Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83
Dans l’immensité spatiale, un monstre d’acier fendait l’obscurité étoilée.

Des turbulences d’origines magnétiques attaquaient l’équilibre de la coque extérieure. Sur le flanc bâbord, l’insigne de la République avait été noircie par une vulgaire peinture, et un nouvel emblème indiquait le nouveau propriétaire. Quelques mois plus tôt, l’Ouragan BT-7 avait été emprunté à une base militaire républicaine à la frontière de la Bordure Médiane. Les transpondeurs avaient savamment été maquillés.

Quand cesse-t-on d'être humain ? 9nnr
Danek Inaros, 29 ans, leader de l'Alliance Extérieure.

Le larcin était la fierté de son nouveau capitaine, le notoire Danek Inaros. La silhouette de ce dernier se dressait, intransigeante, sur l’unique pont du vaisseau militaire. Ses yeux farouches évaluaient une proie menue, à la fierté déplacée. Des néons blafards surplombaient ce duel électrique. De sa haute stature, athlétique et bariolée de tatouages, il avait le dessus. Son physique entraîné dominait, mais son adversaire coriace ne semblait pas intimidé.

« - Ce n’est pas ce qui était prévu, éclata la voix d’Alita.
- Tu as deux solutions, ou tu sors à l’air libre, sur le premier monde que nous croisons. Ou, tu sors par le sas de décompression, les pieds devant.
- Vous ne pouvez pas vous en servir comme d’une arme. C’est insensé. Sans mes informations, vous n’auriez jamais récupéré cet…ho…cette…chose.
- Et sans notre force, tu ne serais jamais sortie vivante de ce laboratoire. Nous sommes quittes.
- Na.
- Alita.
- Jette-moi dans le vide, je t’en prie. Mais sache que j’ai stocké toutes les preuves à charges sur une base de données cryptée, sécurisée, quelque part où tu ne pourras jamais la trouver. Si je ne reviens pas régulièrement désamorcer cette bombe, elle explose. Boum. »

Elle avait soufflé le vent destructeur en ourlant ses lèvres charnues, les mains dansantes. Le numéro ne parut pas impressionner son interlocuteur, malgré l’air soucieux qui colorait ses prunelles grises.

« - Toutes les données sur l’Alliance Extérieure livrées à la République, précisa-t-elle.  Mais surtout, à Cadezia. Qui sera jeté dans le vide tout de suite après moi quand ils exploreront ces données, à ton avis ? Mh ?
- Très bien, affirma-t-il d’un ton aussi puissant que contrit, comme s’il avait le choix. Tu restes avec nous. Ton foutu reportage a intérêt à être à la hauteur. C’est la dernière chance que je t’offre. Desh mo ke ? »

La reporter releva fièrement le menton, auréolée d’une couronne immatérielle que façonnait la luminosité inégale du vaisseau. Autour d’eux, la pulsation incessante des réacteurs chuintait.

« - Je veux lui parler, répliqua sa bouche insolente.
- Gutt. Si tu arrives à en tirer quelque chose. Fais comme chez toi, sesatà, conclut-il entre ses dents, la voix d’une amertume tranchante. »

Les talons des bottes antigravité portées par le révolutionnaire frappèrent l’acier de la passerelle montant au poste de pilotage. Alita soupira son soulagement. Une sueur froide imbibait sa nuque. Cette fois, pensait-elle, elle avait failli mourir. Danek ne plaisantait pas avec les menaces. Elle l’avait fréquenté assez intimement pour savoir qu’il les mettait toujours à exécution. Elle devait se ressaisir, être plus maligne, conserver un tour d’avance.

Quand cesse-t-on d'être humain ? Ydg7



« - Je ne suis pas une sesatà, » répétait-elle tout bas, agacée.

Elle traversait la carcasse du Rasputin d’un pas vif, habituée à la vie hors des planètes gravitationnelles. A chaque mètre avalé, sa chevelure dansait autour de son visage déterminé, au front luisant d’une transpiration légère. L combinaison de pilotage qu’elle portait était inappropriée pour un tel voyage. Elle lui tenait chaud, bien qu’elle saisît parfaitement la nuance de ses courbes féminines. Le col avait été dézippé plus bas que nécessaire, dans l’espoir de trouver un peu de fraîcheur dans cette boîte de conserve dont les systèmes de climatisation avaient été désactivés. Toute l’énergie disponible devait être conduite vers les moteurs afin de prévenir une fuite imprévue.

« - Je ne suis pas une sesatà. »

Sa main enclencha l’ouverture de la soute, conçue pour abriter toute une escouade de soldats républicains. Une ombre la poursuivait inlassablement. Son petit droïde voletait près d’elle, sans jamais déranger sa trajectoire. De forme ovoïde, il était soutenu par trois hélice et possédait plusieurs capteurs extra-sensoriels. L’espace impressionnant du hangar avala bientôt son gabarit modeste.

Jamais, elle ne serait une sesatà. Une sœur révolutionnaire. Alita ne prêtait jamais allégeance. Aucune cause ne valait la peine de risquer son existence. La Vérité était son unique boussole dans un univers bousculés par les secrets, et le mensonge.

Ses yeux tombèrent sur ce qu’elle cherchait. Une cage à barreaux plasmiques, harnaché à la paroi d’acier.

Avec une prudence féline, elle approcha – non sans avoir évalué l’étrange personnage qui se tenait, prisonnier, au centre de la structure. En réalité, elle n’arrivait pas à croire qu’elle avait réussi. Après deux années de recherche, elle avait levé un coin du voile mystérieux qui entourait la vie de son défunt père. Le sujet 384. Elle avait plutôt entretenu l’espoir absurde de trouver des indices sur sa mère démissionnaire.

La chaleur irradiante du clapier se réverbéra sur sa figure de porcelaine que deux grands yeux à la couleur mentholée illuminaient. Elle ne souriait pas, préservant un air neutre et professionnel, malgré l’incertitude et, il
fallait le reconnaître, la crainte.

« - Tu m’entends ? »

La lueur du plasma mit en valeur la pellicule humide qui souillait sa peau découverte. Le long de sa gorge, les perles de sueur dévalaient le relief jusqu’au secret gardé d’une poitrine ronde. Elle aurait voulu approcher encore, mais risquerait la brûlure.

« - Je suis Alita. Et je ne suis pas comme les autres qui t’ont mis dans cette cage. As-tu un nom ? « . Autre que sujet 384. « As-tu faim ? Soif ? Je ne suis pas là pour te maltraiter, tu as ma parole. »

Elle préférait le mettre dans de bonnes dispositions pour parler. N'avait-il pas déjà tant vécu ? Restait-il encore une parcelle d'humanité derrière ce bout de chair extraordinaire qu'ils avaient ravi à l'armée cadézienne ? Elle voulait le voir. L'éclat de vulnérabilité. La couleur de l'être vivant et friable.
Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Coincé dans une cage métallique renfermant elle-même un enclos de plasma, il était prostré, le dos courbé vers l’avant, fixant ses mains qu'il paraissait découvrir. Avec lenteur, et attention, il faisait danser ses doigts, mimant une brise, ou une vague. Il n’avait pas de gants. En avait-il généralement ? Il avait la sensation que oui, sans en être certain. Son pantalon noir, aux poches multiples, lui semblait habituel, tout comme son haut à manches longues, ou sa veste aux multiples lanières de cuir. Pour renforcer les zones vitales, souffla une voix oubliée.

La porte s'ouvrit dans un effroyable brouhaha se réverbérant aux quatre coins de son univers délimité. Du capharnaüm furent déversés d'autres bruits : un cliquetis de droïde associé à trois hélices, le claquement de semelles rigides, une respiration imperceptiblement essoufflée, un battement de coeur accéléré par la crainte, le froissement de tissus, la transpiration glissant contre une peau glabre. Oui, il entendait. Il n’entendait même que ça, puisqu’il n’y avait rien d’autre.

— Oui, répondit-il simplement, sa voix grave râpant contre sa gorge sèche.

La chaleur irradiant des barreaux ne parvenait pas à masquer l’odeur qui se dégageait de l’être à la voix féminine. Il reconnaissait ce parfum amer, que la sueur rendait aigre, lui donnant, à égalité parfaite, des pulsions de violence ainsi qu’une volonté de calme rond. Les notes vocales lui étaient méconnues, bien que l’accent lui fût coutumier, comme si l’empreinte phonique était celle d’un familier. Il ne releva pas la tête pour s’assurer de ses conjonctions, n’en avait aucune envie. Il savait qui elle était. L’être qui l’avait mis là, derrière la cage ardente, avec l’aide d’un autre.

De plusieurs autres.

Alita.

Elle se revendiquait différente et pourtant, elle était leur complice. C’était elle qui l’avait trouvé, à peine sorti de la capsule médicale, à peine remis d’un sommeil réparateur, alors qu’il tenait qu'imparfaitement sur ses jambes. Elle, qui l’avait conduit à un homme, qui l’avait amené , et il s’était évanoui, pour une raison qui lui échappait. Comme tout. Tout était évanescent. Fuyant. Creuser menait au vide effrayant. Depuis sa capture, il avait retrouvé sa forme physique, une certaine vivacité, qui ne lui servait toutefois pas quant aux mystères des véritables questions : où était-il ? Pourquoi l’avait-on enfermé ?

Qui était-il ?

Une goutte tomba sur sa main, et il l’observa, roulant sur son derme, perdant de sa substance, pour disparaître entre les ridules de sa peau. Une angoisse crispa un instant son estomac alors qu’il se demandait si la chose était normale, avant qu’une partie de lui se souvînt qu’il ne s’agissait que de sudation, notamment du fait de l’absence de couleur carmin. Il était humain, son sang était rouge. Comment savait-il cela ? Pouvait-il en être certain ? Son instinct l’affirmait. Pouvait-il seulement faire confiance ? Lentement, il frotta son front moite, avisa l’humidité ne teintant pas sa peau, puis passa une main dans ses cheveux longs.

— Non.

Il n’avait pas de nom, ou s’il en possédait un, il ne s’en souvenait plus. Aucune intuition ne lui murmurait des sons particuliers qu’il pourrait reconnaître comme étant les siens. Alita ne lui disait rien non plus. Progressivement, son regard quitta son propre corps, dont il avait du mal à saisir pleinement les contours, pour observer le sol sur lequel il était assis, puis le début de la cage lui faisant face. Il n’avait pas tenté de franchir les barrières, n’en concevait aucune utilité, ne côtoyait qu’un vide opaque.

Avait-il faim, ou soif ?

Il ne ressentait rien, à part cette violence ourlée de bien-être à chaque inspiration qu'il prenait depuis qu’elle était apparue dans sa boîte. Une apathie étrange qui lui fit échapper la seule vérité qu’il maîtrisait :

— Je ne sais pas.

Enfin, il suivit les barreaux des yeux pour rencontrer le regard de celle qui l’avait de nouveau rendu captif. De nouveau ? L’était-il déjà avant ? Par qui ? Pourquoi ? Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme si cela pouvait l’aider à mieux la voir, à mieux la saisir, à mieux comprendre son présent à lui. Il lui semblait reconnaître la structure de son visage, ou la forme de ses yeux.

Souplement, et avec une rapidité loin d’être naturelle, il métamorphosa une position assise en une station debout, s’approchant au plus près du feu plasmique, et de sa silhouette à elle. Le halo marqua des traits qui auraient pu être beaux s’ils avaient été incarnés, vivants ; ils n’étaient qu’abandonnés, inoccupés. Ses lèvres formaient un pli sévère derrière une barbe de plusieurs jours mangeant la partie basse de son visage. Ses cheveux bruns, filasses, collaient à sa peau au teint blafard. Il n’y avait que ses yeux, à l’azur métallique, qui semblaient éveillés, empreints de tourments.

— Ta parole ?

Après une courte inspiration, il fronça les sourcils, s’approcha encore, comme s'il vérifiait quelque chose. Ses pensées s’embrouillèrent sur des ordres contradictoires : Tue ! Protège ! Le plasma brûla ses chairs, embaumant le hangar d’un relent grillé.

Il ne recula pas, le regard accroché à elle.

Ne pas le maltraiter.

— Pour quoi, alors ?
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83


Un sursaut avait accueilli la folle témérité du sujet 384. Avec horreur, elle observait ses paumes brûler, et un cri de stupeur mourut au fond de sa gorge asséchée par la chaleur. Le spectacle fascinait autant qu’il révulsait. Bravant la chaleur plasmique, elle approcha assez, le visage tordu d’inconfort. Ses yeux s’arrachèrent à la scène stupéfiante pour chercher une issue. Un boîtier flambant neuf se démarquait, entre deux barreaux dangereux. Loin du prisonnier, proche du geôlier. Elle se hâta d’en activer les commandes. Ses doigts moites glissèrent sur l’écran tactile, plusieurs sons graves dénièrent la manipulation jusqu’à ce qu’elle réussît.

Le feu disparut pour ne laisser que l’acier de la cage. Alita respirait fort, et vite. Ses cheveux trempés collaient à ses traits, habituellement délicats. L’une de ses pommettes avait douloureusement rougi, victime de sa propre audace. Une plaque écarlate marquait également la peau fragile de son décolleté. Tout pulsait irraisonnablement. L’adrénaline redescendait très lentement.

La brillance de son regard accrocha enfin le captif.

« - Kewe to ?! Tu as besoin de soins, souffla-t-elle dans un murmure sidéré.

La panique s’agrégeait à la colère. Était-il inconscient ? Les injures s’agglutinaient derrière ses lèvres chatoyantes, noyées dans le goût de sa propre transpiration. Elle était en nage, et soudain, avait froid. En l'absence de l’irradiation du plasma, la température de la soute avait drastiquement chuté. Sans l’avouer, la vision du corps athlétique du cadézien, l’odeur de sa sueur masculine et la rectitude de ses traits entretenaient une chaleur interne aussi torturante que la glace qui se manifestait à l’extérieur.

Ses pas s’éloignèrent vers une armoire de premiers secours vissée à un pilier. Chaque geste faisait un sinistre écho dans cette immensité vide. L’équipage du Rasputin, au nombre de quatre, était dédié à la navigation et au pilotage. Danek devait encore ruminer sa rage. Elle avait peu de temps, mais bénéficiait d’un répit qu’elle devait exploiter à son maximum. La sidération dévorait sa raison. Pourtant, elle arrivait – par des gestes mécaniques, à conserver un minimum de cohésion.

Le parfum dilué de violette amère flotta de nouveau près de lui, les notes de fond s’évaporaient à mesure qu’elle transpirait. Alita semblait concentrée sur le kit de soins qu’elle venait de récupérer. Une brusque turbulence manqua de la faire valser à l’autre bout du hangar. Elle arrima ses doigts autour d’un barreau avec assez de force pour éviter la chute. Ses yeux scrutèrent le plafond à la recherche d’une information sur ce brusque mouvement. Un changement de trajectoire ? Une rencontre belliqueuse ? D’un geste vif, elle tourna la tête en direction du spécimen.

Elle l’avait vue se mouvoir avec une vélocité et une agilité inhumaines. Il avait des iris aussi acérées que luisantes, d’une couleur d’acier surnaturel, comme s’ils avaient été fondus dans un minerai rare, et prohibé.

