Evadné Publius
Evadné Publius
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Evadné n’était plus une interne.
Elle avait mérité ses galons de médecin avec brio malgré les épreuves.
Malgré les déconvenues.
Malgré les morts.
En mémoire des êtres chers, elle avait mis un point d’honneur à mener une vie normale.
Aucune haine.
Aucune vengeance.
La vie devait, par tous les moyens, reprendre le dessus ; se frayer un chemin dans l’adversité.

Officiellement affectée au plus grand hôpital de Coruscant, elle s’était également affranchie de ses principaux mentors. Elle passait plus de temps près des blocs opératoires qu’au Sénat, où le sénateur Hélix ne la sollicitait que sur les questions de santé publique.
En résumé, elle avait trouvé un certain équilibre dans son existence ; n’était plus la jeune étudiante d’antan, mais ne s’était pas totalement métamorphosée en adulte accomplie.
Il restait encore beaucoup de route à faire.

En plein milieu de soirée, elle prenait sa pause, retranchée derrière son bureau ; une infusion aux blumfruits entre les mains, le regard perdu dans le paysage urbain. Au-delà de la baie vitrée, elle voyait les speeders se croiser, sans précisément les observer.
Un son grésillant l’éloigna de ses rêveries.
FX-67 approcha sa carrure métallique, bipa encore.

Tu as raison, c’est une soirée bien calme, approuva-t-elle avant de siroter une précieuse gorgée de thé.

Les interventions s’étaient comptées sur les doigts d’une main.
Il y avait des jours comme celui-ci, assez rares pour les savourer.
Pas de douleur.
Pas de sang.
Pas de décès à annoncer aux parents espérant.

Elle prit une légère inspiration, reposa la tasse à la surface de la table, à l’ombre d’un bouquet de fleurs luminescentes. Le mot qui les accompagnait, signé par Valérian Hélix, n’avait pas été lu, ni touché. Il rejoindrait les dizaines d’autres, du même destinataire, dans l’un des tiroirs de son bureau.

A nouveau, FX-67 s’exprima.
Cette fois, elle répondit par un soupir.
Oui, sa pause touchait à sa fin.

Elle ne fut donc pas surprise de voir les portes s’ouvrirent sur la silhouette du docteur Quavo, dont la peau bleue, caractéristique de l’espèce Chiss, luisait sous les néons blafards. Il croisa les mains dans son dos tandis qu’elle quittait son siège.

Docteur Publius, nous avons besoin de vous à l’isolement.
Au service psychiatrique ? s’étonna-t-elle en ajustant son uniforme médical, au nano-tissu imprimés de motifs mignons et colorés.
Un accident est survenu, expliqua-t-il.

Elle le suivit hors du bureau. D’un pas pressé, ils remontèrent le couloir, quittèrent le service pédiatrique. Dans l’ascenseur, Quavo poursuivit son rapport :

Beaucoup de décès. Il n’a pas l’air blessé, ce qui me semble impossible vu les conditions du drame, refuse de se laisser ausculter, de parler.
Le docteur Moth ?
En congé.
Le patient est-il violent ? s’inquiéta-t-elle.
Disons, pas commode, d’où l’isolement. C’est le seul survivant du drame. Il aurait dû périr avec les autres d’après les secouristes.

Comment ce patient pouvait-il être indemne alors qu’il s’était tenu à l’endroit même où des dizaines de personnes avaient péri ? Une génétique hybride ? Des blessures internes ?
Elle comptait bien s’assurer qu’il ne coure aucun danger.
La cabine s’ouvrit sur l’aile psychiatrique.
Ils sortirent d’un même élan. A cette heure-ci, le service grouillait d’une activité régulière ; elle sourit aux infirmiers, salua un ou deux collègues avant de revenir à Quavo.

Je ne suis pas certaine d’être…
Vous l’êtes parfaitement, contra Quavo d’une voix monocorde.

