Voyl Clawback
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Le tumulte du Furtivo s'éloignait, à la vitesse de la lumière à présent. De retour à bord de la frégate, Clawback n'avait pas même pris le temps de prendre un café, et s'était attelé à la tâche qui lui incombait : planifier l'exfiltration de Klark. Contacter les services secrets de la République n'avait été que la première étape d'un processus long de plus d'une dizaine d'heures. Désormais, la bien nommée "Opération Biscotte" était sur les rails, et lui, en route pour Harnaidan, où il entendait bien récolter les lauriers pour son travail. Plusieurs jours avaient passés depuis qu'il s'était levé au beau milieu de la nuit, sorti de son lit par un appel d'urgence, suite à l'attaque de Dubrillion par la République. Beaucoup d'autres allaient encore passer avant qu'il ne puisse tourner définitivement cette page. Le nez sur son datapad, il venait de passer plus d'une dizaine d'appels en moins d'un quart d'heure, et avait envoyé tous ses subalternes sur la brèche, le tout avec une mauvaise humeur digne d'une telle situation. Sa hanche recommençait à le lancer sans raison et progresser dans les couloirs interminables de la frégate lui coûta bien plus d'énergie que prévu.

Voyl n'espérait plus qu'une chose : pouvoir fermer les yeux, l'espace d'un instant, pour plonger dans un sommeil qu'il n'avait plus fréquenté depuis près de quarante-huit heures. La Force en décida autrement, quand, parvenu à sa cabine, il reçut un nouvel appel. La seule chose qui le décida à ne pas appuyer sur "renvoi automatique" fut le nom inscrit sur l'écran : Nia Clawback. Le terminal holographique lui renvoya le visage de sa mère. Nia, dans une tenue élégante et sévère, comme à son habitude. Voyl inspira rapidement, avant de se composer un air plus avenant que celui qu'il trimbalait depuis le Furtivo.

" Je suis navré, mère, mais nous sommes en situation de crise. Je suis débordé, rappelez-moi plus tard, je vous prie. Ce...

- Je savais que tu dirais ça ! Je me doute bien que tu n'as pas une minute à toi ! Seulement ça ne peut pas attendre !

- Qu'est-ce qui ne peut pas attendre ? "

Le ton de Nia était plus fébrile que jamais. Ses mains s'agitaient et il sembla à Voyl qu'elle venait de sautiller sur place.

" C'est Shiney, Voyl. Elle va accoucher d'une minute à l'autre ! "

Le visage du muun se décomposa. Non, pas ça... Pas ça maintenant ! Son cerveau se mit en veille. Certes, il savait que la grossesse de Shiney touchait à sa fin... mais pourquoi maintenant ? Pourquoi cela n'arrivait-il pas dans quelques heures, ou dans quelques jours ? Il allait finir par croire qu'il était maudit.

" C'est une blague...

- Bien sûr que non ! "

Le terminal lui échappa des mains. Sonné, il bascula contre le mur et s'y raccrocha in extremis d'un bras.

" Voyl ? Voyl ?! "

Le comlink resta là, posé à même le sol, alors que le représentant venait de s'effondrer dans le premier siège à sa portée, comme frappé par la foudre. Il venait de passer des heures et des heures à parler de bataille, de Sénat, de décisions primordiales... et désormais, un bébé allait entrer dans la danse ! Bientôt, il allait se voir en train de supplier qu'on l'achève.

" Bon sang... Pas maintenant... Pas maintenant ! "

La tête entre les paumes, Clawback ferma les yeux. Aucune bouteille d'alcool, aucune cafetière à proximité pour l'aider à remettre de l'ordre dans ce bazar intellectuel. Juste le datapad encore en train de biper frénétiquement sur le sol. Lentement, son dos bascula contre le dossier. Il se laissa partir en arrière, jusqu'à ce que sa nuque lui fasse mal d'être ainsi cassée en deux. Des pas résonnèrent derrière la porte, qui s'ouvrit dans un léger chuintement. La haute silhouette de Hex Reshord y apparut. Au moins aussi épuisé que son supérieur, l'indéboulonnable secrétaire du vice-directeur n'en cessa pas pour autant d'assurer son rôle. En occurrence, de porter un nouveau message depuis le pont principal.