« - Je suis là pour t’aider. »

Faux. Elle n’aspirait qu’à le mener d’une rive  à l’autre du Stonx. Elle n’avait rien d’une libératrice. Le constat l’obligea à se pincer les lippes pour ravaler son amertume. Elle valait mieux que cela.

« - A te libérer. Tu as été…un genre de sujet d’expériences barbares, To pochuye ke? Tends-moi tes mains. »

Elle exigeait, sans ordonner. Sa voix était trop douce pour être autoritaire. Afin de mieux voir, elle avait dégagé son propre visage, plaquant ses cheveux en arrière. Elle aurait perdu de sa féminité si elle n’avait pas été si petite, et si ronde, agenouillée devant la prison qui le maintenait en respect. Elle n’avait pas trouvé l’éclat recherché et n’arrivait pas à cerner l’homme. En était-il encore un ? Les rapports étaient diffus. Il manquait des données. Elle avait en sa possession la pièce centrale du puzzle, mais il manquait les autres morceaux. Alors qu’elle préparait l’anti-douleur, et séparait les bandes de gaze anti-brûlure, elle échappa :

« - Aimerais-tu avoir un nom ? »


Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Le cri lui fit lâcher le plasma avant que la matière n’endommageât absolument ses mains. Malgré la chair fumante, altérée, son visage n’était froissé d’aucun signe apparent de douleur. Dominait, seule, une expression d’une neutralité glaçante, son regard à l’intensité inhumaine braqué sur elle, s’attachant au moindre de ses gestes. S’il ne la quittait jamais des yeux, il semblait cependant conscient de ce qu’elle allait faire avant qu’elle ne le fît. Son corps massif suivait imperceptiblement le sien, à l'image d'un miroir macabre, calculant mécaniquement les trajectoires optimales. Le commandement suprême grondait, ordonnant de prendre cette vie. Maintenant. Elle restait près de lui, imprudente, attisant les braises d’une volonté destructrice qui n’en avait nul besoin. Il évaluait les possibilités, mettait en balance les avantages et les inconvénients de passer son bras à travers les particules voraces afin de saisir cette nuque si délicate que ses cheveux courts mettaient en valeur. Il pouvait entendre les os se fracturer, excitant une symphonie de violence qui n’attendait qu’un chef d’orchestre pour être libérée.

Elle fuit ; il reflua.

Kewe to.

Il connaissait ce dialecte. C’était le sien. Celui de ses premières années ; celui de ses dernières années. Besoin de soins. Il observa ses paumes rongées par la substance étoilée, sachant qu’il ne s’agissait que d’un état transitoire. L’épiderme, le derme et l’hypoderme avaient été touchés, ne laissant aucune cloque, mais une peau d’une blancheur immaculée, normalement morte. Il aurait dû ressentir quelque chose ; son interjection affolée le lui suggérait. Il ne souffrait que d’un très léger tiraillement, qui n’était pas dû à la brûlure, mais aux chairs qui se reconstituaient, avec l’acharnement d’une araignée tissant sa toile. Minutieusement. Précautionneusement. Privilégiant la réparation des couches les plus profondes, celles protégeant muscles et tendons, avant de s’attaquer aux suivantes.  

Il examinait la reconstitution, mais ne pensait qu’à la respiration saccadée d’Alita, projetant à son cerveau malade des informations quant à sa santé, à son endurance, aux multiples possibilités de la fatiguer pour mieux l’atteindre, la bloquer, et mettre fin à son existence. Il était noyé d’indications, de stratégies quant à une mort rapide, simple, tandis qu’un murmure latent, impossible à ignorer, lui interdisait tout mouvement néfaste. Peut-être comprimer les veines jugulaires, les artères carotides et la trachée. Non. Il carra ses mâchoires, la regarda sans la voir, son attention dérivant sur la vie qui palpitait à son cou.

Il n’avait qu’à passer le bras, à saisir sa nuque frêle, et serrer.
Protège-la.

Le plasma annihilé, il affronta de nouveau les barreaux de sa prison, de manière plus subtile, plus professionnelle, appréciant leur robustesse précaire, cherchant une faille, sous couvert d’une curiosité innocente. La trouva. L’acier possédait une fragilité. Juste , sous ses doigts fureteurs. Il pouvait entendre le subtil craquement de faiblesse. Avec un élan moyen, il pourrait tordre le matériau, sans doute créer une ouverture. Il allait l’éprouver de son corps quand la bouffée violente s’atténua. Progressivement libéré du bouquet féminin, il secoua la tête, et se recula jusqu’à ce que son dos ne rencontrât l’extrémité opposée. Il suivait, confus, la silhouette délicate s’échiner contre une armoire, puis tanguer suivant la danse agitée du hangar. Un vaisseau. Ils étaient dans un vaisseau. Pas dans un hangar.

Un réflexe l’attira de nouveau près d’elle alors qu’elle perdait l’équilibre, près de sa cage.

Tensha, marmonna-t-il en enroulant sa main autour de son poignet au travers des barreaux qu’il avait, dans son acte impulsif, légèrement courbés.

Il la maintint ainsi contre les barres métalliques jusqu’à stabilisation complète, puis lui tourna le dos alors qu’elle cherchait son regard. Ses doigts s’étaient incrustés, laissant une empreinte dure sur sa peau féminine. Il n’avait pas manqué sa pommette cramoisie, ou la plaque colorant de rouge sa peau nacrée. Pour l’aider. Vraiment ? Pourquoi, alors, son coeur battait-il la mesure de la tromperie ? Il l’examina de biais, plissa les yeux, et s’éloigna d’un pas tandis que le refrain létal reprenait, avec moins de force cependant. La protection prenait le dessus, tuer ne devenant qu'accessoire. Le libérer. Le reste de son discours lui fit carrer les mâchoires, activant des palpitations irritées.

— Mi pochuye to, répondit-il d’un ton monocorde, âpre.

Sans croiser son regard, il s’agenouilla à son tour avec une souplesse fauve, et lui tendit ses paumes que son organisme avait commencé à soigner. L’hypoderme s’était régénéré afin de ne pas anéantir les sensations, et éviter l’effet rigide qui aurait dû intervenir après une telle brûlure.

— Quelles expériences ? demanda-t-il après une hésitation qui lui fit lever les yeux vers elle.

Il était incertain, dual, dans sa volonté de savoir. Il ne la connaissait pas assez pour lui faire confiance, savait déjà qu’elle lui avait menti. Peut-être même faisait-elle partie de l’équipe l’ayant originellement capturé. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de test.

Protège-la.
Tue.

Il ferma son poing droit, comme pour contrôler une pulsion, alors que sa dextre se trouvait bien près de celle de sa cible.

— Ya, finit-il par répondre pour le nom, avant d’enchaîner d’une voix basse. Ferí mi fong keting ? Alita ? Sa langue claqua alors qu'il prononçait le "ta" de son prénom, et qu'il prolongeait le son.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83


- Mi na sasa, avoua-t-elle après avoir cueilli une main. De la République, des révolutionnaires, de l’Empire. De toi-même.

Les derniers mots prenaient sens alors qu’elle dévoilait une peau en pleine cicatrisation. C’était trop rapide. Où étaient les cloques ? Le sang calciné ? A ce degré-là, le plasma rongeait les tissus mous au moindre contact direct. L’incompréhension figeait son cerveau, mais l’instinct prenait le dessus. Avec des gestes mécaniques, elle appliqua les premiers secours. Ses propres yeux fuyaient l’opération, car elle refusait d’évaluer l’hématome abandonné sur son poignet. Il l’avait saisi, plus tôt, avec une force incroyable. Se pourrait-il qu’elle fût à ce point fragile ?

Mais le plus extraordinaire résidait dans cette connaissance du créole cadézien. Un dialecte confiné à Cadezia, et ses colonies spatiales. Méprisé par la haute-bourgeoisie, soigneusement entretenu par le peuple. Quoiqu’il eût été dans le passé, ses gènes provenaient de la même civilisation.

La même culture nourricière coulait dans leurs veines.

« -Des expériences sur… »

Elle hésita avant d’oser une œillade contre les muscles apparents du captif. Sous l’étrange uniforme noir et seyant, une musculature virile s’épanouissait, mise en valeur par la moindre expiration, le moindre mouvement. Alita se perdit un moment dans la contemplation de l’homme. Depuis combien de temps n’en avait-elle pas côtoyé ? Son corps à l’abandon le lui réclamait aux heures indécentes des nuits passées en solitaire. Son métabolisme entier devenait sensible à proximité d’un être du genre de 384. Il lui fallait un nom.

« - Ton corps, » acheva-t-elle sur un soupir mal maîtrisé. « - La plupart des rapports sont en sécurité, je dois les faire décrypter. »

Ses doigts s’évertuaient à nouer les bandages autour d’un derme pratiquement régénéré.

« -Tu vois, une personne normale aurait vraiment besoin de ces bandages, mais pas toi. Tu n’es plus humain. »

A mesure qu’elle parlait, les soins avaient cessé et elle avait approché son visage de porcelaine. L’espace entre les barreaux accueillit l’éclat indépendant de ses iris émeraude, et la symétrie insolente de ses lèvres rondes. Alita approcha, encore. L’acier pressa ses tempes, mais elle parvint à capter le souffle du prisonnier.

« - Jóska, articula-t-elle.

Chat, en créole cadézien. Vulgairement. Le terme englobait un félin aux similarités biologiques. En avait-il déjà vu ? Ils se rassemblaient surtout dans les niveaux inférieurs, préférant l’ombre à la lumière. Leurs longs poils sombres repoussaient la chaleur, et les gardaient du froid des souterrains. Ils se déplaçaient vite, grâce à des muscles puissants. Rares étaient ceux qui acceptaient la domesticité. Plus bas, loin de leurs figures qui se confrontaient, elle éprouvait la peau moite du soldat, du bout de ses doigts féminins. Un frisson émergea le long de sa colonne vertébrale, et alourdit ses reins.

Un fracas tonitruant mit fin à son exploration audacieuse.

« -Alita !

Et la voix de Danek gronda en échos autoritaires. D’un sursaut, elle s’éloigna des barreaux, non sans jurer entre ses dents.

« - Tu as en tiré quelque chose ?! questionna-t-il dès qu’il fut à portée.

Il était accompagné d’un membre de l’équipage aux lekkus frondeurs, et à la peau carmine. Le Twi’Lek portait une combinaison grossière, complétée de pièces d’armures et tenait entre ses bras musclés un fusil blaster menaçant.

« - Pashang ! jura-t-il dans sa langue, avant même qu’elle ne pût répondre. Il s’est passé quoi avec la cage ?
- Je l’ai désactivé.
- Pourquoi ? Toi, recule, ordonna-t-il au nouveau baptisé. »

Pour accréditer l’ordre, le Twi’lek le mit en joue, l’invitant à obéir.

« - Il avait besoin de soin, et il doit être affamé, et assoiffé.
- Il ne lui faut pas un petit massage, par hasard ? Et de la musique, non ? Pashang fong !
- Danek, fais-toi une raison. »

Inaros s’approcha d’un pas conquérant, plaquant son torse contre elle, usant de toute sa stature pour la dominer. Elle encaissa la tentative d’intimidation sans broncher.

« - Tu m’as dit que c’était un genre de super-soldat, ? C’est sensé ne pas manger, ne pas boire. Je ne suis pas sûr qu’il sache pisser. On doit juste lui donner une cible.
- On n’en sait rien.
- Le pashang de Publius.
- Na.
- Oh que ya. Mes ordres viennent de plus haut.
- Nakangepensa. »

L’insulte déclencha l’ire du leader. D’un réflexe habile, il délogea son blaster de sa ceinture. Alita sentit le canon se planter dans la chair de son cou. Son rythme cardiaque s’accéléra, malgré ses efforts pour paraître neutre et inatteignable. La tension animait l'air sous l'impulsivité du rebelle.

« - Tu n’as pas ton mot à dire, to puchoye ke ?
- Mi puchoye, admit-elle d’un ton contrit. »

La soumission sembla apaiser Danek qui fit descendre le chien de son arme jusqu’au décolleté humide et écarlate. Il évalua également la pommette brûlée, puis les traces à l’avant-bras.

« - Que s’est-il passé ?
- Le plasma a déconné, je l’ai désactivé pour éviter de nous brûler tous les deux.
- Eh bouge pas ! paniqua le Twi-lek, prêt à appuyer sur la détente. Le sujet 384 le rendait visiblement nerveux.
- Garde ton pashang de calme, Zenek. Quant à toi, Lita. Lita, Lita. » Il égrenait ce surnom intime, la rage illuminant ses yeux furieux. "Petite menteuse. Tu as désactivé la cage pour le soigner ou parce que le plasma déconnait. ?"



Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Il écoutait, absolument silencieux, le rythme cardiaque qu’il percevait avec une netteté tranchante, ses prises d’inspirations accélérées ou retenues. Elle ne mentait pas, cette fois-ci. Il avait fait l’objet d’expériences. Quel degré ? Jusqu’où ? Y avait-il des os, sous cette carapace charnelle ? Était-elle vraiment faite de peau ? L’apparence était semblable à celle qui enveloppait Alita. Pouvait-il seulement faire confiance à ses yeux ? À ses perceptions ? Il déglutit tandis qu’un vertige lui cisaillait l’estomac.

Mais pas toi.
Tu n’es plus humain.


La sentence s’enfonça dans son être, près d’un coeur qu’il ne possédait peut-être plus. Il se déroba, pencha le visage, lèvres entrouvertes sur une nouvelle salve de questions qui resta emprisonnée dans sa gorge. Qu’était-il, alors, s’il n’était plus humain ? Allait-il devoir s’écorcher la peau pour découvrir ce qu’il y avait en dessous ? Une structure mécanique, faite de poulies et de vis ? Était-il un droïde possédant une apparence humaine ? Son squelette était-il mécanique ?

Au nom donné, il planta un regard incertain à l’éclat perdu, sur elle.

— Jóska, répéta-t-il, soupesant les sonorités, s’appropriant le nom commun pour le faire sien.

Il lui semblait qu’il en avait eu un. Avant. Avant quoi ? Un qui l’avait choisi, lui, après l’avoir griffé. Il se souvenait d’une perle carmin sur sa peau pâle alors que son derme s’était très légèrement séparé en deux. Il se souvenait de la fourrure entre ses doigts, de la chaleur du corps étranger contre sa joue, de son odeur particulière, pas très forte, d’une étrange délicatesse. Un parfum féminin. Qui ? Il fronça les sourcils, observa les doigts d’Alita qui chassaient lentement l’empreinte de souvenirs embrouillés, sans doute fabriqués, peut-être même inventés. La chaleur qui s’emparait graduellement de son être, a contrario, n’avait rien d’imaginaire, et elle se déployait avec une force tranquille, corrompant sa chair avec plus de succès que le plasma.

Il n’entendit pas arriver la tempête rugissante, autoritaire, qui frappa son esprit en même temps qu’une culpabilité dont il n’arrivait pas exactement à saisir l’origine.

Il n’aurait pas dû se laisser aller à prolonger le contact.
C’était prohibé.
Par qui ?

