Evadné Publius
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Dans le reflet arctique du regard paternel, Evadné contemplait son propre reflet. Une atmosphère lumineuse les irradiait depuis des hublots à l’espacement régulier. Parfois l’ombre d’un nuage assombrissait leurs profils presque similaire, accentuant le fossé qui s’étaient creusés entre eux. Elle avait conservé un silence religieux depuis leur départ de Coruscant, des jours plus tôt, à bord d’un vaisseau spatiale diplomatique du gouvernement cadézien. Véragan avait les lèvres pincées, comme s’il retenait un flot furieux de paroles tranchantes. Une légère secousse fit vibrer la structure de l’engin, secouant légèrement les sièges dans lesquels ils étaient installés. Les lippes fines et pâles du Ministre de Cadézia finirent par se séparer.

- Moi vivant, il est hors de question que tu quittes la délégation cadézienne. Pas après la mort de Camina, pas après ce qui secoue la République. Je pensais que ta raison gommerait le ridicule de tes caprices. Nous devons reprendre les choses en main. Pour Cadézia.

Publius père avait très mal vécu la débâcle d’Ossus qui l’avait amputé d’une alliée politique utile au sein du gouvernement S’orn. La disparition brutale de la dernière figure héroïque de la révolution cadézienne avait créée une onde de choc et d’indignation auprès des membres de l’Alliance des Classes Extérieures qui réclamaient à corps et à cris une sortie définitive de la République. Véragan avait dû resserrer la vis de la répression et faire étalage de la force, soutenu par les grands oligarques de sa planète, pour museler les opposants. Il s’était dépêché sur Coruscant. Evadné soupçonnait que son arrivée précipitée au coeur du système républicaine l’avait conduit à un entretien avec le Chancelier, mais elle n’aurait su le prédire avec certitude. En tous les cas, sa visite au Sénat l’avait informée des dernières ambitions de son unique progéniture.

- Il va falloir rattraper ça. Cadézia ne supportera pas une nouvelle disparition au sein de sa délégation sénatoriale. Nous avons déjà élu le futur sénateur, plutôt nommé, rectifia-t-il en portant par-delà la vitre renforcée un regard pensif. Valérian Hélix sera promu prochainement sénateur de Cadézia au sein du Sénat républicain. Il y fera un excellent travail et tu l’assisteras selon l’agenda politique cadézien. Mais il m’a fallu trouver un stratagème pour calmer ces parasites de l’ACE. C’est la raison de notre visite sur Ondéron.

A son tour, la jeune fille détourna sa figure de porcelaine vers le ciel ondérien, dont le bleu était délavé ci et là par quelques nuages d’une blancheur extrême. Elle n’arrivait pas encore à percevoir la surface de la planète. Le vaisseau naviguait lentement dans ls airs, respectant les protocoles de sécurités et un plan de vol calculé au millimètre près.

- Tu as voulu t’allier à ce monde, tu ne seras pas déçue, railla-t-il d’un ton glacial. La Reine Emalia Kira est une sorte de figure adulée par l’ACE, qui salue une sorte de bravoure, là où tous les êtres intelligents n’y voient que de l’entêtement et de l’inconscience, mais soit. Un rapprochement entre Cadézia et le berceau de l’opposition au gouvernement S’orn calmerait les militants de l’ACE.

Evadné s’humecta doucement les lèvres, sentant sa gorge devenir sèche. Un courant d’air passa dans la ventilation du vaisseau, faisant frémir le foulard de soie azure qui attachait ses cheveux blonds et délicats. Elle fronça les sourcils, scrutant toujours le paysage aérien, comme si elle pouvait y lire des réponses, mais elle n’opposa qu’un silence docile, incapable de former un mot. Elle portait toujours le deuil de Camina Ashford, vêtue d’un ensemble sombre sobre et sage, qui mettait en valeur sa peau pâle. Feu la sénatrice aurait approuvé sa tenue : digne et sans excentricité. C’était ce qui avait toujours résumé Camina. La dignité, la retenue, l’efficacité brute.

Un claquement de doigts cisailla sèchement l’air et son silence. Véragan venait d’interpeller un membre de l’équipage et d’un geste impérieux réclama qu’on lui verse du vin. On s’empressa d’exécuter sa volonté et le liquide clair tourbillonna dans une coupe en métal finement ouvragée. Les longs doigts du cadézien se refermèrent autour du breuvage.

- Vous ne m’avez pas dit la raison de notre visite, réussit-elle à articuler.
- Et bien c’est simple, Evadné. Je me rends sur Ondéron pour affaires.

Enfin, la surface perçait dans l’horizon bas. La perspective des terres ondérien offrit un peu de couleur dans tout ce bleu et Evadné put admirer les nuances de son propre reflet dans la vitre. Son père porta sa coupe à sa bouche qui s’étirait dans un rictus sans émotion.

- Et c’est toi que j’ai mis en vente. Mon bien le plus précieux.







Tenue d'évadé:








Le coeur de la jeune médecin tambourinait à vive allure au creux de sa poitrine serrée par l’appréhension. Le marbre blanc dans lequel était bâti le palais d’Ondéron reflétait la lumière diurne dans ses cheveux soigneusement rangés et irisait sa peau délicate. Elle suivait les pas de son paternel : une grande silhouette noire, filiforme, élégante, à la crinière platine plaquée en arrière, ce qui mettait en exergue ses traits taillés à la serpe et ses yeux perçants. Il progressait calmement, les mains croisées dans son dos, escorté par deux soldats cadéziens et l’un des chambellans du palais ouvrait la marche. Silencieusement, derrière Evadné, des gardes royaux suivaient et surveillaient leur parcours, leurs faits et gestes. Leurs talons avaient claqué contre le velours pourpre qui couvrait de grands escaliers et ils traversaient désormais un hall immense. Eva était indifférente au luxe du palais, à son mobilier précieux.

Elle s’arrêta soudainement. Son père poursuivit sa progression. Les deux gardes royaux arrivèrent à sa hauteur pour l’encadrer et elle se sentit piégée. Pour la première fois de sa vie, elle sentit quelque chose s’écraser dans son estomac avec suffisamment de force pour la faire renoncer. Elle n’avait plus envie de tenir tête à une énième manigance paternelle. Plus la volonté de s’opposer à lui, d’espérer crier son indignation. Valérian Hélix prendrait le rôle représentatif de Cadézia au coeur de la Rotonde. Véragan Publius semblait jouer un double-jeu dangereux, naviguant entre deux vents contraires : celui de Grendo S’orn et celui d’Emalia Kira. Et il souhaitait sacrifier sa fille sur un autel cruel, pour que ces vents qui se levaient ne le pulvérisent pas. Pour la première fois depuis longtemps, elle comprit qu’elle ne pourrait peut-être pas gagner. L’échiquier était trop grand. Son besoin d’indépendance trop fragile.

Elle se remit en mouvement.


Deux grands portes s’ouvrirent automatiquement à l’approche de cette minuscule délégation cadézienne. Ils furent accueillis dans un grand salon, chargés d’antiquités qu’elle jugea étrange, mais ses yeux furent attirés par les grands tableaux aux mines sévères qui semblaient surveillés les murs du palais. Parfois, la dorure d’un tableau encadrait un paysage singulier et elle s’attarda sur ces estampes colorées. Tout était si différent de Cadézia, ou de Coruscant. L’atmosphère qui régnait dans cette partie d’Ondéron lui arracha un tressaillement étrange. Alors qu’elle passait devant une grande arche menant à l’un des balcons du palais, la lumière du jour dansa sur la broche précieuse épinglée à sa poitrine, côté gauche. Le bijou scintilla un court moment avant de retomber dans un silence aveugle.

- Sa Majesté la Reine Emalia Kira et le Monsieur le Sénateur Kira-Tessin vont vous recevoir dans un moment, Monsieur le Ministre Publius, Mademoiselle Publius, annonça le chambellan en se courbant de manière protocolaire, tout en leur indiquant des fauteuils capitonnés où s’installer pour patienter.

Evadné plia les jambes pour se tenir raide et gracieuse entre les accoudoirs au velours vert de son siège. Elle continuait d’admirer le grand salon, tâchant d’y déceler les véritables de leur présence.

- Le Sénateur Kira-Tessin ? S’étonna-t-elle, du bout des lèvres en revenant à son père qui avait préféré demeurer debout, la recouvrant de son ombre. Je pensais que…
- Il ne s’agit pas de ça, lança-t-il sèchement. Penses-tu que je me serai présenté en personne sur Ondéron pour un simple entretien visant à faire de ma fille une sorte d’aide-ménagère pour Sénateur ?
- Le poste d’assistante était plus qualifié que cela, précisa-t-elle doucement, éludant le sarcasme paternel.
- Evadné, reprit-il en se penchant vers elle. C’est en qualité de future épouse que nous te présentons ici.

Elle eut un léger sursaut et se détourna vivement vers lui.

