Karm Torr
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— Salut, inspectrice Thann.

Alors qu’une petite troupe de Padawans évacuait plus ou moins approximatif une salle de classe où un vieux Maître Bothan avait essayé de leur inculquer, sans grand succès, quelques principes du droit des affaires galactique, certains d’entre eux jetèrent des regards envieux à la Miraluka en découvrant qu’elle se faisait familièrement alpaguer par le Chevalier Jedi qui avait attendu à la sortie, adossé à un mur, les yeux fixés sur son datapad.

Pour beaucoup de Padawans, Karm rentrait dans la catégorie des Chevaliers « cool », voire « très cools ». La maîtrise du sabre était généralement un critère fondamental pour accéder à cette glorieuse distinction, ainsi qu’un certain anticonformisme. On gagnait officieusement des points supplémentaires pour le physique. Pour d’autres Padawans, en revanche, Karm était un dangereux illuminé communiste, qui avait oublié d’apprendre à parler correctement, et dont leurs Maîtres leur intimaient de se tenir éloignés, pour ne pas risquer d’être corrompus par des idées révolutionnaires et une syntaxe de voyous.

— On a un rendez-vous.

L’Ark-Ni rempocha son datapad. Cela faisait deux ou trois jours à peine que Thann était devenue sa Padawane et ils avaient passé beaucoup de temps dans les salles d’entraînement, dans les jardins du Temple et dans les couloirs de l’ExploCorps, dont la Miraluka avait pu découvrir, de visite en rencontre avec les spécialistes, les différentes activités. Un début d’apprentissage dans le calme, donc, mais, comme l’avaient prévenue certains de ses camarades, parfois avec inquiétude, parfois avec envie, le calme n’était pas exactement la principale caractéristique de la vie du Chevalier Karm Torr.

Il laissa la demoiselle saluer ses amis avant de l’embarquer à sa suite dans les couloirs du Temple.

— Ceci soit dit entre nous, et j’avouerais pas même sous la torture, mais j’ai jamais capté un seul mot des cours de Maître Valuk.

Le fameux juriste bothan, donc.

— Après, ça a peut-être un rapport avec le fait que j’étais pas, non plus, super attentif…

La politique, la diplomatie, le droit, les négociations internationales, l’économie, tout cela était un univers qui lui échappait, alors même qu’il constituait une partie essentielle de l’activité des Jedis. Il avait bataillé pour en maîtriser les rudiments et passer ses épreuves de chevalerie, mais il accusait tout de même en la matière un retard notable que les patientes explications de Luke s’efforçaient de combler, au fil des mois.

— J’ai croisé ta pote, la Togruta, là, ce matin, dans les couloirs. Elle m’a jeté un regard, j’te jure, les scanners d’astroport, c’est moins inquisiteur.

Il n’avait pas l’air de s’en formaliser au demeurant. Il imaginait bien que la nouvelle relation de Thann devait susciter la curiosité de ses amis, et c’était tout naturel.

Quelques minutes plus tard, les portes de l’aile médicale s’ouvraient devant eux. Karm laissa à leur droite les salles de soins pour s’engager dans la section administrative et, après une volée de marche, il frappa à la porte d’un bureau sur laquelle une plaque gravée indiquait « Chevalier Lok-Minh, maître-apothicaire ». Une voix féminine les invita à entrer.

— Ah, Karm, s’exclama Lok-Minh, une Kilik de six mètres au moins, dont le long corps aux innombrables pattes s’enroulait autour des pieds de son bureau.

Quoique son apparence pût paraître rebutante, son aura dans la Force trahissait une jovialité bonhomme.

— Et, euh…

Ses yeux aux innombrables facettes se posèrent sur Thann.

— Thann Sîdh, ma Padawane. Thann, la Chevalière Lok-Minh, maître-aphoticaire du Temple d’Ondéron.
— Une Padawane ? Oh oh ! Bienvenue, bienvenue. Vous avez écopé d’un maître particulièrement turbulent, ma chère, s’enthousiasma Lok-Minh, avant de faire résonner dans le bureau une série de cliquetis qui devaient constituer — probablement — une sorte de rire.

D’un geste de l’une de ses pattes principales, elle les invita à s’asseoir sur les deux sièges qui ne servaient qu’aux invités.

— Qu’est-ce que j’peux faire pour mon apothicaire préférée de toute la Galaxie ?
— Des rapports plus détaillés, répliqua-t-elle d’un ton taquin.
— Hmm.
— J’ai aussi une requête plus réaliste. On est à court d’alycine.
— Comment ça, à court… ? J’ai ramené des échantillons et des semences.
— Et on les a plantées avec beaucoup de diligence dans le jardin de simples, mais elles ont mal réagi à la proximité des autres plantes et elles sont toutes mortes. On essaie de cultiver le reste des semis en isolation, mais le résultat n’est guère probant. Ce n’est la faute de personne.
— J’comprends, j’t’accuse pas ni rien, t’inquiète.
— Du coup, on aurait besoin d’alycine et du reste, ce qu’il y a autour. Pour se faire une idée de l’écosystème.
— L’alycine, c’est une plante qu’on a trouvé…
— Qu’il a trouvé, précisa Lok-Minh.
— … sur une planète en cours d’exploration, précisa le Chevalier à l’intention de sa Padawan, et qui permet de faire un puissant anti-inflammatoire pour certaines espèces aquatiques qui résistent aux autres médicaments du même genre.

L’Ark-Ni reporta son attention sur la Kilik.

— Sans problème, on te fait ça.

On, ça voulait dire que Thann venait de gagner un voyage pour une destination très lointaine.

— Tu es un ange, Karm. Bon, j’aimerais te dire que c’est une priorité budgétaire pour nous mais…
— T’inquiètes pas pour ça, L.M., interrompit le Chevalier pour couper court aux excuses de son ami, P36X00 est dans nos priorités exploratoires, je peux monter l’expédition sur notre propre budget.
— Je te revaudrai ça.
— Ma chère Padawane, déclara Karm en se revelant, c’est l’heure de faire ses bagages.
Thann Sîdh
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« Repose toi bien. Demain matin, j’te présente aux gens de l’ExploCorps et on identifiera tes besoins en formation complémentaire, pour nos missions. Et en équipement, aussi. Bonne nuit, ma Padawane et bonnes courbatures… »

L’idée de la douleur à venir arracha un rire cristallin à la jeune fille qui pourtant était comblée. Elle s’inclina profondément devant son Maître et se contenta d’un :

« Bonne nuit, Maître. »

Chaleureux avant de s’évanouir derrière la porte de sa chambre. Une douche glacée plus tard afin d’éviter le pire et la voilà de nouveau devant une tasse de thé, forcée de raconter toute cette soirée à Seïid qui put admirer les enregistrement de Bouteboute.

« Et bien, on dirait que notre petite Miraluka préférée a tiré un sacré lot sinon le gros… Quel corps… On dirait un athlète Zeltro ! »

Et les deux filles de rire et de continuer à parler jusqu’à ce que la fatigue ne les terrasses.

• ◘ •

C’était une réelle épreuve que de sentir la présence de Maître Karm a l’extérieur et devoir pourtant rester pleinement focalisée sur l’économie galactique. C’était le genre de matière où Thann majorait assez facilement, il suffisait d’apprendre et sa mémoire exceptionnelle lui facilitait beaucoup le travail, mais pour ce qui était de l’intérêt… Les enseignants et les intervenants extérieurs ne cessaient de défendre cette idée de l’économie comme une véritable science, les flux de capitaux raisonnés et raisonnables, la bourse un ensemble mathématique logique, quand en réalité, un coup de bluff pouvait suffire à faire paniquer le trader et enflammer la bourse Coruscanti pour des semaines de crises financières dont, bien sûr, les pertes seraient épongées par les petits épargnants où les impôts du citoyen lambda par une réinjection de capitaux publics dans le secteur privé. L’absurdité de tout ce système, basé sur une croyance collective que l’accumulation est un bien et la domination du possédant, laissait au mieux Thann sceptique, dans ses mauvais jours, très critique.

Le lendemain de leur rencontre, les courbatures de la veille avait transformé l’adolescente en robot grinçant et gémissant et ce, malgré la douche froide. Elle avait l’air si mal en point qu’un Guérisseur qui passait là s’arrêta pour lui proposer son aide. Elle refusa, se souvenant des mots de la veille, la douleur est aussi un enseignement et il faut la comprendre, non l’ignorer. Elle n’était pas bien sûre de son raisonnement mais elle s’y tint tout de même, malgré la demande réitérée du Guérisseur qui finit par s’éloigner en la croyant un brin curieuse, certainement. En milieu d’après-midi, pourtant, quand son Maître vint la chercher une fois ses cours achevés, le sourire de ce dernier en disait long sur la conscience qu’il avait de son état. Ils ne croisèrent pas leurs lames ce soir-là.

Maître Valuk acheva son cours, souhaita la bonne journée à chacun et leur permit de vaquer à leurs occupations ce que Thann s’empressa de faire ; si elle n’était pas la première dehors, elle n’en était pas loin, Seïid sur ses talons.


« Salut, inspectrice Thann.

– Maître. répondit-elle simplement en s’inclinant.

– On a un rendez-vous.

– D’accord, je dis au revoir et je vous suis. »

Seïid, qui n’avait rien manqué de leur échange, lui adressa un sourire qui en disait beaucoup trop long pour que la Miraluka s’en sortit sans rose sur les joues. Elles se contèrent d’un signe de la main, d’un ‘on se racontera tout ce soir’ à mi-temps mimé, à mi-temps exprimé silencieusement avec les lèvres, elle promit à Gus Tave – un camarade – qu’elle verrait avec lui dès qu’elle le pourrait à lui réexpliquer la différence entre monnaie fiduciaire et valeur intrinsèque, et la voilà qui suivait, non sans enthousiasme, son Maître, faisant fi des regards curieux qui se portaient sur eux – achevant de confirmer toutes les rumeurs que Thann n’avait pas cherché à alimenter.

« Ceci soit dit entre nous, et j’avouerais pas même sous la torture, mais j’ai jamais capté un seul mot des cours de Maître Valuk. Après, ça a peut-être un rapport avec le fait que j’étais pas, non plus, super attentif…

– Je n’ai pas trop de mal à avoir de bonnes appréciations, je me contente d’apprendre par cœur et ma mémoire ne me trahit pas, mais j’avoue n’avoir aucun goût pour la chose. En réalité, j’ai l’impression qu’on essaye de nous présenter des règles comme immuables, mathématiques et évidentes mais chaque fois qu’il y a crise, comme par magie, on trouve les moyens de sauver les plus fortunés du naufrage en réinventant ces règles qu’on n’avait pas su changé pour améliorer le destin de milliards de personne précédemment… »

Le sujet n’alla pas plus loin et quelques mètres plus loin, le Chevalier ajouta, pour le plus grand trouble de sa Padawan :

J’ai croisé ta pote, la Togruta, là, ce matin, dans les couloirs. Elle m’a jeté un regard, j’te jure, les scanners d’astroport, c’est moins inquisiteur.

– Ah euh… Elle est très gentille vous savez ? Elle ne pensait certainement pas à mal, je vous assure. C’est que… Elle a vu l’état dans lequel j’étais l’autre jour et a vu les enregistrements que je fais de nos séances. Elle vous admire beaucoup. Je crois qu’elle a essayé de saisir tous vos secrets en un regard. Elle est une lame bien plus talentueuse que moi. Elle a un genre de prescience, d’intuition qui me dépasse totalement, elle sait toujours où les gens vont frapper alors même qu’ils l’ignorent encore. Je crois qu’elle aimerait beaucoup vous rencontrer. »

Alors qu’elle terminait tout juste sa phrase, les commentaires de Seïid à propos du physique avantageux de son maître lui revinrent en mémoire si bien que Thann s’assura de garder le regard braqué sur le bout de ses chaussures afin de ne pas faire voir le rose de ses joues.

« …

– Merci, Bouteboute. »

Son fidèle assistant venait de l’informer de l’aile dans laquelle ils venaient de pénétrer, l’écriture au-dessus de la porte étant plane, et bientôt elle put lire par elle-même le nom du Chevalier avec qui ils avaient visiblement rendez-vous. Thann n’eut pas besoin d’ouvrir la porte pour sentir la présence d’une Kilik, doucement lumineuse. C’était incroyable, ils étaient si rares dans la galaxie ! Déjà la journée se présentait comme extraordinaire. Ils entrèrent, elle fut présentée, répondit poliment en inclinant la tête avec respect envers son aînée, sourit quand elle qualifia son Maître de « particulièrement turbulent », écouta attentivement. La nouvelle alluma en elle un nouveau brasier de joie intense, cette semaine était à compter parmi les meilleures de sa vie : elle quittait enfin Ondéron !

« Pour combien de temps partons-nous ? Que dois-je prendre ? Bouteboute peut venir ? »

Les questions se bousculaient et l’état mi-paniquée, mi-enthousiaste de la Padawan indiquait clairement la nouveauté de l’expérience pour elle : elle n’avait aucune idée de ‘comment on préparait ses bagages’ tout en ne désirant qu’une chose : qu’elles fussent déjà faites et déjà en train de s’élever à ses côtés dans une navette pour P36X00 !
Karm Torr
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— Trois jours. Quatre, maximum, je dirais. Viens, on en parle à l’extérieur. À plus, L.M. !
— Et prends soin de la petite, Karm.

Ces guérisseurs, toujours à couver tout le monde. Karm répondit d’un hochement de tête et bientôt les deux Jedis arpentaient de nouveau les couloirs du Temple.

— Embarquons Bouteboute, je vois pas de contre-indication.

Les Ark-Ni avaient de toute façon une faiblesse prononcée pour les droïdes.

— Du coup, tu prends. Sabre laser, médicaments si t’en as, rations de survie, purificateur d’eau, respirateur sous-marin, tente compressée, couverture de survie, corde, vibrolame, tenue de rechange, chaussure de marches, kit de premiers secours, kit de couture. Datapad, comlink, batterie de rechange. Faut pas que ce soit plus lourd que c’que tu es capable de transporter en maintenant un bon rythme de marche. Si y a des trucs qui te manquent, tu trouveras ça dans le service équipement de l’ExploCorps, celui que j’t’ai montré hier.

Ils étaient sortis de l’aile médicale et Karm se retourna vers la jeune fille. Il avait bien conscience que pour elle, c’était une grande première, et à son avis, la mission ne pouvait pas mieux tomber : elle s’annonçait tranquille et sans histoire, une bonne manière de commencer en douceur.

— Si tout ça, c’est trop lourd, tu peux te passer de la corde et des rations de survie, on s’arrangera. Je te retrouve dans le hangar B22, près des vaisseaux de l’ExploCorps, dans genre une heure. Faut qu’je passe voir Luke et que je récupère du matos de prélèvement.

Luke par ci, Luke par là, Karm était donc constamment fourré avec cet autre Chevalier. Un détail qui n’avait pas échappé à tous les Padawans, et dont certains tiraient leurs propres conclusions. Le Jedi adressa un sourire à son apprentie, s’éloigna de quelques pas et se retourna pour lancer :

— Au fait, Thann. À propos de ton amie, là. C’était pas une critique de ma part, hein, juste une remarque. Si un jour elle veut s’entraîner avec nous, elle est la bienvenue.

Et sur ces bonnes paroles, il s’éclipsa.

Une heure plus tard, une navette de l’ExploCorps filait hors des hangars du Temple Jedi, pour bondir dans le ciel d’Ondéron. Les préparatifs s’étaient déroulés sans encombre, comme on pouvait s’y attendre, et Karm s’était vu attribuer un vaisseau qui avait sans doute connu des meilleurs jours mais qui, vu la mission sans histoire qui les attendait, ferait amplement l’affaire. Après être né et avoir passé les premières années de sa vie dans des patchworks mécaniques volants où les pièces antiques se mêlaient au dernier hyperdrive récupéré on ne savait trop où, Karm était du genre tolérant en matière de moyen de transport.

Les données hyperdrive furent promptement chargées dans l’ordinateur central de la navette et, quand ils eurent quitté l’atmosphère, et puis l’orbite d’Ondéron, les étoiles commencèrent à se distordre et le vaisseau s’engouffra dans le tunnel hyperspatial. Un voyage de quelques heures les attendait, le temps de rejoindre l’une des régions les moins fréquentées de la République.

Karm pivota sur son siège pour faire face à Thann. L’enthousiasme de la jeune fille parlait à son cœur d’explorateur. Même après toutes ces années, il comprenait sans peine l’attrait que pouvaient exercer les planètes lointaines, et l’espace infini, et tous les mystères que les unes et l’autre recelaient.