Rapidement, ils parvinrent aux premières d’isolement, s’arrêtèrent devant l’une d’elles. Quavo lui tendit le datapad médical auquel elle jeta un rapide coup d'œil ; ne trouva aucun nom, aucune donnée habituelle.

N’a-t-il pas d’identité ?
Nous n’avons rien réussi à lui soutirer et ahm..

Il se pencha vers elle pour parler plus bas.

La police républicaine est là. Ils le surveillent.

Tous ses nerfs se contractèrent.

J’espère qu’ils attendent à l’accueil, dit-elle.

Ces temps-ci, les autorités faisaient vraiment du zèle.
L’hôpital ressemblait-il à un poste de police ?

Oui, mais il vaudrait mieux que vous puissiez avoir des résultats, faute de quoi ils risquent de l’emmener.
Et pour quelle raison ? s’indigna-t-elle.

Quavo haussa les épaules.
Hors de question que ces brutes lui ravissent un patient.
Elle expira un soupir mécontent, coinça le datapad dans sa blouse. D’un geste adroit , elle ajusta sa coiffe de protection : joliment brodée de petits Ewoks.

Faites attention, au moindre pépin, on le verra. Bonne chance, docteur Publius, déclara Quavo en déverrouillant l’accès.

Enfin, elle entra.

Bien qu’elle n’aie pas souvent vu des cellules d’isolement, celle-ci ne différait pas des autres : murs capitonnés, strict nécessaire pour le confort du patient comme un lit sans drap, un évier minuscule, un coin plus intime.
Son estomac se noua.

La frontière entre une prison et un hôpital pouvait-elle être si mince ?

Dans l’espace exigu, elle le repéra tout de suite. Même dans une vaste plaine, elle l’aurait remarqué. Même assis en tailleur comme il l’était, elle aurait décelé sa carrure développée, rare chez un humain ce qu’il avait pourtant l’air d’être. Même s’il était reclus au fond de la pièce là où la lumière faiblissait.

Bonsoir, je suis le docteur Publius, sourit-elle.

Après un long silence, elle ajouta :

Evadné.

Etait-il en état de choc cathartique ?
Sur le chevet, un plateau repas et un verre d’eau, tous deux intouchés.
Aucune entrave ne l’immobilisait, il aurait pu boire, se sustenter ; ne l’avait pas fait.
Elle s’attarda sur le moniteur en veille qui, près du lit, ronronnait.
Visiblement, ses collègues n’étaient pas parvenus à le brancher aux sondes.

Avez-vous froid, ou… mal quelque part ? demanda-t-elle doucement.

En attendant une réponse, elle se dirigea vers l’évier, actionna l’eau, rinça abondamment ses mains avant de les laver selon un strict protocole d’hygiène. Ici, le savon au PH neutre était sans odeur, sans parfum, sans composants superflus ;  rien qui ne puisse affecter les patients.

Elle l’observa de biais au moment de sécher sa peau, arriva à croiser une paire d’yeux aussi céruléens que les Auras blossoms qui poussaient dans sa serre privée.
La vision lui arracha une courte inspiration qu’elle déglutit.
Quavo avait affirmé qu’il n’était pas… commode.
Et ce regard bleu n’avait, en effet, rien d’habituel.


© Laueee
Jóska
Jóska
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Le blanc avait remplacé le blanc.
Le vide avait remplacé l’habité.
Le blanc avait remplacé le blanc.

Ses pensées s’entrechoquaient de souvenirs organiques.