- Ce n’est qu’un simple arrangement. Nous offrons une épouse au Sénateur Kira-Tessin, qui est l’assistante de la délégation cadézien et la fille du dirigeant de Cadézia. C’est une affaire, comme une simple fusion-acquisition. Tout est logique.
- Logique ? Attendez…vous offrez, c’est que…attendez-vous quelque chose en retour ?
- Bien sûr, sourit-il froidement avant de se redresser pour accueillir sa Majesté que l’on annonçait déjà.

Emalia Kira
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- Essayons avec le bouton du veston fermé.

Dans un des petits salons élégants du palais d’Iziz, Emalia Kira, qui avait revêtu pour l’occasion une élégante et sage robe pourpre qui réhaussait le carmin de ses joues maquillées, toisait d’un œil sévère son jeune neveu et sénateur qui était plus pâle que d’ordinaire – si cela était possible. Mira, l’une des suivantes de la souveraine, se hâta d’attraper les deux pans de la veste de Jonas pour les boutonner. Ce dernier attendit que l’opération fut faite avant de se tourner de nouveau vers sa tante avec des yeux ronds comme des soucoupes.

- Moui, bon, il a l’air un peu engoncé vous ne trouvez pas ? Jonas, souriez, pour voir ?

Le sénateur dévoila deux séries de petites dents blanches dans une expression terrifiée.

- Ouh la, non, ne souriez pas, c’est pire. Restez neutre, oui voilà c’est mieux.

Le sourire de Jonas s’évanouit.

- Ma tante, V-votre Majesté, tout-tout-de-même, v-vous êtes sûre que…
- Jonas, ne me dites pas que vous allez bégayer comme cela en présence de monsieur Publius !
- N-non, enfin c’est-à-dire que…
- Votre Majesté !

Une voix précipitée leur était parvenue depuis les doubles portes claires et ouvragées du petit salon.

- Qu’y-a-t-il, Vanya ?

L’une des deux portes s’entrouvrit et laissa passer le minois quelque peu étiré par l’âge d’une autre domestique.

- Vos deux invités sont arrivés, votre Majesté. Nous les avons installés dans le salon des Voyages, comme convenu. Ils patientent.
- Ah ! Parfait !

Le visage d’Emalia s’était illuminé.

- Préparez le thé et les gâteaux Vanya, nous arrivons ! Allez Jonas, en route !
- O-oui ma t-tante…








- Sa Majesté la Reine Emalia Kira, dix-huitième souveraine légitime d’Ondéron et le sénateur d’Ondéron monsieur Jonas Kira-Tessin, annonça pompeusement la voix protocolaire du chambellan.

La suivante s’écarta pour laisser passer les deux ondéroniens : Emalia dans son habituelle posture assurée, un sourire poli et des yeux étincelants, et Jonas qui passait nerveusement ses doigts dans ses cheveux comme pour les recoiffer. Le jeune homme croisa les regards de Monsieur Publius et d’Evadné et parut blêmir davantage dans le dos de sa tante qui le cachait à demi.

- Monsieur le Ministre, quelle joie de vous recevoir ! s’exclama Emalia d’une voix mondaine, tout en s’approchant de monsieur Publius pour mieux lui serrer la main.

Malgré ses apparences aristocrates, il était rare que la Reine attendît un baise-main. Dans la poigne qui serra la main du Ministre, on comprenait aisément qu’un tailleur de femme d’affaires lui seyait d’ordinaire mieux que les robes élégantes de sa jeunesse. Mais le protocole était le protocole, et sa tenue du jour mettait en valeur son port altier, que l’âge ne lui avait pas encore ravi.
Le salon autour d’eux paraissait un peu désuet, avec ses fauteuils capitonnés et les dorures sur les cadres, mais c’était pourtant l’une des plus jolies pièces du palais au goût d’Emalia : il s’y trouvait un grand nombre de cadeaux offerts par des délégations lointaines, et d’autres œuvres ramenées de ses voyages – il y avait là des peintures et des holographies sur les murs et des morceaux d’objets ayant appartenu à d’antiques technologies sous des cages de verre étincelantes de propreté. Le tout paraissait étrangement disposé entre les lourds rideaux au motifs fleuris et les tapis de velours.

- J’espère que vous apprécierez votre séjour. Ondéron est magnifique, vous verrez.
- Ahem, oui, magnifique et s-sauvage, à l’image de Sa Majesté, balbutia maladroitement Jonas comme s’il récitait un texte. Belle comme un dragon mais dangereuse comme les lys de… Non c’est le contraire, p-pardon, je voulais dire, belle c-comme les…

Jonas s’interrompit car Emalia venait de lui décocher un regard assassin. Mais le visage sévère de la souveraine avait déjà repris un air avenant en se tournant de nouveau vers le Ministre tandis que Jonas semblait rapetissir entre ses épaules. Il était passé de livide à rouge comme les fleurs pourpres des rideaux.

- Excusez-le, plaisanta Emalia en riant faussement, Jonas est un peu nerveux. Et… Oh ! Mais qu’avons-nous là !

Emalia fit enfin mine de remarquer la jeune Evadné Publius comme s’il s’était agi d’un magnifique spécimen d’une espèce rare. Elle se pencha vers la jeune femme en mettant ses mains sur ses genoux comme elle aurait admiré un joli cadeau.

- Oooh, magnifique. Allons, levez-vous, ma petite, que je vous admire donc.

La souveraine avait tendu une main à Evadné comme pour l’aider à se lever et la jeune femme obéit. Si tôt fait, Emalia tourna autour d’elle pour l’admirer sous toutes les coutures, sous l’œil hébété de Jonas qui fixait le carré de soie azur noué aux cheveux de la jeune femme.

- Comme elle est belle ! Et au vu de son CV, cultivée et intelligente. Et m’a-t-on dit, parfaitement…

… manipulable.


- … dévouée, termina Emalia en adressant enfin un regard franc à Evadné. Vous auriez fait une excellente assistante sénatoriale, mademoiselle. Heureusement, votre père et moi avons des plans bien plus ambitieux pour vous. N’est-ce pas, monsieur Publius ?

La souveraine parut ne pas se rendre compte du sourire crispé du ministre – ou bien, cela l’indifférait totalement. Vanya, la domestique au chignon sévère, était apparue avec un grand plateau chargé d’une théière, de plusieurs tasses et de deux assiettes où s’amoncelaient des pâtisseries odorantes. A peine eut-elle posé le plateau qu’elle se mit à servir le thé.

- Vanya, déplacez une assiette et deux tasses dans le salon voisin, je vous prie. Monsieur Publius et moi allons laisser un peu d’intimité à ces jeunes gens. Je suis sûr qu’ils sont très impatients de se connaître. N’est-ce pas, Jonas ?
- Ah ?! s’exclama le sénateur comme s’il venait de recevoir une décharge électrique. O-oui b-bien sûr…

Emalia haussa les sourcils et soupira discrètement avant de s’intéresser une nouvelle fois à Véragan Publius.

- Si vous voulez bien me suivre…

Dans un chiffonnement de soie, la souveraine se fraya un chemin vers des portes closes que le Chambellan s’empressa d’aller ouvrir. Vanya s’engouffra dans la pièce à la suite des deux notables avec le plateau à demi-déchargé. Le salon voisin était très semblable au premier, la décoration en était juste beaucoup moins chargée. Les fenêtres donnaient là aussi sur l’arrière du jardin et l’on entendait les oiseaux exotiques qui s’y abritaient chanter leurs gazouillis joyeux. Dès qu’elle eut déposée le plateau, Vanya échangea un regard avec sa maîtresse, qui lui indiqua d’un coup d’œil de retourner auprès des deux jeunes gens laissés seuls. La domestique s’empressa de revenir dans le premier salon en refermant les portes derrière elle pour laisser une intimité propice pour discuter affaires entre la souveraine et le ministre. Car c’était bien sûr de cela dont il était question plus que de laisser Jonas et Evadné faire connaissance dans un cadre plus intime.

Le sénateur, lui, était resté figé à l’emplacement même où il s’était immobilisé quelques minutes plus tôt à leur arrivée. Son front luisait et ses lèvres livides tremblaient. Ses mains étaient moites mais il les cacha rapidement dans son dos.

- Vous… vous… Hem. Evadné Publius, c’est bien ça ? fit-il innocemment comme s’il venait à peine de découvrir ce nom. J’ai… J’ai lu votre CV. C’est ahm… Impressionnant. Vous avez beaucoup plu à… A ma tante. Enfin à moi aussi. Mais moi je ne vous connaissais pas du tout, alors je n'ai pas trop regardé. Enfin pas que... Je voulais pas dire... Hum, Cadezia ne vous manque pas trop ?

Il regarda ailleurs, embarrassé.
Evadné Publius
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Véragan Publius avait porté un regard plein d’antipathie sur le jeune sénateur, puis avait dirigé ce même regard glacial vers sa progéniture en guise d’avertissement silencieux avant de suivre les pas de la Reine. Contrairement à Ondéron, il n’existait pas de royauté ou d’aristocratie sur Cadézia : seuls les plus riches étaient considérés comme privilégiés. Les fortunes s’entretenaient par l’industrie et les alliances matrimoniales, ce qui rendait la bourgoisie cadézienne très endogame et limitait les métissages sociaux. Toutefois, le Ministre avait été, dans ses jeunes années, rompu à l’exercice de la diplomatie et des sciences-politiques. Il concevait parfaitement le fonctionnement de la monarchie ondérienne, des codes aristocratiques liés à l’étiquette et au protocole. Bien qu’il trouvait le tout un peu vieillot et sans intérêt; il devait bien concéder qu’Emalia Kira était une personne charmante, parce qu’elle savait mener des affaires et un gouvernement.

