A cette heure-ci, le temple était plutôt calme. Ses occupants plutôt tournés vers la méditation ou l'étude de sujets divers, dans la quiétude qui faisait la base de la discipline tant prisée par l'Ordre.
Même les quartiers dédiés à l'entraînement ne faisaient guère de remous, à part quelques adeptes de l'escrime désireux de retravailler un geste technique vu précédemment, ou de se maintenir en forme optimale et ne se dépensaient alors pas outre mesure.
Excepté dans une alcôve, légèrement en retrait dans le fond du centre martial d'où prenaient le rugissement de l'air surchauffé et le crépitement du choc de deux lames de plasma dans un concert rarement interrompu.

Dans ce recoin un peu à l'écart des regards luttait un Jedi à la réputation peu envieuse. Mais il ne se battait pas pour sa vie, ni même pour apprendre. Non, l'escrimeur Thyrsian faisait face au pire ennemi qu'un homme puisse affronter, qu'il soit disciple de la Force ou simple entité vivante dans l'immensité de l'Univers.
L'ennemi intérieur, les sentiments et l'orgueil.
Face à lui, comme un exutoire à son conflit interne se tenait un droïde d'entraînement, ses membres mécaniques rigides brandissant deux sabres crépitants d'une lueur dorée qu'il frappait et repoussait de sa lame azurée, le front plissé de colère et de concentration.

La dernière fois qu'il était venu en ces lieux, Ses'Kai avait pratiqué une révision assez approfondie des quatre premières Formes de sabre, n'exerçant son cher Djem So que lorsque le robot avait buggué et l'avait agressé par surprise. Alors, il pensait que ses talents naturels lui suffiraient, s'il continuait à les affûter soigneusement comme un graveur soufflerait sur sa sculpture pour en chasser les micro-grains, pour un jour prétendre au rang de maître d'arme.
Alors, il pensait qu'il était indispensable pour lui de maîtriser un maximum de styles d'escrime, dans le but inavoué tant de pouvoir transmettre ses connaissances au plus grand nombre que pour s'attirer l'admiration de ses pairs sur ses fantastiques talents, et sa polyvalence martiale.
Pas aujourd'hui.
Les muscles mécaniques du robot peinaient à contenir la fureur du Thyrsian, qui abattait son sabre à deux mains avec une violence indigne d'un Jedi. Et cela, depuis des heures, alors que les leçons sages et équilibrées de son maître se répétaient dans un coin de sa tête, attisant à la fois sa rage et son dégoût.

En sueur et torse nu, débarrassé de son plastron et de sa cape, Ses'Kai détourna un coup de taille du droïde, inversa ensuite sa prise sur son sabre pour bloquer un revers de son autre lame puis pivota pour sortir de l'axe d'attaque du robot et reprendre l'initiative en le frappant férocement.
Certains pouvaient simplement réfléchir sur leur nature propre en s'asseyant bêtement par terre, ou bien en contemplant le lointain, comme si cela pouvait les aider à projeter leur esprit au-delà des basses contraintes de leur corps.
Lui en était incapable. Il ne pouvait s'exprimer et se comprendre que lorsqu'il tenait un sabre à la main, et qu'on le mettait à l'épreuve. Sa méditation se faisait alors violence et menace, tandis qu'il laissait son instinct guider sa lame, réduisant sa conscience du monde extérieur au sabre de son adversaire.

*Exa' avait tort* songeait le Thyrsian qui n'avait pas desserré les poings depuis des heures. Son maître, Jedi Sentinelle, avait toujours favorisé l'équilibre et la polyvalence, arguant qu'un guerrier sans faiblesse ne pouvait alors être pris en défaut.
De tout temps, cela avait fait ricaner le bretteur. Un guerrier sans faiblesse est en effet un idéal, mais un guerrier sans force, ou sans spécialité, ne vaut guère mieux qu'un vulgaire droïde. Aussi, alors que le Togruta s'efforçait de le faire travailler ses points faibles, Ses'Kai s'était enorgueilli de développer pour sa part ses talents naturels. Une spécialité, suffisamment poussée, permettait d'exécuter en un instant un adversaire.
Travailler ce pour quoi on est doué, jusqu'à en faire une létalité absolue. Voilà ce en quoi croyait le bretteur. Et ce pourquoi en ce jour, il était aussi troublé.

*Moi aussi, j'avais tort* un coup puissant du droïde le força à reculer, mais il détourna la seconde attaque, puis la troisième en faisant tournoyer son sabre autour de lui, bloquant les coups au plus près du corps pour ménager un minimum d'espace, et avoir d'autant plus d'ampleur pour riposter. En quelques frappes, il regagna le terrain perdu, et plus encore.
Le Djem So. Attaquer pour dominer. Frapper le premier, frapper les attaques de l'adversaire pour les briser, et continuer à agresser. Un style très décrié par les Jedis, qui le jugeaient à la fois trop brutal et trop émotif.
Sur cela au moins, Ses'Kai ne les contredira pas.
Il avait toujours pensé que piocher des éléments des autres styles était noble, voire même idéal, pour compléter les quelques défauts de la Forme V ou avoir de quoi répondre si la situation devenait défavorable. Mais les derniers combats avaient fait naître un goût amer au fond de sa gorge, une boule au creux de l'estomac qui refusait de guérir.
Le sentiment de l'infériorité. Du faible qui doit lever la tête. De l'esclave, devant lever les yeux pour guetter la sanction de son maître.