Délaissant ses pensées flottantes, il reprit, d’un bond véloce, une position lui permettant de réagir, en cas d’engagement agressif. L’homme. C’était celui qui l’avait placé là. Humain. Sa silhouette ne lui déclenchait aucune pulsion, rien qu’un énervement sourd, avivé par sa brusquerie. Il ne se rappelait pas de l’autre. Peut-être n’avait-il pas participé à sa capture. Twi’Lek, murmura un écho lointain. En condition de repos, il observait l’échange, décryptant le langage corporel plutôt que celui qui résonnait à ses oreilles. À l’ordre, il recula d’un pas. Son attention précise se tourna vers l’homme de main dont la nervosité rendait moites ses mains, et sa prise, approximative, sur le fusil blaster.

Danek.

Son poing droit se crispa quand le prénommé Danek joua de sa carrure pour intimider celle qu’il devait… protéger. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Il eut beau résister, le commandement de protection l’obligea à braver l’ordre de reculer, et le contraignit à faire un pas vers le couple.

Super-soldat.
Juste donner une cible.


Il serra les dents tandis qu’un dégoût montait progressivement à ses lèvres réduites à une fine ligne. Mais pas toi. Tu n’es plus humain, fit la voix sucrée d'Alita. Il n’était pas un soldat. Ce n’était pas lui. Il était plus que ça. Il était… il était… autre.

Quoi ?

Quand l’homme sortit le blaster en réponse à l’injure, il s’avança, jaugeant combien de secondes seraient suffisantes pour passer les barrières, dévier l’arme, mettre les deux hors d’état de nuire, sans qu’Alita ne fût blessée. Il sentait l’adrénaline propulser un coeur qui battait une mesure puissance, profonde, charger son corps d’une énergie vibrante. Il avait une conscience élevée de ce qui l’entourait, de l’interaction infime, intime, des particules énergétiques entre elles, passant immatériellement entre les êtres animés d’une vie charnelle. Il partageait avec le monde une connexion primaire qu’il reconnaissait comme naturelle sans totalement l’appréhender. Il avait su. Un bruissement agité entourait les deux hommes ; un voile de peur recouvrait Alita.  

La tension s’atténua à peine quand Danek caressa le décolleté d’Alita de son arme, questionna avec rudesse. Le Twi’Lek, lui, semblait sensible à sa colère alors même que rien n’altérait ses traits impassibles. Il s’était néanmoins avancé, vers Alita, l’approche déguisée sous un air neutre. Il attendait le bon moment, enveloppé dans un silence prédateur censé faire oublier son existence à sa proie, la respiration ténue, l’immobilité maîtrisée.

L’instant propice s’imposa lorsque le Twi’Lek déglutit, lança un regard impatient à son patron, et que celui-ci, trop obnubilé par Alita, ne remarqua pas son avancée contre les barreaux d’une cage factice. Quand Danek renouvela sa menace contre la jugulaire féminine, le commandement protecteur l’aveugla, activant une réponse immédiate. Son corps ne fut pas contenu par l’acier, et il s’échappa dans un crissement métallique, annihilant un impossible effet de surprise. Le Twi’Lek se tourna, visa d’une main fébrile, manqua sa cible, mais tailla les barreaux tordus d’un cage maintenant inutilisable. Respectant la souplesse de son nouveau nom, Jóska dévia le canon du plat de sa main gauche, s’en saisit en appelant l’arme à lui, pour, dans le même temps frapper de son coude droit la tempe de son adversaire. Sonné, le Twi’Lek s’effondra. Jóska visa aussitôt Danek, avant de rabaisser vivement son arme en se rendant compte qu’il reculait en entraînant Alita avec lui, tenue en échec par une clé d’étranglement.

Malgré la menace du pistolet blaster, Jóska avançait.

— Libère-la.
— À tes ordres towchu, répondit-il dans un rire à la tonalité supérieure, presque amusée.

Danek ne se sentait nullement menacé, comme s’il avait une connaissance que les autres ne possédaient pas, comme s’il avait attendu ce genre de comportement de sa part. Son instinct hurlait au piège. Sans ménagement, Danek poussa Alita contre lui. Il la rattrapa avec le maximum de précaution, avant de la placer derrière lui, stoppant sa progression. Il devait réfléchir. Danek était trop suffisant. Il plaqua sa main sur le corps gracile de la jeune femme, la forçant à rester contre son dos, lui imposant une inactivité. Il devait considérer la situation. Personne ne venait au soutien du chef. Il n'attaquait pas non plus.

— On va le tester sans attendre, sesatà ! Voir si tout c’que tu nous as dit est vrai… Super-soldat, ké ! cracha-t-il avant de sortir, d’’un geste vif, une minuscule télécommande à l’écran translucide.

La vue de l’outil glaça ses entrailles ; un tremblement inconscient lui fit lâcher le fusil ; reculer d’un pas ; oublier la présence d’Alita derrière lui ; ses pensées s’enroulèrent autour d’un sentiment de trahison familier ; ses lèvres se pincèrent d’une colère acide ; ses yeux s’arrondirent de peur avant, qu’enfin, il ne s’élançât vers sa cible. Il ne fut pas assez rapide. L’ordre irrévocable l’atteignit alors qu’il avait la nuque de sa cible entre ses doigts belliqueux. Un râle d’impuissance lui échappa. Soudain, il perdit l’usage de sa main, qui s’affaissa, amorphe, à son côté, puis ce furent ses jambes, molles, qui ne supportèrent plus son poids, et il tomba à genoux devant le rebelle.

— Tu n’as pas menti, sesatà. Il fera un accessoire parfait, dit-il en actionnant la dernière commande, celle de l’arrêt.

Pantin inerte, la trahison fit bouillonner son sang avant que sa personnalité naissante ne s’évanouît. Soumis, le dos du sujet 384 se courba vers l’avant, le visage tourné vers le sol, alors qu’il se trouvait plongé dans un mutisme robotique.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83

L’action s’était déployée trop vite.

Au-dessus de leurs têtes, le droïde à hélices avait capté la rixte. Ses capteurs avaient tout enregistré. Le son, comme l’image. Sa propriétaire l’avait programmé selon les besoins spécifiques du journalisme de terrain. La machine devait se tenir aux aguets perpétuels. L’agressivité de Danek n’avait pas provoqué sa surprise, habituée à son impulsivité soudaine. Des années auparavant, elle l’avait quitté en catastrophe avant de mourir broyée par sa violence infidèle et ses coups déloyaux. La peur l’avait étreinte, comme à l’époque. Elle avait fermé les yeux pour mieux anticiper la douleur qu’il lui faudrait encaisser, les lèvres fermement serrées.

Elle allait mourir bêtement, sur ce rafiot. Le présage réconfortait : elle rencontrerait son père, et terrifiait : il fallait se préparer au néant. Rejoignait-on les étoiles ? Arrêter d’exister ôtait-il toute humanité ? Tu n’es plus humain. Jóska éloigna le danger, et elle s’accrocha à l’ombre de son dos, essoufflée.

Les choses avaient dérapé. D’un coup d’œil, elle s’assura que la diode d’activité de son robot clignotait. Rassuré, elle fournit un effort surhumain pour agréger ses pensées au-delà de la crainte qu’elle ressentait. Elle comprit trop tard l’implication du précieux artefact entre les doigts du leader. Le soldat inhumain était déjà à terre.
Elle se précipita vers lui plutôt qu’en direction du twi’lek inconscient.

« -Arrête, Danek ! »

Ses bras délicats entourèrent les puissantes épaules du prisonnier en souffrance. Elle tentait de le réconforter par une série d’onomatopées tendres et dépourvues du moindre sens, dans l’espoir qu’il se focalisât sur le son de sa voix. Cette dernière formait un fil qu’il devait saisir pour se guider hors du labyrinthe tortueux.

« - Tu es là pour faire ton pashang de reportage, pas pour jouer les infirmières. On met le cap sur Anzat, pour préparer la mission.
- Comment vas-tu faire sans cage, ?
- Ai-je vraiment besoin d’une cage, quand j’ai ça ? indiqua-t-il, en brandissant le contrôle à distance. »

Le cerveau d’Alita se disloquait sous un afflux d’adrénaline. Ses yeux accrochèrent le fusil blaster abandonné près du corps aux lekkus immobiles. Derrière un voile trouble, elle estima ses très faibles chances. Un tir d’Inaros la faucherait avant qu’elle n’atteignît son objectif.

« - Tu veux que je fasse mon reportage, souffla-t-elle, encolérée.
- Tu deviens raisonnable, Lita.
- Assez pour prendre ton meilleur profil. Tu n’y vois pas d’inconvénients, ? Pi ! »

Le droïde bipa une affirmation. Ses hélices le portèrent près de Danek, et il enclencha un flash aveuglant.

« - Quelques photos, beratà ! s’écria-t-elle, profitant de l’instant pour plonger sur l’arme qu’elle récupéra dans une roulade maladroite.
- Robot felota ! s’agaça le révolutionnaire, agitant son blaster. »

Un tir fendit l’air.
Et le silence retomba.

Drummer gisait sur le dos, la poitrine soulevée d’inspirations nauséeuses et saccadées. La sueur brûlait sa rétine. Sa tachycardie imprécisait sa vision qu’elle avait flou. Un vent tiède échoua sur son visage, provoqué par la rotation des pals du robot. Deux bips successifs la sollicitèrent.

« - Ca va. »

Un geignement rauque répondit en écho. Cloué à terre, Danek gémissait, les jambes impactées par un tir de blaster qui l’avait handicapé. Puisant dans ses ultimes ressources, elle se dressa, fusil toujours en main et approcha. Son adversaire aperçut l’angle de ses chevilles protégées dans des bottines montantes. Le mettant en joue d’un bras tremblant, elle se pencha pour récupérer la télécommande.

« - Je vais te tuer…expira-t-il, dans un sourire douloureux.
- Tu as déjà essayé, par le passé.
- J’aurais dû réussir.
- Ta chance est passée, Danek. »

Elle hésita. Ses dernières forces servirent à abattre la crosse contre le joli visage de son ancien amant. Il tomba dans l’inconscience, et elle tituba, prête à s’effondrer. Il faisait si chaud. Elle peinait à trouver de l’oxygène sur ce vaisseau, ses poumons hyperventilaient, mais Alita tenait encore debout. Pourquoi ? Pour un ridicule morceau de contrôle ? Pour…ses prunelles dévièrent jusqu’à la silhouette de….Jòska ? Non. Elle achevait tant de travaux herculéens pour son père, pour la vérité qu’il avait emportée dans la tombe. Le sujet 384 était la clé du mystère, elle ne devait laisser personne d’autres l’en déposséder. Elle passa le fusil dans son dos, se courba pour attraper Inaros par les pieds dans l’objectif fou de le traîner dans la cage. Il lui suffirait ensuite d’activer les barreaux plasma, d’aller au poste de pilotage. Si elle prenait les deux membres d’équipage restant par surprise. Elle aurait une chance. Ses paumes glissèrent et elle perdit l’équilibre emportée par son propre poids.
Sa bouche échappa un léger cri de stupeur quand elle percuta le dallage d’acier.

- Jòska ?

Ne devrait-elle pas plutôt l’aider ? Un super-soldat, ? Il n’avait pas besoin de soins. Tu n’es plus humain. Elle l’était tout juste assez pour avoir la nécessité du repos. Juste un instant. Ses doigts dérapèrent à la surface des commandes alors qu'elle luttait pour maintenir sa conscience à flot.


Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Jóska entendait sans pouvoir physiquement réagir, retenu par les liens invisibles de sa geôle mentale personnalisée. L’ordre avait appelé son double programmé, le sujet 384. Celui qui n’avait aucun besoin d’être cajolé, ou de suivre une voix, qui ne faisait qu’attendre, calme et obéissant, le prochain commandement. Sa respiration était basse, son rythme cardiaque presque indétectable, comme s’il était au repos. Il ne bougeait d’ailleurs pas, restait d’une immobilité de marbre, le regard planté sur ses mains posées sur ses cuisses, dans une posture d’extrême soumission, nuque vulnérable. Jóska avait beau frapper contre les parois de son esprit fractionné, se démener comme un forcené, il ne reprenait pas possession de son être. La limite secrète était imperméable, infranchissable. Son enveloppe carnée restait prostrée, ne reflétant pas sa vie intérieure, ne lui permettait pas de suivre ce qui n’avait pas cessé autour de lui.

Il l’avait laissée.

L’arrêt avait toujours été l’ordre suprême. Il expira un dépit muet. Toute action, toute vindicte était inutile. Il fallait attendre. Quoi ? Une faille arriverait, il suffisait de… De quoi ? La colère s’amoncela à ses lèvres désincarnées. La paix intérieure commence dès l’instant où tu choisis de ne pas laisser les autres ou les évènements contrôler tes émotions, Andr…, souffla une voix oubliée. Une paix. Reprendre contact avec un calme intérieur ; retrouver un équilibre ; une balance exacte des passions.

Oui, c’était cela.
La faille venait de l’équilibre.
Une harmonie parfaite, sans exacerbation.

S’obligeant à la retenue, Jóska prit une position d’attente, propice à la méditation. Avec la patience de celui qui semblait posséder le temps, il tenta de faire le vide. D’étudier avec logique. Il était un accessoire ; Danek semblait remercier Alita de ses actions, comme si elle n’avait été qu’un test, comme si elle avait été l’appât et lui l’imbécile prise ; cela expliquerait la facilité avec laquelle il avait pu se défaire, et de sa cage de plasma, et de ses assaillants. Son aigreur le déséquilibra, brisa sa concentration. Jóska inspira, se replongea dans l’étude. Sa peur n’était pas mensongère. Il l’avait ressentie. Tout autant que l’irritation jalouse de Danek. Ils avaient été complices de quelque chose, mais pas de ça. Pas des derniers évènements. Ou peut-être pas de cette évolution.

Que pouvait-il en tirer ?

Il n’aurait pas dû être capable de se souvenir ; il aurait dû oublier. La commande annonçait toujours l’oubli. Le ressentiment, mêlé de peur, le perturba. Focus ! Il n’y a pas d’émotion, il y a la paix, souffla une voix masculine aux contours flous. Si les émotions pouvaient exister, elles ne devaient pas guider. Jamais. Les extrêmes ne pouvaient qu’enchaîner, mener à.... Ses derniers, et premiers, souvenirs courraient à compter de la capsule médicale. Tout ce qui était arrivé avant n’était qu’un éther opaque. Patience, l’avenir est en mouvement constant, s’interféra la voix oubliée. Que ne s’était-il pas passé cette fois ? L’arrêt n’avait pas supprimé son envie de la protéger, de protéger Alita. L’injonction persistait, plus forte encore, en filigrane constant, comme si la défense de cette femme était le socle de tout le reste.

Pourquoi ?

Il n'y a pas de passion, il y a la sérénité.
Il n'y a pas de chaos, il y a l'harmonie.



Jóska !



Les doigts de l’entité 384 frémirent.