Dans le silence relatif de ce salon adjacent, sur lequel il ne fit aucun commentaire, indifférent à la décoration, il observait sa Majesté avec une retenue pudique. Depuis le décès de son épouse, il côtoyait peu de femmes dont le statut égalait ou dépassait le sien. Sur sa planète d’origine, la patriarchie avait encore de beaux jours devant elle. Seules les couches populaires se targuaient d’une éventuelle égalité entre les sexes, sans réellement l’appliquer.

- Votre neveu, le Sénateur, débuta Véragan sans considération pour les ronds de jambe interminables. Est un peu mou, n’est-ce pas ? J’aurais apprécié, voyez-vous, un homme de caractère pour ma fille qui, en réalité est beaucoup trop douce. Mais quelle importance. Nous savons tous deux que ces jeunes gens sont là pour servir des desseins plus grands. Je pense que la génétique hapienne fera le plus grand bien à votre lignée. Une génétique qui…

Il marqua une pause, pesant ses prochains mots.

- favorise le genre féminin.

Ce qui ne devrait pas déplaire à la Reine d’Ondéron, au demeurant. Le ton de sa voix était aussi tranchant que le fil d’un rasoir, mais assez bas pour ne pas paraître agressif. Peut-être un brin prétentieux, mais rare étaient les chefs de planète qui n’avaient pas ce défaut de supériorité.

- Cadézia est d’autant plus ravie de cette alliance que vous avez de nombreux soutiens parmi sa population. Qui vous sont redevables en ce moment même d’accueillir ma chère fille.

L’Alliance des Classes Extérieures espérait peut-être que l’influence d’Emalia soit assez forte sur la jeune Publius pour renverser la vapeur en leur faveur sur Cadézia. Des espoirs que Véragan ne souhaitait pas briser tout de suite.

- Votre planète est fort accueillante. Surtout depuis les incidents d’Ossus. Je pense que sans une catégorie de la population (Et il faisait référence aux Jedis) l’air de votre atmosphère doit être bien plus respirable.

Publius n’avait pas d’aversion particulière pour les Jedis ou pour les Siths. Il avait fait appel aux services des uns comme des autres à plusieurs reprises. C’étaient des outils assez extraordinaires au regard de leurs capacités hors du commun, mais il s’en méfiait comme de la peste. Et il n’aurait jamais accepté qu’une enclave Jedi ou Sith ou de toute nature forceuse qu’elle soit, s’implante sur Cadézia.






De l’autre côté, derrière les portes du salon des Voyages, Evadné observait Jonas avec un certain malaise. Elle analysait sa pâleur, son bégaiement, ses mains moites qu’il cachait avec insistance. Tous les syndromes de la crise de panique étaient réunis, mais elle ne souhaitait pas le faire paniquer davantage avec un diagnostic abstrait et se contenta de rompre le contact visuel pour se pencher vers la petite table et cueillir sa tasse de thé. Pleine d’empathie, elle devait comprendre que le ridicule de leur situation avait de quoi déstabiliser. Elle-même ne restait digne que par habitude; ce n’était pas la première fois qu’on lui présentait un prétendant. Elle avait pris le pli d’être polie, mais de se détacher, de prendre du recul et de faire le dos rond.

- N’est-ce pas plutôt le vôtre qui est impressionnant ? Vous êtes plus jeune que moi, il me semble et déjà à la place tant prisée de sénateur. Je vous remercie pour vos compliments, articula-t-elle avec une politesse sincère. Cadézia est loin et elle me manquera sûrement. Si j’avais su, j’aurais sans doute apporté un présent pour faire honneur à ce salon. Je suis désolée, j’ai été prise au dépourvue par cette visite.

Elle reposa la tasse sans y avoir goûté et quitta son siège pour se rapprocher d’une grande arche donnant sur les jardins magnifiques du palais. Bien qu’elle lui tournait le dos, elle continua de s’adresser doucement à lui.

- Ondéron a l’air verdoyante. Et très poétique. Cadézia est plus épurée et sauvage. Nous avons….des canyons arides et rouges, balayés par du sable plus dur que l’acier. Et un océan de dunes noires qui engloutit des cités entières. Il y peu de couleurs sur Cadézia, du moins pas autant que sur Ondéron. Le ciel n’est pas souvent aussi bleu et surtout. Il n’y a aucun oiseau.

La faune cadézienne se résumait à des super-prédateurs ou des mammifères inoffensifs. Mais aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais vu de volatile sur sa planète et on ne lui avait jamais rapporté qu’il en existait. L’atmosphère cadézienne était silencieuse et pesante ce qui lui conférait sa majesté.


- J’ai l’impression qu’ici, tout est réuni pour que la vie puisse prospérer dans les meilleures conditions possibles. Sur Cadézia, c’est typiquement l’inverse. La vie a dû batailler pour s’arroger un droit. Et pourtant, oui, Cadézia me manque un peu. Où que je sois.

Elle avait fini par répondre sincèrement et quitta la contemplation des jardins colorés pour revenir face à son interlocuteur. Au passage, elle saisit une des tasses de thé et la lui présenta, pour qu’il puisse s’en emparer, dévoiler ses mains qu’il occultait péniblement alors qu’elle savait. Elle était proche, mais conservait une distance raisonnable - suffisante pour qu’il n’y ai aucune déconvenue.

- Je suis navrée d’être…si peu polie et directe, Monsieur Kira-Tessin, mais…

Vu votre état.

- Je dois vous demander si vous êtes au courant des raisons de nos venues.

Entre eux, la tasse tendue demeurait fermement tenue. Le liquide brûlant immobile au creux de la porcelaine. Evadné ne cherchait pas à nouer un contact visuel. Elle gardait son attention rivée sur le récipient, comme pour mieux se concentrer, comme pour ne pas pleurer.

Emalia Kira
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Ting-ting-ting-ting, c’était le bruit désagréable que faisait la tasse de thé de Jonas tintant contre la soucoupe à cause de ses mains tremblantes.

- Oh vous trouvez, haha c’est flatteur ahem oui enfin plus jeune n’exagérons rien puis je dois beaucoup à ma tante et puis vous avez l’air très jeune vous-mêmes enfin je veux dire vous êtes très jeune ce n’est pas qu’un air bien entendu et…

Le reste des mots se perdit entre les lèvres tremblantes de Jonas. Il baissa les yeux sur son thé et s’efforça de conduire la tasse à ses lèvres. Il se brûla en émettant un petit cri et se dépêcha d’aller reposer la porcelaine sur l’une des tables basses. Il eut un air d’excuse en cachant sa bouche derrière l’une de ses mains.
Ces dernières étaient parfaitement blanches, mais il y subsistait quelques vestiges bleus et noir – des traces d’encre. En dehors de cela, on devinait parfaitement que ces mains n’avaient jamais eu à faire le moindre travail manuel. Il parut ensuite les essuyer sur son pantalon.

- Oh, ne vous en fait pas pour les cadeaux. Ma tante n’est pas très matérialiste contrairement aux apparences, haha. Mais vous vous entendrez bien avec elle si vous vous intéressez aux oiseaux, haha.

Haha. Il s’efforça de faire taire son rire nerveux.

- Ah, ah oui, dites donc, ça n’a pas l’air joyeux comme monde, enfin si, enfin l’important c’est que ce soit un monde prospère bien sûr. Ma tante dit toujours, « toute planète est prospère, pour qui sait la cultiver. »

Il retomba dans le silence. Il ne savait plus très bien ce qu'il avait voulu dire par là. En s’asseyant, il s’était écarté d’Evadné, et en relevant les yeux, il voyait la silhouette de la jeune femme se découper devant la fenêtre. Les tons bleus de sa robe sage réhaussait l’azur de ses yeux et du foulard qui retenait ses cheveux blonds au-dessus de ses joues rosies, et cette combinaison paraissait à Jonas un assemblage idéal pour paraître comme l’un des oiseaux colorés de la jungle d’Iziz.

- Le b-bleu vous va à ravir, balbultia-t-il, gêné. Hem, il va aussi bien que le ciel d’Ondéron, je veux dire.

Ca sonnait mieux dans sa tête, songea-t-il intérieurement en déglutissant. Néanmoins, il prit ensuite une inspiration pour faire bonne figure.

- Hem, non, je ne sais pas. J’espérais que ma tante vous fasse passer l’entretien pour le poste d’assistante sénatoriale mais apparemment elle a eu une autre idée… Elle est comme ça,
ajouta-t-il en haussant les épaules d’un air d’excuse. Elle a toujours des plans et il vaut mieux pas trop la contredire.

Il grimaça un sourire embarrassé. Sa tasse de thé était restée sur la table. La soucoupe en était pleine aussi, et quand il le remarqua il se mit à éponger maladroitement avec des petites serviettes en tissu.

