Et voilà, on y était. Lyrae tendit l’oreille devant le panneau en bois qui servait de fermeture de la salle d’entraînement. On entendait vaguement la voix d’un homme qui répétait la même chose à l’intérieur. Lyrae ne se sentait pas prêt à donner des cours, pour sa part. Faire des gestes et des bruits au milieu d’une nuée de petites filles gloussantes ? Ah non merci. Il était bien meilleur en mission, d’abord. Le Conseil avait dû s’être trompé quelque part, ce coup-ci, il n’y avait pas d’autre explication.

La voix du professeur sembla conclure puisque, juste après, des voix d’enfants s’élevèrent et l’agitation soudaine fit vibrer le sol sous le Chevalier. Il se retira vivement de devant le panneau de bois, de peur qu’il n’explose et que lui-même se retrouve écrabouillé par des dizaines de petits pieds Jedi.

En fait, il n’était pas si loin de la réalité, constata-t-il quand les monstres furent relâchés en liberté. Le panneau s’ouvrit, la salle vomit un certain nombre de petits garnements qui détalèrent dans le couloir sans le voir. Un groupe de petites filles les suivit et il dut froncer les yeux en les détaillant –non, aucune humaine parmi elle n’était la tornade qu’il connaissait. Quand Lyrae se rendit compte que les padawanes lui rendait un regard curieux, il s’intéressa aux enfants suivants. Un Nautolan un peu obèse se frayait un chemin parmi un nouveau petit groupe d’enfants, mais aucune couette marron ne dépassait.

Une tête plus haute que les autres surgit, elle, recouverte de longs cheveux marrons… mais avec une barbe.

- Bonjour Chevalier. Vous cherchez quelqu’un ?
- Bonjour Maître Lorn. Oui, Jana est une de vos élèves, je crois. Jana Tiluüra, détailla Lyrae, mais il commençait à se demander s’il ne s’était tout simplement trompé de cours.
- Ah ! Oui, elle est ici.

Une petite Togruta pouffa en jetant des regards à Lyrae puis à quelque chose à l’intérieur de la salle. Le Chevalier se fraya un chemin, répondit, vaguement gêné, au grand sourire d’une autre petite fille et se retrouva enfin devant l’objet de sa recherche –et désormais, son cerveau eut l’amabilité de l’en informer soudain, de toutes ses craintes.

- Jana !

Bon, il allait pas lui faire le coup du « Faut qu’on parle », non plus. Il était déjà suffisamment effaré lui-même pour filer le cafard à une gamine de … Mince, il savait plus quel âge elle avait.

- T’as fini ta journée ? Si oui je t’emmène goûter un super truc à la cantine !

Et surtout, il fallait l’extraire de cet horrible monde de petites filles en manque d’histoires romantiques.

*Oui oui je sais, je devrais regarder le monsieur chevalier à la barbe, mais ça fait déjà la troisième fois qu'il répète la même chose. Alors soit il y a des petites filles qui n'ont pas bien compris - pas comme moi hein - soit il perd un tout petit peu beaucoup la tête et en fait il ne se rappelle pas du tout qu'il l'a déjà expliqué deux fois avant. Et hier aussi. Ah oui, parce que hier j'ai bien écouté moi d'abord! La première fois jusqu'au bout tout au bout! Et la deuxième fois aussi, même si à la fin je ne sais plus si j'écoutais encore. Et puis quand il a recommencé aujourd'hui, il n'y a que la première fois que j'ai écoutée. Il allait peut-être dire quelque chose de nouveau. Ou même rajouter un mot surprise. Ou peut-être même un mot qui n'avait rien à voir du tout!! Comme pour vérifier si tout le monde avait bien écouté hier et qu'on allait crier haut et fort qu'en faisant c'était pas ça qu'il avait dit en premier!! Alors j'ai genre super méga beaucoup fait attention. Et j'ai écouté chaque mot qu'il a utilisé. Parce que moi je savais exactement ce qu'il avait dit hier. Eh bien en fait ... aujourd'hui il a dit la même chose aussi. Il a même pas changé un mot pour voir si on écoutait. Et moi je suis certaine d'abord que ma voisine de hier elle a pas bien écouté! Oui parce qu'elle préférait regarder un garçon un peu plus grand qu'elle et en parler à ses amies. J'ai pas bien compris. Alors aujourd'hui je lui ai demandé. Mais je crois que j'ai parlé un peu fort. Du coup, maintenant elle me boude et elle est allée se mettre un peu plus loin. Elle me regarde bizarrement depuis. Mais ce n'est pas grave car moi je peux sourire pour deux. C'est maman qui m'a appris comment faire d'abord!*

