Le silence, pour la première fois depuis des années, depuis presque deux décennies, le silence. C'est ce qu'il avait trouvé, là, sous la surface de Korriban. Lui c'était Hunluan, non, Shakaxhi. Oui, Shakaxhi et rien d'autre. Juste lui, le silence... et les ténèbres aussi. Ce n'était pourtant pas ça qu'il était venu chercher ici, dans ce tombeau. Il était venu y trouver ce qu'il avait de plus proche d'un ami. Il ne lui avait parlé qu'une fois, ils s'étaient haïs dans l'instant, aimé dans l'autre, enfin lui plus que l'autre. L'autre, est-ce seulement juste ? Après tout cet ami n'était qu'une voix dans le vent, une brise froide au fond d'une tombe, un simple écho dans la Force. Mais le seigneur fou pouvait-il vraiment s'enticher d'autre chose qu'une chimère, un reflet déformé d'un passé oublié ? Un reflet absent, désespérément absent. Il n'avait trouvé, aucun seigneur, seulement le noir, n'avait entendu, aucune voix, mais avait été assailli par son absence. Et pour la première fois depuis ce qui lui semblait des siècles, son esprit se détendit, son corps se relâcha totalement. Là, avec pour seule compagnie l'odeur des corps pourrissants des bêtes qui protégeait le tombeau de Darth Orn, il découvrait la paix.

C'était il y a des mois, quatre, peut-être même huit. Le zélosien avait perdu la notion du temps depuis l'instant même où il s'était assis sur la tombe de l'ancien seigneur noir, entrant dans une transe étrange. Son esprit s'était comme replié sur lui même, isolé pour la première fois de la tempête qu'était la Force pour lui, hurlant à ses oreilles, faisant tournoyer l'univers jusqu'à le fondre en un amas de couleurs de cris, changeant tout en une farce, un tour de manège. Pourquoi maintenant ? Peut-être était-ce la défaite, cette déroute imposée par une enfant et sa protégée. Peut-être que c'était simplement la lassitude. Mais au fond peu importait la raison. Là, seul face à lui-même, son corps réduit au simple contenant, chacune de ses fonctions ralenties à la limite de la mort, il avait trouvé quelque chose d'unique, quelque chose de proche de la paix.

En rêve, il revivait sa gloire passée, ses glorieuses heures sous l'égide du temple de Jedi. Qu'il était heureux alors, presque ! Il y avait toujours eu cette tache froide et sombre au fond de lui, cette petite voix qui n'en était pas une et qui le poussait à chercher toujours plus loin, à combler ce vide glacial.
Et puis il y avait eu Myrkr. Glorieuse, divine Myrkr. Elle avait été difficile à apprivoiser. Il s'était écoulé des jours, des semaines, avant que cette peur viscérale, celle de la proie traquée, ne le quitte. Des semaines entières avant que la planète ne l'accepte, avant que la Force ne se révèle à lui. Oh, il s'était senti sombrer, il avait senti la folie corrompre jusqu'à la moindre parcelle de décence en lui. Il avait perdu l'esprit, mais pas sa lucidité. Alors chaque jour devint à la fois glorieux et insignifiant. Il s'en souvenait pour la première fois. Il avait renoncé à la raison en toute conscience, comme un sacrifice sur l'autel de son besoin de comprendre, d'obtenir des réponses.
C'est toute sa vie qu'il revécut, qu'il vit d'un oeil nouveau, plus aguerrit, plus conscient. Et lorsque son esprit ne fut plus tout à fait une énigme, qu'il eut revécu chaque rencontre, chaque combat, en tirant des leçons nouvelles, l'ébauche d'une vision, il en entama le croquis, jusqu'à ce que.

-"SHAKAXHI …"

L'appel résonna en lui, presque comme une commande vocale. En une seconde tout était revenu, la Force, le bruit, le monde. Le zélosien avait été extirpé de sa transe comme il y était entré, sans prévenir, sans le choisir. Mais s’il avait était surpris par la paix, cette fois-ci c'était la violence de la Force qui le saisissait. Les sentiments se bousculèrent en lui. D'abord la colère, et puis de nouveau, comme avant, ce sentiment d'impuissance face à l'absurdité qu'était la vie. Et puis l'hilarité, juste un court instant, un rire que seul lui put entendre, bientôt accompagnés par un grondement sourd, un battement familier. Les tambours.
Mais il n'était pas encore temps pour les tambours, il n'avait pas fini, il n'avait pas pu...

-"SHAKAXHI …"

Cette fois-ci ce fut conscient qu'il entendit l'appel. Cette fois-ci il sut que quelqu'un l'avait arraché à sa transe. Alors la colère revint, alors le monde redevint rouge...