- Oh la la, si sa Majesté voit ça…








De l’autre côté des double-portes, Emalia rayonnait. Les deux tasses de thé fumaient entre les deux interlocuteurs qui s’étaient attablés. La souveraine avait tiré un bloc de données d’un tiroir comme s’il avait été disposé là expressément pour cette négociation – et c’était bien sûr le cas – et elle avait saisi un petit stylet qui allait lui servir à noter les différents points du contrat. Elle fonctionnait ainsi depuis ses toutes premières négociations.

- Un peu mou ? Vous êtes bien délicat, monsieur Publius. Si Jonas n’était pas si grand, on le prendrait pour un enfant, grinça-t-elle avec bonne humeur, comme si elle était particulièrement fière d’avoir dégoté ce neveu-là. Et c’en est un à certains égards. Il est naïf et doux. Mais vous savez comme moi qu’aucun homme ne peut longtemps rester ainsi, en particulier s’il est plongé dans le métal en fusion que représente la Rotonde. La politique galactique consume très vite les plus faibles d’entre nous et si Jonas survit, c’est donc qu’il a dans le sang une ferveur dont il n’est pas encore familier, et dont il apprendra tôt ou tard à se servir.

Autrement dit, Jonas survivrait à l’épreuve de la politique ou bien il disparaîtrait. Il n’y avait pas de place pour les faibles ni au Sénat Galactique, ni dans la famille Kira.

- Mais ne vous inquiétez pas, poursuivit-elle avec un sourire poli, au sein de la Cour d'Ondéron, votre fille sera entourée de piliers sur lesquels elle pourra s’appuyer en toute quiétude.

Emalia dardait dans les yeux de Véragan Publius un regard sombre et implacable. Elle ne jouait aucun jeu de séduction malgré les dentelles autour de son cou et les bijoux étincelants qui ornaient sa chevelure. Elle semblait confronter le mur de ses certitudes à celui du Cadezien avec une franchise qui frôlait l’inconvenance.

- J’apprécie d’avoir le fond de votre pensée concernant l’absence des Jedi sur Ondéron. C’est un nouveau départ pour cette planète qui a beaucoup souffert de les avoir si longtemps abrités. Fort malheureusement, si cela ouvre des opportunités, cette nouveauté attire aussi tout un tas de menaces dont il faut nous protéger – enfin, ce n’est pas à vous que je vais faire un cours de politique.

La souveraine sourit. Elle joua un instant avec le stylet entre ses doigts.

- Bref, revenons à ce qui nous intéresse : l’alliance entre nos mondes sera scellée par le mariage entre Jonas Kira-Tessin et votre fille, Evadné Publius. Plus une alliance est solide, plus elle est pérenne et utile. Et pour qu’elle soit le plus solide possible, il nous faut partir avec un maximum d’ambition et de liens possibles, et de différente nature, à établir entre nos deux mondes. Je vais donc commencer par faire la liste de ce qu’à mon sens, Ondéron peut apporter à Cadezia, et ce dont Ondéron a besoin. Sur chacun de ces points, vous êtes bien sûr libre d’abonder, de refuser qu’il y ait un lien et bien sûr, si vous voyez d’autres voies pour nous unir, je suis toute à votre écoute.

Emalia attendit un bref instant, comme pour vérifier que Véragan avait bien compris les règles du jeu – qu’il connaissait parfaitement. Après tout, une alliance politique était très semblable à une alliance commerciale : plus on en mettait sur le tapis, plus on avait de gains potentiels.
La souveraine s’humecta brièvement les lèvres, puis posa les yeux sur son bloc de données. Elle commença à énumérer à voix haute, tout en notant, tiret après tiret, ses propositions.

- Le lien galactico-politique d’abord : Cadezia ne représente pas un monde extrêmement puissant dans la Rotonde ; plus encore depuis la disparition de votre sénatrice – toutes mes condoléances, c’est une terrible nouvelle. Une nouvelle figure mettra du temps avant de remporter l’adhésion de partisans au sein du Sénat. Ondéron peut vous faire entrer dans son parti et avec quelques coups de pouce, je pourrais même vous proposer de prendre vous-même la tête de l’AO, ou bien votre nouveau sénateur.

L’Alliance contre l’Oppression, fondé par Emalia Kira, était en effet sans chef distinct depuis son exclusion de la vie politique républicaine. Il y avait eu plusieurs tentatives pour réélire un leader, mais toutes ces tentatives avaient abouti à des échecs : tous les choix menaient à une scission du parti, ce qui n’était pas envisageable. Pour Emalia, mettre à la tête du parti une nouvelle tête permettait de garder ensemble les troupes sans prendre parti pour l’une ou l’autre des planètes déjà en place ; mais pour Cadezia, c’était une réelle opportunité pour être sous les feux de la rampe. L’offre qu’elle faisait pesait lourd, du moins le pensait-elle, dans la balance.

- Le lien financier ensuite. Là, vous devinez bien sûr que c’est au contraire Ondéron qui est en demande. En réalisant un rachat de dettes, Cadezia recevra des intérêts de la part d’Ondéron pendant des décennies tandis que nous poursuivons le remboursement des sanctions subies par notre planète.

Inutile de revenir sur cette sombre période de l’histoire, Publius savait parfaitement de quoi il retournait. En échange de la tête du parti, Cadezia pourrait soutenir les lourds problèmes financiers d’Ondéron.

- Un point plus aisé à traiter : le lien économique. Ondéron produit une grande quantité de fruits exotiques ; notre activité est principalement agricole et ce sont des produits que vous importez. Si vous augmentez drastiquement la part d’importations de provenance ondéronienne dans vos achats de denrées alimentaires, nous pouvons en échange concentrer nos achats de produits de haute technologique sur ce que produit Cadezia. Avec la proximité de la station commerciale sur la route de Trellen, que nous détenons à parts égales avec d’autres mondes du secteur, Cadezia se voit offrir un point de diffusion de ses produits technologiques beaucoup plus près du Noyau – donc, de nouveaux contrats.

Le stylet d’Emalia claquait de façon à peine audible sur l’écran, comme elle notait avec une rapidité étonnante les mots-clés visant à retenir les termes du contrat qu’elle établissait.

- Le lien militaire et stratégique ensuite. Vous n’êtes pas sans savoir que mon monde n’est pas guerrier – en tout cas pas au niveau spatial. Il a de tout temps été protégé soit par la République, soit par les Jedi eux-mêmes dont la présence dissuadait de potentiels ennemis. Avec leur départ, j’aimerais renforcer les forces militaires de ma planète. Produire une armée nécessite cependant trois choses : des matériels, de l’argent, et des individus. Je ne peux fournir que les derniers – cela réduira le taux de chômage sur Ondéron – mais nous n’avons ni les budgets, ni les vaisseaux et l’armement. Cadezia pourra fournir une partie de cela. En échange, Ondéron prêtera ses terres, pour que vous puissiez y installer ce que bon vous semblera pour vos troupes : des camps d’entraînement, des terrains agricoles destinés à nourrir uniquement les armées ondéroniennes et cadéziennes… Bref, ceci pourra être établi au fil des années en fonction des besoins. De mon côté, j’ai un très beau carnet d’adresse et je suis sûr que je pourrai faire advenir quelques opérations visant à percer les secrets industriels de vos concurrents.

Elle releva le nez soudain vers Publius, lui adressa un sourire mondain comme elle trouvait que le marché était jusqu’ici plutôt équilibré.

- Un lien culturel : celui-ci est à établir. Afin que nos peuples respectivement approuvent ce rapprochement, il faut que de belles actions soient réalisées qui mettent à l’honneur les cultures de nos deux planètes. Ondéron pourrait être un lieu de villégiature pour les cadéziens aisés, par exemple. Nous pourrions aussi échanger des espèces animales et végétales et alimenter des musées de part et d’autre de l’espace qui nous sépare. Faites rêver votre peuple d’une Ondéron verdoyante et accueillante, et je ferai rêver le mien des crédits coulant à flots grâce aux technologies de pointe que vous produisez. Les jeunes ondéroniens voudront tous étudier pour travailler un jour dans l’une de vos plus grandes entreprises, les jeunes cadéziens rêveront tous de s’enrichir suffisamment pour s’acheter un bout de jungle exotique pour leurs vacances.

Emalia dessina un dernier tiret sur son bloc de données complètement noirci par ses idées foisonnantes. Son ton était devenu plus posé, comme elle savait qu’ils allaient toucher à quelque chose de délicat : Evadné, probablement la prunelle des yeux de Véragan Publius. Ou tout du moins le supposait-elle : pour Emalia, une enfant de sexe féminin était cruciale dans une lignée et elle ne doutait pas que malgré la différence de culture, on put si facilement abandonner sa progéniture. A moins que Véragan ne fut sans cœur – auquel cas, elle aurait peut-être une plus grande estime pour lui encore.

- Et enfin, pour sceller tout cela, le lien matrimonial : Evadné et Jonas s’uniront et donneront naissance à au moins un enfant dans les deux ans suivant leur mariage. Cet enfant et les suivants seront instruits pour qu’ils soient tous capable d’endosser des rôles politiques, économiques ou militaires à même de défendre les intérêts de nos deux planètes. Dans cette entreprise, la Cour d’Ondéron s’attendra bien sûr là aussi à une aide financière.