" Monsieur, c'est le directeur. On vous demande de toute urgence à Harnaidan... C'est suite à votre message depuis le Furtivo. "

Reshord s'arrêta net lorsqu'il vit Voyl et son teint cadavérique. Les deux muun échangèrent un regard. Le secrétaire de longue date n'avait pas besoin de plus pour comprendre qu'il venait d'apporter des soucis supplémentaires. Clawback se releva en se tenant à la table devant lui et s'éloigna en silence, sa démarche lente et légèrement claudicante témoignant de sa pénible réflexion.

Jamais de sa vie il n’avait eu à redouter autant les conséquences d’un choix. Sous les apparences de l'indifférence, mettre dans la balance sa vie professionnelle et sa vie privée devenait, au fil du temps, une équation si complexe qu'un ordinateur finirait par y griller ses circuits. D'un côté, il laissait passer l'une des seules occasion d'atteindre le sommet qu'il convoitait depuis tant d'années. De l'autre, il perdait l'estime de sa propre femme, qu'il avait eu tant de peine à ne pas trop dégrader. Malgré le fait qu'il n'ait jamais souhaité être marié, il avait toujours accepté qu'un jour, la pérennité de son œuvre passerait par un moment semblable. Mais il n'y était absolument pas préparé. Avant, avant tout ça, il n'y aurait pas eu de choix à faire. Aujourd'hui, quelque chose le retenait malgré sa résolution de ne rien lâcher. Shiney n'était pas une enfant, ni une humaine irraisonnée. Elle comprendrait ! Il en était convaincu. Alors pourquoi avait-il l'ignoble sensation d'être coupable ?

C'était son enfant. L'héritier des Clawback. Choisir revenait à perdre dans tous les cas. Mais Voyl ne pouvait pas se résoudre à perdre une occasion qui pouvait faire culminer la carrière qu'il avait mis toute une vie à bâtir. La mère et l'enfant étaient en sécurité et surprotégés par son entourage. Ils pourraient encore attendre quelques heures : le temps pour lui de se présenter au quartier général et voir ce que Goldfield pouvait trouver à redire de son plan d'action. C'était la solution la plus viable, celle qui présentait le moins de risque. Dan et Nia ne pourraient que le soutenir. Shiney comprendrait. Même si leur relation n'avait jamais vraiment ressemblé à celle d'un "couple normal", tel que l'entendait la majorité de la galaxie d'aujourd'hui, il comptait sur le fait qu'elle soit sur la même longueur d'onde que lui. Elle comprendrait, oui.

Il revit, une seconde, les yeux d'or de Wed'lek, son sourire, dans les rayons d'un coucher de soleil sur Naboo. Puis, comme un douloureux rappel, la soirée sur Telerath aux bras de Shiney, leur discussion ce soir-là. Toute sa vie venait de prendre un tournant des plus effrayants. Il allait être père, là, au beau milieu d'une guerre, alors que tout pouvait encore basculer. Kira avait mis une pagaille sans nom dans le secteur, mais pire encore, par son initiative, la reine ondéronnienne venait de faire s'entrechoquer un nombre indéterminé de paramètres dans la vie de ses propres concitoyens. Causant ainsi un nombre tout aussi indéterminé d'issues plus ou moins catastrophiques. Dans son dos, Voyl entendit de nouveau la voix étouffée de Hex, gêné.

" Vous... vous souhaitez que je...?

-Non ! Non, surtout pas. Je ne vais pas laisser passer une chance pareille. Ils auront un compte rendu complet, en direct ! "

Ses yeux d'améthyste brillaient comme rarement auparavant. Toute la tension qui régnait à bord se cristallisait autour d'eux.

"Que dois-je donc faire, monsieur ?

-Affrétez une navette pour Harnaidan immédiatement. Direction les quartiers généraux : ne les faisons pas attendre. "

Le secrétaire acquiesça et disparut dans l'encadrement de la porte plus vite qu'il n'était entré. Le regard porté au travers de l'immense vitre, devant le balais des vaisseaux qui gravitaient autour de la gigantesque carlingue, Clawback ferma les yeux, se laissant aller une dernière fois avant de replonger tête la première dans le délire de l'agitation permanente.

" Pardonne-moi, Shiney. "

Avec un soupir lourd et résigné, il ramassa ses effets et quitta les lieux.
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Il faisait nuit noire sur Harnaidan lorsque le speeder freina juste devant les quartiers généraux du Clan Bancaire Intergalactique. Le bâtiment, aussi haut que large, trônait sur les hauteur de la ville, éclairé comme en plein jour. La capitale ne dormait jamais tout à fait et cet endroit-ci encore moins que le reste. Toujours, il demeurait quelques fenêtres allumées, même aux heures les plus tardives ou matinales. Clawback, débarqué au pied de la volée d'escaliers qui séparait l'entrée magistrale de la rue, la franchit quatre à quatre, ne laissant aucune chance à ceux qui le suivaient de lui emboîter le pas sans avoir à courir.