Il pianota sur la console de la navette pour projeter l’hologramme de leur planète de destination.

— OK, donc. P36X00 était pas dans les dossiers que je t’avais envoyés, c’est pas vraiment une priorité. C’est une petite planète d’un secteur désert. Nos calculateurs l’ont identifiée y a quelques années, ça a pris du temps qu’on envoie les premières sondes. Ensuite, je suis allé faire l’exploration préliminaire, sur le continent principal. Climat tempéré, beaucoup de végétation, faune assez riche. Les premiers prélèvements ont pas révélé grand-chose d’intéressant, à part l’alycine, et comme c’est assez de niche, quand même, ça a pas déchaîné les passions.

C’était sans doute l’une des parties les plus ingrates de la vie d’un explorateur. Karm considérait pour sa part que chaque planète était captivante, mais il fallait bien avoir des priorités. L’espace était infini et ni son temps, ni les ressources de l’Ordre ou de la République ne l’étaient. Les dossiers regorgeaient de planètes sans histoire, ou trop excentrées, ou trop petites, qui attendaient qu’un explorateur avec beaucoup de temps libre ou qu’un universitaire républicain avec trop de financements puisse se pencher sur leur cas.

— La planète est placée sous un moratoire d’exploitation par la République. C’est assez standard, comme procédure. C’est une interdiction pendant deux ans d’y effectuer des prospections privées, le temps qu’on puisse déployer des fouilles archéologiques et scientifiques. Généralement, un an passe sans que personne ne trouve le temps d’y aller et puis ensuite, une petite université pas du noyau y envoie une équipe, parce que c’est quand même des terrains nouveaux loin des projets mastodontes des équipes d’archéologie, de botanique ou de minéralogie des grosses facs de Coruscant.

Le monde scientifique, ses institutions et sa compétition étaient infiniment plus féroces que Karm ne l’avait cru avant de rejoindre l’ExploCorps.

— Non on se posera dans une de ces grandes grottes, là, poursuivit-il en agressant une partie de l’hologramme, pour se protéger d’éventuelles intempéries. On a pas de données climatiques complètes sur la planète, mais de ce qu’on en sait, c’est plutôt tranquille. Ensuite, on descend le long du plateau. Dès le bas de la pente, on rentrera dans une forêt assez épaisse, qu’on traversera jusqu’à la rivière, sur les berges de laquelle on trouvera l’alycine. On fait les prélèvements, on remballe, on remonte et on rentre. Qu’est-ce t’en penses ?
Thann Sîdh
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Thann s’aperçut que l’excitation lui avait totalement fait oublié qu’ils n’étaient pas seuls et ne put s’empêcher de s’excuser milles fois auprès du Chevalier qui les avaient accueilli, malgré la bienveillance de celle-ci qui ne cessait de lui répondre que ce n’était rien, vraiment. Une fois dehors, elle écouta avec attention chacune des consignes de son maître et retint la liste de ce qu’il lui faudrait emporter. Effectivement, n’ayant jamais mis un pied en dehors de la planète depuis son arrivée au sein du Temple Jedi et ayant depuis longtemps assimilé l’idée qu’elle ne la quitterait pas de sitôt, elle ne disposait, dans sa chambre, pas de la moitié du matériel exigé.

Les multiples mentions du Chevalier Kayan ne lui évoquèrent rien ; qu’irait-elle pensait de deux Jedi se fréquentant régulièrement quand elle-même était toujours à moins de trois mètres de Seïid ? Par contre, lorsque son maître proposa qu’à l’occasion elle s’entraînât avec eux, une nouvelle micro-explosion de joie se produisit en elle. Il n’y avait plus aucun, aucun doute, elle avait choisi le bon mentor.

Ses préparatifs furent faits au pas de course, elle chargea Bouteboute de communiquer les informations sur son voyage à Seïid, afin qu’elle ne s’inquiétât pas, ainsi que la bonne nouvelle de la proposition du Gardien. Elle s’assura également que son petit droïde prît correctement son bain d’huile ainsi que son bain de produit hydrophobique. Elle troqua sa tenue de Padawan habituelle contre une de sa confection qui, bien qu’inspirée des arts Jedi, avaient été avant tout pensée pour protéger du froid comme du chaud, des intempéries, tout en garantissant, par les nombreuses poches dissimulées, la possibilité de se transformer en caisse à outils vivante. Sinon la tenue, le sabre et quelques médicaments, tout le reste lui fut donné depuis les réserves de l’ExploCorps et en un rien de temps, la voilà, qui se présentait dans le hangar qui lui avait été indiqué, son sac solidement attaché sur le dos, bâton télescopique et sabre à la ceinture. Elle espérait être convaincante dans sa version randonneuse1, le regard simplement mais solidement bandé. Elle identifia leur vaisseau immédiatement, un vieux modèle de Transport de la République qui avait été récupéré et retapé par le Temple, une vraie antiquité, increvable.
Bouteboute sur ses talons, elle suivit de près son maître, se retenant tout juste de sauter partout comme un gizka tant son enthousiasme débordait, et gagna enfin la place du co-pilote. Assise aux côtés de son maître, à sentir tout autour d’elle la navette s’élever, l’élan soudain que prenait sa vie la ravît. Le spectacle du passage en vitesse-lumière se résuma, pour elle, à sentir les moteurs vibrer davantage et à un drôle de guili au centre – elle ne pouvait voir la lumière des étoiles ni les percevoir, lointaines comme elles l’étaient, elle le savait : elle avait enfin quitté Ondéron !

Elle écouta avec attention le briefing de mission du Chevalier mais ne put s’appuyer sur la carte projetée par hologramme.


« Je suis désolée, Maître, je ne perçois pas les hologrammes qui ne sont que de la lumière. Mais Bouteboute peut arranger ça ! Il sait comment trafiquer les projecteurs pour me les rendre perceptibles. »

Avec un sifflement expert et un peu fiérot, la sphère se connecta un instant à la console et l’hologramme vacilla avant de reprendre sa forme première ; si quelqu’un s’amusait à nouveau à passer la main dedans, il sentirait la légère tension d’un courant qui s’était, par la magie de la technologie, superposé à la lumière : cela, Thann était capable de l’appréhender. Elle repéra les grottes, la rivière, le site qui serait leur objectif.

« Le Chevalier Lok-Minh suggérait que le milieu avait son importance dans le développement de l’alycine, peut-être pourrions-nous envisager une extraction sur deux ou trois sites différents, relativement distants, afin d’analyser les différents environnement et de recroiser les données ? En comparant les trois éco-systèmes, nous pourrions en déduire ce qu’ils ont de commun et voir si cela nous permet de régler les problèmes qu’on connut les tentatives pour la cultiver au Temple ?

Cela nous obligerait à établir un camp pour au moins une nuit… »


En même temps qu’elle énonçait cette possibilité, Thann cherchait à identifier sur la carte un lieu propice à l’établissement d’un tel campement. Elle identifia, entre deux sites reconnus pour accueillir de l’alycine, un semblant de colline rocheuse, au milieu de la forêt, coiffé d’une étrange formation de rocs. Au sommet, il pourrait trouvé un refuge inaccessible aux prédateurs – s’il devait y en avoir – et surtout une vue sur l’ensemble de la forêt environnante pour la nuit.

« Ici, nous pourrions planter notre tente, passer la nuit, et nous serions à mi-chemin du second site. »

L’idée de dormir en pleine air sur une planète inconnue la transportait de joie. Bien sûr, elle avait eu l’occasion de faire des stages en pleine nature, dans les alentours du Temple, mais rien de comparable à l’aventure qu’elle s’apprêtait à vivre.


1 Notez que l’image choisie ne représente pas la capuche dont l’ensemble dispose en cas de pluie. En effet, ayant déjà peiné à représenter des manches là où l’image originelle donnait à la madame des épaules nues, l’autrice de ce message n’a pas eu le courage d’une représentation plus fidèle. En conséquence, l’éditeur vous présente ses excuses les plus sincères et espère que le plaisir de la lecture n’en sera en rien affecté.
Karm Torr
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— On peut faire ça, oui, confirma le Chevalier Jedi, heureux que sa Padawane prenne des initiatives.

En bon Ark-Ni, il considérait que toutes les idées pertinentes étaient bonnes à prendre, peu importe le rang ou l’âge de la personne qui les soumettait. C’était une attitude qui s’exprimait harmonieusement avec les préceptes d’humilité de l’Ordre Jedi et, même s’il avait grandi dans un monde infiniment plus hiérarchisé que celui où il avait vu le jour, Karm avait pu ne jamais se départir de ces préceptes.

— Bon, ça te laisse quelques heures pour lire les premiers rapports d’exploration. Moi, j’vais continuer à écrire, en attendant. Enfin, à essayer d’écrire.

Karm avait objectivement de solides capacités intellectuelles, et elles devenaient de plus en plus évidentes, au fil des années, à mesure qu’il mûrissait et qu’il prenait confiance en lui. Mais son esprit prenait des raccourcis peu intuitifs, son air de la synthèse confinait au laconisme obscur et, de manière générale, l’écriture était pour lui un exercice singulièrement difficile. Il avait beau recevoir de l’aide de Luke, le traité continuait à avancer à un train sénatorial.

Même s’il conservait ses expressions impassibles et son calme caractéristique, sa frustration fut perceptible, à travers la Force, dans les heures qui suivirent, et, quand le trajet hyperspatial toucha à sa fin, le soulagement qu’il éprouvait à la perspective de se consacrer sur quelque chose de plus concret ne fut que trop évident. Le vaisseau bondit dans l’espace ordinaire et, bientôt, la planète flottait devant eux, couverte de forêts, de montagnes et d’océans, avec sa lune qui gravitait au loin.

— J’rentre le code d’identification. On a placé un satellite de surveillance en orbite. C’est… plus histoire de, franchement, parce qu’on peut pas dire que ce soit très dissuasif. M’enfin, ça évite d’alerter des gens pour rien.

Karm n’était même pas certain que le bureau qui recevait et traitait les signaux du satellite de surveillance des planètes sous moratoire ait les moyens de prendre des mesures significatives. Mieux valait sans doute ne pas se préoccuper de ces tristes réalités pour l’heure. Luke aurait été indubitablement fier de le voir respecter un protocole dont l’efficacité lui paraissait douteuse. Le code envoyé, le transport jedi entama son entrée dans l’atmosphère.

L’assistance directionnelle était réduite au strict minimum et les stabilisateurs donnaient plutôt l’impression d’être dans un manège de seconde zone pour fête foraine de planètes agricoles que dans un fier vaisseau de la République, mais Karm n’en semblait pas le moins du monde perturbé. Il était loin d’être un Ace Jedi, mais les vaisseaux brinquebalants, ça, en revanche, ça lui connaissait.

Ils finirent par se glisser sans difficulté, si ce n’était sans heurt, dans l’une des grottes prévues. Le moteur fut rapidement coupé et Karm interrogea les données météorologiques transmises par les stations automatisées qu’il avait installées à quelques endroits-clés, lors de sa première visite.

— Vingt degrés, faible humidité, vent modéré.

Un climat printanier, en somme.

— J’te laisse enclencher les systèmes de sécurité passif du vaisseau, au cas où, je vais jeter un œil dans la caverne et à l’horizon, pour vérifier que c’est sans danger. On passe sur comlink.

Le jeune homme fixa le sien à son oreille avant d’enclencher la rampe du vaisseau, pour gagner la caverne. La dernière fois qu’il les avait explorées, elles n’abritaient guère que quelques volatiles nocturnes et de petites colonies de rongeurs, mais mieux valait être prudent. Son regard balaya l’obscurité et il laissa les présences affluer à lui dans la Force puis, satisfait, il gagna le bord du plateau, à l’orée du chemin qui descendait dans la forêt. Ses jumelles militaires parcoururent bientôt l’horizon, puis les frondaisons denses des arbres, sous le soleil du matin. Autant qu’il pût en juger, la planète était fidèle à elle-même.

Le Chevalier pressa son comlink.

— J’t’attends à l’entrée de la grotte.

Quand sa Padawan l’eut rejoint, ils se mirent en marche. Le chemin caillouteux était pratiqué régulièrement par des troupeaux d’animaux sauvages, qui faisaient des transhumances spontanées entre les alpages printaniers et le couvert plus favorable de la plaine pendant l’hiver, mais les passages fréquents n’avaient pas suffisamment lissé le terrain pour que la progression n’en fût pas difficile. Pour Karm, c’était le quotidien, mais l’on était loin des allées de gravier fin, dans les jardins du Temple, ou même des pistes forestières bien balisées de la jungle qui environnait Iziz.

Tout autour d’eux, c’était un monde sauvage, à la fois silencieux et bruyant, c’est-à-dire libre des rumeurs des speeders et du brouhaha des conversations qui s’élevaient invariablement des villes de la Galaxie, mais plein des cris des animaux, des vols des oiseaux, des courses de petites pattes craintives ou audacieuses, dans les fourrés. Parfois, une présence animale s’approchait d’eux et puis, les ayant aperçus ou entendus, s’empressait de rebrousser chemin, peu désireuse de se frotter à des inconnus, qui étaient peut-être des prédateurs.

Après une marche déjà longue, les deux Jedis pénétrèrent dans la forêt.
Thann Sîdh
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Une bonne idée ! Elle avait eu une bonne idée. La gaieté de Thann transpirait par tous les bords et c’est avec entrain qu’elle attaqua la lecture de tous les rapports d’explorations préliminaires qui avait été déjà retranscrit. Données météorologiques, notes sur le relief, sur la composition de l’air, sur les différents climats, sur la faune, la flore, tout lui semblait extraordinaire et remarquable ; sûrement l’effet d’une première fois ? Focalisée ainsi sur sa tâche, elle ne remarqua que sur le tard l’altération de l’aura de son maître, sa turbulence là où, d’ordinaire, elle était si sereine. L’acte d’écrire lui était donc pénible ? C’était curieux, de voir les imperfections de son mentor mais d’en être rassurée, il eût pu, il ne le cacha pourtant pas. Il avait évoqué, lors de leur premier enterrement, la composition d’un Traité des Arts du Combat, était-ce cela qui l’ennuyait ? Elle ne savait trop comment réagir et se contenta d’un sourire qui, à la fois, voulait dire ‘je sais’ et ‘je vous envoie des ondes de courage même si cela ne sert à pas grand-chose’. Elle ne servit pas vraiment lors de la phase d’atterrissage. Les cours de pilotage ne commençaient qu’à partir de seize ans, au Temple, pour qu’à dix-huit ans les Padawans puissent prendre leur envol si bien que Thann qui connaissait la théorie mécanique, était à peu près capable de dire ce qu’il fallait faire, comment l’ensemble fonctionnait, quelle action entraînait la réaction appropriée. Pour ce qui était de le faire par elle-même, elle en était bien incapable.

Alors qu’elle sentait petit à petit le monde se précisait autour d’elle, son maître maniait l’appareil avec toute la finesse que lui permettait l’âge de l’engin. L’excitation de Thann était à son comble et c’était avec beaucoup de peine qu’elle se retenait de bondir partout dans l’appareil comme un gizka sous stéroïde : l’annonce d’une météo des plus agréables paracheva de mettre l’apprentie aux portes de l’exquis.

Elle profita de la tâche qui lui incombait pour essayer de reprendre ses esprits et de prendre une attitude moins… moins… objectivement moins puéril. Elle commença par ralentir sa respiration, recentrer sa concentration, faire le point sur ce qu’ils avaient à faire ici. Pianotant rapidement sur les différents terminaux du transport, elle activa les senseurs, les analyseurs de fréquences radios et les différentes sécurités qui devaient garantir qu’aucun individu non-habilité ne pût pénétrer le vaisseau. Alors qu’elle effectuait un scan des environs, un bip étrange, fugace, résonna. Curieuse, Thann s’approcha de l’écran mais déjà tout était revenu à la normale. Une simple interférence ? Un animal peut-être ? Soit… Elle sentait déjà son maître qui l’attendait à l’entrée de la grotte, elle descendit avec entrain.