Ses yeux, d’abord ; la brûlure avait été lancinante, d’une langueur agressive. Le monde avait perdu ses reliefs colorés pour n’être qu’un champ immaculé, dénué de vie, mais pas de particules. Désintégrés, les morceaux autrefois animés l’avaient recouvert comme un linceul, avant qu’il ne soit léché par les flammes. Sa peau, après ; grignotée par des morsures régulières, aussi persistantes que les secondes du temps, s’était écoulée sur lui comme la lave sur les rochers. Les cendres s’étaient mêlées au sang, abreuvant sa bouche aux lèvres disparues d’un goût de mort. Ses tympans, ensuite ; explosés sous le choc, l’empreinte sonore résonnant éternellement dans son crâne, indifférente aux règles logiques. Son nez, enfin ; écoulé comme de la cire, donnant pourtant ses ordres. Squelette en lambeaux, il avait été secouru.

L'odeur suffocante saturait ses sens pendant que son corps se reconstruisait avec une préciosité arachnéenne.

Et.

L’invasion du présent.

Un glissement, crissement infime, libéra une brise de fruits et de fleurs baptisée de produits aseptisés, qui se fracassa sur le capiton de ses murs. La nuisance rebondit contre lui, l’obligea à se saisir de la présence. Une femme. Il fronça ses sourcils, ferma ses yeux fraîchement ressuscités, écouta la voix féminine, douce, caressante ; elle couvrait presque la confusion tourbillonnante. Son odeur lui amena une pensée, étrangement authentique : il aurait dû être dans une capsule médicale. La reconstruction prenait trop de temps, saturait depuis trop longtemps ses terminaisons nerveuses, jouait depuis de trop longues secondes avec sa raison. La folie n’était pas contenue, ses pensées s’amoncelaient sur les parois de sa lucidité comme autant de cadavres dans une crypte surchargée.

Il fallait…
— ... que ça cesse.
— Je vais faire de mon mieux, mais vous devez m’aider, d’accord ? Me guider sur ce que vous ressentez.
Il connaissait le rythme de cette voix.
l’avait-il entendu ?
Il la fixa.
Cette façon de s’inquiéter, cette façon de… materner.
— Où ?
Jóska cilla en se rendant compte que ses paroles avaient devancé ses pensées.
Il se recula contre le mur, secoua la tête, sans la lâcher du regard.
— Vous êtes au grand hôpital de Coruscant, en sécurité. Personne ne vous fera de mal. Vous… avez survécu à une explosion dans le terminal trente-six du spatioport inférieur. Beaucoup… pratiquement… tout le monde a péri, sauf vous. Vous en souvenez-vous ?
Il s’en souvenait, oui.
Il était en sécurité, non.
Une autre qu’elle lui avait tenu ce discours.
Elle avait menti.
Merci.
Comment savoir si celle-ci était véritablement digne de confiance ? Un grésillement familier, dans la poche de l’uniforme médical, lui rappela son propre datapad. De sa poitrine bariolée de couleur, il remonta à son visage d’une finesse sans pareille. L’équilibre était partout, dans ses traits, dans les courbes de son corps ; partout, sauf chez lui. Des émotions muettes se réveillèrent, s'embrouillèrent, mêlant ses sensations à...
— Pure. Explique-moi.
Sa bouche, différente de celle d’Alita, plus fine, moins généreuse, s’entrouvrit de surprise. Sous les couches de tissus, il entendit le coeur étranger s’accélérer ; il carra les mâchoires.
— Pure ? C’est un état qui n’est…, commença-t-elle avant de se déplacer jusqu’au verre d’eau qu’il n’avait pas touché. Ici, l’eau est pure. Ce n’est que de l’eau, rien que de l’eau mais…
Elle attrapa un petit pot de sauce sur le plateau-repas, le transvasa dans l’eau. La masse brunâtre se mélangea à la translucidité jusqu’à la faire disparaître pour créer une nouveauté.
— Là, l’eau est… impure, parce qu’un élément s’y est mêlé, et a changé son état.
Ce n’était pas ce qu’avait dit Alita, mais il comprenait mieux. Alita avait été un état, puis un état transformé, qui ne pouvait plus être blanc, mais devait être autre. Il planta un regard hanté dans le sien, chercha à savoir si elle aussi avait délaissé sa pureté pour l’impureté.
— Prostitution, lâcha-t-il.
Le rose chassa le blanc sur ses joues tandis que son corps faible gagnait en chaleur, comme si une fièvre la mangeait de l’intérieur pour éclore sur ses pommettes. Jóska inspira. Il se rappela des lits offerts, des bouches les proposant, des dessins, de la craie contre les murs souillés, des gémissements pluriels, des crédits à donner.
— C’est une pratique, ahm.
Il releva les yeux sur elle, observa son regard clair fuir ailleurs, partout, sauf vers lui. La fièvre inconnue enfla chez elle, lui fit tordre ses mains aseptisées, secouer la tête.
— Qui consiste à vendre son corps, ou à monnayer le corps d’autrui, pour des rapports sexuels.
Elle ne mentait pas ; il la fixa plus intensément.
— Jedis. Siths. Explique-moi.
Après un instant silencieux, elle se débarrassa de l’eau impure dans l’évier : il écouta sa respiration irrégulière, sa déglutition appuyée. La démarche lente, gauche, absurdement bruyante, elle s’installa en tailleur en face de lui. Il grimaça en entendant son corps féminin grincer et alla à la rencontre de ses iris au bleu veiné de blanc.
— Certaines personnes naissent avec… un taux de midichloriens plus ou moins important ; cette présence va déterminer… une sensibilité à ce qu’on appelle la Force. Cette Force est… neutre, de base. Les Jedis sont un groupe… qui fait pencher l’utilisation de la Force dans… ce qu’on pourrait appeler le bien : guérison, méditation. Les Siths sont un autre groupe qui fait pencher l’utilisation de la Force dans… l’équivalent du mal : destruction, corruption. Cela vous inquiète ?
De ses yeux, il passa à son corps, étudia ses constantes, mauvaises, revint à son visage.
Une force neutre balançant entre le bien et le mal.
Il n’y avait, là également, pas d’équilibre.
— Pourquoi ?