Au sein de ses hall gigantesques, même les plus grandes espèces aliens pouvaient se sentir écrasées par la quantité astronomique de marbre et de bois précieux qui constituaient des allées interminables, des salles soutenues par des colonnes immenses dont l'allure massive se voulait image d'une immuabilité absolue. Le silence y était de mise, car le moindre bruit se répercutait en échos infinis. Les paroles devenaient cependant rapidement inintelligibles : un bourdonnement continu et grave qui pouvait ressembler à celui d'une machine.

" La Haute Cours a d'ores et déjà lancer des investigations de grande ampleur. Nous devrions en savoir plus dans les jours à venir.

-Le département des communications ne fait pas partie du périmètre de l'investigation, je suppose ? J'en aurais été le premier averti.

-Le Haut Juge pense que vous êtes à même de vous charger vous-même des opérations en ce qui concernent vos propres systèmes. "

Voyl se renfrogna. Il pouvait difficilement objecter quoi que ce soit face à un tel argument. Néanmoins, il n'était pas dupe pour autant : c'était, encore une fois, une manière de se défausser sur lui... Certains avaient de plus en plus la fâcheuse manie de le prendre pour le valet de chambre de la direction.

" Certes. Je lui donne raison sur ce point. Je ne suis cependant pas le seul compétent en la matière : les protocoles sont accessibles par le personnel de mes services. Vous n'êtes pas sans savoir que la situation dans le secteur Myto requiert que je m'investisse pleinement dans les négociations actuelles.

-La situation est à ce point critique ?

-Suffisamment critique pour que les jedi s'en mêlent, si vous voulez tout savoir ! "

Ces jedi... Quand il y repensa, Clawback sentit toute la colère qu'il avait refoulée se remettre à bouillonner. Les minutes qu'il avait perdues par dizaines, à cause d'ordres stupides et de l'orgueil d'une jeune féline qui tenait visiblement à lui pourrir l'existence ! Pire : elle semblait penser qu'elle lui rendait service ! Toute cette histoire avait beau être derrière lui, elle laissait un goût amer. Le représentant aurait pu parier que son supérieur ne manquerait pas de pointer les heures qui s'étaient écoulées sans qu'il ne parvienne à les joindre. Effectivement, il aurait gagné gros... Des heures qui auraient pu leur coûter bien plus cher que quelques manœuvres dans l'espace, cependant. Voyl n'en était que trop conscient.

La haute silhouette longiligne de Clawback s'avança, seule, sur le tapis interminable qui traversait le couloir menant jusqu'au dernier bureau qui trônait en haut de la tour. Comme le voulait le protocole, il s'arrêta à trois pas de la porte au signe des gardes et attendit. Quand le signe vint, il fut introduit auprès de celui qui l'avait convoqué : Ezer Goldfield, directeur du Clan Bancaire Intergalactique depuis maintenant vingt-et-un ans. Ce bureau était tout ce qui se faisait de mieux sur Harnaidan,tout ce dont un muun bien né aurait voulu. Mais plus encore, tout ce qu'il représentait : le pouvoir absolu sur la finance harnaidani d'abord, muun ensuite, et bien plus pour qui connaissait l'étendue tentaculaire de leurs institutions multimillénaire. Pour les vieux rapaces de la trempe de Clawback, qui, toute leur carrière, avaient joué des coudes pour espérer un jour être amenés à y siéger, toutes les longues inscriptions cabalistiques le long des dorures et des signifiaient beaucoup de choses. Chaque décor avait une signification qui dépassait la simple lubie de vouloir en mettre plein la vue aux rares et privilégiés visiteurs. C'était un code ancien et accepté de tous, qui remontait à la fondation du clan, elle-même siège de toute la répartition des pouvoirs planétaires.

Les portes se refermèrent dans son dos, ainsi que toute la batterie de systèmes de sécurité invisibles qui lui étaient liés. Dos à la porte, penché sur son immense bureau, Ezer semblait manipuler quelque chose avec beaucoup de minutie.

" Vous êtes vraiment infatigable, Clawback. "

Il y avait comme une sorte d'amusement dans sa voix. Un amusement las et presque empreint d'une détestable forme de pitié. Sentant que la colère froide de son interlocuteur devenait un peu trop tangible, le directeur en poste décida de reprendre ses distances et sa neutralité de ton. Il se retourna, digne, et lui fit face.