Elle reposa le stylet à côté du bloc de données, indiquant qu’elle en avait terminé.
Evadné Publius
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Véragan avait patiemment laissé Emalia faire étalage des futures liens entre leurs mondes. Il avait croisé ses longues jambes, ainsi que ses mains aux doigts aussi fins. En tant que pur Cadézien, la génétique lui avait attribué des membres un peu plus long que les humains des planètes soumises à des gravités puissantes. Sur Cadézia, la gravité était moindre que sur Coruscant ou Ondéron, au fil des générations, les corps et la biologie humaine s’étaient adaptés. Evadné avait échappé à cette particularité grâce au génome transmis par sa mère hapienne. Il avait longuement songé aux paroles de la Reine concernant le jeune sénateur et avait très bien compris où elle souhaitait en venir.

Ses fines lèvres pâles étaient demeurées closes et pincées, tandis que son regard n’abritait rien d’autre qu’une étendue glaciale et indifférente. Pourtant, il était attentif bien qu’il n’eût rien pour noter. Il n’en avait pas réellement besoin.

Une fois qu’elle eût terminé, il ne prit guère la parole. Il brisa son immobilité uniquement pour saisir sa tasse de thé et revint se conforter dans son siège. Après une très longue minute, le son de sa voix craqua dans l’air silencieux du petit Salon.

- Vous ne décevez pas, Madame Kira. Il est vrai que l’économie et les finances de Cadézia se fondent beaucoup sur les systèmes hors-République de la Bordure Extérieure. Et cette union existe pour mettre à Cadézia de parasiter une partie du Noyau, mais ne pensez pas que cela est très vital. Bref.

Il sirota une gorgée de thé brûlant dont le goût ne parut pas convenir à son palais étrange. Il reposa donc la porcelaine avec précaution.

- J’approuve tous les points. Excepté le militaire. Permettez-moi de lui préférer une autre version. Cadézia fournit son savoir et ses ressources en terme de technologie de guerre et d’armement. En échange de quoi, l’armée que vous souhaitez créer sur Ondéron sera exclusivement formée par des officiers cadéziens. Le temps, évidemment, qu’elle gagne son autonomie. Concernant les individus, nous avons un léger problème de démographie dans la ceinture orbitale de Cadézia. Un contrat dans l’armée ondérienne pour ces gens en trop, sera plus que bienvenue. Cette alliance, sous tous les points que vous avez mentionné, est déjà prête à être votée au Congrès cadézien, y compris par les plus réticents. Beaucoup sont déjà prêts à s’enrôler dans les rangs de votre armée.

Ses longs doigts pianotaient pensivement sur son genou, contre le velours de son pantalon sombre. Il observait par-delà Emalia comme s’il réfléchissait précisément à quelque chose.

- Concernant, Evadné, il m’importe peu qu’elle meurt d’ennui ou qu’elle soit malheureuse ici. C’est une simple garantie dans le contrat qui lie nos deux mondes. Je présume que vous tenez à ce que la cérémonie se tienne sur Ondéron tout particulièrement.

Les familles royales et leurs traditions grotesques. Pour sa part, il aurait préféré Cadézia, quoi de plus logique.

- Et bien évidemment, nous allons devoir parler du montant de la dot.

Les cadéziens aussi avaient leur petite coutume grotesque. Avoir une fille, c’était se préparer à payer une dot à la famille de son futur époux. Une sombre question d’honneur ancrée dans les moeurs. La dot d’Evadné ne serait bien évidemment pas payée avec les deniers publics de Cadézia, mais bien avec la fortune personnelle des Publius.











- Attendez, je vais vous aider, souffla-t-elle en se courbant pour lui porter secours. Elle utilisa des carrés de tissu disposés près de sa propre tasse. Et ils n’avaient par l’air très intelligents, tous deux baissés autour d’une simple tasse; mais le sénateur n’avait pas tardé à s’éloigner, s’enfonçant bien profondément dans son siège et elle termina la tâche seule, avec application. Agenouillée près de la table basse, elle épongeait les derniers dégâts, essuyant les traces de thé contre la porcelaine de la soucoupe. Elle réfléchissait en même temps, blêmissant intérieurement. C’était le premier cas de figure où un prétendant n’était pas au courant. Habituellement, ils se contentaient de la pomper de compliments furieux et mielleux, afin de plaire aux directives de leurs parents. Ses prunelles se dirigèrent enfin vers la double-porte qui la séparait de son paternel. Etait-ce à elle d’annoncer à ce jeune homme les nouveaux plans de sa tante ? Cela changerait-il quelque chose; il avait l’air tant résigné. Le plan aurait été de s’offrir en sacrifice en se jetant dans l’espace intersidéral qu’il obéirait sans doute. Demeurer en vie, cela aurait été contrarié sa tante, voyons. Quelle idée. Un pâle sourire éclaira son visage délicat et elle retrouva sa place dans le fauteuil en face de Jonas.

- J’aurais aimé passer cet entretien. J’avais pour volonté d’oeuvrer sincèrement à vos côtés, parce que j’avais trouvé vos discours justes à la Rotonde. Enfin, je présume que cela n’a de toute manière aucune importance. Sans vouloir vous commander, Monsieur Kira-Tessin, vous devriez déboutonner votre veston. Vous êtes un peu trop pâle et vous respireriez mieux dans un vêtement plus ample. Les crises de panique ont tendance à donner chaud. Voulez-vous que j’appelle une domestique pour s’en charger ? Mais si vous préférez, prendre l’air serait une meilleure option.

Le médecin bienveillant en elle avait forcément repris le dessus. Ses doigts jouaient nerveusement avec le bout de la couture de sa jupe. Elle aperçut un bout de son reflet à la surface de son thé. Elle n’était pas aussi pâle que lui mais si on avait pu sonder son âme, elle n’aurait pas meilleure figure.

- Tenez, reprit-elle en cueillant un petit gâteau qu’elle enroba avec soin dans l’une des serviettes en tissu restée intacte. Elle se pencha afin de surplomber la table basse qui les séparait. Prenez au moins un peu de sucre, ça vous fera du bien. Le pire que vous risqueriez, ce serait de faire tomber quelques miettes. Mais votre tension ne doit pas être très haute, il ne faudrait pas que vous ayez un malaise vagal. Je peux comprendre que vous soyez énormément sollicité par vos fonctions et votre tante semble exigeante. Se nourrir correctement, aide à combattre les syndromes de stress et de surmenage.

Elle en savait quelque chose, puisqu’elle avait longtemps mené deux parcours de front. Les privations de sommeil, de nourriture, le manque de temps, elle connaissait leurs effets insidieux. Evadné ne pouvait pas deviner l’origine du mal-être de son interlocuteur, mais son esprit rationnel et scientifique analysait la situation sous un angle médical. C’était plus simple comme ça. Le fait qu’il était si blanc, également, ne pouvait résulter que de la génétique ou de la crise d’angoisse. Ce jeune homme ne voyait visiblement pas assez l’air extérieur, ou du moins pas pour de longues périodes.

Il y eut un court silence de sa part. Elle aurait souhaité poursuivre, lui répondre que le bleu était sa couleur favorite; quasi-inexsitante sur Cadézia car les lacs prenaient la teinte des cieux souvent gris ou sombres. Mais elle ne souhaitait pas entrer dans le jeu de son père en faisait connaissance de manière trop intime avec le sénateur. Elle n’était pas en position de refuser ce mariage, mais peut-être que Jonas lui, en qualité de sénateur et d’adulte, pouvait encore s’opposer à cette union. Elle ne souhaitait donc pas lui envoyer de bonnes ondes concernant une probable future relation entre eux.

Un nouveau regard vers les double-portes et elle sentit comme une urgence se précipiter alors elle revint vers Jonas pour parler encore :

- Ils souhaitent nous unir, expliqua-t-elle le plus pudiquement possible. Pour des raisons qui m’échappent, mais vous pouvez refuser. Vous pouvez refuser, n’est-ce pas ?





Emalia Kira
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- Nous… nous unir ? glapit Jonas d’une petite voix.

Il avait les jambes en coton. Ou bien, il n’avait plus de jambes du tout. Un peu plus il souffrirait d’incontinence. Non, non, non, Jonas, pas ça. Il avait pris le gâteau comme si Evadné lui avait offert un cadeau inestimable. Il le tenait du bout des doigts, sans oser rien en faire, de peur de le briser. Ses yeux agrandis s’étaient accrochés au regard bleu de la jeune femme qui lui parlait avec douceur.

- Mais… C’est-à-dire, nous unir ? demanda-t-il encore, ses grands yeux noisette rappelant vaguement ceux d’un enfant que le premier jour d’école effraie. Vous voulez dire… Oh !

Sa bouche s’était arrondie de surprise. Au fond de ses pupilles, on devinait soudain une lueur de compréhension. Il referma la bouche, hébété, et ses joues s’embrasèrent. Il baissa les yeux et secoua la tête.

