Gary Kovani
Gary Kovani
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L'aile ouest ? Je soupire, regard blasé braqué sur la face de citron bleue qui me lorgne avec un sourire faussement satisfait. Je le connais assez pour lire entre ses traits, pour déchiffrer cette moue réprimée, confinée derrière son poker face de façade. Il s'en est fallu de peu pour que son plan dicté par le désespoir de sa situation précaire tombe définitivement à l'eau. Une poignée de minutes seulement. Comme quoi, la destinée, parfois, tient plus du coup de chance, du miracle improbable, que d'une réelle maîtrise des paramètres environnementaux.... La Force est avec nous.

En même temps, si nous n'avions pas passé toute l’après-midi à courir à gauche et à droite, nous serions arrivés largement à temps. Notre chance devait bien finir par tourner à un moment ou un autre, comme disent les parieurs qui finissent la gueule dans le caniveau, poches vides et joues tuméfiées par les videurs. Je chasse ces pensées futiles, pour ironiser, à présent que les oreilles indiscrètement s'esquivent aux quatre coins du domaine :

« J'espère que t'as prévu les pinces à linges dans ton trousseau du parfait détrousseur... Pour se boucher le nez. » L'aile ouest. L’ancien spa privé de Naskosh devenu celui de Delgrun. « J'dis ça je dis rien... » J'accélère le pas pour passer devant, afin de ne pas subir la fournaise de son regard courroucé. Je frisonne lorsqu'il s'écrase sur ma nuque, avec une intensité presque palpable. Des souvenirs remontent à la surface, par bribes éparses. Je n’ai jamais eu l’honneur de mettre les pieds dans ces corridors, contrairement à Kaz. Je n’étais qu’un grouillot utile qu’on laisse sur le pas de la porte lorsque l’on est convoqué par le seigneur du crime. J’enchaine : «  … Il parait que les Hutt aiment patauger dans les eaux usées chargées de produits toxiques et d'excréments. Une légende urbaine ? Peut-être... » Faut voir le bon côté de choses, la burne à moitié vide : On ne risque pas d'être dérangé par quelques collants curieux si c'est vrai... Devrais-je me taire à présent ? Certainement oui. Mais je ne peux m'empêcher d'en rajouter une petite couche. Natasha est une petite vilaine qui aime jouer avec les nerfs de ses associés d'infortune : « Tu te souviens du gars chelou qui traînait toujours avec Théodebert... » Quelle raclure celui-là. Il n'était pas resté longtemps dans la bande, de l'époque où Kaz' battait fièrement, torse bombé, le pavé souillé des bas-fonds flanqué de quelques gorilles plus adroits de leurs deux poings velus que de leur neurones atrophiés. On nous appelait les redresseurs de dettes, ou les aplatisseurs de gueules. Au choix. Ça dépendait si le type dans le collimateur avait sur lui de quoi couvrir les arriérés qu’il devait à Naskosh. Une autre époque. Un autre Gary. C’était avant qu’on monte en duo nos propres coups dans le dos du patron, en jouant à Nat’ et Korwaki « … Bah d'après lui, c’est une question d’hygiène pour eux : y’a que comme ça qu’ils arrivent à dissoudre la crasse, à buter les parasites aussi, qui pullulent entre leurs bourrelets graisseux… Mais j'ai jamais pu confirmer l'information. » L’image filerait presque la nausée. Mais Nat’ a le cœur solide. Elle en a vu des saloperies : des loques qui ressemblent plus à des MST claudicantes qu’à de véritables êtres vivants. Malgré moi, tout de même, mon poil se hérisse, à la résurgence d’un souvenir traumatique jusque-là occulté par les miettes salvatrices de mon protecteur subconscient. « Ça me rappelle la fois ou j’avais dû masser Naskosh le temps que tu clones la mémoire de son datapad… » Mes avant-bras enduits d’huile de gland qui s’enfoncent jusqu’aux biceps dans les profondeurs insondables de ses plis de peaux bardés de pustules et de verrues gonflées. Erk. Vite changeons de sujet.