" Toutes mes félicitations. On peut dire que vous savez faire preuve d'efficacité, d’opiniâtreté extrême, même. Je n'avais pas encore eu l'occasion de vous voir à l’œuvre personnellement, éloigné que j'ai toujours été de Coruscant, mais cette fois, c'est différent. Néanmoins... Pour une fois, il nous a semblé que votre "fulgurance" n'était pas au rendez-vous. Toutes ces heures sans pouvoir vous joindre, ce silence qui n'en finissait pas... Certains en sont venus à me demander si vous ne faisiez pas exprès de vous réjouir du pouvoir que l'on vous avait octroyé sur la situation. "

Le vieux muun semblait plus que satisfait de sa pique. Voyl fit de son mieux pour ne pas grincer des dents et lui rendre la politesse. Son sourire ne sonnait pas plus faux - mais pas plus juste - qu'à l'ordinaire.

" La situation à bord ne m'a pas permis d'aller aussi vite que je l'aurais souhaité. Je m'en excuse. "

Il s'était légèrement incliné à sa dernière phrase. L'humilité auquel il était astreint ne suffisait cependant pas à masquer tout le sévère dédain de son attitude. Même pour un muun, Clawback restait l'un des plus grands de sa génération, et dépassait Goldfield d'une bonne tête. Ce qui avait toujours silencieusement agacé son supérieur hiérarchique, comme bon nombre d'autres interlocuteurs. Devoir toujours lever la tête pour s'adresser à lui pouvait s'avérer frustrant. Pour le représentant, c'était une source de potentielle revanche, surtout quand on tentait de lui faire trop sentir son infériorité, quelle qu'en soit la nature. Un combat d'une petitesse ridicule, mais qui faisait son office, pour un Voyl déjà bien agacé.

" Soit, j'imagine. Après tout, vous êtes l'un des plus anciens de la maison, et je ne doute pas que vous saurez vous défendre de ces allégations. Tous vos efforts, ces dernières années, ont été largement remarqués. Les derniers en date ne sont pas des moindres. Vous arrivez à nous faire accepter sur le devant de la scène économique comme rarement ces derniers siècles. "

Sans orgueil excessif, Claback admettait que l'éloge avait sa part de vérité. Après des premières années sans grand remous auprès des gouvernements successifs, ses dernières prises de position et ententes auprès de la gente politique galactique avaient progressivement portés leurs fruits. Rien n'allait jamais sans quelques sacrifices, mais Voyl avait pris le risque. De même qu'il avait pris le risque de jouer de son influence auprès des autres dirigeants muuns pour faire accepter le pari un peu fou de Kira avec les mondes neutres. Un pari qui allait, après une bonne sueur froide, leur rapporter gros...

" J'ai toujours fait de mon mieux pour servir le CBI dans la mesure de mes moyens, monsieur le directeur. "

Ce titre sonnait toujours avec une hypocrisie parfaitement dosée. Goldfield ne se privait jamais de jouer de ce ton, dont il semblait avoir appris toutes les subtilités années après années.

" J'ai déposé une pour la création d'un nouveau poste au sein du Conseil. Ceci dans le but de donner à vos dernières actions tout le lustre qu'elles méritent. Après tout, c'est grâce à votre dévouement et votre réactivité que nous sommes parvenus à de si judicieuses décisions. "

Clawback s'arrêta net. Des compliments ? De la part de Goldfield, c'était une chose hautement improbable. Depuis qu'il était entré dans le bureau, la désagréable impression d'avoir mis les pieds dans un piège ne faisait qu'augmenter. Les derniers propos tenus par le muun ne firent que confirmer cette impression, et pire, lui donnèrent corps comme jamais auparavant. Même si Voyl pouvait difficilement lire dans les manœuvres d'un être tel que Goldfield, il le connaissait assez bien pour savoir que celle-ci n'avait qu'un objectif : le mettre hors d'état de nuire - c'est à dire, incapable de lui damer le pion. Du moins, dans l'immédiat.

