible que si une harmonie se tisse entre le Côté Lumineux et le Côté Obscur. L'Ordre est totalité, voyez-vous : de l'union des contraires, peut naître la seule victoire possible sur le chaos.»

Janos décroisa les jambes et se redressa sur son siège pour redonner un élan à la conversation.

«Mais je dois probablement vous ennuyer avec toutes mes histoires ! J'ose imaginer que pour quelqu'un qui y est étranger, la Force doit vraiment paraître énigmatique. Tout cela pour vous dire, en tout cas, que mon programme politique n'est qu'un simple maillon d'un système de pensée bien plus large... Quant à mes projets quant à l'avenir proche, eh bien... Au risque de vous sembler contradictoire, j'ai prôné l'entrée de la République dans un conflit contre l'Empire Sith. En fait, l'Union Sacrée me paraît être la seule solution pour échapper à la discorde qui naîtrait de la ratification du traité de paix. Comme je l'ai dit lors de mon dernier discours au Sénat, mieux vaut la guerre à l'extérieur et l'Harmonie à l'intérieur, que la Paix à l'extérieur et le chaos à l'intérieur. Cette phrase résume à elle seule ma pensée sur cette affaire. De toutes façons, - je vous parlais, à l'instant, des contraires - je pense que le chaos est une étape, certes provisoire, mais bel et bien essentielle dans cette Dialectique Universelle qui nous mènera à l'Ordre. Ce qui répond d'ailleurs à votre question de tout à l'heure : oui, je perçois l'Ordre comme une fin, et pour parvenir à une fin, il faut savoir passer par le changement, s'y adapter et en faire son meilleur allié. L'Ordre est le résultat d'un long et périlleux changement dont nous sommes les acteurs.»
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Qu'est-ce que je disais, déjà, à propos des politiciens et leurs discours ? Vous vous rappelez ? En voilà un nouvel exemple. Quoiqu'il m'ait intéressé au plus haut point, je vais vous faire grâce d'une analyse détaillée et exhaustive de celui-ci, qui ne manquerait pas de vous assommer. Qu'il me suffise de dire que nos idéaux respectifs semblent converger sur de nombreux points, malgré quelques petites différences insignifiantes ... pour le moment. Y compris, et surtout, dans l'approche de la Force. Bref, je suis ravie de voir que Janos ne se contente pas uniquement d'une approche politique et institutionnelle, mais aussi plus métaphysique. Ravie aussi de voir qu'il a répondu sans détours à ma question. La guerre. Voilà sa position. La guerre pour éviter la division. Classique, mais efficace, en général. L'union sacrée, tout ça ... Je secoue la tête, l'air triste et légèrement anxieuse.

- La guerre, donc. Je dois avouer que cela ne me réjouis pas. Mais sans doute vaut-il mieux la déclencher maintenant, plutôt qu'attendre et laisser les Sith se renforcer pendant que la République se divisera ....

Question épineuse, s'il en est. Je ne sais toujours pas quelle attitude adopter à ce sujet. Choisir un camp, temporairement, me tenir à l'écart, favoriser la guerre, essayer de l'éviter ... Trop de répercussions possibles et de conséquences importantes pour que je fasse ce choix à la légère. J'hausse les épaules, avec un petit soupir en prime. De toute façon, ce dilemme qui n'appartient qu'à moi ne sera pas résolu ici ... Par contre, je peux toujours mettre à profit le temps qui me reste pour continuer de sonder mon partenaire.

- Ce que je retiens de votre discours, c'est que vous ne risquez pas de vous ennuyer ! Votre seule réforme politique suffirait à vous occuper un certain temps, mais là ... pensez-vous vraiment avoir une chance de réussir ? Qu'importe le lieu et l'endroit, les êtres pensants se ressemblent tous. Faillibles, médiocres, égoïstes. Ils n'arrivent que ponctuellement à surpasser leur condition, et jamais longtemps. Quant à ceux qui sortent du lot ... leur sort est rarement enviable. Vraiment, imposer l'Ordre à une pareille galaxie ... C'est une tâche difficile, pour ne pas dire impossible. Une vie d'homme ne suffirait pas à en venir à bout.

L'homme avait déjà toute mon attention, maintenant il a mon respect. S'engager sur une voie aussi périlleuse que la sienne ... que la nôtre, en fait, n'a rien d'une sinécure. C'est une route solitaire, périlleuse, ingrate, avec à la fin une réussite pour le moins incertaine. C'est se condamner à s'isoler des autres, à devoir consentir des sacrifices, à se salir les mains et se charger de sales besognes. En est-il déjà arrivé là ? Peut-être que oui, peut-être que non, mais il y viendra. Un changement d'envergure ne peut s'accomplir qu'en détruisant ce qui composait l'ancien état des choses. Bref, me voici désormais fixée sur la nature de mon associé. Enfin, l'officielle, bien sûr, mais cela importe peu. Quand bien même ce ne serait qu'une façade, tant qu'il la maintient, qu'il agit comme si elle était vraie, alors ça ne me dérange pas. Et si l'hypothétique masque tombe ... il sera toujours temps de réagir en conséquence ...

