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La Nuit des 6 Lunes

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"C'est encore loin ?"

Il avait tout un barda sur le dos qui pesait au moins 3 tonnes, si on lui avait demandé, et suivait d'un pas d'escargot, si les escargots avaient des pieds, son vieux maître au travers de la Jungle-Mère. Alors oui, Ithor était magnifique, Ithor était splendide, Ithor était tout ce qu'on voulait, mais crapahuter depuis le matin dans cette jungle humide et chaude avec ce qui semblait être un âne mort sur les épaules en faisant attention de ne rien écraser de fragile, c'était... Epuisant...

Pour la 147ième fois, Raimee avait compté, Sevel'he Ean s'arrêta net devant l'émoustillement de la naisance d'un lierre qui sortait à peine de terre et de ses bouches sortirent tout un flot de sifflement presque inaudibles. Si pour les 13 premiers arrêts botaniques intempestifs, Raimee avait montré un peu de curiosité, là, il se contenta de contrôler sa respiration, fermer les yeux et faire le point sur sa propre santé. Il n'y avait pas un seul endroit sur son corps qui ne le faisait pas souffrir, sa bouche était aussi sèche qu'un désert Hutt et il n'osait même pas se demander à quoi pouvaient bien ressembler ses pieds bien que la marmelade aurait pu tout à fait affiner son analogie.

Les deux compères reprirent enfin leur route et s'arrêtèrent enfin pour la dernière fois au beau milieu d'une clairière splendide, bordée par la jungle donc mais surtout par des falaises verdies qui plongeaient net vers l'Océan que faisait scintiller Ottega comme des milliards de lucioles qui se baignaient à la fraîche. Ean était clairement aux anges face à ce spectacle mais Raimee, lui, était vraiment trop épuisé pour admirer quoi que ce fût. Sa seule préoccupation fut de se séparer enfin de cet énorme sac à dos d'explorateur ithorien et de le poser à même les herbes folles. Il se sentit aussitôt très léger et très endolori.

"Ce n'est pas le moment de se reposer, Raimee..."
"Ah bah bravo, tu te décides enfin à m'adresser la parole..."
"C'est la Communion, Raimee. Une tradition ancestrale que je fais à chaque alignement, que mon père a fait, et son père, et son..."
"... Père et son père, et ce depuis la nuit des temps. Même mes obligations avec l'Ordre passent après la Communion. Et je n'ai pas de descendants. C'est pourquoi..."
"... Je t'ai choisi pour reprendre le flambeau. Parmi tous mes anciens élèves, tu es celui que j'ai choisi car..."
"... Je vois en toi la Sagesse nécessaire pour accomplir ce rituel !"
"Un peu de sérieux, Raimee... Tu es le seul que je connaisse qui peut survivre ici..."
"C'est pas faux... Et ca te tuerait pas de dire aussi que je suis ton préféré !"
"Balivernes... Prépare la tente, veux-tu ?"


Une bonne demi-heure passa dans le silence où Raimee puisa dans ses dernières forces pour préparer leur bivouac alors qu'Ean se contentait d'observer l'horizon assis en tailleur. Déjà dans le ciel se dessinaient 4 des Lunes d'Ithor et Ottega semblait plonger inulectablement à la vitesse d'un vieil ithorien en ballade dans l'Océan. La pommade aux herbes sauvages qu'il venait de se passer sur ses muscles commençait à faire effet et Raimee était déjà largement soulagé par tout l'effort physique qu'il avait produit durant cette journée de fou. Ean se dandina enfin vers le "coin cuisine" et sifflota tout du long pour leur préparer un ragoût dont il avait le secret. Au crépuscule, ils dînèrent enfin...