Dans sa chute dans l’inconscience, Alita activa un nouvel ordre. L’élimination rapide. Le sujet 384 releva la tête, se mit debout d’un mouvement souple, étudia son environnement immédiat, avant d’écouter ce qu’il y avait au-delà. Rien. La soute produisait un ronronnement classique, vaguement troublé par les turbulences extérieures indiquant l’arrivée dans l’atmosphère d’une planète. L’étanchéité de la soute ne lui permettait pas de distinguer au-delà. Il avisa les corps inertes autour de lui. Twi’lek, humain, et Alita. Leurs respirations étaient lentes, régulières. Ses billes glacées dérivèrent sur les armes à disposition. La plus évidente était le pistolet blaster. La démarche précise, il s’en approcha, s’en saisit, et tira. Un coup - deux coups. Nettement. Sans aucun remords ni attente. Deux tirs mortels pour ses deux cibles mâles. Avec un soin détaché, il rangea les dépouilles dans la cage. Il se tourna enfin vers la femelle endormie. Alita. Protège-la ! Il fit un pas prudent vers elle, huma son odeur. Ses yeux se fermèrent une seconde avant qu’il ne se dirigeât vers le sas menant au poste de pilotage. L’ouverture attira à lui l’attention d’un autre twi’lek qu’il accueillit d’un tir de blaster, tout aussi létal que les précédents. Le pilote hurla, actionna une commande de manoeuvre, et se retourna pour le pointer d’une arme dont il n’eut pas le temps de servir. Le corps troué, fumant d’une décharge fatale, plus en maîtrise, fit décrocher le vaisseau. Ou était-ce le dernier ordre donné. Le vaisseau tangua brusquement, propulsant durement le sujet 384 contre des équipements à la surface rigide. Il secoua la tête, lutta un temps pour retrouver un équilibre, avant de s’aider des aspérités pour retourner à la soute.

Le vaisseau plongeait, activant des alarmes sonores dont il ne saisissait pas le sens.
Il avait éliminé.
Il devait maintenant protéger.

Le sas s’ouvrit sans qu’il n’eût besoin d’activer le mécanisme. Il s’avança, poussant son poids loin des armatures métalliques, puis rampa jusqu’au corps d’Alita. Elle avait résisté à l’abrupte descente en stagnant contre les barreaux de son ancienne prison. Il tâta son pouls, elle vivait. Il l’encercla de son corps, bouclier vivant, et attendit. Il évaluait ses prochaines blessures à moyennes ; celles d’Alita à légères.

La coque blindée de l’ouragan BT-7, bien que tout à fait convenable, ne résista pas au crash.
Ni le sujet 384.

Violemment projeté contre une paroi d’acier, il sembla perdre connaissance. Ses bras ne libérèrent néanmoins pas la silhouette féminine, affreusement soumise à son emprise inflexible. Lui seul devait prendre les dégâts aussi bien internes qu’externes. L’ordre n’avait jamais été de se protéger lui-même, et celui-ci persistait dans la demi-conscience.

Les moteurs furent endommagés par les roches que la jungle masquait ; une des ailes fut arrachée, gardée par des lianes jalouses ; l’armurerie fut détruite, ainsi qu’une partie du centre médical. Le long atterrissage ravagea la jungle luxuriante, dérangea la faune qui réagit dans une hystérie de cris bigarrés, avant de creuser une tranchée dans le sable menant à l’océan.

Enfin, ce fut le silence.

À peine dérangé par une effervescence aqueuse.

Le vaisseau détruit prenait l’eau, s'apprêtait à sombrer.

Il n'y a pas de chaos, il y a l'harmonie.
Il n'y a pas de mort, il y a…


Jóska ouvrit les yeux.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83


La mer des chagrins l’avait engloutie. Les sables noirs ensevelissaient sa silhouette fragile pour la draguer vers des profondeurs inconnues. La lumière du jour se refusait, et elle ne connaîtrait que les ténèbres – privée de souffle, étreinte par une mort aux bras silencieux.

L’oxygène envahit ses poumons avec brusquerie. Un réflexe l’obligea à ouvrir les lèvres pour expulser un bruit d’inconfort. Ses yeux troubles captèrent des formes floues, et les sons percutaient ses oreilles au ralentit. Son cerveau s’éveillait péniblement, ordonna à ses mains de s’accrocher à la carrure puissante qui l’avait protégée. Les muscles raides de Jóska épousaient son corps tremblant.

Pi flottait près des deux survivants. Des gerbes étincelantes jaillissaient des panneaux électriques éventrés lors de la chute brutale. La menace d’une électrocution alourdissait l’atmosphère chargée d’une désagréable odeur de souffre et de carburant brûlé. Le plasma des réacteurs avait rencontré les divers composants du vaisseau. Leurs mélanges infusaient un danger latent. Le droïde pressa sa propriétaire de trois bips aigus. Debout, disait son langage binaire, danger, fuir.

Urgent.

« - Jó… débuta-t-elle, avant d’être saisie par l’urgence de leur situation.

Ils pataugeaient dans une eau boueuse, et grimpante. La carcasse du Rasputin craquait sinistrement en rythme avec un éclairage de secours défaillants dont les tressaillements stroboscopiques indiquaient une rupture imminente. Bientôt viendrait le noir. Le piège se refermait autour d’eux. L’ouragan BT-7 allait devenir un tombeau.

« - Jóska ! dit-elle plus fort, se détachant de lui. Ses mains pâles le secouèrent légèrement.

Elle avait le cœur au bord des lèvres, poussé par une anxiété infernale.  Elle n’avait conservé qu’un vague souvenir des évènements. Le poids du fusil blaster creusait son épaule. Une alarme épuisée répétait sans cesse le même schéma sonore, suivie d’un message d’évacuation à la voix désincarnée et traînante. Les derniers mots réitéraient un diagnostic inquiétant que l’on pouvait résumer par un naufrage imminent. Les paumes de la reporter échouèrent sur le visage froid du super-soldat dont les traits souffraient d’éraflures, d’hématomes superficiels.

« - Kewe to ? articula-t-elle, noyée dans l’acier lointain du regard masculin.

Le niveau de l’eau marécageuse montait à leurs mollets. L’inclinaison du vaisseau accusa quelques degrés. Drummer dut s’arracher à l’examen de son binôme d’infortune pour chercher une issue. Elle tituba vers le sas de décompression, situé au bout du hangar, et trébucha. La soute s’était transformée en marais traîtres. Serrant les dents, elle trouva l’équilibre. Le Rasputin était devenue une brèche sur laquelle ils se tenaient, fuyant l’abîme. Ses yeux repérèrent un sac étanche, balloté par les eaux montantes. Elle reconnut son propre bagage, se courba pour le récupérer. Une fois le fardeau accroché à son dos, près du fusil, elle poursuivit son avancée, talonnée par Jóska dont l’ombre veillait étrangement. Alita nourrissait la sensation qu’il l’avait protégée. Pour un crash de cette envergure, elle ne souffrait d’aucune blessure, excepté un hématome ou l’autre. L’impression du corps masculin autour d’elle demeurait vive. Le moindre pli de sa combinaison trahissait l’étreinte mécanique qu’elle avait subi. Un frisson dérangea la quiétude de sa peau.

« - On peut sortir par le sas arrière, expliqua-t-elle à bout de souffle.

Elle ignora la cage éteinte et ses occupants morts, dont les cadavres flottaient doucement. La survie avait la préséance sur la réflexion. Il ne s’agissait que d’instinct. La cadézienne avait déjà connu des situations critiques. Ses réflexes savaient où la mener. L’habitude des vaisseaux spatiaux lui donnait un avantage.

Arrivés près de la sortie, elle constata que les commandes d’ouverture automatisée avaient rendu l’âme. Les puissantes portes blindes étaient verrouillées en position de coupe-feu, compliquant leur fuite.

« -Pashang fong ».

L’alerte répétée avala son injure, et elle s’agenouilla dans l’eau. Ses mains plongèrent à la recherche du contrôle manuel. Ses tentatives éclaboussaient sa chevelure aux multiples reflets ondoyants.

« - Je crois que je l’ai…ya ! »

Le soulagement explosa dans sa poitrine quand ses doigts saisirent un levier. Elle banda ses muscles, tira de toutes ses forces jusqu’à la reddition des chevrons hydrauliques qui commandaient l’ouverture de la porte. La lumière diurne inonda le hangar, concurrencée par le marécage qui les dévoraient.

Le robot s’évada en premier.

L’eau était tiède. Sa densité s’apparentait à du mucus de Hutt : visqueuse. Alita pataugea davantage qu’elle nagea, à la surface du marais. Ils regagnèrent un rivage formé par les racines d’une mangrove odorante. Elle profita pour s’échouer, reprendre son souffle. Au travers des feuilles exotiques et épaisses, les rayons solaires caressaient sa peau sale. Ses pensées refusaient de s’aligner. Pourtant, il fallait forcer la réflexion. A quelques mètres de là, l’Ouragan BT-7 rejoignait des profondeurs fangeuses. Ses prunelles avisaient le spectacle affreux. Elle pensa à Danek, aux autres membres d’équipage, avec un étrange pincement au cœur. L’alerte sonore avait laissé place aux cantiques d’une faune locale agitée par l’intrusion brusque.

« - Où….sommes-nous ? »

Deux bips réguliers répondirent à sa question.

« - Rodia… » traduisit-elle dans une grimace.

Planète relativement accueillante. L’air n’y était pas vicié, et elle se situait sur une route commerciale fréquentée. Son affiliation neutre éloignait les problèmes que pouvaient représenter les autorités impériales, ou républicaines.

« - Pi, tu sais me trouver une carte dans tes serveurs ? demanda-t-elle, la bouche pâteuse.

Quatre bips simulèrent un début d’explication. Pi manquait de réseau de connexion. Il cherchait, mais n’était pas certain de trouver. Progressivement, l’esprit de Drummer s’éclairait. Sa conscience quittait définitivement le néant pour rejoindre la réalité. Elle approcha de Jóska, le nez froncé par l'incompréhesion.

« -  Qu’est-ce qu’il s’est passé ?


Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Il avait presque réussi. Il avait saisi la faille, s’était infiltré, s’était imposé une seconde avant d’être brutalement renvoyé dans ses cordes mentales par un nouvel ordre. La violence de l’échec lui laissait une blessure vive, aussi incisive qu’une plaie à arme blanche, l’esprit déchiqueté par une lame aux bords dentelés. Il devait retrouver l’équilibre, mais les odeurs avaient vrillé sa conscience. Il persistait un crissement, strident, telle la descente d’une griffe de maalraas sur une surface lisse. Il n’avait pas pu revenir, la douleur invisible lui interdisant l’harmonie.

Quand Jóska ouvrit enfin les yeux, son visage était entre les paumes d’Alita. Il l’entendait de loin, sa voix assourdie. Il cilla, fronça les sourcils, et regarda autour de lui. Que s’était-il passé ? Il nota avec un détachement analytique l’eau qui montait, les odeurs vibrantes de mécanismes surchauffant, ou la position non-naturelle du hangar balafré. Alita se détacha de lui, et il suivit sa silhouette ondulante, incertaine. Où étaient les autres ? se demanda-t-il en observant plus attentivement les alentours. Il perçut alors des corps, flottant, et détourna les yeux. Leurs morts l’éprouva, mais il n’y avait plus rien à faire. Alita n’avait fait que se défendre, il en était certain. Il tenta de se relever, et s’aperçut que son corps n’avait plus la même agilité. Si ses jambes se mouvaient avec souplesse, ce n’était pas le cas de son buste ou, pire, de son bras droit, dont il ne maîtrisait plus l’animation. Il pendait, lamentablement, à son côté. S’aidant d’une paroi, puis de matériaux divers, il parvint à se mettre debout.

La voix d’Alita attira son attention. Le sas arrière. Il dégagea les mèches trempées qui barraient son visage, et la suivit. Il lui faisait confiance, confiait à sa frêle silhouette et à ses mains minuscules leur survie à tous les deux. Il ne connaissait de toute façon pas le vaisseau, contrairement à elle. Lorsqu’elle jura, il fronça les sourcils, l’observa elle, puis leur seule possibilité de sortie. Il aurait pu… forcer le sas. Tenter, du moins. Non, pas dans sa condition actuelle, ou sans dommages irréversibles. Il ne le ferait qu’en dernier recours. Le grincement des chevrons rappela ses pensées volatiles au temps présent, et il la talonna, la démarche tanguante.

Tu m’as dit que c’était un genre de super-soldat, ké ? C’est sensé ne pas manger, ne pas boire. Je ne suis pas sûr qu’il sache pisser. On doit juste lui donner une cible.

Pourtant, il sentait une langueur, une indolence, qui se propageait à l’image d’une maladie. Sa gorge était sèche, son énergie faiblissait, et son champ d’horizon semblait se rétrécir, mangé consciencieusement par de minuscules bogeys. Il entendait vaguement la discussion entre l’humaine et son droïde, avait des difficultés à stabiliser son esprit sur autre chose que la réduction de son attention. Il s’affaissa près des racines odorantes de la mangrove dans un bruit étouffé par la faune environnante, et ferma les yeux. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? L’interrogation lui fit rouvrir un oeil, puis l’autre.

— Mi na sasa nating, bredouilla-t-il d’une voix fanée. Deya équilibre unte wa cri. Unte owkwa.

Jóska chercha à se redresser, passa sa main valide sur son visage contusionné, y laissa des fragments terreux, secoua la tête pour se défaire des filaments de torpeur. Il se sentait épuisé. Était-ce normal ? Il n’en avait strictement aucune idée. Il s’obligea à puiser dans ses réserves, à chercher un second souffle, qu’il savait n’être que temporaire. Il fallait de la nourriture, de l’eau potable, et avant tout un soin rapide. Si ses côtes allaient guérir promptement, il devait toutefois faire quelque chose pour son épaule luxée. Il ne pouvait pas rétablir la position de l’os seul. Elle était là pour l’aider, avait-elle dit.

— Alita, commença-t-il en la cherchant du regard. J’ai besoin de ton aide.

Ses mots sonnaient étrangement à ses oreilles, comme s’il ne les avait jamais prononcés, ou dans un passé lointain, révolu. Du menton, il désigna son épaule droite. Même le corps recouvert de vêtements imbibés des eaux marécageuses, Alita pouvait s’apercevoir que la tête de son humérus droit était dans une position étrange, trop portée vers l’avant, et que son bras pendait, sans force. Il se déplaça avec mesure pour s’asseoir sur une racine plus épaisse, ficha ses billes glacées dans les siennes.

— Approche, dit-il calmement avant de fléchir contre lui son coude en angle droit, à l’aide de son autre main, et de mettre son poignet en position neutre. Tu vas tenir là, il montra son biceps, et maintenir contre mes côtes, et tenir là, il désigna son poignet. C'est avec mon poignet que tu vas tourner lentement vers l’extérieur. Si je te dis d’arrêter, tu arrêtes, ké ? Je n’aurais pas mal, mais il faut juste que… j’ajuste des… mmmh.

Il ne termina pas sa phrase, l’étudia, sonda son niveau d’assurance.

— Normalement, l’épaule va se remettre en place toute seule quand tu auras fait une rotation de… 90°, je dirais. Peut-être plus. Tu devrais entendre un « ploc ». Tu fais lentement et doucement. To gútegow ke?

Il la fixa, hocha une fois la tête, avant de regarder droit devant lui. La technique était simple. Immanquable. Il n’avait cependant aucun commencement d’idée de comment, ou même pourquoi, il savait cela.

Jóska détendit ses muscles avant la manipulation.

Pi attendit quelques instants avant d’émettre plusieurs bips. Sans vergogne aucune pour la concentration que le travail sur patient réclamait, le droïde projeta ce qu’il avait capté. La scène entière, depuis leur entrevue derrière les barreaux de plasma. Leurs silhouettes, puis celles des autres, s’imprimèrent dans l’air dans un dégradé de bleu. Le droïde voleta près d’eux afin de trouver la position optimale de retranscription du spectacle. À peine distrait par la manoeuvre de soins, Jóska observait insouciamment les hologrammes.