" J'aurais encore besoin de tout votre talent pour parvenir à faire du CBI la première banque de la galaxie. C'est un objectif à notre mesure, je pense ? "

Il le pensait ? C'était ce pourquoi Clawback travaillait depuis des décennies... Qui, au CBI ou ailleurs, pouvait en douter ? Les deux muuns se tournaient autour tels des rapaces lorgnant sur la même carcasse depuis des lustres. Ils se connaissaient trop bien pour être dupes des manœuvres, l'un comme l'autre. Après avoir fréquenté les mêmes écoles, les mêmes assemblées, la même entreprise, il y avait peu de concurrence intergalactique se connaissant mieux que Goldfield et Clawback.

" C'est un grand honneur, monsieur le directeur. Mais je ne suis pas certain de comprendre le fin mot de l'histoire. De quel statut est-il question ? Il me semble que nos règlements font état d'une liste assez exhaustive...

-Eh bien, vos attributions de direction au sein du département des Communications se conjuguant depuis de nombreuses années avec celles de représentant auprès du gouvernement, nous avons jugé utile et nécessaire d'étendre ces dernières, pour vous permettre de remplir plus facilement vos missions. Ainsi, je vous ai fait nommé Directeur Adjoint, mon cher Voyl ! Vous et moi travaillant de concert sur nos projets prioritaires, notre efficacité n'en sera que décuplée. Vous pourrez désormais vous passer de l'accord des autres départements, et ne serez assujetti qu'à ma seule autorité - ainsi qu'à celle du Conseil d'Administration, cela va de soi. "

Directeur adjoint. Adjoint ? Comment ça, adjoint ? Voyl resta interdit plusieurs secondes. Les premières secondes, il aurait voulu croire que Goldfield était saoul, ou sous l'emprise d'une drogue quelconque qui lui aurait permis d'encaisser les épreuves de ces derniers jours. Il n'en était rien : le muun était parfaitement et désespérément lui-même. Clawback resta silencieux, le temps d'intégrer l'information dans toutes ses dimensions. Il réalisa lentement ce que signifiait, ce qui donnait tout son sens à l'attitude faussement réjouie de Goldfield.

Un pis-allé de pouvoir qui le faisait désormais devoir rallier Muunilinst, alors qu'il était demeuré sur Coruscant tout ce temps, bien loin de la tyrannie de son concurrent direct. Une mise sous tutelle déguisée en promotion. Vous pourrez vous passer de l'accord des autres départements : cela ne signifiait en réalité pas grand chose. Car la dernière close annulait tout : sans l'accord de Goldfield, Clawback ne ferait rien. Désormais, pensa Voyl en dévisageant son adversaire sans ciller, il allait pouvoir épier chacun de ses faits et gestes. Il n'aurait même plus besoin de faire faire la besogne par une petite main quelconque : remarquablement bien joué.

" C'est un immense honneur que vous me faites, monsieur le directeur. "

Jamais Clawback n'avait ressenti quelque chose d'aussi néfaste à l'égard d'une seule personne. Il y avait toujours une forme de concurrence entre muuns, mais cette fois, cela n'avait plus grand chose à voir avec de la saine émulation professionnelle. C'était la haine, pure et dure, de celle qui fait promettre une vengeance longue et douloureuse à l'objet de ses ressentiments. Une seconde, Voyl pensa que son père avait dû ressentir à peu près la même chose, en son temps. Il se demandait s'il parviendrait à pardonner à Ezer, comme Dan était parvenu à pardonner - du moins en apparence - à Vault.

" Les ressorts de la situation n'étant présentement plus entre nos mains, nous n'avancerons guère sur ces dossiers cette nuit. Vous pouvez prendre congé : je mettrais les formalités en route dès demain matin. "

Clawback était trop fatigué pour songer à mettre en route une manigance sous le simple coup de la colère. Cependant, il n'était pas près d'oublier la conversation, et encore moins la soirée qu'il venait de passer.

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Muunilinst - Harnaidan - Tour Akilonn -

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Shiney fixait le plafond. Cela faisait des heures que son calvaire avait pris fin, et que la moitié de sa chair avait pris la forme d'une toute petite chose d'une pâleur incroyable, blottie à présent dans ses bras. La muun observait avec un détachement surprenant le résultat de ces longs mois de souffrance silencieuse : pour toute les femelles de la galaxie, ce devait être un jour merveilleux. Pour elle, en revanche, c'était un soir plus triste et plus décevant que bien d'autres. D'abord, elle en avait vu de toutes les couleurs, peu informée qu'elle était sur les choses de la vie. Ensuite, sa belle-famille ne lui avait été d'aucun secours, et pire : elle avait désormais des envies de meurtre concernant une certaine belle-mère... Pour couronner le tout, le père de l'enfant, qu'elle avait espéré voir apparaître au moins une fois au cours de cette nuit sans fin, n'était jamais venu. Un silence assourdissant : personne n'était seulement parvenu à le joindre des heures durant, parti qu'il était sur un front militaire, pour des affaires dont Shiney ignorait le sujet.