Le monde se déployait autour d’elle, inconnu, à la fois saturé et absolument vide. Partout, elle percevait la richesse de la vie qui l’animait, partout, elle sentait l’absence de toute trace de civilisation avancée. Ils étaient, non pas comme dans la Jungle d’Iziz, très littéralement au milieu de nulle part, les seuls êtres pensants à parcourir la surface de ce monde luxuriant. Le soleil jouait dans ses cheveux, son bâton s’était fait bâton de marche pour l’aider à tenir le rythme du Chevalier. Elle le sentait sur la retenue, seul, il eût avancé bien plus vite, mais elle se donnait du mal, de fait, pour le ralentir le moins possible. L’air frais et pure de l’altitude allait et venait en elle, tandis que doucement, la pente les amenait jusqu’à l’orée de la forêt. Autour d’eux, sur le sol rocailleux, des arbres pas bien grands, certains déjà en fleurs. Les odeurs, les sons, tout avait une odeur d’étrangetés et ravissaient ses sens. Pourtant, le souvenir d’une sentence lui revint en mémoire. La douleur ne s’ignore pas, elle se comprend. La première séquence de marche avait déjà été particulièrement longue et maintenant que la forêt se présentait à eux, il lui fallait bien avouer et briser le long silence.


« Maître ? Pour être honnête, et bien que la promenade me plaise, je dois admettre que j’aurais bien besoin d’une petite pause. Pourrions-nous nous arrêter un instant avant de pénétrer dans la forêt ? J’ai besoin de retrouver un second souffle et j’aimerais méditer quelques instants et sentir le monde autour de nous. »

Le besoin n’était pas impérieux et, si besoin était, elle pouvait encore marcher un moment mais rien ne les pressant, elle espérait pouvoir découvrir autant que parcourir.
Karm Torr
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— Oui, murmura Karm en considérant les arbres denses qui s’étendaient désormais devant eux, oui, tu as raison, profitons-en pour prendre un peu de repos.

Apparemment, de sa part, prendre du repos consistait avant tout à braquer ses jumelles sur tout ce qui bougeait et tout ce qui ne bougeait pas, mais, après quelques minutes d’observation, il s’assit sur un rocher pour tirer de son sac des barres énergétiques. Il en tendit une à Thann avant de déballer la sienne, qu’il se mit à mastiquer silencieusement, en observant la montagne.

Il considérait que la nature portait en elle assez de leçons utiles pour qu’il n’eût pas besoin d’y superposer un discours à son avis nécessairement moins instructif. C’était la première mission en extérieur de Thann et cette simple expérience était assez riche. Il n’avait pas besoin de la charger de considérations philosophiques. Le silence suffisait à considérer cette immense révélation existentielle qu’était toujours, aux yeux de Karm, une planète presque ignorée de tous.

La collation finie, il commença lui-même à se concentrer sur ses sensations : sur les couleurs de la montagne, les bruits des animaux, l’odeur des arbres, la sensation du vent sur sa peau, le goût de l’air sur le bout de sa langue, la température. Tout lui parlait à travers les sens et, à travers les sens, il participait à l’expérience du monde, à la Force Vivante qui s’incarnait là ou, plutôt, selon ses conceptions mystiques, qui se déployait à partir de la matière sensible.

Petit à petit, il sentit le vent sur l’écorce de son tronc, l’odeur de la terre au bout de son museau, la pression de la montagne sur ses cristaux. Peut-être qu’il l’imaginait. Peut-être qu’il participait vraiment à ces perceptions étrangères. Pour lui, la distinction était sans importance. La Force était une expérience d’être au monde et de devenir autre. La Force était l’amour suprême, la sensualité suprême, le désir tout entier de la Vie même, ni pure, ni abstraite, mais au contraire toujours…

— Hmm.

Quelque chose.
Là.
Au bout.
Trop loin pour lui.

Après quelques efforts infructueux pour mieux cerner la perturbation lointaine à travers la Force, Karm se résolut à émerger lentement de sa méditation, pour enfin dégainer son datapad et passer en revue les données récoltées par leur vaisseau pendant leur trajet atmosphérique. Rien de remarquable.

Quand il sentit que Thann reprenait pied à son tour, il déclara :

— Y a quelque chose de bizarre avec la planète.

C’était vague, mais il n’avait rien de très précis. Il aurait même été incapable de dire s’ils avaient affaire à un danger ou bien simplement à un détail qui sortait de l’ordinaire. L’Ark-Ni concéda néanmoins :

— Après, y a souvent quelque chose de bizarre avec les planètes. Mais restons vigilants.

Difficile à dire en quoi consistait exactement le fait de rester vigilant, mais, en tout cas, c’était apparemment l’heure de se remettre en marche. Quelques minutes plus tard, ils étaient en effet dans la forêt, et quoique la descente fut moins ardue, la progression n’en était pas plus facile, bien au contraire : aucun sentier à l’horizon, aucune piste, aucun aménagement. Il fallait constamment se dépêtrer des ronces, escalader des racines et éviter un sol spongieux. Pas de toute, l’exploration était une activité éminemment sportive, et le physique de Karm s’expliquait au moins autant par ses randonnées de l’extrême que par sa pratique martiale.

Parfois, le jeune homme se figeait tout à fait et, avec Thann, ils se tapissaient derrière un tronc, pour laisser passer un prédateur, sur lequel ils l’auraient sans doute emporter, mais qu’il eût été superflu d’affronter. Une sorte de boule de fourrure juchée sur des pattes courtaudes, avec une trompe enroulée sur elle-même, paraissait être le maître des lieux, et les deux Jedis en croisèrent plusieurs spécimens.

Deux bonnes heures plus tard, Karm fit la courte échelle à sa Padawane pour l’aider à grimper sur un arbre, avant de se hisser lui-même avec une agilité féline pour s’installer sur les premières branches. C’était l’heure du déjeuner.

— On cuisinera un truc un peu plus fun que les rations de survie ce soir, en fonction de ce qu’on trouve autour du camp, promit l’explorateur, tout en tendant un morceau de sa ration à un volatile à quatre ailes qui était venu se poser comme de lui-même sur son genou, mais qu’il avait en réalité attiré à travers la Force.

Le Gardien se concentra quelques secondes et puis l’oiseau s’envola.

— Est-ce que tu crois que des planètes comme ça, faut y amener des gens pour qu’ils y vivent ?

Question posée de but en blanc, selon la marque de fabrique de l’Ark-Ni, mais qui reflétait une préoccupation fondamentale de l’ExploCorps.
Thann Sîdh
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Sa proposition fut accueillie positivement et peu après, maître et apprentie mangeait tranquillement sur un joli rocher. Un peu d’eau fit passer la sécheresse de la barre riche en énergie, faute d’être intéressante au goût mais soit, dans ces circonstances, il s’agissait d’être efficace et puis le ventre de la Padawane lui en fut gré. Son goûter du milieu de matinée terminé, Thann prit la position du lotus et, à l’exemple de son maître, s’ouvrit au monde autour d’elle.

Elle se concentra d’abord sur son propre corps, les douleurs qu’il ressentait déjà, ces moments où un mauvais pas, un appui maladroit ou un sol instable avait violenté ses muscles. Elle tenta de comprendre cette douleur et l’accepta, elle était en vie. Ensuite, elle s’ouvrit au monde, lentement. D’abord à la pierre qui la supportait, froide, minérale, elle avait presque la rugosité sur la langue, puis, plus bas, l’herbe, les fleurs, caressées par le vent, parcourues par une multitude de vivants qui échappés d’ordinaire à l’attention. Au-delà, la forêt, les arbres, leurs habitants, l’étrange être à fourrure bondissant, l’oiseau au bec étrange. Puis, ce ne fut plus le monde et l’adolescente mais eux, réuni, un. Elle n’était plus étrangère à son environnement, elle était dans, elle était. Dans une grande, profonde et douce respiration, elle revint à la claire conscience des choses et émergea. Moins en harmonie avec la Force, moins sage que son maître, elle n’avait pas perçu ce trouble dont il l’informa.


« Très bien, Maître, je vais être prudente. »

Le sol se fit moins rocailleux, moins âpres, mais s’il se dérobait moins sous leurs pas, il était désormais meuble au possible, résultat de l’accumulation de feuilles et de feuilles, si bien que parfois leurs pieds s’enfonçaient de plusieurs centimètres dans l’humus. En outre, la végétation basse devint un nouvel obstacle et souvent, le bâton de marche devint un moyen d’ouvrir une percée au milieu de ronces autrement impénétrables ; elle ne cherchait pourtant pas à frapper dans le tas et se contentait de les écarter, de les repousser et de se faufiler là où elle pouvait.

Les vivants qu’ils croisèrent furent nombreux, certains hostiles les obligèrent à la discrétion, d’autres fuirent, certains les regardèrent, sous le couvert, passer sans rien dire. La jeune apprentie ne cessait de s’enthousiasmer silencieusement pour tout ce qu’elle découvrait et multipliait les signes à l’adresse de Bouteboute pour qu’il procède à l’analyse et à l’enregistrement de la faune et de la flore locale dont elle ne se souvenait pas avoir vu trace dans les rapports. Le temps qui passait s’imposa à elle davantage par la fatigue causée par la marche que par une véritable conscience des heures qui s’écoulaient. Elle accueillit avec un petit soupir de contentement la pause repas et se hissa souplement dans les branches, prenant appui sur son maître, pour aller trouver perchoir à son goût dans les hauteurs. Installés, dans à mi-chemin entre le sol et les cimes, leurs repas fut de nouveau composé de barres énergétiques.


« On cuisinera un truc un peu plus fun que les rations de survie ce soir, en fonction de ce qu’on trouve autour du camp.

– Est-ce que je passe pour la dernière des pas-dégourdies si je vous avoue que je crois n’avoir jamais cuisiné de ma vie ? C’est un enseignement plutôt absent du Temple… Comment faites-vous pour savoir ce que vous pourriez manger parmi ces plantes sans être malade de ce que vous devriez éviter ?

Ouais, ‘fin, t’attends pas à de la gastronomie coruscantienne non plus, hein. Mais pour repérer le comestible… Déjà, c’est beaucoup de lectures botaniques et mycologiques. La vie est diverse, dans la Galaxie, très diverse, mais y a des règles qui finissent par se dégager. Pas infaillibles, sans doute, mais couplées à un principe de précautions et à la Force, elles offrent plutôt de bons résultats. Ensuite, donc, la Force. Détecter un poison naturel, c’est comme détecter un poison artificiel, un piège. Et enfin, l’observation des autres êtres vivants, en se focalisant sur ceux qui ont des chances de partager des similarités biologiques avec toi. Pour résumer, la base, ce sont les connaissances zoologiques, botaniques et mycologiques, ensuite, l’observation, enfin, la détection de Force.

– De fait, il me reste beaucoup à apprendre encore. » conclut-elle en souriant et en admirant l’oiseau que son maître avait attiré jusqu’à sa main. Magnifique. Lorsqu’il s’envola, il reprit :

« Est-ce que tu crois que des planètes comme ça, faut y amener des gens pour qu’ils y vivent ? »

La question la prenait un peu au dépourvu. Au milieu de tout cette nature, au sein de absence absolu de civilisation, elle n’avait même pas envisagée la chose comme possible.

« Le faut-il ? Est-ce que nous parlons de devoir moral ou de besoin ? Il serait regrettable qu’un tel paradis de biodiversité finissent en une autre Coruscant, en Nar’Shadaa et à la fois… Peut-on laisser des populations dans le besoin sur une planète qui se meurent ? Sont-ils responsables des choix des dominants successifs et… On peut aussi penser aux réfugiés victimes de la guerre qui ont vu leurs mondes ravagés et… La question me semble si complexe. Nous pourrions imaginer une vie en symbiose, non ? On ne peut pas implanter une population sans altérer l’environnement, et à la fois, n’y a-t-il pas la possibilité d’une vie qui ne nuise pas à tous les vivants ? Les images du Sénat et de la Capitale me font… Peur. Je ne voudrais pas que ce monde soit détruit comme tant d’autres. Je pense qu’on ne peut laisser nos prochains dans la détresse, et qui si aucun autre monde déjà habité ne peut les accueillir, il ne faut pas les condamner, si la Force n’avait pas voulu que ce monde fût habité, elle ne l’aurait pas rendu habitable, mais cela ne peut se faire sans le Respect dû à ce monument ciselé par la Force. Mais peut-être ma réponse est-elle trop longue, trop vague, ou trop contradictoire ? Et vous, qu’en pensez-vous ? »

Cela semblait devenir une habitude. Lorsque son maître, laconique à l’extrême, lui posait une question en apparence simple, succincte dans son énoncé, elle s’éternisait et exprimer plus de doute que de certitudes, plus d’interrogations que de réponses. Pourtant, elle appréciait cette dynamique de la question. Pour elle, une réponse éternelle, immuable ne pouvait qu’allait à l’encontre du principe de la vie : adaptable, changeante, innovante, surprenante. Se poser toujours les questions, c’était garder son esprit en mouvement.
Karm Torr
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— J’sais pas trop.

Quand un Jedi prétendait ne pas savoir, il fallait toujours se méfier. Les Maîtres surtout étaient des spécialistes de l’ignorance feinte, Karm l’avait compris très tôt, dans sa jeunesse. Au début, cette attitude l’agaçait. Ces personnes si sages, qui avaient tant vécu et tant réfléchi, devaient bien avoir la responsabilité de fournir aux jeunes générations des réponses solides sur lesquelles bâtir l’avenir. Mais désormais, plus il mûrissait, plus il comprenait cette prudence des plus sages.

— La partie craignos de mon activité… ‘Fin, craignos selon moi, hein, ça dépend des goûts et des couleurs… Mais bon, c’est de témoigner devant des commissions et des sous-commissions du sénat, des comités d’enquête et de prospective des ministères, ce genre de choses. La partie expertise, quoi. Souvent, on envoie quelqu’un de l’ExploCorps plus… euh… moins… Moins moi, quoi…

Il était facile de comprendre en quoi Karm Torr n’était pas le Jedi le plus approprié à parader devant une tripotée de politiciens. Il avait longtemps perdu ses moyens devant les grandes assemblées et si, ces deux dernières années, il avait appris à s’imposer et à faire preuve d’autorité et de conviction, son style de baroudeur et son peu de disposition pour la rhétorique fleurie n’en faisaient pas exactement le témoin idéal.

— Mais bon, des fois, ces gens-là veulent remonter directement à la source. C’est louable. J’suppose. Bref. Une fois, j’étais à un comité d’évaluation du programme de préservation planétaire, et une meuf, docteur je sais plus quoi, m’a posé un peu cette question. Enfin, en plus orienté. Quelque chose comme : est-ce que c’est pas criminel de gâcher ce patrimoine écologique inestimable avec des colonies de peuplement ? Sur le coup…

Karm versa un peu d’eau sur l’emballage biodégradable des rations de survie, afin d’accélérer le processus. Il se décomposerait très vite pour nourrir la flore de la planète. Un geste écologique mais aussi stratégique, qui permettait d’éviter de laisser trop de traces derrière soi.

— Sur le coup, j’me suis retrouvé con. J’ai dit oui bien sûr, la nature c’est beau, enfin, dans ces eaux-là, quoi. J’étais plus jeune et je suis pas toujours très malin dans ces situations. Mais après j’ai réfléchi, j’ai parlé à des gens de l’AgriCorps et je me suis dit que y avait une logique pernicieuse à vouloir reloger les populations déplacées dans le besoin dans de grands ensembles urbains où elles se retrouveraient nécessairement dans une inféodation salariale, alors qu’une colonie de peuplement en milieu naturel, c’est souvent une colonie agricole, où les gens ont la perspective de contrôler les sources de leur subsistance.

Ses expériences avaient les politiciens de Coruscant et d’ailleurs avaient compté parmi les plus amères de son existence, et elles avaient durement ébranlé la confiance qu’il avait en ses capacités. Sans Luke, sans Evran, et sans beaucoup d’autres qui l’avaient formé et guidé, il n’aurait jamais surmonté ces épreuves.

— Du coup… Je sais pas trop. J’pense qu’il y a peut-être une fausse opposition, tu sais ? Parce que souvent, comme tu dis, on pense colonie, on se dit tout de suite : ça va finir comme Coruscant. Comme si Coruscant, et son modèle d’urbanisme, c’était la destinée nécessaire de tout progrès civilisationnel. Mais la vérité, c’est que Coruscant, c’est l’image du progrès tel qu’il s’est figé y a des siècles, au moment de l’urbanisation tout azimut. Aujourd’hui, qui nous dit qu’avec de nouveaux moyens technologiques, une nouvelle conscience sociale, on pourrait pas concilier développement civilisationnel et préservation écologique ?

Pour le coup, c’était une vraie question, qui n’avait rien de rhétorique. Karm n’était pas du tout sûr que cette idée ne relevât pas du greenwashing au pire, et au mieux du rêve naïf.