Après moins d'une dizaine de minutes de projection, il vit sa silhouette se lever, comme s’il s’agissait de celle d’un autre, prendre une arme, et tirer.

Sur Danek.
Sur Zenek.


"Ploc" fit son épaule au second tir de blaster.

— Remets, ordonna-t-il à Pi d’une voix blanche, les yeux rivés sur les images qu’il découvrait. Vitesse réduite.

Sans oser de coup d’oeil vers Alita, il fixa son attention sur les images qui défilaient au ralenti. Il avait bien vu. Sa main s’était distinctement saisie d’une arme, et avait donné la mort. Par deux fois. Sans aucune hésitation. Les corps flottants n’avaient jamais été l’oeuvre de la jeune femme, mais la sienne. Seulement la sienne. Le silence devint tendu, presque palpable, et l’enroula dans une ouate épaisse. Il suivit son corps éthéré s’approcher d’Alita, et anticipa avec fébrilité un acte qui ne pouvait pas s’être produit puisqu’elle était là. À ses côtés. Son coeur battit sourdement. Il l'avait épargnée. Sa carrure disparut. Jóska eut l’impression d’une chute, brutale, de plusieurs étages tandis que l’air autour de lui devenait trop épais pour être filtré par ses poumons. Qu’avait-il fait ? Il observa avec dégoût ses mains. Super-soldat, ké ? Il avait tué, ne s’en souvenait plus. La projection se prolongea, insensible à son malaise. Son corps revint, encercla celui d’Alita, mais Jóska ne regardait plus. On doit juste lui donner une cible. C’était lui. Pourquoi ? La télécommande. L’outil l’avait retranché dans un ailleurs, lui avait fait accomplir ces actes. Ce n’était pas la première fois ; il recommencerait ; l’avait voulu dès qu’il avait vu Alita. Cette pulsion, primitive, de briser sa nuque. Là, aucune commande étrangère. L’envie n’avait été qu’en lui, sans force extérieure. Il n’était pas humain, il était un monstre. La révélation bourdonna à ses oreilles.

Il se releva brusquement, poussa violemment Alita si elle avait eu la bêtise de rester près de lui, fut déséquilibré par le bruissement infernal de ses émotions contraires, chuta dans une boue aux relents putréfiés, se rétablit pour mieux vaciller. La télécommande. Il fallait absolument retrouver l’outil. Il se força à relever la tête, examina l’endroit où il avait vu l’Ouragan pour la dernière fois. Il n’y avait plus rien. La carcasse avait été entièrement avalée par la flore, comme si elle s’était empressée de faire disparaître les traces de l’abominable. Pourtant, il avait vu. Il ne pourrait jamais ne plus voir. Les exécutions. Il ne se souvenait plus. Son estomac se crispa, et il s’arqua brutalement. Il avait ressenti le besoin mortifère face à Alita. Jóska vomit sa répulsion, sa main tremblante plaquée contre son ventre. De la bile âcre. Il n’avait que ça à rendre. La détresse s’enroula autour de sa colonne vertébrale ; écrasa ses poumons ; serra sa gorge ; blanchit sa conscience.  

Il n'y a pas de passion, il y a la sérénité.
Il n'y a pas de chaos, il y a l'harmonie.


Setóp bush to !

Il émit un son étranglé avant de tomber à genoux dans la fange, son crâne fou emprisonné dans ses mains.

Mais pas toi. Tu n’es pas humain.

Setóp bush to !

—  Fongi fode, exigea-t-il.

Il ne vérifia pas sa fuite.

— Im mal, avoua-t-il à son reflet aqueux troublé par des vaguelettes s'amusant de l’eau croupie.

La paix intérieure commence dès l’instant où tu choisis de ne pas laisser les autres ou les évènements contrôler tes émotions. Ses doigts pressèrent davantage contre ses os pariétaux. Il ne se souvenait pas. Il suffisait d’une pression plus forte pour fracasser ; il en était capable. Il ne se souvenait pas ! Il ne contrôlait pas ! Ni son corps, ni son esprit, ni rien du tout !
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83


Il ne savait pas. C’était improbable. Toute cette situation lui retournait l’estomac. Plus elle examinait la figure abimée, plus elle doutait. S’il fallait remonter le fil tendu au-dessus de l’abîme du temps, elle s’arrêterait à un mois standard pile. Ses efforts s’étaient succédé dans la quête impossible de résoudre la mort de son père. Elle avait l’impression désagréable d’assembler un puzzle dont les pièces ne dépassaient pas la taille d’un grain de poussière. Souvent confrontée à des impasses, elle avait enchaîné les fausses pistes et s’était égarée en conjectures sans preuves tangibles. Pour résumer, elle avait frôlé la folie du désespoir.  

Le sujet 384 avait surgi au milieu des ténèbres dans lesquelles Alita s’était noyée. Une lueur minuscule à laquelle il avait été nécessaire de s’accrocher. Combien de risques avait-elle pris pour mettre la main sur les nombreux rapports cryptés ? Le gouvernement cadézien l’avait soupçonnée, interrogée. Maline, elle les avait jetés sur la piste alléchante de l’Alliance Extérieure, en entretenant l’ambiguïté de ses relations avec l’un des leaders révolutionnaires. Ils avaient été distraits par le stratagème et avaient baissé la garde.

Face à la réalité d’un regard à l’acier impénétrable, entourée d’une flore nauséabonde, Drummer dut reconnaître que les évènements lui échappaient. Elle n’avait pas prédit la mort de Danek, ni la perte de l’Ouragan BT-7 qui était sensée les mener en territoire impérial.

Son prénom attira son attention dans le présent. Jóska avait une manière particulière de le prononcer. L’accent sur la dernière syllabe lui évoquait une sensation fébrile. Elle approcha d’un mouvement leste, l’oreille tendue vers les instructions qui s’enchaînaient. Ses yeux s’arrimaient aux gestes calculés de son binôme d’infortune.

La crainte saisit sa gorge, car elle n’avait jamais pratique un tel acte. Son expérience lui permettrait d’administrer des piqûres hypodermiques, de bander des blessures, d’utiliser un kit de premiers secours.

« -Kowlting gut, » s’encouragea-t-elle, raidie d’appréhension alors qu’elle apposait ses paumes aux endroits qu’il avait indiqués.

Le contact l’aida à se concentrer. Son corps se courba sur la silhouette patiente de Jóska dont elle évitait les prunelles assombries de mystère. A quoi avait-elle pensé en l’extrayant de ce laboratoire sordide ? Sous les néons accusateurs, elle avait caressé ses traits étrangers du bout des cils. La vitre renforcée d’une capsule médicale pour seule barrière. Les bips successifs l’arrachèrent à ses souvenirs. Ses doigts pressèrent au travers de l’armure légère qu’il portait, s’assurant un appui solide. Elle ne devait pas trembler. Sous ses mains, elle sentit les muscles masculins se détendre et se rendit compte qu’elle avait crispé les siens au possible. La tension éclatait le long de sa propre colonne vertébrale.

Absorbée par sa manipulation, le visage couvert de mèches frondeuses et humides, elle ne prêta aucune attention à Pi.

90 degrés. Tourner.

Après un moment à la longueur tortueuse, elle entendit enfin le PLOC résonné jusque dans ses bras féminins. Ploc, ploc, ploc battait de soulagement son cœur. Elle n’avait jamais été aussi heureuse d’entendre un son si sinistre.  
« -Im ta du wowk, souffla-t-elle, éreintée par la pression.

Remets.

Remettre quoi ? souhaitait-elle demander, avant de comprendre qu’il s’adressait à Pi. Son attention dévia vers l’enregistrement holographique dont la fréquence éthérée esquintait l’air putride des marécages marins de Rodia. Les tirs de blaster fendirent une réalité qui n’était plus. Le corps de Dank pris d’un ultime soubresaut. Un frisson l’avait traversée avec assez de puissance pour emballer son rythme cardiaque.
Voilà ce qu’il s’était passé. Il avait tué l’équipage.

La sidération ne la fit pas bouger quand il la bouscula violemment. Un sursaut de lucidité la fit s’adresser au droïde : « Arrête ça tout de suite ! »

Le robot exécuta l’ordre dans un bip navré.

Jóska lui demandait de partir.

OU ? voulait-elle crier. Ils étaient perdus.

Pourquoi ? Plus que jamais il avait besoin que l’on veillât sur lui. Elle n’arrivait pas à définir ses propres sentiments. L’incompréhension entraînait la colère et la déception, mais quelque part dans les rapports, elle avait lu le terme super-soldat, accompagné des mentions : obéissant, léthal. Elle devait lever le voile sur les mécanismes énigmatiques qui le rendaient dangereux. D’une façon ou l’autre, elle le savait lié à son père. Il fallait se répéter que Danek n’était qu’un dommage collatéral. Mieux valait lui qu’elle. Les dents serrées, le regard coloré d’hésitation, elle approcha Jóska dont elle avait observé l’étrange détresse.

« - Tu as besoin d’aide, ? Réagir comme ça ne t’aidera pas, dit-elle avec prudence

Il demeurait là, sans réponse à offrir, courbé vers l’eau comme un supplicié présentait une offrande à une déité infâme et invisible. De lui émanait quelque chose de familier, mais impossible à identifier. C’était un courant sans odeur, ni bruit, véhiculé de veine en veine, qu’elle avait déjà ressenti par le passé. Une force inconnue. Cette manifestation la terrifia autant qu’elle l’énerva. D’un pas moins précautionneux, elle avala la distance qui les séparait encore. Ses phalanges capturèrent les mains contractées de Jóska, tentèrent de les arracher à leur position mortifère.

« On peut pas rester là, c’est dangereux ! » parce que la faune risquait de sentir leurs présences à tout moment qu’après un tel crash, ils étaient des proies vulnérables. La nature d’un monde primaire les contraignait à avancer, ou à périr. Elle était prête à lui expliquer, mais il l’avait saisi brutalement par le cou. La puissance du soldat la plaqua dans l’eau. Les éclaboussures de fange salirent leurs visages. Celui d’Alita perdait déjà des couleurs alors qu’il pressait sa gorge fragile. S’il ne l’étouffait pas, il lui briserait les cervicales. La cadézienne se débattit vivement, agitant ses jambes sous la domination dangereuse.

Il avait des yeux fous, et semblait vouloir tuer.
Drummer allait abandonner, à bout de force et d’oxygène.

« - Üzgün » entendait-elle, les oreilles bourdonnantes d’un sang qui battait trop fort à ses tempes.

La voix de Jóska perçait de manière lointaine alors qu’elle toussait dans la boue, récupérant un souffle dans une trachée douloureuse.

Üzgün, répétait-il. Il s’excusait.
Il ne voulait pas, disait-il.

Alita se remettait debout, titubante et pâle. Ses yeux lumineux accrochèrent le soldat qui, désormais, la terrorisait. Elle devait fuir.

Sous les bips affolés de Pi, elle prit une direction hasardeuse. Elle enverrait un message, une fois en état de réfléchir. Il indiquerait la position de la marchandise à l’Empire. Ce n’était pas dans ses habitudes de jeter l’éponge. Plus elle s’enfonçait dans la mangrove à l’odeur saline, plus elle doutait de faire le bon choix. La journaliste se sentait faiblir, le métabolisme en état de choc. Elle subissait un coup de froid malgré la température tropicale de l’endroit. Ses lèvres humides tremblotaient de manière incontrôlée. Et son esprit hyperventilait. A peine avait-elle parcouru une dizaine de mètres que sa cheville tomba dans un piège camouflé. Un cordage se déclencha sous l’effet de son poids, ligota ses jambes pour la suspendre à un arbre exotique, tête en bas. Le système était primitif, mais ingénieux.

Du coin de l'oeil, elle perçut des mouvements dans la végétation.

Quelque chose approchait.
Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Il ne contrôlait rien ; plus rien ; pas ses absences ; pas ses éveils ; ni son esprit, fragments éparpillés ; ni son corps, tombeau effroyable ; reste misérable, même plus humain ; un coeur absent ; tout était mort ; mort ; mort ; mais pas toi, tu n’es plus humain ; le corps immobile ; l’âme déserte ; prisonnier d’un autre ; d’un corps adversaire ; parfois complice, souvent étranger ; apportant l’annihilation ; sans émotion ; sans savoir ; sans honorer ; sans équilibre ; avec une implacabilité glacée ; si froide ; si froide ; si aveuglante ; impossible à contrôler ; et son corps, son sang, ses yeux, ne voyant pas dans les silences ; une carcasse putride ; torturée par le néant ; et toujours sans contrôle ; souvent sans contrôle ; jamais en contrôle.

Un cri le fit ciller, retrouver contact avec la réalité d’un corps qui s’enfonçait dans l’eau, celui d’Alita se débattant dans la boue épaisse, sa peau ivoirine enlacée de racines décomposées, suffocant de son emprise.

Ses mains, asphyxiant, accomplissant l’intolérable.

Jóska détacha difficilement ses doigts crispés du cou gracile ; se recula vivement une fois fait, ses lèvres libérant des paroles hachées.

Il était désolé.
Il ne voulait pas.

Elle n’aurait pas dû s’approcher, elle n’aurait pas dû l’empêcher d’exploser son crâne, elle n’aurait pas dû parler, elle n’aurait pas dû être là. Une inspiration. Elle n’aurait pas dû être là. Une expiration. Pourtant, elle l’était, et son regard terrorisé était une dague dans sa poitrine, qu’elle retournait au fil des secondes muettes. Sa chair connaissait le sentiment. Avait-il été poignardé ? Il répéta « je ne voulais pas ». Le mensonge viciait sa voix. Il avait voulu la tuer, l’envie restait, presque étouffée, toujours là, monstre tapi dans une conscience qui se pensait plus élevée.

Était-ce seulement réel ? Ce sentiment d’être autre chose ?

Entraîne-toi à te détacher de tout ce que tu as peur de perdre, dit une voix plus nette, plus rocailleuse. Il aurait filé la tessiture, creusé le flou d’une silhouette, mais

Elle tituba, et il réprima une envie de la soutenir.

Il n’avait pas le droit.

Il devait la laisser partir ; ne le pouvait pas. Pourquoi ? rugirent ses pensées. Bientôt, elle ne fut plus visible, mais il l’entendait encore, s’avançant sans attention dans la mangrove, son corps minuscule aussi bruyant qu’un troupeau de… De quoi ? Il refusa à son corps de l’accompagner, raisonnant en bon sens, rassemblant tous les aspects négatifs, son instabilité en argument premier ; il la suivit dans un élan irrépressible, ménageant les bruits qu’il produisait afin de ne pas être entendu d’elle. Il voulait… Il voulait juste être sûr qu’il ne lui arriverait rien, qu’elle trouverait quelque chose, un vaisseau, un groupe, pour lui permettre de partir et après, après, quand il serait certain de son état sauf, il la laisserait. Il resterait là, entre les racines pourries, et attendrait la fin. Son esprit malade imposait une solitude, une fin, si son organisme l'acceptait. Sa place n’était pas à ses côtés, elle était près de larges racines, sa nuque baignant dans les lianes visqueuses, dormant, les pieds dans la bourbe, les sens occultés. Pâle, le visage serein, satisfait, bercé par une éternité bienveillante, le soleil transperçant les feuillages pour éclairer la moitié disparue d’un crâne éclaté.