— Je dois vous avouer que je l'ignore. Je suis médecin, je n’ai pas la Force. Je pense que… c’est une question d’équilibre. Regardez…
D’équilibre.
Lequel ? Comment ? Quel était le nom de ceux ne balançant pas ?
Elle lui présenta ses mains, paumes vers le haut, à hauteur égale ; il observa les fines ridules sur sa peau, ses tremblements infimes, écouta la pulsation à ses poignets. Comment pouvait-elle vivre avec un corps aussi faible ?
— Dans la majorité des espèces, nous avons deux membres. Deux mains, deux jambes. Si vous retirez une main.
Elle ferma le poing gauche.
— Ou si l’on vous ampute une jambe, vous êtes déséquilibré. Je crois que pour la Force, c’est similaire mais ce n’est que mon opinion, je ne suis pas experte.
L’équilibre, toujours, alors que choisir un côté était l’exact contraire d’une combinaison égale. Son front se plissa de rides soucieuses alors qu’il la quittait des yeux pour observer un point vague sur le sol. Ses pensées, éparses, refusaient de lui donner une réponse.
Ou peut-être…
— La faille vient de l’équilibre, murmura-t-il entre ses dents serrées.

Soudain, il se saisit de son poignet, là où il pouvait sentir son pouls.
— Le chaos, explique-moi.
Elle tressaillit, son cœur fragile loupa plusieurs battements avant de revenir à un rythme plus régulier. Une décharge. La définition dansa devant ses yeux. Il fronça ses sourcils, secoua une fois sa tête, grimaça alors que des souvenirs l’agressaient, inspira, ne relâcha pas son poignet.
— L’absence… de règles et d’ordre.
Elle posa sa main libre sur la sienne ; il frissonna à son contact, ferma les yeux, se pencha à peine, huma son parfum. Le silence. Il en aurait presque gémi, laissa filer un soupir s’en rapprochant.
— Qu’est-ce qui vous préoccupe ?
— L’harmonie. La sérénité. C’est l’équilibre ? L’impureté, c’est le déséquilibre ?
— C’est une manière de voir les choses. Selon moi, l’équilibre est la bonne santé, le bonheur. Être en paix.
Être en paix.