Shiney était épuisée, démoralisée. Malgré tout, elle aimait son bébé : même si le doute l'assaillait, un lien invisible était parvenu à se tisser avec le nouveau-né, qui contrairement à beaucoup d'autres rejetons de toutes espèces, n'avait pas dit un mot après avoir crié de s'être aéré une première fois, dans l'air aseptisé de la pièce. Il dormait, contrairement à sa mère, lové dans ses langes. La jeune mère ne parvenait pas encore à réaliser ce qui venait de se produire. Il lui faudrait sans doute des semaines avant que ce ne soit le cas. Elle avait beau avoir été entourée de tous les soins possibles et imaginables, jamais elle ne s'était sentie aussi délaissée et aussi seule.

Peu après l'aube, des pas se firent de nouveau entendre dans le couloir qui longeait la chambre. Shiney Vault n'était parvenue qu'à dormir moins de deux heures malgré sa fatigue, tracassée par un nombre impressionnants de doutes et de ressentiments. Dans un chuintement feutré, la porte de sa chambre s'ouvrit et l'une des domestiques s'approcha avec précaution :

" M.Clawback est rentré, madame. Il est dans le petit salon.

- Qu'attend-il ? n'énerva finalement Shiney, soulagée de pouvoir enfin passer ses nerfs sur quelqu'un en chair et en os, n'est-il donc pas au courant ?! Quand puis-je espérer le voir daigner se déplacer pour accueillir sa progéniture ?! Ou peut-être estime-t-il que cela n'en vaut pas la peine ?!

-Je... En fait madame, je pense qu'il n'est pas tout à fait en état de venir... "

La femme de chambre prit un air contrit qui surpris Shiney. Lui confiant l'enfant, elle décida de résoudre ce mystère elle-même.

--

En silence, Clawback observa les débats retransmis en direct : des visages familiers qui s'égosillaient à des milliers de parsecs de là, tandis que lui, confortablement assis dans un fauteuil, les regardait de loin dans tous les sens du terme. Son esprit était à moitié ailleurs. Ou même complètement, si on en jugeait par les deux bouteilles vides qui décorait la table basse à ses côtés. Ses yeux, d'ordinaire brillant d'un éclat vif sous ses arcades prononcées, étaient ternes et vides. Même sa tenue si droite et raide s'était complètement délitée, le laissant avachi entre les deux accoudoirs, la tête à moitié de travers contre le dossier. Dans la pénombre du salon, l'éclairage était réduit au minimum, accompagné du clignotement des hologrammes bleus au milieu, projetant sur les traits fatigués du muun une ombre inquiétante.

Il n'eut aucune réaction de sa part lorsque les portes s'ouvrirent avec fracas. Pas plus quand une silhouette mince habillée de blanc parcourut la distance qui la séparait du seuil d'un pas ferme. Revenue depuis longtemps de la clinique où elle avait accouché quelques heures plus tôt, Shiney Vault n'avait pas seulement eu l'opportunité de croiser son mari, introuvable, injoignable. Voyl n'avait pas bougé d'un pouce, figé dans cette position étrange et tordue. L'épouse Clawback se planta à côté du fauteuil.

" Ravie de voir que vous n'êtes pas mort à la guerre. "

Shiney le dévisagea longuement, ses traits d'habitude si impassibles déformés par une colère triste, avant de se rendre compte, lentement, de ce qui n'allait pas. Son regard tomba sur la bouteille d'alcool qu'il tenait encore à la main, et son visage se décomposa.

" Vous êtes saoul ! "

L'intéressé ne répondit rien, le regard torve toujours vissé sur les hologrammes des sénateurs.

" VOYL !! "

Un grognement, puis un soupir lourd accompagnèrent un mouvement mou du bras, qui retomba sans conviction sur l'accoudoir.

" Qu...qu'est-ce que ça peut bien vous faire... Franchement... "

La colère de la muun gagna quelques niveaux en une seconde.

" Ce que ça peut me faire ?! Je viens d'être mère, voilà ce que cela me fait !! "

Le regard de Clawback s'éclaira soudain.

" Voilà maintenant cinq heure qu'elle attend votre bon vouloir pour être baptisée !!