Il n’entendit pas le piège se déclencher.

Son corps, en automate, sortit de sa cachette, et s’élança à la brusque aspiration de douleur d’Alita. Jóska eut à peine le temps de la regarder d’en bas qu’il fut, à son tour, emporté par le piège rudimentaire. Il expira sa surprise avant de grommeler d’agacement. Son corps se balança près de celui d’Alita dans un rythme ridicule, tournoyant parfois côté face, parfois côté pile. Il maintenait son bras blessé contre son torse, l’autre pendant misérablement. La honte l’empêchait de parler, de s’excuser, d’expliquer sa présence ici, de commenter ses actions précédentes.

Le silence s’étira ; il le brisa.

— Je pourrais re…

Il fronça les sourcils, se contorsionna dans la direction d’un bruit, jeta un coup d’oeil à Alita. Elle n’avait plus son arme, celle-ci gisant sous eux.

— Trois, nonCinq présences. Humanoïdes. Carrures moyennes. Leur déplacement est… maîtrisé. Agile.

Quelques secondes après ses déclarations, quatre rodiens apparurent, se congratulant dans leur propre langue de la magnifique prise. Jóska comprit des bribes, une certaine logique dans le phrasé, sauf lorsqu’ils se mirent à parler tous en même temps. À chacun de ses souffles irrités, de ses mouvements, leurs antennes bougeaient, captant les vibrations émises. Des chasseurs. Il lui faudrait être d’une extrême rapidité pour les prendre par surprise. Absolument impossible dans sa situation. Leurs longs doigts aux extrémités en ventouses tenaient fermement diverses armes destinées à des gibiers bien plus gros que ne l’étaient deux humains. Plus ils avançaient vers eux, et plus son odorat était mis au supplice. Le mélange lui était si nauséabond qu’il craignait à tout moment de rendre le contenu, maigre, de son estomac. Super-soldat, ké, la voix dédaigneuse d’Alita résonnait dans ses oreilles bourdonnantes.

Le groupe s’ouvrit soudain, et un humain en surgit, vêtu, comme ses comparses, d’une espèce de treillis beige-kaki, fusil en main.

— Si j’m’attendais ! dit-il en basic, un large sourire fendant un visage que Jóska, même la tête en bas, trouvait parfaitement symétrique. Vous en avez fait un boucan ! À réveiller les ghests ! M’enfin, malheureusement pour nous, que dalle. Pssschttt. Rien de rien. Pas faute d’avoir l’espoir, m’enfin…

Il haussa ses sourcils, détailla leurs silhouettes vacillantes, pencha la tête sur le côté, s’attarda plus sur celle d’Alita, puis sur son blaster au sol, dont il s’empara en sifflotant.

— J’suis Jayselme Wilhau, mais on m’appelle Jay’.

Il possédait une voix agréable, profonde, légèrement rauque, assez puissante, comme s’il avait l’habitude de la faire porter au-delà d’un périmètre classique et de se faire magistralement entendre.

— Je suis acteur. Lui aussi, dit-il en présentant d’un mouvement de la main un rodien aux yeux verts, la voix empreinte de respect. Il fait partie d’la troupe Galactique Rodienne. Les autres sont apprentis. Moi j’suis là pour apprendre aussi, perfectionner mon art, m’entraîner aux genres historiques. Le Ghest. Savez c’que c’est ? On a aussi le Challenge. Deux genres que j’étudie. Très précisément. Avec eux, donc. Pour ram'ner chez moi après, et… Et vous êtes ? Mis à part des destructeurs de vaisseaux à plusieurs millions d’crédits… enfin d’un seul vaisseau, non ? J’espère en tout cas ! ponctua-t-il d’un rire.

Une main sur la hanche, il les étudiait, son index tapotant pensivement ses lèvres. Puis, brusquement, il se tourna vers la troupe, comme si une idée avait sauvagement bousculé ses plans. À mi-voix, ils échangèrent des arguments jusqu’au moment où Jayselme sembla emporter la majorité, même si l’un des rodiens, celui possédant des yeux violets, parut en désaccord. Ce dernier resta en retrait, fusil maintenu haut vers le ciel, pieds fermement ancrés dans le sol, et attention soutenue vissée sur eux. Jayselme s’avança avec lenteur, se positionna sous Alita, ce que Jóska suivit avec une attention suspicieuse. Trois des rodiens disparurent et, sans aucun avertissement préalable, la liane emprisonnant Alita se desserra brutalement, la faisant chuter directement dans les bras de l’humain. Jóska se tortilla de mécontentement impuissant.

— Bonjour, lui murmura-t-il, ses yeux aux nuances ambrées intensément arrimés à ses émeraudes, dans un sourire charmeur découvrant ses dents blanches.

Depuis le début, Jóska avait observé le bavard avec une fascination morbide, comme s’il s’agissait du premier, ou du dernier, d’une espèce extraordinaire. L’étude lui avait presque permis de ne plus ressentir la nausée due aux phéromones reptiliennes. L’admiration cessa tout à fait, remplacée par un sentiment furieux, quand Jayselme serra contre lui le corps d’Alita avant de la libérer avec une délicatesse gracieuse.

— On pourrait en faire une danseuse !

Son amertume figea son attention sur le fusil du seul rodien restant, comme s’il aurait pu appeler l’arme à lui. Il sentait les particules invisibles danser autour de l’objet, tendre puis distendre l’air, s’enrouler autour de sa cible pour… Si le fusil bougea dans une secousse que l’on aurait pu attribuer au vent, Jóska fut stoppé dans son mouvement par sa brutale libération.

Personne ne le récupéra à l’arrivée.

Faisant néanmoins honneur à son nom, il parvint à retomber sur ses pieds, dans une souplesse loin d'être humaine. Aussitôt, l’ensemble des rodiens le mit en joug.

— Oui, oui, excusez-les. L’instinct. La chasse. Tout ça. M’enfin… vous allez d'voir prouver qu’vous êtes pas dangereux, sinon ils vont… ‘fin, vous avez d’viné. Parce que toi, t’as fait quoi avec ta main, ? Toute tendue vers nous comme si t’étais un Jedi… C’quoi ton nom ? T’as pas l’air d’un Jedi. M’enfin… ça s’rait intéressant. Hein qu’ça s’rait drôlement intéressant ? dit-il en se tournant vers la troupe reconstituée, qui acquiesça en silence.

Jedi.

— Jóska, répondit-il avant de carrer ses mâchoires.
— Wouuuh, impressionnant ! Féroce ! railla l'humain en tentant de mimer un air peu commode. Pas Jedi, m’enfin, un spécimen à étudier. Jóskaaaa, alors ? Que Jóska ou… ?
— …
— Mmmh… ok, très bien. Alors… j’disais, jusqu’à temps qu’vous prouviez votre absence de dangerosité, ils vous auront à l’oeil. Ou p’têtre qu’ils vous laisseront partir, pour mieux vous chasser. Sans doute qu’ils préféreraient ça, moi aussi, remarque, ça m’ferait de la matière pour… m’enfin, z’avez saisi. Et toi, qui es-tu ? demanda-t-il à Alita en remettant une mèche de cheveux bruns derrière son oreille.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83


Le super-soldat était tombé dans le piège comme un débutant, ce qui n’avait pas manqué de faire grogner Drummer. Une onomatopée railleuse avait franchi ses lèvres, chassant la terreur au profit de l’agacement. Le fiasco tanguait terriblement et si elle n’avait pas eu l’estomac vide, sans doute qu’elle aurait rendu son contenu, , entre deux racines gondolantes à l’écorce purulente.

Tout, absolument tout, émettait une odeur nauséabonde, de la flore aux…habitants qui avaient surgi après l’analyse robotique du cadézien. Pi s’était déjà carapaté très loin. Ses fonctionnalités de survie avaient été paramétrés au niveau maximum, car il était important de sauvegarder les données et les preuves. Le droïde servait de lien direct avec son précieux serveur sécurisé. Hors de question qu’il tombât entre d’autres mains que celles de la journaliste.

La matérialisation du dénommé Jay’ et de ses chasseurs-acteurs l’avait prise de court. Elle avait craint d’être la proie de prédateurs monstrueux, mais les rodiens – par goût pour la chasse, avaient mené à l’extinction toutes les créatures de leur monde, ce qui expliquait l’absence troublant de chants d’oiseaux. Au fur et à mesure du discours éloquent de l’humain, Alita tentait de rassembler les informations ethniques qu’elle possédait sur les indigènes de la planète. Son esprit, aussi vaseux que les marécages, surchauffait – sollicité de trop. La terreur, puis l’incertitude s’articulèrent autour d’une réflexion intense qui prit fin dans les bras aguerri de Wilhau. Elle se laissa absorber dans l’ambre de son regard magnétique et sous la couche de fange souillant sa propre figure, devina ses joues rougir.

Elle hésita à négocier la libération de Jóska près duquel elle éprouvait toujours de la peur, mais les paroles de Jayselme décidèrent. Le mot Jedi l’interpella. Le concept flotta dans sa conscience fatiguée, effleurant l’étrange expérience qu’elle avait vécue à proximité du soldat dont elle avait vu la main sur tendre vers un fusil blaster. Ce serait idiot, et étrange, de penser qu’il appartenait à un Ordre aussi restreint que celui des Jedis. L’idée s’était pourtant enraciné quelque part dans les méandres d’un inconscient aux aguets. Les chevilles enfoncées dans la boue crasse, assaillies des phéromones désagréables diffusées par les corps rodiens, elle n’avait pas bougé.

Impuissante, elle assista à la mise en joue de Jóska, ne sut si elle devait être soulagée de ne plus être seule en sa dangereuse compagnie. La troupe artistique ne lui inspirait pas confiance. La proposition d’être reconvertie en danseuse ne l’enchantait guère car elle était…

« - Alita Drummer, journaliste, répondit-elle d’un ton assuré, présentant une main qu’il cueillit pour en baiser les phalanges plutôt que de la serrer cordialement. – Moi, je ne suis pas dangereuse, mais lui… »

A la précision, les chiens des blasters se rapprochèrent du cadézien. Drummer retint son souffle, puis ajouta avec une précipitation théâtrale, sous l’œil avisé du chef.

« - Il l’est encore moins, finit-elle par dire. Le traquer ne servirait à rien. »

Un grognement déçu franchit la gorge du rodien aux iris violacées.

« - M’enfin, il n’aurait de féroce que l’apparence.
- Nous espérons juste trouver un astroport, regagner la capitale. Le genre d’ambitions qu’ont les gens en détresse qui viennent de se crasher. J’ai un reportage à terminer. Je dois interviewer le sénateur Drac. »

Le nom familier fit réagir les aliens dont les antennes s’agitèrent. D’une oreille distraite, Jay’ capta leur bref échange. Drac était une figure importante. Un ancien Grand Protecteur du monde rodien, dont la carrière politique se terminait au Sénat républicain. Le cerveau d’Alita avait récupéré cette information loin, très loin au cœur de ses connaissances en politique. D’un autre côté, elle priait pour que Jóska gardât l’attitude taciturne qui lui collait à la peau, car elle tentait de bâtir une stratégie pour que la situation tournât à son avantage.

« - Cela tombe bien, c’est un grand ami de la troupe Galactique rodienne. Il souhaiterait que je te traite en hôte d’exception. Tu sembles l’être, exceptionnelle.
- Je l’ignorais.
- Que tu es exceptionnelle ?
- Que le sénateur Drac s’intéressait à l’art.
- Comme tous les rodiens m’enfin ! En route ! annonça-t-il de sa voix puissante, déposant une paume galante, entre les omoplates de son honorable captive pour l’inciter à avancer. Quant aux humanoïdes, ils guidèrent le super-soldat à la pointe de leurs armes afin qu’il suivît le même chemin. »

La troupe paraissait s’orienter avec aisance dans l’immense mangrove. La journaliste contemplait les végétaux s’enlacer et se quitter au fil des mètres parcourus, créant dans leurs relations anarchiques un labyrinthe qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer. La gravité clouait désagréablement ses talons au sol et lui donnait l’impression que ses organes internes pesaient lourds. Quelques fois, elle trébucha, mais la main de Jay’ n’était jamais bien loin et la rattrapait avec une délicatesse où se mêlaient sensualité et autorité. S’échapper ne lui avait pas traversé l’esprit. Ses chances de survie frôlaient le néant si elle devait se débrouiller dans la jungle aux relents révulsant. Elle devait plutôt tirer profit de cette rencontre, agir en bonne extérieure comme les cadéziens des couches sociales inférieures se nommaient. De temps à autre, elle décochait un regard en arrière, en direction de Jóska, évaluait la distance entre eux, et percutant l’acier de ses yeux impassibles, se remémorait son attaque violente. Elle avait d’ailleurs, depuis longtemps, relevé le col de sa propre combinaison pour cacher les marques qu’auraient pu abandonner la pulsion meurtrière du soldat.

« - Le Jóska et toi. Vous êtes collègues ? interrogea Jay, après avoir constaté les nombreuses attentions qu’elle dirigeait vers l’autre étranger.
- Nous étions à bord du même vol. »

Le long du trajet, les membres de la troupe conversaient selon la langue natale de Rodia. Wilhau, malgré son humanité étincelante, fondait sa voix dans le capharnaüm de sons gutturaux et secs. Après un temps relatif, ils débarquèrent sur une plage où patientait un vaisseau cargo de bonne facture dans lequel ils furent embarqués pour rejoindre un autre pôle de la planète. Drummer sommeilla contre l’épaule de Jayselme durant le vol, fauchée par la fatigue, le corps éprouvé par les enchaînements brutaux des dernières heures. Endormie, elle semblait plus vulnérable, les lèvres entrouvertes, les cils tressaillant au rythme de ses rêves mystérieux. L’acteur profita du moment pour écarter le col du vêtement qu’elle portait. En plongée, il photographia mentalement la ligne d’une gorge gracieuse dont la peau alléchante souffrait de traces légèrement rouges, faiblement violacées, irradiant à la surface pâle pour former des empreintes humaines. Il dirigea ensuite son regard sur Jóska, se contenta d’un sourire silencieux.

Quand cesse-t-on d'être humain ? Planete_rodia_1

Un atterrissage peu commode la réveilla en sursaut. Un bras masculin cerna ses épaules pour l’empêcher de tomber, et Jay’ la débarqua dans l’agitation du spatioport d’Equator City : ancienne capitale de Rodia, tenante en titre de la zone urbaine la plus gigantesque de la planète et attraction touristique de premier choix. Il était facile de disparaître dans les sinuosités animées de la cité qui accueillait du beau monde des quatre coins de la République. Son cœur urbanisé s’épanouissait sous dôme tandis que ses extrémités abritaient des plages aux complexes luxueux. Ici, plus qu’ailleurs, les parfums se percutaient dans un cocktail explosif.


La troupe galactique possédait ses quartiers dans un espace touristique : une grande villa qui contrastait avec les jungles éparses de Rodia, car quand ils n’étaient pas en chasse dans la nature rodienne, les acteurs préparaient leur art au plus près de la civilisation.