— Et puis faut bien voir que c’est notre foi qui place dans la valeur dans cette nature. Pour ceux qui la partagent pas, pour ceux qui sont pas sensibles à la Force, tout cela, là, autour de nous, ça peut avoir qu’une valeur instrumentale, et c’est difficile de le reprocher. Mais avec tout ça, j’pense que y a deux choses fondamentales à avoir pour des gens comme nous : la capacité à douter de sa propre action, pour éviter le piège du colonialisme aveugle, et la capacité à rêver, pour donner une direction à ses actes. Le réalisme purement pragmatique, j’ai bien peur que ça conduise toujours à Coruscant.

Jugeant qu’une pause prolongée était nécessaire à leur récupération, Karm enchaîna donc :

— Du coup. Si toi, tu devais coloniser cette planète pour un groupe de réfugiés. Pour créer une société que tu juges idéal. Tu ferais comment ?
Thann Sîdh
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Depuis l’épisode de la cantine, ils n’avaient pas eu vraiment l’occasion d’une réelle conversation comme celle qui semblait se mettre en place. Thann, cependant, se sentait ce jour-ci bien plus à l’aise que ce jour-là si bien qu’il y avait peu de chance que cela se terminât en impasse une nouvelle fois. Plutôt que de répondre immédiatement, elle prit le temps de réfléchir aux paroles de son maître, observa le monde autour d’eux, profita de son air doux et chargés des parfums du printemps. Enfin, elle répondit, sur le ton de celui qui avance dans sa réflexion au fur et à mesure qu’il la verbalise :

« Je pense que, si je devais aider une population à se retrouver un habitat, je commencerais par laisser le choix. Nous parlions de Coruscant, dans laquelle il n’est pas bon être réfugié, mais je pense à des planètes à la densité très peu marquée comme Dantooïne ; pourvu que la population locale soit ouverte à l’idée, la population exogène peut vouloir s’inclure dans un environnement déjà en partie conquis par des êtres rationnels. Enfin, cela étant dit, même pour une planète sauvage, il me semble d’une importance cruciale de laisser d’abord le choix aux populations. Leur montrer différents, sites, différentes planètes, visiter – pourquoi pas – certaines d’entre elles avec quelques émissaires des colons. Il me semble nécessaire qu’un tel projet soit initié par un choix, de la part des colons, de s’épanouir là et nulle part ailleurs, sans qu’on leur impose un lieu.

Ensuite, il s’agit de discuter avec eux, cerner les forces, cerner les faiblesses de leur communauté. Réfléchir à la nécessité de les inclure dans le réseau galactique des routes commerciales connues car, évidemment, ils ne pourront être parfaitement autonomes avant longtemps. Il y a des savoirs-faires, il faut en tirer profit. Il faut aussi, je pense, les encourager immédiatement à un modèle de décision qui soit le plus juste possible. Dans une telle entreprise, on ne peut se permettre qu’une scission éclate entre deux groupes. Décider de tout, tous ensembles, avec un poids égal dans chaque prise de décision, c’est partager les responsabilités, en cas de réussite comme en cas d’échec.

Il faut aussi penser à prévoir une colonie qui corresponde à la culture d’origine de chacun. J’ai vu des images, depuis le début de la guerre, de camps de réfugiés, de tentatives de micro-colonies. Les grandes firmes ou la République mettent à disposition des installations, mais quelles installations ? Généralement de gros pavés de duracier, préfabriqués, dont on ne peut s’imaginer même passer des vacances à l’intérieur tant ils font peine à voir. Les colons, qu’importe la difficulté qu’ils rencontreront dans leur journée, doivent pouvoir, au retour à la maison, se sentir chez eux, en confiance. Encore une fois, il s’agit de les inclure dans la chaîne de décision, proposer plusieurs plans, plusieurs modèles, adapter toujours ces plans à la nature du terrain, aux beautés offertes par la nature sur place ; un modèle architectural qui déjà suggère la symbiose.

Dans ces temps de guerre et de troubles, il faut aussi songer aux risques et de piraterie, et de mobilité de la ligne de front. La distance seule ne suffit pas, parfois, les batailles prennent pour théâtre des lieux inattendues. Donner à la colonie des moyens de protection à la hauteur de ce que ces gens méritent. Un bouclier impénétrable.

Et quand cette garantie du logement et de la sécurité sont assurés, accompagnés ces colonies, former ceux qui ne peuvent plus remplir leurs anciennes fonctions : on voit mal un pêcheur continuer à pêcher au milieu d’une plaine. Donner aussi la possibilité à chacun de changer radicalement son mode de vie s’il le souhaite, toujours par l’intermédiaire de formation et… et même, pourquoi pas, des classes de jeunes, mêlant sensible et non-sensible ? On nous apprend tellement de choses, on ne cesse de nous dire combien nous devons protéger notre prochain, l’accompagner, l’aider et finalement, de toute ma vie, je n’ai côtoyé que des Jedi. Cela me semble un peu curieux… Faire bénéficier à tous de nos enseignements, il y a pléthore de techniques et de sciences qui ne nécessitent pas qu’on soit sensible. Enfin… Je crois que je me suis perdue dans le fil de ma pensée et je ne suis pas sûre d’avoir répondu correctement à votre question, maître.
fit-elle avec un sourire gêné. Finalement, je dirai que, selon moi, une colonisation réussie doit mettre au cœur de son fonctionnement le choix de chacun, le respect de l’environnement qui l’accueillera et la sécurité du processus. Les colons doivent nourrir l’espoir d’un lendemain paisible, sans quoi, leurs jugements s’en trouveraient biaisés par la crainte et la crainte n’a jamais été un moteur très épanouissant pour une société. »

Après cette tirade en n’en plus finir, Thann but une longue gorgée d’eau. Elle avait tant d’idées, tant de pensées à s’être éparpillées dans son esprit. Les lectures s’entassaient et soudainement, elle prenait conscience qu’elle avait passé beaucoup plus de temps à apprendre, à accumuler la connaissance qu’à mettre en forme celle-ci. Connaître, ce n’était pas simplement connaître les procédés qui avaient permis le succès de la restauration de Télos. Connaître, c’était avoir réfléchi, mûri, peser chacun des choix qui avaient été faits, saisir chacune des motivations et des fins, songer aux erreurs commises, comprendre le cadre qui avait permis les réussites. Lorsqu’elle se trouvait à devoir formuler ainsi ses idées, elle se sentait encore terriblement enfant, terriblement ‘la bonne élève’, elle désirait vivement devenir autre chose, pousser plus loin. Une idée fusa, une certitude même :

« Je crois que j’aimerais beaucoup participer à ce genre d’initiative et, par-dessus tout, dessiner les plans de ces colonies, avoir l’occasion d’aider ces gens à retrouver un foyer où s’épanouir. Voir des familles, des enfants… heureux. »

Non pas qu’elle ne voyait d’ordinaire que des gens malheureux, bien au contraire, mais l’éducation au Temple était largement basé sur un déracinement des Padawans du monde. Finalement, ce monde ne lui était pas moins étranger que tous ce qui se trouvaient en dehors du Temple Jedi d’Ondéron.
Karm Torr
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Karm hocha la tête de temps en temps, alors que sa Padawane faisait le récit de sa méthode idéale. C’était un exercice nécessairement un peu frustrant, parce qu’après avoir rêvé, il fallait revenir à la réalité, et constater tout ce qu’il manquait au monde pour être parfait, mais Karm continuait à le croire nécessaire. Il y avait un temps pour être visionnaire et un temps pour être pragmatique, et l’idéalisme devait toujours précéder l’action, sans quoi il n’était jamais efficient et se cantonnait toujours à l’ordre des regrets.

Avec un sourire dont la douceur était un peu mélancolique, il finit par dire :

— Je suppose que tu imagines le genre de réponses qu’on reçoit quand on dit tout ça.

Que l’argent ne poussait pas sur les arbres, qu’il y avait urgence, que les gens ne pouvaient pas attendre de visiter quinze planètes pour reprendre leur vie, qu’il fallait parer immédiatement au plus nécessaire, que l’armée ne saurait être partout, qu’on ne confiait pas des armes à des civils. Tous ces arguments, Karm les entendait et les comprenait, mais ils n’en étaient pas moins douloureux.

— Des réponses qui sont pas inintéressantes non plus, parce qu’on compose avec le réel, pas avec nos rêves, mais il faut juste tenir à ses rêves, pour ne pas se laisser convaincre par les autres qu’ils sont futiles. Quand on constate qu’un projet est irréalisable immédiatement, c’est qu’il faut travailler sur ses conditions d’existence d’abord, pas qu’il faut l’abandonner.

Et entre-temps, il fallait bien composer avec la réalité des réfugiés. Karm aimait croire qu’un jour la guerre prendrait fin et que les ressources considérables qui y étaient engagées pourraient servir à assurer un vrai développement sociétal et économique pour les populations déplacées, à défaut d’un droit de retour que des frontières nouvelles rendrait fatalement très théorique.

— En tout cas, on ira voir toi et moi des camps de réfugiés et des colonies de repeuplement, à différents stades de développement. Ces derniers temps, c’est hélas une de mes missions prioritaires. Tu te rendras compte que tout n’est pas que préfabriqués hideux en duracier, même si ça reste souvent une réalité incontournable. Y a des choses très bien qui se font, mais on peut certes pas dire que ce soit systématique.

Karm jeta un coup d’oeil au bracelet numérique à son poignet, dont il avait réglé l’horloge sur les données astronomiques de la planète.

— On a encore quelques heures devant nous avant la nuit.

Lumière ou obscurité, pour sa Padawane, ça ne changeait certes pas grand-chose, mais les températures ne manqueraient pas de chuter un peu, et lui n’était pas nyctalope, même si ses yeux pouvaient laisser penser le contraire.

— Si on veut atteindre la colline, mieux vaut se remettre en route.

Sac refermé, il sauta souplement au bas de l’arbre, aidé par la Force. Une fois Thann à ses côtés, le Jedi se remit en route. À l’approche de la colline, un sol peut-être plus ingrat rendait la végétation moins dense. Le vent était tombé et, avec l’exercice, la chaleur de l’après-midi devenait presque pesante, même sous le couvert des arbres mais, à force de persévérance, les deux explorateurs parvinrent sur les petits contreforts rocheux suggérés par Thann dans la navette, et qui offriraient un excellent abri contre les intempéries.

Après avoir examiné par précaution les environs, Karm s’occupa de dresser la tente, en laissant sa Padawane se reposer. C’était une chose de lui imposer un rude exercice physique, c’en était une autre de l’épuiser sans raison. Une fois la tente solidement fixée contre la roche, les balises d’avertissement soigneusement disposées aux alentours, le jeune homme se redressa pour considérer la forêt.

— J’ai repéré quelques buissons sur notre passage. On va déterrer des racines aussi. Et essayer de trouver la rivière, pour boire et se laver.

Ils avaient bien des réserves d’eau mais avec une ou deux heures du jour devant eux, il était inutile de gaspiller. Après une pause salutaire, ils redescendirent donc dans la forêt, allégés de leurs sacs. La carte topographique projetée par hologramme au-dessus du bracelet de Karm les guida jusqu’à la rivière.

— OK, ça, c’est fait. Maintenant, trouve un buisson avec des trucs qui te paraissent comestibles, et essaie de saisir ce que la Force te dit. Comme si tu cherchais un piège ou une mauvaise intention. Une autre manière de faire, j’trouve ça moins intuitif, mais on sait jamais, c’est de partir du principe que c’est pas comestible et de tenter de le guérir… Comme pendant les guérisons à travers la Force, tu cherches les principes nocifs et tu les combats. Et là, tu cherches, si tu trouves, c’est que c’est pas comestible, si tu trouves pas, c’est que ça l’est. Probablement.

Voilà qui était rassurant.
Thann Sîdh
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N’était-ce pas à cela que devait servir leurs prospections ? A déceler en avance le potentiel de chaque système afin de prévoir en amont la possibilité d’un relogement rapide de population dans la détresse ? La question de l’argent lui avait toujours paru outrageusement grotesque : l’argent était créé et géré par les Etats. Comment pouvaient-ils en être à court ? Comment pouvaient-ils sérieusement considérer qu’il était ‘pire’ d’imposer à un multi-milliardaire de se séparer d’une part de sa titanesque fortune pour reloger des gens dans le besoin plutôt que de laisser vivre et mourir ladite population dans des circonstances abominables ? Alors oui, elle entendait ses arguments mais non, elle ne les comprenait pas et, surtout, elle ne comprenait pas la position de l’Ordre Jedi sur cette question. Pourquoi, face à un tel déni de justice, rien n’était fait ?

Enfin… L’idée de pouvoir participer à cette noble entreprise écarta le trouble de la jeune fille qui adresse à son maître un large sourire : qu’importe le labeur, elle s’y adonnerait avec ardeur. Elle savait son tableau un peu pessimiste, elle se faisait une joie de découvrir une réalité moins triste. La conversation s’arrêta là, il s’agissait de rejoindre le lieu du campement dans les temps et donc de ne pas traîner. Ils descendirent l’un et l’autre de l’arbre, sinon avec la même grâce du moins avec la même souplesse, et la marche repris.

La pente se fit plane, puis ondula. Parfois, le sol semblait droit mais Thann sentait dans ses cuisses le tour joué par les distances ; ils étaient bel et bien en train de monter. Aux abords de la colline, la végétation moins dense et le sol moins meuble leur permirent d’avancer un peu plus vite, quoique sur un déniveler nettement plus important. La carte était juste, au sommet de la colline, une immense formation rocheuse surplombait l’ensemble de la forêt, étrange trône pour géants imaginaires. Escaler l’édifice ne fut pas bien difficile mais, arrivée en haut, son maître n’eut pas besoin d’insister pour que Thann se reposât tandis qu’il montait la tente : elle était rompue. La pause fut salvatrice.

Redescendus de leur nid de pierre, le Chevalier Karm avait visiblement dans l’idée de saisir


« OK, ça, c’est fait. Maintenant, trouve un buisson avec des trucs qui te paraissent comestibles, et essaie de saisir ce que la Force te dit. Comme si tu cherchais un piège ou une mauvaise intention. Une autre manière de faire, j’trouve ça moins intuitif, mais on sait jamais, c’est de partir du principe que c’est pas comestible et de tenter de le guérir… Comme pendant les guérisons à travers la Force, tu cherches les principes nocifs et tu les combats. Et là, tu cherches, si tu trouves, c’est que c’est pas comestible, si tu trouves pas, c’est que ça l’est. Probablement. »

Présenté ainsi, cela avait l’air d’un enfantin déconcertant. Cependant, si en théorie Thann avait déjà pratiqué la Guérison, elle n’en était resté qu’aux balbutiements pratiques. S’il s’agissait de suivre son instinct, d’écouter la Force, peut-être s’en sortirait-elle mieux ? Se plongeant dans une sorte de méditation somnambule, elle se contenta d’aller dans la direction dont elle sentait qu’elle était ‘la bonne’, jusqu’à atteindre un arbre, non un buisson, dont elle commença par toucher l’écorce. Elle étendit sa perception, écouta la Force aller et venir en lui, se concentra sur ses fruits. Bien caché au creux d’une coque, elle sentait le potentiel de ce cœur. Les branches, très hautes, ne lui laissaient pas vraiment l’occasion de tendre la main pour se saisir des fruits si bien qu’elle attira un à un tous les fruits qui lui semblaient mûrs, par la Force. Concentrée sur sa tâche, elle ne sentit la menace qu’à la dernière minute et, avec justesse, elle fit un pas de côté pour éviter la charge du monstre.

Trapu, poilu, une corne sur le front et une sur le nez, la bouche écumeuse, l’air refrogné, le museau entre le groin et l’incongru. Visiblement, Thann avait choisi son arbre préféré, cela expliquait tout à fait les marques sur le tronc qu’elle comprenait maintenant être le résultat de coups de cornes répétés. La Padawan, bien qu’alerte, n’activa pas son sabre. Elle fit un geste vers son sac, doucement, pour tenter de le reprendre et de quitter tranquillement les lieux mais immédiatement, son hôte se tendit. Elle n’avait pas trop le choix, il lui fallait tenter de l’apaiser. D’un claquement de doigt, elle fit comprendre à Bouteboute qu’il devait aller prévenir son maître, le petit droïde s’éleva et fila, trop rapide pour l’animal et de toute façon, inintéressant. Ensuite, elle tendit la main vers lui, lentement, et glissa lentement, par la Force, son esprit vers lui. D’abord effrayé, l’animal se débattit un instant avant de s’apaiser…

Thann, alors qu’elle pensait le danger écarta, défit son emprise et attrapa son sac. Cependant, le féroce n’en avait pas fini avec elle et, sitôt qu’il sentit la présence disparue de son esprit, chargea de toute sa puissance la Miraluka. Un bond leste, aux ressources puisées dans la Force, permit à la Padawan d’échapper à son agresseur. Celui-ci s’obstina et chargea le tronc, encore, encore, l’entailla. Il ne semblait pas vouloir partir tant qu’elle serait encore là à menacer son arbre à lui tout seul.