- Ma tante m’a toujours dit qu’il fallait que j’apprenne à lire les signes avant-coureurs, qu’elle ne serait pas toujours là pour m’expliquer, et je n’ai rien vu venir encore une fois ! Nous unir !

Il lâcha le gâteau qui tomba sur la table en s’émiettant, tout en se levant. Ses jambes avaient retrouvé ses fonctions. Il se mit à marcher de long en large dans le petit salon en se passant les mains sur le visage. De rouge, il était repassé à blême, et il respirait rapidement. Il tira soudain de la poche de son pantalon une petite ficelle qu’il se mit à enrouler autour de son doigt, puis la dérouler, avant de la réenrouler une nouvelle fois dans un geste maniaque en continuant à faire les cent pas. Le petit salon paraissait effectivement soudain étouffant et il déboutonna rapidement son veston.

- Comment ai-je pu ne rien voir venir !

Soudain il se précipita à la fenêtre, en ouvrit grand les battants. Un vent chaud et humide s’engouffra dans la pièce, charrié comme un souffle de vapeur depuis les entrailles de la jungle qui chantait des milles voix sauvages qui l’abritaient. Les gazouillis des oiseaux étaient parfois troublés par des croassements, voire d’étranges grondements. Lorsqu’on vivait sur Ondéron, l’on s’habituait ; mais pour les nouveaux habitants, ce bruit incessant en provenance de la végétation dense avait quelque chose d’inquiétant.

- Excusez-moi, je crois que j’ai besoin d’air. Oh la la…

Le garçon s’éventa avec ses propres mains en lui tournant le dos, avant de se remettre à tournicoter le fil autour de son doigt. Il se retourna soudain, dansant d’une jambe sur l’autre.

- Oh, ne croyez pas que… C’est un honneur bien sûr, pourrait-on rêver plus douce compagne ? Je doute que non. Ne le prenez pas pour vous. La surprise, l’émotion… Oh la la, vous devez me trouver si idiot. D’ailleurs je… Oh…

Jonas chancela. Il dut se rattraper à un meuble, sur lequel un bibelot tituba dangereusement, puis il se glissa sur ses genoux, presque aussi pâle que sa chemise blanche, les lèvres virant au violet. Il s’était mis à respirer plus fort, plus vite, et il porta une main tremblante à son cou.

- Je… Je… Je… Peux plus… Resp…









Loin d’éprouver la panique de son neveu, dans la pièce d’à côté, Emalia avait méthodiquement tiré un trait sur l’une des lignes griffonnées sur son bloc de données.

- Han-han, fit-elle d’un air entendu.

Elle griffonna quelque chose à la place en-dessous. Trop de population, mmh ? songeait-elle, et ses yeux pétillaient drôlement. Je m’en vais leur trouver de l’occupation, moi, ne vous en faites pas, monsieur Publius.

- Bien sûr, bien sûr. Cela me convient parfaitement.

De toute façon, pour le chômage, avec le déploiement industriel dont devait bénéficier Cadézia par la station de Trellen, il y aurait des emplois à proximité. Et qui disait soldats, disaient consommation. Rien de tel pour un développement économique. Ils allaient célébrer un sacré paquet de mariages ondéro-cadézien dans les années à venir, et Emalia s’en félicitait déjà.
Elle reposa le style, écarta doucement le datapad, avant de se saisir de sa propre tasse de thé. Le breuvage avait eu le temps de refroidir quelque peu, mais il embaumait toujours la pièce d’une effluve florale, propre aux essences locales. Elle y trempa les lèvres pensivement avant de reposer la tasse et d’y faire tinter le bout de ses ongles en une cascade discrète, régulière. Il était temps en effet de parler des choses qu’on ne coucherait pas dans un joli contrat signé.

- J’apprécie que vous compreniez l’importance pour notre famille de voir la cérémonie de mariage se produire sur Ondéron. Mais je suis prête à ce qu’une seconde cérémonie se tienne sur Cadézia, si cela est nécessaire. J’ai pris les devants pour faire estimer le coût de l’organisation du mariage dans le respect de nos traditions : environ cent-vingt mille crédits, au moins.

Bien évidemment, la Cour d’Ondéron avait dépensé des sommes bien plus faramineuses pour des mariages, mais Jonas et Evadné n’était ni l’un ni l’autre des héritiers du trône ; il était donc question de leur organiser un très beau mariage, qui pourrait accueillir une délégation cadézienne d’importance, mais sans non plus que cela ressemblât de trop à une union princière.

- Ensuite, nous la nourrirons au moins pour une cinquantaine d’années, voire un peu plus. Mais cela est un investissement commun pour la descendance, bien entendu. Toutefois, nous estimons l’investissement total à environ neuf cent mille crédits – et cela sans compter l’inflation. Avec la participation à la cérémonie de mariage, je devrais donc vous réclamer cinq cent dix mille crédits.

Emalia se laissa aller en arrière, et elle croisa les bras en s’appuyant sur le dossier de son fauteuil.

- Les dots de l’aristocratie cadézienne sont-elles aussi élevées, monsieur Publius ?

Elle le défiait d’un regard malicieux.

- Au fait, êtes-vous là pour quelques jours ? J’aimerais que votre fille se plie à quelques découvertes locales pour m’assurer qu’elle se fera bien au climat et à notre culture. J’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénient, je préfère prendre quelques précautions. Je pense que vous les apprécierez d’ailleurs quand je vous ferai part des résultats, afin que cet investissement ne soit pas gaspillé.

Vu la somme que vous allez dépenser, il vaudrait mieux, songeait Emalia, et elle tendit la main pour attraper une petit gâteau qu’elle croqua avec lenteur, en scrutant Véragan.
Evadné Publius
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L’annonce du montant exigé par la Cour royale d’Ondéron le laissa figé dans le marbre. Il demeurait dans sa position sobre, mais décontracté, observant son interlocutrice avec la politesse des négociateurs. Puisqu’elle sollicita son avis, il daigna répondre d’une voix froide et franche :

- C’est dans la moyenne de ce qui est généralement exigé dans la bourgeoisie cadézienne. Nous arrondirons à six cent milles crédits. Voyez cela comme un cadeau de mariage en avance.

C’était un euphémisme. Sur Cadézia, la dot aurait été bien plus élevée, peut-être même doublée. N’importe quel prétendant aurait profité du fait que ce fut la progéniture du riche Ministre Publius pour négocier une somme exorbitante. En réalité, en dehors de la beauté d’Evadné, c’était le principal atout qu’elle représentait pour les dents-longues de la jeunesse dorée cadézienne. Véragan ajusta l’insigne aux couleurs de son monde épinglée à son veston noir avant de poursuivre :

- Evadné demeurera le temps que vous aurez besoin d’elle. Pour ma part, je repars dès notre entretien achevé. Je ne peux hélas me permettre de faire du tourisme dans votre si agréable localité. Les devoirs d’un dirigeant, vous comprenez, je présume. Je ne doute pas que ma fille saura s’adapter à vos us. Elle est tellement altruiste. Je ne l’ai pas élevé dans cette tolérance de l’autre, cela rend faible en affaires. Mais ne dépensez pas trop pour la divertir ou espérer d’elle quelque chose; économisez plutôt pour vos futurs petits-enfants. Il est plus adapté de battre le fer quand il est encore chaud.

Il s’interrompit parce qu’un bruit sourd avait franchi la double-porte qui les séparaient du salon principal. Pour la première fois depuis son arrivée, il fit la démonstration d’une expression. Ses fins sourcils blonds se froncèrent légèrement, durcissant davantage les traits de son visage anguleux.






Et on retrouvait cette même expression sur le visage d’Evadné, à la différence que cela adoucissait sa figure de porcelaine, la teintant d’une inquiétude sincère. Elle avait tenté de suivre le discours incohérent du sénateur et en avait anticipé la chute tragique. Elle avait bien essayé de lui demander poliment de respirer, de se calmer; la panique avait semblé plus forte que la voix trop douce de la cadézienne. Elle avait eu le réflexe de se hâter vers lui dès qu’il s’était accroché au meuble; l’avait empoigné par les épaules avec la fermeté du médecin pour le diriger dos contre le meuble afin qu’il puisse s’asseoir sur son séant. Elle lui fit étendre les jambes, avec cette même détermination; alliant la précaution et l’autorité silencieuse.

- Respirez s’il vous plaît, Monsieur. N’essayez pas de parler, concentrez-vous sur votre respiration, souffla-t-elle en s’attaquant à sa chemise pour déboutonner un maximum de tissu et lui permettre d’avoir davantage d’oxygène. Vous voyez, vous aurez moins chaud ainsi, vous pouvez déjà mieux respirer, sourit-elle en surveillant ses mouvements et la couleur de sa peau d’un oeil avisé.

L’une des paumes de la jeune blonde passa sur le front de Jonas pour rabattra quelques mèches en arrière; elle sentit la sueur glisser entre ses doigts. Ce n’était pas de la fièvre, mais comme elle l’avait prédit, sa tension devait être basse.

- Je suis certaine qu’il y a quelque chose de précis dont vous pouvez me parler.