L’endroit, magnifique, accueillant, était pourtant un écrin verrouillé. Alita repéra d’un œil les sécurités s’enclencher les unes après les autres dès qu’ils franchissaient une porte. Elle n’eut guère le temps de s’émouvoir sur l’architecture grandiloquente, aux touches baroques et absurdes que Wihau la guida sur un chemin alors qu’on embarquait Jóska sur un autre.  Elle eut l'idée paradoxale de protester, ouvrit les lèvres, s'apprêtant à émettre un son.

Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Dans un silence lourd d’un examen partial, Jóska tentait de moduler les sentiments contraires s'agitant en lui. Il n’appréciait pas la réaction de l’humain à la vision des traces rougeâtres sur la peau d’Alita, méprisait définitivement le sourire qu’il arborait, n’aimait pas le goût de la culpabilité acidifiant son palais. Qu’avait-il bien pu déduire ? Qu’il était violent ? Cette violence lui plaisait-elle ? Il avait souri, vers lui, brouillant son estomac d'un malaise fautif.

Jóska détourna le regard, et s’en tint pour quitte tout le voyage durant.

Il fut débarqué abruptement par les humanoïdes, de l’arrondi de leurs canons, ceux-ci s’enfonçant tantôt dans le cuir de son vêtement, tantôt dans sa chair. Jóska, malgré l'entourage attentif, avait du mal à avancer sans être troublé par les odeurs. L’odorat saturé d’effluves complexes, il peinait à garder des pensées claires et ordonnées. Des flashs de commandements flous perturbaient le flot logique de son esprit, entraînaient son corps dans des directions diverses. Parfois, une pulsion lui faisait accélérer le pas, ou totalement l’arrêter. Ses geôliers le maîtrisaient nerveusement de leur blaster, faisant claquer leurs langues quand il outrepassait certaines limites, comme lorsqu’un parfum singulier l’avait obligé à suivre une silhouette reptilienne ; le rodien aux prunelles violines l’avait brusquement rejeté en arrière, dans un brouhaha de sons typiques de son langage natal.

Jóska avait beau secouer la tête, tenter de mettre de l’ordre dans ses pensées, contenir ses instincts impétueux, tout fuyait. Dans l’effervescence, il ne se rendit pas compte qu’on le séparait d’Alita, qu’elle s’était tournée vers lui, et que Jay’ l'avait faite taire d’un doigt impérieux sur ses lèvres.

Il ne le réalisa que lorsque qu’il fut enfermé, seul, dans une pièce minuscule, dénuée de toute odeur. Le calme soudain le laissa tremblant, rompu. Peu à peu, les ombres des précédentes attaques odoriférantes s’atténuèrent et il perçut les subtils effluves régnant dans sa nouvelle prison. Il persistait un nuage aseptisé, presque métallique, légèrement poivré. Les draps, également, possédaient leur fragrance particulière, un doux coton, frais, vaguement végétal. Jóska n’osa pas les toucher, ni s’asseoir, et resta droit comme un piquet au centre de la pièce. Baigné dans un gris uniforme, l’endroit disposait d’un lit au confort spartiate, de toilettes, d’un évier surmonté d’un miroir, et d’une armoire aux portes fermées.

— Alors, comment t’apprécie ta nouvelle chambre, Jóska ? dit une voix grésillante qu’il reconnut comme celle, déformée, de Jayselme. T’as tout l’confort nécessaire, p’tit veinard. Une armoire débordant d’affaires d’rechange et derrière toi, t’as une porte. Si tu t’donnes la peine d’la pousser, t’auras accès aux bains communs, m’enfin c’comme tu veux… mais tu commences à sentir aussi bon qu’les rodiens.

Jóska fronça les sourcils, leva les yeux vers le plafond à la recherche d’un émetteur ou de quelque chose se rapprochant d’une caméra.

Ouais, j’te vois, mais t’fais pas d’bile, j’vais pas perdre de temps à t’mater.

Les sourcils toujours froncés, il abandonna l’étude des dalles grisées pour se tourner vers la porte indiquée, qu’il ne découvrait que maintenant.

— … J’ai d’bien plus jolies choses à r’garder, crachota l’émetteur.

Étrangement, même s’il avait perçu que le sous-entendu visait Alita, il ne ressentait plus avec la même force le besoin prégnant de la protéger, ou de la voir. Au contraire, il lui semblait pouvoir vivre le moment avec un détachement apaisant, loin d’une confusion turbulente.

— M’enfin… tu d’vrais te magner, parce qu’après on est attendu. Et… euh… mmh… Attends ! Oublie pas une tenue d’rechange.

Alors qu’il se dirigeait vers la porte, la dernière phrase de Jayselme le fit pivoter vers l’armoire, qu’il ouvrit en appuyant sur un bouton rond. Le choix étant réduit à un ensemble, il s’en saisit ; entièrement blanc, il était composé d’un pantalon large, d’un haut à manche longue, et d’une veste qui en était dépourvue. Son attirail sous le bras, résigné, Jóska actionna la porte qui s’ouvrit dans un cliquetis argentin. Il resta figé. Face à lui, la magnificence de l’endroit, fait d’arcades torsadées de fleurs luminescentes, de bassins aux eaux turquoises où des corps se mouvaient lentement, seulement habillés de tenues de bain. Il faillit échapper ses affaires.

Il n’avait aucune tenue de bain, se surprit-il à penser, le corps crispé.

Les mâchoires carrées d’irritation, il rebroussait chemin quand une voix le faucha.

— Hey ! Attends ! Attrape ! s’exclama Jay’ en lui lançant un maillot masculin, noir.

Jóska l’attrapa sans mal, et darda un regard incertain sur Jayselme, puis sur Alita, qui se tenait près de lui.

— T’vas être aussi beau qu’un crédit tout neuf, dit-il en montrant, d’un geste désabusé, le bassin qui leur était réservé, pour le moment inoccupé.

— Qu’est-ce que t’as ? T’as peur ou quoi ? T’veux une douche perso’ ? M’enfin, c’pas ici, et faudrait avoir des autorisations spéciales et franchement, j’ai la flemme, tu comprends ?

Jóska osa un regard sur Alita.

Elle aussi avait eu le droit à un maillot de bain obscur, qu’elle tenait entre ses mains fines. L’idée de la voir dans pareil vêtement lui fit détourner le regard sur Jay’, ses mâchoires se serrant frénétiquement. Tout à coup, et alors qu'il se croyait débarrassé, une brise artificielle s'amusa dans la chevelure de la journaliste avant de le percuter, réveillant le sentiment brumeux de protection. Sa bouche s'assécha ; son esprit bousculé par des pensées transgressant des ordres ancrés, sacrés.

Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix.
Il n'y a pas de passion, il y a la sérénité.


— Ça va, finit-il par répondre, dans un grognement bas.
Hun-hun. T’as des cabines là-bas, pour t’changer et laisser tes affaires !
— Mmmh.

Agacé, Jóska s’isola effectivement dans la loge, dont les dimensions pouvaient contenir une dizaine de personnes au gabarit humanoïde. À sa droite, un banc rudimentaire. À sa gauche, de multiples carrés contenant des affaires protégées par un mur à l’énergie aussi transparente que grésillante.

Jóska déposa son uniforme propre sur le banc, se défit de ses affaires crasseuses qu’il abandonna sans recherche dans un coin, et revêtit hâtivement le maillot. À peine voulut-il récupérer ses biens qu’un droïde s’en empara pour les faire disparaître dans un circuit qui se referma immédiatement… sur sa main. D’une prise incertaine, Jóska parvenait difficilement à garder entre ses doigts sa veste, alors qu’une puissance contraire l’attirait. Pestant, il tenta d’ouvrir la bouche du conduit de son autre main. Sans succès. Il s’acharna, s’appuya sur les parois externes, et tira. Voyant la manoeuvre, le droïde-serviteur, une sorte de cube aux pinces tranchantes, s’activa en émettant des signaux furieux. Bientôt, les bras mécaniques pincèrent Jóska, le forçant à lâcher sa veste pour se défendre. Le grondement retenu difficilement, il chassa le robot qui, sitôt la bouche refermée, et les frusques pleinement avalées, reprit sa position d’attente, non sans un dernier pincement vindicatif.

Jóska se retint de répliquer. C’était ridicule. Il ne devait pas s’attacher à… ces lambeaux ; pourtant, ils étaient son seul lien avec son identité, après la perte de la télécommande.

Tu as été…un genre de sujet d’expériences barbares, To pochuye ke?

Il poussa un profond soupir, puis inspira, les yeux fermés. Il n'y a pas d'émotion, il y a la paix. Il trouverait un autre moyen.

L’ambition verrouillée, il rouvrit les yeux.

Suspicieux, il déposa ses affaires propres au centre de l’un des carrés, avisa d’un regard étréci le droïde, mais ce dernier les dédaigna totalement.

Le corps traversé d’une tension tumultueuse, Jóska sortit de l’abri, et s’avança directement dans l’eau, l’aura particulièrement mordante. Son buste, aux amples dimensions, recouvert de cicatrices anciennes, fut rapidement avalé par l’eau. Certaines de ses décorations étaient de vieilles brûlures, d’autres étaient effilées, d’autres convexes, boursoufflées, pas toujours régulières. Enfin, il s’immergea complètement avant de lisser ses longues mèches brunes en arrière, et de se stocker dans un coin. Il s’obligea à ne plus bouger, et à ne regarder ni Jayselme, qui le rejoignait, ni Alita.

Surtout pas elle ; ses sens aiguisés l’informant déjà avec bien trop de vigueur.

Tu n’es plus humain.
Y avait-il des os, sous cette carapace charnelle ?


Il avait l’envie excessive de le vérifier sur-le-champs.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83



“- Cet endroit, il a un nom ? demanda-t-elle alors que Jay la guidait dans un dédale d’extravagance. Plus ils s’enfonçaient dans cet étrange palace, plus sa curiosité se développait. Entre les murs baroques se côtoyaient droïdes fonctionnels, robots de loisir, et diverses personnages biologiques aux couleurs, aux formes et aux odeurs variés. Ce patchwork social était complexe, déroutant. En cours de route, elle bouscula un grand gaillard affublé d’une perruque aux tons violacés et dont la senteur patchouli s’accordait à un teint parfaitement cadavérique. Jay’, quant à lui, souriait – visiblement à l’aise dans ce décor hors du commun.

- C’est compliqué. J’dirai même un peu magique. C’est un genre de paradis, quoi. M’enfin, beaucoup d’artistes louent l’occupation du lieu…mécénés par ton sénateur. Le palace lui appartient.
- Pourquoi tout est verrouillé, tu nous retiens prisonniers ? lâcha-t-elle, sans aucun tact une fois qu’ils arrivèrent devant une porte métallique aux moulures excentriques. L’acteur poussa un soupir, perdu dans la contemplation d’un minois frondeur, fort joli, mais surtout couvert de boue séché et il n’imaginait rien d’autre que le joyau délicieux qu’il découvrirait sous la couche grasse.

- Nous ? Qui, nous ? Faudrait savoir, vous êtes ensemble ou pas ?
- Ca ne répond pas à ma question.
- Vous êtes pas prisonniers, disons que c’est par souci de sécurité, voilà. Des précautions.  

Il ponctua la présentation en ouvrant les double-portes. Drummer se retrouva face à une suite luxueuse, aménagée avec autant de caprices que le reste. Des colonnes d’eau s’élevaient grâce à une technologie antigravitationnelle coûteuse. Un immense lit flottait au centre et une large baie vitrée offrait un panorama saisissant sur la haute-ville. Deux droïdes se promenaient entre le mobilier lustré, au son d’une musique entraînante. Jay’ tapa dans ses mains, l’air satisfait, et la poussa à l’intérieur de ce cadre splendide. Alita avait du mal à croire qu’elle passait de marécages salins aux sommets d’un palais, en moins d’une journée standard. Et le crash. Ses yeux s’assombrirent de déception. Mieux valait laisser l’incident derrière elle.

« - Prête pour une petite baignade ? J’aurais aimé que ce soit en tête à tête, mais j’dois pas lâcher l’Jóska dans la nature. Il a l’air dangereux.
- C’est juste un air, fit-elle évasive, agacée par le sujet qui, sans cesse, revenait sur le tapis.

Elle préférait oublier le super soldat dont la violence demeurait vivement imprimée dans sa mémoire.

- Tu as ton petit caractère, hein ? railla-t-il, le doigt pressant une commande qui délivra une garde-robe somptueuse composée de centaines de vêtements.
- C’est utile pour survivre aux crashs, ironisa-t-elle.
- Choisis un maillot, et tes vêtements de rechange, demanda-t-il, l’œil distrait par l’arrivée du rodien aux yeux violine. Quelques mots reptiliens expliquèrent à Wilhau que l’autre étranger étant en place.
- Je reviens te chercher dans cinq minutes, promit-il, le regard aussi indécent qu’insistant et les lèvres fuyantes aux coins d’une bouche cadézienne.

Epuisée, elle n’avait même pas cherché à éviter le contact qui lui tira un frisson paresseux. Jayselme possédait un certain charme, difficile à ignorer – même en de pareilles circonstances. Et elle était férocement seule depuis l’atterrissage accidentel. Jóska l’avait attaquée. Elle portait encore sa violence autour du cou, semblable à une parure rutilante. Elle aurait espéré qu’avant la douche, on lui proposa du kolto, ou des soins. Au milieu des vêtements soigneusement exposés, elle trouva un ensemble de bain d’une pièce. Le lycra noir couvrait la poitrine, le bassin, mais la partie abdominale était cousue dans une matière légère, à la noirceur transparente. Elle n’eût pas le courage de trouver plus pudique.

Comme prévu, son hôte l’avait cherché. Ils n’avaient dû traverser qu’un panneau dérobé dans le mur pour atteindre une autre partie du labyrinthe entêtant, dont les rumeurs étouffées bourdonnaient à leurs oreilles. Celle de Drummer captait les clapotis irréguliers des eaux adoucies quand un occupant brassait paresseusement. On chuchotait contre une tempe humide. Elle avait été prise dans le piège du voyeurisme quand apparut le soldat à qui on lança un habit de bain ainsi que des indications. Certaines issues étaient discrètement gardées par les acteurs rodiens de la troupe.

« - Celui-là alors, il a tous les neurones au même endroit, se moqua Jay’, un peu plus tard dans le secret de l’une des cabines de change.
« - Le crash n’a pas dû aider, soupira-t-elle, les dents serrées de contrariété.

Qu’allait-elle faire désormais ? Il était nécessaire de fuir. Devait-elle emporter le super-soldat ? Ses réflexions s’aggloméraient autour d’un effeuillage auquel assistait Wilhau.

Alita avait dézippé sa combinaison crasseuse, et bien trop odorante. Sous le tissu abîmé, sa peau ivoirine avait été préservée et se dévoilait au grand jour, comme un bijou quittait son écrin. La pudeur n’avait jamais été son fort, car elle avait connu le partage de l’intimité dès l’adolescence. Malgré tout, elle avait tenu à tourner le dos à ce guide insistant, revêtant son maillot en silence.

- Mais tu es en sécurité maintenant.
- Ce n’est pas la sécurité que je cherche.

Avant qu’il ne pût répliquer, elle sortait. Il la talonna bientôt, lui-même vêtu comme il se devait en de pareils lieux. Les lumières tamisées frappaient les anatomies avec la précision d’un sculpteur. Tout avait été pensé pour séduire les cinq sens : la vision, tout particulièrement. La journaliste était sensible aux émanations parfumées que dégageaient les vapeurs invisibles du bassin. Les notes complexes singeaient la fragrance hormonale des espèces sexuées. Peut-être était-ce le privilège de leur bassin, car ailleurs, on riait à gorge déployée, ou on agissait différemment. A chaque piscine, son expérience.