"C'est la troisième fois que nous venons ici tous les deux. Saurais-tu y retourner sans problèmes ?"
"Bah oui... Troisième arbre sur la gauche, au cadavre de biche, je décale un peu vers la droite, et au bout d'une journée de marathon ignoble, quand tes pieds commencent bien à saigner, t'es arrivé..."
"Raimee..."
"Roh, oui, Ean, je saurais y retourner. Mais pourquoi cette question ?"
"Tu le sais, Raimee. Je te l'ai déjà dit. Ne pose de questions que si tu ne connais pas la réponse..."
"Je... Tu... Hummm... On va vraiment parler de çà maintenant ?"
"Il le faut mon jeune Orchide... Est-ce que tu es prêt ?"
"Bah non... Oui... Non... Enfin je veux dire, je sais que tout le monde doit y passer un jour ou l'autre mais... Je sais pas... Par contre me fais pas le coup de crever ici dans deux minutes, steuplé..."
"Bruuuuh... Certainement pas. Ce n'est pas encore le moment. Mais il s'approche à grand pas. Je ne me fais aucun soucis pour toi, malgré ton attitude, la Lumière est en toi. J'ai juste un peu peur que mon décès ne te fasse... Comment vous dîtes ? Ah oui, vriller quelques temps..."
"Sevel'he Ean, maître jedi, a peur pour son padawan. C'est historique !"
"Assumer ses faiblesses et faire avec, c'est la voie que j'emprunte depuis bien longtemps... Je ne suis plus tout jeune, Raimee. C'est une réalité. Combien de temps me reste-t-il avant le Grand Départ ? Je ne sais pas..."
"Autant j'adore ton ragoût autant j'aime pas trop cette discussion, ca me met assez mal à l'aise... T'es en bonne santé, vieux grigou. T'en connais beaucoup des vieux croutons comme toi qui peuvent faire une journée de rando dans la jungle sans broncher ? C'est pas demain la veille que tu vas retrouver tes ancêtres..."


Le maître et son élève rirent de bon coeur mais l'un comme l'autre savait que ce moment fatidique allait arriver un jour ou l'autre. Ean était prêt mais Raimee redoutait l'instant comme rien d'autre dans la Galaxie. Ean était son mentor, son père, son confident le plus précieux et il n'était clairement pas prêt à le perdre. Il savait que le vieux n'était plus au top niveau de sa forme, que ses soucis de santé s'accumulaient comme la crasse dand un très vieux filtre de répulseur mais il n'était simplement pas prêt à vivre sans lui... Etait-ce cela ? L'enseignement dont il lui avait parlé la veille ? Etait-ce pour parler de sa décrépitude qu'ils avaient arpenté la Jungle-Mère ?
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Ottega offrait ses tout derniers rayons et laissait la place aux étoiles mais surtout aux Lunes d'Ithor. Deux autres lunes vinrent rejoindre le Ciel et Raimee s'étonna un temps du spectacle qu'offrait cette clairière perdue au milieu de la forêt. Il n'y avait que les vagues et les bruissements des feuilles comme divertissement sonore, si on occultait les râles plaintifs d'Ean qui tentait de se relever. Debout, les bras croisés, Raimee souriait en voyant son maître se dandiner vers le récif puis finit par s'activer à ranger leur dîner. Alors qu'il remettait un peu de bois sur le feu, il s'arrêta soudainement, semblant flairer quelque chose dans l'air avec ses nasaux dilatés, puis chassa ce sentiment bien vite pour retrouver son maître.

Ean était en tailleur, déjà en pleine méditation. Déjà habitué à ce qu'était la "Communion" et comment réagissait Ean si on osait le déranger, Raimee ne dit rien et s'apprêta aussi à se mettre en tailleur, à ses côtés...

"Que fais-tu ?"
"Bah comme d'hab... Je te rejoins dans ta "méditation" et j'attends 5 minutes que tu te mettes à ronfler comme un bantha pour aller me balader à la fraîche !"
"Oh vraiment ?"
"Wow ! Wow ! Wow !"

Tous ses sens étaient en éveil, sa chair parcourue de frissons. Raimee eut à peine le temps de rouler en arrière qu'Ean lui crochetait déjà la jambe avec son bâton de randonneur, aussi rapide et dextre qu'un félin en chasse. Raimee trébucha lourdement dans les herbes, se releva doucement, le sourire comme happé par un hameçon sur sa joue. Face à la falaise, les deux jedi se jugeaient, souriaient et retiraient encore plus doucement leur bure traditionnelle. D'une main délicate, Ean se mit en position de combat alors que Raimee se chauffait les épaules en les roulant dynamiquement.

"Alors çà ! Je croyais que cela n'arriverait jamais..."
"Mon jeune Orchide... Bienvenue à toi pour ta troisième et dernière leçon !"
"Yes !"
"Bien, excellent ! Alors commençons !"