Il ne connaissait pas cela.
Elle relâcha la main, il la libéra à son tour.
— Et j’aimerais m’assurer que vous êtes en bonne santé, êtes-vous d’accord ? Je ne vous ferai pas mal, et si quelque chose vous déplaît, vous n’aurez qu’à me le dire, j’arrêterai immédiatement.
Pour ressentir encore le silence, il l’écouta, se mit à genoux, fesses sur les talons, dans une position de soumission visible.
— Tu dois me laisser partir, Evadné Publius.
— Je ne peux pas, cela pourrait vous mettre en danger.
Les paumes d’Evadné effleurèrent ses épaules, y restèrent ; il ne bougea pas.
— Quand je serai sûre que vous allez bien, vous pourrez partir où bon vous semble. Je vous le promets. Parlez-moi de vous.
Soumis, il la laissa étreindre les muscles juste reconstruits, n’en conçut aucune douleur, mais une soumission plus grande.
— Qu’aimez-vous ? Par exemple, comme nourriture ? Ou… que pensez-vous de Coruscant ? Vous pouvez tout dire. Vous n'êtes pas... prisonnier ou assujetti à qui que ce soit ici, vous êtes libre.
Il ne bougeait plus, restait d’une immobilité de marbre.
— Promettre.
Un flash, soudain.
Puis plusieurs, le laissant grimaçant, haletant, la bouche tordue de pensées anarchiques.
— Ton père est Veragan Publius ? Réel ou pas réel ? Tu étais avec la sénatrice Camina Ashford, réel ou pas réel ?
— Réel. Pour les deux.
Il se souvenait…
— J’étais l’assistante de Camina.
Il se souvenait de silhouettes souriantes, d’une envie, enfouie, de prouver… quelque chose, à quelqu’un. D’une euphorie saine, au déséquilibre doux, acceptable, aussi chaud que… qu’un gâteau sucré, immense dans sa paume enfantine, à la surface croustillante et au coeur fondant.
— J’étais à Cadé…
La douleur éclata dans sa tempe gauche. Son corps entier se contracta. Les mains contre son crâne, il se recroquevilla en lui-même, sa tête au plus près de son abdomen. Il sentit des masses étrangères sur sa peau, entendit un bip lointain.
— Vous m’entendez ? Concentrez-vous sur ma voix. Essayez de compter jusqu’à 20.
La douleur cisailla ses méninges, rendit tout trop sensible, trop
— Serrez ma main.
Elle le toucha et apporta, au lieu du silence, une cacophonie sensorielle. Il la repoussa avec une violence non contrôlée, s’arracha aux sondes, se releva avec la vitesse déliée de sa nature extra-ordinaire, et se mit à frapper sur la porte.
Sans retenue.
À s’abîmer peau, muscles et os.
Evadné Publius
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Elle heurta durement le sol, vit trouble de longues secondes, sans parvenir à se redresser. Au travers d’un brouillard épais, elle perçut les coups brutaux que donnait l’inconnu contre le blindage de la porte sécurisée.
Plusieurs minutes filèrent et elle réalisa qu’il ne s’arrêterait pas avant d’avoir démoli l’obstacle, ou de se détruire en essayant.
Un millier d’étoiles dansaient toujours devant ses yeux quand elle se releva.
Trop vite.
Le vertige qui la saisit manqua de la faire chuter de nouveau.
Sa vue se stabilisa enfin.  
L’inconnu frappait, encore et encore ; malgré des poings en sang, et la chair des phalanges en lambeaux.

A..arrêtez, s’il vous plaît.