A l’apparition de Jóska, elle cligna les yeux qui s’arrachèrent au portrait de Jay’ pour contempler les reliefs d’un torse puissant, clairsemé de cicatrices uniques. Elle le vit s’immerger, avoir des gestes mécaniques qu’elle encouragea en lui montrant l’exemple dès qu’elle capta suffisamment son attention. Là, recueillir un peu d’eau entre ses mains et la verser sur son visage, frotter doucement, descendre plus bas pour suivre le sillon d’une jugulaire. Comme cela, semblait lui dire le regard ardent et pédagogue de la reporter qui en aurait presque oublié la présence de l’acteur.



© Laueee
Jóska
Jóska
Messages : 13
Eclats Kyber : 60
Un mouvement, dans la périphérie de sa vision, avait attiré son attention sur Alita, puis sur Jayselme, puis de nouveau sur Alita qui lui montrait comment faire une toilette décente. Il contracta sa mâchoire. Le pensait-elle aussi idiot ? Il savait faire cela, il n’était pas totalement stupide. Pourtant, si le geste lui était apparu avec un certain automatisme, laver-frotter, il ne se rappelait pas l’avoir effectué auparavant. Peut-être était-il vraiment aussi bête, finalement. Jóska détourna le regard, se concentra sur sa petite partie du bassin, et éprouva, avec une satisfaction franche, la douceur de l’eau sur sa peau, la caresse d’une lotion lavante aux notes toniques d’agrumes. Méticuleusement, il frotta, avec l’application de celui qui s’apprivoisait, qui se réappropriait les contours de son propre corps. Son derme était sensible, se colorait brièvement de rouge s’il pressait trop fort, ressentait une fugace brûlure à force de passage. C’était comme si, les secondes passants, il redevenait humain. Jóska savoura le calme. Il était parvenu à éteindre les bruits alentours allant du clapotis de l’eau à la voix suave de Jayselme soupirant à l’oreille d’une Alita conquise ; à ne plus être indisposé par les flagrances mêlées ; à ne plus voir que ses propres gestes sur son propre corps.

Des flashs fauchèrent sa sérénité.



Il usa inconsciemment d’une vitesse extraordinaire.

En l’espace d’un battement de cils, ou d’une respiration troublée, il ne fut plus dans le bassin, mais protégé entre les murs de la loge.

— En v'là un autre de pressé, fit Jay’ en sifflant. Il court plus vite qu’un anooba en pleine chasse, ah !

L’éclat intelligent de ses prunelles noisette avertissait que cette information, ainsi que d’autres, n’était pas tombée dans l’escarcelle d’un aveugle. Il allait garder ce Jóska à l’oeil, vérifier les personnes recherchées, sonder quelques-uns de ses contacts pouvant être intéressés par un gugus comme lui.

— Alors… à nous, Alita, dit Jay en attrapant le corps souple pour le ramener contre lui. Plus tard, tu risques d’plus être en forme. J’nous ai prévu une petite représentation. La troupe, rien qu’pour toi. Aide-moi, pendant que j’te raconte. Le Challenge, voilà comment va s’appeler c’que tu vas voir ce soir… M’enfin, tu verras rien si tu t’appliques pas, compris ?

Son regard plongea plus bas pour lui montrer la voie, là où il requerrait sa présence diligente, avant de revenir affronter son regard et de sourire de toutes ses dents blanches.

Jóska, quant à lui, reprenait une constance hors des trop nombreuses stimulations.

Il avait enfilé les vêtements de rechange et… si le pantalon rodien ne lui allait pas trop mal, bien qu’il aurait apprécié quelques centimètres de plus pour un vêtement plus lâche, le haut moulait absurdement son torse à l’image d’une sordide seconde peau. Sans compter ses bras grotesquement compressés. Il avait beau tirer sur la matière, celle-ci ne s’élargissait pas. La veste n’arrangeait pas le tableau puisqu’il lui était impossible de la fermer. Au surplus, elle limitait ses mouvements, empêchant sa fluidité naturelle. Le droïde-serviteur l’observait en faisant cliqueter ses pinces, revanchard. Son maillot de bain avait été avalé comme ses précédents habits, mais il n’avait, cette fois, pas cherché à l’en empêcher.

Le robot semblait le regretter.

Il lui adressa un regard noir, et se résolut à sortir.

Immédiatement, il chercha des yeux un des rodiens composant la troupe pour lui demander une autre tenue. Plus à sa taille. Moins serrée. Quelques rires autochtones suivirent sa sortie, se moquant de l’esthétique étriquée. Là, il trouva celui aux prunelles violines. Après avoir raillé un physique que l’alien trouvait ingrat, il lui demanda de le suivre, ce que Jóska fit. Ils entrèrent tous les deux dans la chambre qui lui était destinée, et l’humanoïde commanda, sur un écran translucide, une nouvelle tenue. Par une suite de mots stricts, il lui demanda alors d’attendre, et sortit par la porte menant aux bassins.

Jóska patienta, l’esprit tourmenté.

Comment avait-elle pu ?  

Les minutes s’écoulèrent avant d’être chahutées par l’apparition tonitruante d’une rodienne accompagnée de deux droïdes portant tissus et autres outils de couture.

Jóska fit un pas en arrière.

— C’est affreux ! Disgracieux ! Absolument déplaisant. Grossier… Il faut camoufler tout ça, dit l’étrange créature ensevelie sous des couches et des couches de tissus colorés. Enlève ta veste ! Ce haut ! Laisse-moi voir, siffla-t-elle.
Il hésita.
— Plus vite, c’est atroce !
Jóska s’exécuta, les sourcils froncés, et déposa ses vêtements sur son lit.
— Mesure ! dit la créature, sa main droite levée pour réceptionner un mètre ruban qu’un droïde lui remettait. Avec des gestes raides et précis, elle prit ses proportions, ses antennes frémissant de contrariété.
Il émanait d’elle un étrange mélange de coquelicot, de sable chaud et d’épices.
— Tissus !
L’autre robot lui apporta une étoffe ocre.
Elle roula des yeux au bleu piqueté de blanc, avant d’asséner un sec :
— Sûrement pas ! Indigo ! Indigo ! répéta-t-elle, le ton agacé, tandis que le droïde s’efforçait de trouver le tissu réclamé dans le coffre qu’il avait apporté. Ciseaux ! Adroitement, la rodienne tailla, ses yeux de ciel l’avisant lui, puis son travail, puis lui, avant de s’exclamer : là, laisse-moi voir !

Sans douceur, elle l’affubla de sa nouvelle tunique qui, surprenamment, détenait les mesures exactes, ainsi qu’une odeur boisée, légèrement atténuée par une couche fine de… poussière d’une fragrance subtile. Imperceptible. De timides notes camphrées.

La rodienne frappa dans ses mains, attirant l’attention du soldat, à qui elle dit sèchement : tourne ! Tourne !

Elle fit claquer sa langue sur son palais.

Il tourna.

— Écarte tes bras !

Il n’attendit pas le claquement, et écarta docilement les bras.

Son col était assez large pour lui permettre de respirer, ses bras n’étaient plus comprimés et pouvaient faire de nombreuses rotations sans être entravés. Le tissu au bleu indigo n’épousait pas son buste, était assez large tout en étant suffisamment ajusté pour ne pas paraître négligé, sans doute grâce aux fentes sur les côtés.

— Tu vas remettre ton haut, sous ça, commanda la styliste. Donne moi !

Jóska hésita.

Sa langue claqua de nouveau, et elle tendit sa main vers la tunique, ses doigts s’agitant d’impatience. Il la lui laissa avant de revêtir lentement le haut, en l’observant de biais. Avec adresse, elle se mit à coudre des ourlets avec revers, ainsi qu’un col qui devint montant, droit et court. Puis, d’un geste condescendant, elle lui donna l’habit tout juste confectionné.

— Tu es prêt ! Va ! dit-elle en se détournant de lui.

Sans attendre une quelconque parole de lui, la rodienne quitta la pièce, ses droïdes dans son ombre.

Incertain, Jóska mit la tunique. Parfaitement à sa taille, elle lui tombait au-dessus des genoux, et recouvrait tout ce que la styliste avait détesté dans sa silhouette, sans le limiter dans ses mouvements. Il n’y avait plus que les manches longues de sa chemise, moulant trop ses bras, pour l’ennuyer.

Quelqu’un frappa à sa porte.

Il sortit, et tomba sur Jayselme.

— Viens, maintenant qu't'es présentable, on va pouvoir faire de même avec la jolie Alita ! Tu vas jouer l’assistant, hein, t’sais faire ça ? M’enfin, tu pourras regarder aussi.

Jóska s'obligea à n'observer que l'acteur.
Alita T. Drummer
Alita T. Drummer
Messages : 35
Eclats Kyber : 83




« - Me semble que…pour quelqu’un qui voulait postposer, t’étais particulièrement passionnée.
Pashang fong…jura-t-elle dans un murmure léger.

La situation lui avait échappé

Grand prince, il lui avait légué une serviette spongieuse dans laquelle elle put enrouler ses courbes frémissantes. Il se rhabilla ensuite. Ils quittèrent les thermes d’où s’évadaient d’autres soupirs et atteignirent le palais aux nombreux occupants. Drummer peinait à accrocher la réalité bien qu’elle souhaitât comprendre. Les intentions de Wilhau affolaient son instinct. Le Challenge, avait-il dit. Une représentation. Que devait-elle craindre d’une pièce de théâtre ? Au moment où elle voulut l’interroger, il frappait à une porte et Jóska apparut aussitôt. D’un pas souple, elle se dissimula dans l’ombre de leur hôte, car son cœur s’était mis à battre férocement au rythme de la terreur et de la convoitise. La contradiction était insupportable et son cerveau ignorait à quelle émotion se fier.

Progressivement, la rivière de dopamine qui avait parcouru ses veines se tarissait et elle parvenait à raisonner. Elle aussi évitait scrupuleusement le contact visuel avec le super-soldat, préférant s’intéresser à leur environnement. Jay’ décida de les mener à la suite qu’il occupait dans ce palace aux allures de cour des Miracles puisqu’ils croisèrent plusieurs rhodiens pastichés dont les parfums exacerbés étouffaient leur odeur nauséabonde.

Dans l’écrin des superbes appartements Alita se libéra de la serviette. Les rayons diurnes percutèrent son derme ivoirin que des aspérités régulières texturaient. L’air ambiant frôlait une peau encore sensible. Ses pommettes n’avaient pas perdu leur éclat vermeil. D’un geste rôdé, Jayselme ordonna l’ouverture de la garde-robe qu’elle avait déjà examinée plus tôt.

« - C’est tes quartiers ? arriva-t-elle à demander, récupérant son aplomb naturel.
- On peut dire ça.
- Alors pourquoi autant de tenues féminines, tu te travestis ?
- Pour les besoins du script, parfois. M’enfin, je reçois aussi beaucoup de jolies visites. Ca leur arrive d’oublier leurs affaires.
- Je peux récupérer ma combinaison.
- Tttt, claqua-t-il de la langue, déçu. Le Jóska m’paraît de bon goût. Hein que t’es de bon goût ? Choisis-lui une tenue.
- Je peux choisir moi-même, s’agaça-t-elle, le pas engagé vers la garde-robe qu’elle inspecta d’un regard noir. »

En règle générale, Alita ne se vêtait pas de manière très féminine. La plupart de ses reportages propulsaient ses pieds dans la fange et dans la sueur. Elle s’octroyait de rares exceptions lorsqu’elle devait infiltrer des milieux spécifiques dans lesquelles l’apparence devait tromper. Ses mains repoussèrent les tissus, tâtèrent les matériaux et évaluèrent les coupes. Dans son dos, un acteur ravi s’adressait au super-soldat :

- De la couleur lui irait bien, non ? Du rouge. Ca se marie parfaitement à sa peau, j’trouve. Mais j’serai curieux. Tu devrais aller choisir pour elle. Tu vois bien qu’elle galère.

Drummer s’apprêtait à choisir quand une main la précéda. A sa grande surprise, Jóska s’était exécuté et il lui avait fallu peu de temps pour analyser les fripes et dénicher ce qui conviendrait. En découvrant la robe sélectionné, Jay’ expira un soupir railleur.

- C’est vraiment pas pour la mettre en valeur m’enfin ! On a déjà perdu trop de temps !

Il claqua des doigts et la garde-robe se verrouilla sous leurs nez. Furibonde, Alita arracha le vêtement de la poigne du cadézien et se réfugia derrière un immense paravent à l’opacité minimale. Sa silhouette se découpa en ombre sensuelle que l’acteur n’hésita pas à regarder. Il l’appréciait davantage que les autres, cette Alita. Elle était moins….ou peut-être plus…qu’en savait-il ? Il n’était qu’un homme.

La robe possédait une doublure opaque avec laquelle la journaliste dut se battre longuement. La flanelle blanche drapa finalement ses courbes, couvrant la moindre partie de son corps à l’exception de ses avant-bras. Le col était sage et ses broderies argentées cernaient son cou gracile. Elle se sentit plus habillée qu’un Jedi et poussa un soupir. La tenue importait peu contrairement à leur situation épineuse. Elle leur présenta sa taille soulignée pudiquement par des ornements cousus à même le tissu.

« - Pas mal, commenta Wilhau, amusé. Ca te donne un petit air de vierge effarouchée. Tu les aimes pures, Jóska ? M’enfin. Faudrait pas qu’on soit en retard sur le programme. J’dois régler un truc avant. J’vous laisse là, mais pas de bêtise hein ?
- On aimerait juste partir.
- Partir, partir. Mais vous êtes des invités de marque.
- Des prisonniers.
- Tu vois des barreaux quelque part ? Des menottes ? Pour les menottes, j’peux m’arranger. Pour notre prochaine fois.
- Ca suffit, s’impatienta-t-elle. »

Bon joueur, il singea une révérence très théâtrale, les lèvres étirées d’un sourire moqueur et prit congé. Derrière lui, les portes de la suite émirent le bruit caractéristique du verrou hydraulique. Une partie de la chambre offrait une vue panoramique sur la capitale, mais les vitres étaient blindées et ils se trouvaient pratiquement au sommet de l’édifice. Les prunelles brillantes d’Alita s’agitèrent pour analyser le décor avant de tomber sur le super-soldat. Elle s’approcha des muscles qu’elle avait convoitée et qui avaient failli la tuer. Cette fois, elle engagea le contact visuel qui provoqua une onde silencieuse sous sa peau frémissante. Elle tendit l’oreille dans l’espoir d’entendre ce qu’elle avait entendu, mais le silence la terrassa. Avait-il vraiment voulu ? Elle n’avait pas halluciné ce qu’elle avait senti contre ses hanches.

«  - Je ne suis pas pure, articula-t-elle avec honnêteté comme si elle souhaitait lui faire comprendre qu’elle ne correspondait pas à ce qu’il aimait.

Soudain, elle recula d’un pas et annonça :

« - Ce type est pas net, pourquoi tu écoutes ses ordres. J’aimerais un coup de main pour fouiller l’endroit, trouver le moindre indice sur ce qui se trame ici. »


Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
skin made by
© jawn