Sans paniquer.

- Votre tante.

Très bonne idée.

- Je suis certaine qu’elle vous a prodigué de nombreux autres conseils, très avisés et très utiles, vous pourrez m’en parlez quand vous respirerez.

Emalia semblait être un repère assez important pour qu’il ne bégaie pas quand il évoquait cette dernière. Elle espérait que ce soit suffisant pour faire refluer la panique et l’angoisse. D’une entrée de service, Vanya déboula en catastrophe, aussi pâle que le tablier de service qu’elle portait de manière impeccable.

- Monsieur Jonas, s’épouvanta-t-elle en s’approchant.
- Auriez-vous de l’eau, Mademoiselle ? Lui demanda calmement Evadné, demeurée auprès du jeune homme, attentive à toute complication.
- Je…je vais vous apporter cela tout de suite.

Par la fenêtre laissée grande ouverte, la symphonie des oiseaux exotiques et le croassements de bête moins avenantes poursuivaient leur ascension dans l’air, conférant une étrange atmosphère dans le salon des Voyages. Depuis cette ouverture, Evadné ressentait la brise humide et lourde qui annonçait la couleur du climat ondérien.

- Votre tenue n’est pas adaptée à tant de chaleur, Monsieur Kira-Tessin, le rassura-t-elle. Est-ce que vous vous sentez mieux ? Non…essayez de respirer avant de parler.

D’un geste précautionneux, elle défit le foulard de soie azur et s’en servit pour éponger la figure blême du sénateur avec des gestes doux et assurés. La sudation, pensait-elle en concentrant ses pensées sur son savoir médical, était un mécanisme typique du corps afin de refroidir sa température. Songer à ses cours de médecine lui permettait de mettre un peu d’ordre dans son esprit angoissé. Elle glissa sa main dans la sienne, sans autre arrière-pensée que celle de lui offrir de l’aide. Elle le sentit perdre son oxygène à nouveau à des lieues de se douter que le contact entre leurs peaux puissent aggraver une situation déjà compliquée.

- Respirez, répéta-t-elle. Il est inutile de parler, vous pouvez serrez ma main quand ça ne va pas, et la desserrer quand vous vous sentiez mieux. Vous pouvez serrer fort, j’ai l’habitude, vous ne me ferez pas mal.

Pendant ce temps, Vanya était revenue avec un verre d’eau entre les mains, attentive à la scène qui se jouait devant elle, enregistrant le moindre détail. C’était le privilège de la domesticité après tout. Elle aurait sans doute beaucoup de choses à raconter dans les coursives du palais, auprès du personnel, là où les nobles oreilles ne traînaient pas.

- Merci, déclara Evadné en continuant d’éponger le visage de Jonas de sa main libre. Pouvez-vous lui présenter le verre, s’il vous plaît. Doucement. Juste un petit filet, s’il y arrive. Cas contraire, n’insistez pas s’il vous plaît, il pourrait s’étrangler.

La servante suivit avec attention les instructions de la toute blonde dont le ton révérencieux conférait une autorité médicale que l’on suivait volontiers quand on manquait de connaissances dans le domaine.


Emalia Kira
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Les doigts de Jonas, doux comme ceux d’un poupon, avaient serré fébrilement la main d’Evadné sans discontinuer. Il essayait de se concentrer pour respirer doucement, mais ses inspirations étaient désordonnées, laborieuses. Livide, il regardait la jeune femme comme un fantôme, tandis que près d’eux s’activait Vanya, la domestique aux cheveux grisonnants dont les traits étaient à l’instant marqués d’une certaine lassitude. Elle porta un verre d’eau aux lèvres de Jonas. Celle-ci dégoulina pitoyablement sur le menton du sénateur. Vanya renonça en haussant les épaules.

- Ça va lui passer, Mademoiselle, fit-elle, ça lui arrive souvent.

Son ton se voulait à demi-moralisateur, à demi-rassurant.

- En général, il suffit que…

Mais Vanya s’interrompit dès qu’elle entendit cliqueter le mécanisme de la porte voisine. L’instant suivant, Emalia ouvrait grand la porte, sourcils froncés, et la domestique se releva prestement pour reprendre une posture digne et sévère, mais la souveraine ne lui accordait de toute façon pas un regard.

- Allons, que se passe-t-il ici ? Oh ! Jonas ! s’exclama-t-elle, excédée en découvrant la silhouette étalée du sénateur.

Emalia soupira en mettant les poings sur les hanches. Puis elle décocha un regard à Véragan, avant de se tourner de nouveau vers le trio saugrenu.

- C’est encore votre blessure, n’est-ce pas ? Je vous avais pourtant dit d’y aller doucement sur les entraînements avec les rupings ! – puis, se tournant vers Véragan de nouveau, sur le ton de la confidence – mon neveu n’en a pas l’air, mais c’est en réalité un grand sportif. Il s’est blessé lors d’un combat d’entraînement à la rapière et pourtant, il s’acharne à apprendre à monter les rupings. C’est que ce sont des activités qui forgent le caractère, voyez-vous, essentiels donc pour la Rotonde. N’est-ce pas Jonas ?

Tous les visages se tournèrent vers le sénateur. Celui-ci n’avait pas retrouvé ses couleurs mais son souffle semblait avoir repris un rythme plus normal. Il écarquillait maintenant les yeux, pris au piège.

- O-oui votre Majesté, tout à fait, haha.. Je… aïe, ma blessure, c’est ça, expliqua-t-il en lâchant la main d’Evadné pour la porter à ses côtes soi-disant douloureuses.

Vanya leva discrètement les yeux au ciel mais ne fit aucun commentaire. Pendant ce temps, Emalia occupait déjà de nouveau tout l’espace de la discussion.

- Voyez-vous, expliqua-t-elle à Véragan en passant devant les jeunes gens comme si la scène n’avait rien d’anormal, Ondéron est aussi une terre très sauvage et nos traditions impliquent beaucoup la maîtrise du monde animalier. La civilisation ondéronienne s’est construite sur une constante compétition avec la faune et la flore locale et s’est renforcée avec la virtuosité tirée de ces arts.

Ses talons claquèrent lorsqu’elle s’arrêta devant la porte de sortie du salon, que Vanya s’empressa d’ouvrir.

- Bref, je comprends totalement que vous soyez pressé. Si vous souhaitez repartir au plus vite, je vous propose de vous envoyer les termes détaillés rédigés du contrat dans quelques jours, dès que les vérifications d’usage auront été faites auprès de Mademoiselle votre fille. Vous n’aurez qu’à le signer électroniquement, et nous pourrons très vite organiser les festivités.

Et Emalia tendit la main à Véragan, afin de sceller leur accord. Elle arborait un sourire qu’elle avait du mal à contenir, les pommettes hautes et rougies d’un maquillage élégant.

- J’ai tellement hâte, monsieur Publius.










Véragan avait signifié à sa fille de ne pas le suivre. Après avoir quitté les lieux, Emalia avait donné des ordres brefs, ordonnant à Jonas de se relever et de la suivre, tandis que Vanya se chargerait d’emmener Evadné dans « l’Aile Blanche » - une partie du palais au rez-de-chaussée qui, plus étroite et moins décorée que le reste de l’édifice, cernait de murs immaculés des pièces dont certaines étaient dotés de jolis bains, d’autres de grandes armoires à pharmacie. Le palais n’étant pas très grand, on avait tôt fait de visiter les lieux et de comprendre que ces quelques pièces étaient dédiées aux questions d’hygiène – lavages, baignades et autres soins aux habitants du palais – à l’exception de la Reine elle-même, qui disposait d’une salle de bain privée. Tout au bout de cette allée, la dernière pièce de l’aile portait un petit écriteau qu’Evadné n’eut pas le loisir de voir car Vanya la précédait en marchant de son pas sévère et pressé, démontrant peut-être à dessein qu’ici, tout ordre de la Reine était exécuté sur le champ. Le petit poing fripée de la femme toqua sèchement sur la porte et un entrez ! couina de l’autre côté. Vanya ouvrit rapidement la porte.

- Si Mademoiselle veut bien entrer.

A l’intérieur, Evadné découvrit une arkanienne au teint presque aussi blancs que les carreaux recouvrant les murs de la pièce. Elle portait une blouse toute aussi immaculée, comme si secrètement, l’Aile Blanche était un mot d’ordre aussi pour l’habillement du personnel. L’arkanienne était assise derrière un bureau, ses longs cheveux blancs noués en une tresse dans son dos, et elle releva ses yeux ornés de lunettes en demi-lune, au-dessus de laquelle elle jaugea Evadné du regard.

- Evadné Publius, je présume ?
- Sa Majesté la Reine exige les vérifications d’usage, claironna Vanya sans laisser à la jeune femme le temps de répondre.
- Oui, je suis au courant. Attendez dehors Vanya, je vous prie.

La domestique sortit sans un mot, refermant la porte derrière elle, comme prenant Evadné au piège sous le regard intransigeant de l’Arkanienne. Cette dernière s’était levée et contournait son bureau. Elle posa la main sur un rideau blanc.