Il allait…
Sa poitrine se contracta vivement.
Comment l’arrêter ?
Les coups violents continuèrent jusqu’à résonner en échos insupportables, à s'immiscer  entre ses tempes, à lui soulever l’estomac.
Les murs capitonnés en tremblaient presque.

Arr..

Soudain, la porte s’ouvrit sur deux infirmiers changriens. Ils chargèrent l’inconnu de leurs imposantes carrures tandis que Quavo s’engouffrait à leur suite.

Docteur Publius ?!
Je… vais bien.

L’un des infirmiers mordit la poussière et ne se releva plus.

J’ai un tranquillisant, avertit Quavo, la voix anxieuse.
Non ! Il y… a un risque d’anévrisme cérébral, s’opposa-t-elle.

Il fallait… réfléchir. N’existait-il pas un autre moyen de maîtriser l’inconnu ?
Le second infirmier rejoignit le premier.
Il avait suffi de moins d’une minute à l’inconnu pour maîtriser ses assaillants. Vivaient-ils toujours ? Elle fut incapable de bouger, l’esprit blanc, les membres pétrifiés.

C’est un risque à prendre, trancha Quavo en se décalant d’un pas pour laisser passer un droïde médical dernière génération.

L’inconnu se tourna vers elle.
Elle sonda le bleu métallique de ses yeux, n’y décela qu’une lueur d’incompréhension qui lui fendit le cœur.
Quavo donna l’ordre.
La lueur se métamorphosa en éclat de lucidité.
Son propre cœur se paralysa.
Le robot décocha la seringue hypodermique  : droit dans la gorge de l’inconnu.  Elle se raidit comme si c’était elle que l’on avait visé. Dès le choc passé, le patient secoua la tête, tomba à genou.
Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne sombre dans l’inconscience.
Pour la première fois depuis longtemps, Evadné ne sut que faire. Ni pour aider les infirmiers, ni pour consoler le patient étranger. Il  se débattit mollement, repoussa de ses mains l’air aseptisé.
Elle écarquilla les yeux.
Elle n’arrivait toujours pas à bouger.
Il n'était pas censé se mouvoir. Quavo avait-il bien dosé ? Où était l'erreur ? Chez Quavo ? Chez l'inconnu ?

Quavo recula nerveusement dans le couloir, exigea du personnel en renfort.

Non.

L’inconnu vacilla, mit le deuxième genou à terre.

Pas… ça. Pas... encore.

Elle se sentit aussi inexpérimentée que l’étudiante qu’elle était jadis.
Une sueur froide roula le long de sa nuque.

D’autres infirmiers arrivèrent au pas de course, talonnés par deux médecins. Les Changriens furent prirent en charge ; l’inconnu soulevé par trois paires de bras et allongé dans le lit où on le sangla.
Elle  assista au spectacle, sans contrôle de son corps ou de son esprit.
Les talons englués au carrelage, la bouche sèche.

Mh, je devrais prévoir une autre dose.
Surtout pas ! se réveilla-t-elle, en secouant la tête. Il a… de multiples traumatismes, dont une amnésie.

Elle approcha du lit avec lenteur.

C’est votre diagnostic ?
Oui, assura-t-elle.

Tout le monde avait quitté la pièce, à l’exception du droïde et de Quavo.

Je vais tenter de calmer les policiers, en haut.

La police républicaine… le mettrait aux arrêts à coup sûr.
Elle approuva en silence, brancha l’inconnu aux sondes, concentrée sur ses yeux à demi-clos.
Luttait-il toujours contre le tranquillisant ?

Le moniteur émit une série de sons familiers qu’elle décrypta sans même consulter l’écran holographique. Les constantes étaient celles d’un être en parfaite santé : une tension idoine, un cœur d’athlète. Un bip plus grave situa une anomalie modérée au lobe temporal gauche. Elle se mordit la lèvre, pria pour que le tranquillisant ne déclenche pas un anévrisme fatal.
A quand remontait la dernière fois où elle avait perdu un patient ?
Elle prit une longue inspiration.