Bouteboute revint, derrière lui le Gardien. Thann lui fit signe, de son perchoir, et se contenta avec un sourire un peu gêné.


« J’ai essayé de lui faire comprendre que je n’étais pas si vilaine que j’en avais l’air mais je crois qu’il ne m’a pas cru. »
Karm Torr
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Accroupi près du courant indolent de la rivière, Karm réalisait les quelques tests que le matériel de voyage lui permettait. L’eau était potable, mais les pastilles de purification développées par l’ExploCorps seraient probablement une prudence bienvenue. Rien de moins poétique qu’une exploration qui se terminait en diarrhée collective. Le jeune homme se redressa pour considérer l’autre rive. Il n’avait plus rien senti d’étrange, pendant leur longue marche, ce jour-là, et il commençait à se demander si, le matin même, son imagination ne lui avait pas joué des tours.

Après s’être promis de consacrer une méditation vespérale à la recherche de toute singularité dans la Force, il s’apprêtait à partir exhumer quelques racines quand une Bouteboute tout tourneboulé vint lui biper sa détresse droit dans les oreilles.

— Reste poli, mec, interrompit le Chevalier, avant de lui indiquer d’un geste de la tête d’ouvrir la voie.

Cette fois-ci, ce fut au pas de course que Karm traversa la forêt. Ses pieds faisaient à peine trembler les racines et on aurait pu jurer que les buissons s’écarter sur le chemin. La Force guidait ses mouvements et toutes ses habitudes d’éclaireur militaire étaient mises à contribution, pour rejoindre Thann…

… et de son drôle de cochon.

— Hm.

Quand le second Jedi arriva, la bête fit volte-face. Ses regards passèrent tour à tour de la Padawane et et du drôle de macaque sans poil qui venait de débarquer. La première était coupable mais inaccessible et le second n’avait rien à faire dans l’histoire, mais il était peut-être dangereux. L’hésitation était rythmée par le souffle court de l’animal qui passait dans ses naseaux comme la vapeur dans les soupapes d’une grosse machine.

— P’têt qu’il t’aime juste bien, suggéra l’Ark-Ni de son ton égal, comme si c’était une éventualité sérieuse.

En même temps, sa présence dans la Force s’étendait, petit à petit, jusqu’à envelopper l’animal. Il sentait sa colère, mais elle était accessoire. Ce qui dominait, surtout, c’était la peur : la peur qu’on en veuille à sa subsistance, la peur qu’un autre animal, mieux équipé, plus fort ou plus malin, s’approprie son arbre à fruits et le chasse de son territoire, la peur de devoir se battre pour le défendre, non seulement ce jour-là, mais encore et encore à l’avenir.

Devait-il battre en retraite ?
Trouver un autre arbre.
Devait-il chasser les intrus ?
Risquer la blessure.

Karm laissa ses propres pensées décanter. Toutes les idées complexes furent reléguées dans un coin de son esprit, tous ses sentiments les subtils mis de côté. Parler à un animal, c’était d’abord le comprendre, et pour le comprendre, il fallait faire preuve d’empathie. C’était un effort d’humilité : il fallait accepter que tout Jedi que l’on soit, philosophe et théologien, garant de la paix galactique, moine plein de spiritualité, on était aussi, au fond, le frère du porc, du pigeon ou de la chenille.

Pas d’hostilité.
Premier message à transmettre.
La faim, mais pas considérable, et la migration, on ne serait pas toujours là.

Le cochon cornu fixait Karm avec circonspection et, petit à petit, à mesure qu’on lui parlait sa langue, familiarité. Le Chevalier fit signe à sa Padawane de le rejoindre. Quand Thann sauta au pied de l’arbre, la bête fit un pas en arrière, avant de se calmer presque aussitôt. Karm passa un bras autour de la jeune fille pour s’accroupir avec elle, à hauteur de corne, et sa main libre guida celle de la Miraluka, pour qu’elle tendit un fruit au maître des lieux.

Le cochon s’approcha prudemment, puis se décida à fourrer son groin humide dans la paume de la jeune fille, pour attraper le fruit entre ses dents. Il fit quelques pas en arrière, le laissa tomber près de l’arbre et inclina la tête pour forcer la coque à coup de cornes, avant de fourrager dans les débris pour gober le fruit lui-même. L’esprit de Karm était désormais plein de la rivière. L’eau qui coulait, pure et fraîche, quelques kilomètres en amont. Il y eut instant de flottement, et puis le drôle de sanglier s’ébroua et, sans tourner le dos aux Jedis, recula jusqu’à battre en retraite dans les fourrés. Bientôt, ils purent entendre sa course rapide.

Il fallut quelques secondes à l’Ark-Ni pour se laisser remplir à nouveau par ses pensées et ses sentiments, ses perceptions et ses intuitions propres. Puis son bras quitta les épaules de Thann, sa main la main de Thann, et il se redressa.

— Tu vois, tu te débrouilles pas si mal.

Par habitude, il marcha jusqu’au tronc pour examiner les traces laissées sur l’écorce par l’animal, afin d’être capable de les reconnaître ailleurs, plus tard.

— T’as trouvé à manger et t’as réussi à l’apaiser assez longtemps pour te mettre en sécurité, c’est bien pour une première fois.

Les doigts de l’Ark-Ni couraient sur l’écorce, comme Thann l’avait fait un peu plus tôt. Ça aussi, il l’avait appris très tôt, au sein de l’ExploCorps : même quand on était capable de voir, ça ne suffisait pas. Le monde était entier, et complexe, et il fallait faire fonds de tous les sens dont on disposait.

— Communiquer avec les animaux, c’est super chaud, ça m’a pris des années. C’est un début plutôt encourageant, tu peux être fier.

Il se pencha pour renifler l’odeur de la bête, avant de terminer son inspection, en consacrant quelques secondes à consigner dans sa mémoire ces impressions.

— Le plus dur, c’est d’accepter que c’est justement un vrai dialogue. Pas mal de Jedis voient ça comme un exercice en persuasion. Un tour de passe-passe mental, où on imposerait notre volonté à l’animal. Et c’est sûr que ça marche pour des trucs simples, quand la situation est pas trop problématique, mais la majorité du temps, c’est autre chose. Faut laisser un peu l’animal venir à nous, faut se mettre dans une disposition d’esprit propice à la compréhension.

En parlant, ils s’éloignaient de l’arbre, avec leur butin de fruit, à la recherche de quelques racines et d’herbes. Le regard de Karm fouillait la végétation alors qu’il poursuivait :

— Et ça, ça implique de se débarrasser de pas mal de trucs qu’on considère essentiels, presque existentiels, pour notre condition de Jedi. Un certain degré de réflexion, d’abstraction, d’élaboration cognitive, quoi. Et de maîtrise. Faut arriver à considérer qu’après toutes nos méditations, on a quand même au fond de nous quelque chose d’animal capable de communiquer avec les autres animaux. Et ça, y a des Jedis très sages et très puissants qui y arrivent jamais. C’est… Profondément humiliant, en un sens. Dans le bon sens du terme. Ça met les pieds sur terre, quoi.

Mais c’était aussi un exercice très populaire chez d’autres Jedis, pour qui la sympathie animale était un pilier spirituel irremplaçable, une manière de participer à la Force plus pleinement et de comprendre tous les liens inextricables qui donnaient du sens à la Vie. Pour Karm en tout cas, le langage des bêtes avait été une véritable révélation et il regrettait beaucoup de ne pas avoir eu l’occasion de s’y consacrer dès l’enfance.

— Là, décréta-t-il, en désignant un arbre tordu et noueux. On récupère les racines vestigiales, un peu d’herbe comestible et on va se baigner à la rivière, en se cherchant soigneusement des tiques.
Thann Sîdh
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Thann n’était pas particulièrement inquiète. Largement hors-de-portée de son hôte, elle trouvait même des raisons de rire de sa situation, malgré la gêne. Elle eût aimé réussir et apaiser la créature elle-même mais la démonstration de son mentor souligna assez clairement ses fautes.

« C’est… Profondément humiliant, en un sens. Dans le bon sens du terme. Ça met les pieds sur terre, quoi.

– Je crois que j’ai fait cette faute, oui. J’ai cherché à imposer mon calme à ce gentil cochon, plutôt que de dialoguer avec lui. Quelque part, j’ai essayé d’hurler à quelqu’un de se calmer, ce qui n’est pas vraiment la meilleure façon d’opérer, je me rends compte. Je crois avoir compris, en vous voyant le faire. Merci. »

Par ailleurs, alors qu’elle l’écoutait attentivement, elle fut sensible à cet acte d’humilité qu’était le dialogue animal tel qu’il l’évoquait. Revenir à une simplicité du sens, descendre de la tour d’Ivoire dans laquelle la Raison nous enfermait, marche par marche, pour retrouver, au rez-de-chaussée, le lien que nous partagions avec chaque être vivant. L’idée était non seulement poétique mais encore, profondément en accord avec la philosophie naissante de l’adolescente.
Suivant les consignes de son maître, Thann ramassa de quoi finir de constituer leur repas. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi il allait bien pouvoir ressembler mais faisait confiance à son mentor pour le rendre tout à fait mangeable. Le moment du bain fut autrement moins aisé. Certes, elle avait perdu toute notion de pudeur lorsqu’il s’agissait de se retrouver nue devant Seïid, mais elle ne s’était jamais retrouvé qu’en tenue devant les autres Padawans, quoique parfois en maillot de bain mais – inexplicablement et unanimement pour tous les jeunes gens – ‘c’était pas pareil’. Il y avait là, déjà, une première épreuve mais, en outre, il s’agissait aussi d’assister au bain de son Maître, et là… Elle n’était pas encore à dix mètres du cours d’eau qu’elle sentait déjà des vagues de chaleur se propager depuis son ventre pour gagner tout son corps. Finalement, elle opta pour la solution la plus expéditive, se déshabiller rapidement, ne garder que ses sous-vêtements – car les cours de survie, malgré les rires déclenchaient, avaient bien précisés qu’il ne fallait JAMAIS se baigner totalement nu dans une rivière que l’on ne connaissait pas, à cause des parasites – faire un tas avec ces derniers et, après s’être présenté devant l’onde et avoir constaté l’absence de prédateur dans l’environnement immédiat et une profondeur qui le permettait, plonger tête la première afin d’éteindre au plus vite l’incendie.

Elle accueillit l’eau comme une bénédiction, malgré sa fraîcheur, et le bassin que son maître avait déniché permettait de nager tranquillement sans être emporté par le courant. Elle était une bonne nageuse, la sensation de flotter dans l’eau lui ayant très tôt donné un goût pour l’activité, et le monde qui l’attendait sous la surface était incroyable. Là où l’air était pour elle aussi imperceptible qu’à n’importe quel humain, l’eau était tout un spectacle de volutes, d’esquisses, de mouvements, d’arabesques. A chaque instant un chef-d’œuvre de l’impressionnisme naissait et disparaissait pour laisser place aussitôt à un nouveau tableau. Elle resta un temps, sous la surface, à profiter de ce monde d’esthétique pure, méditant, retenant sa respiration, prolongeant l’apnée grâce à la Force autant qu’elle était capable de le faire sans se mettre en danger. Lorsqu’elle creva la surface, son bandeau toujours sur le regard, son maître était déjà dans l’eau et elle était parvenue à chasser tout sentiment inadéquat de son esprit.


« Vérifications faîtes ! Nul petit insecte pour venir se nourrir de mon sang ! C’est magnifique, cet endroit ! Et dire que nous sommes probablement les premiers êtres pensants à nous baigner-là. »

Pour couvrir le bruit de l’eau, Thann était obligée de quitter le murmure habituel qu’elle avait adopté avec son maître depuis l’instant de leur rencontre. Elle souriait de toutes ses dents et se mit même à rire. Elle repoussait le froid en restant constamment en mouvements, elle sentait toute la vie qui circulait autour d’elle. Elle demanda l’autorisation à son maître de prolonger un peu le bain, ce qu’il fit avec ce très léger sourire qu’elle avait appris à percevoir. Elle commençait à croire plus fortement encore qu’ils s’étaient bien trouvés. Malgré les premiers échanges difficiles, depuis, les choses semblaient couler de source entre eux.

Ayant reçu l’autorisation de se délasser davantage, Thann plongea de nouveau sous l’eau pour y retrouver ce monde enchanté qu’elle aimait. L’eau passait dans ses cheveux, caressait son visage, la faisait dériver doucement. Parfois, un poisson passait, vif, d’autres, plus curieux, s’attardaient. Au fond de l’eau, les pierres, les algues dansaient et roulaient. Le temps semblait se suspendre dans cette bulle étrange. A la limite de sa perception, elle sentit l’aura de son maître s’éloigner ; il avait certainement trouvé mieux à faire que de barboter. Elle se décida à l’imiter, malgré le plaisir de la baignade, quelques minutes plus tard.

Elle rejoignit la berge, sortit de l’eau en grelottant un peu, sa peau parcourue par les frissons. Elle se sécha rapidement, à l’aide d’une serviette ultra-absorbante d’une efficacité redoutable, profita de l’absence de son maître pour changer de sous-vêtements en quatrième vitesse et attendit un signe. Elle réactiva Bouteboute, qui avait profité du bain pour se mettre un temps en veille, et continua d’attendre. Certes les vêtements de son maître n’étaient plus là, mais son sac l’était encore. Son champ de perception, largement obstrué par la végétation, ne lui permettait pas de sonder largement les environs si bien que lorsque le feuillage se mit à bruisser, elle s’écarta de l’orée de la forêt pour venir se mettre dos à la rivière et ainsi, elle espérait se laisser le temps de voir venir son ami le cochon si, encore une fois, l’un d’entre eux trouvait sa présence fort mal à propos. Indécise, un peu inquiète aussi, elle lança, à l'adresse du feuillage, un simple :


« Maître ? »
Karm Torr
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L’idée qu’un embarras pût naître de leur situation n’avait pas effleuré une seule seconde Karm. Les premières années de sa vie, il les avait passées sur un vaisseau où les notions d’intimité et de vie privée étaient quasi inexistantes. À peine son noviciat au sein de l’Ordre terminé, sa Maître l’avait embarqué loin des autres Padawans et il s’était éveillé à la sexualité quasi en solitaire, en regardant de loin les soldats et les soldates de la République. La pudeur était pour lui une idée lointaine, qu’il ne découvrait que petit à petit, à travers l’attitude de Luke, laquelle lui restait le plus souvent incompréhensible.

Il s’était dévêtu et, dans l’un de ces fameux sous-vêtements moulants qui avaient bien malgré lui fait sa réputation au sein de l’Ordre, s’était glissé dans l’eau, pour observer ce que le courant charriait. Les brindilles, les petits insectes morts, les feuilles, les bais, les poussières étaient des indications précieuses pour ce qu’on pouvait trouver plus loin. Mais l’eau était claire, presque limpide, et, finalement, il laissa son esprit divaguer quelques instants, pour se reposer de la concentration de tous les instants qu’exigeait sinon l’exploration.

L’enthousiasme de Thann lui faisait chaud au coeur. Il savait bien que pour certains Padawans, la perspective de parcourir la solitude de planètes désertes n’avait rien d’enthousiasmant : eux se rêvaient au cours de l’action, dans les réunions diplomates ou les combats, dans les commissariats ou les chancelleries, et il comprenait fort bien que la vie d’explorateur ne pouvait séduire tout le monde. La Force l’avait bien conseillé en le mettant sur le chemin de Thann et pas un seul instant, ces derniers jours, il n’avait regretté sa décision.

Il fit rouler ses muscles sous sa peau, profitant de l’eau et du repos pour quelques étirements salutaires. Quand il songeait que l’immense majorité des Ark-Ni ne connaîtraient jamais le plaisir non même d’une rivière, mais seulement d’un bain, il remerciait encore une fois la Force de l’avoir arraché à la Flotte, fût-ce pour le faire passer par la longue épreuve de toute une adolescence de maltraitances. Les cicatrices qui couraient sur sa peau valaient bien sa liberté.