- Mademoiselle Publius. Je suis le docteur Lillane Meld. Je vais vous examiner. Je vais vous demander de vous déshabiller, entièrement, et de vous installer ici.

D’une main, elle écarta le rideau. Une table d’auscultation, dotée de deux étriers relevés en hauteur, fut révélée juste derrière.










- Hum… Ma-majesté ?
- Mmh-mmh ?

Emalia avait raccompagné Véragan jusqu’au hall, un Jonas livide sur ses talons. Puis ils étaient restés plantés là après l’avoir salué, entre les magnifiques colonnes de l’entrée, le temps que la souveraine baignée par la lumière qui s’engouffrait entre les hautes portes du hall ne pût plus scruter la silhouette du Ministre Publius qui s’effaça entre les carrures d’une délégation déjà de retour vers l’astroport. Puis elle avait continué à scruter l’horizon, les bâtiments de la ville qui s’élevaient sous un ciel sans nuage, plongée dans ses réflexions.

Six cent mille. Elle aurait dû demander plus. Elle trouverait des moyens plus tard de toute façon. Véragan aurait bien des occasions de mettre la main au portefeuille. Et d’ailleurs…

- Majesté, pour les… Les cours de rapière, justement…

Emalia détacha son regard de l’horizon pour faire face à son neveu. Celui-ci avait retrouvé des couleurs. Il était devenu rouge et sur ses cheveux un épi en forme de pointe s’était formé sur le sommet de son crâne – résultat de son effondrement dans le salon, certainement.

- Quoi donc ?
- C’était… C’était juste pour l’excuse, ou… ?
- Bien sûr que non, Jonas, le coupa Emalia sur un ton hautain, et elle se mit à épousseter le veston du jeune homme au-dessus des épaules. Ne comprenez-vous pas la faveur que je suis en train de vous faire, le destin que je suis en train de vous bâtir ? Vous êtes en train d’entrer dans la noblesse, mon cher neveu.
- Oh.
- Pour pouvoir écrire l’histoire de la noblesse d’Ondéron, il ne faut pas qu’un teint de porcelaine et un joli minois, voyez-vous ? Il vous faudra affronter des créatures bien plus retorses que les quelques vermines du Sénat à qui vous avez jusqu’ici eu affaire… Et il vous faudra donc toute l’instruction nécessaire. Et cela comment par savoir tenir une rapière et s’en servir, voyez-vous ? Vous commencez demain votre entraînement. J'ai fait venir un professeur très réputé spécialement d'Anaxès pour ça.
- Vous voulez dire que… J’aurais des duels à faire ? Des gens vont… peuvent m’attaquer ?

Emalia lâcha le veston, laissant ses bras retomber le long de son corps avec une moue lasse.

- Jonas, Jonas, Jonas. Si on vous attaque, faites-moi plaisir : sortez votre blaster. Les duels, c’est pour le jour où vous serez confronté sur d’autres plans plus… symboliques. Vous comprenez ?
- Heu…
- Bon, ce n’est pas grave.
- Et les rupings, alors ?
- Oui, les rupings aussi, vous apprendrez à les monter.
- Symboliquement, ou pour de vrai ?

Emalia poussa un soupir, fit un geste pour lui intimer de laisser tomber avant de tourner les talons pour retourner vers les entrailles du palais.

- Allez vous vêtir pour une visite en extérieur, Jonas. Je vais aller chercher votre future épouse pour une petite balade, afin de lui montrer un peu… Notre environnement.








Elle aurait pu dire, « son futur environnement », même, si tout allait bien. Que tout aille bien signifiait pour Emalia une première chose sur une petite liste qu’elle avait soigneusement préparé en son for intérieur. La vérification de cette première chose serait au demeurant un peu désagréable pour la jeune Publius mais elle avait été dépeinte comme obéissante et intelligente à la fois, aussi la souveraine s’attendait-elle à ce qu’Evadné comprit les enjeux et se soumît à l’examen gynécologique du docteur Meld.

Lorsqu’Emalia entra dans le bureau de cette dernière, ce fut sans frapper – la Reine s’embarrassait rarement de ces futilités dans sa propre maison. Fort heureusement, cependant, l’Arkanienne en plein examen avait remis en place le rideau derrière lequel elle avait disparu avec la jeune Evadné Publius, et la souveraine se contenta donc de croiser les bras en restant plantée non loin du bureau pour s’adresser au rideau lui-même, aurait-on dit.

- Alors ? dit-elle d'une voix forte. Vos conclusions sont-elles positives, docteur Meld ? Je doute que cette jeune demoiselle ait tellement envie de rester encore des heures entre vos mains.
Evadné Publius
Evadné Publius
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Evadné avait l’habitude du monde médical. Derrière un côté du rideau seulement. Elle avait docilement suivi Vanya frappée par un état second. L’incompréhension martelait ses tempes et l’empêchait de réfléchir correctement à la situation. Son père venait de l’abandonner sur une planète dont elle ignorait principalement tout, si ce n’étaient les grandes lignes qu’on lui avait inculqué lors de ses cours de géopolitique républicaine. Le palais lui semblait trop étranger, prêt à prendre vie pour l’avaler et la digérer. Elle avait peur d’en ressortir métamorphosée. L’annonce de ses noces prochaines n’avait encore provoqué aucune réaction de révolte. Et les murs blancs qui la jugèrent quand elle s’installa sur la table d’examen ne firent aucun commentaire sur sa pâleur.

« - Si vous me disiez ce que vous souhaitez ausculter, docteur, je pourrais vous renseigner » avait poliment proposé la blonde, les deux fers à l’air, mal à l’aise dans cette position qu’elle avait pourtant tant de fois imposée aux patientes. Le métal glacé du droïde d’assistance et les gestes assurés mais secs de Meld avaient répondu à sa suggestion et elle comprit qu’il lui faudrait garder le silence tout au long de cette longue et pénible auscultation.


Elle se borna à fixer le plafond pour déceler des éléments de réponses, cillant de temps à autre quand un examen nécessitait des vérifications plus intrusives que d’autres. Le bip irrégulier des monitorings lui parvenait d’un autre monde. Elle avait l’impression d’être sourde à la réalité et de nager dans un rêve oppressant. Alors, elle songea aux poèmes reçus, à cet admirateur inquiétant; au choix de ses mots et de ses fleurs. Elle concentra ses esprits sur cette enquête secrète dont elle n’avait parlé à personne et qui agitait la routine plate de son for intérieur. Sa concentration repoussa l’échéance de sa future chute brutale. Meld sembla faire un commentaire. Sa voix s’évapora dans l’air pour assourdir les oreilles de Publius.

« Elles sont positives, Votre Altesse »

Le médecin se déganta et la table d’examen ploya automatiquement de manière à ramener Evadné sur terre. Elle sentait ses jambes cotonneuses et fit un effort pour ne pas basculer. Malgré sa fragile apparence et ses airs trop naïf, une dignité rigide bandait discrètement ses muscles, permettant à son esprit d’ordonner à ce corps épuisé par les émotions. Ses yeux étaient grands ouverts, profonds, et avaient parfois des éclairs qui leur donnaient une beauté surnaturelle, en transformant complètement sa figure, qu’ils éclairaient de leur douce et tendre lumière. Ils se posèrent sur la silhouette royale qui avait surgi une fois le rideau rétracté. Le docteur Meld terminait de consigner son rapport sur un datapad.

« Mademoiselle n’a jamais enfanté. Je dirais qu’elle a connu un ou deux rapports dans sa vie. Son Excellence Kira-Tessin ne devrait pas avoir trop de difficultés; les résultats concernant sa fertilité sont encourageants, et plutôt excellents lorsqu’il s’agit de la race humaine

Elle déglutit, abrutie par tant d’indécence et surtout par tant d’indiscrétion au sujet de sa vie si intime. Elle occupa ses mains tremblantes sur l’ourlet de sa robe élégante, remettant les coutures en place afin de chasser le souvenir détestable de son examen. Le docteur Meld s’éclipsa dans une pièce adjacente après une courte révérence protocolaire vers sa Reine. Evadné sentit un poids la quitta quand le médecin disparut, mais il demeurait le regard impressionnant d’Emalia.

« Sans vouloir vous manquer de respect, Votre Majesté », osa-t-elle enfin d’un ton qui se voulait docile, mais questionneur. « Monsieur Kira-Tessin n’avait pas l’air au courant des ambitions que mon père et vous-même nourrissiez à notre égard. Non pas que je ne sois pas ravie d’être ici. Ondéron est une planète charmante. »

Le qualificatif charmant trahissait bel et bien son ignorance sur le sujet.

« Mais peut-être qu’il y aurait pu avoir, d’autres candidates, plus adéquates, à ce poste pour lequel vous me destinez ? En réalité, j’avais postulé auprès de votre délégation au Sénat afin d’assister Monsieur Kira-Tessin. »

Elle ne se remémorait pas avoir envoyé sa candidature pour autre chose qu’un poste d’assistante.

« Même si je ne me permettrai pas de contester vos décisions, bien évidemment. Je n’ai pas vraiment de sang royal qui rendrait une telle union légitime. Je crois qu’il est habituellement préférable que ce soit le cas ? »
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