Je me redresse dans mon fauteuil. Un sourire sincère se dessine peu à peu sur mes lèvres.

- Je suis sûre que beaucoup vous tiendraient ce discours, à ma place. Hé bien, ils auraient tort ! Je ne déteste rien de plus que ceux qui baissent les bras avant d'avoir essayé, qui préfèrent passer leur courte existence à laisser les choses se détériorer plutôt que de se mesurer à ce qui leur semble impossible. L'histoire a été forgée par ceux qui ont su briser les barrières qu'on souhaitait leur imposer. Si mon existence ne doit être qu'un bref murmure dans l'éternité, si je dois disparaître, alors j'espère au moins avoir eu le temps de léguer une meilleure galaxie à mes enfants. Avoir accomplit un seul pas sur ce chemin vaudra mieux que de ne pas avoir osé l'emprunter. Bien sûr, si je peux atteindre l'arrivée, je ne m'en plaindrais pas outre mesure ...

Mon petit discours débité, je me compose à nouveau un air sérieux, concentré. Il y a un autre sujet à aborder, je m'en rends compte maintenant. Notre partenariat est conclu, soit. Mais ...

- J'y pense ... dans quel cadre souhaitez-vous que j'annonce mon soutien à votre cause ? Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes de m'impliquer politiquement parlant, comme vous le savez ; les calculs politiques ne sont pas vraiment mon point fort. Vaudrait-il mieux une déclaration en bonne et due forme, le plus tôt possible, une interview accordée à une gazette en vue ? Ou bien préféreriez-vous préserver le secret jusqu'à un moment propice ?

Et oui. Ce n'est pas tout de conclure une alliance favorable, encore faut-il la révéler de manière à obtenir le plus d'impact possible !
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Lord Janos apprécia la moue avec laquelle la jeune femme accueillit cette nécessaire adhésion à un conflit armé. Oui, elle avait tout à fait raison d'exprimer un tel dégoût. Et lui aussi, d'ailleurs : seulement, il ne laissait jamais transparaître les rares sentiments qui traversaient parfois son âme mécanique. Mais malgré tout ce qu'il put en dire, de fait, la guerre le répugnait au plus haut point.

D'un léger hochement de tête, il approuva également sa réplique sur la difficulté de défendre ses idéaux dans cet univers hostile. Là encore, l'actrice marquait un point : cette créature jouissait d'une maturité qu'il avait rarement vue ailleurs. Elle semblait surtout sensible à l'idée-même de l'Ordre, à sa dynamique créatrice, à cette Dialectique qui n'était rien moins qu'une lutte acharnée, désespérée, le combat d'une vie, le dernier cri d'un être indigné, courageux, prêt à tout pour parvenir à sa fin. En revanche son constat d'échec était déplorable : si l'on n'est pas persuadé que l'on va réussir, à quoi bon agir ? C'est ainsi que Janos raisonnait, existait, prospérait. Ah... Quel dommage qu'un esprit si abouti pût s'adonner à un tel défaitisme !

Enfin, quand elle lui évoqua les modalités de l'officialisation, il plissa les yeux d'un air énigmatique.


«J'ai peut-être une idée qui pourrait vous plaire...», déclara-t-il en marquant volontairement une pause pour capter l'attention de son interlocutrice. «Je désire fonder sur Coruscant un Musée des Arts et Cultures. Il s'agira d'un centre culturel où seront concentrés des expositions, une bibliothèque, une holothèque... Bref, il s'agira d'un centre culturel novateur et révolutionnaire !»

Comme il parlait, son œil artificiel projeta au cœur du petit salon un hologramme représentant une structure pyramidale, dont certaines parties étaient colorées de bleu, de vert ou de rouge.

«J'ai fait acheter à mes propres frais le bâtiment que voici. Un ancien cabaret qui vient de faire faillite. Ici, au sommet, se trouvera la bibliothèque, bordée de baies vitrées qui offriront une vue panoramique sur la capitale. Là, dans les étages supérieurs, les salles d'exposition. L'une d'entre elles sera dédiée aux vingt plus belles merveilles de la Galaxie, que l'on pourra visiter en trois dimensions, grâce à un équipement holographique dernier cri. D'autres salles présenteront au public un certain nombre d'objets, que nous sommes en train de classer par système et par époque. J'ai d'ailleurs réussi à en amasser un grand nombre venus du Noyau, dont certains sont directement sortis de ma collection personnelle - voyez-vous, mon bisaïeul Clark Janos était un esthète, et son fils, Khan Janos, mon grand-père, l'a largement agrémentée. En ce moment, j'ai envoyé des conservateurs de par la Galaxie pour qu'ils recherchent d'autres objets : je souhaiterais que chaque monde soit représenté. Ensuite, ici, vous avez une salle de concert. Et là, des holocinémas. Ici, des magasins, des restaurants et autres installations de ce genre. Il s'y trouvera également un gymnase...»

Au fil de ses explications, le regard de Janos s'enflammait. Même si la totalité de ce projet avait été confiée à des sous-fifres, il lui plaisait d'en parler comme de sa toute nouvelle œuvre. Une incarnation de l'Ordre dans la variété culturelle de la Galaxie.