D’un mouvement délicat et fonctionnel, elle écarta quelques mèches obscures, vérifia l’état de son visage avant de s’attarder sur celui des mains abîmées ; constata le sang, les blessures.
Elle nota à peine le départ de Quavo.
Là, juste sous son nez, la peau se reconstruisait avec lenteur. Elle cligna des yeux, se pencha pour évaluer le phénomène de plus près. Cellule après cellule, les tissus se régénéraient.
Comment ?
Il n'y avait ni kolto, ni...

Ethan Drummer, balbutia-t-il, les yeux dans le vague.
Est-ce votre nom ? tenta-t-elle d’un ton bienveillant.
384. Jóska.

Le créole cadézien n’avait qu’un seul mot pour désigner un chat.
Jóska.

384 chats ? s’étonna-t-elle dans un sourire.

Entendre parler le créole de son monde la réconforta. Coruscant n’abritait qu’une infime partie de l’élite cadézienne qui ne parlait pas le langage des bas-fonds.

Vous aimez-les chats à ce point ? interrogea-t-elle en levant avec douceur une paupière.

Elle examina l’état de l'œil bleu ; s’écarta quand il tenta faiblement de résister.
Par quel miracle parvenait-il à surmonter le tranquillisant ? Conçu, dosé, pour abattre les races les plus robustes de l’espace républicain.
Elle perdit quelques secondes à fixer le relief de son buste, à imaginer la courbure des muscles que souleva une ample inspiration.

—  Un… Hunter, articula-t-il , l’obligeant à diriger son attention ailleurs.

Etait-ce son identité ?
Elle jeta une oeillade aux constantes, toujours stables.
Puis posa une main sur la sienne.

Ne forcez pas votre mémoire, vous devez d’abord vous rétablir. Essayez de… penser à quelque chose qui vous apaise.
Blumfruits, murmura-t-il  avant d’ouvrir les yeux qu’il avait…
Au…

Troublants.
D'une teinte similaire à celle de la chair du blumfruit vert.
Les sangles crissèrent. Elle sursauta, l’observa tirer sur les liens qu’elle décida de défaire après un léger soupir.

Pouvez-vous marcher ? lui demanda-t-elle.

Il roula sur le côté, quitta le lit d’un mouvement vif qui l'emporta sur un pas chancelant.

Oui.

Elle lui attrapa le bras, voulut l’aider à garder l’équilibre.

Me promettez-vous de ne pas fuir ? espéra-t-elle alors qu’il se dérobait.
Promettre, répéta-t-il. C’est le chaos…

Quel genre de chaos ?
Il pointa sa tempe.

.

L’anomalie, pensa-t-elle instinctivement.
Il inspira, expira.

Je ne… contrôle pas. Tu dois me laisser partir, Evadné Publius.

Elle ne l’écoutait pas, mais distinguait avec une conscience aiguë l’imploration qui illuminait ses yeux, qui faisait vibrer sa voix grave, qui tordait ses lèvres pâles.
Le laisser partir était au-dessus de ses forces.

Partir, mais où iriez-vous ?

Quelle garantie avait-elle qu’il soit en sécurité ?
Aucune ici non plus, siffla sa conscience.
La police républicaine.
Elle serra le poing.

Je souhaite vous aider avec ce que vous avez , insista-t-elle en frôlant sa propre tempe gauche.

Il la fixa, et elle implora à son tour, en silence ; n’eut aucune envie de reculer lorsqu’il approcha.

Pure.

Son discours décousu l’étonna autant que le fait qu’il se démenait encore pour contrer les effets de l’anesthésiant ; les gestes coordonnés, conscients.

Le tranquillisant aurait dû vous faire dormir des heures, votre métabolisme est..
Pas humain, répondit-il en examinant sa main. Ni humain, ni droïde.