Et puis les deux Jedis quittèrent la rivière. Karm avait au moins assez compris des règles de savoir-vivre pour ne pas jeter un seul regard à sa Padawane et il se sécha promptement avec sa serviette, avant de la replier et de la glisser en même temps que son sous-vêtement dans le sac asséchant qu’il glissa dans son sac à dos, pour les récupérer secs, mais un peu rêches, le lendemain. Il achevait de se rhabiller — pour le plus grand désespoir de nos lecteurs — quand une soudaine intuition l’incita à bondir pour atteindre les branches de l’arbre qui le surplombait, et s’y dissimuler.

Pour un mystique comme lui, l’intuition soufflée par la Force valait tous les raisonnements. Il fallait une foi entière dans la Force pour s’y soumettre et c’était une dévotion que Karm avait toujours cultivé. Dans les combats, dans la nature, il soumettait sa volonté et sa perspicacité à ces fragments de futur qu’Elle faisait éclore dans son esprit.

Accroupi sur la branche, il suivit du regard une sphère métallique, beaucoup plus petite que Bouteboute, qui n’avait rien à faire dans cette forêt. Le drone pénétra dans un fourré, derrière Thann. La seconde suivante, le vrombissement caractéristique d’un sabre laser troublait le bruissement de la rivière, alors que la lame bleue du Gardien transperçait le petit droïde, pour le faire tomber tout disjoncté dans les feuilles mortes.

La lame laser se rétracta aussitôt dans la garde incurvée du sabre de Karm, alors qu’il portait un doigt à ses lèvres pour intimer sa Padawane au silence. Après une profonde inspiration, il se plongea dans la Force et se concentra sur son ouïe. Petit à petit, des bruits de plus en plus lointains se mêlaient aux rumeurs qui l’entouraient, alors qu’il écoutait, loin, tout autour de lui, à la recherche du ronronnement d’un système anti-gravité.

Rien.
Mais Karm doutait à l’incident isolé.

— Bouteboute, finit-il par murmurer, alors que son ouïe reprenait son acuité ordinaire, à toi de jouer, connecte toi à ce qui reste et vois si tu peux en tirer quelque chose.

Ce ne serait pas évident, parce que Karm avait paré au plus urgent. Faute d’être très doué pour contrôler le courant électrique par la Force, il avait choisi une méthode radicale qui laissait pour une bonne partie le drone calciné et fumant.

— On a des visiteurs clandestins sur cette planète.

Difficile d’en dire plus pour l’heure. L’éventail des possibilités était large. Touristes de l’extrême qui cherchaient un recoin isolé, voyageurs d’un secteur voisin contraints à faire escale et qui ignoraient le moratoire républicain, braconniers, criminels à la recherche d’une bonne cachette, entreprises peu scrupuleuses qui essayaient de gagner de l’avance sur ses voisines, Karm réservait ses pronostics.

— Rejoignons le campement, on aura un meilleur point de vue depuis la colline. T’as été bien inspirée de prolonger la baignade, ça nous aura permis de le choper.
Thann Sîdh
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L’odeur âcre de l’acier et des circuits brûlés imprégna rapidement l’air autour d’eux. La Force ne lui avait pas suggéré le danger et, il faut bien le dire, elle se sentait un peu penaude, elle n’avait eu le temps d’aucune réaction. Elle récupéra son sac, et rejoignit rapidement Bouteboute qui tentait vaillamment d’extrait ce qu’il pouvait de la mémoire crépitante de son homologue et ce, malgré les gerbes d’étincelles qui jaillissaient encore de la carcasse.

« …

– Il a eu le temps de transmettre avant d’être désactivé ? Tu as une idée de la distance ? du destinataire ?

– …

– Non, ce n’est pas grave, tu ne pouvais plus récupérer grand-chose de toute façon. Déconnecte-toi avant de te prendre un mauvais retour de jus. »

Une fois que son assistant se fut écarté, Thann utilisa la Force pour former une sphère d’eau et arrosa abondamment la carcasse qui déjà commençait à s’enflammer. Elle rassembla ensuite tant bien que mal les restes du droïde qu’elle fourra dans son sac – il n’allait tout de même pas être les premiers pollueurs de cette planète – et le tandem reprit le chemin de leur perchoir.

Si son maître l’avait tout de même jugée ‘bien inspirée’, elle-même se considérait plus sévèrement. Elle s’était laissé griser par le moment, avait cessé d’être prudente et cela n’avait pas tardé à lui porter préjudice. Si loin du Temple, la sécurité n’était plus que toujours relative et elle ne pouvait plus agir comme si elle se trouvait toujours dans ce chaud cocon en périphérie d’Iziz. Encore une fois, elle estimait qu’elle s’était comportée en enfant et qu’une telle attitude ne pouvait plus seoir à une Padawane de son âge. Ainsi, sur le retour, elle déploya ses sens et fit preuve de la plus grande vigilance. Un détail la heurta, tandis qu’ils venaient de sortir du couvert des arbres, enfin arrivés dans la clairière de leur campement.


« Maître ? Vous ne trouvez pas que tout… Tout semble étrangement silencieux ? Je sens comme une tension, autour de nous. Comme… Comme si tout attendait quelque chose, comme si la forêt entière était aux aguets. »

Son Maître semblait partager son sentiment et il parut évident que la meilleure solution était encore de trouver refuge dans les hauteurs et d’observer de là-haut les alentours. Une fois au sommet, ils constatèrent avec soulagement que leur campement n’avait pas été visité. Qu’importe ce qui se trouvait en même temps qu’eux sur cette planète, il n’avait pas encore trouvé leur place-forte pour la nuit.

« Vous avez une idée de ce que pouvait faire cette sonde ici ? »

Le repas venait d’être servi. Alors qu’elle faisait le guet, le Chevalier s’était occupé, rapidement, de préparer à manger. A présent, l’adolescente mâcher doucement son premier repas de fortune exotique tandis que son maître, jumelles électro-binoculaire en main, ne cessait de scruter la forêt. Elle avait du mal à se sentir véritablement en danger ; à la fois ils étaient seuls, à des années-lumières du moindre allié et, en même temps, elle avait cette confiance aveugle en son maître. Lui qui était sorti vivant de la fureur des combats, lui qui avait tutoyé le danger et rit de lui, lui qui avait flirter avec la mort pour revenir, plus fort encore et plein de Lumière… Que pouvait-il bien lui arriver à elle pourvu qu’elle restât à ses côtés ? Elle apprenait auprès d’une des plus fines lames de l’Ordre, elle devait se montrer à la hauteur et de son talent, et de son courage. Tandis qu’elle mangeait, elle scrutait avec attention l’orée des bois, s’appliquant à se concentrer sur les angles morts de son maître. Elle voulait être à sa hauteur. Faire mieux qu’auprès de la rivière.
Karm Torr
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Les racines bouillies puis légèrement rôties sur la flamme du petit réchaud compact, épicées de fruits, accompagnaient heureusement une ration de survie séparée en deux. C’était le bon point de la soirée, alors que la nuit était tombée tout autour d’eux et que les températures avaient chuté. Dans la forêt, les deux Jedis avaient senti une tension silencieuse et, désormais, sur les contreforts de la colline, Karm scrutait consciencieusement les arbres tout autour d’eux.

— Les animaux sont revenus, finit-il par observer, en abaissant ses jumelles pour s’asseoir à côté de Thann, en tailleur. qui que soit le propriétaire de la sonde, il doit faire comme nous, camper pour la nuit.

Ils avaient examiné les débris du drone sans pouvoir rien en tirer. Modèle standard, qu’on pouvait acheter sans doute dans des millions de magasins, de là à Coruscant.

— On peut avoir affaire à tout et n’importe quoi, du touriste au braconnier en passant du promoteur immobilier ou du marchand égaré. N’importe quel vaisseau aura reçu une interdiction d’atterrir, mais y a des tonnes de raisons qui peuvent pousser les gens à l’ignorer, par nécessité ou indifférence.

Même s’il essayait de rester relativement positif, il ne pouvait se défaire d’une certaine inquiétude, sans savoir tout à fait si c’était son esprit ou la Force qui le lui dictait.

— On a des balises d’alerte, on va se reposer. Pas besoin de monter la garde.

C’était toujours un arbitrage délicat à réaliser, entre la nécessité de se reposer pour se protéger à l’avenir, et celle de veiller pour se protéger dans le présent. Mais un simple drone n’était pas une raison suffisante pour prendre des risques inutiles en se privant de sommeil. Le repas achevé, les deux Jedis se glissèrent donc dans la tente et, en se plongeant dans la méditation, Karm ne tarda pas à trouver un sommeil beaucoup plus réparateur que celui du commun des mortels.

Comme au Temple ils se levèrent aux aurores. Les restes de la veille servirent au petit-déjeuner, après quelques exercices d’étirement, et puis la tente fut promptement repliée, les balises rangées et les restes organiques de leur dîner enterrés. La marche reprit, avec une vigilance redoublée, alors qu’ils s’enfonçaient de nouveau dans la forêt. Peu après le déjeuner, en début d’après-midi, ils purent récolter soigneusement leur premier échantillon d’alycine, avec les herbes et les boues avoisinantes, ainsi qu’un peu d’air.

Alors que Karm rangeait son kit de prélèvement, une volée d’oiseaux partit d’un coup des feuillages. C’était peut-être parfaitement ordinaire, mais le Jedi décida d’aller jeter un œil. Les deux explorateurs remontèrent la trajectoire des volatiles à pas de loups et ils ne tardèrent pas à entendre la rumeur mécanique d’une machine qui s’actionnait. Karm fit signe à Thann de se tapir avec lui dans les fourrées.

Les yeux fermés, il laissa une nouvelle fois la Force étendre ses sens. Ses narines commencèrent à s’agiter. Odeur de feuilles, de bois, d’excréments d’animaux, de résine, de fleurs. Mises de côté. Odeurs de plastique, d’huile, de troncs fraîchement coupés, de carburant brûlé. Le Gardien rouvrit les yeux et souffla à l’oreille de sa Padawane :

— On s’approche en silence, façon infiltration.

Et il avait bien conscience qu’entre la randonnée exploratoire qu’ils avaient menée jusque là et les véritables techniques de commando, il y avait tout un monde. Mais si on n’apprenait pas dans le feu de l’action, on n’apprenait jamais, et il avait confiance en Thann.

— Evite le bois sec quand tu marches. Evite les oiseaux. Contourne les fourrés. Laisse ton sac ici. Suis à trois mètres derrière moi. Que la Force soit avec toi.

Et Karm se débarrassa lui-même de son sac pour commencer à avancer à pas prudents. Il s’abstint de s’envelopper d’un voile de Force, pour conserver toute son énergie, si d’aventure la situation dégénérait, mais il progressait dans la forêt comme un fantôme. Quelques mètres plus loin, le jour commençait à s’éclaircir : quelqu’un avait pratiqué une clairière au milieu des bois, en dégageant les arbres, et des troncs franchement abattus avaient écrasé des fourrés. On entendait des voix monter, qui parlaient en Basic, tandis qu’un droïde forestier achevait de dégager le périmètre.

Collé contre un tronc, Karm observa la clairière. Un transport était posé là, le genre sans hyperdrive, ce qui suggérait qu’il devait y avoir un vaisseau en orbite. Quatre ou cinq hommes, tous des humains, s’affairaient dans la clairière, pour assembler ce qui semblait être une grosse station scientifique, avec des antennes et des sondes géologiques. Des petits drones sphériques désactivés attendaient au pied du transport d’être lancés pour explorer les environs.

Plus de doute, désormais : ils avaient affaire à des prospecteurs.
Thann Sîdh
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L’analyse rassurante de son maître confirma la confiance que Thann avait en lui. Elle était là, au bout de la galaxie, à déguster le repas le plus curieux de sa vie, dans une situation des plus précaires et pourtant, elle n’avait que peu eu l’occasion de goûter à un tel contentement. Il lui semblait trouver sa place, de retrouver un sens à ses études et à ses gestes. Même voir son maître cuisiner avait attisé sa curiosité ; jamais elle n’eût pensé d’elle-même qu’il suffisait de faire bouillir des racines puis de les braiser pour les rendre tout à fait comestible, sinon parfaitement goûteuses.

L’après-repas fut consacré à l’étude de la carcasse du droïde qui, malheureusement, ne révéla aucun secret aux Jedis si ce n’est qu’il était tout à fait inenvisageable de chercher à le réactiver ; ce qui, vu le coup de sabre-laser qui l’avait mis dans cet état, n’était pas un secret des mieux gardés.


« On peut avoir affaire à tout et n’importe quoi, du touriste au braconnier en passant du promoteur immobilier ou du marchand égaré. N’importe quel vaisseau aura reçu une interdiction d’atterrir, mais y a des tonnes de raisons qui peuvent pousser les gens à l’ignorer, par nécessité ou indifférence.

– Il est vrai que je m’étais préparée au pire mais que ce sont peut-être des naufragés qui auraient besoin d’aide. »

Thann l’avait évoqué comme une pensée, un commentaire et n’attendait pas de réponse. Toutes les histoires de guerre, d’affrontements et de dangers avaient certainement biaisé son jugement, ou bien était-ce son étrange pressentiment d’un danger ? Néanmoins, il fallait écouter la nature. Les animaux, revenus à leur activité normal, était le signal d’un retour au calme.

« On a des balises d’alerte, on va se reposer. Pas besoin de monter la garde. »

La nuit fut douce. Entre méditation et sommeil, Thann laissa son esprit vagabonder entre les arbres, son attention dériver au chant des oiseaux nocturnes. Parfois, elle sentait un petit lapin, curieux, suivre leur piste jusqu’au pied de leur perchoir. Parfois, c’était un lézard qui grimpait juste au-dessus de leur tente et inspectait cette étrangeté, venue de nulle part envahir son terrain de jeu. Le rêvait-elle ? Peut-être. La fatigue l’avait littéralement terrassée et peut-être la méditation s’était teintée de sommeil, peut-être le sommeil s’était-il mêlé à la méditation. Quoi qu’il en fût, l’aurore aux doigts de rose la cueillit fraîche et profondément reposée, comme si mille ans avaient passé à la laisser en paix. Les chants avaient changé mais leurs notes guillerettes ajoutaient une note radieuse au magnifique levé de soleil qu’ils purent contempler à leur aise durant le repas.

Bientôt, ils levèrent le camp et partir en direction du premier site de prélèvement qu’ils avaient défini la veille. Thann participa avec un soin tout particulier à l’enquête, récupéra des échantillons d’autres plantes proches, observa attentivement, s’assura que Bouteboute captât le plus d’images possibles. Il s’agissait de résoudre le mystère de la bonne culture de l’alycine, de permettre à des êtres d’y trouver un remède et une guérison autrement laborieuse.

La présence étrangère entraperçue la veille se rappela vivement à eux lorsqu’un large nuage d’oiseaux pris soudainement son envol pour s’éloigner un tir d’ailes. Son maître estima immédiatement la chose comme étrange, elle se rangea à son avis, et voilà que deux scientifiques ils se firent aussitôt éclaireurs. Une petite centaine de mètres, tout au plus, et déjà la rumeur mécanique de la civilisation leur parvenait aux oreilles. Le résonnement du métal, dans lieu d’ordinaire si absolument dépourvu de la brutalité machinesque, parut aussitôt blasphématoire aux oreilles de la Padawane.


« On s’approche en silence, façon infiltration. Evite le bois sec quand tu marches. Evite les oiseaux. Contourne les fourrés. Laisse ton sac ici. Suis à trois mètres derrière moi. Que la Force soit avec toi. »

Elle assentit à l’ordre de son maître d’un signe de main, d’un autre elle intima à Bouteboute le silence mais aussi l’ordre de se cacher dans le creux d’un arbre. Elle déposa son sac à proximité de celui de son maître et commença par suivre sa trace avant de progressivement gagner sa hauteur et s’écarter de lui, à main droite. La clairière qu’il découvrir, en partie artificielle à en juger par les souches fraîches qui la parsemaient, était rempli par le bruit des machines qui terminaient d’inciser la forêt.