«Je souhaite surtout et avant tout que ce lieu garantisse un brassage culturel. Voyez-vous, nombre de musées se caractérisent par leur élitisme : seules les personnes de bonne compagnie s'y rendent, et si vous n'avez pas la culture ou l'éducation nécessaires pour comprendre ce que vous avez sous les yeux, vous en êtes exclu d'emblée. Ce musée d'un type totalement novateur attirera bien plus qu'un public de lettrés et d'érudits : les spectacles seront destinés à plaire à tous, de tout âge, de toute espèce et de toute classe sociale. À ce titre, certains des holofilms dans lesquels vous avez tourné feront probablement partie de nos programmes...»

Le sénateur adressa un regard interrogateur à la jeune actrice.

«Dès lors, que diriez-vous de vous manifester lors de l'inauguration de mon tout nouveau bébé, Mademoiselle Kae ?»
Invité
Anonymous
Un projet colossal, pour ne pas dire titanesque, voilà ce que j'ai sous les yeux. A l'image de l'idéal du Sénateur, mais ramené à l'échelle d'un édifice. Un lieu destiné à "plaire à tous, de tout âge, de toute espèce et de toute classe sociale", rien que ça ! Surtout lorsque l'on s'attaque au domaine culturel, là où toutes les traditions, forces d'inertie et fossés se manifestent avec d'autant plus de force qu'ils ne sont bousculés par aucune nécessité d'ordre pratique. Le pragmatisme et la culture ne vont pas vraiment de paire. Quoiqu'il en soit, je suis séduite par l'idée, en parfait accord avec ma sensibilité personnelle et mon inclination pour les réalisations ambitieuses. A en juger par son ton, mon hôte est clairement enthousiasmé par son projet. Quoi de plus étonnant ? Le brassage culturel est la clé de l'Ordre, après tout. Nul ordre n'est viable si des castes perdurent à travers leur culture ...

- Ce sera un honneur pour moi que d'être présente à l'inauguration de votre bébé, Sénateur, et d'y annoncer officiellement mon soutien à votre cause. Pourrais-je savoir la date exacte, afin d'éliminer d'emblée tout obstacle à ma présence ?

Là est l'avantage d'être une actrice relativement excentrique et populaire. La possibilité de décaler des rendez-vous sans prévenir, sans que cela soit considéré comme un affront majeur ou un incident politique. Soit dit en passant, le fait de ne pas être vraiment attachée à sa carrière joue aussi ...

- Ceci étant dit, je crois que ...

C'est à cet instant précis que l'énorme cadran horaire bleu fixé sur l'un des murs se met à sonner, d'un bruit aussi insistant,monocorde et répétitif que désagréable à mon oreille. Il ne m'est pas vraiment compliqué de deviner que notre entretien s'arrête là. Au moins, cela m'épargne la peine de finir ma phrase, qui devait aboutir à la même conclusion !

- Le temps qui m'était alloué touche à sa fin, j'imagine, Sénateur ? Il va être temps pour moi de prendre congé, alors. J'attendrais avec impatience le message de votre secrétaire concernant l'inauguration. Tous mes remerciements pour votre hospitalité, et j'espère que notre partenariat s'avérera efficace pour la promotion de nos idéaux !

- Effectivement, mon emploi du temps est extrêmement serré, en ce moment. L'accueil des réfugiés artoriens sur Aargau, voyez-vous. Mais cette première entrevue me persuade d'une chose : nous saurons trouver un terrain d'entente sans trop de difficulté, voilà qui ne fait aucun doute.

***

De retour chez moi. Les yeux dans le vague. Je n'ai pas souvenir d'avoir dû prendre une décision aussi difficile, par le passé. Avec de telles répercussions. Avec un tel impact sur la galaxie, non pas au long terme, mais là, maintenant. Avec de tels risques pour moi et ma famille. Non, je ne parle pas du partenariat. Mais d'une autre décision. Définitivement, je ne peux pas ne pas m'impliquer dans ces troubles. Je n'ai pas le choix. L'inaction n'a jamais été mon fort, d'ailleurs. La guerre ne peut pas être évitée, désormais. Alors le plus tôt sera le mieux. Avant que chaque camp n'ait pu se préparer encore plus, accumuler plus d'armes, de soldats, de vaisseaux, mener à bien plus de recherches. La République doit survivre. Entre elle et l'Empire ... mon choix est fait. Alors, oui, paradoxalement ... je dois me ranger dans l'autre camp, pour un temps. Pour rassembler des informations, sur eux, sur leurs objectifs, sur leurs bases, sur leurs membres.

Ainsi soit-il. Je m'assied sur mon fauteuil favori, et fouille dans l'un des tiroirs jusqu'à finalement trouver ce que je cherche. Un comlink, modifié de fond en comble. L'un des rares liens avec la vie que je menais, avant de me ranger. Les communications sont cryptées. Je n'envoie qu'un bref message. "Rod'. C'est Lya. J'ai besoin d'un service ..."
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