En garde haute, il enchaîna trois coups puissants, confinant le robot d'entraînement sur la défensive puis tournoya pour décocher une frappe aller et retour à l'horizontale. Les derniers combats qu'il gardait en mémoire ne lui offraient guère de satisfaction...pour ne pas dire que de la rancune.
Sur Dubrillon, être un grand bretteur n'avait rien changé. Sa lame n'avait pas pu éviter un bain de sang inutile, c'était bien beau d'en être revenu, mais à quoi bon si le peuple qu'il devait sauver se noyait dans ses propres cadavres ? C'était indigne d'un Jedi...
Sur l'Arca, durant sa mission avec le jeune padawan, il avait pu mener un combat sur le moment jouissif contre le Trandoshan...mais lorsqu'il y repensait avec du recul, et sans rien retirer au talent fantastique du reptile, c'était une honte qu'il y ait pris du plaisir. Son adversaire portait une arme de piètre qualité en comparaison d'un sabre laser, et n'avait ni les réflexes innés des Thyrsians, ni le soutien de la Force. Avoir traité ce hallebardier comme un égal était une véritable honte pour Ses'Kai...
Et pour finir, Emhyr Zaknafein. Le Jedi renégat, qui avait répondu à son défi comme un homme.

Avec un cri de rage et de frustration, le duelliste leva haut sa lame et l'abattit de toute ses forces sur le droïde, traversant sa garde et le touchant à ce qui s’apparentait à une clavicule, lui arrachant une série de cliquetis et de bips alors que ses circuits grésillaient. Son sabre étant réglé au niveau d'énergie le plus faible, la lame de plasma ne pouvait trancher le robot et permettait de prolonger plus sûrement la session.
Mais se faisant, il abandonna sa garde, et encore sur pieds la machine répliqua sans laisser un seul temps mort, prenant de court le Jedi qui peina à bloquer les deux premiers coups, avant qu'un troisième le frappant à la cuisse ne le fasse tomber sur le genou. La seconde épée du droide l'atteignit ensuite au bras d'arme.
C'était une position humiliante, car si les lames du droide étaient elle aussi réglées pour ne pas représenter de danger, elles infligeaient toutefois une sévère douleur et une brûlure à ne pas négliger...et laissait au Thyrsian l'impression d'être dominé par une pitoyable machine d'entraînement.
Machine qui, inlassablement, continuait ses assauts. Cette fois, Ses'Kai l'attrapa au poignet, stoppant péniblement son coup. Mais même ses bras puissants ne pouvaient rivaliser avec la force mécanique d'un robot. De plus, le droide possédait un second sabre et l'abattit à nouveau.
En réponse, le duelliste cessa de repousser la machine. Au contraire, il la tira à lui, s'aidant de ce même mouvement pour se relever et se dégager sur le flanc du droïde, lui décochant au passage un coup de sabre au tibia suivi d'un revers en plein dos.

Il ne trouva pourtant aucune satisfaction à renverser la situation contre le robot, car il avait été bien incapable de vaincre Emhyr. Certes, le renégat s'était avéré un redoutable bretteur lui aussi, un adversaire digne de lui et qui n'avait pas volé sa victoire contre le Thyrsian, si le duel s'était simplement prolongé en un contre un.
Mais ce qui l'écoeurait au point de ne pas réussir à se calmer depuis, c'était ce sentiment de n'avoir pas donné le meilleur de lui-même. Il aurait DU pouvoir mettre à mal le déserteur, lui rendre coup sur coup. Le Soretsu que pratiquait Emhyr était très efficace pour se protéger, autant que ne l'était le Djem So pour mener l'offensive, mais n'aurait pas du lui permettre de dominer aussi aisément par ses ripostes le Thyrsian.
Depuis, Ses'Kai avait l'horrible impression d'avoir tort. Tort à propos de l'escrime, des Jedis et de lui. S'il avait perdu, c'était soit car il était trop faible, soit car il avait choisi la mauvaise voie. Alors depuis des heures, il éprouvait ses talents contre un droïde de combat.
Ce dernier repassa à l'assaut, usant de frappes moins amples cette fois. Ses'Kai continua les attaques par le haut, chassant et détournant les sabres de son "rival" vers le bas pour réduire sa marge de manoeuvre et maintenir la pression.