Et Ean ne plaisantait pas. Du vieil ithorien qui basculait lourdement pour marcher, il passa à cette espèce de loup intrépide et terriblement agile. Il ne lui fallut qu'une demi-seconde pour attirer à lui son propre sabre d'une main, celui de Raimee dans l'autre et asséner ses premiers coups. Le fougueux padawan se contenta de bouger habilement sur le côté, puis en arrière, dans une danse improvisée. Mais alors qu'il croyait avoir esquivé les coups de son maître, ce dernier se mit à improviser à son tour et déferla sur lui un tonnerre de vrombissements éclairés par les lasers de ses sabres. Tournoyant à même le sol, à la manière d'un danseur de hip-hop contemporain, Ean n'épargnait pas son padawan. La douleur de cette longue escapade dans la forêt, l'assiduité et le tempo de son maître lui donnaient du fil à retordre pour esquiver proprement. Si c'était assez facile au début, le souffle lui manquait à présent et l'ithorien ne s'arrêtait pas, il était devenu une moissonneuse-batteuse devenue folle...

Un dernier salto arrière eut raison de son endurance. Raimee était un genou au sol, le visage en sueur, son torse allait et venait plus puissamment que les vagues contre les rochers alentours... Ean l'avait épuisé avec cette randonnée, l'avait retourné mentalement avec cette discussion sur sa propre mort prochaine et tout çà dans le seul but d'éprouver son padawan dans ses derniers retranchements. Ean se releva et pointa dangereusement Raimee de ses sabres lasers, aussi calme et alerte, comme si cet exercice ne lui avait en rien coûté...

Il fallait qu'il se reprît, qu'il trouvât un second souffle et ce, très rapidement. Ean émiettait avec parcimonie ses leçons de combat, mais lorsqu'il le faisait, c'était toujours dantesque. Raimee eut à peine le temps de sauter sur le côté qu'un premier sabre vint se planter à même le sol, puis un second, pile poil entre ses jambes, à quelques centimètres seulement de ce qu'un Jedi tenait coupable de sa dérive vers tout ce qui n'était pas la doctrine Jedi. Les muscles durement endoloris et une roulade arrière plus tard, ses mains tentaient de contrer par la Force un tout nouvel assaut, des jets de pierre qu'Ean déchargeait sur lui comme un lanceur automatique de balles au tennis. Dans ce petit jeu, Ean était le chasseur et Raimee, lui, le faisan qui se faisait canarder...


Il n'était pas de taille à l'affronter, ni sur le plan physique, ni sur le plan spirituel. Mais Raimee avait quelque chose qu'il partageait avec Ean mais que lui seul maîtrisait plus que son maître. La facétie. Les deux étaient blagueurs, aimaient faire des farces mais Ean avait tendance à se déconcentrer et à se mettre à rire bêtement. Si le vieil Ithorien avait une seule faiblesse, c'était bien celle-ci. Alors pour tenter de prendre l'avantage, Raimee se mit à imiter à la perfection un canard tout en évitant les projectiles. Il cancana, battit ses bras comme des ailes et secoua son petit croupion comme il pouvait pour déconcentrer son opposant. Ean eut un petit soubresaut, Raimee pensa que sa ruse commençait à porter ses fruits mais le vieux maître réussit à ne pas exploser de rire en voyant son padawan éviter ses coups de la sorte. Au lieu de céder au rire, il s'abattit en direction du jeune gaillard et se mit à le frapper à coups de poings, grandement aidé par la Force.

Au corps à corps, Raimee avait un léger avantage et se contenta d'esquiver proprement les coups de son maître. Paume sur le thorax et Raimee sentit la Force de son maître l'éjecter radicalement de la clairière... Le jeune padawan réussit habilement à se reprendre puis avança lentement vers son maître qui l'attendait patiemment...

"T'y vas pas de mains mortes, Ean..."
"Je doute que tu sois une menace, même pour mon cadavre, mon jeune Orchide..."
"Ah ! Ah ! Ah ! Très drôle... Je sais ce que tu essaies de faire, Ean. Alors, très bien, allons-y..."
"Il était temps..."

D'un revers de bras assez bref, il fit décoller son sabre vers lui, le rangea aussitôt dans sa ceinture et finit de marcher calmement vers son maître. Ean ferma un oeil, puis l'autre avant de faire la moue avec ses bouches. Impassible, Raimee arriva enfin à destination, le regard plus déterminé que jamais...
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