-Elle ? "

Il tourna la tête, perdu. Son esprit s'était tant déconnecté qu'il lui fallut reprendre depuis le début pour tout remettre dans l'ordre.

" Votre fille, trancha Shiney, glaciale, la première née de votre mariage - s'il est besoin de le rappeler !! "

Voyl écarquilla les yeux, stupéfait. Il avait oublié. Oublié ? C'était impossible ! Il n'oubliait jamais rien ! Il se leva d'un bond, prenant Shiney au dépourvu. Il manqua de tomber, vacillant dangereusement sur ses jambes, se précipita sur elle tant et si bien que la muun eut peur de tomber avec lui lorsqu'il lui chut presque dans les bras.

" Ma...ma f-fille ?! Où est-elle ?! Comment... va-t-elle ? J-je vais... J-je dois la voir... !!"

Dépassée par les évènements, Shiney tenta de le contenir, de l'arrêter dans son élan incontrôlé que l'alcool rendait dangereux.

" Non ! Non, Voyl ! Restez assis ! Vous n'êtes pas en état de...

-Laissez-moi la voir, supplia-t-il en l'attrapant par les épaules, c'est ma f-fille ! J-je suis son père ! J'ai le droit ! J'en ai le droit !! "

Il la repoussa pour tenter de la dépasser, mais Shiney le retint, agrippant sa veste au passage, et il s'écroula sur le marbre froid du sol. Affolée, la jeune mère appela à l'aide, en direction du couloir, où l'un des valets accourut à son cri.

" Bon sang Voyl, vous perdez la tête ! Pourquoi ?! Pourquoi faut-il que vous vous mettiez dans un état pareil ce jour précis ?! "

Il ne buvait pourtant jamais : c'était sans doute la raison de son état d'ébriété avancée. A deux, ils le remirent sur ses pieds et le trainèrent sur un canapé un peu plus loin, où ils eurent tout le mal de la galaxie à l'empêcher de se relever.

" Votre mère est avec elle, elle va très bien ! "

Clawback fut agité de tremblements incontrôlables, son souffle devenait bruyant et difficile alors qu'il tentait de se débattre faiblement contre la poigne de Shiney.

" Je devrais appeler une ambulance ? dit timidement le jeune valet mal à l'aise,

-Faites, je crois que ça ne fait qu'empirer... "

Il détalla en direction de l'ascenseur, laissant le couple seul dans la pénombre du salon au milieu d'une nuit qui touchait à sa fin. Agenouillée près de Voyl, Shiney fouilla l'une de ses poches et en sortit un petit mouchoir en soie, dont elle se servit pour essuyer le sang qui perlait de la pommette de son mari, presque assommé d'être tombé face contre terre. Le tout en continuant de le maintenir allongé de l'autre bras.

" Que c'est-il passé ? demanda-t-elle lorsque Voyl eut finalement rendu les armes, pourquoi n'étiez-vous pas là ? Pourquoi personne n'a-t-il pu vous joindre ?! Nous étions tous fous d'inquiétude...

" Je... Je vous demande pardon... Shiney. "

Il parlait avec peine. Ses efforts pour rester concentrer sur la conversation étaient visibles, et Shiney craignait qu'il ne tombe inconscient à tout moment : jamais, depuis qu'ils étaient sous le même toit, elle ne l'avait vu ingurgiter une telle quantité d'alcool. Il ne buvait quasiment jamais, et certainement pas seul devant un holoécran, à la manière d'un vieux prolétaire à la rue. La vision avait de quoi l'ébranler, et l'espace d'une petite seconde, elle eut presque honte de l'avoir malmené. Elle l'observa en silence un bon moment, incapable de lire autre chose qu'une infinie fatigue dans ses yeux vitreux.

" Dites-moi la vérité. Pourquoi ? "

C'était la moindre des choses. Elle s'estimait en droit de le lui demander, même si au fond, elle n'en avait plus rien à faire. Autrefois, elle se serait sûrement demandé quelle mouche pouvait piquer une épouse qui osait détourner son mari de ses affaires pour un bébé. Mais cette nuit, elle venait enfin de comprendre. Et le comportement de Voyl la révoltait, toute muun était-elle. Le visage fatigué et sans expression de Clawback se tourna vers elle, ses pupilles noyées dans une vapeur d'alcool qu'il n'avait jamais vraiment supportée.

" Ils ont enlevé K-klark, parvint à articuler Voyl, l-l'Empire et... Kira. Kira a attaqué Dubrillion... C'est la guerre. La guerre ! "

Sa main se souleva avec peine et il prit la sienne, la serra plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Il souriait à moitié, même si ses yeux disaient le contraire.