« Magne-toi, Bébert ! On est en r’tard sur l’planning ! On devrait avoir fini ça hier, putain ! Il faut qu’on s’occupe de la station, main’nant, le patron aime pas les retards. »

Le susnommé Bébert, un humain, se contenta d’un vague hauchement de tête, beugla des ordres à son droïde avant de s’éloigner et de regagner le centre de la clairière. Si elle ne pouvait espérer percevoir un signe républicain peint sur la carlingue de la navette, elle n’aperçut pas non plus d’insignes cousus sur les uniformes ; en outre la navette n’était pas, à sa connaissance, un modèle qui faisait partie des standards républicains. Que faire ? Il semblait de plus en plus évident que ces messieurs se livraient à des pratiques illégales et à la fois, Thann hésitait quant à l’attitude à adopter. Ne devaient-ils pas se signaler, aller à la rencontre de ces gens et opérer à une arrestation ? Et, à la fois, il lui apparaissait aussi clairement que leur position était quelque peu délicate. Arrivés, seuls, face à eux tous pour leur signaler gentiment leur arrestation ? Elle attendait un signe de son maître qui lui indiquerait la marche à suivre.
Karm Torr
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Les rencontres avec des braconniers et des exploitants clandestins faisaient partie du quotidien des explorateurs, et elles pouvaient aller du tête-à-tête quasi sans danger avec un vieux type armé d’un fusil blaster à peine fonctionnel à la découverte autrement plus délicate de véritables opérations paramilitaires de captation des ressources. Et leurs visiteurs du jour étaient définitivement plus proches des seconds que du premier.

Alors que les hommes poursuivaient leurs travaux autour de la station, Karm tira son datapad et pianota silencieusement sur l’écran pour accéder à l’ordinateur central de leur vaisseau, et, par là, au satellite de surveillance républicain, pour lancer un scan des objets en orbite autour de la planète. Un travail qui prendrait peut-être plusieurs heures au satellite, avant qu’il ne débusque le vaisseau-mère des clandestins.

Le datapad rempoché, Karm fit signe à sa Padawane de se replier. Un bon quart d’heure plus tard, ils avaient retrouvé leur sac et, comme d’habitude, discutaient à voix basse.

— On va envoyer un message à la République et à l’Ordre. Histoire de les informer de la situation. Mais ça veut pas dire qu’ils vont débarquer fissa. Concrètement, on va commencer par réunir des infos, pour envoyer encore un autre message, plus complet. Ensuite, on va procéder à une arrestation. À partir deux là, trois scénarios.

Tout en parlant, Karm composait sur son datapad le message à l’intention de leurs supérieurs.

— Scénario 1, ils se laissent arrêter. Pas nécessairement parce qu’ils ont peur, mais parce que y a un monde entre faire de l’exploitation économique illicite et affronter des Jedis. D’un côté, c’est une grosse amende pour l’entreprise, de l’autre, c’est des peines de prison. Y a des mecs qui y réfléchissent à deux fois.

Souvent, la principale force d’un sabre laser, ce n’était pas sa capacité à trancher, mais tout le pouvoir institutionnel qu’il représentait. Comme un badge.

— Scénario 2, ils se font la malle. Auquel cas, on les laisse faire, c’est plus raisonnable. Entre la signature thermique et chimique de leurs réacteurs, ce qu’ils laisseront derrière eux comme équipement et leur trajectoire d’entrée en hyperespace, ça donnera pas mal de pistes solides aux enquêteurs.

De toute façon, ils n’avaient pas les moyens de se lancer à leur poursuite : leur propre vaisseau était à plus d’un jour de marche et les contrebandiers seraient déjà loin.

— Scénario 3, ils se défendent. Ça me paraît le moins probable, mais on peut pas l’exclure. Tous les mecs de la clairière étaient armés. Je doute que ce soit des mercenaires surentraînés, et ils doivent pas s’attendre à tomber sur qui que ce soit dans un trou paumé comme ça, mais ils savent se servir des armes qu’ils ont emporté.

Bien sûr, les scénarios n’étaient pas tous mutuellement exclusifs : ils pouvaient commencer par se défendre, puis tenter de fuir, puis de guerre lasse se laisser arrêter, ou se rendre et avoir ensuite un avis contraire. La situation invitait donc à la plus grande pondération. Karm pressa une dernière fois son datapad pour faire partir le message, avant de le ranger.

— La première étape, c’est le scan orbital. Pendant que ça tourne, la seconde étape, c’est de déterminer s’ils ont un seul site sur la planète ou plusieurs. Manifestement, ils sont là pour faire des relevés préliminaires. Probablement une mission de petite envergure, genre prospection. Mais mieux vaut s’en assurer. Du côté, direction les arbres. Ça va pas être super épanouissant, j’te préviens.

Les deux Jedis commencèrent par dissimuler leurs sacs à dos dans des fourrés, avant de reprendre le chemin de la clairière. La station commençait à prendre forme. L’absence de tout campement suggérait à l’explorateur que les hommes ne prévoyaient pas de s’éterniser dans les parages. Il n’était pas impossible que leur mission consistât principalement à établir un réseau de stations sur le continent ou la planète, pour récolter des données afin d’établir des plans d’exploitation.

Karm indiqua un arbre à sa Padawane, avant d’entreprendre de grimper à un autre, voisin. Là, tapi dans la frondaison, aussi immobile que possible, plongeant dans la Force pour conserver tout son calme, il se concentra pour prêter une oreille attentive aux conversations des inconnus et observer leurs faits et gestes. La première heure fut pleine de détails techniques à propos de la station, que Karm mémorisa soigneusement : savoir ce qu’ils cherchaient à mesurer permettraient aux scientifiques de l’Ordre de déterminer le genre d’activités dont il était question.

Puis vint l’heure du repas. Les hommes s’assemblèrent s’assirent sur des souches d’arbre, pour se faire passer des plats préparés. Pas de rations de survie. Une nouvelle indication qu’ils remonteraient probablement au vaisseau-mère dès leur travail achevé, en fin de journée. Pendant la pause, les langues se déliaient.
Thann Sîdh
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Le repli se fit en toute discrétion et malgré la distance qui se creusait, Thann gardait tous ses sens en alerte. Elle était absolument incapable d’imaginer qu’elle pourrait être la suite des événements. Tout semblait s’être si vite transformé. Sa première mission, une tranquille escapade sur un territoire naturelle à découvrir, un délicieux moment de découverte et d’échange ; finalement une arrestation au nom des principes intergalactiques de protection des environnements vierges ? Et peut-être même, des combats ? Tous les enseignements que le Temple lui avait prodigués lui revenaient en mémoire : les procédures, les termes légaux de présentations d’une autorité, les manœuvres d’évitement de l’escalade de la violence. Pourtant, ce fabuleux univers de la théorie, si beau dans sa simplicité énonciative s’était violemment télescopé avec le réel et la voilà qui gisait au milieu de ce fatras.

Pour retrouver de l’entrain, elle se focalisa sur la voix de son maître, imperturbable. La confiance qu’elle avait en lui, lui permit de retrouver un peu de sérénité. Elle ne voulait pas lui nuire alors même qu’il s’agissait de leur première intervention. Premier scénario, les hommes se rendaient intelligemment, sans broncher. Le deuxième, ils se sauvaient et, afin d’éviter la violence d’individus paniqués et acculés, les deux Jedis n’intervenaient pas. Enfin la possibilité d’un combat. Un vrai. L’idée ne la réjouissait pas. En son for intérieur, elle espérait trouver les mots, l’attitude qui éviterait le conflit.

Bouteboute fut chargé de la sécurité de leurs sacs, lui-même dissimulé dans les fourrés, puis le maître et l’élève gagnèrent de nouveau la clairière. Légère et souple, Thann n’eut pas de mal à gagner les plus hautes branches du perchoir que lui indiqua son mentor. Là-haut, elle déploya sa perception, entre la transe et la concentration, ainsi concentré, elle parvenait à ‘percevoir’ l’ensemble de la clairière et tous les détails plus gros qu’une balle de golf. Si la Force affinait son ouïe, elle n’était pas encore capable des prouesses du jeune homme perché non loin d’elle. Les paroles des ouvriers ne lui parvenaient que lointaines et déformées dans le vent. Elle s’attacha donc à fixer dans sa mémoire chacun de mouvements, chacun des appareils qu’elle fut capable d’identifier, le matériel allant de la perceuse aux capteurs météorologiques. Aucun outil lourd de minage, simplement des batteries de senseurs et de pléthores d’analyseurs. L’hypothèse des prospecteurs semblaient être la bonne.

Le jour avait avancé, l’heure du repas était venue, les hommes s’installèrent non loin pour manger. Les conversations, lorsqu’elles n’étaient pas bourrues et salaces, étaient plutôt salaces et bourrues. Plus d’une fois Thann sentit le sang lui monter aux joues lorsque ces baroudeurs évoquèrent leurs frasques de jeunesse ou lorsque l’un d’eux commençait une métaphore organico-mécanique que les autres s’empressaient de filer – elle n’avait jamais imaginé cet emploi d’une perceuse-à-percussions. Pourtant, parmi les inepties, quelques informations capitales furent lancées : ce site était le troisième, les deux autres se trouvaient à l’autre bout de la planète. Leur vaisseau principal, en orbite basse, se trouvait à mi-chemin afin de permettre aux navettes un temps de trajet relativement similaire. La plupart semblait même ignorer le caractère illégal de la situation, se contentant « de faire ce qu’on m’demande. ». Pourtant, même sans le savoir, ce gros bonhomme qui se présentait comme père de famille s’exposait aux représailles légales de la République ; ses employeurs l’avaient-ils sciemment exposé à cela sans le lui dire ? Une petitesse comme celle de l’appât du gain lui était difficilement appréhendable.


« Allez, les gars, la pause est fini ! Bougez-vous le cul, on doit avoir fini dans quatre heures et on a encore les carottes à faire et le radar sismique monter. »

Au même moment, aux antipodes de l’aire improvisée de pique-nique, une harde pénétrait la clairière. Thann reconnut l’espèce qu’elle avait déjà croisé la veille. Aussitôt, une alarme retentit et entraîna la fuite des nouveaux arrivés. Le périmètre était étroitement surveillé. Ne sachant que faire, elle attendait un signe du Chevalier : dans une telle situation, elle n'avait que peu d'initiative à prendre.
Karm Torr
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— Putain, c’est quoi, s’exclama l’un des techniciens, quand les animaux déclenchèrent l’alarme ?
— C’est rien, c’est les Jenny.

Ils avaient donné aux gros cochons le nom de la comptable de l’entreprise, que personne ne portait vraiment dans son cœur. L’autre pesta contre les animaux et les hommes se remirent au travail. De son côté, Karm jugea que l’observation avait assez duré. De ce que Thann et lui avaient compris de leur protocole, ils installaient des stations et repartaient le jour même. La planète serait bien quadrillée et, une fois le site le plus propice repéré, l’entreprise passerait sans doute à l’exploitation à grande échelle.

L’Ark-Ni nourrissait l’espoir que ces travailleurs peut-être de bonne foi seraient sensibles sinon à la raison, du moins à la légalité et sinon à la légalité, du moins à l’instinct de préservation personnelle. Il fit signe à sa Padawan de descendre de son perchoir et sauta lui-même avec souplesse au bas de son arbre. Une profonde inspiration plus tard et il s’avançait dans la carrière, à pas lents et les mains bien visibles, pour ne pas avoir l’air menaçant.

De toutes les situations de négociation possibles, celle-ci était probablement pour lui la moins intimidante. Loin des tapis rouges et de l’ambiance feutrée des commissions du Sénat, loin de la pompe diplomatique, avec des hommes qui étaient habitués au terrain, à la rudesse d’une vie de voyage, de vaisseaux et de nature sauvage, qui parlaient à peu près le même langage que lui. L’alarme se déclencha mais, cette fois, elle ne suscita plus de réactions vives, parce que tout le monde s’attendait à voir débarquer puis s’enfuir de nouveaux animaux : c’était ce sur quoi Karm comptait pour éviter tout réflexe violent et malheureux.

D’ailleurs, ce fut à peine si l’on se prêtât d’abord attention à leur présence, mais l’un des hommes finit par se retourner et s’exclamer :

— Bordel mais vous sortez d’où, vous ?

Les deux Jedis eurent bien la confirmation qu’ils n’avaient pas affaire à des mercenaires : aucun d’eux n’eut le réflexe de se saisir de son blaster pour les mettre en joue.

— Dites donc, là, c’est une zone privée ici, lança celui qui devait être le contremaître, alors que les cinq ou six hommes s’attroupaient devant eux.
— Chevalier Torr et Padawan Sîdh, Gardiens de la République.

Une formulation qui donnait beaucoup plus le temps que « de l’Ordre Jedi » ou « membres du Corps d’Exploration ». Les hommes se jetèrent quelques regards méfiants. Croiser des Jedis, ça n’arrivait pas tous les jours, encore moins à des années-lumières de Coruscant. Ces deux-là formaient une paire atypique, mais on aurait surtout dit deux adolescents venus… Faire la Force savait quoi.

— Et moi je suis la Sénatrice de Coruscant, répliqua l’un des hommes.

L’un de ses collègues lui donna un coup de coude dans les côtes avant de désigner d’un geste de la tête le sabre laser accroché à la ceinture de Karm. L’attitude des hommes changea aussitôt, pour un mélange de respect et de crainte.

— Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, Chevalier ?
— On a été alertés d’une violation du périmètre de conservation planétaire. Et on vient voir de quoi il en retourne.
— Oh la, une seconde. Nous, on s’occupe des stations de surveillance, on prend aucune décision.
— Elles surveillent quoi, exactement ?

Le contremaître hésita. Tout cela, c’était le secret des affaires. Mais était-on censé avoir des secrets pour des Jedis en mission ?

— C’est quoi vos noms ?
— Covey Nakos, répondit le contremaître, avant de présenter tour à tour les membres de son équipe. Joïl Sel’min, Val Mocz, Casey Locke, Kamil Raïd.
— Vous bossez pour qui ?
— Avada Prospection. C’est une société qui fournit des services d’arpentage, de relevés, de géométrie et de cartographie.
— Donc vous avez été contracté par une entreprise ?
— Probablement, mais on nous tient pas au courant de ces choses-là. Nous, on va là où on nous dit, on pose ce qu’il y a à poser et voilà.

Karm hocha lentement la tête.

Mocz se risqua à intervenir.

— C’est quoi cette histoire de périmètre ?

Il y eut un silence embarrassé. C’était la première mission de Val, et il n’avait pas encore assimilé toutes les subtilités du métier.

— La planète est protégé par un moratoire de la République sur l’exploitation de ses ressources naturelles, le temps que sa situation soit évaluée de façon satisfaction par les services de protection.
— C’est un truc écologique ?
— En partie. Et en partie parce que la République a un droit de préemption sur les planètes vierges dans son territoire, pour y favoriser l’installation de missions scientifiques et de colonies de peuplement. Ce que vous êtes en train de faire, là, c’est… Ben, illégal.
— On peut faire des trucs illégaux si on a pas conscience que c’était illégal, demanda Raïd, de plus en plus nerveux.

Excellente question.
Karm n’était pas trop sûr de la réponse.

— Ecoutez, nous, ce qui nous intéresse, c’est de faire la lumière sur cette affaire, pas de créer des ennuis à des gens qu’on a menés en bateau.
Thann Sîdh
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Son maître lui fit signe de descendre, ce qu’elle fit avec souplesse et discrétion. Un oiseau, sûrement, eût à peine fait plus de bruit. Alors qu’ils s’engageaient de concert dans la plaine, une certaine tension gagna l’adolescente. Un sentiment étrange, à la fois de tous ses sens en alerte, dirigé vers le seul besoin de répondre en cas de danger, et à la fois, l’impression d’être pour la première fois dans la réalité, d’agir, pour la première fois sur le monde. Elle avait quitté le Temple. Ses bancs, ses professeurs, sa sérénité, sa passivité. Elle avait quitté le Temple et gagné le monde.

Elle n’avait pas besoin de tourner son regard vers l’un ou l’autre des acteurs de cette scène, elle avait claire conscience de tous. Elle prêta une attention particulière à son Maître, à sa façon d’avancer, à la fois assurée et rassurante, savante composition d’autorité et de conciliation. Elle sentait tout autant sa fermeté que sa bienveillance, sa franchise. Il ne voulait pas combattre, il le faisait sentir, entendre et à la fois, il faisait aussi comprendre qu’une telle extrémité ne l’effrayait pas. Il ne s’agissait pas de faire peur, simplement, faire entendre qu’il incarnait à cet instant la loi, le bien commun et que ni le bien commun ni la loi ne cédait pas.