*Ou de trop peu. Il ne faudrait pas non plus que sa mémoire lui joue des tours! Mais c'est peut-être pour ça qu'il donne cours à des enfants? Parce que leur tête n'est pas encore aussi pleine que la sienne. Alors, forcément, ils ont encore de la place pour mettre un peu de ses mots. Au cas où il les oublierait. Vous voyez?*

*C'est déjà fini? Mais monsieur le chevalier à la barbe, vous ne nous avez encore rien appris de nouveau? Nous avons déjà vu tout cela hier. Et ... et ... et ...*

*Regarde-toi! Tu es tout ébouriffé de partout! Il faudra que je demande à Luuna si je peux lui emprunter son peigne pour lisser un peu tes poils. Sinon ça risque de faire des nœuds et ça fait super méga fort mal pour les retirer. Mais il ne faudra pas pleurer hein! Maman elle dit qu'il n'y a que les petites filles qui pleurent! Et tu n'as pas envie d'être une petite fille, n'est-ce pas?*

Heureusement, l’entraînement physique faisait partie de l’enseignement des Jedi dès leur plus jeune âge et Lyrae avait, comme la plupart de ses camarades, gardé la bonne habitude de se maintenir en forme. Qui sait si sa colonne vertébrale ou ses côtes n’auraient-elles pas cédé à la pression, sinon ? Mais pour une fois, la douleur physique était dépassée par l’amusement. Jana commençait à lui faire moins peur –mais attention, il n’était pas encore tout à fait sûr de son innocence non plus. C’était peut-être la chose poilue qu’elle trimballait partout avec elle depuis quelques temps qui lui faisait cet effet-là. Quoiqu’avec ce truc, elle pouvait facilement étouffer quelqu’un qui l’aurait trop titillé ou qui aurait refusé un câlin…

Lyrae rit, de surprise, avant de soupirer d’un air légèrement gêné, tout en serrant Jana à son tour, gauchement toutefois.

- Ah ! Heu oui… Ça fait longtemps qu’on s’était pas vus, donna-t-il comme explication - pas terrible - à Maître Lorn.

Ce dernier haussa les épaules avec un sourire avant de s’occuper à séparer deux petites teignes qui avaient décidé de s’imbriquer d’une manière un peu étrange –une petite main qui tirait des cheveux, des dents plantés dans un mollet, bref, c’était compliqué- et Lyrae dut admettre qu’il y avait pire comme nouvelle que celle qu’il avait eu : le pire, c’était d’être professeur de toutes ces petites choses.
Lui allait commencer par une chose, et c’était déjà bien assez pour son niveau.

- Moi ? Ah, moi, j’oublie vite. C’est pour ça que les professeurs répètent toujours la même chose, pour pas que des types comme moi oublient, et c’est pas gagné. On s’appelle pas tous Luuna ou Jana, tu sais !

On prend son courage à deux mains, les étroites épaules à moitié disparues sous le sac-à-dos boule de poils aussi, et on entreprend de s’extirper tant bien que mal de l’étreinte envahissante du petit monstre à couettes. C’est qu’elle avait de la force, en plus.