" J'ai été... convoqué. "

A ce seul mot, Shiney comprit. Peu de personnes, même ici sur Muunilinst, pouvait prendre la liberté de "convoquer" Voyl Clawback... Ses pommettes, pourtant déjà pâles, virèrent au verdâtre. Une colère presque palpable la faisait trembler : Shiney connaissait très bien les rivalités mortifères qui régnaient au sein des antiques organisations muuns - et surtout entre leurs dirigeants. Sous le couvert d'une société parfaitement apaisée et pacifiste, les instances muuns avaient peu de concurrence sur le plan de la violence psychologique. Le nombre de suicides au travail était l'un des plus élevés de la galaxie... un chiffre qui n'apparaissait que si l'on prenait la peine de bien le chercher sur l'Holonet, tant ce secret de polichinelle était soigneusement dissimulé par les muuns eux-mêmes. Les accidents étaient toujours tragiques, sur la planète.

" Et vous avez obéi. Ils vous ont demandé de venir, et vous avez obéi. "

Son regard fuit, empreint d'un mélange de colère et de culpabilité. Il ne le sait que trop bien. Mais Voyl ne supportait pas l'idée de contempler sa propre faiblesse. Il avait redouté ce moment, au détail près qu'il n'avait pas, sur l'instant, envisagé d'être ivre quand cela arriverait. La bouteille s'était présenté à lui. Sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, l’œil rivé sur les images retransmises depuis le Sénat, il en avait vidé plus de la moitié. Du rhum pur, ingurgité après plus d'une journée passé à jeun. Quelques minutes avaient suffi à lui donner le tournis.

" Ah ! Et v-vous auriez préféré...! Je...

-Préféré ?! Voyl : je viens d'accoucher ! Est-ce que malgré la dose de rhum que vous venez d'ingérer, votre cerveau peut encore saisir une miette de ce que cela signifie ?! "

Elle se mordit la lèvre, prête à perdre tout contrôle d'elle-même pour la première fois de sa vie. Il en fallait, pour mettre les nerfs d'une muun à vif, mais cette fois, le quota était atteint. La seule réplique de son interlocuteur consista à entrouvrir la bouche d'un air contrarié. Puis il poussa un court soupir en retombant dans le fauteuil.

" Je suppose que non... Mais ce que je peux dire ou rien... En fin de compte. Voyez-vous, je n'étais pas ici depuis une minute que j'ai été nommé Directeur Adjoint. Et puis voilà qu'un enfant arrive ! Alors... Va-t-on bientôt m'annoncer que le Noyau a déclaré l'indépendance ? Au point où nous en sommes ! "

Il se mit à gesticuler, toujours effondré dans le fauteuil, pris dans un délire que seul l'alcool pouvait provoquer : Shiney devinait sans peine que sobre, elle aurait dû lui arracher la langue pour qu'il se décide à dire seulement le quart de ce qu'il venait de cracher avec véhémence.

" Voyl...

-Je vous fais pitié à ce point ? Pourquoi restez vous ici à me regarder, dans ce cas ? "

Shiney ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.

" Je n'ai jamais dit...

-Votre regard parle à votre place. "

Elle resta coite, peu sûre de l'attitude qui devait être la sienne face à autant de nervosité. Elle ne le reconnaissait plus : où était l'impassible et glacial banquier qui arpentait ces couloirs ? Il ressemblait à un vieil ivrogne délaissé par le monde entier. Shiney eut du remord. Avant de se rappeler sa nuit à elle, l'indifférence dont il avait fait preuve. Elle finit par hausser les épaules et décida de le laisser à son sort, à décuver lamentablement sur le fauteuil.

" Allez d'abord vous enlever cette gueule de bois : il est hors de question que je vous mette en présence d'un bébé dans votre état ! "

Voyl était effondré. D'ordinaire, un tel laisser-aller de sa part était impensable : il n'était pas convenable pour un muun de montrer le moindre de ses sentiments.

" Je devrais en retirer une certaine... satisfaction. Mais je n'y arrive pas. Pourquoi ? "

La nuit qui touchait à sa fin devait être la nuit de trop, et Clawback ne souhaitait qu'une chose : pouvoir trouver le sommeil. Par tous les moyens.

Le seul qui semblait à sa portée était une bouteille déjà à moitié vide.

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La fin de ce rp se situe donc en -3484.
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