*C'est la bonne solution. MA bonne solution* considéra le duelliste, alors qu'il n'en démordait pas. La Forme V était SA Forme. Agressive, oppressante, puissante...elle permettait le plus souvent de répliquer face à la plupart des adversaires, et admettait souvent une victoire rapide tout en permettant d'enchaîner plusieurs batailles. Elle semblait crier "Avance !" à chaque coup, et était la seule à le faire.
Le Djem So n'était donc pas en tort, donc ce devait être lui qui avait été trop faible. Peut-être avait-il succombé à l'orgueil, se dit-il en frappant de deux balayages en biais le droïde, et en l'absence de suffisamment de défis à la hauteur s'était surestimé. La suffisance, la soif de bataille et l'agressivité étaient des traits assez innés chez lui, il est vrai...autant qu'ils étaient pointés du doigt par les Jedis.
Alors les Jedis étaient-ils en cause ? Eux, et leur philosophie passive. Est-ce que, entouré de protecteurs qui évitaient les combats, le Thyrsian s'était lui aussi affaibli, ou bien n'avait-il pas suffisamment progressé ? Le Trandoshan et Emhyr, ses meilleurs adversaires depuis bien longtemps, ne faisaient pas ou plus partie de l'Ordre Jedi et avaient su lui tenir tête...

D'une torsion du buste, Ses'Kai esquiva de justesse une estocade, abattant son sabre par le côté pour détourner la lame du robot et enchaîna les tailles et balayages à hauteur d'épaule sitôt qu'il reprit son équilibre.
Peu probable...cela faisait bien longtemps qu'il se savait différent de l'archétype Jedi. A tel point qu'on avait tendance à le considérer d'un mauvais oeil, voire même à le traiter de presque-Sith. Une terrible insulte à son goût, mais dont il comprenait douloureusement l'origine. L'Ordre avait probablement tort dans l'époque actuelle, mais ce n'était pas lui qui l'avait fait échoué.
Il se baissa en frappant bas, pour esquiver un revers haut et parer en même temps une coupe ascendante, répliquant de deux frappes à la suite au niveau des hanches et du buste, puis sauta pour esquiver une attaque au ras du sol, abattant son sabre sur la tête du robot qui se remit à grésiller.

Inversant sa prise sur son sabre, il le fit tournoyer pour repousser les prochains assauts du droïde et le feinter, bloquant deux attaques avant de se dégager par le côté en évitant la troisième, reprenant son arme à deux mains pour frapper comme s'il voulait trancher le bras de la machine.
Si le Djem So était bon, dans ses techniques et sa philosophie, et si l'Ordre Jedi n'était pas une entrave à sa progression, à peine une bride bienvenue pour contrôler sa fureur, alors la faute lui incombait à lui seul.
Ses'Kai dévia le coup du droïde sur le côté, laissa glisser le second sur son sabre et repoussa la troisième attaque vers le haut, se retrouvant en garde haute du même coup et abattit à nouveau sa lame bleue dans l'épaule de la machine avec une colère renouvelée. Ce constat...cette déduction, il les avait déjà fait. Plusieurs fois.
Il était tout simplement trop faible actuellement. En se croyant supérieur, il avait tout simplement manqué de conviction pour progresser, ne parvenant qu'à s'entretenir convenablement au lieu de s'améliorer, comme le prouvait les diverses entailles et brûlures que lui avait causé un misérable droïde d'entraînement, aussi difficile que soit son protocole de duel.
Seulement, le Jedi doutait largement qu'il puisse se surpasser en se contentant de missions peinardes et de quelques passes avec des machines stupides. Il lui fallait de l'aventure dangereuse, des défis mortels permanents.*Comme à l'arène...la mort ou la gloire*. Une devise autant qu'un cri de guerre, et qui lui convenait parfaitement.

En appelant la Force, Ses'Kai mit fin à la session en repoussant violemment le droïde jusqu'au mur au fond de la salle. Cela ne l'endommagea guère, mais le fit mettre fin à son programme. Les muscles en feu, remplis d'acide lactique et le souffle court, épuisé alors que la fatigue lui retombait dessus d'un coup, le Thyrsian se laissa tomber au sol en haletant.
Il avait toujours su que seuls les défis les plus grands lui permettraient à son tour de grandir...mais s'était contenté de les attendre. Comme l'aurait fait un Jedi moyen. Mais lui voulait être un guerrier de légende, et appliquerait désormais se disait-il le Djem So à sa façon de parcourir la galaxie. Il chercherait et traquerait les conflits, les engagerait frontalement, au lieu de bêtement patrouiller comme un vulgaire soldat lambda de la république.

Il grimaça en essayant de se relever, ses nombreuses blessures, bien que mineurs, additionnées à l'épuisement rendant difficile le moindre mouvement. Déterminé à ne pas perdre plus de temps, et surtout pas pour une raison aussi stupide, Ses'Kai se mit péniblement en position de méditation et prit son temps, ayant la paix au moins pour l'instant, et se concentra sur la Guérison, laissant la Force emplir son corps et parcourir ses chairs pour les réparer, le régénérer lentement jusqu'à ce qu'après plusieurs minutes il puisse se relever quasiment indemne.
En fait, le Thyrsian avait juste faim. Cependant il ne perdit pas de temps en passant par la cantine et regagna son vaisseau, prenant son envol et un casse-croûte au passage dans un placard, vers de nouveaux défis qui lui permettraient de s'améliorer.
Et également de laver son honneur. Le sentiment d'échec qui lui collait à la peau le souillait, teintait sa fierté d'une tache de honte qu'il lui tardait de noyer sous la gloire.