- C’est une surprise ! éluda-t-il pour ne pas perdre de temps –ou plutôt pour en gagner, parce qu’il ne savait pas très bien ce qu’il allait bien pouvoir trouver au réfectoire. Allez, en route ! Et raconte-moi ce que tu as retenu, alors, histoire que je révise si Maître Don m’interroge !

Hop, voilà Jana au bout de la main de Lyrae, qu’il serre fort, parce que la petite a des tendances légèrement fugueuses –la journée passée dans Iziz était encore fraîche dans la mémoire du Chevalier. Rien que d’y penser, il était atterré. Et maintenant, il était atterré tout court parce qu’il réalisait une chose : il était désormais responsable de Jana.

Temps mort ! Pour première padawan, il lui avait donné celle qui faisait les quatre cent coups ? Il y avait gizka sous roche, là. C’était pas logique d’attribuer une telle tâche à un Chevalier novice en matière d’enseignement. Etait-ce pour le tester ? Ou alors le Conseil avait-il prévu qu’il leur arriverait suffisamment d’ennuyer pour briser l’histoire de Luuna et Lyrae ? Le Jedi n’était plus très sûr, parfois, du secret de leur relation… Rien que d’y penser, il s’imaginait se faire remonter sévèrement les bretelles à cause d’une Jana perdue, d’une Jana blessée ou d’une Jana le crâne rasé comme un Kaminoan.

La cantine n’était qu’à quelques minutes du complexe d’entraînement. Ils durent passer sous des arches de marbre et devant des baies vitrées qui donnaient sur le parc –un temps radieux illuminait le paysage verdoyant. Lyrae écoutait d’une oreille distraite les explications de la petite. Elle avait une sacrée mémoire, quand même. Ca partait un peu dans tous les sens, mais bon…

La cantinière était une Nautolane joufflue, à la peau bleue mais légèrement ridée, et qui remplissait les auges des padawans depuis… En fait, depuis avant sa propre arrivée au Temple. Elle leur aboya qu’ils ne servaient plus de plats principaux, mais Lyrae ne fit pas cas de l’apparence agressive de l’employée. Il savait bien qu’au fond, elle avait beaucoup de compassion pour toutes ces petites têtes qui venaient piailler ici.

- C’est juste pour un petit goûter, expliqua poliment le Jedi, avec un sourire. On voudrait juste deux grands verres de lait de Kuul et une grosse assiette de cookies Warra. Avec un peu de crème, s’il vous plaît.
- Mmhpff, grommela la Nautolane de son air revêche, ce qui signifiait dans son languate très personnel qu’elle acceptait.

Les cookies Warra, c’était un truc que le Chevalier avait découvert au Temple. Il avait testé différentes techniques et le meilleur, c’était ce qu’il s’apprêtait à montrer à Jana dès qu’ils seraient installés. Plateau dans une main, petit monstre dans l’autre, ils parvinrent tant bien que mal à s’isoler près d’une fenêtre et Lyrae commença ses explications très pointues :

- Alors. Le cookie Warra, c’est fait à base de graines, les graines Warra. Ca a l’air naturel comme ça mais en fait, c’est fabriqué sur Coruscant –enfin c’est pas très important ça. Ce qu’il faut savoir, c’est que quand on les met dans du liquide, ça fond direct. Alors quand ça fond dans la bouche, c’est sympa mais c’est amer. Le truc, c’est de tremper un petit bout super vite dans ton verre de lait et de vite manger le bout mouillé avant que le Warra ait fondu mais après le goût amer –il joignit le geste à la parole et engloutit un bout de cookie qu’il avait trempé vite dans son verre de Kuul. Et sinon, je suis ton Maître, maintenant, voilà.

Shcrinch, groumpf, miam. Ce que c’était bon. Ca aidait à surmonter l’appréhension de la réaction de la petite qu’il avait noyée avec des paroles pour faire son annonce. On verrait si du coup, la nouvelle paraîtrait assez anodine comme ça.