Après les appels de la zeltronne, le silence était retombé sur la vallée des Seigneurs Noirs. Seul le vent se faisait entendre, seule la mort émanait de ce lieu sinistre et pourtant grandiose par sa démesure. L'air lui-même sentait la mort, cette odeur âcre de la charogne en décomposition, quelque part sur la surface de la planète, charriée par le vent.
Il se passa de rares, mais longues minutes avant qu'un son ne vienne répondre à l'appel. Un son étrange entre la vibration et le déchirement, si incongru pour le commun, mais si familier pour quelqu'un tel que la Dame Sith. Il se reproduisit encore, et cette fois même un néophyte aurait pu dire qu'il venait du tombeau du plus récent des habitants de cette vallée. L'attention désormais focalisée dans cette direction, alors que le bruit de répétait encore une fois, on pouvait voir des traits de lumière parcourir la surface de la lourde porte de pierre, close, du tombeau. Elles n'apparaissaient qu'un temps, puis le son s'évanouissait, et avec lui, tout doute sur ce qui produisait le bruit. Alors, quand le phénomène se répéta de plus en plus rapidement, nul doute que Darth Riakath savait ce qu'il se passait. Nul doute qu'elle visualisa le seigneur fou derrières ces lourdes portes, frapper l'obstacle qui le séparait d'elle en tout sens. Mais le vit-elle se reculer, prendre son élan et foncer, épaule la première, sur les portes en pierre ? Ou bien ne le comprit-elle qu'en les voyant s'effondrer, éclater sous le choc, soulevant un nuage de poussière masquant le passage créé par le Sith dément ? Peu importait, car déjà Shakaxhi surgissait hors de la poussière, sabres en mains, encore désactivés.

Les lames ne surgirent que lorsqu'il fut sur celle qui l'avait dérangé. Il n'y avait pas de sourire sur ses lèvres, pas d'éclat de folie dans ses yeux, simplement une colère froide gravée sur son visage.

Les coups se mirent à pleuvoir instantanément, sans l'once d'une hésitation. Les deux sabres dansaient ensemble, attaquant, feintant, mais semblant épargné l'adversaire, se contentant de la mettre sur la défensive plutôt que de vraiment chercher à s'en débarrasser le plus vite possible. Lorsqu'il s'en prenait au corps, ce n'était qu'au niveau des jambes ou des bras, et sans sembler se soucier de toucher ou non.

Qui était-elle ? Que voulait-elle ? Voilà les questions que ne se posait pas Shakaxhi. À vrai dire, il ignorait même si c'était une elle ou un lui. Tout ce qu'il percevait c'était la silhouette fine, féminine, qu'il allait réduire en morceaux. Tout était flou, ses sens encore engourdis de leur longue inactivité, et il s'en moquait. Peu important qui elle était, et peu importait qu'elle veuille lui parler ou le combattre. Si une seule chose méritait l'attention de son esprit, ses interrogations, c'était ce rêve qui déjà s'effaçait, s'évaporaient comme tout les autres rêves. Il fallait qu'il s'y accroche, qu'il puisse le revivre, le reproduire. Il fallait qu'il puisse le...

Une sensation familière, quand la lame de lumière rencontre la chair et la brûle si vivement qu'il s'en reste rien. Il y a alors une odeur qui se dégage, un changement infime dans la résistance du sabre au mouvement effectué puis le frisson. C'est ce dernier qui ramena totalement le zélosien à la conscience, à la réalité, le frisson du premier sang. Pour une fois ce n'était pas le sien, et c'était certainement un changement étrange dans la personne qu'était le seigneur Fou. Mais ce qui n'avait pas changé c'était le plaisir que lui faisait éprouver ce premier coup porté.
Ce ne fut qu'à partir de là qu'il put mieux jauger son adversaire, observer sa peau rouge, le masque qui dissimulait le haut de son visage, ses lèvres, comme un appelle à la sensualité, mais surtout sa façon de se mouvoir, de parer et d'esquiver toutes ces petites attaques qui n'étaient au fond que des tests.
Mais ce temps d'analyse fut trop court. Le zélosien n'avait eu le temps que de voir que la dame était une bretteuse aguerrie. Elle avait murmuré, à peine audible, dans une langue qu'il ne comprit pas, mais reconnut vaguement. Mais le temps viendrait de mieux comprendre, lorsque ce serait terminé, lorsque le brouillard qui s'élevait maintenant se dissiperait.
Oui, un brouillard, épais et sombre, brouillant la vue, perturbant les autres sens. Un brouillard d'où n'émanait que l'obscurité.
Ça commença par un soubresaut, à peine un petit hoquet se répétant un peu trop rapidement.

Puis il y eut une morsure dans le noir, une lame écarlate venant mordre son flanc droit. Il avait essayé de lever son sabre, par réflexe, mais après que le coup ne fut porté. Alors le hoquet se changea en un grognement à la limite du gémissement de plaisir, avant de muer de nouveau en un rire éclatant, si tonitruant que la vallée sembla se figer un peu plus l'espace d'un instant. Un rire qui se mêlait au brouillard, comme une onde de démence.

"Chhhhhhhut chutchutchutchutchhhhhut. Ce n'est pas une façon de traiter les gens. Tu devrais avoir honte."

C'était d'une voix profonde, rauque, que le zélosien s'exprimait, celle d'une gorge n'ayant pas parlé depuis des mois entiers.

"La dame fait un effort et moi je ris. Elle va croire que je me moque. Il faut jouer le jeu."

De nouveau une pause alors que, sans rien voir, Shakaxhi baladait son regard dans le brouillard.

"OH MON DIEU JE NE  VOIS PLUS RIEN !!! JE SUIS FOUTU !!!"

Sans prévenir, il était entré dans le personnage. Il se retournait frénétiquement en tout sens, son visage était déformé par la même peur que celle qui habitait sa voix. Il frappait le vide comme pour y cueillir son ennemie.

"Ah mais c'est bien sûr."

Calme de nouveau, laissant courir son esprit dans la Force, il se mit de nouveau à rire aux éclats lorsqu'il sentit la Force trouver la Dame Sith, caresser son corps jusqu'à trouver son cœur pour ensuite le presser lentement.