« Tu la vois comment la suite ? Si on sort du circuit prévu, ils vont vite s’en rendre compte. » J’espère secrètement que Kaz’ a mieux préparé le déroulé de la mission que sa mise en branle.

Alors que la passerelle sur laquelle nous déambulons s’élargit, je fais un pas de côté, et laisse Kami remonter à mon niveau. Je crois le sentir sa furieux dans les fluctuations de la Force, mais je me trompe peut-être. Ma désinvolture jure avec le sérieux qui l’habite à présent. Il joue plus que sa vie : son avenir, sa réputation. Je présume qu’il préférerait que Natasha s’éclipse derrière Gary. Que je recouvre ma réelle personnalité, bien plus posée, retenue, respectueuse de son statut d’ex-homme de main d’un gros bonnet. J’inspire profondément, espérant parvenir par la seule volonté mon esprit à répondre à son injonction silencieuse. Je crois réussir, tandis que mon regard, lui, s’attarde sans ferveur sur le panorama grotesque. La résidence de Delgrun trône au sommet d’une colline artificielle, un amas de détritus si anciens qu’ils sont retournés à la poussière pour devenir un ersatz de terre infertile. Notre chemin de ronde serpente sur la face septentrionale, sur la crête d’un à pic qui nous offre une vue imprenable sur les quartiers miteux où règne le parrain Hutt. Une frontière invisible qui oscille au rythme chaotique des guerres de gangs, et des tractations entre organisations mafieuses. Au-dessus de nos têtes, l’épais smog chargé de vapeurs mortelles pour les poumons non accoutumés, nous interdit d’observer les étoiles, le ciel, et les pointes ogivales des giga-structures qui pénètrent la stratosphère avec autant d’abjection qu’une horde lubrique des violeurs récidivistes. Des phallus de transparacier où prolifère la classe sociale supérieure, de l’autre coté du mur de pollution, sur le dos et la sueur de ceux qui grouillent au-dessous, comme autant de spermatozoïdes, pour rester sur la métaphore filée, dans d'immenses couilles molles grêlées par la miséreuse vérole. Les salopards comme Delgrun sont les chaînons indispensables au bon fonctionnement de cette société verticalisée. Des intermédiaires chargés de perpétuer l'éjaculation des capitaux et de la main d’œuvre bon marché, sacrifiable. Bénéfices contre protection… Enfin jusqu’à ce que leurs richissimes mécènes trouvent un meilleur parti. C’est ainsi que notre bon vieux Naskoh a cédé sa place, et sa demeure, à Delgrun l’outsider opportuniste.

Machinalement, je me suis lové dans l’ombre de Kaz’, en silence cette fois, lui abandonnant les rênes de nos déplacements à mesure que nous touchons au but. Après une série d’escaliers taillés dans des blocs minéraux importés d’un monde où l’on peut encore toucher le sol, les hautes arches pointues de l’aile ouest nous dominent. De loin, dans la pénombre inhérente au monde du dessous, on pourrait confondre cette partie de l'édifice avec une structure religieuse, haute de plafond, bardées de gargouilles et de tourelles sculptées. Un palais dans le palais. Les épais murs dissimulent un vaste réseau de bassins dont déjà il se dégage une odeur méphitique. Nul besoin de lourdes portes pour assurer l’intimité de ses occupants. Les nappes de vapeurs viciées, rideau insondable, s’en chargent. Le choix s’offre à nous à présent : continuer sur le chemin pavé de ronde, pour contourner la bâtisse, ou bien s’engouffrer dans cet enfer aqueux et visqueux. Malgré tous mes efforts, un soubresaut de Natasha s’échappe de ma gueule serrée :

« Si j’avais su, j’aurais pris mon bikini… » Le fameux à coupe Borat.
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