Elle referma les lèvres, troublée ; finit par lui tendre la main.

Voulez-vous venir avec moi ?

Je vous aiderai.
Comblant l’espace entre leurs deux corps, ses doigts tendus tremblèrent doucement.
Qui que vous soyez.
Dites oui.

Non.

Elle abaissa sa main, déglutit doucement.  
Il était temps de le libérer du monitoring.
Au travers de la partition des sons et des variantes holographiques, elle distinguait une symphonie humaine. Rien ne laissait présager qu'il puisse être autre chose. La machine avait analysé son sang, ses gènes.
La science ne mentait jamais.

Croyez-moi, de nous deux, vous êtes le plus humain,  assura-t-elle.

Il ne répondit pas et attendit comme… un pantin dénué de toute volonté, de tout marionnettiste, dont les fils trop lâches se laissaient distordre au gré du vent.

Où souhaitez-vous aller, Hunter ? l’encouragea-t-elle.

Il tressaillit au nom, recula précipitamment. Elle amorça un mouvement pour le prévenir. Trop tard. Il heurta un mur capitonné avant de tendre le bras.

Ne... ne viens…

Elle comprit, n’approcha pas, le cœur battant.
Et si c’était l’anévrisme tant redouté ?

Cadézia.

Elle hocha du chef.
Cadézia.
Il était cadézien.
Le créôle. Le nom de Drummer.
Tous deux venaient du même monde.
Ce lien ténu était une raison de plus pour ne pas l’abandonner ici ou ailleurs.  

Très bien. Savez-vous comment y aller ?
Non.

L’amnésie avait aussi effacé le chemin.

Il me faut un neutralisateur d'odeurs. Un... masque, mima-t-il autour de son nez et sa bouche.

Encore une fois, elle approuva.

Vous accepteriez de m’attendre dans mon bureau ? Je vous propose ensuite de passer à mon logement, nous pourrons prendre vos billets pour Cadézia. Au matin, je vous conduirai au spatioport, cela vous va ?

Il plissa les yeux.

Pourquoi ?
D’après moi, vous êtes atteint d’une forme d’amnésie, plus ou moins sévère ; probablement dû à l’anomalie dans votre lobe temporal gauche. Cela dit, vous êtes en parfaite santé, pas de traumatismes, pas d’infections, peut-être un risque d’anévrisme. Pour cette raison, je vous conseille de ne pas forcer votre mémoire. A part cela vous… je ne peux pas vous contraindre. Si votre souhait est de vous rendre à Cadézia, je n’ai aucune légitimité pour m’y opposer. Néanmoins, si vous changez d’avis, je peux vous aider avec votre amnésie.

D’un pas, il approcha encore.
Elle déglutit en levant les yeux sur lui.

Et l’accident ? Et les hommes blessés ? Et ceux qui grouillaient autour de ma cellule ?

Elle ferma brièvement les paupières, songea à autre chose qu’à leur proximité.
En vain.

L’accident…

Elle loupa plusieurs battements de cœur ; se perdit un instant dans ses pensées.

Les blessés sont pris en charge. Je me chargerai du reste.

Il avança un peu plus et le monde disparut autour d’elle.

Pourquoi ?

Elle suspendit son souffle avant de le relâcher contre le sien.

Mon… métier est de venir en aide aux autres, expliqua-t-elle tout bas.

Il fallait… reculer. Par toutes les lunes, elle était son médecin. Elle devait absolument…
Impossible.
Elle n’osa plus respirer.

Réel ou pas réel ? chuchota-t-il.

Son front contre le sien, il frôla ses lèvres.
Réel.
Il aurait pu l’embrasser, ou la tuer, qu’elle aurait été prête à se laisser faire. Un élan lui commanda de briser l’infime distance qui séparait leurs bouches Quelques millimètres à peine ; une fragile inspiration qu’il serait aisé d’avaler.

D’accord, expira-t-il en se dérobant sur le côté.



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