« Ecoutez, nous, ce qui nous intéresse, c’est de faire la lumière sur cette affaire, pas de créer des ennuis à des gens qu’on a menés en bateau. »

La loi, l’article, l’alinéa exacts lui apparurent de même que l’évidence qu’il s’agissait ici de faire davantage dans la vulgarisation. Avant de s’en rendre compte, elle commençait à parler :

« Si par ‘faire des trucs illégaux si on a pas conscience que c’était illégal’, vous voulez dire ‘on pourra se faire pardonner’, oui. Bien sûr, ce sera à condition de votre entière coopération et d’une entrevue avec un juge. Vous comprenez qu’on ne peut pas juste se serrer la main et se quitter bons copains ?

– Et, on nous laissera partir, sans souci ?

– Si vous vous inquiétez pour ça, non, ça n’apparaîtra pas dans votre casier. Le ‘nul n’est censé ignorer la loi’ n’est plus de mise depuis quelques années, déjà, il existe à présent des droits à l’erreur mais aussi des circonstances atténuantes puisque visiblement vous avez été l’objet d’un abus de confiance. Je ne vous promets pas que vous ne serez pas invités à réparer les éventuelles dégradations que vous avez occasionnées.

– Ouais mais ça, ça veut dire qu’on doit cafter ? »

La tension monta d’un cran. Allaient-ils prendre le risque de s’exposer à des représailles pour avoir parlé contre leurs employeurs ?

« Il faut bien que le véritable méchant soit puni, non ? Et puis, on ne peut pas simplement vous croire sur parole. Si vraiment on vous a joué un sale tour, ça ne devrait pas être bien difficile de le prouver, non ? »

Tout le monde regardait le sieur Nakos et attendaient sa réaction pour se calquer sur elle mais le silence s’installait et la réaction ne venait pas. Clairement, le contremaître ne semblait pas aussi innocent que ses ouvriers.

« Monsieur Nakos ? Nous sommes prêts à tout faire pour que les choses se passent sans heurt et au mieux pour vous qui êtes visiblement tous des victimes, simplement, nous ne pouvons le faire qu’à condition que vous acceptiez de nous parler, vous comprenez ? »

La réponse se fit encore attendre mais finalement, le grand bonhomme lâcha.

« Ecoutez, faut que je vous parle en privé. Les gars, vous devez pas être mêlé à ça, vous n’y êtes pour rien. Commencer à ranger l’tout, on va pas traîner ici. Vous voulez bien qu’on discute un peu, Jedis ? »

La surprise se lut assez aisément sur les visages de chacun mais les mots étaient clairs, ils ne devaient rien entendre. De plus, une tâche leur avait été donnée, ça, ils savaient gérer. Joïl Sel’min, Val Mocz, Casey Locke et Kamil Raïd s’éloignèrent donc, le dernier posant sa main sur l’épaule de son supérieur en signe de soutient et de reconnaissance, et ce simple geste ému profondément la jeune Padawan ; le drame qui se jouait n’était pas dénué de beauté.

Une fois que tous se furent suffisamment éloignés, Covey lâcha son arme et se laissa tomber lourdement sur le sol avant de se redresser et se caler sur son séant, invitant d’un geste les Jedis à se rapprocher pour entendre sa confidence. Plus elle se rapprochait, plus Thann lui trouvait un visage soudainement tiré, fatigué, grave. Quoiqu’il eût à dire, il semblait sur le point de se décharger d’un lourd fardeau, autrement plus pénible qu’un taggue douteux dissimulé derrière les rayons d’une bibliothèque du Temple Jedi.
Karm Torr
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— Y a beaucoup de droïdes, de nos jours.

Assis en face de Nakos, Karm resta silencieux, en supposant que ce début peu prometteur annonçait une suite plus éclairante.

— Y a encore vingt ans, quand j’ai commencé dans le métier, une planète comme ça, c’était trois mois de travail pour une équipe de vingt personnes. Aujourd’hui, on lâche des drones partout, les stations sont complètement automatisées, on fait le tour en navette. Quelques jours pour une dizaine de types, emballé, c’est plié. Faut travailler toujours plus vite, toujours mieux. Pour peu qu’on soit sur une voie hyperspatiale, c’est à peine si y a besoin d’un pilote dans le vaisseau, tant tout est bien cartographié.

C’était une réalité d’exploration bien différente de celle que connaissaient les Jedis qui, sans négliger les moyens techniques de plus en plus utiles, accordaient trop d’importance à l’impression que l’explorateur avait d’une planète et de ses milieux à travers la Force pour sacrifier entièrement à la vogue du tout automatisé.

— Si on veut rester compétitifs, faut réduire les coûts, accélérer les processus, et puis aussi dénicher des marchés inédits. On est obligés de faire certains compromis.
— … dont des compromis avec la loi, suggéra Karm, dont la voix basse et androgyne avait le mérite de paraître toujours à peu près calme et conciliant, pour un humain.

Nakos hésita un instant, puis finit par hocher la tête.

— Franchement, c’est le cas pour tout le monde. Personne respecte scrupuleusement les codes de préservation de la République. Y en a pour des centaines et des centaines de pages, c’est écrit souvent par des administrateurs qu’ont jamais mis les pieds dans une forêt. Et moi, les gars comptent sur moi, ils ont des familles à nourrir, j’ai une famille à nourrir. Si on perd ce boulot, ce qui nous attend, c’est quoi ? Échouer dans une colonie de la Bordure lointaine ? Ma femme est née sur Coruscant, mes enfants sont nés sur Coruscant, si je leur annonce qu’on débarque loin de toute civilisation, c’est le divorce, c’est sûr.

Les explications s’embrouillaient à mesure que le personnel se mêlait au professionnel, mais Karm avait rencontré assez d’aventuriers des terres sauvages, des chasseurs de prime aux bûcherons de l’extrême, des prospecteurs miniers aux astromécaniciens à moitié antiquaire, pour comprendre l’angoisse de la précarité et de la périphérie qui animait Covey.

— Alors Avada Prospection a développé une méthode un peu créative, on va dire, pour rafler les appels d’offres des marchés publics républicains. C’est pas méchant, c’est juste un peu… Enfin bref, on va sur les planètes sur moratoire avant tout le monde, on place discrètement des stations de surveillance, on récolte des données. Deux semaines plus tard, on revient, on replie tout, ni vu ni connu, et quand le moratoire est levé, que y a un marché public, nos clients peuvent rédiger une offre qui correspond pile poil à la planète. Parce qu’ils ont eu un aperçu en avant-première.

Il y avait quelque chose de bien ingénieux, songea Karm, dans cette petite ruse dont l’idée ne lui serait jamais venue.

— Vous voyez, on fait rien de vraiment mal pour la planète. Si le moratoire est maintenu, c’est du boulot perdu, mais faut être franc, ça arrive jamais, la République est pas du genre à laisser des territoires vierges inexploités. On prend juste un peu d’avance. Y a pas d’exploitation illégale. Juste un peu de, euh…
— Reconnaissance ?
— Ouais, voilà.

C’était une violation patentée et intentionnelle du moratoire, néanmoins. Karm n’était pas du genre à penser que les lois devaient être respectées pour la seule raison qu’elles étaient des lois, mais, en l’occurrence, il voyait sans peine en quoi cet acte aux conséquences in fine anodines peut-être pouvait ouvrir la porte à des dérives bien plus importantes.

— J’comprends, finit-il par répondre. Le truc, c’est que maintenant…

L’Ark-Ni jeta un coup d’oeil aux hommes qui les observaient tout en démontant la station.

— Maintenant, tout ça, c’est découvert, et ce qu’il faut que vous fassiez, c’est songer à vous protéger et à protéger vos gars. Et ça, ça veut dire parler.
— Mais Avada va couler et je vais me retrouver sans boulot.
— Peut-être. Mais ça, c’est pas exactement dans l’alternative, vous voyez ? C’est soit vous finissez comme coupable, avec de sacrés ennuis judiciaires, soit vous êtes témoin. C’est ça l’enjeu pour vous, maintenant.

D’un geste de la tête, Karm désigna le ciel, au-dessus, et par extension l’espace.

— Y a qui, là-haut, exactement ?
Thann Sîdh
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La détresse du contremaître avait saisi Thann au cœur et, bien qu’elle sût pertinemment où était son rôle, tout son sens moral lui hurlait l’injustice de la situation. Elle n’était ni le législateur, ni le juge. Il ne lui appartenait pas de considérer les faits, l’effectivité des circonstances atténuantes, le dommage hypothétique. Mais la réalité était là, un père de famille, un bon chef, loyal, généreux, assis à même le sol face aux représentants de la loi. Elle n’avait encore rien fait, et pourtant, elle avait presque l’impression, à cet instant, de ne pas être du côté du bien. Elle se sentait et confuse, et mal à l’aise.

Contrairement à son maître, elle restait debout, en retrait, pendant que les deux hommes discutaient. Elle ne savait guère quelle était sa place dans ce triste drame, quel rôle elle avait à jouer. La dernière question de son maître fut suivi d’un long silence. Le regard du contre-maître allait de son interlocuteur à ses mains qui trituraient des brins d’herbe. Elle n’avait pas besoin d’être face à lui pour percevoir le souci sur son visage.


« Monsieur Nakos, je ne peux qu’imaginer les difficultés auxquelles vous avez fait face et les pressions que vous avez subi. Personne ne vous jette la pierre, si vous avez mal agi au regard de la loi, vous avez, toujours, fait ce qu’il vous semblait juste pour les vôtres. Aujourd’hui, nous vous demandons de continuer dans cette voie. Malheureusement, votre situation est tragique, vous n’avez plus la possibilité d’une fin heureuse, mais vous pouvez toujours éviter le pire, saisissez le moindre mal. Certes, le risque est grand que vous perdiez votre emploi, mais songez à vos enfants, est-il préférable pour eux d’avoir un papa en recherche d’emploi, dévoué et près d’eux, ou un père en prison ? Car, je ne vais pas vous mentir, sans votre entière coopération, l’amende qui serait exigée de vous dépassera nettement vos moyens et dans ce cas, le sursis ne manquera pas de se transformer en peine de prison ferme.

Ce n’est pas ce que nous souhaitons, ce n’est pas ce que votre famille souhaite pour vous et puis… Qui sait, peut-être verraient-ils là l’occasion d’un nouveau départ ? Peut-être n’ont-ils pas osé vous parler de leur trop-plein de Coruscant comme vous avez gardé pour vous les difficultés que vous avez rencontrées ?

Vous êtes un homme compétent et visiblement doté d’un grand sens du devoir et de la morale… Peut-être…
Elle se pencha vers son maître, n’osant pas trop s’il lui était possible d’aller plus loin et à la fois, la situation parfaitement injuste de ce père de famille poussé au crime par le jeu des nécessités et des circonstances. Pourquoi ? Comment l’accumulation des richesses pouvaient-elles à ce point primer sur la vie de ces hommes ? Tant pis si elle allait trop loin, elle poursuivit : Peut-être pourrions-nous trouver une place de contre-maître sur l’une des colonies que l’Ordre Jedi met en place en collaboration avec la République ? Vous pourriez négocier cela comme des heures d’Intérêts Généraux d’abord puis entrer pleinement en fonction ensuite, non ? »

Son maître ne laissa transparaître aucune réaction, elle ignorait parfaitement si elle avait visé juste. En tous les cas, après un long soupire, le prospecteur leva les yeux vers elle pour lui répondre :

« Il faut que j’ai bien atteint le fond pour qu’une enfant, même Jedi, me remonte le moral et me fasse la leçon, hein ? M’enfin… T’es une brave fille. Là-haut, y a rien qu’une frégate légère capable d’embarquer plusieurs navettes et se protéger des éventuels pirates et bêtes sauvages de l’espace. Clairement, si loin des frontières de la République et des routes traditionnelles, le dispositif semblait un peu léger niveau sécurité. On a une prime de risques, pour ça, mais c’est pas bien fou quand on sait comment les choses pourraient vite tourner vinaigre. Pas un modèle de guerre, armées quand même, une tourelle dorsale, une ventrale. Le capitaine est un peu flemmard mais c’est pas un cador, j’l’imagine pas tenir tête à deux Jedis maintenant qu’on s’est faits choper. »
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Karm jeta un coup d’oeil à la station de surveillance, presque entièrement démontée désormais. Ironiquement, toutes ces données auraient été bien utiles à l’Ordre Jedi, et de manière générale aux services de la République.

Le Jedi reporta son attention sur Covey Nakos.

— Emmenez-nous avec vous et on parlera au capitaine.

Il y eut un moment de silence perplexe, puis Nakos finit par hocher la tête. C’était la suite logique. Convaincre le capitaine, se rendre aux autorités républicaines et, avec un peu de chance, négocier un accord qui soit favorable pour tout le monde.

— Faut que je commence par parler à mes hommes.
— Naturellement.

Le Gardin se releva en même que le contremaître, avant que celui-ci ne s’éloigne. Debout à côté de Thann, les mains dans les poches, Karm gardait le regard et l’attention fixés sur les cinq explorateurs qui s’entretenaient d’abord dans dans un murmure, et puis bientôt avec des éclats de voix. Chacun des hommes prenait la mesure de la situation et jetait aux Jedis des regards méfiants. Karm lui-même était prêt à réagir, si la frustration et la colère de l’un des ouvriers se transformaient en geste inconsidéré.

L’un d’entre eux se détacha du groupe en jetant quelques mots abrupts dans sa langue maternelle, que personne n’eut besoin de parler pour comprendre qu’il s’agissait de jurons. Nakos fit un signe de main apaisant en direction des Jedis, pour les assurer que la situation était sous contrôle. D’ailleurs, l’autre ne partit pas très loin. Sans doute avait-il besoin d’évacuer un peu. Somme toute, les hommes étaient plutôt en colère contre leur chef et contre leur entreprise, que contre les Jedis, qui inspiraient comme souvent un mélange de respect et d’appréhension.

— La colonie, c’t’une bonne idée. J’pense que ça pourrait passer.

Karm n’avait pas encore pris la mesure de son autorité. Peu habitué à avoir des responsabilités opérationnelles importantes, il n’avait toujours pas saisi que, dans bien des colonies de peuplement dont il supervisait sur le terrain le développement pour le compte de l’Ordre Jedi, il avait le pouvoir de décider d’un certain nombre de fonctions. L’idée que, dans des circonstances de plus en plus nombreuses, il était devenu un chef avait encore du chemin à faire dans son esprit.

— ‘Fin, pour nous, du point de vue de l’Ordre. Pour le droit républicain, ça, j’avoue, c’est pas trop mon domaine. Vraiment pas, même. J’espère que t’es attentive en cours de droit, parce que perso, là, je nage dans le brouillard.

Il s’interrompit alors que Nakos revenait vers eux entouré de ses hommes. Ils avaient réussi à convaincre le mécontent de se joindre au groupe.

— Je tiens à préciser que mes gars avaient aucune idée des restrictions imposées sur la planète, débuta le contremaître. Et c’est pareil pour la plupart des gens qui bossent sur le vaisseau, là-haut.
— J’ai bien compris, assura Karm d’une voix que sa douceur naturelle ne rendait que plus conciliante. Nous, vous savez, on est là pour chercher la meilleure solution, le trip justice implacable et inflexible, c’est pas trop notre truc.
— Ouais, enfin, préserver une planète pour la beauté de la chose, c’est quand même vachement idéaliste, interrompit Joïl.
— C’est pas pour la beauté de la chose. Par exemple, on a trouvé des herbes médicinales inédites ici. Elles poussent super difficilement, faut étudier leur milieu pour comprendre leurs principes de leur culture et reproduire ça ailleurs. Si on exploite tout d’entrée de jeu, on peut passer à côté d’une découverte médicale essentielle. Par exemple.

Bien sûr, Karm pensait aussi que préserver la beauté d’une nature sauvage avait une valeur spirituelle irremplaçable, mais il soupçonnait que ce genre d’arguments porterait beaucoup moins qu’une approche plus pragmatique. Joïl esquissa une moue dubitative, pour la forme, mais au fond, l’Ark-Ni sentit bien que son exemple avait porté.

— Est-ce qu’on avertit dès maintenant la frégate que vous allez monter avec nous ?

Le Chevalier se laissa le temps de la réflexion. C’était courir le risque que, là-haut, on se mette à faire disparaître des preuves. D’un autre côté, ni Thann et lui n’étaient pas équipés pour récolter quoi que ce soit, et avertir à l’avance de leur présence permettrait sans doute de désamorcer bien des conflits. Il hocha la tête.

— Bon, OK. Les gars, on finit de remballer et on décolle dans un quart d’heure. J’avertis le capitaine. Vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
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